La didactique du français langue maternelle

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La didactique du français langue maternelle
Essai critique / Review Essay
La didactique du français langue maternelle:
analyse d’une recherche bibliographique
fondamentale
Claude Simard
université laval
La didactique du français langue maternelle (DFLM en abrégé) est une discipline
relativement jeune qui n’a pas encore atteint le degré de développement auquel
sont parvenues les sciences connexes plus anciennes comme la linguistique ou
la psychologie. Très peu d’ouvrages de référence ont été publiés dans le domaine. La recherche bibliographique menée sous la direction de Gilles Gagné de
l’Université de Montréal contribuera à combler cette lacune et à consolider le
statut de la DFLM. Jusqu’à maintenant, quatre livres sont parus:
Gagné, G., Lazure, R., Sprenger-Charolles, L. et Ropé, F. (1989). Recherches en
didactique et acquisition du français langue maternelle. Tome 1: cadre conceptuel, thésaurus et lexique des mots-clés. Montréal: De-Boeck-Université,
Éditions universitaires, Institut national de recherche pédagogique, Programme
de perfectionnement des maîtres de français, 200 p.
Gagné, G., Lazure, R., Sprenger-Charolles, L. et Ropé, F. (1989). Recherches en
didactique et acquisition du français langue maternelle. Tome 2: Répertoire
bibliographique. Montréal: De-Boeck-Université, Éditions universitaires, Institut national de recherche pédagogique, Programme de perfectionnement des
maîtres de français, 497 p.
Gagné, G., Lazure, R., Sprenger-Charolles, L. et Ropé, F. (1990). Recherches en
didactique et acquisition du français langue maternelle. Répertoire bibliographique: mise à jour 1. Montréal: Services documentaires multimedia, 250 p.
Gagné, G., Lazure, R., Sprenger-Charolles, L. et Ropé, F. (1990). Recherches en
didactique et acquisition du français langue maternelle. Répertoire bibliographique: mise à jour 2. Montréal: Services documentaires multimedia, 250 p.
Cette imposante recherche bibliographique a été réalisée conjointement par une
équipe de l’Université de Montréal et une équipe de l’Institut national de recherche pédagogique de France. En plus de se présenter sous la forme de volumes,
la banque de données peut être consultée par ordinateur sous le nom de DAFTEL
(ou Émile 3) en France et de DAF au Québec.
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REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION
19:4 (1994)
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L’ouvrage vise à fournir un inventaire exhaustif des recherches en didactique
et en acquisition du français langue maternelle produites de 1970 à 1984 pour le
premier répertoire, et de 1970 à 1988 et 1989 pour la première et la deuxième
mise à jour. Les auteurs annoncent que d’autres mises à jour pour les recherches
antérieures et postérieures à 1989 seront réalisées régulièrement. La bibliographie
concerne les travaux produits uniquement dans les pays de souche francophone,
soit la Belgique wallone, le Canada français, la France, le Luxembourg, le Québec et la Suisse romande.
D’après les indications données dans le tome de présentation, les recherches
retenues ne couvriraient, sur le plan de l’âge et du niveau scolaire, que les
époques allant de la petite enfance à l’adolescence (fin du secondaire pour les
pays européens ou fin du collégial pour le Québec). Ces limites chronologiques
et institutionnelles semblent restrictives et devraient être élargies. La didactique
du français langue maternelle s’intéresse directement à des sujets tels que l’alphabétisation des adultes illettrés ou le réapprentissage du français écrit chez les
étudiants qui sont encore mauvais scripteurs à l’université. De même, la formation des enseignants de français relève en propre de la DFLM. Il serait à la fois
dommage et injustifié qu’une recherche bibliographique en DFLM qui se veut
exhaustive n’inclue pas les études sur des questions aussi importantes.
La bibliographie n’a pas de prétention critique. Elle se veut essentiellement
descriptive et analytique. Les descripteurs choisis pour l’indexation des travaux
portent sur le type de recherche, le pays d’origine, l’âge des sujets, etc. Dans le
premier répertoire, celui de 1989, les références bibliographiques sont simplement
analysées à l’aide de descripteurs. Dans les deux mises à jour, les notices pour
les recherches postérieures à 1984 sont suivies d’un résumé, ce qui renseigne
beaucoup mieux l’usager sur le contenu des documents recensés. Pour faciliter
la consultation, le répertoire est accompagné d’un index des auteurs et d’un index
des sujets. Si l’on combine le premier répertoire aux deux mises à jour publiées,
la banque contient en tout 3 492 références.
