LA POURSUITE INFERNALE MY DARLING CLEMENTINE

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LA POURSUITE INFERNALE MY DARLING CLEMENTINE
LA POURSUITE INFERNALE
MY DARLING CLEMENTINE
de John Ford – Etats-Unis – 1946
1h37 – Noir et blanc
Dossiers réalisés par l'espace Histoire-Image de la médiathèque de Pessac
dans le cadre des Ciné-Mémoires de l'Association des Cinémas de Proximité
en Aquitaine et du Pôle régional d'éducation artistique et de formation
au cinéma et à l'audiovisuel (Aquitaine)
Scénario : Engel et Winston Miller d'après le sujet de Sam Hellman inspiré de Wyatt Earp,
Frontier Marshall de Stuart N. Lake
Producteur : Samule G. Engel
Directeur photographie : Joseph P. McDonald
Musique : Cyril J. Mockridge
Dir. Art. : James Basevi, Lyle R. Wheeler
Décor : Thomas Littke, Fred J. Rode
Costumes : René Hubert
Montage : Dorothy Spencer, Darryl F. Zanuck
Distributeur : 20th Century Fox
Date de tournage et sortie aux USA : 1946
Interprétation
Henry Fonda...
Wyatt Earp
Tim Holt ... Virgil Earp
Linda Darnell...
Chihuahua
Ward Bond... Morgan Earp
Victor Mature... Doc John Holliday
Cathy Downs... Clementine Carter
Walter Brennan... Old Man Clanton
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Résumé
1882. Wyatt Earp et ses trois frères, Virgil, Morgan et James, conduisent leur troupeau
vers l'Ouest. Ils s'arrêtent en chemin près de Tombstone. James est tué au cours de la
nuit et le troupeau volé. Wyatt, qui, en ville, a su ramener à la raison Indain Charlie, un
indien excité, se voit proposer le poste de shérif de Tombstone. Il accepte afin de
pouvoir venger James avec l'aide de la loi. Il nomme ses deux frères comme adjoints. Il
soupçonne les Clanton d'être responsables de la mort de James.
Wyatt fait la connaissance de 'Doc' Holliday qui, sous une apparence alcoolique, cache
une éducation et une culture évidentes.
Wyatt est séduit par le charme de Clementine Carter, arrivée par la diligence et venue
retrouver 'Doc' Holliday, son fiancé. Mais ce dernier a pour maîtresse l'impétueuse
Chihuahua ! De plus, il n'a aucune envie de retourner à Boston et de revenir à la
pratique de la médecine.
Grâce à Chihuahua, Wyatt Earp comprend que Billy Clanton est le meurtrier de James.
Johnny Ringo, l'un des hommes du vieux Clanton, abat alors la jeune femme. Puis Virgil
Earp tue Billy, avant d'être lui-même tué par le vieux Clanton.
Un ultime règlement de comptes oppose Wyatt, Morgan et 'Doc' Holliday, qui les a
rejoints, au vieux Clanton et ses autres fils. La bataille est sanglante. 'Doc' Holliday et
tous les Clanton trouvent la mort au cours de l'engagement. Wyatt quitte Tombstone
avec son frère Morgan. Il reviendra – peut-être - pour épouser Clementine Carter dont il
est épris.
John Ford. Patick Brion. La Martinière, 2002
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Bio-filmographie
John Ford(John Martin Feeney), né le 1er février 1894 (ou 1895) à Cape Elizabeth
près de Portland (Maine) et mort le 31 août 1973 à Palm Desert (Californie)
« Je m'appelle John Ford et je fais des westerns » : c'est en ces termes que le
réalisateur aimait se présenter. Pourtant, dans le nombre impressionnant des films de sa
carrière (138) s'il réalisa de nombreux westerns, il préférait être reconnu comme le
réalisateurs de films ambitieux que sont Le Mouchard (1935), d'après O'Flaherty, Le long
voyage (1940) d'après Eugène O'Neill, ou Dieu est mort (1947), d'après Graham Greene.
Whiskies, bagarres, chevauchées, culottes de peau et paysages grandioses de Monument
Valley sont les éléments de base d'un folklore qui cache une oeuvre à la fois plus
cohérente et plus subtile qu'il n'y paraît au premier regard.
