ACTE I Scène 1 Juste avant le lever du rideau, la maison est

Transcription

ACTE I Scène 1 Juste avant le lever du rideau, la maison est
ACTE I
Scène 1
Juste avant le lever du rideau, la maison est plongée dans le noir total, et l’on peut entendre l’air
de la comptine « Three Blind Mice »[1]. Lorsque le rideau se lève, la scène est toujours dans
l’obscurité complète.
La musique s’atténue pour faire place au même air, cette fois sifflé sur un ton aigu. Puis on entend
le cri perçant d’une femme, suivi de voix d’hommes et de femmes qui disent : « Mon Dieu, qu’est-ce
qu’il se passe ? » , « Il est parti par là ! », « Oh, mon Dieu ! » . Puis le bruit d’un sifflet de police
retentit, suivi de plusieurs autres, qui peu à peu se taisent .
VOIX DE LA RADIO - …. et d’après Scotland Yard*, le crime a eu lieu au 24 Culver Street,
Paddington.
La lumière apparaît, révélant la salle de Monkswell Manor. C’est la fin d’après-midi, il fait
presque sombre. On peut voir, à travers les fenêtres du fond, de la neige tomber lourdement au
dehors.
Le feu est allumé. Un panneau fraîchement peint est posé dans l’escalier. On peut y lire, en gros
caractères :
…La victime est une certaine Mrs Maureen Lyon. Au sujet de ce meurtre, la police recherche activement un
individu aperçu dans les parages, vêtu d’un pardessus sombre, d’une écharpe de couleur claire, et d’un
chapeau mou…
(Mollie Ralston franchit l’arche du fond, et entre en scène. C’est une jeune femme, grande et belle,
à l’air dégourdi. Elle a une vingtaine d’années. Tandis que la voix poursuit, elle pose son sac à
main et ses gants sur le grand fauteuil , puis traverse la pièce jusqu’à la radio. )
…On met en garde les automobilistes contre les risques de congères sur les routes. La neige doit
encore tomber abondamment, et les températures risquent de chuter à travers tout le pays, en
particulier sur les côtes nord et nord-est de l‟Ecosse...
( Mollie éteint la radio puis dépose un petit paquet dans l’armoire du bureau)
Mollie – (elle appelle) Mrs Barlow ! Mrs Barlow ! ( comme elle ne reçoit pas de réponse, elle
retourne au fauteuil , saisit son sac à main et un gant, puis sort par l’arche du fond. Elle ôte son
pardessus dans l’entrée et revient sur ses pas . ) Brr ! Quel froid . (Elle se dirige vers l’interrupteur
situé à droite de la porte, et allume les deux appliques qui entourent la cheminée. Elle se dirige
ensuite vers la fenêtre, tâte le radiateur et tire les rideaux. Elle revient vers la table de salon et
allume la lampe, jette un coup d’?il autour d’elle et aperçoit la grande enseigne peinte . Elle s’en
saisit et la pose sur le rebord de la fenêtre. Elle recule, en acquiesçant) C‟est vraiment réussi. –
Oh ! (elle s’aperçoit qu’il manque un « S » sur l’enseigne). Quel idiot, ce Giles ! (elle regarde tout
d’abord sa montre puis l’horloge) Mince alors !
(Elle disparaît précipitamment par l’escalier de gauche . Giles entre par la porte d’entrée située au
fond de la scène . C’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, assez attirant malgré son air
arrogant. Il tape des pieds pour faire tomber la neige, ouvre la commode en chêne située dans
l’entrée et y dépose le grand sac en papier qu’il transportait. Il enlève son pardessus, son chapeau
et son écharpe, entre dans la salle et les jette sur le grand fauteuil. Il se dirige ensuite vers la
cheminée pour se réchauffer les mains . )
Giles – (il appelle) Mollie ? Mollie ? Mollie, où es-tu ?
(Mollie entre par l’arche de gauche, descendant de l’étage)
Mollie – (gaiement) En train de m‟occuper de tout, espèce d‟animal. (elle s’approche de lui)
Giles – Ah ! Tu es là . Laisse-moi faire, je m‟en occupe . Faut-il remettre du bois dans le feu ?
Mollie – C‟est fait .
