Le compagnonnage et l`union compagnonique.wps
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Le Compagnonnage et L’Union Compagnonnique Les origines du compagnonnage se tissent sur un fond légendaire dont l’extrême ténacité a permis de maintenir, vivace, une mémoire collective des siècles durant. Une des fonctions majeure de la légende n’est-elle pas, précisément, de véhiculer, hors de toute restriction rationalisante, une part importante d’une vérité située elle-même en dehors, ou plus exactement * au-delà *, de l’histoire événementielle? Les esprits forts qui, par abus de positivisme considèrent ces légendes comme un folklore désuet se privent du même coup d’un fil conducteur certes singulier, mais en tout cas fondamental. C’est pourquoi le compagnonnage de nos jours encore, ne dédaigne pas cette instruction traditionnelle que représente la tradition de ce fond légendaire. Ceci malgré les invraisemblances de temps, d’époque ou de lieux qui y sont contenues. Il n’est pas sans intérêt, à cet égard, de noter que les trois fondateurs légendaires du compagnonnage, Salomon, Maître Jacques et Soubise représentent respectivement les fonctions royales, artisanales et sacerdotales, et que le compagnonnage s’origine dans ces trois milieux qui l’organisèrent et lui transmirent l’essentiel. La légende se confond et se perd ainsi dans l’histoire. Ces diverses légendes des trois personnages mythiques qui fondent l’origine des compagnonnages ont donné naissance aux trois rites qui portèrent ainsi le nom de leur fondateur : le rite de Salomon, le rite de Maître Jacques et le rite de Soubise. L’histoire nous montre que les compagnons qui s’en prévalaient furent parfois farouchement et mortellement rivaux. Les compagnons du Devoir ( rite de Maître Jacques et rite de Soubise ) furent opposés au compagnons du Devoir de Liberté ( du rite de Salomon ). Bien entendu, chacun des devoirs a prétendu détenir le privilège de l’antériorité, ce qui en compagnonnage était la marque infaillible de la légitimité… Aucun historien du compagnonnage n’a pu cependant démontrer, d’une manière indiscutable, quel devoir et par conséquent quel fondateur peut-être présenté comme le maillon primitif de la chaîne compagnonnique. Par ailleurs, à s’en tenir rigoureusement à la méthode historique, aucune trace documentaire n’apparaît avant le XV siècle. Estce là une preuve suffisante pour démontrer l’absence du compagnonnage avant cette époque ? Certainement pas. Il faut en tenir compte du fait que les compagnons, pour de nombreuses raisons, s’en tenaient à une transmission strictement orale de leur tradition. A de rares exceptions près, ils n’ont pas légué de documents écrits à leurs descendants, brûlant parfois leurs * affaires * ou les document qui pouvaient assujettir ou compromettre leur liberté. De ce point de vue, il parait prudent de ne pas sous-estimer l’étonnante capacité de mémorisation d’une collectivité d’hommes spécialement entraînée à retenir, entre autres, les gestes secrets de métier, les rituels de reconnaissance et bien sûr la légende fondatrice, jalousement et pieusement transmise de générations en générations. Toute la vitalité du compagnonnage résidait dans cette aptitude. C’était même parfois une question de vie ou de mort. N’oublions pas non plus que parmi les anciens compagnons, peu savaient lire et écrire. Ils savaient cependant s’exprimer en signes et en mots selon une grammaire et des usages particuliers auxquels ils étaient farouchement attachés. C’étaient là, en effet, toute le culture qu’ils transmettaient, devoir oblige, avec rigueur et exactitude. C’est pourquoi, enfin, les compagnons n’ont pas attendu les historiens pour voir confirmer leur tradition historique. Certains auteurs respectables ont cru voir dans le compagnonnage une survivance des collèges d’artisans du monde romain. Ils citent à cet égard