Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l
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Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l
J Fr. Ophtalmol., 2002; 25, 3, 319-332 © Masson, Paris, 2002. REVUE GÉNÉRALE Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale F M C R. Gola, F. Cheynet, L. Guyot Service de Stomatologie, Chirurgie maxillo-faciale et Plastique de la face, CHU Nord, Chemin des Bourellys, 13915, Marseille Cedex 20. Correspondance : R. Gola, à l’adresse ci-dessus. Reçu le 9 octobre 2000. Accepté le 11 octobre 2001. Ophthalmic manifestations of nasal obstruction R. Gola, F. Cheynet, L. Guyot J Fr. Ophtalmol., 2002 ; 25, 3: 319-332 Ophthalmic manifestations of nasal obstruction can involve palpebral, orbital and ophthalmic disturbances. They can be the consequence of: – Direct contact with the nasal obstruction because the orbital cavity drains partly in to the nasal fossae: rings, lipoptosis, blepharochalasis, fat protrusions, aggravation of exophthalmy in Grave’s disease – Oral breathing: there are modifications in the shape of the palpebral fissure (round eye) by stretching of the facial mask and modifications of the orbital rims (sad eye) due to a lack of naso sinusal expansion, often associated with malocclusion – A biomechanichal correlation between the dental occlusion and the orbital area because of the presence of the maxillary sinus. Every occlusal disorder has an influence on projections of the supra-and infraorbital rims. Key-words: Nasal obstruction, eyelid, exophthalmia, lids. Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale Les manifestations ophtalmologiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale regroupent des anomalies des paupières et du regard. Elles peuvent être la conséquence : – de l’obstruction nasale proprement dite car la cavité orbitaire se draine en partie par les fosses nasales : cernes, lipoptose, blépharochalasis, protrusions graisseuses, apparition ou aggravation de l’exophtalmie dysthyroïdienne ; – de la ventilation orale (modifications de la forme de la fente palpébrale — « œil rond » — par étirement du masque facial et modifications du cadre orbitaire par défaut d’expansion naso-sinusienne et souvent trouble occlusal associé — « œil triste ») ; – de l’occlusion dentaire, biomécaniquement corrélée à la région orbitaire, du fait de la présence du sinus maxillaire. Tout trouble occlusal retentit sur la projection des rebords supra et infra orbitaires. INTRODUCTION L’obstruction nasale chronique est liée à des causes dysmorphiques et/ ou dysfonctionnelles. Elle s’accompagne généralement d’une ventilation orale intermittente diurne et permanente nocturne. Malgré leur extrême fréquence, les manifestations ophtalmologiques qui en résultent et qui se traduisent par des anomalies des paupières et/ou du regard, sont encore mal connues et interprétées souvent à tort comme des signes de vieillissement prématuré du visage. Les manifestations ophtalmologiques de l’obstruction nasale proprement dite doivent être distinguées des manifestations ophtalmologiques de la ventilation orale. Les conséquences des troubles occlusaux sur la région orbitaire sont également rapportées car la région orbitaire et l’occlusion dentaire sont biomécaniquement corrélées. Mots-clés : Obstruction nasale, paupières, exophtalmie. RAPPEL PHYSIOLOGIQUE DE LA VENTILATION NASALE L’auvent nasal et les fosses nasales remplissent de multiples fonctions : olfactive, ventilatoire, immunitaire et morphogénétique [1]. Dans la fonction ventilatoire, le conditionnement de l’air inspiré, c’est-à-dire la régulation des débits aériens, la filtration, l’humidification et le réchauffement de l’air se font grâce à un triple mécanisme narinaire, valvaire et septo-turbinal. Cette homéostasie © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 319 R. Gola et coll. ventilatoire, variable d’un individu à l’autre et chez le même individu d’une fosse nasale à l’autre et d’un moment à l’autre à cause du cycle nasal, passe inaperçue dans les conditions normales habituelles. Chez l’adulte, à l’inspiration, le flux aérien passe surtout en regard du cornet moyen