soudan,prochaine cible de bush?

Transcription

soudan,prochaine cible de bush?
8
ANALYSE
LE COURRIER
MARDI 24 AVRIL 2007
SOUDAN,PROCHAINE CIBLE DE BUSH?
DARFOUR • Le ton monte entre Washington et Londres d’une part et Khartoum de l’autre.Tous les analystes
ont les yeux rivés sur l’Irak ou sur les centrales nucléaires iraniennes,sans voir que la prochaine
attaque pourrait avoir lieu au Darfour, corridor de transit pour le pétrole et les gisements
d’uranium tchadiens vers le terminal de Port-Soudan.
JEAN-MICHEL VERNOCHET
Le conflit du Darfour, territoire
semi désertique aussi grand
que la France, situé à l’Ouest
du Soudan, a fait officiellement
depuis 2003, quelque 200 000
morts et 2,5 millions de déplacés; Khartoum conteste ce
bilan apocalyptique ne reconnaissant que 9000 morts. Des
chiffres réellement invérifiables, mais qui alimentent
une polémique sans cesse renaissante prenant chaque semaine un peu plus d’ampleur
médiatique. À telle enseigne
que des personnalités aussi
célèbres que l’acteur George
Clooney, se sont lancées à
corps perdu dans une bataille
pour le Darfour. Un combat
pour la justice et la vérité loin
d’être aussi limpide qu’il n’y
paraît.
«Je pense que nous avons la
responsabilité morale de régler
ce problème.» M.
Blair invoque régulièrement cet argument de nécessité
morale chaque fois
qu’il veut engager
son pays dans un
nouveau
conflit,
cinq au total à son actif1, de
l’Irak à l’Afghanistan via l’exYougoslavie. Ses derniers propos – «Ce qui se passe actuellement
au
Soudan
est
inacceptable et consternant,
c’est un scandale pour la communauté internationale» – tenus à Londres le mercredi 18
avril confirment donc une habitude bien établie, laquelle
doit inquiéter justement en
raison des précédents. En
outre, M. Blair faisait écho au
président Bush, qui déclarait le
même jour au musée de la
Shoah à Washington que
l’Amérique doit assumer la
«responsabilité
morale
d’empêcher un nouvel holocauste», enjoignant son homologue soudanais Omar Al-Bachir de mettre fin aux violences
faute de quoi «de nouvelles
sanctions seraient mises en
œuvre ainsi que d’autres mesures punitives». Une zone
d’exclusion
aérienne
par
exemple, visant à interdire aux
Soudanais le survol du Darfour
est à ce titre déjà envisagée,
Khartoum étant accusée, entre
autres, de repeindre certains
de ses appareils en blanc afin
de les faire passer pour des aéronefs de l’ONU!
Montrant dans son discours
une impatience non dissimulée, George Bush précisait
que «le président Bachir devrait
saisir maintenant cette dernière
chance de satisfaire aux justes
exigences de la communauté
internationale». Un avertissement sonnant plutôt comme
un ultimatum; fait au demeurant assez paradoxal au moment où Khartoum avait justement fini par se rendre aux
raisons de ses alliés saoudiens
et accepté ce qu’elle refusait
obstinément depuis des mois, à
savoir le déploiement au Darfour d’une force d’interposition
mixte. Une force composée par
l’Union africaine et 3000
Casques bleus onusiens, qui en
principe devrait atteindre, à
terme, une vingtaine de milliers d’hommes.
comme la France, où vivent 6
millions d’habitants, dont la
moitié au moins dans les villes
et les camps tenus par le gouvernement, or il faudrait bien
plus que les 20 000 Casques
bleus prévus par la résolution
1706 du Conseil de sécurité
pour rétablir l’ordre; le gouvernement soudanais s’y oppose.
Le collectif Urgence
Darfour appelle à
une intervention
musclée
On recense en moyenne
200 morts civils par mois
au Darfour
PUBLICITÉ
Le Soudan s’était jusque-là
farouchement opposé, avec le
soutien au Conseil de sécurité
de la Russie et de la Chine (cette dernière achète au Soudan
les deux tiers de sa production
pétrolière qui est de 379 000
barils/jours) à une telle solution, craignant que la présence
de
forces
internationales
n’aboutisse au final à une occupation durable du Darfour;
qu’elle ne soit en clair que le
prélude à une division du Soudan, l’exemple désastreux du
Kosovo étant très présent à
l’esprit de certains dirigeants
soudanais.
Une crainte qui dans l’absolu n’a rien de totalement absurde, ni de paranoïaque si l’on
tient compte des gigantesques
manifestations organisées en
2004 sur le Mall de Washington,
face à la colline du Capitole, par
les partisans d’une intervention massive de l’Otan au Darfour. L’Otan qui, soit dit en passant, intervient déjà à l’ouest
du Soudan en assurant la logistique et l’acheminement des
forces des 7000 soldats de
l’Union africaine. Un aspects
du conflit occulté par les
Soldat tchadien surveillant la frontière avec le Soudan. Au loin, l’immense
