La maison hantée de Beaumarchais (histoire vraie)

Transcription

La maison hantée de Beaumarchais (histoire vraie)
Beaumarchais,
la
maison
hantée…
(histoire vécue)
« Nous ne sommes pas en
position de victoire, mais en
position de combat pour une
victoire certaine et assurée, déjà
gagnée dans le Christ »
Prêtre
exorciste
DESNOUES
Diocèse de Poitiers
Photo de famille - Beaumarchais juillet 1965
Michel
Il est des souvenirs étranges cueillis au coeur de l’enfance, que les années ne
semblent jamais devoir affecter… Comment se tisse la trame des parfums, des
couleurs et des sons dont parle le poète, est-ce cette mare fleurie de nénuphars,
bordée de majestueux peupliers bruissants dans le vent, ou bien ces paisibles vaches
aux robes luisantes qui venaient s’y désaltérer, accompagnées de leur gardien qui les
nomme chacune par leur nom, est-ce encore ce majestueux sapin où s’abritaient tant
d’oiseaux mélodieux, ou la suave odeur de l’âtre refroidi ?...
De ces choses et ces êtres émanait une ambiance que d’aucun nommèrent peut-être
en leur temps « Doulce France »… Pour l’enfant que j’étais, c’était confusément mais
assurément cela la maison de campagne de Beaumarchais, située à quelques
kilomètres de Chauvigny, où nous allions dans les années soixante passer les
vacances chaque été.
Nous quittions généralement la maison familiale de Poitiers 2 mois par an l’été : juillet
et août. Temps de rupture pour les écoliers, où il faut repartir à zéro en quelque sorte :
trouver de nouvelles occupations, distractions, de nouveaux amis aussi. Petits soucis
comparés à ceux des parents pour qui le départ à la campagne s’apparentait à une
véritable expédition. La logistique d’une famille nombreuse -la nôtre- ne s’improvise
pas : il ne fallait rien oublier d’emporter dans cette maison isolée, les enfants d’abord
certes (notre famille comptait six garçons et six filles), mais aussi le ravitaillement le
linge, et jusqu’aux matelas …Ajoutons pour compléter le caractère spartiate de notre
villégiature que nous n’y disposions non seulement pas du téléphone mais pas même
de l’eau courante : un puits à 30 m de la maison nous fournissait l’eau fraîche et
savoureuse (l’adjectif est délibérément choisi). Sans être particulièrement reculé, ce
temps était celui où l’on pouvait raisonnablement boire une eau de puits sans risque
d’intoxication aux nitrates ou autres pesticides, et où les poulets « nourris au grain et
en liberté » auraient naturellement pu être tous labellisés : bio. La question alors se
serait posée en ces termes : « qu’est-ce qui n’est pas bio ? » La production
industrielle n’avait pas encore sévie dans nos campagnes, et personne n’en était plus
malheureux bien au contraire.
Tout se passait au mieux, les qualités de gestionnaire et de cuisinière de ma mère,
l’aptitude à organiser de mon père, ancien légionnaire, se complétaient
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admirablement. Début juillet, le camion de déménagement –le mot expédition n’est
pas trop fort- se garait stationné devant la maison pour le chargement.
Quand tout était fin prêt, le camion démarrait vers notre lieu de vacances, dans le
chauvinois : quelle ambiance de fête, avec mes frères et sœurs, nous chantions à tuetête : « au- revoir Poitiers, au revoir, bonjour Beaumarchais, bonjour… » comme si
nous partions pour le bout du monde
Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais…
Premières manifestations…
Les premières perturbations se manifestèrent d’abord par des phénomènes sonores.
Qu’on imagine dans le calme profond de la nuit en rase campagne, des coups sourds
portés sur les meubles et bientôt dans les boiseries des lits, coups répétés,
mystérieux : on ne parvenait décidément pas à en identifier l’origine.
Plusieurs nuits passèrent ainsi, et malgré des investigations approfondies, aucune
découverte ne vint dissiper notre commune perplexité : pas de rat vadrouilleur, pas de
nid de chouette dans la cheminée, rien pour solutionner l’énigme…
Un matin, de guerre lasse, mon père se décida à parler de cette affaire aux paysans
de la ferme voisine, rudes travailleurs et excellents voisins, pleins de bon sens. Ils
auraient bien leur petite idée sur le problème.
Ils ne contestèrent pas, ne cherchèrent même pas à éluder la question mais y firent
face non sans une certaine gêne avec leur sympathique patois : « ben… c’est
que…l’tions hantée c’te maison. Vous l’avions pas dit d’ peur q’vous soyez pas
v’nus. »
De toutes les hypothèses, c’était bien celle que papa ne s’attendait pas… Il haussa
les épaules avec un sourire amusé, et maman n’en pensa pas moins : « il fallait venir
à Beaumarchais pour entendre parler de fantômes. Non, çà, vraiment je n’y crois
pas !»