un passage de l’historien grec Plutarque : « Numa établit les corporations de musiciens, des orfèvres, des charpentiers, des teinturiers, des cordonniers, des tanneurs, des forgerons et des potiers de terre. Il réunit en un seul corps tous les artisans du même métier et il institua des assemblées, des fêtes et des cérémonies convenables à chacun de ces corps ». ( Numa fût le 2ième roi de Rome, 700 ans av. J.C. ) D’autres historiens récusent cette hypothèses avançant que les collèges étaient des associations publiques, composées d’artisans travaillant pour leur compte et qui étaient règlementées par l’administration impériale, alors que les compagnonnages furent des confréries clandestines, voire secrètes et donc indépendantes, recrutant presque exclusivement parmi les ouvriers en lutte permanente avec les corporations patronales. Ceci a fait dire à d’autres que le compagnonnage était né à la fin du Moyen Age pour lutter contre les abus du système corporatif, la maîtrise devenue héréditaire ne revenait qu’aux fils de maîtres. Certains auteurs enfin ont tenté de démontrer avec pertinence que le compagnonnage natif pouvait se déceler sur les chantiers de nos cathédrales entre le XII et le XIII siècles. C’est en effet au XII siècle que l’on assiste au mouvement d’affranchissement des communes et à la création des premières corporations de métiers. Mais attention ! Comme le stipule Martin St-Léon, il ne faut pas confondre la corporation de métier et le compagnonnage… la corporation est une institution municipale reconnue et protégée par le roi ou le seigneur. Elle comprend des maîtres et des valets, des apprentis; le compagnonnage, s’il admet des apprentis, n’accepte pas les maîtres et bientôt, il battra en brèche l’autorité. Nous ajouterons que la corporation se limite géographiquement à la commune ou à la ville alors que le compagnonnage est itinérant. Pour cet auteur respecté, l’apparition au XII siècle, du métier, au sens corporatif, constitue une * présomption très forte * en faveur de l’opinion qui tend à placer autour des cathédrales en construction le berceau de la confrérie des compagnons. Une partie du légendaire de Maître Jacques et de Soubise semblerait accréditer cette dernière assertion et c’est là un argument qui a force de tradition. Ne s’agirait-il pas cependant d’un compagnonnage réorganisé par les ordres monastiques qui furent de grands bâtisseurs comme celui des bénédictins et des cisterciens ? Compagnonnage réorganisé et par voie de conséquence devenu chrétien et catholique… Ceci pourrait-il confirmer par déduction une antériorité certaine du compagnonnage des enfants de Salomon ? Agricol Perdiguier que l’on ne peut soupçonner de mauvaise foi, reprenant une tradition persistante, affirmait à son époque ( 1840 ): « Les compagnons tailleurs de pierre étrangers surnommés les loups, passaient par ce qu’ils y avait de plus ancien dans le compagnonnage » Il est en tout cas remarquable que la christianisation radicale du compagnonnage au XII et au XIII siècles, qui donna naissante au devoir de Maître Jacques a tenu compte de l’antique légende salomonienne. Nous avons vu que la légende de Maître Jacques se souche sur celle de Salomon confirmant ainsi une chronologie transmise fidèlement par la mémoire collective du compagnonnage. C’était reconnaître implicitement la légende de Temple du roi Salomon comme la base primitive de tout le compagnonnage. Cette affirmation constitue-t-elle un argument suffisant pour confirmer l’existence d’une filiation humaine partant de l’époque salomonienne et arrivant jusqu’au haut du Moyen Age ? Il appartiendra aux historiens de trancher. Les compagnons, quant à eux, s’en tiennent à leurs traditions. Nous allons à présent entrer dans l’histoire. Nous sommes en l’an 1000. La chrétienté qui vit sous la féodalité capétienne se réveille ébahit. La plupart des