Sociologie des pratiques culturelles

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Sociologie des pratiques culturelles
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 Sociologie des pratiques culturelles
Philippe Coulangeon Coll. Repères, La Découverte, 2010
Dans l’ensemble des sociétés occidentales, le poids des dépenses de consommation de biens et services culturels
dans le budget des ménages a fortement augmenté depuis 1960. Les pratiques culturelles sont l’ensemble des
activités de consommation ou de participation liée à la vie intellectuelle et artistique qui engagent des dispositions
esthétiques et participent à la définition des styles de vie : lecture, fréquentation des équipements culturels, usage
des médias audiovisuels, pratiques culturels amateurs. Une part croissante des activités accomplies dans le temps
libre, sans finalité productive et dans lesquelles les individus rencontrent des possibilités d’expression, tend à
faire partie du champ des pratiques culturelles. Quels changements sociaux, quelles recompositions des styles de
vie accompagnent cette progression du poids des dépenses consacrées à la culture et aux loisirs ? Est- elle
synonyme d’une démocratisation de l’accès à la culture, d’une uniformisation des pratiques, ou d’une fragmentation
des identités, d’une exacerbation des tensions et des inégalités ?
Nous présenterons une synthèse des théories sociologiques, qui situent les pratiques culturelles dans la structure
sociale, et des grandes orientations des politiques publiques en la matière (chapitre 1) puis les tendances récentes
qui caractérisent les principaux domaines d’activité et leur différenciation sociale : la plus dévoreuse de temps (la
TV = chapitre 2), la plus légitime (la lecture = chapitre 3), la plus diversifiée (la musique = chapitre 4), celles qui
conduisent à consommer et produire (pratiques amateurs = chapitre 5) et les plus rares et distinctives (sorties
culturelles = chapitre 6).
I) Pratiques culturelles et stratification sociale
1) Les pratiques culturelles comme marqueurs symboliques des identités sociales
La sociologie de Pierre Bourdieu a donné à cette association entre les caractéristiques du style de vie et les
variables de statut et d’origine sociale la dimension d’une véritable théorie des cultures de classe qui s’enracine
dans les rapports sociaux et de production.
a) Habitus et distinction
La Distinction : les éléments constitutifs du style de vie de l’individu sont le produit de son habitus (ensemble
des dispositions, des schèmes de perception et d’action incorporés aux différents stades de la socialisation
et qui reflètent les caractéristiques sociales de son environnement). Les classes sociales se distinguent ainsi
les unes des autres par le partage et la transmission d’un certain nombre de traits culturels qui conditionnent
les comportements individuels. Ces habitus de classes participent alors à l’édification de frontières symboliques
entre les groupes sociaux et contribuent à renforcer leur cohésion interne.
Lamont : La reproduction des classes sociales est assurée de façon plus efficace par la transmission du capital
culturel que par celle du capital économique.
Les lois de la distinction diffèrent de celles de l’ostentation de Veblen. La dépense ostentatoire est une dépense
par laquelle on affirme son rang. ≠ Bourdieu : les individus sont classés par leurs attitudes culturelles et ce
classement échappe en grande partie à leur contrôle.
b) Légitimité culturelle, domination symbolique et reproduction
L’espace des goûts et des habitudes culturelles est socialement hiérarchisé. L’identité sociale du sujet tient à
l’adhésion positive aux préférences de son milieu et du dégoût exprimé pour les préférences attribuées aux autres
groupes sociaux. L’espace social des goûts et des pratiques culturelles s’organise en fonction du volume et de la
nature des capitaux qu’ont les individus  espace des positions sociales. Les classes dominante et dominée se
fracturent en fractions de classe : la fraction dominante du côté du capital économique et la fraction dominée
du côté du capital culturel. Cet espace social constitue un espace de domination symbolique fondé sur
l’intériorisation d’un ordre de légitimité culturelle des préférences.
c) Un modèle historiquement daté ?
Critique de Bourdieu : le modèle correspondait à un moment déterminé de l’histoire des sociétés occidentales
difficilement transposable dans d’autres contextes. L’unité de l’habitus comme principe générateur des pratiques
est mis en cause par l’idée que la pluralité des espaces de socialisation de l’individu rompt la cohérence qu’il prêtait
aux habitudes culturelles en réalité plurielles et éclatées. (Lahire)
1980, thèses de la postmodernité : les styles de vie font partie d’un processus d’autodéfinition de soi, reflet
de la diversité des messages culturels disponibles (Harvey, Slater). Fondamentalement instables, ces styles de
vie définissent des modes de différenciation et d’indentification en grande partie choisis par les individus,
distincts des échelles de statut, des critères de classe, de genre, d’âge, d’ethnicité et qui ne leur sont assignés par
aucun de ces groupes d’appartenance (Featherstone). Les inégalités et les distinctions regroupent les individus
de manière contingente  société du risque (Beck).
2) Démocratisation de la culture / démocratie culturelle
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 - Philosophie centrale chez André Malraux 1960 : ambition de rendre accessibles les œuvres capitales de
l’humanité et d’abord de la France au plus grand nombre possible de Français. Le but est de réduire les
écarts sociaux et géographiques des chances d’accès à la culture.
- Philosophie centrale en mai 1968 : en mettant l’accent sur la dimension d’arbitraire culturel d’une culture
universelle, les théories critiques de la distinction et de la légitimité culturelle conduisent à faire porter l’effort
sur la dimension proprement culturelle des écarts d’accès à la culture.
Depuis début 1980, un relativisme culturel s’est imposé : l’essentiel tient aux écarts observés dans la
fréquentation des équipements culturels ou dans la fréquence des pratiques en termes de différences plutôt qu’en
termes d’inégalités.
II) Une pratique dominante : la télévision
1) La prépondérance de la télévision dans les loisirs quotidiens
a) L’augmentation et la diversification des dépenses télévisuelles
Depuis la fin des années 1970, entre un cinquième et un quart du budget culturel des ménages est consacré à
la TV. 96 % des ménages possèdent au moins une TV. Phénomène de renouvellement et de multiéquipement.
Diversification des pratiques télévisuelles. Dépenses d’abonnement aux chaînes hertziennes à péage, au câble, au
satellite. (255 € par an en 2008 pour les programmes audiovisuels)
b) Usages structurels, relationnels, cognitifs de la TV
- situations dans lesquelles la TV n’est pas regardée pour elle- même, elle accompagne d’autres activités (tâches
ménagères)  effet bruit de fond, compagnie
- la TV alimente les conversations dans la famille, entre le voisinage ou au travail.  Illusion de familiarité,
ressourcer le lien social, formation de groupes affinitaires qui concourent à une fragmentation du public
(communautés de fans)
- situations où la TV exerce une fonction d’apprentissage : construction sociale (sitcoms, soap operas, programmes
didactiques)
c) L’emprise de la TV sur l’emploi du temps quotidien
La TV domine le temps de loisir des sociétés occidentales : davantage chez les Anglos- saxons d’abord, il semble
constituer un standard pour la France (passage de 16 à 22 h par semaine entre 1973 et 1997). En cause
l’élargissement des créneaux de diffusion des grandes chaînes hertziennes en continu sur 24h.
d) L’impact des nouveaux modes de consommation des images
Le téléspectateur est à la fois superficiel et passif, et ouvert à la pluralité des contenus proposés à son
(in)attention. Les gros consommateurs de TV regardent une pluralité de programmes dont avant tout les
émissions de variété, les jeux TV, les séries et feuilletons alors que les programmes culturels et les
magazines d’info sont plus fréquemment regardés par les téléspectateurs moyens.