Mon père comme ma mère avaient la foi, mais depuis le décès prématuré de ma
petite sœur Suzanne en 1951, âgée de 7 ans, ils n’avaient plus voulu entendre parler
de Dieu, même si au fond d’eux-mêmes, ils demeuraient croyants (nos parents se
marièrent religieusement en 1957 alors que rien ne les y obligeait– et je surprenais
plus d’une fois papa le dimanche matin en train d’écouter du chant grégorien).
Silencieusement et peut-être douloureusement leur chemin spirituel a donc perduré.
Dieu seul en connaît la trame.
Le scepticisme de mes parents devant les explications des paysans n’empêcha pas
les phénomènes de se poursuivre, peut-être s’y serait t-on habitué si leur nature et
leur intensité ne s’était accrue au fil du temps. Les bruits s’étaient étendus à la
cuisine, le buffet tremblait, les casseroles et verres s’entrechoquaient, des
phénomènes lumineux couraient le long des murs. Une nuit, nos parents furent
réveillés par un incident spectaculaire : sur l’appui de la fenêtre de leur chambre
apparurent onze bougies allumées, perçant la nuit de leur impossible lumière glauque.
Quand papa alluma la lumière, les bougies se volatilisèrent.
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A chaque crépuscule désormais surgissait comme l’antique crainte des ténèbres
maléfiques contre laquelle les simples forces humaines sont désarmées.
Le fait de ne résider là que l’été atténuait probablement le besoin d’y remédier
promptement. Jusqu’à cet été (1961 ou 1962), où la tournure dramatique des
événements en décida autrement…
L’agression
J’avais appris à faire du vélo très tôt, et, sauf intempérie, il n’était pas un jour où nous
allions nous promener avec mes frères ou sœurs. Je n’étais pas peu fier en vérité
d’avoir vite renoncé aux roulettes stabilisatrices des vélos pour tout-petits et d’avoir
acquis le droit de me balader avec les grands. Je pédalais avec énergie, souvent
derrière eux, évitant comme je le pouvais les obstacles que l’on peut rencontrer sur
les chemins champêtres : bouses de vache, poules, parfois charrettes de foin tractées
par de bons et solides chevaux de traits, plus rarement tracteurs que l’on entendait de
loin.
Les chutes faisaient partie de mon initiation : sitôt tombé, sitôt remonté sur ma
bécane, quand du moins le bobo n’était pas trop méchant. C’était bien mon intention
quand une fois encore je dégringolais, cette fois tout à côté de la maison. Ma grande
soeur Evelyne se précipita vers moi, regarda mon coude et mon genoux blessés et
me dit avec le ton comminatoire de l’infirmière qui sait ce qu’il convient de faire : « je
t’attends dans la chambre en haut, rejoins-moi, je te mettrais du mercurochrome ».
Va pour le mercurochrome. Je commençe à gravir l’escalier pour rejoindre Evelyne,
mais soudain la lumière électrique s’éteint. Comment ? Qu’importe, je connais les
marches et à tâtons, je continue de monter, mais soudain j’ai peur : j’ai hâte d’arriver,
je voudrais bien aller plus vite ou que la lampe soit rallumée , ou encore que ma
sœur, mon père, ma mère se manifestent, mais personne…que le noir et cette
impression étouffante, si désagréable, que je ne parvenais pas à analyser, cette
intuition d’une présence autour de moi, d’une présence qui vous glace le sang à vous
en faire frissonner, tout le contraire d’une présence bienveillante. Je n’aurais pas le
temps d’atteindre la chambre à l’étage.
De l’endroit où je me tiens, maintenant terrorisé, j’aperçois la porte du niveau des
combles, c’est celle du grenier, condamnée, où personne ne va jamais. Mes yeux
sont fixés sur cette porte, va-t-elle s’ouvrir ? Mais les ombres de l’au-delà passent au
travers de la matière : soudain trois ombres blanches, diaphanes, traversent
littéralement cette porte restée fermée. Est-il utile de préciser que du haut de mes
cinq ans, je n’ai jamais vu ces sortes d’apparitions, et je ne connais aucune
représentation de fantômes, fût-ce en bandes dessinées…Une chose est sûre : je
ressens que ces « entités » ne me veulent pas du bien et que je n’ai aucun pouvoir de
m’en défendre. Horreur absolue : elles s’avancent lentement vers moi en flottant audessus du sol, paralysé de peur, je ne peux ni crier ni bouger, fasciné comme peut
l’être la proie par son prédateur. L’émotion atteint son paroxysme : je m’évanouis…
Cette fois-ci, j’ai bien failli mourir… de peur !.... On parlera plus tard de convulsions,
d’état de choc. A l’heure des téléphones portables, des moyens multiples de
communication dont nous disposons, il faut rappeler que les conséquences de notre
isolement auraient pu m’être fatales. Mes parents ne disposent alors ni de voiture, ni
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de téléphone ; quant à nos voisins, ils sont tous aux travaux des champs : leur
automobile -une « traction noire »- est soigneusement remisée dans le hangar, ils la
sortent habituellement le dimanche pour aller à la Messe à Chauvigny.
