Crime de génocide - Droit international humanitaire - Croix

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Crime de génocide - Droit international humanitaire - Croix
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DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
FICHE 5.3.3
LE CRIME DE GÉNOCIDE
1. Définition : origine et fondement
À la différence des crimes contre l’humanité, le crime de génocide a été codifié. De manière
générale, sa définition ne fait pas l’objet de controverses.
Le terme génocide fut créé en 1944 par Raphael Lemkin (professeur de droit américain d'origine
juive polonaise), à partir de la racine grecque genos, « naissance », « genre », « espèce », et du
suffixe « cide », qui vient du terme latin caedere, « tuer », « massacrer ».
Ce terme sera repris dans l’acte d’accusation incriminant les accusés de la Seconde Guerre
mondiale devant le Tribunal militaire international de Nuremberg en 1945.
Par la suite, le « crime de génocide » a trouvé son assise juridique dans la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide de 19481.
Dans les années 1990, les deux Tribunaux pénaux internationaux (voir fiche 5.5.3) ont développé
une jurisprudence importante sur la question du génocide. Ils ont notamment apporté de
nombreuses précisions quant aux éléments suivants :
- En ce qui concerne, l’élément intentionnel, il a été souligné que la simple volonté de détruire
un groupe, même si elle n’a pu être mise en œuvre, peut être qualifiée de génocide.
- Il a été mis en évidence que l’ampleur d’un massacre ne suffisait pas pour établir l’existence
d’un génocide. Il n’est pas nécessaire d’éliminer tous les membres du groupe visé, il faut
cependant que la destruction du groupe soit substantielle. A cet égard, les TPI ont tenu compte,
non seulement, de l’importance numérique des personnes massacrées, mais aussi de leur rôle
pour la survie du groupe considéré.2 A l’extrême un génocide peut être commis à l’égard d’une
seule personne.
- En ce qui concerne la détermination de la victime, il a été relevé que c’était l’appartenance à
un groupe particulier et non son identité personnelle qui constitue l’élément clé de la
définition.
De son côté, en 1998 le Statut de la CPI a repris telles quelles la définition et les spécificités du
crime de génocide définis par la Convention de 1948 (art. 6. du Statut de la CPI).
2. Obligations des Etats
La Convention de 1948 impose aux Etats parties non seulement de s’abstenir de commettre des
actes constituant un crime de génocide, mais également de les prévenir, de les proscrire, de les
poursuivre et de les punir. L’Etat est aussi tenu de juger lui-même ou d’extrader les personnes qui
ont participé à un acte de génocide à l’étranger. L’interdiction de commettre un génocide fait
partie des normes impératives du droit international (jus cogens). Les Etats sont, par conséquent,
obligés de punir les auteurs d’un génocide sans tenir compte des immunités politiques ou
diplomatiques.
Les crimes de génocide peuvent faire l’objet d’un jugement devant les juridictions nationales ou
internationales. Au niveau politique, la Convention autorise le Conseil de sécurité à prendre des
mesures pour la prévention et la répression des actes de génocide. Les Etats membres peuvent saisir
1
2
http://www.icrc.org/dih.nsf/INTRO/357?OpenDocument
Le TPIY a ainsi qualifié le massacre de Srebrenica de génocide car en assassinant 8000 hommes musulmans sur les
quelques 40000 musulmans vivant à Srebrenica, les Serbes mettaient en péril la survie du groupe musulman dans cette
région. TPIY, aff. IT-98-33-A, Krstic, 19 avril 2004, §§12-23. En revanche, dans l’affaire Brdanin, bien que l’accusé fur
reconnu responsable de la mort de 1669 non-Serbes et de faits destinés à tuer près de 14000 autres non-Serbes, une
chambre du TPIY a estimé que ces faits n’étaient pas constitutifs de génocide car le nombre de victimes correspondait à
5,34% de l’ensemble de la population non-Serbe de la région.
-1Dossier thématique - Justices pénale et transitionnelle / Crime de génocide - V 01.06.2011
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la Cour internationale de justice pour des différends relatifs à l’interprétation, l'application ou
l'exécution de la Convention.
Aujourd’hui, notamment grâce au développement des principes de droit humanitaire et au Statut de
Rome de la Cour pénale internationale (voir fiche 5.5.4), de nombreux Etats reconnaissent qu’ils
doivent exercer leur compétence universelle à l’égard des auteurs de génocide.
3. Liste des crimes de génocide
L’article II de la Convention définit le crime de génocide comme étant « l'un quelconque des actes
ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel :
Meurtre de membres du groupe ;
Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle ;
Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».
L’article III précise que sont interdits non seulement les actes de génocide mais également :
l’entente en vue de commettre le génocide ;
l’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
la tentative de génocide ;
la complicité dans le génocide.
4. Qualification d’un génocide
La qualification d’un ou de plusieurs actes de « génocide » est suffisamment grave et précise pour
qu’elle soit solidement argumentée et appuyée sur des faits concrets et vérifiables. Cela est
d’autant plus vrai que la commission d’actes constitutifs de génocide implique plusieurs
conséquences en vertu de la Convention de 1948, dont notamment la possibilité pour les Etats
parties de saisir les organes de l’ONU pour que ces derniers prennent des mesures de prévention et
de répression.