Les nouvelles technologies font courir le risque d’une fracture télévisuelle opposant une TV haut de gamme
thématique, segmentée et payante à une TV généraliste bas de gamme diffusée par la voie hertzienne et financée
exclusivement par les recettes publicitaires.
2) Un ciment culturel des familles de la classe moyenne ?
La diffusion de la TV est un élément structurant dans l’édification des styles de vie des classes moyennes, la
TV représente en effet la modernité et est le symbole de la participation à la consommation et à la culture de
masse.
a) De l’exaltation des vertus à la dénonciation des dangers de la TV
La TV a permis un certain effacement des différences sociales et marque la moyennisation des styles de vie. Elle
a eu des effets bénéfiques sur l’éducation des enfants ou sur la vie des couples : être à l’écart des dangers de la
rue, se rapprocher en limitant l’emprise des formes de sociabilité concurrentes extérieures.
Mais très vite on a parlé des méfaits de la TV qui menace l’équilibre familial par la concurrence qu’elle exerce à
l’égard de l’autorité des pères, et par la division sociale et sexuelle de l’espace domestique qu’elle tend à remettre
en cause. Elle serait aussi source de violence chez les enfants et les ados.
b) L’ambivalence des fonctions familiales de la TV
La TV exerce une fonction de regroupement des membres de la famille en diffusant notamment des programmes
à heure fixe. On constate que les jeunes ne figurent pas parmi les plus gros consommateurs de TV contrairement
aux plus de 50 ans (autonomie culturelle de l’adolescence oblige).
Si à 1ère vue la TV semble encourager un certain repli sur la sphère privée, son irruption parait aussi perturber
l’environnement domestique et l’agencement des relations entre ses membres, agissant comme un révélateur des
tensions internes de la famille. Notons par ailleurs qu’en 2008 les femmes regardent plus et plus souvent le petit
écran que les hommes.
3) Le nouvel opium du peuple ?
a) L’omniprésence de la TV dans les foyers ouvriers et chez les retraités
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 Le taux d’équipement de la TV est plus élevé dans les ménages ouvriers que dans les ménages de cadres, de
même pour le multiéquipement. La durée d’écoute varie très fortement selon les catégories sociales : les ouvriers
en 2008 écoutaient 20h et plus la TV par semaine, soit 5 fois plus que les cadres.
L’organisation de l’espace domestique des ouvriers est telle que le culte de la TV se fait au détriment de loisirs
tournés vers l’extérieur et les réseaux de sociabilité extra- familiale.  Privatisation du style de vie des classes
populaires (Schwartz)
b) La TV et l’inversion du rapport loisir/travail
Les écarts observés dans le temps quotidiennement consacré à la TV selon les milieux sociaux s’analysent comme un
effet de la variabilité des contraintes qui pèsent sur les emplois du temps du travail et des contraintes de
revenus. La disponibilité du temps libre est liée par une relation inverse aux ressources culturelles et
financières. La TV est le loisir de prédilection de ceux dont le temps libre est la seule ressource disponible en
abondance, loisir par défaut des exclus de la haute culture privés des ressources sociales, économiques et
culturelles nécessaires à la fréquentation des lieux de la culture cultivée.
c) Un déficit de légitimité
La TV est la pratique culturelle la plus banalisée mais elle est dévalorisée voire déniée chez les classes
supérieures et les diplômés. Ceci apparaît en Amérique du Nord à la fin des années 1950 : les catégories
financièrement et culturellement les moins favorisées sont celles qui passent le plus de temps devant la TV, ont
l’opinion la plus positive des programmes et dont le mode de vie était le plus fortement influencé par la TV. (Coffin).
Les pays où l’on regarde le plus la TV sont ceux où les écarts sont les plus faibles notamment au regard du niveau de
diplôme.
Deux traditions convergent pour créer le sentiment d’indignité culturelle de la TV. Tradition conservatrice :
l’exaltation des vertus morales de la TV regardée en famille a vite cédé le pas aux discours les plus alarmistes sur
les dangers bientôt chargée de tous les maux de la société. Théorie critique de la culture de masse fortement
imprégnée des thèses de l’école de Francfort qui identifie dans la TV un instrument au service de l’aliénation
culturelle des masses.
d) La différenciation sociale des programmes regardés …
Les programmes culturels sont plus souvent regardés par les cadres alors que les émissions de variétés et les
jeux TV, globalement regardés par une majorité de Français, le sont davantage chez les ouvriers, les
employés, les agriculteurs et les retraités. La différenciation sociale et culturelle des habitudes TV se manifeste
autant dans les programmes que l’on regarde que dans ceux que l’on ne regarde pas.
L’influence de l’âge se manifeste au sujet des feuilletons et séries dont l’attrait décroît avec l’âge, ce qui est
symptomatique de la place prise par la TV dans les mouvements culturels et les constructions identitaires de
l’adolescence. L’univers de la fiction semble plus féminin, les émissions sportives plus masculines, d’où un clivage
entre les sexes.
Notons une évolution : même les programmes les plus élitistes (habituellement réservés aux cadres et
diplômés) comptent plus de non- diplômés ou de simples bacheliers que de diplômés de l’enseignement
supérieur et plus d’ouvriers et employés que de cadres.
La sociologie des médias est traversée depuis 1940 par la controverse entre les modèles des effets puissants et
des effets limités : le 1er souligne l’influence unilatérale des médias dans la construction des opinions, des valeurs,
des goûts, le 2nd insiste sur le travail de mise à distance et d’interprétation des individus auxquels les messages
des médias sont adressés.
e) … et de leur interprétation
Les mêmes programmes peuvent faire l’objet d’appropriations et d’interprétations hétérogènes selon les
caractéristiques du public et des contextes de diffusion : sexe, âge, profession. Les lectures référentielles
(rapportant le programme à la vie réelle) sont plus fréquentes que celles dites oppositionnelles (plus grande
distanciation à l’égard des situations représentées) : trois quarts des récepteurs sont concernés et elles sont
répandues notamment quand le niveau d’instruction est bas.  ‘’Il faut concentrer l’attention moins sur ce que
les médias font aux gens que sur ce que les gens font aux médias’’ (Katz, 1959)
III) La lecture à l’épreuve de la culture de masse
1) Des tendances contradictoires
Malgré une massification de la pratique, la lecture se diffuse de façon inégale. La lecture est notamment en
crise du fait de l’influence de l’industrie du divertissement et des mass media. Bien que le volume des
publications et des ventes de livres ne cesse de s’accroître on assiste à un recul de la lecture.
a) La plus légitime des pratiques culturelles
Qu’elle soit scolaire ou de loisir, professionnelle ou distractive, la lecture apparaît comme la plus légitime des
pratiques culturelles. Si elle symbolise de nos jours l’univers des pratiques savantes, elle a été historiquement le
vecteur principal de la culture de masse (diffusion des illustrés, feuilletons, romans sentimentaux). Jusqu’à
l’apparition des médias audiovisuels qui ont supplanté les ‘’mauvaises lectures’’, elle a souvent été perçue telle une
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 passion dangereuse pour l’ordre social. (La diffusion de la littérature subversive et socialiste chez les ouvriers
des villes et dans les campagnes auraient ainsi été déterminante dans la révolution de 1848). Sa légitimité s’est
construite par opposition à l’émergence de l’industrie du divertissement audiovisuel et s’enracine aussi dans les
propriétés de la lecture elle- même : elle est une activité solitaire, silencieuse, intériorisée, matrice des
apprentissages intellectuels et instrument de la circulation des informations et des idées. Elle constitue un
enjeu social : l’acquisition des aptitudes de lecteur conditionne la plupart des inégalités socioculturelles.
b) Le recul de la lecture ?