Nous nous attarderons surtout sur le premier tome, où sont exposés les principes à la base de la recherche bibliographique. En plus du lexique des mots-clés,
le tome de présentation fournit un thésaurus, c’est-à-dire une liste hiérarchisée
des termes utilisés, ainsi que le cadre conceptuel de l’étude, texte substantiel qui
définit le domaine de la didactique de la langue maternelle, propose une typologie des recherches en didactique et explicite les modalités de la recherche
documentaire. Le cadre conceptuel élaboré par l’équipe de Gilles Gagné peut être
considéré comme un texte fondamental en didactique de la langue maternelle, en
raison de la portée épistémologique des notions abordées et de la clarté de l’argumentation. Faute d’espace, nous ne pourrons examiner que quelques concepts qui
nous paraissent essentiels parmi tous ceux que les auteurs ont été amenés à définir.
Le champ de la didactique du français langue maternelle est situé à l’intersection de deux grands domaines de référence, d’une part celui de l’enseignement/
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apprentissage, qu’étudient particulièrement les sciences de l’éducation et la psychologie, d’autre part celui de la langue, qui relève notamment des sciences du
langage et des théories de la littérature. Les auteurs proposent le schéma suivant
(tome 1, p. 10) pour illustrer cette idée d’intersection:
SCHÉMA 1
Délimitation du champ de la didactique du français langue maternelle
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS
LANGUE MATERNELLE
↓
ENSEIGNEMENT
CONTENU
APPRENTISSAGE
DISCIPLINAIRE
↓
sciences de l’éducation,
psychologie, sociologie, etc.
↓
sciences du langage, de la
communication, théories de
la littérature, etc.
Une telle conception de la didactique est admise de plus en plus. La plupart des
didacticiens de diverses disciplines s’entendent actuellement pour dire que la
réflexion didactique porte sur les phénomènes d’enseignement/apprentissage
d’une matière donnée. C’est avant tout en fonction de ce principe du croisement
qu’a été opérée la sélection des travaux pour le répertoire bibliographique: une
recherche qui ne portait pas en même temps sur un aspect de l’enseignement/apprentissage et sur un contenu du français langue maternelle a été éliminée.
Dans la deuxième mise à jour (p. 7), les auteurs proposent ce deuxième
schéma en vue de mieux circonscrire l’objet de la DFLM:
SCHÉMA 2
Objet du champ de la didactique du français langue maternelle
interactions
enseignement
←
verbales
→
↓
développement
↓
enseignant
établissement
apprentissage/
→
composantes
langagières
←
élève
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Cette autre figure ajoute un pôle “apprentissage” les caractéristiques des élèves
et au pôle “enseignement,” les caractéristiques des enseignants et des établissements. En outre, elle place indistinctement les interactions verbales et les
composantes langagières au coeur des préoccupations de la DFLM. Les
interactions verbales entre l’enseignant et l’élève ne forment pourtant pas un
objet d’enseignement/apprentissage au même titre que les composantes
langagières de lecture, d’écriture, d’écoute et d’expression orale. Les interactions
verbales en classe constituent en fait des moyens par lesquels l’enseignant tente
de faire acquérir à l’apprenant des savoirs et des savoir-faire langagiers. Cette
assimilation des interactions verbales aux composantes langagières est conceptuellement abusive. Si la DFLM s’intéresse aux interactions verbales en classe,
c’est moins pour elles-mêmes que pour mieux voir comment les contenus
d’enseignement/apprentissage propres au français langue maternelle sont transmis
par les enseignants et comment ils sont appréhendés par les apprenants au travers
du langage. Il faudrait repenser ce schéma de manière à réinsérer les interactions
verbales du côté de l’enseignement et de l’apprentissage.