Giles – (en l’embrassant) Bonjour mon ange . T‟as le nez froid.
Mollie – Je viens juste d‟arriver . (elle va vers le feu)
Giles – Pourquoi ? Où étais-tu ? T‟es quand même pas sortie par ce temps ?
Mollie – J‟avais oublié de faire quelque chose au village . T‟as trouvé du grillage pour le
poulailler ?
Giles – Ça n‟allait pas . (il s’assoit sur l’accoudoir gauche du fauteuil ) Je suis allé à un autre dépôt
mais c‟était pareil. J‟ai presque perdu ma journée . Mon Dieu, je suis à moitié gelé. La voiture
glissait comme de rien. La neige tombe épais. Qu‟est-ce que tu paries qu‟on va être ensevelis sous la
neige demain ?
Mollie – Mon Dieu, j‟espère que non . ( elle va vers le radiateur pour le tâter) Si seulement les
tuyaux ne gèlent pas .
Giles – (se lève et va vers Mollie) On a intérêt à ne pas baisser le chauffage central. ( il tâte le
radiateur ) Hmm, pas terrible . J‟aurais bien aimé qu‟ils nous livrent du charbon. On n‟en a pas tant
que ça.
Mollie – ( elle se dirige vers le canapé et s’y assoit) Oh ! J‟aimerais tellement que tout soit parfait
dès leur arrivée . Les premières impressions sont si importantes .
Giles – ( il se tient à droite du canapé) Tout est prêt ? Personne n‟est encore arrivé, je suppose ?
Mollie – Non, Dieu merci . Je pense que tout est en ordre . Mrs Barlow a filé tôt . Sans doute à
cause de ce temps.
Giles – C‟est l‟inconvénient d‟employer des gens à la journée : finalement, il faut que tu t‟occupes
de tout .
Mollie – Qu‟on s‟occupe de tout : n‟oublie pas qu‟on est deux .
Giles – ( se dirigeant vers le feu ) Tant que tu ne me demandes pas de cuisiner .
Mollie – ( se lève ) Non, non. Ça, c‟est mon rayon. De toute façon, on a plein de boîtes de
conserves, si on est bloqués par la neige . (elle rejoint Giles ) Oh, Giles, tu crois que ça va bien se
passer ?
Giles – J‟ai froid aux pieds, pas toi ? Regretterais-tu de ne pas avoir vendu la maison quand tu en as
hérité de ta tante, plutôt que d‟avoir la folie d‟en faire une pension de famille ?
Mollie – Non, je ne regrette pas . Je l‟adore . En parlant de pension de famille, regarde un peu ça !
(elle désigne l’enseigne d’un air accusateur )
Giles – ( l’air satisfait ) Pas mal, qu‟est-ce que tu lui reproches ? ( il s’approche du panneau )
Mollie – Quelle catastrophe ! Tu ne vois rien ? Tu as oublié le « S » . Tu as écrit « Monkwell » au
lieu de « Monkswell [2]» !
Giles – Seigneur, c‟est vrai ! Comment j‟ai pu faire ça ? Mais ça n‟a pas une grande importance, si ?
Monkwell, c‟est pas mal comme nom.
Mollie – Tu me fais honte. (elle va jusqu’au bureau) Va plutôt monter le chauffage central .
Giles – Tu veux que je traverse la cour gelée ! Pouah ! Je le garnis maintenant pour la nuit ?
Mollie – Non, inutile de le faire avant dix ou onze heures.
Giles – Quelle horreur !
Mollie – Allez, dépêche-toi. Il peut en arriver d‟une minute à l‟autre .
Giles – Toutes les chambres sont prêtes ?
Mollie – Oui . (elle s’assoit au bureau pour y prendre un papier et inscrit ) Mrs Boyle, la chambre
au lit à colonnes . Le Major Metcalf, la chambre bleue . Miss Casewell, la chambre Est. Mr Wren,
la chambre en chêne.
Giles – (se dirigeant vers la table basse) Je me demande bien quelle tête peuvent avoir tous ces
gens . Tu ne crois pas qu‟on aurait dû leur demander de verser une avance ?
Mollie – Oh, non, je ne pense pas .
Giles – On risque de se faire avoir .
Mollie – Ecoute, ils ont des bagages. S‟ils ne paient pas, on les garde . C‟est simple .