La pratique la lecture apparaît relativement stable, voire en légère progression. En France alors que les nonlecteurs (aucun livre lu au cours des 12 derniers mois) représentaient 40 % de la population à la fin des années
1960, ils n’étaient plus que 31 % en 1981 et 2008. La période 1981- 2008 est marquée par une réduction
significative de la part des gros lecteurs (20 livres et plus par an). ‘’La France lit plus mais les Français lisent
moins’’.
Distribution du nombre de livres lus entre 1981 et 2008
1981
2008
0 livre
29
31
1 à 9 livres
29
38
10 à 19 livres
18
15
20 et plus
23
16
Causes : L’alourdissement des contraintes sur les emplois du temps qui affecte plus les cadres que les ouvriers ou
employés. Ces premiers préfèrent davantage des activités certes plus coûteuses mais économes en temps.
c) Les jeunes et la lecture
S’il y a bien une idée reçue sur la lecture, c’est celle selon laquelle son recul serait dû à la désaffection des jeunes
générations. Or ceci est faux. Les non- lecteurs dont la proportion croît avec l’âge ne sont pas prioritairement
les jeunes (En 2008, 22 % des jeunes pour 38 % chez les plus de 65 ans). De plus, le recul de la lecture au sein des
jeunes n’affecte pas de façon uniforme les différents supports de l’écrit. Il y a certes une désaffection pour la
lecture de la presse notamment la presse quotidienne nationale mais les jeunes entretiennent avec le livre des
rapports ambivalents : ‘’passion minoritaire et pratique répandue’’ oblige. Le goût pour la lecture est maximal
vers 12- 13 ans puis décroît dès 16-17 ans à mesure que se développent des formes de sociabilité juvénile qui
réduisent le temps disponible pour les activités plus solitaires s’organisant autour d’autres objets culturels tels les
CD ou les vidéos.
d) La concurrence incertaine de la lecture par la TV
Il est incontestable que les non- lecteurs en France sont plus nombreux chez les gros consommateurs de TV. Il
existe une relation inverse entre le temps consacré à la TV et le nombre moyen de livres lus et
particulièrement prononcée chez les diplômés de l’enseignement supérieur. Pourtant il y a une certaine forme de
complémentarité entre lecture et TV. Roger Establet et Georges Felouzis 1992 : lorsqu’elle existe, la concurrence
entre TV et lecture concerne davantage les plus diplômés dont l’usage de la TV n’est pas seulement guidé par des
motifs de distraction mais aussi des motifs de connaissance et d’information. Ainsi pour des usages proches cette
concurrence s’exerce le plus fortement.
2) Le paradoxe scolaire
Du fait de la place de la lecture dans les apprentissages scolaires, on s’attend assez naturellement à ce que le
niveau d’études influence très directement la fréquence et l’intensité des pratiques de lecture. On constate
pourtant qu’en dépit de l’élévation du niveau des qualifications, le rapport à l’écrit et à la lecture semble
s’être progressivement défait y compris parmi les plus diplômés.
a) Lecture et massification scolaire : un effet de structure
Dans la plupart des sociétés occidentales, la période 1970- 2000 a été marquée par une forte augmentation du
niveau d’études de la population dont on pouvait attendre une progression de la lecture plus forte que celle
qui a été effectivement enregistrée. Pourtant on assiste à une évolution inverse par effet de structure. Ce
recul de la lecture renvoie aux transformations de la structure sociale du public scolaire ainsi qu’au processus
de massification de l’enseignement secondaire. Alors que la socialisation scolaire jouait dans le sens de
l’acculturation des enfants des classes populaires lorsque ceux- ci demeuraient nettement minoritaires dans
l’enseignement secondaire il semble que l’incitation à la ‘’bonne volonté culturelle’’ s’affaiblisse lorsque la domination
numérique des ‘’héritiers’’ se réduit, amenuisant du même coup le sentiment d’indignité culturelle des ‘’promus’’. En
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 outre, l’école court le risque, en décourageant et en délégitimant les modes de lecture ordinaires, de
décourager la lecture tout court. De fait les habitudes de lecture ne se forment pas exclusivement à l’école, et
elles se mettent même parfois contre elle. (Lecteurs autodidactes). Dans ces conditions, les pédagogies de la
lecture les plus centrées sur les intérêts des élèves ont plus de chances d’encourager durablement la pratique de la
lecture que les enseignements littéraires prioritairement déterminés par référence à la définition savante de la
lecture et de la littérature au prix certes d’une diversification des textes lus et des manières de lire.
b) Le rendement scolaire de la lecture en question
Toutes choses égales par ailleurs, l’effet du volume de lecture et du type de livres lus sur la réussite scolaires
des individus est significatif mais plus faibles que celui des variables sociales comme les PCS des parents. Le
rendement scolaire des lectures non obligatoires est réel mais il est relativement faible et cette faiblesse
s’accentue avec l’avancée en âge et dans le cycle des études. Cette désaffection est pour partie le reflet de la
recomposition de la hiérarchie des savoirs scolaires, dont le centre de gravité s’est peu à peu déplacé au
cours du XXe siècle de la sphère des humanités classiques vers celle des sciences. On rencontre par ailleurs
dans des proportions non négligeables de bons élèves qui lisent peu et des élèves moyens ou faibles qui lisent
beaucoup. Baudelot, Cartier et Detrez en concluent que la lecture peut remplir chez les jeunes d’âge scolaire deux
fonctions contradictoires : pour les uns, elle constitue un support et un prolongement du travail scolaire, pour
les autres un moyen de s’évader des exigences scolaires contre lesquelles le goût des livres se construit.
3) La diversité des pratiques de lecture
Les pratiques de lecture se différencient à la fois selon les types de lecture et selon les manières de lire.
a) Lecture de la presse et lecture de livres : la différenciation sociale des supports de la lecture
Lire beaucoup de livres ne va pas systématiquement de pair avec la lecture régulière de la presse
quotidienne. En France 56 % des agriculteurs ne lisent aucun livre mais sont les plus fidèles lecteurs des quotidiens
régionaux. Les gros consommateurs de journaux ne présentent pas les mêmes caractéristiques sociales que les
lecteurs de livres, les lecteurs de magazines n’ont pas les mêmes profils que ceux des quotidiens … Si les fortes
proportions de non- lecteurs de livres se rencontrent principalement au sein des classes populaires et en général
dans les catégories les moins dotées en capital culturel, les gros lecteurs de livres sont nombreux chez les classes
moyennes et supérieures. De même la lecture régulière des quotidiens nationaux oppose les cadres supérieurs aux
ouvriers, aux employés et agriculteurs. A l’inverse la presse régionale est beaucoup plus lue chez ces derniers que
chez les cadres.
b) La structure sociale du lectorat des différents types de lecture
Les cadres qui sont plus souvent lecteurs et lisent plus que toutes les autres catégories sont surreprésentés
dans le lectorat de la plupart des genres de livres et surtout de littérature classique, de romans
contemporains, d’essais politiques, ou de sciences humaines et de livres scientifiques. Le lectorat des genres
non fictionnels indiquent l’ambivalence d’une pratique où se mêlent des motifs de pur loisir et des motifs
professionnels. Les professions intermédiaires sont elles aussi surreprésentées dans la plupart des lectorats mais
la distinction entre littérature de fiction et essais n’est pas aussi prononcée. Ils préfèrent notamment les romans
policiers, des livres à caractère pratique ou de développement personnel. De surcroît la surreprésentation des
employés dans ce type de lectorat (livres de cuisine par exemple) signale un lectorat sensiblement féminin. Les
élèves et étudiants adoptent quant à eux les BD, mangas et autres comics. Les ouvriers sont sous- représentés
dans la distribution des différents lectorats, la PCS indiquant indirectement la qualification et le niveau scolaire.