par les espaces septo-turbinal et sinuso-turbinal (méat moyen), mais tout le nez est intéressé par le passage du flux aérien inspiratoire (fig. 1 et 2). Ces espaces, et davantage l’espace septoturbinal (1-3 mm) que l’espace sinuso-turbinal, naturellement étroit J. Fr. Ophtalmol. (0,5-1 mm), constituent la zone ventilatoire principale [2]. Les fonctions ventilatoires physiologiques du nez se doublent chez l’enfant d’une fonction morphogénétique mettant en jeu l’expansion volumétrique par le flux aérien. Le passage de l’air dans les fosses nasales participe au développement tridimensionnel des cavités narinaires, naso-sinusiennes et nasopharyngée pendant la croissance et à l’activation des muscles orificiels (fig. 3). En influant sur la morphogenèse des sinus périnasaux qui sont aussi péri orbitaires [3], la ven- tilation nasale influence la morphogenèse orbitaire. Tout trouble de la ventilation ou toute pathologie de la muqueuse nasale pendant les premières années de la vie s’accompagnera d’anomalies de la croissance nasosinusienne et dento-maxillaire (encombrement dentaire, dysmorphoses maxillo-mandibulaires) dont la gravité est fonction de la durée, de l’ampleur et de la date de survenue de l’obstruction : « l’adulte garde toute sa vie les stigmates de l’obstruction passagère de l’enfance » [4]. 320 1 2 3 Figure 1 : Trajet du flux aérien inspiratoire dans les fosses nasales (coupe parasagittale, vue ; médiale des fosses nasales). Figure 2 : Trajet du flux aérien inspiratoire dans les fosses nasales. La zone physiologique la plus importante, représentée ici par un cercle, est l’espace septo-turbinal moyen et l’espace sinuso-turbinal moyen (coupes frontales des fosses nasales). Figure 3 : Le flux aérien pénètre dans les sinus de la face à l’inspiration et à l’expiration et participe à l’expansion volumétriques des cavités naso-sinusiennes. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 Vol. 25, n° 3, 2002 Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale Figure 4 : Rapports veineux entre l’orbite et les fosses nasales (d’après King et Mabry [5]). Ainsi, le traitement qui rétablit la filière ventilatoire nasale doit être entrepris le plus tôt possible car les déformations difficilement réversibles se produisent dès les premières années de la vie. RAPPEL ANATOMIQUE DU DRAINAGE VEINEUX DE L’ORBITE Par leur vascularisation veineuse ou veino-lymphatique, la région orbitopalpébrale, la cavité orbitaire et les fosses nasales sont solidaires car l’orbite et les paupières se drainent en partie par la paroi latérale des fosses nasales. Toute obstruction nasale avec congestion muqueuse retentira inéluctablement sur la région orbitopalpébrale (fig. 4). La paroi latérale des fosses nasales est solidaire de la cavité orbitaire. Les veines de l’orbite, à travers les veines ethmoïdales, le plexus du canal lacrymo-nasal, les veines palpébrales et angulaires (qui se caractérisent par la réversibilité du courant sanguin), se drainent également dans les plexus veineux sphéno-palatins des fosses nasales et dans le plexus veineux ptérygoïdien de la fosse infra temporale. Toute congestion endonasale d’origine dysmorphique ou dysfonctionnelle (allergie, acrosyndrome) entraînera une stase veineuse de l’orbite favorisant les cernes [5] avec ou sans protrusions graisseuses. La participation des cornets inférieurs au drainage orbitaire est une justification supplémentaire de l’intérêt de turbinoplasties fonctionnelles limitées à la tête ou au bord inférieur du cornet (résection de la frange muqueuse). RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE DE L’OBSTRUCTION NASALE Dans les conditions normales et dès la naissance, la voie nasale est la seule voie ventilatoire physiologique. La voie orale n’est qu’une voie complémentaire ou de substitution en cas de besoins accrus de la ventilation (efforts,…) ou d’obstruction nasale. L’obstruction nasale chronique est liée à de multiples causes : dysmorphiques (collapsus narinaire ou valvaire, anomalies septo-turbinale…) et/ou © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 dysfonctionnelles (rhinopathie allergique, rhinopathie idiopathique, syndrome de