Giles – On aurait dû prendre des cours par correspondance : « apprendre à tenir un hôtel en trois
leçons ». D‟une manière ou d‟une autre, on est sûrs de se faire avoir . En guise de bagages, ils
peuvent très bien se balader avec des valises remplies de briques et de journaux, et qu‟est-ce qu‟on
en ferait ?
Mollie – Ils ont tous d‟excellentes références.
Giles – Les domestiques aussi ont toujours d‟excellentes références. Il suffit de les trafiquer . Il
peut très bien y avoir des criminels en cavale parmi ces gens. ( il se dirige vers l’enseigne et s’en
saisit)
Mollie – Je me moque de ce qu‟ils sont, du moment qu‟ils nous paient sept guinées[3] chaque
semaine .
Giles – Tu es une femme d‟affaires formidable, Mollie.
( Giles sort par l‟arche du fond, en emportant le panneau . Mollie rallume la radio )
VOIX DE LA RADIO - … D’après Scotland Yard, le crime a eu lieu au 24 de Culver Street, à
Paddington. La victime est une certaine Maureen Lyon . Au sujet de ce meurtre, la police (Mollie se lève et
se dirige vers le grand fauteuil ) recherche activement un individu aperçu dans les parages, qui portait un
pardessus foncé , (Mollie prend le pardessus de Giles ) une écharpe claire (Mollie prend son
écharpe) et un chapeau mou (Mollie prend le chapeau et sort par l’arche du fond) On met en garde
les automobilistes contre les risques de congères. ( la sonnette de l’entrée retentit ) La neige doit encore
tomber abondamment, et à travers tout le pays…
(Mollie revient dans la pièce, va au bureau pour éteindre la radio puis sort précipitamment par
l’arche du fond)
Mollie – (en coulisses ) Comment allez-vous ?
Christopher – ( idem) Bien, merci.
(Christopher entre par l‟arche du fond , avec une valise qu‟il pose à droite de la grande table. Il a
l‟air d‟un jeune homme indiscipliné , et névrosé . Il porte de longs cheveux en bataille, et une
cravate au tissu fantaisiste . Il se comporte d‟une manière quasi enfantine . Mollie entre à sa suite
et se tient dans le fond de la pièce ) Quel sale temps ! Le taxi a refusé d‟aller plus loin que la grille
d‟entrée. ( il traverse la pièce pour déposer son chapeau sur la table basse ) Il n‟a pas voulu se
risquer davantage . Pas l‟instinct sportif. (il s‟approche de Mollie ) Vous devez être Mrs Ralston ?
Enchanté ! Je suis Wren.
Mollie – Comment allez-vous, Mr Wren ?
Christopher – Vous ne ressemblez pas du tout à l‟image que je m‟étais faite de vous . Je vous
imaginais plutôt comme la veuve d‟un ancien général de l‟Armée des Indes[4] . Je m‟attendais à
vous trouver lugubre et guindée, une vieille toupie vivant avec ses chats au milieu d‟une collection
de cuivres de Bénarès. En réalité, l‟endroit est tout simplement divin (il fait le tour de la table de
sofa, jetant un coup d‟?il circulaire ) vraiment divin. Bien proportionné . ( il désigne le bureau)
C‟est un faux ! ( désignant la table basse) Ah, mais ça, c‟est authentique. Je sens que je vais me
plaire ici . ( il déambule près du grand fauteuil ) Avez-vous des fleurs de cire sous globe, ou des
oiseaux de Paradis[5] ?
Mollie – J‟ai bien peur que non .
Christopher – Quel dommage ! Et un buffet, vous en avez un ? Un de ces vieux buffets couleur
prune en acajou, avec d‟énormes fruits sculptés sur les panneaux ?
Mollie - Oui, ça nous avons. Dans la salle à manger. (elle désigne du regard la porte de l‟avantscène droite)
Christopher – (suivant son regard) Là-dedans ? ( il se dirige vers la porte et l‟ouvre ) Il faut que je
voie ça.
(il sort de scène pour entrer dans salle à manger et Mollie le suit. Giles entre en scène par l‟arche
du fond, regarde autour de lui et aperçoit la valise . Comme il entend des voix provenant de la salle
à manger, il ressort )
Mollie – ( en coulisses) Venez vous réchauffer.