habitants s’attendaient au cahot. Les faux prophètes annonçaient la fin du monde. Le moyen âge obscur, commencé voilà quelques centaines d’années va devenir à l’aube du 2ième millénaire, une époque triomphante de lumière. Tout est en gestation. Une véritable sagesse va naître d’un vaste élan mystique, soufflé par un vent venu d’orient. Des cathédrales tel un printemps de pierre, vont surgir de terre. Pour le compagnonnage, cette époque de transition s’identifie entre l’expression légendaire et le début de sa tradition qui est toujours vivante de nos jours. Pour bien cerner le problème, faisons un rapide tour d’horizon de la fin du X siècle. Les villes sont à peu près inexistantes; seulement des châteaux forts, ça et là, abritent ou protègent la population. Les échanges économiques entre régions sont pratiquement nuls. L’homme vit uniquement du fruit de la terre. Puis, petit à petit, une poignée de pionniers, appelons-les des itinérants, vont poser des jalons commerciaux dans quelques points stratégiques de l’Europe. Ils vont ébaucher des débuts de Cités à la jonction des grandes voies de communication. Des villes * franches * vont se créer à l’image de Cambrai, Sens, Senlis, Laon, Rouen, Reims, Amiens ou Beauvais. A l’intérieur de ces villes, s’intensifie la libre entreprise qui crée la liberté du travail. La saine concurrence entre commerces donne naissance aux banquiers et aux changeurs. L’église est hostile à l’idée de profit mais va savoir exploiter à fond cette éclosion de richesse. Prêchant la mauvaise conscience à faire de l’argent, elle va obliger les nouveaux nantis, pour le rachat de leur âme, à participer par des oeuvres à l’édification de monuments religieux. Pendant près de trois siècles va se remuer dans le royaume, plus de pierres que dans toute l’histoire de l’Egypte antique. Plus tard, les séquelles de la guerre de cent ans mettront un terme à ce vaste élan de chantiers de cathédrales. Qu’elle a été la place du compagnonnage à cette époque de grandes constructions ? Contrairement à toute attente, peu nombreux sont les oeuvriers spécialisés. La tenue des livres de chantiers cite des effectifs précis opérant à la construction de l’édifice. 70 tailleurs de pierre, 24 maçons, 4 charpentiers, 20 forgerons, 20 marbriers-ponceurs. 130 manœuvres constituent le gros de la main-d’œuvre non spécialisée et quelques femmes travaillent comme mortelleuses, travail des plus pénible. Suivant les saisons * la fabrique * peut varier entre 100 et 400 artisans. A l’ombre des murs de l’édifice en construction s’adossent les loges. Ces baraquements, pour certains construits de plus de 1000 planches, abritent les outils, servent de dortoirs pendant les heures de repos. Seuls les ouvriers spécialisés y ont droit d’entrée. C’est là que le Maître d’œuvre vient dicter ses directives, étudie et coordonne avec les responsables des diverses corporations, la marche à suivre du chantier. Les manœuvres habitent, quant-ils le peuvent, chez l’habitant ou bien logent dans des remises exclusivement construites pour eux. Le mot * compagnon * existe, c’est celui avec qui l’on partage son pain. Déjà au VII siècle, Isodore de Séville, un penseur de l’époque nous indiquait que ce symbole était un signe donnant accès à une connaissance inaccessible par tout autre moyen. Pour comprendre la vie, pour accéder à la compréhension, seule la communauté fraternelle qui partagera le pain, construira l’édifice et découvrira le processus de la création. Pour les compagnons, la cathédrale représente le microcosme de l’univers. N’est-elle pas faites pour contenir dans certains cas plus de 10.000 fidèles, alors qu’au XII siècle, la plupart des villes citées plus haut ne comptent que 2000 à 3000 âmes. 1268 marque une étape importante dans les statuts des corporations. Etienne Boileau sous les directives de Louis IX va codifier les métiers. Dès