territoire soudanais du Darfour. KEYSTONE
grands médias, qui en dit long
cependant sur les méandres
d’un dossier où plus d’un politique aguerri s’est déjà laissé
piéger.
Ce qui est apparemment le
cas en France, où les deux candidats au deuxième tour de la
présidentielle2 – Nicolas Sarkozy (UMP) et Ségolène Royal
(PS) – ont cosigné à Paris, le 20
mars, au cours d’une soirée de
mobilisation à l’initiative du
Collectif Urgence Darfour3 un
engagement écrit allant dans le
sens d’une éventuelle intervention armée au Darfour. Une
prise de position de la part de
possibles futurs chefs des
armées que Jean-Hervé Bradol,
président de Médecins sans
frontières, a trouvée «particulièrement inquiétante».
En effet, cornaqué par l’essayiste Bernard-Henri Lévy et
par l’ex-ministre socialiste Bernard Kouchner, le Collectif Urgence Darfour appelle à une
intervention musclée ou à défaut, demande à la communauté internationale d’armer
les rebelles du Mouvement de
libération du Soudan (MLS)!
En réponse, fin mars, les ONG
Médecins sans frontières et Action contre la Faim prenaient le
contre-pied du tableau apocalyptique de la situation humanitaire au Darfour présenté par
ce collectif. Jean-Hervé Bradol
avançait que «si la situation au
Darfour est dramatique», le
nombre de morts mensuel
«n’est pas pire qu’au Congo, au
Sri Lanka ou en Irak en ce moment», dénonçant l’attitude du
Collectif Urgence Darfour «calquée sur un modèle américain»; il avait aussi estimé
«aventuriste voire dangereuse»
une position dont l’objectif est
essentiellement «politique: la
mise au pas du régime soudanais actuel par une surenchère
guerrière». Une analyse sévère
corroborée par François Danel,
directeur général d’Action
contre la Faim: «les solutions
prônées par le Collectif Urgence Darfour paraissent simplistes, peu réalistes, voire
dangereuses.»
Les grandes organisations
humanitaires présentes au
Darfour convergent ainsi dans
un jugement sans appel4: «On
peut regretter qu’un collectif
capable de convoquer les
principaux candidats à l’élection présidentielle préfère
donner dans la surenchère
guerrière (au risque de miner
l’une des opérations de secours les plus efficaces des
vingt dernières années) plutôt
que pousser les gouverne-
ments européens à s’engager
sérieusement dans une politique de médiation. Quant à
nos présidentiables, il est inquiétant de les voir souscrire
aveuglément aux recommandations d’un collectif plus
préoccupé de justifier la guerre au gouvernement soudanais que du sort immédiat des
populations du Darfour.»
«Depuis le second semestre
2006, la mission des Nations
Unies au Soudan recense en
moyenne 200 morts civils par
mois [plus de 100 par jour en
Irak, ndlr]. Une violence liée à la
reprise des hostilités entre le
gouvernement et les mouvements rebelles non signataires
des accords de paix du 5 mai
2006. Les meurtres se répartissent sur un territoire grand
PARTENARIAT
Passer outre ce refus signifie envahir l’ouest du Soudan, autrement dit lui déclarer la guerre. Il
est à craindre que l’invasion de
l’ouest soudanais se solde par
un bain de sang qui n’épargnera
pas les civils, à l’image de l’opération «Rendre l’espoir en Somalie» en 1992 ou de «Libérer
l’Irak» en 2003. Plus de 13 000
travailleurs humanitaires (dont
2000 pour MSF), douze agences
des Nations Unies et quatrevingts ONG sont déployées au
Darfour. Grâce à un vaste réseau de corridors aériens et
routiers, ils apportent une assistance vitale à environ deux
millions de personnes déplacées.» Un dispositif salvateur
qui serait évidemment aussitôt
remis en question par une ingérence internationale malvenue,
au grand préjudice des populations civiles, éternelles victimes
de choix inconsidérés. I
1
Décembre 1998, campagne de frappes
sur l’Irak; 1999, 74 jours de
bombardements de la Fédération
yougoslave sans mandat du Conseil de
sécurité; printemps 2000 intervention
au Sierra Leone; octobre 2001 offensive
contre l’Afghanistan; mars 2003:
invasion de l’Irak.
2
D’autres candidats avaient aussi signé
ce texte, mais ont désormais été éliminé
lors du premier tour de la présidentielle,
dimanche 22 avril.
3
Le Collectif Urgence Darfour, présidé
par Jacky Mamou, ancien président de
Médecins du Monde, comprend
notamment SOS-Racisme, la Licra,
l’Association Communauté Rwandaise
de France, le B’nai B’rith France et
l’Union des étudiants juifs de France.
4
Fabrice Weissman, directeur de
recherche et Jean Hervé Bradol,
président de la fondation Médecins sans
frontières. Point de vue publié par le
quotidien Libération, 23 mars 2007.

Documents pareils