(elle entre, suivie de Christopher, et retourne se poster dans le fond de la pièce )
Christopher – (entrant) Parfait. C‟est tout à fait respectable. Mais pourquoi avoir supprimé la table
de milieu en acajou ? (il lance un regard en direction de la salle à manger) Ces petites guéridons
gâchent tout .
(Giles entre de nouveau, et se tient à gauche du fauteuil)
Mollie – Nous avons pensé que les pensionnaires préfèreraient cela . Voici mon mari.
Christopher – ( se dirige vers Giles et lui serre la main ) Ça va ? Terrible, ce temps, hein ? On se
croirait revenu au temps de Dickens[6] … on s‟attend à voir surgir Scrooge… ou l‟insupportable
Tiny Tim… et j‟en passe ! (il se tourne vers le feu) Bien sûr, Mrs Ralston, vous aviez entièrement
raison au sujet des guéridons. Je me suis laissé emporter par ma passion pour l‟authenticité. Il va
sans dire que si vous aviez gardé la traditionnelle table de milieu, il vous faudrait autour toute la
petite famille qui va avec : (il se tourne vers Giles) Un père élégant et sévère, portant la barbe, une
mère féconde sur le retour, leurs onze enfants d‟un peu tous les âges, la gouvernante acariâtre, plus
la « pauvre cousine Harriet » toujours dévouée, et tellement reconnaissante d‟être acceptée au sein
de la famille !
Giles – (il le hait manifestement) Je vais porter vos bagages à l‟étage. (il prend la valise, puis
s‟adressant à Mollie) La chambre en chêne, m‟as-tu dit ?
Mollie – Oui.
Christopher – J‟espère qu‟elle a un lit à colonnes ! Et des drapés parsemés de roses pompon !
Giles – Il n‟y en a pas .
(Giles sort de scène par les escaliers, emportant la valise)
Christopher – Je doute que votre mari me trouve sympathique. (il fait quelques pas vers Mollie)
Depuis quand êtes-vous mariés ? Vous êtes très amoureuse de lui ?
Mollie – (froidement) Nous ne sommes mariés que depuis un an . (elle se dirige vers l‟escalier)
Peut-être aimeriez-vous voir votre chambre ?
Christopher – Piquée ? ( il s‟approche d‟elle de nouveau) Mais j‟adore connaître la vie des gens.
Je veux dire, je trouve que les gens sont tellement intéressants. Pas vous ?
Mollie – Oui, enfin je suppose que certains sont intéressants (elle se tourne vers lui) …et d‟autres
pas.
Christopher – Je ne partage pas votre avis. Tout le monde est intéressant, on ne sait jamais
vraiment qui ils sont, ni à quoi ils pensent. Tenez, par exemple, devinez à quoi je suis en train de
penser ? (il sourit comme s‟il s‟agissait d‟une devinette)
Mollie – Je n‟en ai pas la moindre idée. ( elle va prendre une cigarette dans le paquet posé sur la
table de salon) Une cigarette ?
Christopher – Non merci. (il se tient à droite de Mollie) Les seules personnes qui connaissent le
vrai visage des gens sont les artistes, même s‟ils ignorent d‟où cela leur vient. Pour les peintres par
exemple, (il se rend vers le fond de la pièce) ça apparaît comme ça ( il s‟assoit sur le bras droit du
canapé), sur la toile.
Mollie – Seriez-vous peintre ? (elle allume sa cigarette)
Christopher – Non, je suis architecte. Mes parents m‟ont d‟ailleurs baptisé Christopher dans
l‟espoir que je devienne architecte[7] . Chistopher Wren ! (il rit) Un bon début dans la vie pour
devenir architecte ! En fait, bien évidemment, tout le monde se fiche de moi et on me charrie sur la
cathédrale Saint Paul[8] . Mais qui sait ? Rira bien qui rira le dernier . (Giles entre dans la pièce
par l‟arche de gauche, et traverse en direction de l‟arche du fond) Les clapiers à lapins préfabriqués
«Christopher Wren » entreront peut-être dans l‟Histoire ! (s‟adressant à Giles) Je vais me plaire ici.
Je trouve votre femme des plus sympathiques.