le départ, les ouvriers en ces temps difficiles prennent conscience de leur situation. C’est de l’union que naît la résistance, le plus grand péril étant l’isolement. C’est dans l’union ouvrière que se gagne la plus grande liberté. Toutefois, le système corporatif organise et maintient la famille ouvrière. Elle se compose de l’apprenti, du compagnon et du maître. Tous travaillent et vivent le même état dans un respect commun. Si un différent a lieu, l’appel de l’esprit d’atelier et de famille aboutit rapidement à une conciliation. Hélas, bien vite, l’individualisme et la puissance d’argent qui créent l’intérêt personnel rompent ces liens professionnels. De regrettables antagonismes apparaissent. Pour se défendrent, les ouvriers se regroupent. Le compagnonnage subit de redoutables épreuves commandées par les circonstances politiques sociales ou religieuses. Il s’en trouve à chaque fois ébranlé et divisé. Il traverse cependant sans défaillir, les obstacles les plus sévères grâce à l’ardeur juvénile de ses membres et à la foi que l’institution, forte d’une tradition séculaire, leur insuffle. Les choses se gâtent début XIV siècle, lorsque la puissance temporelle de l’église prend le pas sur son autorité spirituelle. Les rites initiatiques * salomoniens *, sans être contestés dans leur essence, font l’objet d’une adaptation probablement voulu par les moines bénédictins. Se produit un grand remous dans les rangs du compagnonnage car la conséquence directe de cette radicalisation fait que seuls les fils de l’église catholique, apostolique et romaine sont admis dans ce compagnonnage nationalisé et catholicisé. Il se produit alors une importante scission dont une branche va peu à peu être honnie et traquée. En 1420 apparaît nettement défini dans une ordonnance de Charles VI, le compagnonnage vivant. C’est un constat d’un déplacement de plusieurs compagnons qui voyagent à travers les provinces en vue de s’enrichir techniquement et pécuniairement dans leur métier. Pour mémoire, cent ans plutôt, le 18 mars 1314, mourait brûlé, Jacques de Molay, grand maître de l’ordre des templiers. Certains clivages se sont-ils produit entre bâtisseurs? Les uns restant fidèles à la tradition bénédictine, d’autres à l’ordre du temple? Les chantiers sont désertés, les cathédrales inachevées. Toujours est-il que l’on assiste en 1480 à une réception rituelle de compagnons dirigée par Pierre d’Aubusson, grand maître de l’ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. La gravure nous fait découvrir les outils symboliques des compagnons, l’équerre, le compas, le ciseau à bois et le maillet placés en évidence. Les compagnons ont ceint leurs couleurs autour de la tête. Nous savons que l’ordre de Saint-Jean a repris d’anciennes concession templières. Quel est le devenir de l’art royal? Va-t-il disparaître faute de grands chantiers? Depuis 1401, date de la scission d’Orléans devant les tours de la cathédrale Sainte Croix, la naissance des rites de Maître Jacques et celui de Soubise vont opposer les compagnons d’après notre tradition orale. Commencent des batailles sanglantes entre devoirs ennemis. En 1515, un document datant de la Renaissance nous rapporte qu’un compagnon tailleur de pierre compose une complainte, en prison. Une rixe avec le gué et quelques compagnons d’un autre devoir, l’a conduit dans ce cachot. En cinq couplets de huit vers, il exprime d’une façon poignante, le malheur d’être emprisonné, ainsi que ses avatars sur le tour de France. Dans une autre chanson, il explique qu’il faut être compagnon initié pour avoir la liberté de passer. En 1540, dans les archives judiciaires communales de Dijon, il est fait mention de la mère des compagnons. L’on peut affirmer qu’à cette époque le tour de France fonctionne et se trouve bien en place dans différentes villes telles