Comme l’étude de la langue maternelle à l’école est tributaire des expériences
vécues par l’apprenant en dehors du cadre scolaire, la bibliographie comprend les
recherches relatives à l’apprentissage du français langue maternelle en milieu
“naturel.” Les auteurs distinguent bien cependant les travaux relevant en propre
de la didactique, soit ceux qui ont été réalisés à l’intérieur de l’institution
scolaire, et les études qui concernent plutôt l’acquisition du langage en dehors
du cadre scolaire, particulièrement durant la petite enfance dans le milieu
familial. Le titre de l’ouvrage est très clair à ce propos: sont répertoriées les
“recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle.”
Après avoir défini le champ et l’objet de la DFLM, les auteurs se penchent sur
les concepts d’enseignement et d’apprentissage.
Relevons tout de suite un raccourci inexact à propos des deux grands courants
de la psychologie. Même si le cadre de l’ouvrage n’admettait pas un long
parallèle entre le béhaviorisme et le constructivisme, il reste qu’on ne peut
distinguer ces deux “options psychologiques” en se contentant d’affirmer que les
béhavioristes regardent surtout le résultat alors les constructivistes se penchent
plutôt sur le processus d’apprentissage (tome 1, p. 17). Il s’agit en fait de deux
systèmes proposant des visions diamétralement opposées de l’apprentissage, le
premier postulant la transmission de la connaissance par conditionnement, le
second insistant au contraire sur l’activité structurante de la pensée du sujet dans
l’acquisition des connaissances.
La notion de représentation est très mal exposée quant à ses rapports avec
l’enseignement. Dans le lexique complétant le cadre théorique, le terme
représentation de l’enseignant est malencontreusement assimilé à attitude de
l’enseignement, bien que les représentations soient avant tout d’ordre conceptuel
et non affectif. Le terme représentation de l’élève reçoit en revanche une
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définition plus juste: “perception que l’élève a de la situation d’apprentissage, de
l’objet d’apprentissage, du processus ou de la démarche utilisés, de la tâche à
accomplir, etc.” (p. 181). La première mise à jour a rectifié l’erreur relative à
l’expression représentation de l’enseignant en en reformulant la définition sur le
modèle de celle de représentation de l’élève et en éliminant le renvoi à attitude
de l’enseignant. L’erreur initiale qu’on relève dans le tome 1 s’explique difficilement quand on songe à l’importance capitale que la notion de représentation
(ou de conception) a prise ces dernières années en didactique. S’il est une
question qui intéresse au premier chef la DFLM, ce sont bien les conceptions que
les enseignants et les élèves se font des composantes langagières. Admettons que
la recherche sur les représentations est plus avancée en didactique des sciences.
Elle a cependant pris un essor si net en didactique des langues depuis les années
1980-1990 que la banque DAF ne peut la négliger. À regarder en comparaison
le nombre élevé d’entrées consacrées à la notion de préalable (ou l’équivalent
anglais de prérequis), on constate que le cadre conceptuel ainsi que les
recherches recensées par l’équipe de Gilles Gagné sont encore marqués par le
paradigme béhavioriste dominant des années 1960-1970. On peut espérer qu’à
l’avenir le paradigme montant de la psychologie cognitive prendra de plus en
plus de place.
Un autre aspect négligé par la bibliographie, du moins dans le cadre
conceptuel et le lexique, se rapporte à l’idéologie. L’enseignement du français
langue maternelle est soumis à de très fortes pressions provenant des médias, de
l’opinion publique et du gouvernement, en raison de la portée politique et
culturelle de la langue nationale dans le fonctionnement des États. Comme l’a
écrit Jean-François Halté dans son Que sais-je? sur la didactique du français
(1992, no 2656, p. 11), “en français plus qu’ailleurs, la réflexion didactique ne
peut s’émanciper facilement des conflits de valeurs.” Cette dimension importante
a été pratiquement oubliée dans le tome de présentation comme dans les deux
mises à jour. L’idéologie n’a même pas été intégrée aux concepts clés. Aucune
expression analogue ne figure comme image sociale de l’enseignement du français perception et attente du public vis-à-vis de l’enseignement du français, etc.