Par ailleurs, il n’existe pas à proprement parler d’autorité désignée au niveau international pour
qualifier des actes de « génocide » et dont les décisions de qualifications s’imposeraient aux Etats
et organisations internationales. (Voir fiche 5.4).
La déclaration d’un délégué du CICR ne peut donc en soi être reconnue comme un acte de
qualification contraignant mais comme un témoignage. Ce dernier et d’autres éléments de preuve
(témoignages de victimes et de personnes tierces, rapports d’experts mandatés par des
organisations internationales comme les Nations unies,…) pourraient servir de base pour que les
juridictions nationales/internationales puissent éventuellement qualifier les actes litigieux de
« génocide » et prononcer une peine en conséquence si les faits devaient être jugés.
Les génocides internationalement reconnus
A fin 2010, quatre génocides ont été reconnus au plan juridique par des instances internationales
dépendant de l’ONU :
Le génocide arménien commis par l'Empire ottoman : le caractère génocidaire des massacres
du peuple arménien en 1915-1916 a été reconnu dans un rapport de l'ONU sur la question de la
prévention et de la répression du crime de génocide établi par la Commission des Droits de
l'Homme - Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection
des minorités - lors de la 38e session du Conseil Économique et Social de l'ONU. Ce rapport,
connu du nom de son rapporteur Benjamin Whitaker, a été approuvé par la Commission des
Droits de l'Homme de l'ONU le 29 août 1985.
-2Dossier thématique - Justices pénale et transitionnelle / Crime de génocide - V 01.06.2011
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Le génocide des Juifs et des Tsiganes commis par les nazis en Allemagne, en Pologne et en
France en 1940/1945, a été reconnu par la cour de Nuremberg créée par le Royaume-Uni, la
France, l'URSS et les États-Unis en 1945, en même temps que l'on créait l'ONU. On peut dire
que ce génocide a servi de référence pour définir ce qu'est un crime de génocide.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, a qualifié, le 2 août 2001, le massacre
de Srebrenica, massacre de 2 000 à 8 000 Bosniaques commis par des Serbes en 1995, de
génocide lors du jugement de Radislav Krstić (décision confirmée lors du passage en appel de
la même affaire le 19 avril 2004). La CIJ, tout en reconnaissant le caractère génocidaire du
massacre, a cependant jugé que l'État serbe n'en était pas le responsable, mais qu’il avait par
contre violé son obligation de prévention)3.
Le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, commis par les milices hutues extrémistes créées
par le régime Habyarimana, a été reconnu par l'ONU, dans le rapport de sa Commission des
Droits de l'Homme le 28 juin 1994, puis lors de la création du Tribunal pénal international pour
le Rwanda (résolution 955 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 8 novembre
1994).
5. Conclusions
Le crime de génocide fait partie des crimes contre l’humanité. Il comporte donc les mêmes
caractéristiques que ceux-ci, dont notamment le fait de ne pas requérir de contexte particulier,
pouvant être commis en temps de paix comme en temps de guerre. Cependant, il dispose de
spécificités qui lui sont propres. Il est caractérisé par trois éléments :
1. Des actes : c’est-à-dire les actes définis par l’art. II de la Convention de 1948 ; ces actes ne
se limitent pas à l’assassinat, ils englobent également des mesures délibérées n’impliquant
pas la mort immédiate mais provoquant à terme la disparition du groupe, comme des
mesures visant à entraver les naissances ou les transferts d’enfants et les atteintes graves à
l’intégrité physique et mentale des membres d’un groupe, y compris le viol ;
2. Une intention spéciale : Ces actes doivent être commis « dans l’intention de détruire, en
tout ou en partie, un groupe (…) comme tel ». Cet élément constitue la spécificité du
génocide par rapport aux autres crimes contre l’humanité. Cette intention doit être
impérativement prouvée dans le chef de l’auteur de l’acte (ex : existence d’une politique
visant à détruire le groupe visé : plan concerté, réunions de planification impliquant les
autorités, établissement de listes de personnes) ;
3. Une victime déterminée : dans le cadre d’un génocide, les victimes sont visées non en tant
qu’individus mais en tant que membres d’un groupe identifié comme un groupe national,
ethnique, racial ou religieux. Ce groupe ne doit pas nécessairement être une minorité. Les
caractéristiques du groupe sont énumérées de manière limitative dans la Convention de
1948. Il ne peut y avoir d’autres groupes à intégrer dans la définition (NB : les signataires de
la Convention ont volontairement exclu les groupes culturels ou politiques). L’objectif est
de protéger en particulier les groupes stables dont l’appartenance s’effectue par la
naissance.
Sources :
http://www.trial-ch.org/fr/ressources/droit-international/definition-des-crimes.html
3
Cour internationale de Justice, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007
-3Dossier thématique - Justices pénale et transitionnelle / Crime de génocide - V 01.06.2011