La rémunération des dirigeants
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La rémunération des dirigeants
RÉMUNÉRATION DES CADRES | SUJETS D’ACTUALITÉ La rémunération des dirigeants : un enjeu de l’heure pour le comité de rémunération Un sondage mené auprès d’administrateurs révèle un haut degré de préoccupation autour d’enjeux communs Par Claude Boulanger Conseiller principal et chef de la pratique Rémunération des cadres supérieurs chez Towers Watson L a rémunération des dirigeants continue de soulever des critiques de la part des investisseurs institutionnels et des différentes instances en matière de gouvernance. L’enjeu est délicat puisque la recherche d’un sain équilibre entre une rémunération juste et équitable et les responsabilités importantes confiées aux dirigeants tout en témoignant d’un usage responsable de l’argent des actionnaires repose davantage sur l’art que sur la science. Dans cet article, l’auteur partage les opinions de quelques membres de comités de rémunération de sociétés canadiennes d’envergure. L’ensemble des propos recueillis par ces membres a permis d’identifier les enjeux principaux qui doivent être abordés afin de gérer la rémunération des dirigeants de façon responsable et dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. La conclusion reflète le point de vue de l’auteur. Enjeu 1 : Accroissement injustifié de la rémunération des dirigeants – en chiffres absolus et relatifs – causé par le phénomène de surenchère. Le problème de la surenchère est désormais largement reconnu par de nombreux observateurs. Aucun comité de rémunération ne souhaite offrir à son chef de la direction un salaire inférieur au niveau du marché, ce qui entraîne une spirale ascendante de la rémunération des cadres alimentée par la divulgation publique. L’opinion publique se fait de plus en plus critique à l’égard des niveaux de rémunération offerts aux dirigeants, en particulier aux chefs de la direction de nos sociétés canadiennes cotées en bourse. On a cru 14 | Institute of Corporate Directors que ce phénomène était uniquement le fait de nos voisins du sud, mais il s’est aussi étendu au Canada. On a longtemps pensé que les forces du marché devaient dicter la rémunération de nos dirigeants de sociétés. Mais aujourd’hui, les pressions sociales et politiques font craindre une intervention éventuelle des gouvernements. Dans un tel contexte, les comités de rémunération doivent prendre du recul et engager une discussion franche sur cet enjeu, sans quoi ce seront les actionnaires et autres parties prenantes qui le feront à leur place. Enjeu 2 : Les membres des comités de rémunération ne font pas toujours preuve d’une complète indépendance d’esprit. Il faut s’interroger sur la qualité de la gouvernance touchant la composition des comités de rémunération et leurs processus de décision. Est-ce que les membres des comités de rémunération agissent avec toute l’indépendance nécessaire pour bien servir les intérêts des actionnaires qu’ils représentent? Les membres de ces comités tentent-ils d’éviter de prendre des décisions susceptibles de créer un climat de conflit entre les dirigeants et le conseil? Jusqu’à quel point la rémunération des administrateurs affecte-t-elle l’indépendance du comité de rémunération? On reconnaît que les responsabilités, la charge de travail et les risques grandissants qu’assument les membres de conseils d’administration justifient des niveaux de rémunération de plus en plus élevés, d’autant que pour plusieurs d’entre eux, la rémunération à titre d’administrateur est une part importante et vitale de leurs revenus. RÉMUNÉRATION DES CADRES | SUJETS D’ACTUALITÉ Il y a d’autres questions connexes qui, selon certains administrateurs, méritent aussi d’être posées. Par exemple, est-ce que les hauts dirigeants d’autres sociétés siégeant au conseil d’une entreprise ont tendance à favoriser des niveaux de rémunération plus élevés pour les hauts dirigeants de cette entreprise? La présence de dirigeants d’autres sociétés au comité de rémunération devrait-elle être proscrite afin de favoriser une discussion indépendante et objective sur les questions touchant la rémunération des dirigeants? Enjeu 3 : La formation et l’éducation des membres du comité de rémunération. La rémunération des dirigeants s’est beaucoup complexifiée au fil des années, à tel point que certains membres de comités de rémunération ont peine à se tenir au fait des derniers développements en la matière. Ainsi, des pratiques novatrices de rémunération voient le jour face aux pressions accrues des organismes de réglementation canadiens, américains et même mondiaux. Par ailleurs, même si l’on peut critiquer à l’occasion les conseillers en votation, ils provoquent quand même des discussions constructives sur certaines pratiques de rémunération indésirables qu’ils dénoncent ouvertement. Par conséquent, il est fortement recommandé, en plus de suivre la formation de base offerte par certains organismes comme l’IAS, de tenir une séance annuelle d’éducation et d’information pour l’ensemble des membres du comité de rémunération. Il serait aussi approprié d’inviter le PDG et le responsable des ressources humaines à une telle séance, afin de sensibiliser sur une base commune les deux parties aux enjeux de l’heure. Enjeu 4 : La tenue de discussions franches et ouvertes par tous les membres du comité de rémunération. La rémunération des dirigeants est un sujet délicat, mais c’est aussi un facteur de première importance dans l’attraction et la rétention des talents requis pour mener à bien les destinées de l’entreprise. Puisque la rémunération des dirigeants relève à la fois de l’art et de la science, des échanges nombreux s’imposent afin de comprendre et d’évaluer tous les enjeux et d’en arriver