L`Union européenne doit intervenir au Darfour

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L`Union européenne doit intervenir au Darfour
L'Union européenne doit intervenir au
Darfour
Joschka Fischer, L'Orient-Le Jour |
2 May 2007
Depuis quatre ans, violence et terreur règnent au Darfour. Après maints
efforts futiles, il est temps que l’Union européenne se montre dure avec
les responsables du conflit.
Le Darfour est une catastrophe humanitaire : plus de 200 000 morts, des
milliers de personnes violées et torturées et 2,6 millions de personnes
déplacées, parce que le gouvernement soudanais est en guerre contre ses
propres populations. Si cette campagne avait pour but au départ de
réduire au silence les insurgés, elle est vite devenue une opération de
massacre et d’expulsion. Le gouvernement soudanais a recruté et payé les
milices locales janjawids pour attaquer des centaines de villages et de
villes sans défense, souvent en étroite coopération avec les forces armées
soudanaises. Les conséquences sont dévastatrices. Près d’un tiers des
habitants du Darfour ont été contraints de quitter leurs foyers et se
trouvent désormais dans des camps de personnes déplacées au Soudan
où ils subissent la terreur janjawid, ou encore dans des implantations tout
aussi vulnérables au Tchad. L’aide humanitaire internationale est entravée
par le gouvernement soudanais et ses chinoiseries bureaucratiques.
Comme l’a dit un haut responsable de l’ONU, même si l’aide arrive, il
semblerait que l’objectif soit de « garder les populations en vie avant
qu’elles ne soient massacrées ». La situation au Darfour exige une action
internationale ferme et cohérente. Il est de notre responsabilité à tous
d’aider les personnes déplacées à retourner chez elles. Ces trois dernières
années, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté dix résolutions
appelant le gouvernement soudanais à changer d’attitude et à remplir ses
obligations de protection des populations. Dans l’une de ses résolutions, le
Conseil de sécurité demandait le désarmement des janjawids. Le
gouvernement soudanais n’a pas tenu ses nombreuses promesses de le
faire. En novembre 2004, au moment où le gouvernement et les rebelles
ont signé un cessez-le-feu et un accord humanitaire, la solution pacifique
était envisageable. Durant un moment, tout laissait croire que la paix était
à portée de main. Une résolution du Conseil de sécurité et des
négociations internationales présageaient la fin de cette guerre qui dure
depuis 20 ans dans le sud du Soudan – en fait, ces avancées ont conduit à
la signature d’un accord entre le gouvernement et les rebelles du sud en
janvier 2005. À ce moment-là, on s’attendait à une évolution similaire au
Soudan occidental. Mais le pire restait à venir. Après l’apparente accalmie
des bombardements aériens, les avions sont vite revenus et les janjawids
ont repris leur campagne de massacre et de destruction. Les négociations
de paix, qui avaient débuté en décembre 2004, se sont interrompues à
cause de l’offensive militaire lancée par le gouvernement au mépris du
cessez-le-feu. Cette attitude est symptomatique du manque de respect du
gouvernement soudanais envers ses obligations. En août dernier, une
résolution du Conseil de sécurité a mandaté une force de maintien de la
paix de 20 300 hommes pour remplacer sur le terrain la petite mission
complètement dépassée de l’Union africaine. Il n’est pas surprenant que
Khartoum ait rejeté l’idée. Les négociations suivantes ont conduit en
novembre à un compromis : il est prévu qu’une force hybride Union
africaine/Nations unies se déploie en trois temps. Les pourparlers se
poursuivent, mais malgré l’annonce d’un accord de temps à autre dans les
gros titres des journaux, le gouvernement soudanais profite de chaque
occasion pour retarder l’intervention de la nouvelle force ou pour tenter
d’ajouter des conditions à sa mission. Il en résulte que la deuxième phase
du déploiement n’a toujours pas eu lieu, même si Khartoum l’a acceptée il
y a six mois. Voilà le fond du problème : soit le gouvernement soudanais
n’est pas en mesure de protéger ses propres citoyens de la violence de
masse, soit il n’en a pas envie. Comme le veut la « responsabilité de
protéger », approuvée à l’unanimité par les chefs d’État et de
gouvernement au Sommet mondial de l’ONU de septembre 2005, si un
État ne remplit pas cette obligation fondamentale, ladite responsabilité
incombe à la communauté internationale qui est en droit de prendre
diverses mesures et notamment, si véritablement nécessaire, de recourir
à la force militaire. Mais l’intervention militaire au Darfour sans
l’approbation du gouvernement soudanais n’est pas envisageable à l’heure
actuelle. La volonté politique n’est pas suffisante pour mobiliser une force
internationale ; qui plus est, la faisabilité et les chances de succès de ce
type d’opération sont mises en doute. Malgré cela, la communauté
internationale a toujours plusieurs options. Même si l’aval du Conseil de
sécurité de l’ONU est préférable, l’Union européenne peut et doit être plus
sévère avec le gouvernement soudanais pour avoir bloqué l’aide
humanitaire et employé des stratagèmes visant à retarder le déploiement
de forces internationales de maintien de la paix. C’est pourquoi il est si
important que les ministres européens des Affaires étrangères tiennent
compte de l’appel du Parlement européen à prendre des sanctions
sérieuses contre le gouvernement soudanais, dont les principaux acteurs
ont été clairement identifiés par la Commission d’enquête et par le groupe
d’experts de l’ONU. Il est nécessaire que l’Union européenne gèle les biens
de ces individus et leur interdise de circuler en Europe. En outre, le
gouvernement soudanais devrait faire l’objet de mesures là où le bât
blesse, c’est-à-dire au niveau des afflux de capitaux et des
investissements étrangers dans le pétrole, des biens et services proposés
dans ce secteur et dans d’autres secteurs liés. Il importe que l’Union
européenne et ses États membres promulguent de nouvelles lois pour
interdire aux sociétés basées chez eux d’être en lien direct avec les
entreprises soudanaises concernées. De plus, il convient d’enquêter sur
les comptes à l’étranger des sociétés soudanaises affiliées au Parti
national du congrès, le parti au pouvoir à Khartoum, afin d’ouvrir la voie
aux sanctions contre les entités commerciales du régime – principales
intermédiaires de financement des mandataires janjawids au Darfour. Ce
type de sanctions ciblées compromettra le pouvoir et les privilèges des
grands responsables de la crise. En les imposant, l’Europe fera enfin un
pas important vers l’arrêt du massacre du Darfour et tendra véritablement
la main à son peuple.
Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, est
membre du conseil d’administration d’International Crisis Group.
©Project Syndicate/Institute of Human Sciences, 2007.
Traduit de l’anglais par Magali Decèvre

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