Les femmes lisent aussi plus que les hommes.
Les différences d’attitude à l’égard de la lecture traduisent aussi l’existence de sous- cultures de classe qui
prolongent dans les loisirs les caractéristiques du travail et sont profondément enracinées dans les conditions
concrètes d’existence des individus. Les catégories qui lisent le plus sont celles dont l’activité professionnelle
relève plutôt des services et de l’immatériel tandis que celles qui lisent le moins exercent dans l’ordre de la
production matérielle.
Il existe enfin 4 types de rapport à la lecture : la lecture de divertissement (désir d’évasion qui plait aux femmes
et ados), la lecture didactique (désir de lire et d’apprendre), lecture de salut (intention performative, lire pour se
parfaire, se transformer, se dépasser : textes politiques ou religieux) et la lecture esthète (gratuité revendiquée
par la pratique, par sa finalité sans fin).
4) La lecture comme production de sens
a) Théories de la lecture et lecteurs concrets
Le texte véhicule par lui- même un sens univoque qui impose au lecteur ses conditions de réception et
d’interprétation indépendamment du contexte social et historique de la lecture (Toute- puissance du texte) La
plupart de ces théories insistent sur le pouvoir d’interprétation et de co- construction du lecteur qui ouvre la voie à
des appropriations différentielles d’un même texte. Quant à la lecture concrète, elle est le plus souvent
dépourvue d’un projet intellectuel de connaissance systématique d’un auteur, d’une période ou d’un style déterminé.
b) Lectures internes et lectures externes
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 L’activité du lecteur s’inscrit dans des communautés d’interprétation qui orientent le sens qu’il donne à ses
lectures. [Dans ce cadre- ci, les travaux en 1982 de Jacques Leenhardt et de Pierre Jòzsa explorent les réactions
de 2 groupes de lecteurs l’un en France et l’autre en Hongrie à la lecture de 2 romans (Les choses de Georges Pérec
et Le cimetière de la rouille d’Endre Fejes). Les Français et les Hongrois font une lecture plus morale que littéraire
du texte de Pérec mais les Hongrois attribuent à ce texte une dimension pédagogique sur les contradictions de la
société de consommation qui n’apparaît pas aussi nettement chez les lecteurs français. De mêmes ils font une
lecture plus politique du roman de Fejes. Ainsi l’influence de l’appartenance nationale, de l’âge, du sexe ou de la
classe sociale du lecteur participe pleinement de la définition de la lecture comme activité constructive.] Les
mêmes œuvres peuvent faire l’objet d’une pluralité de modes de réceptions à travers le concept d’’’horizon
d’attentes’’. [Jean- Marie Goulemot : lectures contrastées de L’Education sentimentale à 2 ans d’intervalle : lu en
1967 par un groupe d’étudiants en littérature comme un roman d’apprentissage sentimental, en 1969 comme un
roman d’apprentissage politique par des étudiants vraisemblablement sensibilisés par le contexte de l’après- Mai
68]. La caractérisation des modes de réception s’effectue en général sur une échelle qui va des lectures
internes autoréférencées et indexées principalement sur le texte lui- même et sur ses propriétés formelles,
aux lectures externes plus sensibles au contexte de l’œuvre et du lecteur. Cette distinction, qui recoupe en
partie l’opposition entre dispositions esthétiques et éthiques constitue un principe de différenciation sociale des
pratiques de la lecture : lectures savantes et cultivée / lectures populaires.
c) Distanciation et interprétation
On retrouve chez les lecteurs autodidactes et les collégiens n’ayant pas encore été exposés à l’approche littéraire
de la lecture, une lecture ordinaire fondée sur l’identification du lecteur, sur la dissolution de la frontière entre
fiction et réalité, entre l’univers du livre et du quotidien. Cette conception morale de la lecture où l’on cherche dans
le livre de ‘’quoi s’orienter dans la vie’’ n’est cependant pas synonyme de lecture prisonnière des cadres sociaux de
sa réalisation. Les lecteurs populaires ne sont en effet pas systématiquement dupes de leurs lectures.
IV) Musique : la montée de l’éclectisme des goûts
Musique omniprésente, grande variété d’usages et multiplicité de ses supports contemporains à l’honneur !
1) Le savant, le populaire et le mélange des genres
Les préférences liées à la musique sont créditées d’un fort pouvoir de classement social. La différenciation
des goûts musicaux met simultanément en jeu la position et l’origine sociales, le niveau d’études, l’âge et le
sexe.
a) La préférence généralisée pour les variétés
Quels que soient les critères retenus, la musique de variétés, françaises ou internationales, arrive en tête des
préférences exprimées. Si l’attrait pour les genres savants (musique classique, opéra voire jazz) est d’autant
plus prononcé que le niveau d’études est élevé, si les cadres et professions intermédiaires sont les plus nombreux
à les citer parmi les genres musicaux écoutés le plus souvent, la réciproque n’est pas pleinement vérifiée : l’attrait
pour les genres populaires (variétés, rock, rap, techno, musiques du monde) diffère beaucoup plus faiblement
selon ce double critère. En outre l’effet du diplôme est difficile à interpréter dans la mesure où en France du moins
l’enseignement de la musique occupe une place très marginale dans l’enseignement secondaire.
b) L’éclectisme, nouvelle frontière de la légitimité culturelle ?
L’écoute de musique de variétés s’inscrit chez les cadres et professions intermédiaires dans un répertoire de goûts
plus vaste et nettement plus porté sur la musique savante que chez les ouvriers et employés. Même constat pour les
diplômes (bacheliers ou diplômés de l’enseignement supérieur). Ce mélange des genres participe ainsi à une
redéfinition de la légitimité culturelle, qui semble moins fondée sur la proximité avec la musique savante que sur un
certain pluralisme des goûts, qui ne se manifeste pas seulement à travers la pluralité des répertoires écoutés mais
traverse aussi chacun des genres qui font aussi l’objet de différenciation et de hiérarchisation. Si l’éclectisme
‘’éclairé’’ qui procède le plus souvent d’une incursion mesurée dans le domaine des arts en voie de légitimation
constitue bien une modalité particulière du raffinement esthétique, l’éclectisme indistinct constitue à l’inverse la
disqualification la plus radicale de la compétence et du bon goût.
c) Une partition sexuée des goûts musicaux
En dépit de sa généralité, la préférence pour les variétés apparaît sensiblement plus prononcée chez les
femmes que chez les hommes. On retrouve dans le domaine musical un clivage identique à celui qui oppose la
lecture de romans, plutôt féminine, et la lecture d’essais ou d’ouvrages documentaires plutôt masculine. De plus les
chansons se prêtent sans doute plus que la musique classique ou le rock à une écoute distraite, à la radio plutôt
qu’au disque, comme accompagnement d’activités domestiques notamment (inégale répartition du travail
domestique entre hommes et femmes)
d) La prépondérance de l’effet de l’âge
Les différences d’âge jouent, dans les pratiques d’écoute musicale, un rôle plus affirmé que dans d’autres registres
culturels, qui s’interprète davantage en termes de générations qu’en termes d’âge au sens strict. La préférence
généralisée pour la musique de variétés est corrigée, du point de vue générationnel, par la distinction entre
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 variétés nationales, plutôt prisées par les plus âgés, et variétés internationales, plus souvent citées chez les
jeunes, ce qui témoigne d’une internationalisation du marché de la musique populaire qui affecte plus fortement les
jeunes générations. De même, le rap et la techno apparaissent très liés à l’environnement culturel des ados de la fin
des années 1990, tandis que le rock est prépondérant chez les trentenaires.