qu’Angers, Saumur, Nantes, Fontenay, Bordeaux, Poitiers, Nevers, Gien, Etampes, Courbay, Villeneuve-le-Roi, Avallon et Dijon. Sous Henri IV, l’Edit de Nantes de 1598 permet aux Compagnons huguenots d’exercer leur métier. Par dérision, les compagnons du SaintDevoir ou dévoirants les surnomment * gavots *. S’ensuivent des rixes. Nous sommes maintenant en pleine crise, d’autant qu’un profond mécontentement se fait jour, de part la classe ouvrière envers les maîtres. Les interdits et les condamnations tombent sur le compagnonnage. La plus terrible est celle de 1655, où en Sorbonne, les plus hautes autorités cléricales accusent les compagnons de pratiques impies, de sacrilèges, de superstitions et de parodier les sacrements. Il est fait état d’un rituel d’ initiation, cité comme une maudite cérémonie de réception particulière à leur métier, selon leurs traditions diaboliques. On leur reproche de se liguer contre les apprentis qui ne sont pas de leur cabale, les maltraitent, et font jurer sur les évangiles à ceux qu’ils reçoivent, de ne révéler ni à père ni à mère, ni à confesseur ce qu’ils verront ou verront faire… Ce dur réquisitoire jette un trouble dans la conscience des compagnons du devoir. Heureusement, la majorité du clergé régulier ne tint pas compte de la sentence, ce qui permit aux compagnons d’être accueillis comme par le passé par les communautés monastiques. La révocation de l’édit de Nantes de 1685 va provoquer envers les compagnons protestants les plus grandes vexations. Ils sont obligés de fuir à l’étranger, le compagnonnage perdant ainsi une partie de son élite. Ces travailleurs expatriés vont devenir les compagnons * étrangers *. Nous pouvons, à coup sûr, parler dès à présent de trois rites compagnonniques. Dans le domaine, plus profane, du travail, la situation du compagnonnage évolue parallèlement à celle du monde ouvrier dont elle constitua il y a peu encore, un éperon turbulent à la tête de la quasitotalité des revendications et des grèves légitimes des gens de métier. L’organisation du compagnonnage, son système particulier de placement et d’entraide, son sens collectif de l’honneur et un farouche esprit d’indépendance, en fait très tôt l’adversaire de la maîtrise sédentarisée, protégée tour à tour par les jurandes, plus tard par la législation révolutionnaire puis par l’administration patronale. Les trois rites, Salomon, Jacques et Soubise vont se combattre et se mesurer dans des luttes farouches, jusqu’à la révolution de 1789. Ils apparaissent au yeux du public, comme une société unique aux multiples ramifications. Lors des disettes ou des crises économiques, les luttes fratricides obligent le pouvoir à intervenir sans cesse. Ce dernier fréquemment sollicité par les maîtres. Au moyen âge que l’on présente d’habitude, et bien à tort, comme un * âge sombre *, la constitution des métiers était fortement égalitaire, puisque l’on possédait les mêmes droits que les maîtres. Dès à présent, il ne suffit plus, pour accéder à la maîtrise, de justifier de son apprentissage et d’acquitter certains droits. Il faut encore avoir servi quatre ou cinq années en qualité de compagnon; il faut exécuter un chef-d’œuvre coûteux et difficile et le faire agréer par les jurés, magistrats corporatifs qui sont en même temps des maîtres et qui, par suite, sont personnellement intéressés à se montrer difficiles à l’égard des concurrents. D’où l’hostilité des compagnons réagissant contre les abus des maîtres. Certes, les compagnons dominent encore le marché du travail, surtout dans les professions artisanales, tantôt avec âpreté, tantôt avec modération. La puissance des sociétés ouvrières va néanmoins buter sur une grande contradiction… Comment peut-on répandre un esprit de contestation, ébaucher des actions collectives, lancer l’idée générale d’une lutte des classes, alors que beaucoup de compagnons, les purs, les sages, les anciens sont retenus par