Giles – (glacial) Elle l‟est.
Chistopher – (il se tourne vers Mollie pour la regarder) Et vraiment très belle.
Mollie – Oh, ne soyez pas ridicule.
(Giles s‟appuie sur le dossier du grand fauteuil)
Christopher – Ah, ça c‟est bien les femmes anglaises ! Les compliments les mettent toujours dans
l‟embarras . Les femmes de toute l‟Europe trouvent cela tout à fait naturel, mais les femmes
anglaises mettent leur féminité entre parenthèses pour ne pas déplaire à leurs maris. (il se tourne
vers Giles et le toise) Les maris anglais sont vraiment des casse-pieds.
Mollie – ( d‟un ton brusque) Vous devriez monter voir votre chambre. (elle se dirige vers
l‟escalier)
Christopher – Vous croyez ?
Mollie – (à Giles) Peux-tu monter le thermostat du chauffe-eau ?
( Mollie et Christopher sortent par l‟escalier. Giles fronce les sourcils et sort par la porte de la salle à
manger. La cloche de la porte d‟entrée retentit. Le silence se fait puis la cloche retentit à plusieurs
reprises, traduisant une certaine impatience.
Giles apparaît à droite et se précipite vers la
porte d‟entrée. Pendant quelques secondes, on entend le bruit du vent et des rafales de neige.
Mrs Boyle – (en coulisses) Je suis bien à Monkswell Manor, je suppose ?
Giles – (idem) Oui …
(Mrs Boyle entre sur scène par l‟arche de droite, une valise à la main, tenant aussi ses gants et
quelques magazines. C‟est une grosse femme, imposante, qui semble en colère.)
Mrs Boyle – Je suis Mrs Boyle. (elle pose sa valise)
Giles – Giles Ralston. Venez près du feu, Mrs Boyle, et réchauffez-vous.
(Mrs Boyle se place près de la cheminée)
Quel temps horrible, n‟est-ce pas ? Est-ce votre seul bagage ?
Mrs Boyle – Le Major … Metcalf, c‟est ça ?, s‟en occupe .
Giles – Je vais lui laisser la porte ouverte . ( il retourne vers la porte d‟entrée)
Mrs Boyle – Le taxi ne voulait même pas s‟aventurer sur votre chemin. ( Giles revient et se tient à
gauche de Mrs Boyle) Il s‟est arrêté à la grille d‟entrée. On a dû se partager un taxi depuis la gare
… et même ça on a eu du mal à l‟obtenir. ( d‟un ton accusateur) Vous n‟avez pas donné
d‟instructions pour qu‟on vienne nous chercher à la gare, à ce qu‟il semble.
Giles – Non, je suis désolé. Nous ne savions pas par quel train vous arriveriez, voyez-vous, ….
sinon bien sûr, nous aurions veillé à ce que quelqu‟un… euh … vous attende à la gare.
Mrs Boyle – Vous auriez dû faire venir quelqu‟un à chaque train.
Giles – Donnez-moi votre manteau. (elle tend ses gants et magazines à Giles et reste devant la
cheminée pour se réchauffer les mains) Ma femme sera là dans une minute . Je vais juste donner un
petit coup de main au Major Metcalf pour les bagages. (il sort par la porte d‟entrée)
Mrs Boyle – (elle le suit jusqu‟à l‟arche) Vous auriez au moins pu déneiger l‟allée ! … (une fois
Giles sorti) Quelle négligence ! Quelle désinvolture ! (elle retourne près de la cheminée et jette un
coup d‟?il autour d‟elle d‟un ton désapprobateur. Mollie entre par l‟escalier de gauche, un peu
essoufflée de s‟être dépêchée)
Mollie – Je suis navrée, je …
Mrs Boyle – Mrs Ralston ?
Mollie – Oui. Je … ( elle se dirige vers Mrs Boyle, s‟apprête à lui tendre la main puis renonce, ne
sachant pas trop comment tenir son rôle de propriétaire de pension de famille. Mrs Boyle examine
Mollie attentivement et avec un déplaisir manifeste )
Mrs Boyle – Vous êtes bien jeune.
Mollie – Jeune ?
Mrs Boyle – Pour tenir un établissement de ce genre. Vous devez manquer d „expérience.