John Ford naît de parents d'origine irlandaise. Son père est fermier puis barman à
Portland ; sa mère quasi analphabète. Sa soeur aînée lui donne le goût de la lecture, dès
l'âge de huit ans en lui lisant Robert Louis Stevenson et Mark Twain. Il rêve d'une carrière
d'officier de marine mais rejoint en 1914 son frère Francis de 12 ans son aîné, acteur et
réalisateur de cinéma en Californie sous le nom de « Ford ».
De 1914 à 1916, il est acteur, costumier, accessoiriste puis assistant réalisateur. En 1917,
il réalise son premier film pour Universal, The Tornado, suivi de nombreux films courts
interprétés par son frère ou par Harry Carey, star du western, avec qui la rencontre est
décisive. Ses premières oeuvres sont aussi des comédies, des films de guerre, des
mélodrames. Après avoir rejoint la Fox, il réalise en 1924 Le cheval de fer, une vaste
fresque sur la première jonction ferroviaire entre l'est et l'ouest des Etats-Unis. Ford
devient rapidement le chef de file de l'école irlandaise du cinéma américain. Entre 1928
et 1941, son style s'épanouit. Il donne à ses films une dimension épique non dénuée
d'humour. La simplicité de sa mise en scène, l'importance du décor (Monument Valley,
ses prairies désertiques et ses roches brûlées par le soleil), la maîtrise de la direction
d'acteurs l'imposent comme le chantre du classicisme américain. Avec Le mouchard
(1935), son premier film sur l'Irlande (terre de ses racines), il obtient son premier Oscar.
Cette période est marquée par ses films pro-Lincoln auquel il consacrera un de ses chefd'oeuvre, Vers sa destinée (1939). L'idéalisme libéral de Lincoln auquel Ford ajoute une
chaleur et une truculence qui lui sont propres, anime ses premiers films parlants et tout
particulièrement Les Raisins de la colère (1940), d'après le roman de John Steinbeck,
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où une famille de paysans chassés de leur terres par la crise erre à travers les EtatsUnis. Le chef d'oeuvre de cette période est sans aucun doute La chevauchée
fantastique (1939) qui donne ses lettres de noblesse au western et reste le modèle du
genre. Dans le huis clos d'une diligence attaquée par des Indiens se mêlent et
s'affrontent des personnages très divers, qui, face au danger doivent s'unir.
Mobilisé dans l'US Navy en 1941, Ford participe à l'effort de guerre (responsable du
Service cinématographique de l'OSS – services spéciaux américains - où il réalise des
documentaires de propagande et participe à des missions) sans abandonner le western et
tourne plusieurs films situés dans l'univers de la cavalerie comme Le Massacre de Fort
Apache (1948) ou La Charge héroïque (1949). Pour lui, l'individu fait partie d'une
communauté qui doit maintenir les valeurs de la civilisation contre la barbarie, à
l'exemple des pionniers débarqués en Amérique au siècle précédent. Profondément
américain, Ford ne néglige aucun des individus qui demeurent à la base du groupe, ce
qui fait de lui un remarquable peintre de « caractères », depuis des personnages
secondaires hauts en couleur jusqu'aux figures de héros incarnés par John Wayne, Henry
Fonda, James Stewart, Spencer Tracy, Lee Marvin...
Très attaché à ses origines irlandaises, comme il le montre dans L'Homme tranquille
(1952) ou La taverne de l'Irlandais (1963), Ford donne, dans la dernière partie de son
oeuvre, quelques-uns de ses films les plus admirables quand il dénonce le racisme, de La
Prisonnière du désert (1956) au Sergent noir (1960). En 1964, il décrit, dans une
grande fresque, Les Cheyennes, l'errance et la dignité du peuple indien, en voie
d'extermination, trompé par les promesses fallacieuses du gouvernement américain.
A la fin de sa carrière, ce chantre de l'Ouest décrit l'envers de la légende du western et
de ses actes héroïques dans L'Homme qui tua Liberty Valance (1962). Alors que dans
l'univers viril de John Ford la femme n'occupe qu'une place secondaire, le cinéaste
consacre son dernier film, Frontière chinoise (1966), à un groupe de femmes. En se
sacrifiant pour sauver un enfant à naître, le docteur Cartwright affirme une dernière fois
le message constant de Ford : face à la barbarie, la civilisation ne connaît qu'une seule
valeur essentielle, la vie.