Raynaud…). Les sites obstructifs potentiels des voies aériennes supérieures sont situés au niveau des fosses nasales, du nasopharynx et de l’oropharynx : – orifices narinaires (collapsus, atrésie…), – orifice piriforme (sténose congénitale ou acquise), – valve nasale (collapsus…), – espace septo-turbinal (septum, éperon, concha bullosa, cornet moyen inversé…), – choanes (queue du cornet inférieur, rétrécissement…), – nasopharynx (végétations adénoïdes…), – oropharynx (amygdales palatines…) (fig. 5 et 6). À côté de ces sites obstructifs ponctuels, il faut ajouter les fosses nasales étroites et les rhinopathies qui intéressent l’ensemble de l’organe nasal. Toute obstruction nasale a pour conséquence une augmentation des résistances nasales et le passage rapide à la ventilation orale, intermittente diurne et permanente nocturne. Un « nez » se juge la nuit et non le jour : en raison des modifications de la perméabilité nasale, liées à la congestion veineuse de décubitus, la ventilation nasale optimale est la ventilation exclusivement nasale, bouche fermée, pendant le sommeil. MANIFESTATIONS OPHTALMOLOGIQUES DE L’OBSTRUCTION NASALE Les manifestations ophtalmologiques de l’obstruction nasale regroupent des anomalies des paupières et du regard. Elles peuvent être la conséquence de l’obstruction nasale, de la ventilation orale ou encore de troubles occlusaux sur la région orbitaire. Les paupières flasques avec conjonctivite (floppy eyelid syndrome 321 R. Gola et coll. J. Fr. Ophtalmol. 5 6a 6b Figure 5 : Causes dysmorphiques de l’obstruction nasale. 1 : Eperon septal, 2 : Hypertrophie de la tête du cornet inférieur, 3 : Hypertrophie de la queue du cornet inférieur, 4 : Pneumatisation du cornet moyen (concha bullosa) (superposition des parois latérale et septale des fosses nasales). 322 Figure 6 : Causes dysmorphiques de l’obstruction nasale. 1 : Eperon septal, 2 : Hypertrophie de la tête du cornet inférieur, 3 : Hypertrophie de la queue du cornet inférieur, 4 : Pneumatisation du cornet moyen (concha bullosa), 5 : Inversion du cornet moyen (coupes frontales des fosses nasales). de Culbertson et Ostler, 1981) [6] qui se voient volontiers chez l’homme obèse et insuffisant respiratoire (avec syndrome d’apnées obstructives du sommeil ou S.A.O.S.) sortent du cadre de cette étude car leur mécanisme est encore mal élucidé et leur survenue est possible chez le sujet jeune non obèse. Conséquences de l’obstruction nasale Les conséquences de l’obstruction nasale se traduisent de différentes manières par des cernes, une lipoptose, un blépharochalasis, des protrusions graisseuses ou au contraire une enophtalmie, enfin par l’apparition ou l’aggravation de l’exophtalmie dysthyroïdienne. Cernes Les cernes (du latin circinus : cercle) toujours bilatéraux se présentent comme des cercles bleuâtres ou bistres, autour des yeux. Ils siègent plus volontiers à la partie déclive des paupières inférieures et soulignent généralement une accentuation du pli palpébro-jugal en particulier dans sa © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 partie médiale, là où le muscle orbiculaire est au contact du rebord infra-orbitaire et du septum orbitaire. Les cernes s’observent à tout âge. Chez l’adulte, ils donnent souvent au sujet qui en est affecté un aspect triste et fatigué, parfois vieilli prématurément. En fait c’est l’atrophie sénile de la peau, du tissu cellulaire sous-cutané et du septum orbitaire qui accentue le cerne. Si l’on exclut les cernes liés à une pigmentation cutanée localisée (par concentration mélanocytaire), ils sont le fait de désordres généraux (maladie, Vol. 25, n° 3, 2002 Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale a b c d 323 Figure 7 : Cernes chez une patiente rhinopathe. a : Aspects cliniques : Cernes et « œil triste » ; b : Occlusion dentaire : endomaxillie et absence d’incisives latérales ; c et d Aspects tomodensitométriques : concha bullosa bilatérale infectée, éperon septal droit et ethmoïdite (coupes coronales des fosses nasales). a b Figure 8 : Blépharochalasis et rhinopathie allergique. a : Réaction immédiate syndromique (poussée d’oedème orbito-palpébral responsable de blépharochalasis et de ptosis) au cours d’un test cutané ; b : Test cutané très positif. