Care, famille et travail à domicile
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Care, famille et travail à domicile
13 & 14 juin 2013 – Université Paris-Descartes, Paris Care, famille et travail à domicile Intervenants et discutants Intervenants • Chizuko UENO, sociologue, Université de Tokyo, Japon • Patricia PAPERMAN, sociologue, Laboratoire des théories du politique (LABTOP), Université Paris 8 • Aurélie DAMAMME, sociologue, • Nagisa OKADA, Care manager, Ryokujuen, Japon • Ayaka KASHIWAZAKI, sociologue, master à Hitotsubashi University et ex-aide à domicile, Japon Discutants • Miho OTA, sociologue, Institut d’Asie Orientale • Christelle AVRIL, sociologue, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), Université Paris 13 • Kurumi SUGITA, anthropologue, Institut d’Asie Orientale, CNRS/Ecole normale supérieure (ENS)-Lyon • Bila SORJ, sociologue, Université de Rio de Janeiro, Instituto de Filosofia e Ciências Sociais (IFCS), Brésil CRESPPA-GTM, Université Paris 8 Fiche mémo 3 Théories et pratiques du care : comparaisons internationales « Care, famille et travail à domicile » : de quoi parle-t-on ? Le manque de reconnaissance du care domestique et de l’apport qu’il peut représenter pour les professionnels des institutions sanitaires et médico-sociales est un problème majeur. En effet, ce care non rémunéré – à destination des membres de la famille, et principalement des plus fragiles – est non seulement indispensable dans la sphère familiale, mais il peut également être à l’origine d’initiatives plus larges (mobilisations bénévoles à domicile au service des personnes âgées, par exemple). Malheureusement, il est généralement dévalorisé, car considéré comme une succession de tâches qui vont de soi, et qui incombent par nature aux femmes. D’aucuns vont même jusqu’à affirmer que cette « assignation au care » des femmes, qui exclut le care domestique de la sphère publique, procède du même mécanisme que le rejet des personnes fragiles, des « laissés-pour-compte » de la société civile – personnes âgées, personnes handi- capées, etc. –, lesquels sont précisément les destinataires de ce care. Cette dévalorisation aggrave par ailleurs les conditions de travail, déjà très mauvaises, des pourvoyeuses de care à domicile. Or malgré cette tendance, du fait du vieillissement de la population et de l’accroissement des besoins de prise en charge, le care domestique aboutit de plus en plus à un care professionnel. Les pouvoirs publics ne gagneraient-ils pas, par conséquent, à s’emparer davantage de l’expertise des pourvoyeuses de care pour venir en aide aux plus démunis, et à ne plus confier cette responsabilité à la seule sphère familiale, qui n’est plus à même de l’assumer aujourd’hui ? En d’autres termes, ne faudrait-il pas casser le partage traditionnel entre la sphère publique et la cellule familiale pour assurer un meilleur accompagnement, une plus grande qualité de soin, et de meilleures conditions de travail pour les pourvoyeuses de care à domicile ? A chaque question sa piste de solutions En quoi peut-on dire que la dévalorisation du care domestique procède du même mécanisme que la mise au ban de ses destinataires ? Il existe une matrice commune à la dévalorisation du travail de care et à celle de ses destinataires, et qui tient à une mauvaise conception de l’autonomie. Or cette conception de l’autonomie est l’un des principaux fondements de la définition traditionnelle de la citoyenneté. En effet, l’individu autonome, capable de subsister et de subvenir aux besoins de sa famille grâce aux fruits de son travail, est le seul susceptible d’intervenir dans la sphère publique au titre de citoyen. Mais cette conception traditionnelle laisse de côté un pan entier de la vie de cet individu, à savoir la sphère domestique – structure de soutien silencieuse qui seule rend possibles le travail productif et donc l’exercice de la citoyenneté. Plutôt que naturellement autonome, l’individu en question est donc plutôt naturellement dépendant, et pourtant il laisse de côté d’autres individus qu’il juge, à tort, plus dépendants que lui. Le passage du care domestique au care professionnel, et le brouillage des frontières entre sphère publique et sphère familiale est donc la condition sine qua non de l’entrée dans la citoyenneté à la fois des pourvoyeuses de care et de ceux dont elles ont la charge. Pourquoi les pourvoyeuses de care s’engagent-elles désormais dans un care professionnel ? Ces femmes trouvent là un nouveau modèle économique dans lequel elles ont toute leur place, car : - elles ont elles-mêmes besoin de services chez elle - elles ont une expérience dans les prestations de care - les opportunités d’emploi dans les autres secteurs se font rares - ce care requiert peu de qualifications. Témoignages France, Japon En France – la situation d’une famille francilienne confrontée à un cas d’autisme Martine a un fils de 21 ans, Eric, qui va dans un établissement pour adultes tous les jours. Diagnostiqué autiste à l’âge