Tout au long de sa carrière, Ford s'évertue à filmer la civilisation américaine à travers
l'aventure de l'homme et les contradictions de son pays : passé et avenir, tradition et
modernité.
Extraits de La Petite encyclopédie du cinéma. RMN, 1998 et du site de la Bifi
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QUELQUES PISTES DE PRESENTATION
Wyatt Earp, un personnage de l'histoire américaine au cinéma
« J'ai connu Wyatt Earp, déclarait John Ford, dans les premières années du cinéma
muet. Il venait quelquefois au cours de l'année rendre visite à ses camarades et cowboys qu'il avait connus à Tombstone. Une partie d'entre eux appartenaient à notre
compagnie. A l'époque, je crois que j'étais assistant accessoiriste. J'avais l'habitude de
lui donner une chaise et une tasse de café. Il me parlait de la bataille d'OK Corral. Ainsi,
lorsque j'ai tourné My Darling Clementine, je l'ai reconstituée telle qu'elle avait eu lieu.
Les adversaires ne se sont pas contentés de marcher dans la rue et de se tirer dessus. Ce
fut une véritable manoeuvre militaire. »1
Le personnage de Wyatt Earp (1884-1929) et le règlement de compte à OK Corral (le 26
octobre 1881) appartiennent à l'histoire légendaire du Far West et le cinéma, à plusieurs
reprises, a évoqué l'un et l'autre. De Law and Order (Edward L Cahn, 1932) à Gunfight
at the OK Corral (John Struges, 1956) et à Hour of the Gun (John Sturges, 1967), de
Frontier Marshal (Lew Seiler, 1934) à Powder River (Louis King, 1953), les exemples
sont nombreux. Allan Dwan, en 1939, a été le premier à recréer, dans Frontier Marshal,
l'histoire telle qu'elle sera traitée sept ans plus tard dans My Darling Clementine.
Randolph Scott jouait alors Wyatt Earp et Cesar Romero 'Doc' Holliday aux cotés de War
Bond. On note d'ailleurs que War Bond joue à la fois dans le film de Dwan et dans celui
de Ford. Plus curieux encore, Charles Stevens, authentique petit fils de Geronimo,
interprète dans les deux films le même rôle, celui d'Indian Charlie, dont l'intempérance
et les excès provoquent l'intervention de Wyatt Earp et, par la suite, sa désignation
comme shérif de Tombstone.
Néanmoins, et contrairement à ce qu'a pu dire John Ford lui-même, My Darling
Clementine n'est pas d'une rigueur historique absolue : l'affrontement final n'a pas lieu
en 1882 mais l'année précédente ; James Earp n'était pas le plus jeune mais le plus âgé
des frères de Wyatt Earp ; ce dernier n'a jamais convoyé de bétail jusqu'à Tombstone et
le vieux Clanton était déjà mort lorsque a eu lieu le règlement de compte d'OK Corral...
1 In John Ford. Peter Bogdanovitch. University Press, Berkeley, 1967
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Un film sur la dualité
My Darling Clementine décrit en effet le passage de la nature – souvent sauvage - à la
civilisation. La première est naturellement symbolisée par les paysages superbes de
Monument Valley, déjà utilisés par Ford dans La Chevauchée fantastique ; la seconde,
par cette ville de Tombstone qui s'édifie peu à peu. L'inauguration de la cloche de
l'église et la séquence de la danse – l'un des plus beaux moments du film - témoignent de
ce passage du Far West à une Amérique en mutation. Cette dualité prend corps dans les
personnages eux-mêmes qui incarnent cette évolution. Le film est une réflexion sur le
savoir et le pouvoir qui tourne autour de deux figures centrales (Doc Holliday-Wyatt
Earp) : symbole de sciences (Holliday) et de connaissance de la vie (Earp) auxquels Ford
oppose une autre figure symbolique, celle du Mal (mais aussi de la bêtise), incarnée par
Clanton et ses fils. Patriarche violent et despotique, le vieux Clanton représente la
dureté et le comportement désormais anachronique des premiers colons, prêts à se
battre pour arracher et conserver leurs terres. Sa manière de frapper ses fils avec le
fouet dont il ne se sépare jamais ou d'abattre ses adversaires dans le dos – c'est ainsi
qu'il tue Virgil Earp – symbolise l'époque où chacun dictait sa propre loi l'arme à la main.