La première mise à jour retient bien effet social de l’enseignement, mais seulement par rapport à la différenciation sociale. Par ailleurs, ainsi que le programme
de français du secondaire du Québec l’a mis en évidence, la langue maternelle
constitue un puissant moyen de transmission des valeurs socio-culturelles
orientant la vie d’une collectivité. Le silence règne encore au sujet de ce volet
fondamental de l’enseignement de la langue maternelle. Sous aucune rubrique,
il n’est fait mention spécifiquement des aspects culturels et axiologiques de la
langue. Une telle lacune doit être comblée sans tarder dans la prochaine mise à
jour. La didactique du français ne peut se restreindre à une vision techniciste de
l’enseignement/apprentissage de la langue maternelle. Parmi les mots-clés du domaine, on doit trouver ceux qui couvrent la dimention socio-culturelle aussi bien
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que des termes techniques comme didacticiel, groupe témoin, lisibilité, méthode
syllabique, vidéo . . .
Les composantes langagières forment l’axe des contenus disciplinaires de la
DFLM. Les auteurs les ont divisées en trois catégories: (1) les aspects reliés à
la langue et au langage, (2) la littérature et les autres médias, (3) les relations
entre le français et les autres matières. La première division, la plus large, réunit
les habiletés de réception et de production, les éléments du code linguistique et
de l’organisation globale du discours, les aspects métalinguistiques ainsi que les
rapports entre les diverses composantes susmentionnées (rapport lecture/écriture,
rapport code oral/code écrit, etc.).
La deuxième division tombe dans l’ambiguïté en introduisant une distinction
contestable entre texte et document. Le premier serait de nature littéraire et
renverrait à l’oeuvre considérée dans sa facture interne, tandis que le second se
concentrerait sur la fonction référentielle et appartiendrait aux médias (presse,
télévision, radio, film . . .). Cette opposition renvoie “en amont” à la distinction
du littéraire et du non-littéraire. Il est faux de prétendre que les discours non
littéraires sont surtout référentiels. Ce critère s’applique peut-être aux discours
informatifs (et encore!), mais certainement pas aux discours d’opinion et d’argumentation qui ressortissent avant tout à la fonction conative du langage. En outre,
le terme document pourrait convenir à propos des discours mixtes recourant à la
fois au langage et à l’image comme le cinéma ou la bande dessinée. Mais en
quoi un article de journal comme un éditorial ou un fait divers ne pourrait-il pas
représenter un texte au même titre qu’un conte ou un poème? Ces appellations,
en apparence commodes, ne sont pas vraiment appropriées et demanderaient à
être révisées.
Devant la difficulté de cerner la littérarité, les auteurs ont décidé de regrouper
les notions de texte et de document. Dans le thésaurus, les deux termes forment
effectivement une même rubrique. Cet amalgame risque cependant de gommer
la part importante que devrait détenir la littérature dans l’enseignement de la
langue maternelle. À notre époque où l’écrit administratif, technique et journalistique se multiplie, la classe de français n’a sans doute pas d’autre choix que
d’accueillir les articles de presse, les textes de vulgarisation scientifique, les
messages publicitaires ou électoraux, etc. L’entrée des discours courants ne
signifie absolument pas qu’ils peuvent être assimilés aux textes littéraires compte
tenu des grandes différences entre les deux sur les plans culturel, esthétique et
philosophique. Même si les divisions d’un répertoire bibliographique n’ont pas
à être très approfondies parce qu’elles obéissent principalement aux nécessités
pratiques de l’analyse documentaire, il reste qu’elles ne devraient pas conduire
à de telles distorsions conceptuelles. Il conviendrait que le champ de la littérature
soit reconnu en propre dans le thésaurus.
Au-delà de la question de la littérature se profile l’épineux problème de la
classification des discours. Aucune typologie existante ne permet à elle seule de
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rendre compte de la complexité du monde des discours. Si on veut parvenir, en
didactique, à une vision satisfaisante, on doit se référer à divers modes de classement. De ce point de vue, l’évantail de descripteurs choisis par les auteurs de la
bibliographie permet malgré tout de cerner de façon assez fine les phénomènes
discursifs et textuels abordés dans les recherches répertoriées. Ont été entre
autres identifiées la notion de type de discours (défini selon la forme ou la
fonction) et la notion plus hétéroclite de genre (défini d’après la forme, le
registre, le sujet, le monde de référence, etc.).