e) L’affaiblissement de l’effet du diplôme au sein des jeunes générations
L’effet de l’âge et du diplôme n’opère pas indépendamment l’un de l’autre. Parmi les diplômés de l’enseignement
supérieur, la familiarité avec la musique savante est plus faible au sein des jeunes générations qu’elle ne l’est
chez les générations plus anciennes. La moindre familiarité des jeunes générations de diplômés avec l’univers de la
musique savante, dans un contexte où suite à la massification scolaire, les enfants des classes supérieures ont
perdu leur pouvoir prescripteur dans les domaines de la culture savante, met en évidence l’atténuation d’une
dimension statutaire de l’effet du diplôme. Les pratiques et les préférences musicales des générations issues
de la massification semblent avant tout marquées par l’éclectisme et par le brouillage des frontières entre
musique savante et musiques populaires.
2) La légitimation culturelle des genres mineurs
a) L’esthétisation savante de l’écoute des genres populaires
L’entrée de genres musicaux issus de la culture populaire dans le périmètre de la politique culturelle va de
pair avec le développement d’une esthétisation de l’écoute de répertoires initialement voués au divertissement
et à la danse (cf. jazz). Cette esthétisation signifie le recul simultané des formes corporelles d’appropriation de la
musique, qui constituent une composante essentielle du rapport à l’art au sein des classes populaires au profit d’une
écoute pure, débarrassée du prétexte de la danse notamment. L’esthétisation de l’écoute s’oppose aussi aux usages
fonctionnels auxquels la musique se prête sans doute plus que d’autres objets culturels et artistiques. Souvent
citée comme activité secondaire, l’écoute distraite de la musique remplit dans de nombreuses occasions une
fonction ‘’décorative’’ (musique de fond, d’ambiance, d’accompagnement…) favorisée par la diversification et la
portabilité des supports de l’écoute. Les goûts musicaux tracent entre les individus des frontières symboliques
qui procèdent de la stratification sociale des attitudes à l’égard de la musique. De plus, certains domaines
culturels qui relèvent de la culture populaire d’une génération peuvent s’incorporer à la culture savante des
générations suivantes.
b) Légitimité contre- culturelle et goût populaire
Les politiques culturelles menées successivement en direction du jazz, du rock par exemple font l’impasse sur le
fait que ces musiques sont en réalité assez peu représentatives du goût populaire qu’elles sont censées incarner.
Ces politiques procèdent alors de l’édification d’une sorte de légitimation contre- culturelle qui se définit comme
l’expression d’une résistance à l’égard de l’emprise de l’industrie de la musique sur la formation des goûts
populaires.
3) Musique et radio
La dimension générationnelle des pratiques liées à la musique n’affecte pas seulement la distribution des goûts
selon les genres musicaux, mais aussi les supports de consommation musicale. Ainsi si l’âge d’or du microsillon est
inséparable de l’histoire du rock et de la pop, la radio est le média qui a exercé et continue d’exercer le rôle
le plus structurant dans la formation et le renouvellement des styles musicaux de la jeunesse.
a) Média musical et média identitaire
La radio constitue d’abord un espace culturel autonome d’où une ‘’culture de la chambre’’ dans laquelle les jeunes
échappent au contrôle des parents. Ce média cible donc particulièrement les jeunes et fonctionne même sur le mode
du repère identitaire. Ainsi la programmation des stations FM et notamment dans les émissions de libre antenne
diffusées aux heures de grande écoute, associe la musique à d’autres dimensions de la vie adolescente (santé,
sexualité…). Les pratiques d’écoute musicale des jeunes ne sont pas le simple reflet d’une identité définie pat la
position sociale, le sexe ou la génération. Elles sont bien au contraire partie prenant de l’expérimentation et de la
construction des repères identitaires de l’adolescence, où la géographie des styles et des courants musicaux
s’articule parfois avec des codes vestimentaires.
b) De la radio au téléchargement
Depuis la fin des années 1990, les modes de consommation de la musique ont été profondément renouvelés par le
développement des possibilités liées au téléchargement sur Internet. Ce phénomène a pour effet d’accroître la
place de la musique dans la vie quotidienne en démultipliant notamment les lieux et les supports de l’écoute.
V) Pratiques amateurs et autoproduction culturelle
Les pratiques amateurs se définissent comme l’ensemble des activités pratiquées pour le plaisir, à des fins
personnelles ou pour un cercle restreint de proches. Elles représentent une part importante du budget
culturel des ménages (12% en 1995 et cette part est en progression)
1) La photographie et l’écriture
a) La photographie, entre pratique artistique et instrument de la mémoire
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 Pratiquée par plus de 70 % des Français, la photographie est une des pratiques culturelles amateurs les plus
répandues. On parle même d’’’art moyen’’. Elle est d’ailleurs plus forte chez les professions intermédiaires que
chez les cadres. La motivation principale de la pratique est liée aux événements de la vie familiale ou aux vacances
et est stimulée par la présence des enfants. Elle est ainsi source d’échanges dans le groupe familial mais est
rarement mobilisée dans le cadre de la sociabilité amicale ou professionnelle. La pratique est de plus assez peu
motivée par des considérations explicitement artistiques (même si tous les photographes amateurs ne rejettent
pas cette dimension). Alors que la conception savante ou cultivée de l’art privilégie la démarche et l’intentionnalité
de l’artiste, la conception populaire de l’art tend à privilégier le geste et les éléments qui s’y rapportent. Ainsi
l’activité du photographe, parce qu’elle est fortement dépendante d’un dispositif technique, ne saurait ainsi être
pleinement tenue pour artistique.
b) Ecriture et intimité
Les pratiques d’écriture amateur sont plus rares que celles de la photographie. Près de 15 % des Français
ont eu de telles activités à un moment ou à un autre de leur existence mais le taux de pratiquants effectifs
en 2003 ne dépasse pas 8%. Cette activité obéit tout de même le plus souvent à des motivations personnelles
dont la dimension artistique est peu prononcée. L’écriture est une activité solitaire et autocentrée que ce soit pour
la nature ou la destination des textes. Les amateurs sont alors adeptes du journal intime ou écrivent avant- tout
pour eux- mêmes. Moins d’un quart ont déjà publiés un de leurs textes, 45 % d’entre eux ne faisant même jamais
lire leur production. L’activité est fortement sexuée dans la mesure où le taux de pratique des femmes est le
double des hommes (10 contre 5%). La fréquence varie selon l’âge : les 15- 24 ans écrivent 2 fois plus que les
autres groupes d’âge. La tenue du journal intime et l’écriture de poèmes sont les formes d’écriture amateur les
plus répandues et constituent de fait les attributs traditionnels de l’adolescence et particulièrement féminine. La
pratique de l’écriture prolonge par ailleurs les dispositions et attitudes des lecteurs. Le nombre moyen de livres lus
chaque année est 2 fois plus élevé chez les personnes qui ont une pratique amateur que chez ceux qui n’en ont pas
(21 contre 11 livres en moyenne). La diffusion de l’informatique domestique et d’Internet a contribué au
renouvellement des pratiques notamment grâce aux blogs.