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 R. Gola et coll. dénutrition, déshydratation, anémie ferriprive ou chlorose…), ou de causes locales (gêne au retour veineux orbito-palpébral par la congestion endonasale liées la plupart du temps à une obstruction nasale chronique (rhinopathies allergique, rhinopathie idiopathique accompagnant souvent un acrosyndrome, syndrome d’hyperréactivité nasale par dysmorphie nasale ou septoturbinale) [1]. Sur le plan clinique, il convient de distinguer les cernes isolés sur paupières inférieures normales, des cernes avec enophtalmie ou avec protrusions graisseuses. J. Fr. Ophtalmol. Le contexte allergique est à rechercher par l’interrogatoire (prurit, anosmie, rhinorrhée, éternuement, obstruction nasale ou P.A.R.E.O [7]) et par l’examen. La ride transversale entre auvent nasal et auvent narinaire est consécutive au « salut allergique » (parfois remplacé par des grimaces), la pointe nasale arrondie, polie et mal définie est due à la trituration de l’auvent narinaire (prurit), l’irritation des seuils narinaires est consécutive à la rhinorrhée et à l’essuyage qui en résulte (rhinite). La suspicion d’allergie est à confirmer par bilan allergologique (tests cu- tanés complétés si nécessaire par le dosage des IgE spécifiques sériques). Le diagnostic d’allergie confirmé, une éviction soigneuse des allergènes est entreprise ainsi qu’un traitement symptomatique par antihistaminiques et corticothérapie ou antidégranulants locaux. La nécessité d’une désensibilisation est ensuite discutée. Ces manifestations nasales sont souvent associées à un eczéma, un asthme ou équivalent (toux spasmodique) ou encore à un contexte orbito-palpébral évocateur du terrain allergique : conjonctivite, longs cils sans que l’on puisse en expli- 324 a b c d Figure 9 : Aggravation de protrusions graisseuses après turbinectomie. Aspect clinique préopératoire : protrusions graisseuses plus importantes à gauche ; b : Aspect clinique postopératoire ; c et d : Aspects tomodensitométriques : turbinectomies inférieure totale et partielle moyenne gauches. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 Vol. 25, n° 3, 2002 Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale a b c d e 325 Figure 10 : Protrusions graisseuses et obstruction nasale. Traitement : rhinoplastie fonctionnelle et esthétique. a et b : Aspects pré et postopératoires : atténuation des poches palpébrales (vue de face) ; c et d : Aspects pré et postopératoires (vue de profil). ; e : Aspect tomodensitométrique : déviation septale antérieure droite, éperon septal gauche (coupe axiale des fosses nasales). quer la raison [8], plis palpébraux inférieurs concentriques et parallèles au bord libre [9], vraisemblablement par poussées d’œdème orbito-palpébral (fig. 7). Lipoptose juvénile La lipoptose juvénile se traduit par l’apparition chez le sujet jeune de protrusions graisseuses palpébrales sans excès cutané. Cette affection est généralement consécutive à des poussées d’œdème orbitaire par allergie isolée ou associée à une obstruction nasale chronique. Tous ces éléments doivent être pris en compte avant le traitement des protrusions graisseuses palpébra- les qui ne doit pas se limiter à leur correction chirurgicale par voie d’abord conjonctivale. Blépharochalasis Le blépharochalasis [10] se caractérise par la survenue, en général avant la puberté, de poussées d’œdème inflammatoire orbitopalpébral. Le mécanisme physiopathologique est encore mal connu : hérédité de type autosomique dominant [11], œdème angioneurotique [10], allergie. Cette dernière est responsable d’obstruction nasale qui aggrave les poussées d’œdème. À la longue, la répétition des poussées d’œdème abou- © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 tit à la dissociation des plans anatomiques et à l’altération des tissus de soutien palpébraux et souvent à une atrophie graisseuse (fig. 8). Le blépharochalasis typique associe : – une peau palpébrale fine, sèche et plissée. La région canthale latérale est souvent le siège d’une décoloration cutanée [12]. De petits