Linstant magique. (XVIes Jeux Olympiques dhiver)
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Linstant magique. (XVIes Jeux Olympiques dhiver)
L’INSTANT MAGIQUE Les cérémonies d’ouverture se suivent sans se mélanger, imprimées qu’elles sont de l’esprit du lieu. Cette soirée à Albertville fut un instant magique, secouée de olas revigorantes. Une cérémonie « à la française », qui fit la part belle à l’imaginaire. Cadeau ludique et enfantin à plus de deux milliards de téléspectateurs. A ssis dans ce théâtre dodécagone, édifié pour la circonstance (et dont une partie sera réutilisée à Barcelone), on se trouvait tout soudain, alors qu’affluaient sagement les quelque 30 000 spectateurs, au coeur du vaste cirque naturel des cimes alentours, inscrites dans un ciel d’un bleu époustouflant. C’était des Jeux à la montagne! L’air était tonifiant et sec, la journée avait été belle et la fuite en voile violet du soleil, comme un coup de stabilo surlignant le spectacle dramatique du paysage, nous le rappelaient. 158 Le maître des cérémonies, pantin dégingandé dont la queue-de-pie interminable flottait dans l’air retenue par deux ballons, et son Sancho Pança anglophone, créaient la surprise sans plus attendre avec leur déclamation en vers de mirliton, faisant rimer l’inrimable, sur un air de Iégèreté sucrée, enveloppant de douce dérision un protocole parfois lambin. Mais il ne faut pas bouder son plaisir, après tout c’est aussi pour le défilé qu’on est venu, pour les voir ces athlètes, toujours plus nombreux et dont certains sont déjà des héros, XVIes JEUX OLYMPIQUES D'HIVER accourus du monde entier, l’espoir au bout du ski. Les soixante-quatre délégations, précédée chacune d’une boule de neige tout sourire portant leur nom, firent donc leur tour de piste, après celui du président de la République, accueilli comme il est écrit par le Président du CIO et les co-présidents du COJO, avec en prime un petit bout de Savoyarde qui plus tard nous gratifiera d’une Marseillaise a capella et envolée, laquelle n’a pas fini de faire parler d’elle. En ces temps de bouleversements géopolitiques les nouvelles découpes nationales réservaient les surprises de la parade où s’égrènèrent quelques élégances, bien que dans l’ensemble la mise fût plutôt sport. L’Allemagne, et une seule, dans un col de fourrure devance les Autrichiens dans leurs parkas. Les Bermudes sont en bermudas, les Britanniques en survets trico- peauté après les Marocains porteurs de chechias et les Mexicains de ponchos bayadères. Longues délégations canadiennes et suisses et petits comités d’Afrique noire et des Antilles. Sous le drapeau olympique, réunis dans un long manteau vert-de-gris, les athlètes de l’Equipe unifiée exhibent, à l’épaule, quelques bien timides couleurs nationales à côté d’une vieille veste, marquée CCCP, mal dissimulée. Et, fermant la marche sous les ovations surchauffées de l’assistance, les Français en combinaison d’argent. Tous attendent maintenant. La ola enfle et secoue les gradins sans égards pour les grands de ce monde qui par sept fois se laisseront aller à la vague d’enthousiasme. Les enfantillages sont de tous âges... C’est le moment des discours, MM. Jean-Claude Killy, Michel Barnier, chacun à leur tour, le Président du CIO qui les félicite déjà et M. François Mitterrand qui proclame l’ouverture. L’hymne olympique accueille le drapeau qui lentement se déploie sans élan dans l’air étale. Mais tous attendent encore le 5 597e porteur de la flamme. C’est Michel Platini. L’apparition est inattendue, le footballeur est célébrissime mais le courant ne passe pas. Sans doute attend-on toujours quelqu’un d’autre! Il vient prendre un enfant par la main et le mène vers les sommets où il le laisse enflammer cette corolle Le Président du CIO et les coprésidents du COJO, accompagnés d’une jeune Savoyarde, ont accueilli le président de la République française au seuil du stade olympique. lores et les Américains, salués du haut de la tribune par le vice-président Dan Quayle, en chapeau de cowboy. Les extragances de Tomba «la bomba» sont enfouies sous le loden chic, gants et chapeau noirs des Italiens, mais il n’échappe à personne. Bien applaudies également, les trois Républiques baltes, la Croatie et la Slovénie ont eu juste le temps de créer leurs propres uniformes, et c’est avec émotion qu’elles brandissent leur bannière. Albert de Monaco, le prince-bobeur, porte le drapeau rouge et blanc de la princi- 159 XVIes JEUX OLYMPIQUES D'HIVER Patineur pirouettant sur un plateau tournant. de lis, vasque élégante, dessinée, comme le flambeau, par Philippe Stark, et reproduite sur chaque site olympique. Ceinturée par l’émotion, c’est Surya Bonaly, l’espoir du patinage français, qui, sur un podium savamment édifié par de fiers artisans charpentiers, lance tout à trac le serment de l’athlète. La nuit avait tout gommé des montagnes, le rêve pouvait surgir. L’Europe aux étoiles filantes, se fait une place remar- tée du slalomeur, redessinent par la danse tous les sports d’hiver. Vignettes suprenantes des pirouettes et des axels cent fois reitérées sur un plateau tournant, sous I’objectif avide des caméras impudiques, car la télévision transmet sa propre vision de ce qui est donné à voir. Spectacle total qui se répand, s’insinue dans chaque portion de l’arène, au sol autant que dans les cintres, à l’instar de cette musique syncopée, lancinante échappée de talkies-walkies géants... Et c’est le sauteur qui n’en finit pas de survoler l’espace sidéral, à côté d’Icare, de la partie lui aussi avec ses ailes en éventail, tandis que des percussionnistes bardés de loupiotes apparaissent en grappes tels des mobiles de Calder. Le rêve pouvait surgir... 160 quée, aux sons des soubassophones à roulettes, qui sont aux cors des alpes ce qu’est l’octobasse à la contrebasse. C’est le prélude à une succession de tableaux improbables, oeuvre de Philippe Decouflé, chorégraphe à tout faire, bricoleur de génie, qui mèle dans un capharnaüm de bandes dessinées: échassiers aux chapeaux-bulles, danseuses en robes de bois articulés, lapins-tambours et statues-toupies éclairantes, trampolinistes encostumés conserves et grelots tout droit sortis de contes de fées revus psychédéliques. Des cornes d’abondance surprises, répandent sans fin des danseurs furtifs sur patins à roulettes. Gribouillis complexes amplifiant toute la géométrie athlétique, qui, du schuss du descendeur, sur son tremplin culbuto, à l’onde régulière du patineur ou agi- Féérique encore et le clou sans doute, ces pantins qui s’envolent autour d’un mât central, catapultés tels des ludions par des élastiques, dans un manège insensé de figures somptueuses. Et aussi, cette théorie de patineurs des nations qui vont et viennent porteurs de toutes les bannières pour se. fondre dans une ronde, à l’abri des cinq anneaux virevoltant avec maestria au-dessus d’eux; avant que ne surgissent, parce qu’il faut bien finir, la queue à rayures des marsipulamis. Le meilleur moyen de « s’olympiser », avait rappelé Jean-Claude Killy après Coubertin, c’est d’être joyeux: mission accomplie! En sortant du théatre enchanté, retrouvant les confusions de la vie, l’esprit voguait encore dans la moiteur de cette succession d’images éthérées et pleines de merveilleux, magique vraiment. Percussionnistes suspendus.