2) La musique, le théâtre et la danse
a) Des pratiques enracinées dans l’enfance et l’adolescence
Les pratiques musicales sont l’un des domaines de pratique amateur les plus répandus. Entamée généralement
durant l’enfance ou l’adolescence, elles bénéficient d’un encadrement institutionnel (école de musique ou
conservatoire). Il y a aussi une grande diversité de pratiques selon les instruments et les genres musicaux
pratiqués. [Le piano par exemple : pratique fortement ancrée dans l’univers de la musique classique, répond souvent
à une incitation parentale forte. Au contraire la guitare dont la pratique s’inscrit dans des registres esthétiques
éloignés de la culture savante s’appuie davantage sur des formes autodidactes d’apprentissage, où les relations de
sociabilité adolescente exercent une influence plus forte que l’environnement familial]. La pratique du théâtre et
de la danse est moins fréquente (2 et 8%), la première est souvent moins précoce et peu durable, et ne s’appuie
pas sur un apprentissage particulier. De même pour la danse dont la pratique est plus nettement enracinée dans
l’enfance et quasi exclusivement féminine.
b) Amateurs et professionnels
En dépit de l’institutionnalisation croissante de la formation des artistes et de la certification des compétences, de
la réglementation de plus en plus poussée du marché du travail des artistes et du marché des œuvres, le
développement des pratiques amateurs met parfois à mal la frontière qui sépare le monde des amateurs et
celui des professionnels. Hors des métiers de l’interprétation des arts savants, bien des carrières d’artiste ne
sont jamais que des pratiques amateurs converties au fil du temps en activités professionnelles. Le brouillage des
frontières est redoublé par le progrès de l’informatique musicale qui offre à l’ensemble des musiciens amateurs des
possibilités techniques autrefois seulement réservées aux professionnels.
c) Les pratiques amateurs au service de la démocratisation de la culture
L’enseignement des arts et l’encouragement des pratiques amateurs figurent en France parmi les objectifs
des politiques de diffusion et de démocratisation de la culture depuis 1970. (Plan Landowski à l’origine des
conservatoires régionaux + développement des formations spécialisées hors du domaine de la musique savante 1981
par Maurice Fleuret). L’accent mis sur la formation s’appuie sur l’hypothèse que l’expérience concrète des arts
permet de lever les obstacles sociaux et culturels à leur diffusion. Celle- ci rompt avec le mythe du ‘’choc
électif’’ pour lequel il suffisait d’abolir les barrières physiques et économiques à la fréquentation des arts pour
convertir en masse le public aux chefs- d’œuvre des arts savants. La principale limite à cette politique culturelle
tient au fait que les pratiques amateurs sont soumises aux mêmes inégalités que la fréquentation des théâtres,
musées, concerts … Cependant la pratique en amateur d’une discipline artistique est généralement associée à
une proximité plus grande avec les domaines artistiques correspondants : les musiciens amateurs vont plus
souvent au concert, les comédiens amateurs plus souvent au théâtre … Mais la fréquentation des spectacles
professionnels demeure relativement faible. De même que pour la photographie ou l’écriture, l’autonomie relative
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 des pratiques amateurs peut faire l’objet d’une double lecture : celle de l’authenticité de formes d’expression
populaires autonomes partiellement affranchies de l’autorité de la culture légitime et du pouvoir de la culture
marchande, celle du repli ou de l’autarcie culturelle. Toutefois on observe bien que le développement des pratiques
artistiques sert à la démocratisation de la culture.
3) ‘’Semi- loisirs’’ et autoproduction
Par semi- loisirs, il faut entendre l’ensemble des activités qui, tout en ayant une dimension utilitaire et tout en
conservant un lien avec le travail professionnel ou la production domestique, sont avant- tout conçues comme
des activités d’expression de soi dans le temps libre (Bricolage, jardinage, couture, tricot …). Ces activités
permettent en effet de comprendre une dimension d’épanouissement personnel et de créativité. Par exemple en
2008, 40 % des Français avaient comme loisir le jardinage. Pourtant le temps des loisirs quotidiens est de plus en
plus dominé par la TV. Pour comprendre cette évolution, il faut considérer la contrainte économique qui conduit à
réserver une part importante du temps de loisir à améliorer l’ordinaire pour se procurer par l’autoproduction ce que
les catégories mieux dotées peuvent trouver dans la consommation marchande.
4) Les dimensions culturelles de l’engagement
Une tendance est aux formes d’érudition non savante telles les amateurs de généalogie ou autres collectionneurs
passionnés. D’autres s’engagent dans la défense de l’environnement ou du patrimoine, à la promotion de certains
sites ou de certaines traditions, l’accumulation et la diffusion de données et d’informations (archives).
L’engagement associatif peut être envisagé comme une pratique culturelle à part entière au titre des activités
dans lesquelles prime l’expression de soi dans un temps libéré des contraintes professionnelles et domestiques.
C’est une pratique très répandue en France dans la mesure où près de 45% des personnes de 15 ans et plus font
partie d’une association. Cet engagement est le plus fréquemment lié à des associations sportives et culturelles.
Comme toujours cet engagement est plus fort chez les diplômés de l’enseignement supérieur. En 1995, 60% de ces
personnes étaient membres d’une association contre 32 % sinon. Ainsi l’engagement associatif apparaît comme un
cas particulier des pratiques de sociabilité dans leur ensemble.
5) L’usage des TIC : une pratique culturelle ?
Les TIC (= technologies de l’information et de la communication) ont comme instrument principal l’ordinateur à
la fois outil de travail et bien culturel.
a) A mi- chemin du travail et du loisir
Fortement corrélé, du point de vue professionnel, à la qualification et au degré d’autonomie des acteurs, l’usage de
l’ordinateur et l’accès à Internet sont liés au capital culturel des individus. Les nouvelles technologies sont à
l’origine de nouvelles activités de loisirs et en particulier chez les jeunes : jeux vidéo, jeux en réseau … Pour plus
d’1 utilisateur à domicile sur 5, l’usage de l’informatique s’inscrit dans une pratique à caractère artistique ou
culturel : dessiner, écrire, traitement d’images numériques, des photos, du son, de la vidéo. La pratique de
l’ordinateur est alors une activité en soi comme en témoigne le développement d’une presse spécialisée, de clubs ou
de forums de discussions sur Internet.
b) Un accès inégal et des usages différenciés
L’équipement des ménages en micro- ordinateurs a connu en France une progression spectaculaire depuis
1995 : si seuls 14 % des ménages possédaient un micro- ordinateur à domicile en 1995, ils étaient 23 % en 1999 et
41 % en 2003. Il y a là aussi des inégalités selon les catégories sociales : en 2003, 80 % des ménages de cadres en
possèdent un pour un tiers des ménages ouvriers. On constate aussi un fort clivage entre générations : les
retraités sont très faiblement équipés. Mieux équipés, les cadres ont aussi une utilisation plus intensive de
l’ordinateur : 60 % des cadres l’utilisent pour le travail contre 22% des ouvriers équipés. Inversement, 2/3 des
ouvriers l’utilisent pour jouer contre 1/3 de cadres. L’intensité et la nature des usages sont fortement
différenciées selon le sexe et l’âge. Près de 2 fois plus fréquent chez les hommes que chez les femmes, l’usage
quotidien de l’ordi apparaît plus ludique chez les hommes alors que les femmes sont plus nombreuses à l’utiliser pour
le travail. Si l’utilisation quotidienne tend à diminuer avec l’âge c’est dans le type d’usage de l’ordi que les classes
d’âge se différencient le plus fortement : l’ambivalence des usages est maximum chez les plus jeunes.
c) L’éthique libertaire et l’esprit des TIC
La disparité des usages de l’informatique renvoie aussi aux types de compétences que les usagers mettent en œuvre
dans son utilisation ; on observe alors une différenciation d’ordre culturel : convivial, autodidacte, fondé sur un
apprentissage empirique dans lequel l’utilisateur se laisse guider par la machine chez les adeptes du ‘’look and
click’’, venus à l’informatique après l’apparition du Macintosh et la généralisation de Windows, l’usage de l’ordi
s’inscrit dans un rapport à l’informatique plus technique et plus maîtrisé chez les partisans du ‘’remember and type’’
généralement plus âgés. Par ailleurs, l’édification d’une culture de la machine fondée sur sa dimension libératrice a
connu les inventeurs de l’ordi individuel tels Steve Jobs et Stephen Wozniak.