'Doc' Holliday, lui, représente un style de vie certes plus moderne, mais presque aussi
dangereux : « Un homme peut suivre votre trace de tombe en tombe », lui dit Wyatt
Earp. Eduqué - il est dentiste -, 'Doc' Holliday a été victime de la vie tumultueuse de
Deadwood et de Denver. Il a renoncé à son cabinet au profit des tables de jeu. Il est lui
aussi prêt à tuer pour survivre, toujours à la limite entre crime et légitime défense.
Alors que Doc Boone, le sympathique médecin alcoolique de La Chevauchée
fantastique, se révélait un praticien de premier ordre au moment où le danger
l'imposait, 'Doc' Holliday est lui un damné. Il ne peut arracher à la mort Chihuahua, le
femme qu'il aime, et sa présence aux côtés de Wyatt Earp lors du règlement de compte
final – rachat ou suicide ? - lui sera fatale.
Wyatt Earp, au contraire du vieux Clanton et de 'Doc' Holliday, symbolise la loi et l'ordre.
Le choix de Henry Fonda pour ce rôle est une idée de génie. Sous la direction de Ford,
Henry Fonda a déjà été le futur président des Etats-Unis dans Young Mr. Lincoln et, dans
Les Raisins de la colère, Tom Joad, deux figures emblématiques de la civilisation
américaine. Le choix de Fonda est significatif. « John Ford aimait sa démarche. Il
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adorait suivre un homme. Il aurait pu regarder Fonda marcher tout au long d'une rue.
C'était une démarche unique » reconnaissait Winston Miller, le scénariste de My Darling
Clementine. La manière qu'a Fonda de se déplacer, de se balancer en s'appuyant
alternativement sur un pied puis sur l'autre sur un montant de bois et de danser est en
effet inoubliable. Dès le début, Ford choisit d'ailleurs de cadrer Wyatt légèrement en
contre-plongée afin de renforcer l'impression que le personnage et son interprète sont
exceptionnels.
Extraits de John Ford. Patick Brion. La Martinière, 2002
et Nicolas Saada. John Ford. Cahiers du cinéma, 1990
La construction du récit et le style formel
Si le début du film laisse présager un programme classique (celui de la vengeance de
Wyatt Earp), bien vite, Ford, comme à son habitude, multiplie les pistes scénariques,
forces de vie qui contaminent en général chaque film de Ford. Le récit se dédouble et le
film se construit suivant une succession de petites saynètes parfaitement bouclées, qui
nous en disent un peu plus sur chaque personnage et sa place dans le film (le meurtre de
James Earp, le rasage, le bal, la pièce de théâtre...) My Darling Clementine est à ce
titre un modèle dans l'oeuvre de Ford, en ce sens que mieux que jamais le cinéaste
résout ici son éternel problème au scénario. Sa démarche est à rapprocher ici de Renoir
qui lui aussi décomposait ses récits en petits actes successifs. On est ici très loin du
scénario bien « huilé » que donnera plus tard John Sturges avec son remake, estimable
et sans génie (Règlements de compte à OK Corral).
Formellement, autant The Searchers ( La Prisonnière du désert) ou The Yellow Ribbon
(La Charge héroïque) frappent par leur référence à la peinture, autant ici le style de
Ford est à rapprocher de la gravure : le trait est vif, sans gras. Le noir et blanc contrasté
de Joe MacDonald contribue à faire de
My Darling Clementine un western
crépusculaire; un film d'intérieur aux rares instants d'aération eux aussi admirables (la
fuite de Holliday, le bal, le règlement de comptes final).
Nicolas Saada. John Ford. Cahiers du cinéma, 1990
Le grand secret de John Ford tient en une phrase, un commandement « Clouez la
caméra ! » Letty Hough qui appartenait à son équipe sur le tournage du Cheval de fer,
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le confirme déjà : « Ford ne déplaçait jamais la caméra. Je l'ai entendu dire « Je ne
bouge pas. Je fais venir les acteurs à la caméra. Je veux qu'on plonge dans l'histoire et
que le public n'ait pas conscience de cette caméra ». C'était un de ses grands atouts.