leur tradition, la foi compagnonnique et l’enracinement profond d’une symbiose plusieurs fois séculaire? Ces liens solides dans un milieu fermé vont petit à petit, les condamner à devenir une minorité. Malgré toutes les luttes internes, les maîtres acceptent toujours le compagnonnage; il faut dire que les devoirs s’acquittent consciencieusement de leurs charges. Ils régularisent l’emploi, soutiennent les chômeurs et surtout fournissent une excellente main d’œuvre. En 1791, les évènements se précipitent. Suite à la révolution, les ouvriers croyaient aux augmentations de salaires et à la participation aux bénéfices. La constituante vote la loi Le Chapelier qui interdit toute association de plus de 20 personnes et toute coalition pour cesser le travail, en particulier les * interdictions * et * damnations *d’ateliers. La loi Le Chapelier va être strictement appliquée jusqu’en 1813. Cette période fut éprouvante pour les compagnons luttant pour continuer leur activité. E. Coornaert précise : « leur inébranlable fidélité à leurs coutumes était d’autant plus digne d’admiration que le long séisme révolutionnaire coupait brutalement le cours de leur histoire ». Sous l’Empire, le compagnonnage ne fut pas mieux considéré par les pouvoirs publics qui s’en méfiaient. Les choses allèrent à peine un peu mieux sous la Restauration. L’ère industrielle s’annonçait, poussée par une bourgeoisie qui sentait monter sa puissance. Les conditions de travail épouvantables provoquèrent de fréquents arrêts de travail et des grèves dont l’organisation fut, la plupart du temps, et dans tous les métiers où ils étaient présents, l’œuvre des compagnons. La répression redouble, d’autant qu’à nouveau, gavots et dévorants se livrent un combat sans merci. Défense à nouveau d’aller chez la mère, de s’appeler compagnons. Nombreux sont condamnés aux prisons. Ils leur arrivent souvent de taper sur les ouvriers indépendants. La crise de 1830 a vu les esprits surexcités. Elle a vu également se former des sociétés tant politiques, ouvrières que secrètes. Dans ce climat perturbé apparaît une des figures des plus noble du compagnonnage : Agricol Perdiguier dit « Avignonnais la vertu ». Un curieux destin l’attend. Pressentant qu’une période extrêmement délicate de transition se manifeste, il exhorte ses pairs du compagnonnage qui s’égarent en luttes fratricides. Parti d’un petit village de Provence, cet apôtre de l’union va révéler un certain peuple de travailleurs à George Sand. Eugène Sue s’inspire de cet ouvrier modèle dans son livre « le juif errant ». Frédéric Mistral le campera plus tard dans « calendal ». Avignonnais la vertu, apôtre, écrivain, prenant par deux fois sa canne de compagnon va tenter sur le tour de France de réunir toutes les sociétés dans un seul devoir. En 1873, Il approuve la société des devoirs Réunis, d’où va naître mon devoir actuel : l’Union compagnonnique. Il décède en 1875. Au cour de son existence, il refusa la Légion d’Honneur, et après avoir vécu les trois glorieuses, il fut élu représentant du peuple à l’assemblée constituante, au lendemain d’une grandiose cérémonie, où, plus de 10.000 compagnons de toutes tendances s’étaient réunis, afin de matérialiser son action. Revenons légèrement en arrière. A partir de 1850, La décadence compagnonnique commence à se faire sentir. Le machinisme entre à grands pas dans une époque de grandes révolutions industrielle. Les pièces élaborées en usine sont de plus en plus standardisées. Ce travail monotone laisse de moins en moins de liberté aux compagnons. Fini le long apprentissage et l’on gagne par une formation plus accélérée, sa vie plus rapidement. De plus le chemin de fer supprime le tour de France à pieds. Pour le monde ouvrier en général, et le compagnonnage en particulier, ce fut assurément, l’époque la plus hideuse. En fait, tout un système économique était remis