Mollie – (s‟éloignant d‟elle) Il faut bien un début à tout, n‟est-ce pas ?
Mrs Boyle – C‟est bien ce que je pensais, vous débutez. (elle jette un regard inquisiteur tout autour
d‟elle) C‟est une très vieille maison . J‟espère au moins que les boiseries ne sont pas vermoulues.
(elle renifle l‟air de manière suspicieuse)
Mollie – (indignée) Certainement pas !
Mrs Boyle – Beaucoup de gens ignorent ce genre de choses, et il est toujours trop tard lorsqu‟ils
s‟en rendent compte.
Mollie – La maison est parfaitement saine.
Mrs Boyle – Hmm … Ça pourrait passer … avec une bonne couche de peinture. Ce meuble en
chêne est attaqué par les vers, le savez-vous ?
Giles – (en coulisses) Par ici, Major .
(Giles et le Major Metcalf entrent par le fond. Le Major Metcalf est un homme d‟un certain âge,
carré d‟épaules, d‟aspect militaire, aux manières rudes. Giles entre dans la pièce, tandis que le
Major pose sa valise puis s‟avance vers Mollie, qui vient elle aussi à sa rencontre pour le saluer.)
Voici ma femme.
Major Metcalf – (serrant la main de Mollie ) Comment allez-vous ? C‟est une vraie tempête de
neige, dehors. Bien cru qu‟on n‟arriverait pas. (il aperçoit Mrs Boyle) Oh, excusez-moi (il enlève
son chapeau. Mrs Boyle sort par la porte de droite) Si ça continue comme ça, je parie qu‟on aura
bien cinq ou six pieds[9] de neige demain matin . (il se dirige vers la cheminée) Rien vu de pareil
depuis ma permission en 1940.
Giles – Je vais les porter à l‟étage . (il prend les valise ; puis, à Mollie) Quelles chambres m‟as-tu
dit ? La bleue et la rose ?
Mollie – Non, j‟ai finalement installé Mr Wren dans la chambre rose. Il aimait tellement le lit à
colonnes. Mrs Boyle prend donc la chambre en chêne, et le Major Metcalf la chambre bleue.
Giles – (d‟un ton autoritaire) Major ? (il se dirige ensuite vers l‟escalier)
Major Metcalf – (réagissant comme un soldat aux ordres) Monsieur !
(le Major Metcalf sort par l‟escalier à la suite de Giles. Mrs Boyle entre par la porte de droite et
vient se replacer devant la cheminée)
Mrs Boyle – Vous n‟avez pas trop de difficultés avec les domestiques ?
Mollie – Nous avons une habitante du village qui vient ici, et dont je n‟ai pas à me plaindre.
Mrs Boyle – Et le personnel de la maison ?
Mollie – Il n‟y a pas de personnel . Que nous . (elle se rapproche du grand fauteuil)
Mrs Boyle – Décidément . J‟avais cru comprendre qu‟il s‟agissait d‟une pension de famille bien
rôdée.
Mollie – Nous ne faisons que débuter.
Mrs Boyle – J‟aurais pensé que pour ouvrir un tel établissement, il fallait au moins avoir un
personnel convenable . Je trouve que votre publicité était trompeuse . Est-ce indiscret de vous
demander si je suis la seule pensionnaire… avec le Major Metcalf naturellement. C‟est bien ça ?
Mollie – Oh, non vous n‟êtes pas les seuls.
Mrs Boyle – Ce temps, aussi. Une tempête (elle se tourne vers le feu ) rien de moins . Quelle
série !
Mollie – On pouvait difficilement prévoir le temps qu‟il ferait, par dessus le marché ! (Christopher
Wren entre dans la pièce en descendant tranquillement l‟escalier , et vient se placer derrière Mollie)
Christopher – (il chante) « Le vent du Nord souffle
Et amène la neige
« The North Wind doth blow
And it will bring snow
Que fera le pauvre rouge-gorge ? » And what will the robin do then
Poor thing ? »
J‟adore les comptines, pas vous ? Elles sont toujours tragiques, et si macabres … c‟est pour ça
qu‟elles plaisent aux enfants .
Mollie – Puis-je vous présenter ? Mr Wren - Mrs Boyle.