Tout le monde lui a beaucoup reproché. Nous lui disions : « Non d'une pipe, bouge un
peu la caméra ». L'unique réponse que nous obtenions était : « Foutez-moi la paix ».
Ford par Alfred Hitchcock
« Sa méthode de tournage était éloquente dans sa clarté et son apparente simplicité. Il
ne filmait pas le plan de l'intérieur d'une pièce depuis l'arrière d'une cheminée à travers
les flammes. Sa caméra ne se balançait pas à travers les lustres, il n'utilisait pas de
zoom sans fin en avant et en arrière sans but discernable. Ses histoires avaient un
début, un milieu et une fin. Elles sont comprises par tous dans le monde entier. »
Ford par Satyajit Ray
« Ce fut l'un de ceux qui atteignirent le plus souvent les sommets de l'art
cinématographique. Et, cependant, son style resta inchangé pendant les quarante
années où je l'ai connu. Il n'est jamais aisé de décrire un style : disons seulement que
celui de Ford alliait la force à la simplicité. L'équivalent le plus proche qui me vient à
l'esprit est d'ordre musical : c'est Beethoven en sa période de plein épanouissement.
Même netteté de contour, même simplicité et originalité du dessin, même sens de
l'architecture, mêmes éclats de violence, mêmes finals héroïques surchargés de
véhémence. [...]
Ford, entre autres, était un maître de la prise de vue statique, de la composition
révélatrice. Il est rare qu'il déplace sa caméra au cours d'un même plan, à moins
toutefois qu'il ne s'agisse d'une scène spécialement importante. Il utilise là une méthode
diamétralement opposée à celle qu'adopte, disons, un Orson Welles. On peut dire que
dans un film de Ford la caméra est un observateur sensible, toujours assuré de se
trouver au point le plus favorable, tandis que chez Welles elle participe véritablement à
l'action et utilise un grand nombre de points de visées différents.
Les meilleures séquences d'un film de Ford ont en général un mystérieux, un
indéfinissable caractère poétique.
Professionnel jusqu'au bout des ongles, Ford ne se souciait jamais des réactions des
critiques. On lui a reproché, et parfois non sans raison, sa sentimentalité, sa propension
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exagérée à la nostalgie, sa tendance à céder aux considérations commerciales. Rien ne
semblait jamais l'atteindre ou troubler la sérénité de ses convictions. »
Extraits de John Ford. Eric Leguebe. Bifi, Durante, 2000
Analyse de la séquence du règlement de comptes
La poursuite infernale : l'espace dompté
Dernière scène de La Poursuite infernale. C'est le règlement de comptes à OK
Corral, le gunfight le plus célèbre de l'Ouest. Toutes les forces sont en présence, mais
reste une inconnue : la mise en scène de John Ford.
L'affrontement intervient au terme d'une heure vingt-cinq de film et dure sept minutes,
partagées en trois temps : longue observation, coups de feu, et calme revenu.
Les hommes de Wyatt Earp se mettent en marche en direction de OK Corral, à l'autre
bout de la ville, où les attendent les Clanton. La bien nommée Tombstone (pierre
tombale) est déserte, exsangue. Les personnages sont enserrés dans des lignes de force
multiples qui partagent le cadre : planches ou piquets de bois, carabines des Clanton
orientées dans des directions différentes. L'espace est coupant.
Les premiers coups de feu partent, au loin passe une diligence, dont le galop des
chevaux se rapproche peu à peu. Et là, tout change. La diligence passe à toute vitesse
au milieu de l'action, Ford lance le fantôme d'un film passé (La Chevauchée
fantastique) à la rescousse de Wyatt Earp. La nature s'invite dans le duel : la poussière,
les chevaux, l'eau qui éclabousse annihilent la géométrie. Quelque chose est en train de
reprendre le dessus qui fait exploser les carcans et libère l'espace. A la fixité et
l'emprisonnement succèdent l'ondulation et les matières mouvantes.
Tout est fini : le mouchoir blanc, symbole de la mort de 'Doc' Holliday, l'ami tragédien,
flotte au vent, et le ciel se remplit de nuages moutonnants qui n'étaient pas là au début
de la scène.