La deuxième grande partie du tome de présentation propose une conception
de la recherche ainsi qu’une typologie des recherches. Comme nous voulons nous
en tenir aux aspects directement liés à la didactique du français langue maternelle, nous laisserons de côté les problèmes épistémologiques de fond abordés par
les auteurs (la distinction entre induction et déduction, l’opposition entre
comprendre et exprimer, etc.). Ce serait l’objet d’un autre compte rendu. Nous
nous pencherons plutôt sur la typologie proposée.
Renonçant à la tâche gigantesque de trancher la question de la scientificité, les
auteurs ont préféré s’en tenir à la notion d’activité de recherche, qu’ils ont
décrite d’après quatre critères devant assurer un degré suffisant de rigueur. Ceuxci se rapportent à la détermination des objectifs visés, à l’explication du cadre
théorique inspirant l’étude, à la présence d’une discussion ou d’une démonstration, enfin à l’indication de références bibliographiques intégrées. Malgré leur
imprécision, les quatre critères retenus ont permis à l’usage de distinguer, dans
l’ensemble de la documentation dépouillée, les travaux constituant des recherches
de ceux qui n’en sont pas, tels que les manuels et les textes d’opinion. Il faut se
rappeler qu’en raison de la nature analytique et non critique de la bibliographie,
les auteurs n’ont pas cherché à évaluer la qualité des études, mais simplement
à identifier les recherches dans le domaine en vérifiant la présence des éléments
énumérés ci-dessus.
La typologie de l’équipe de Gagné se fonde sur le double critère de l’objectif
et de la méthodologie. Quatre types sont reconnus: (1) la recherche descriptive,
(2) la recherche théorique, (3) la recherche expérimentale et (4) la recherche-action. La recherche descriptive vise à décrire les phénomènes à l’aide de stratégies
d’observation telles que l’enquête, l’étude de cas, l’analyse de corpus linguistiques, etc. La recherche théorique s’appuie sur l’analyse conceptuelle pour élaborer des modèles théoriques, faire l’examen critique de concepts ou de pratiques
pédagogiques et établir des synthèses de résultats de recherche. S’inscrivant dans
une démarche hypothético-déductive, la recherche expérimentale tente, à la
lumière d’un cadre théorique, de vérifier la relation de cause à effet entre des
variables en les manipulant à l’aide d’un dispositif soigneusement contrôlé.
Enfin, souvent oubliée dans les autres typologies en sciences humaines, la
recherche-action s’efforce de transformer la réalité pédagogique en élaborant, en
essayant et en évaluant en classe de nouvelles interventions didactiques. Les
remarques des auteurs sur la recherche-action sont fort judicieuses et contribue-
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ront sans aucun doute à clarifier et à relever le statut de ce type de recherche de
tradition plus récente que plusieurs tiennent encore en suspicion malgré son
intérêt certain pour l’enseignement.
La typologie utilisée pour la banque DAF possède plusieurs qualités. Sa
simplicité rend son maniement facile. Les catégories reconnues rendent bien
compte de l’ensemble des activités de recherche en didactique du français langue
maternelle. Loin d’être restrictives, elles reconnaissent explicitement deux types
de recherches essentiels, soit la recherche théorique et la recherche-action, qui
n’ont pas encore obtenu en éducation toute la visibilité qu’ils méritent. Enfin, en
se fondant sur le double critère de l’objectif et de la méthodologie plutôt que sur
un critère unique, les auteurs ont évité les classements trop fragmentés ou trop
contraignants. Ainsi en est-il de la distinction quantitatif/qualitatif fort à la mode
actuellement. Comme il est bien expliqué dans le tome de présentation (p. 44),
une recherche peut être à la fois quantitative et qualitative si, par exemple, en
plus d’utiliser un plan expérimental et des analyses statistiques les chercheurs
recourent à des techniques qualitatives telles que l’entrevue ou l’étude de cas
pour mieux comprendre ce qui s’est passé chez les élèves durant le traitement
pédagogique mis à l’épreuve. À n’en pas douter, cette typologie est appelée à
devenir un outil incontournable dans les cours sur la recherche en DFLM au
niveau de la maîtrise et du doctorat.