(Christopher s‟incline devant elle )
Mrs Boyle – (d‟un ton glacial) Comment allez-vous ?
Christopher – C‟est une maison vraiment charmante . Vous ne trouvez pas ?
Mrs Boyle – Je suis à un âge où l‟on apprécie davantage le confort d‟une maison que son
apparence. (Christopher s‟éloigne par l‟arche du fond. Giles entre par l‟escalier de gauche et reste
un instant dans l‟encadrure de l‟arche.) Si j‟avais su que cette pension n‟était pas en parfait état de
marche, je ne serais pas venue. J‟avais cru comprendre qu‟elle était bien équipée et qu‟il y avait tout
le confort d‟une maison moderne .
Giles – Vous n‟êtes pas obligée de rester ici si vous n‟êtes pas satisfaite, Mrs Boyle .
Mrs Boyle – (se dirigeant vers le canapé) Non, vraiment, je ne pense pas devoir m‟en aller .
Giles – S‟il y a eu un malentendu, il serait peut-être préférable que vous alliez ailleurs. Je peux
appeler le taxi pour qu‟il vienne vous rechercher . Les routes ne sont pas encore coupées.
(Christopher revient dans la pièce et s‟assoit dans le fauteuil placé au centre) Nous avons eu tant de
demandes pour nos chambres que l‟on devrait pouvoir vous remplacer sans difficulté . En tout état
de cause, nos loyers augmentent le mois prochain.
Mrs Boyle – Il n‟est pas question que je parte avant d‟avoir fait un essai ici. Inutile de penser que
vous parviendrez à me faire partir. (Giles se dirige vers la porte du salon) Peut-être pouvez-vous me
conduire à ma chambre, Mrs Ralston ? (elle se dirige vers l‟escalier d‟un air souverain)
Mollie – Certainement, Mrs Boyle . (elle sort à la suite de Mrs Boyle, et en passant près de Giles,
lui glisse) Chéri, tu as été merveilleux…
Christopher – (il se lève, et avec l‟air d‟un gosse ) Je ne l‟aime pas du tout, cette bonne femme.
Elle est vraiment épouvantable. J‟aimerais bien que vous la mettiez à la porte, en pleine tempête .
C‟est tout ce qu‟elle mérite !
Giles – C‟est un plaisir auquel j‟ai bien peur de devoir renoncer. ( la sonnette de la porte d‟entrée
retentit) Seigneur, encore un ! ( Giles sort par le fond, puis on l‟entend parler en coulisses) Entrez,
entrez.
(Christopher s‟installe sur le canapé. Miss Casewell entre par l‟arche du fond. C‟est une jeune
femme d‟aspect masculin, elle tient une valise. Elle porte un long manteau sombre, une écharpe
claire, elle est tête nue. Giles entre à sa suite)
Miss Casewell – (d‟une voix profonde, presque masculine) J‟ai bien peur que ma voiture soit
bloquée un peu plus bas sur la route, à huit cent mètres d‟ici environ. J‟ai foncé dans une congère.
Giles – Donnez-moi votre valise ( il la lui prend et la pose au pied de la grande table) Avez-vous
d‟autres affaires dans votre voiture ?
Miss Casewell – ( elle se dirige vers la cheminée) Non, je voyage léger. (Giles vient se poster
derrière le fauteuil placé au centre) Ah , je suis contente de voir que vous avez fait un bon feu. ( elle
s‟assoit à demi sur le rebord de la cheminée, tout comme le ferait un homme )
Giles – Euh … Mr Wren. Miss …?
Miss Casewell – Casewell. (elle salue Christopher d‟un signe de la tête)
Giles – Ma femme va descendre dans une minute.
Miss Casewell – Ça ne presse pas . (elle ôte son manteau) Laissez-moi le temps de décongeler. On
dirait bien que l‟on va être complètement pris par la neige. (elle sort un journal, édition du soir, de la
poche de son manteau) La météo annonce de grosses chutes de neige. Ils mettent en garde les
automobilistes, etc .. J‟espère que vous avez prévu pas mal de provisions .
Giles – Oui. Ma femme est une excellente maîtresse de maison. De toute façon, on peut toujours
manger les poules, nous en avons .