La situation est critique…
La providence veille…
Il est des événements marquants que je ne sais évoquer sans remercier le Ciel pour
le secours prodigué. Je me souviens dès ma plus petite enfance avoir toujours
éprouvé une réelle tendresse pour Dieu, que je percevais par une intuition naturelle.
Ainsi, avant de quitter Poitiers pour Beaumarchais, je dérobais quelques morceaux
de pain que je cachais dans le tiroir de la table de notre chambre à son intention
particulière. Je voulais l’aider à se nourrir en notre longue absence : au retour bien
sûr, je trouvais le pain en place, rassis, mais j’étais convaincu qu’il était venu absorber
la quintessence de ce pain.
« Secret d’enfant » : bien gardé, personne n’entendit parler du pain caché pour Dieu,
ni de la vision qui me mit en danger de mort et que je livre par ce récit.
Dans le langage théologique, l’intervention de Dieu peut se produire par des causes
directes - une source d’eau vive jaillit aux pieds de l’assoiffé- ou bien, et plus
fréquemment, par des causes secondes - un homme survient impromptu et donne
une gourde d’eau fraîche à l’assoiffé. Ce jour là : Dieu choisit de s’avancer incognito .
Les campagnes reculées sont desservies régulièrement par des commerçants
ambulants dont le boulanger n’est pas le moindre. On se procurait à son étal le
précieux pain familial mais aussi toutes sortes de bonbons et sucreries de tous
genres. En un mot, le klaxon qui annonçait sa camionnette faisait la joie de tous.
Nous l’attendions avec impatience et connaissions et le jour et l’heure de sa venue.
Or, le boulanger n’était pas attendu en cette heure terrible qui aurait pu être ma
dernière. Jamais moteur ne suscita donc pareille joie, pareil espoir soudain pour ma
famille désemparée : « le boulanger ! le boulanger ! »… Oubliée la raison de son
passage inopiné, oubliée l’heure exacte qui se trouvait coïncider avec celle où mes
parents cherchaient avec angoisse le moyen de m’apporter l’impérieux secours
médical requis par mon état de santé, mais visite bénie dont le souvenir est gravé
dans nos mémoires.
Ce brave homme de boulanger n’eut pas le loisir de converser comme il aimait le
faire ni de se laisser servir la tasse de café que maman tenait toujours prêt pour les
visiteurs. Il comprit immédiatement ce qui arrivait : nous partîmes ensemble dans sa
camionnette à la vielle chez un docteur en urgence. Sauvé ! L’homme qui nous
fournissait le pain me sauva la vie ce jour-là. Image prophétique et dirais-je
évangélique, puisque la puissance du Christ « Pain de Vie » selon l’évangéliste StJean, « pain qui demeure en vie Eternelle », allait définitivement libérer la maison
hantée.
L’Exorcisme
A bien y réfléchir, cet épisode fut probablement la goutte d’eau qui fit déborder le
vase. Mon père, face à de telles extrémités, se décida de recourir à l’autorité requise
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pour les affaires concernant l’invisible. Contact fut pris avec l’exorciste compétent du
diocèse. Celui-ci vint visiter la maison et s’enquit soigneusement de son histoire : les
bonnes questions appelèrent les réponses appropriées. On savait bien qu’il y avait
dans le bois derrière la maison cette tombe d’un tout petit enfant, mort et enterré
dans des conditions obscures : le prêtre parvint à localiser la tombe, il la bénit et pria
pour l’âme du défunt. Mais il y avait plus pensa-t-il, il reprit le chemin de la maison et
chercha : à l’intérieur d’une cache dans un double mur : il trouva des livres de magie
et ordonna qu’ils soient détruits par le feu. Il pria et prononça le rituel d’exorcisme
afin qu’« au nom de Jésus-Christ » les esprits malfaisants qui infestaient cette
maison la quittent à tout jamais et qu’elle retrouve la paix.
Ill la bénit enfin au nom du Père et du Fils et du Saint- Esprit.
Si les circonstances détaillées des causes de ce phénomène d’ « infestation » nous
échappent en partie, sa réalité dramatique est restée à l’esprit de tous les membres
de ma famille encore aujourd’hui. Cette maison avait-elle été consacrée à Satan ?
Des rituels occultes s’y sont-ils tenus ? Dieu le sait… Ce qui est sûr : la maison était
infestée d’une présence maléfique. Ce qui est sûr aussi, c’est qu’après l’exorcisme
opéré par le prêtre, tout rentra dans l’ordre : la maison retrouva une paix royale,
qu’elle ne devait plus jamais perdre, la paix du Prince de la Paix.
Depuis, elle a été vendue à un particulier qui l’habite à l’année et qui ne peut
imaginer les événements dont elle a été le théâtre.
André FAGE
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