Nous examinerons maintenant le choix des mots-clés du thésaurus et les définitions fournies dans le lexique. L’ensemble s’avère adéquat et bien structuré,
d’autant plus que des corrections et des ajouts peuvent être faits dans les mises
à jour subséquentes. Il est presque impossible d’inventorier la multitude de
termes employés en didactique de la langue maternelle. Malgré la difficulté, les
auteurs ont réussi à réunir la majeure partie des mots-clés. Quelques omissions
regrettables ont été signalées plus haut notamment à propos de la dimension
idéologique de la langue. Relevons-en quelques autres. Parmi les activités
d’apprentissage, on pourrait ajouter des activités nouvelles très intéressantes
comme la dictée à l’adulte (pour l’éveil à l’écrit des tout-petits), le tri de textes
et les jeux d’écriture ou de poésie. La plupart des genres littéraires sont mentionnés, mais pourquoi ne trouve-t-on pas la fable et les diverses catégories de
récit telles que le récit fantastique d’aventures, psychologique ou historique au
même titre que les entrées existantes de roman policier, roman-photo ou sciencefiction? La logique qui a présidé au choix des identificateurs des composantes
langagières n’est pas toujours évidente, spécialement en ce qui a trait à la
terminologie grammaticale. Le mot conjonction n’apparaît pas alors qu’on a
ajouté préposition dans la deuxième mise à jour. Ne figurent pas non plus des
termes largement employés dans l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe comme accord, conjugaison, genre, nombre, masculin, féminin, singulier,
pluriel, mode, temps . . . L’expression littérature enfantine devrait être complétée
par celle de littérature de jeunesse, qui a le mérite d’inclure les oeuvres destinées
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à l’adolescence.
Même si le lexique accompagnant le répertoire bibliographique n’a pas été
conçu pour servir de dictionnaire spécialisé en didactique de la langue maternelle,
il se doit de fournir des définitions justes, d’autant plus qu’en l’absence actuellement d’un dictionnaire de référence en DFLM il est appelé à jouer un rôle de
suppléance pendant plusieurs années. Dans l’ensemble, les définitions s’avèrent
acceptables. Certaines devraient cependant être corrigées. Les termes conte et
légende devraient être rattachés à la notion de récit ou de discours narratif
comme les termes nouvelle et roman. La définition du nom correspond à celle
de la grammaire traditionnelle; critiqué par les spécialistes de l’enseignement
grammatical, ce genre de définition sémantique devrait faire place à une formule
tenant compte des acquis de la linguistique moderne. Loin de se limiter à la littérature enfantine, le terme récit désigne un grand type textuel et est synonyme de
texte narratif; il y a peut-être eu confusion ici avec l’album dans la littérature
pour enfants. Il n’est pas aisé de se démêler dans les discussions terminologiques
autour de la notion de mot; néanmoins les auteurs auraient pu joindre le critère
graphique et le critère fonctionnel pour faire voir qu’une unité lexicale fonctionnelle peut être formée de plusieurs unités graphiques (pomme de terre, parce que,
à cause de . . .). En dernier lieu, signalons que le terme discours est conçu d’un
strict point de vue interne sans considération de la situation de communication,
bien qu’aujourd’hui un nombre de plus en plus grand d’auteurs l’utilisent pour
parler d’un énoncé inscrit dans une situation de communication, réservant le
terme texte aux aspects relatifs à la structure interne de l’énoncé.
En conclusion, la bibliographie analytique des recherches francophones en
didactique et acquisition du français langue maternelle apparaît comme un
instrument de base dans le domaine. Tout en assurant une meilleure diffusion des
travaux de recherche, elle offre une réflexion épistémologique très précieuse sur
le statut de la DFLM et sur les types de recherches. Dans l’ensemble, les définitions et les classifications proposées sont pertinentes. Les quelques critiques
adressées ici ne visent qu’à contribuer à améliorer un ouvrage promis à un grand
avenir.
RÉFÉRENCE
Halté, J.-F. (1992). La didactique français (col. Que sais-je? no. 2656). Paris: Presses universitaires
de France.