à des propositions de rémunération qui s’inscrivent dans un modèle de bonne gouvernance. Il est toutefois impératif que tous les membres du comité de rémunération – et non un ou deux — participent à ces échanges. Le président du comité de rémunération a un rôle important à jouer afin de susciter ou même de forcer la participation de la totalité des membres du comité, en l’absence des membres de la direction. Lorsque vient le moment de discuter d’une proposition de rémunération, on aurait tort de se fonder sur l’adage selon lequel qui ne dit mot consent. Chacun souhaite que le comité de rémunération et le PDG de l’entreprise entretiennent des relations harmonieuses. Toutefois, les divergences d’opinions relatives à la rémunération des dirigeants ont souvent des effets bénéfiques en ce qu’ils stimulent la recherche d’une solution équilibrée servant à la fois les intérêts de la direction et des actionnaires. Enjeu 5 : Trop peu d’entreprises se dotent d’un plan de relève détaillé et d’outils de formation du leadership au sein de l’équipe de direction. L’inflation de la rémunération des dirigeants, et en particulier celle du PDG, a été accentuée à plusieurs occasions par l’embauche de dirigeants issus de l’extérieur de l’entreprise. Force est d’admettre qu’il faut recourir à toutes sortes de primes pour attirer un haut dirigeant qui occupe déjà un poste bien rémunéré au sein d’une autre entreprise. Le comité de rémunération se voit ainsi forcé à modifier certains programmes de rémunération existants pour accommoder le candidat recherché, faute de quoi un arrangement particulier généreux devra être négocié afin de conclure l’entente. Issue / Numéro 164 | November / Novembre 2012 | 15 RÉMUNÉRATION DES CADRES | SUJETS D’ACTUALITÉ L’enveloppe de rémunération ainsi négociée sera souvent de beaucoup supérieure à la rémunération des autres dirigeants et même du titulaire sortant, créant parfois un sentiment d’iniquité, sans compter le choc culturel auquel fera face l’ensemble des dirigeants. Les règles de divulgation de la rémunération, de plus en plus nombreuses, n’aident pas la cause parce qu’elles ne sont pas conçues pour démontrer s’il existe ou non un lien entre le rendement et la rémunération. Un plan de relève bien orchestré appuyé par un programme efficace de formation du leadership contribue à contenir l’évolution de la rémunération par la promotion de bons candidats au sein même de l’organisation. Cela dit, rien n’empêche le comité de rémunération de bien expliquer la rémunération des dirigeants. La circulaire de procuration peut être un moyen efficace de le faire, si on prend la peine de mieux vulgariser les tenants et aboutissants de la rémunération et surtout de démontrer la corrélation entre la rémunération réalisée (plutôt que théorique) et les rendements financiers et économiques de l’entreprise. Enjeu 6 : Rôle des conseillers en rémunération. On reproche aux conseillers en rémunération de contribuer à l’inflation des salaires des cadres en recourant à des études de rémunération au marché qui, selon plusieurs, démontrent de façon générale des retards par rapport au marché pour l’entreprise. Les conseillers en rémunération répondent aux demandes de la direction et des comités de rémunération qui désirent connaître le positionnement concurrentiel de la rémunération des dirigeants de l’entreprise. Mais le rôle du conseiller ne devrait pas se limiter à simplement soumettre des données du marché; il devrait travailler en étroite collaboration avec le président du comité de rémunération afin d’aider le comité à bien saisir les répercussions des décisions qu’il s’apprête à prendre. Le conseiller doit aussi prendre l’initiative d’intervenir dans des décisions qui vont à l’encontre de principes de bonne gouvernance ou qui risquent d’entraîner un niveau de rémunération apparemment ou réellement excessif. Enjeu 7 : Stratégie de communication auprès des actionnaires et autres parties intéressées sur les questions touchant la rémunération des dirigeants. La rémunération des dirigeants monopolise de plus en plus l’ordre du jour des assemblées générales des actionnaires. Les débats sont à l’occasion embarrassants et donnent des munitions aux médias qui en amplifient souvent l’enjeu. 16 | Institute of Corporate Directors Le président du comité de rémunération devrait aussi utiliser l’assemblée des actionnaires comme un forum privilégié pour expliquer le plus clairement possible la politique de rémunération des dirigeants et la philosophie qui l’inspire et répondre de façon transparente aux questions de l’assemblée. Il va de soi qu’une telle approche exige une bonne dose de préparation et une bonne maîtrise des dossiers. Conclusion Les opinions recueillies auprès des membres de comités de rémunération, dans le cadre de cet article, cernent bien les enjeux de l’heure en matière de rémunération des dirigeants. Il est clair qu’un certain nombre d’interventions seront nécessaires, mais elles ne sont pas irréalisables. Il est aussi important de garder à l’esprit que les niveaux excessifs de rémunération d’un nombre quand même limité de dirigeants ont eu pour effet de ternir la réputation de l’ensemble des organisations et de leurs conseils d’administration. Il y a heureusement plusieurs organisations dont les conseils d’administration et comités de rémunération se distinguent par une gestion saine et équilibrée de la rémunération. Ces entreprises méritent d’être reconnues davantage afin de rehausser la réputation et l’intégrité de nos politiques et programmes de rémunération. Claude Boulanger est chef de la pratique Rémunération des cadres chez Towers Watson. Il a conseillé de grandes organisations au sujet des enjeux de la rémunération des cadres au court des deux dernières décennies.