Epilogue :
Wyatt Earp fait ses adieux à Clementine. L'avancée de la clôture de bois jusqu'au milieu
du cadre ne laisse aucun doute : il est libre, elle ne l'est pas (encerclée par la clôture).
Au détour d'un baiser le ciel se vide autour d'eux. Va-t-il la délivrer ? Pas encore, c'est
trop tôt, elle est encore « sous influence ». Mais pour lui, c'est tout l'espace qui se
découvre : il peut partir pleurer ses morts.
Clélia Cohen. Le western. Cahiers du cinéma / Scérén-Cndp
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Présenter un film du patrimoine
Quelques repères
Le public
quel est-il ?
La présentation doit tenir compte du public accueilli (classes, groupes divers,
public habituel, cinéphiles...) qui a des attentes différentes
Intérêts de la présentation
Compléter une culture cinématographique
Une découverte ou redécouverte dans de bonnes conditions, en grand écran
Donner accès à des films oubliés
Porter un regard différent, nouveaux sur des films qui appartiennent à l'histoire
du cinéma
Partager une passion pour un film, pour le cinéma, communiquer son plaisir (le
« gai savoir » )
Choisir le moment de l'intervention : Parler avant et/ou après le film ?
avant : présenter le contexte, relever les points d'intérêts (la difficulté étant de
ne pas déflorer l'intrigue du film)
après : proposer une analyse plus précise et un échange avec la salle
Les besoins pour construire sa présentation :
Se documenter (ouvrages...)
Une certaine culture cinématographique et connaissance du film sont nécessaires.
Quelques pistes pour construire la présentation :
Mettre l'accent sur certains passages même si le film n'est pas connu
Replacer le film dans son contexte, le genre qu'il représente, le mouvement
auquel il appartient ou pas
Donner quelques clés essentielles sur le film : un retour sur l'histoire de...; un
personnage incontournable, à l'écran ou dans la production ; le décryptage de certaines
scènes importantes pour le sens, dans leur construction formelle
l'origine des réalisateurs
la réception du public à l'époque
Laisser une trace écrite
Fiche spectateur
Chronologie...
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Documents disponibles pour les bibliothèques
Ouvrages
John Ford. Lindsay Anderson. Ramsay, 1994
John Ford. Jean-Loup Bourget. Rivages, 1990
John Ford : biographie, filmographie illustrée, analyse critique. Patrick Brion. Editions
de la Martinière, 2002
John Ford : la violence et la loi. Jean Collet. Michalon, 2004
John Ford : entre l'Ouest et le Shamrock. Eric Leguèbe. Durante : Ed. de la BIFI, 2000
John Ford. Patrice Rollet, Nicolas Saada (dir. ). Cahiers du cinéma, 1990
Pour John Ford. Jean Roy. Les Editions du Cerf, 1976
Henry Fonda. Jean-Pierre Piton. Edilig, 1986
Les cartes de l'Ouest : un genre cinématographique, le western. Jean-Louis Leutrat,
Suzanne Liandrat-Guigues. Armand Colin, 1990
Histoire du western. Charles Ford. Pierre Horay, 1964
Histoire mondiale des westerns. Eric Leguèbe. Rocher, 2003
Le western : quand la légende devient réalité. Jean-Louis Leutrat. Gallimard, 1995
Le western : approches, mythologies, auteurs-acteurs, filmographies. sous la dir. de
Raymond Bellour. Gallimard, 1993
Le western. Clelia Cohen. Cahiers du cinéma, 2005
Films
La Charge héroïque. 1949
Les Cavaliers. 1959
La Chevauchée fantastique. 1939
Les Cheyennes. 1964
Le Convoi des braves. 1950
Les deux cavaliers. 1961
Dieu est mort. 1947
Le Fils du désert. 1948
L'Homme qui tua Liberty Valance. 1961
Le Massacre de Fort Apache. 1948
La poursuite infernale. 1946
La prisonnière du désert. 1956
Rio Grande. 1950
Sur la piste des Mohawks. 1939
Documentaire
Petite histoire du western. L. Tahir, C. Champclaux, 2004
Sites
Rétrospective John Ford au Festival de La Rochelle, 2007
http://www.festival-larochelle.org/html/categorie.asp?id=195
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