vaisseaux, dilatés et augmentés en nombre, sont parfois visibles sous la peau. À la paupière supérieure, la peau perdant toute connexion avec le tarse, retombe en feston au-dessus des cils ; – un ptosis involutif uni ou bilatéral par élongation, déhiscence R. Gola et coll. J. Fr. Ophtalmol. a b c d 326 Figure 11 : Enophtalmie et obstruction nasale avec hyposmie. Traitement : rhinoplastie fonctionnelle et esthétique associée à une mentoplastie fonctionnelle. a et b : Aspects pré et postopératoires (vue de face) ; c et d : Aspects pré et postopératoires (vue de profil). Nette amélioration de la ventilation, disparition de l’hyposmie et modification du regard. ou désinsertion de l’aponévrose du muscle releveur ; – une ptose de la glande lacrymale, alourdissant la paupière supérieure latéralement ; – un rétrécissement de la fente palpébrale par distension des tendons palpébraux, essentiellement du tendon latéral donnant un canthus latéral arrondi et un regard scléral. Cet œil rond peut également traduire une ventilation orale nocturne par obstruction nasale concomitante ; – un relâchement du septum et du muscle orbiculaire avec apparition de protrusions graisseuses à la paupière inférieure. La fonte de la loge graisseuse médiale supérieure se traduit par une dépression et un pseudo repli cutané épicanthal [12, 13]. Protrusions graisseuses L’obstruction nasale et les poussées d’oedème orbitaire sont responsables d’exophtalmie et de protrusions graisseuses. La véritable « her- © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 nie » à travers un trou du septum existe, mais est exceptionnelle. Dans l’occlusion forcée des paupières, les protrusions graisseuses s’estompent, l’œdème et les « hernies » graisseuses persistent. La plus grande fréquence des « poches » chez l’homme que chez la femme (deux fois plus selon van den Bosch et coll.) [14] a peut-être son explication dans la plus grande fréquence des déviations septales et la plus forte intoxication tabagique chez l’homme que chez la femme. Vol. 25, n° 3, 2002 Les protrusions graisseuses sont d’abord antérieures au-dessus de l’arcus marginalis, puis inférieures lorsque l’arcus marginalis se laisse distendre (en particulier au niveau du recessus d’Eisler). La protrusion médiale apparaît avant la protrusion latérale et souligne la dépression orbito-nasale. À la différence de la lipoptose juvénile qui est liée le plus souvent à des poussées d’œdème orbitaire sans excès cutané, la lipoptose involutive de l’adulte associe les deux : relâchement du septum et du plan cutanéo-musculaire et excès de graisse plus ou moins œdémateux. L’implication du plan cutanéomusculaire dans le mécanisme de la lipoptose est facilement mise en évidence par des exemples clini- Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale ques : la lipoptose est accentuée dans la paralysie faciale, elle est diminuée dans le blépharospasme et dans certains épithéliomas des paupières inférieures avec rétraction cutanée, elle est réduite aussi lors de la contraction forcée du muscle orbiculaire. La protrusion graisseuse inférieure s’accompagne d’une migration rotatoire de la graisse autour du globe [15]. Cela se traduit généralement par une accentuation du creux sus-tarsal supérieur. Il suffit d’appuyer légèrement sur les protrusions graisseuses inférieures pour que le creux sus-tarsal supérieur se comble. On devine le danger qu’il y a à réséquer sans discernement la graisse orbitaire. Une résection graisseuse abusive médiale s’accompagne de l’accentua- tion de la dépression orbito-nasale et des cernes ; une résection graisseuse abusive plus large s’accompagne d’une enophtalmie globale, de cernes et de l’apparition de rides palpébrales, autant de signes d’un vieillissement prématuré, ce qui va à l’encontre du but recherché. Les turbinectomies inférieures totales, considérées aujourd’hui comme abusives, s’accompagnent de la persistance ou de l’aggravation des cernes et/ou des protrusions graisseuses par perturbation du drainage veineux de l’orbite (fig. 9). Enophtalmie À l’inverse, l’obstruction nasale peut s’accompagner d’enophtalmie (« œil creux »), comme si le 327 a b c d Figure 12 : Exophtalmie bilatérale symétrique. Obstruction nasale bilatérale. a : Aspect préopératoire, b : Aspect postopératoire (valgisation des malaires), c et d : Aspects tomodensitométriques : concha bullosa bilatérale (coupes axiale et coronale des fosses nasales). © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 R. Gola et coll. processus d’involution de la graisse intra-orbitaire était accéléré. Avant de pratiquer une blépharoplastie supérieure et/ou inférieure, un examen du nez et de la perméabilité nasale s’imposent. Une rhinoplastie à visée fonctionnelle et/ou esthétique peut être proposée pour atténuer des protrusions graisseuses (fig. 10) ou atténuer une enophtalmie (fig. 11). Si une blépharoplastie est réalisée conjointement à la rhinoplastie, des précautions particulières doivent être prises car l’obstruction nasale postopératoire peut être cause de saignement intra-orbitaire. Exophtalmie dysthyroïdienne L’obstruction nasale est probablement responsable de l’apparition et certainement de l’aggravation de l’exophtalmie dysthyroïdienne. Celle-ci se rencontre dans environ 30 % des maladies de Basedow et J. Fr. Ophtalmol. touche surtout la femme (2,5 femmes pour 1 homme). Elle peut précéder, accompagner, ou suivre la maladie [16]. Le tabagisme est un facteur provoquant ou aggravant [17, 18] probablement par l’obstruction nasale qu’il génère [19]. L’exophtalmie basedowienne est liée principalement à l’hypertrophie musculaire. Les muscles oculomoteurs sont atteints en premier, les changements de la graisse orbitaire sont secondaires et insignifiants. La graisse diminue de volume dans la plupart des cas, contrairement à une idée reçue [20]. Des formes œdémateuses peuvent modifier le tableau en aggravant l’exophtalmie. Ces formes sont généralement le fait d’obstructions nasales chroniques ou de rhinites passées inaperçues. Toujours bilatérales en tomodensitométrie, les formes cliniques à prédominance unilatérale sont liées à une différence de volume orbitaire et/ou à une rétraction palpébrale unilatérale ou asymétrique. Si l’obstruction nasale chronique bilatérale aggrave toutes les formes d’exophtalmie dysthyroïdienne (fig. 12), une obstruction unilatérale peut expliquer certaines formes asymétriques (fig. 13). Les exophtalmies qui surviennent sur des faciosténoses ou des hypoplasies maxillo-malaires par troubles occlusaux, eux-mêmes consécutifs à une obstruction nasale chronique, sont plus difficiles à traiter à cause de la rétrusion faciale. Dans ces formes sévères et symétriques, l’avancement du cadre orbitaire par ostéotomie type Le Fort III moins Le Fort I a été proposée [21]. Dans la plupart des cas, l’expansion orbitaire par valgisation 328 a b c d Figure 13 : Exophtalmie bilatérale asymétrique prédominant à droite. Obstruction nasale bilatérale prédominant à droite. a : Aspect préopératoire, b : Aspect postopératoire (valgisation des malaires), c : Aspect tomodensitométrique : exophtalmie plus importante à droite (coupe axiale des orbites), d : Aspect tomodensitométrique : éperon septal droit (coupe coronale des fosses nasales). © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 Vol. 25, n° 3, 2002 Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale Figure 14 : Modifications du masque peaucier facial et du squelette maxillofacial en cas de ventilation orale nocturne. L’étirement du masque facial est responsable de « l’œil rond », l’abaissement de l’orbite latérale est responsable de « l’œil triste ». malaire qui respecte la graisse orbitaire est l’opération de choix [2022]. Ainsi le contrôle de la ventilation nasale doit s’inscrire dans le bilan de toute dysthyroïdie, a fortiori en cas d’orbitopathie, et toute obstruction nasale dépistée doit être traitée. Mais ce traitement doit se faire indépendamment de celui de l’orbitopathie dysthyroïdienne car l’obstruction nasale postopératoire favorise les saignements et le risque d’hématome intra-orbitaire. Le recul du globe dépend non seulement de la qualité de l’expansion orbito-périostée, de la qualité des muscles oculomoteurs hypertrophiés ou non, de l’importance de l’hyperpression intra-orbitaire résiduelle mais aussi de l’existence ou non d’une rétrusion faciale et de la qualité de la ventilation nasale. 