de 2 ans et demi, il a été suivi en hôpital de jour durant plusieurs années. Martine s’est ensuite mobilisée pour qu’il puisse aller dans un établissement médico-social, car elle cherchait un lieu plus « éducatif ». Elle est en lien avec une association d’aide aux personnes handicapées mentales. Elle a travaillé pendant de longues années dans un laboratoire d’analyses, et son mari est chauffeur de taxi. Tous deux sont chrétiens et Martine est très investie dans les activités religieuses. Le directeur d’un établissement médico-social pour autistes a proposé à Martine de travailler comme aide médico-psychologique. Elle a accepté ce changement professionnel et les contraintes horaires qu’il implique afin de pouvoir mieux aider son fils. L’organisation du care repose désormais sur l’articulation du care domestique et du care assuré par l’établissement médico-social. Au Japon – l’impact du Long Term Care Insurance (LTCI) sur le care familial Le gouvernement japonais a mis en place en 2000 un régime d’assurance maladie de long terme. Il s’agit d’un événement majeur : le gouvernement japonais assume désormais une responsabilité publique des prestations de care. C’est désormais un droit de profiter de cette prise en charge pour les Japonais. Tous les citoyens japonais de plus de 40 ans sont tenus d’y souscrire, mais ne peuvent bénéficier du care qu’à partir de 65 ans. Chaque bénéficiaire peut en outre choisir son propre pourvoyeur de care qui définira un plan personnalisé. Ce régime a permis l’essor de l’activité des femmes, car il a déplacé leurs mouvements bénévoles de soin à domicile, aux personnes âgées, etc. dans un véritable nouveau modèle économique. Des formes d’entreprises sociales à but non lucratif ont ainsi proliféré au Japon. Ces structures, qui déploient le care au-delà des frontières de la sphère familiale, ont l’avantage d’impliquer la participation de tous les citoyens, tout en étant en lien avec les pouvoirs publics. Regard sur le care : le care vu dans une perspective politique A partir du moment où l’on s’appuie sur une conception de l’individu comme fondamentalement vulnérable, et non plus comme naturellement autonome, nous apparaissons tous, au même titre, comme des destinataires du care. En effet, selon la définition qu’en donnent Joan Tronto et Bérénice Fischer : « le care est une activité caractéristique de l’espèce qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre monde, de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible »1. En outre, la vulnérabilité étant constitutive de la vie humaine, et non de catégories et de groupes spécifiques comme nous voudrions le croire, il est désormais possible, grâce au care, de renverser les principes à l’œuvre dans les hiérarchies sociales et les rapports de force politiques traditionnels. 1. Berenice Fisher, Joan Tronto, « Toward a Feminist Theory of Caring », Circles of Care, éd. E.K. Abel et M. Nelson, Albany, Suny Press, 1990 Références bibliographiques • Aurélie Damamme, Patricia Paperman, « Care domestique : délimitations et transformations » dans Qu’est-ce-que le care ?, dir. Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, éd. Payot, 2009 • Aurélie Damamme, « Ethique du care et Disability Studies. Un même projet politique ? » dans Politiser le care ? Perspectives sociologiques et philosophiques, dir. Marie Garrau & Alice Le Goff, éd. Le Bord de l’Eau, pp. 59-78, 2012 • édité par Eva Feder Kittay, Ellen K. Feder : The Subject of Care : Feminist Perspectives on Dependency, Rowman and Littlefield Publishers, Inc., Lanham. Boulder. Oxford, 2002 • Berenice Fisher, Joan Tronto, « Toward a Feminist Theory of Caring », Circles of Care, éd. E.K. Abel et M. Nelson, Albany, Suny Press, 1990 • Rhacel Parrenas, Servants of Standford University Press, 2001 Globalization, • Lester Salamon, Global Civil Society : Dimensions of the Nonprofit Sector (with S. Wojciech Sokolowski and Associates), Volume II, Bloomfield, CT : Kumarian Press, 2004 • Florence Weber, Séverine Godard, Agnès Gramain, Charges de familles. Dépendance et parenté dans la France contemporaine, éd. La Découverte, 2003 • Florence Weber, Handicap et dépendance. Drames humains, enjeux politiques, Rue d’Ulm, coll. « Collection du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP) », 2011 • Susan Wendell, The Rejected Body. Feminist Philosophical Reflections on Disability, New York, Routledge, 1996 • Jenny Morris, « Personal and Political : A Feminist Perspective on Researching Physical Disability », Disability, Handicap and Society, vol. 7, n° 2, pp. 157-166, 1993 Acteur majeur de la protection sociale en France, Humanis place l’Homme au coeur de ses priorités et mobilise toutes les énergies pour assurer le «mieux vivre». Cet engagement a conduit Humanis à développer depuis 2007 le programme Agir pour le care dont l’ambition est d’aider les acteurs du care à l’amélioration de leurs pratiques et à la revalorisation de leur travail. Pour en savoir plus : www.agirpourlecare.com