VI) Sorties culturelles et loisirs d’exception
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 A l’exception des sorties au cinéma, la fréquentation des théâtres ou des concerts, les visites d’expositions
ou de musées sont des activités plus rares que celles évoquées dans les chapitres précédents : elles sont
pratiquées par un plus petit nombre de personnes et avec une fréquentation moindre.
1) Les musées et le patrimoine
En 2003, plus de 55% des Français ont visité au moins un musée ou un monument historique. La fréquentation
des lieux de patrimoine apparaît en France comme la plus populaire des activités culturelles de sortie, ce
dont témoigne notamment le succès des journées du patrimoine organisées depuis 1984 chaque septembre.
a) Patrimoine culturel et culture du patrimoine
Le public des musées se caractérise toujours par un niveau d’éducation supérieur à la moyenne à cause
notamment des contraintes de coût et de revenus. Ce lien privilégié entre le monde des arts et les classes
supérieures prolonge pour partie le rôle traditionnel des mécènes dans le financement du monde des arts. Les
disparités sociales de fréquentation des musées sont particulièrement prononcées en ce qui concerne les musées
d’art classique ou contemporain. Elles sont atténuées pour les musées à caractère technique, scientifique ou
historique. L’extension du domaine de la muséographie au- delà des frontières du monde des arts au sens strict
contribue à atténuer ces écarts. La vogue contemporaine des musées procède de l’élargissement de la notion de
patrimoine qui n’est plus réservée aux œuvres d’art et aux monuments mais concerne un ensemble de coutumes, de
pratiques et de traditions populaires. (Création en 1937 du musée des Arts et traditions populaires + en 1970
développement des écomusées). Issue du Front Populaire, la tradition muséographique est très proche dans son
inspiration des mouvements d’éducation populaire dont elle partage l’ambition de fonder le développement culturel
sur la valorisation des cultures minoritaires ou dominées. En absorbant dans le domaine culturel des objets et des
pratiques étrangers au domaine de la culture savante, il préfigurait la conversion opérée depuis le début des années
1980 en France dans la définition de l’objet des politiques culturelles, désormais fondées sur la reconnaissance et
la valorisation de la diversité des pratiques populaires.
b) La valorisation des retombées économiques et sociales des musées
Les musées relèvent de plus en plus souvent à la fois de la politique culturelle, de la politique sociale ou encore de
la politique de la ville. (Musée Guggenheim de Bilbao  impact potentiel des lieux culturels et en particulier des
musées dans les politiques de rénovation urbaine + implantation d’une annexe du musée du Louvre à Lens, au cœur
d’une zone frappée de plein fouet par les conséquences sociales de la désindustrialisation). Par ailleurs, les musées
ont de longue date été de toutes les institutions culturelles, les plus impliqués dans l’économie du tourisme dont
l’impact économique global est non négligeable. La conquête de nouveaux publics n’est plus nécessairement valorisée
comme un but en soi mais comme une condition du succès des politiques de rénovation urbaine ou de développement
économique auxquels les musées sont liés. Les activités proposées par les services éducatifs sont mis en balance
avec les stratégies de marketing culturel, d’où les espaces de ventes de produits dérivés.
2) Le cinéma
Consommé en salle ou à la TV, le cinéma se situe à l’interface des pratiques culturelles de sortie et des
pratiques domestiques. Au cours des années 1990, les possibilités de consommation à domicile se sont
accrues avec la multiplication des chaînes, la banalisation du magnétoscope et l’irruption du DVD.
a) Un loisir de jeunes plus qu’un loisir de masse
De toutes les sorties à caractère culturel, la sortie au cinéma est la plus fréquente. Une majorité de la
population française ou européenne fréquente au moins une fois par an une salle de cinéma. Cette fréquentation est
due à l’environnement urbain et le développement de l’industrie du cinéma est historiquement associé à celui des
villes. En France, les Parisiens et les habitants des grandes métropoles sont plus nombreux à aller au cinéma et ils y
sont plus souvent. Cette fréquentation est aussi due aux PCS et aux diplômes : 75% des cadres vont au cinéma,
contre 60 % d’ouvriers et lorsque ces derniers y vont, ils y vont en moyenne 3 fois moins que les cadres. De même,
elle augmente en fréquence et en intensité avec le niveau de diplôme. Le cinéma s’érige en véritable art populaire
et se fonde sur ‘’la coexistence d’une culture de masse et d’une culture savante’’ (Guy, 2000). Elle est nettement
plus liée à l’âge, les ados et étudiants devançant toutes les autres classes d’âge : 90% des 15-17 ans vont au cinéma
11 fois par an. L’effet de l’âge se manifeste dans les formes de sociabilité qui accompagnent ces sorties : alors
qu’elles sont principalement un loisir de la sociabilité amicale chez les ados, elles sont une sortie familiale avant 15
ans et après 25 ans ; après 40 ans, la part des sorties solitaires tend à augmenter. La sortie au cinéma perd ainsi
peu à peu son caractère familial pour se muer en un attribut de l’autonomie culturelle des ados. En 2008, les 15- 24
ans représentent 23% du public.
b) Le recul de la fréquentation des salles
L’intensification des pratiques chez les ados ne suffit toutefois pas à compenser le déclin global de la
fréquentation des salles. L’âge d’or du cinéma en salles appartient à un passé révolu (1940- 60) la fréquentation
annuelle des sorties au cinéma (2,5 par an en moyenne) s’établissant à la fin des années 1990 à un niveau inférieur à
celui du début des années 1930 (5,5). Ce recul est compensé par le rôle croissant de la TV et de la vidéo dans la
diffusion des films et la formation de la culture cinématographique. On observe tout de même une certaine
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 complémentarité entre TV et ciné. On assiste également à une transformation du rapport aux films et aux images :
la vidéo offre des possibilités d’archivage et de constitution de vidéothèques privées qui rapprochent la
consommation des images de celle des textes. La TV exerce un effet ‘’moyennisateur’’ qui se manifeste dans la fait
qu’un certain nombre de films d’audience confidentielle à leur sortie en salle trouvent un public plus diversifié après
leur passage à la TV. Par ailleurs, et à l’exception de quelques- uns, les cinéastes du XXe siècle ont porté en général
un regard très négatif sur la TV : mauvaise qualité d’image, attention défaillante du téléspectateur, zapping …
3) Les arts vivants
A la différence du cinéma, des musées, des lieux de patrimoine, le contact avec les arts vivants (théâtre,
concert, opéra, ballet) demeure très minoritaire. En 2001, seuls 44% des ressortissants de l’Europe des
Quinze avaient assisté à l’un des spectacles au cours de l’année précédant l’enquête. Variables d’un pays à
l’autre, avec un minimum de 27% au Portugal et un maximum de 64% en Suède pour l’indicateur précédent,
les taux de fréquentation varient aussi selon les types de spectacles.