en cause en même temps qu’une philosophie, et une spiritualité du travail. Le « labeur » parcellaire était né, porteur de potentialités matérialistes exactement à l’opposé des finalités du compagnonnage pour qui le métier est moins une recherche de puissance économique qu’une méthode de réalisation humaine et spirituelle. Dans les rangs du compagnonnage, des corporations entières deviennent exsangues, puis disparaissent, telles celles des cloutiers et des tondeurs de draps, tandis que beaucoup d’autres en sursis, s’acheminent inexorablement vers leur fin : toiliers, teinturiers, cordiers, tisseursferrandiniers, couteliers, ferblantiers, poêliers-fondeurs se réduisent à de l’artisanat de quartier. En 1842, une base de départ est donnée. Les compagnons retirés, enfants de maître Jacques s’unissent aux Soubise et fondent une société. En 1864, à Lyon, Gavots, Dévorants et Bons Drilles se regroupent et se baptisent du nom de « société des anciens de tous les devoirs réunis ». En 1868, Lucien Blanc dit « Provençal le résolu » en est nommé le Président. La 1ière ville mère allume ses feux en 1874 à Lyon. En priorité, les nouveaux statuts font obligation au sociétés d’amener la réconciliation de tous les Devoirs et de tous les corps d’état. 1879, nouveau congrès qui réuni 34 sociétés actives sur les 35 existantes et 26 sociétés d’anciens compagnons retirés. Une nouvelle constitution est votée et adoptée. Ce vaste élan unificateur se heurte encore à de problème sérieux, le cas d’admission d’hommes mariés et l’affiliation de tous les rites. Le congrès définitif se tient à Paris en 1889. 49 délégués représentant 24 corporations et 36 les chambres fédérales d’anciens votent la constitution finale. Sous la Présidence de Lucien Blanc, l’Union compagnonnique de part son esprit qui s’appuie sur la pensée d’Agricol Perdiguier, impose un élan de chaude et efficace fraternité, de soutien et de partage entre frères, héritage le plus authentique des anciennes traditions compagnonniques. Les rites importants et anciens sont maintenus. Dans les cayennes les colonnes Jakhin et Booz sont à nouveau dressées. Les membres comme autrefois s’appellent « Pays » pour les métiers d’atelier et « coterie » pour les métiers de plein air. Le 23 mars 1892, les anciens Devoirs reconnaissent de nouveaux métiers dont les métiers de bouche, pâtissiers et cuisiniers ainsi que des métiers d’art. Il suffit de prouver que dans le chef-d’œuvre, l’aspirant transforme la matière pour être reçu compagnon. L’aspirant devra remplir strictement les conditions règlementaire des statuts, donner de sérieuses garanties d’honnêteté, de probité et de savoir-faire professionnel qui sont les bases du compagnonnage. Grâce à son esprit d’avant-garde et d’initiative, et d’accepter de nouveaux métiers spécialisés, l’Union Compagnonnique va sauver et relancer le compagnonnage dans toutes ses traditions. Il faut avouer que le syndicalisme naissant avait ébranlé les vieux Devoirs. En ce 3ième tiers du XIX siècle, la part active des compagnons et leur savoir faire, vont apporter une qualité de main d’œuvre hautement qualifiée. Viollet-le-Duc va faire appel à eux pour relever des monuments historiques : Notre Dame de Paris, la cité de Carcassonne, divers châteaux…, Eiffel, pour construire sa Tour. L’Union Compagnonnique dite « les compagnons du tour de France des Devoirs Unis » est la 1ière a créer en compagnonnage, une caisse de retraite, une mutualité en 1889, un orphelinat à Nantes en 1894, une caisse de réassurance à Brive en 1904, des cours d’apprentis à Tours, Nantes et Montauban en 1909, une assurance décès à Paris en 1924. La guerre de 14-18 va presque anéantir par le nombre de ses morts et de son grand cortège d’invalides, la fleur du compagnonnage. Pour reconstituer une élite nationale d’ouvriers spécialisés, les compagnons avec l’aide des pouvoirs public