329 a b c Figure 15 : « œil rond ». a : Aspect clinique : pointe nasale molle par lyse septale antérieure ; b : Occlusion dentaire : endomaxillie et rétromaxillie, c : palais blanc par ventilation orale nocturne. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 R. Gola et coll. Conséquences de la ventilation orale La fente palpébrale et le regard dépendent du cadre orbitaire et du masque facial, l’œil ayant la particularité de ne pas se modifier avec l’âge, du moins la plupart du temps. Les modifications du cadre orbitaire par défaut d’expansion naso-sinusienne et la ventilation orale nocturne responsable de l’étirement du masque facial modifient la forme de la fente palpébrale. Les conséquences de la ventilation orale se traduisent par des modifications du regard et des paupières : « œil rond », « œil triste » ou « œil rond et triste ». « Œil rond » Lors de la ventilation orale intermittente diurne et permanente nocturne, les paupières inférieures sont « tractées » vers le bas par J. Fr. Ophtalmol. l’étirement du masque facial. Cette attraction palpébrale inférieure s’accompagne d’une inocclusion palpébrale nocturne : le « respirateur buccal » dort non seulement la bouche ouverte, mais aussi les yeux ouverts (fig. 14). Cela est surtout vrai chez l’enfant et l’adolescent. Chez le sujet âgé, du fait du relâchement des tissus, les paupières peuvent rester fermées. Il en résulte à la longue un « œil rond » avec regard scléral qui n’est pas un signe de vieillissement prématuré des paupières mais un signe de nez bouché (fig. 15). Exceptionnellement, cet « œil rond » s’accompagne d’un diastasis oculopalpébral avec désamorçage de la pompe lacrymale réalisant le syndrome idiopathique du centurion [23]. Trois conditions sont nécessaires à l’apparition de ce syndrome particulier mais non idiopa- Figure 17 : Piliers de la face (vue de face). thique : une insertion juxta ou supra-nasale du tendon palpébral médial, un nez proéminent soustension, enfin une ventilation orale nocturne. 330 a b c d Figure 16 : « œil triste ». a et b : Aspects cliniques : yeux tristes. Le respirateur buccal dort non seulement la bouche ouverte mais aussi les yeux ouverts ; c : Occlusion dentaire ; encombrement incisif maxillaire, décalage des points interincisifs médians ; d : Aspect tomodensitométrique : fosses nasales étroites, déviation septale droite, sinusite maxillaire droite (coupe coronale des fosses nasales). © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 Vol. 25, n° 3, 2002 Manifestations ophtalmiques orbito-palpébrales de l’obstruction nasale a b c d 331 Figure 18 : a et b : Aspects cliniques : sourcil gauche plus bas, œil directeur droit ; c : Aspect endobuccal : absence de canine maxillaire gauche ; d : Aspect radiographique : canine supérieure gauche incluse. Plus tard, cette inocclusion palpébrale nocturne peut aggraver une sécheresse oculaire ou une kératite inférieure, fréquente chez l’allergique (kératite ponctuée superficielle). « Œil triste » Cet aspect est lié à l’obliquité antimongoloïde des fentes palpébrales. Il est la conséquence de la position plus basse de l’orbite, elle-même consécutive à la position plus basse de l’os zygomatique qui soutient la pommette [24] (fig. 16). L’étage moyen de la face est, en effet, hypodéveloppé par défaut d’expansion naso-sinusienne et hyposollicité par atrophie des piliers osseux canins et malaires. Par ailleurs, l’éti- rement du masque facial au contact du squelette maxillo-facial, étirement non compensé par l’étalement de la masse linguale, contribue au défaut de développement transversal du maxillaire. Il en résulte une hypoplasie maxillo-malaire globale avec aplatissement des reliefs faciaux, réduction des dimensions transversales et effacement des pommettes [25, 26]. centrofacial, il faut évoquer un dysfonctionnement de l’appareil manducateur ou D.A.M. [27] ou un syndrome d’apnées obstructives du sommeil ou S.O.A.S. surajouté. Le rétablissement de la ventilation nasale chez le sujet jeune peut normaliser le regard. Chez le sujet âgé, associé à une blépharoplastie, il contribue