a) La fréquentation minoritaire du théâtre, de l’opéra et des concerts
Les cadres et diplômés de l’enseignement supérieur sont nettement surreprésentés dans le public du théâtre,
des concerts, en particulier des concerts classiques et plus encore de l’opéra. Dans le cas de ces deux derniers
spectacles, les cadres comptent pour 40% du public et plus de 50% de ce public est diplômée de l’enseignement
supérieur. Le poids très important des habitants des grandes agglomérations et en particulier des Parisiens
constitue une autre caractéristique du public des arts vivants. Reflet de la concentration géographique de l’offre,
l’effet de la résidence, en particulier parisienne, absorbe cependant aussi celui de la structure sociale de la
population urbaine et particulièrement parisienne. Il ne faut pas oublier que ces sorties sont des pratiques
d’exception : même parmi les catégories les plus représentées, ces activités ne sont souvent le fait que d’une
minorité (42% des cadres, professions libérales et chefs d’entreprise ont été au théâtre en 2008, 14% à l’opéra,
51% à un concert, 25% à un concert de musique classique). Et c’est pourtant bien vers ces catégories sociales que
l’économie de telles activités est prioritairement tournée !
b) Le théâtre populaire
La fréquentation du théâtre a joué en France un rôle pionnier dans les politiques de démocratisation de la
culture (Pendant le Front Populaire, après la guerre, dans le sillage du Théâtre National Populaire de Jean Vilar).
Ce mouvement entendait s’attaquer de front aux dimensions sociales et géographiques de l’inégalité de l’accès
à la culture. Le festival d’Avignon fondé lui aussi par Jean Vilar en 1947 poursuivait ces objectifs. [Festival
d’Avignon : laboratoire de la démocratisation et de la décentralisation culturelles : chaque été, 40 spectacles sur 3
semaines pour le festival officiel ‘’in’’, + 100 autres dans le ‘’off’’ : lieu de diffusion, de revisitation de grands textes
classiques, d’expérimentation théâtrale, fer de lance de la décentralisation théâtrale et du théâtrale. Mais on a
toujours les mêmes caractéristiques de la fréquentation des arts vivants ; le public est essentiellement un public
local et régional, les Franciliens représentant que 1/5 du public, l’élitisme social et culturel du public est d’autant
plus faible que l’origine géographique des spectateurs est proche d’Avignon.] Les pionniers du théâtre populaire ont
à l’esprit ont une conception du peuple comme le populus = cité unifiée, débarrassée des différenciations et des
hiérarchisations. Ce théâtre populaire n’est pas un théâtre pour les classes populaires mais un théâtre
d’abolition des distances sociales. Des mesures d’ordre pratique y sont installées : avancement de l’heure des
représentations, possibilité de dîner sur place, avant- premières réservées au grand public, système d’abonnement
populaire auprès des collectivités.  Décentralisation de l’offre. Les écarts constatés entre les pays européens
reflètent certes les différences de niveau de financement public du domaine des arts, mais ils traduisent aussi
des différences dans la conception des politiques mises en œuvre. Les pays où les taux de fréquentation sont les
plus élevés sont aussi ceux où la politique de démocratisation de la culture s’articule le plus avec la politique de
l’éducation comme les pays du Nord.
c) Le savant, le populaire, le public et le privé
Le domaine des arts du spectacle est un de ceux où la délimitation des frontières des arts savants et des
arts populaires, de la ‘’highbrow’’ et de la ‘’lowbrow culture’’ est la plus mouvante et la plus incertaine,
soumise à d’incessants mouvements de recomposition, qui traduisent avant tout les transformations morphologiques
du public des arts vivants. Di Maggio affirme que l’entrée d’un domaine artistique dans la sphère des arts savants
résulte à la fois de son affranchissement des contraintes de maximisation de l’audience imposées par le marché et
des liens tissés avec le monde universitaire, à travers l’institutionnalisation d’une autorité culturelle et d’une
expertise académique. Dans le monde contemporain, la particularité de la fréquentation des lieux de spectacle
vivant tient aussi très prosaïquement au fait qu’elle a lieu en public, dans un espace et en un temps déterminés, et
qu’elle combine activité culturelle et pratique de sociabilité, expérience artistique et activité mondaine. Pourtant
bien que les supports d’écoute de musique enregistrée se sont multipliés depuis 1980, la fréquentation des concerts
reste une pratique assez rare à cause notamment du prix élevé. De plus, la fréquentation de ces concerts répond
pour partie à des motivations qui n’interviennent pas dans l’écoute de la musique enregistrée à savoir les rituels de
la vie bourgeoise par exemple. Enfin certains types de musique appréciés à la radio ou au disque, éventuellement
C. Degano. HK3 _______________________________________________________________________ 2012-­‐2013 comme musique de fond, ne sont pas jugés dignes d’un déplacement à un concert, voire même que l’absence
d’articulation entre les deux types de pratiques peut signifier le refus d’assumer en public, au vu et au su de tous,
des habitudes culturelles et des orientations esthétiques reléguées dans la sphère privée.
En dépit d’une forte progression des dépenses et des pratiques culturelles, qui coïncide avec la massification
de l’enseignement secondaire et avec la priorité accordée par les politiques culturelles dans le but d’une
démocratisation, les tendances de long terme observées dans la distribution sociale des pratiques et des
préférences culturelles font ressortir un bilan limité : la diffusion des pratiques culturelles fait l’objet
d’évolutions contrastées, semblables dans les autres pays européens et en Amérique du Nord. L’emprise de
l’industrie de la culture de masse s’est sensiblement accrue, y compris dans les classes supérieures et chez les
diplômés de l’enseignement supérieur, du fait notamment de la progression des loisirs audiovisuels. Mais l’inégalité
d’accès à la culture savante n’a guère reculée. Des pratiques autrefois emblématiques de la culture savante font
l’objet d’une certaine désaffection, même chez les classes supérieures. Une part de ces transformations tient
aux conséquences de la massification scolaire ; à travers les transformations de la morphologie sociale du public de
l’école, elle rompt la relation implicite qui liait la culture familiale et amicale des ados à la culture savante. Par
ailleurs, le monde des arts et de la culture semble soumis à un processus de désinstitutionalisation qui se traduit
particulièrement par un décloisonnement entre cultures savante et populaire. Devant les désillusions de la
démocratisation et la défaillance relative des publics traditionnels, dans un contexte idéologique marqué par la
mise en cause de la légitimité et des finalités des politiques publiques de la culture, tour à tour dénoncées pour leur
inefficacité ou pour les risques de nivellement des valeurs dans l’illusion du ‘’tout culturel’’, les responsables de la
gestion des équipements culturels tendent à adopter le discours et les méthodes du marketing. Cette irruption du
marketing dans la sphère culturelle manifeste la concurrence de plus en plus directe de la fréquentation des arts
savants par les industries culturelles, désormais suffisamment diversifiées pour satisfaire des goûts et des
pratiques socialement différenciées et pour ne plus paraître s’opposer à la culture savante. Enfin si la question des
inégalités culturelles est plus difficile à interpréter que par le passé, du fait d’une fragmentation des
représentations, d’un certain éclatement du monde de la création artistique et d’une montée de l’éclectisme des
pratiques, cela ne signifie pas que le domaine culturel ait cessé d’être un enjeu des rapports sociaux.