participent en 1923 à la création du concours « un des meilleurs ouvriers de France », concours le plus envié et le plus prestigieux, encore de nos jours, dans le domaine du travail manuel. La remontée s’avère difficile. Dans le midi méditerranéen, les tonneliers, les maréchaux-ferrant ainsi que les charrons sont des plus dynamiques pour se regrouper et refaire fonctionner des sièges. Dans d’autres villes, se sont les menuisiers et les serruriers qui se trouvant assez nombreux, organisent lors de la sainte Anne ou de la Saint Eloi, les admissions et les réceptions de jeunes sur le tour de France. Chaque région s’identifie autour de sa spécificité, les charpentiers en Corrèze, les couvreurs dans le Tarn et l’Aveyron, les couteliers dans le Puy-de-Dôme les tailleurs de pierre en Provence… Le Tour de France moderne se remet en marche quant survint la 2ième guerre mondiale. A nouveau c’est la chute brutale du compagnonnage. Apparenté par l’occupant à la Franc-maçonnerie spéculative, des compagnons vont être déportés et augmenter la grande masse de ceux fait prisonniers. D’autres vont se fondrent dans la clandestinité et rejoindre les maquis. Quelques uns en héros, y laisseront la vie. En 1941, les autorités de l’époque favorise l’institution d’une nouvelle société compagnonnique, plus conforme avec les idéologies qui avaient déjà affaiblies le compagnonnage, en le dépouillant de l’esprit essentiel de fraternité. L’association ouvrière ainsi créée va vivre une scission, lors du retour des prisonniers d’Allemagne. L’Union Compagnonnique dépositaire des anciens rituels des Enfants de Salomon les cède à des compagnons voulant relancer cet Ordre. Le devoir de liberté fusionne avec les compagnons charpentiers du Devoir et refuse d’adhérer à l’association ouvrière. Après maints rebondissements et de longues démarches, ils se réuniront plus tard en 1953 sous le nom de la fédération compagnonnique des métiers du Bâtiment. Un congrès général dit * de la Libération* se décide le 6 janvier 1946 avant les assises nationales prévues au mois de novembre, à Tours. L’Union Compagnonnique a fait savoir qu’elle désirait rester elle-même et garder ses racines. En 2010, trois mouvement compagnonniques viennent d’être inscrits par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ainsi, si le dossier a été instruit avec la seule représentation des trois principales sociétés compagnonnique françaises, dont l’Union compagnonnique que je représente en ce lieu, nous le devons par le réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier que les compagnons de tous les Devoirs, mettent en œuvre selon des usages tissés au cours des siècles. Les deux autres mouvements nous doivent cette reconnaissance, car sans notre action de sauvegarde du compagnonnage au XIX siècle, nous ne serions pas aujourd’hui à jouer un rôle actif dans la vie des générations actuelles. Pour terminer, je voudrais vous lire une partie des phrases prononcées par le 1er compagnon, et qui terminent nos réunions en chambre. « Oh! Travail, devoir sacré de l’homme libre, force et consolation des cœurs généreux, toi qui préserves des passions lâches et mauvaises, toi qui rends plus doux au cœur les caresses du foyer et de la famille, soit glorifié. Tu nous donnes l’estime de nous-mêmes, nous rend meilleurs pour les autres, et nous protèges de la corruption. Tu nous enseignes l’égalité, tu nous assures la liberté et mûris nos âmes par la sublime fraternité. Soit glorifiée, ô France notre patrie bien aimée, compte sur notre amour du travail et de notre dévouement au compagnonnage pour élever nos cœurs et te rendre par notre exemple la plus noble des nations. Nous serons toujours fidèles à notre Devoir et à notre patrie. » PEZENAS le 16 mars 1984 augmenté du paragraphe sur l’UNESCO le 18 février 2011 Languedoc la clef des cœurs C:. Bijoutier-Orfèvre D:. D:. U:.