grandement au rétablissement de l’éclat du regard [1]. « Œil rond et triste » La présence d’un « œil rond et triste » est fréquente et correspond à l’association des 2 étiopathogénies précédentes. Lorsque ce faciès particulier s’associe à un aspect anxieux et crispé du visage et/ou à un aspect figé © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 13/09/2015 CONSÉQUENCES DES TROUBLES OCCLUSAUX SUR LA RÉGION ORBITAIRE La région orbitaire et l’occlusion dentaire sont biomécaniquement R. Gola et coll. 332 corrélées. Cela s’explique par la morphogenèse des piliers osseux de la face. En effet, si à la mandibule l’os alvéolaire repose sur l’os dense du bord basilaire, il en va différemment au niveau du massif facial. Dans le prémaxillaire, l’os basal se concentre autour de l’orifice piriforme. Dans le maxillaire, l’os basal est séparé de l’os alvéolaire par le sinus maxillaire et se retrouve reporté plus haut au niveau de la région orbitaire. À ce niveau, l’os basal est divisé par la cavité orbitaire en deux entretoises superposées correspondant aux rebords infra et supra-orbitaires. Ces rebords sont ainsi directement corrélés aux dents et la base du crâne est l’équivalent biomécanique du bord basilaire mandibulaire (fig. 17). Tout trouble de l’occlusion dentaire avec absence de sollicitation des piliers de la face canins et/ou malaires (béance, édentement précoce) s’accompagne d’une rétrusion des rebords infra et supra-orbitaires. Le recul du rebord infra-orbitaire favorise l’apparition des protrusions graisseuses qui surviennent par définition chez des sujets au nez bouché et porteurs de dysmorphoses maxillo-mandibulaires. Le recul du rebord supra-orbitaire favorise la ptose fronto-sourcilière. Une simple canine incluse suffit à faire chuter le sourcil homolatéral. Du côté de l’œil dominant ou directeur, cette ptose fronto-sourcilière est compensée au début par la contraction réflexe du muscle frontal. Mais à la longue, l’os l’emporte toujours sur le muscle et le sourcil s’abaisse. Inversement, lorsque l’œil directeur est situé du côté opposé à la canine incluse, la ptose fronto-sourcilière est aggravée (pseudo ptosis) [28] (fig. 18). Les ostéotomies d’avancée du massif facial, de type Le Fort I ou de type intermédiaire maxillo-malaire, les valgisations du malaire par voie endobuccale, modifient le regard plus nettement lorsqu’elles sont associées au rétablissement de la ventilation nasale. J. Fr. Ophtalmol. CONCLUSION La région orbito-palpébrale, la cavité orbitaire et les fosses nasales sont solidaires par leur morphogenèse et leur vascularisation, surtout veineuse. L’orbite et les paupières se drainent en partie par la paroi latérale des fosses nasales. Toute obstruction nasale avec congestion muqueuse retentira inéluctablement sur la région orbito-palpébrale (cernes, lipoptose, blépharochalasis, protrusions graisseuses ou enophtalmie, apparition ou aggravation de l’exophtalmie dysthyroïdienne). La fente palpébrale et le regard dépendent du cadre orbitaire et du masque facial, l’œil ayant la particularité de ne pas se modifier avec l’âge, du moins la plupart du temps. Les modifications du cadre orbitaire par défaut d’expansion naso-sinusienne et la ventilation orale nocturne responsable de l’étirement du masque facial modifient la forme de la fente palpébrale (« œil rond », « œil triste »). Enfin, la région orbitaire et l’occlusion dentaire sont biomécaniquement corrélées. Tout trouble de l’occlusion avec absence ou hyposollicitation des piliers osseux de la face s’accompagne d’un recul des rebords infra et supra-orbitaires. RÉFÉRENCES 1. Gola R. La rhinoplastie fonctionnelle et esthétique. Springer-Verlag, Paris, 2000. 2. Flottes L, Clerc P, Riu R, Devilla F et Coll. La physiologie des sinus. Arnette, Paris, 1960. 3. Bonnet P. Les sinus péri-orbitaires. Ann Anat Pathol, 1932;9:23-36. 4. Worms G. L’insuffisance respiratoire nasale. Société Française d’Oto-rhinolaryngologie, Congrès, 1927;40:97-272. 5. King HC, Mabry RL. A Practical Guide to the Managment of Nasal and Sinus Disorders. Thieme, New York, 1993,25-58. 6. Culbertson WW, Ostler HB. 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