Miss Casewell – Avant de nous manger entre nous, non ? (elle rit d‟une manière retentissante puis
lance son pardessus à Giles, qui le rattrape. Elle s‟assoit dans le fauteuil placé au centre)
Christopher – (il se lève du canapé et va se placer devant la cheminée) Quelles nouvelles dans
votre journal, à part la météo ?
Miss Casewell – La crise politique, comme toujours. Ah oui, et aussi un meurtre tout à fait
savoureux.
Christopher – Un meurtre ? (il se tourne vers Miss Casewell) J‟adore les meurtres !
Miss Casewell – (elle lui tend le journal) Ils ont l‟air de dire qu‟il s‟agit d‟un maniaque. Il a
étranglé une femme vers Paddington[10] . Maniaque sexuel, je suppose. (elle jette un ?il à Giles, qui
s‟éloigne vers la gauche de la pièce)
Christopher – Ils n‟en disent pas plus ? (il s‟assoit dans le petit fauteuil de droite et se met à lire )
« La police recherche activement un individu aperçu dans les parages de Culver Street aux alentours
de l‟heure du crime. Il serait de taille moyenne, portait un manteau assez sombre, une écharpe claire
et un chapeau mou. La police a diffusé des messages semblables à celui-ci tout au long de la journée
pour le retrouver. »
Miss Casewell – Description vraiment utile . Elle correspond assez bien à n‟importe qui, vous ne
trouvez pas ?
Christopher – Quand la police annonce qu‟elle recherche activement quelqu‟un, est-ce une façon
polie d‟insinuer qu‟il s‟agit du meurtrier ?
Miss Casewell – C‟est probable .
Giles – Qui est la victime ?
Christopher – Une certaine Mrs Lyon . Mrs Maureen Lyon.
Giles – Quel âge ?
Christopher – Ils ne le disent pas . Il n‟a pas l‟air de s‟agir d‟un cambriolage …
Miss Casewell – (à Giles) Je vous l‟ai dit : un maniaque sexuel.
(Mollie entre par l‟escalier et vient à la rencontre de Miss Casewell)
Giles – Je te présente Miss Casewell, Mollie . ( à Miss Casewell) Ma femme .
Miss Casewell – Ça va ? (elle serre la main de Mollie vigoureusement)
(Giles prend la valise de Miss Casewell)
Mollie – Quel temps épouvantable ! Peut-être voulez-vous monter dans votre chambre ? Il y a de
l‟eau chaude si vous désirez prendre un bain .
Miss Casewell – Oui, c‟est une bonne idée.
( Mollie et Miss Casewell sortent de scène par l‟escalier, suivies de Giles qui porte la valise. Resté
seul, Christopher se lève et examine la pièce . Il ouvre la porte de la bibliothèque, y jette un coup
d‟?il et sort de scène . Quelques instants après il réapparaît par l‟arche de gauche . Il traverse la
scène jusqu‟à l‟arche du fond et jette un coup d‟?il dans l‟entrée. Il chante l‟air de « Little Jack
Horner » et rit tout seul, donnant ainsi l‟impression d‟être un peu détraqué . Il se rend ensuite au
fond de la pièce, derrière la grande table . Giles et Mollie entrent, venant de l‟escalier, et
poursuivant une conversation. Christopher se dissimule derrière les rideaux du fond . Mollie vient
prendre appui sur le dos du fauteuil placé au centre, tandis que Giles se poste à droite de la grande
table )
Mollie – Il faut que je me dépêche de retourner à la cuisine pour finir de tout préparer. Le Major
Metcalf est vraiment sympathique . Il ne sera pas difficile à contenter. C‟est Mrs Boyle qui me fait
peur. On a intérêt à lui servir un bon dîner. Je pensais ouvrir deux boîtes de b?uf haché aux céréales,
et une boîte de petits pois, avec une purée de pommes de terre . Et on a aussi de la compote de
figues, et de la crème anglaise . Tu crois que ça ira ?
Giles – Oui, bien sûr . C‟est peut-être pas très original, mais bon …
Christopher – (il sort de derrière le rideau et vient se placer entre Giles et Mollie) Laissez-moi
vous aider . J‟adore cuisiner . Pourquoi pas une omelette ? Vous avez bien des ?ufs ?
Mollie – Oh, oui, ça, on en a plein. On élève pas mal de poules. Elles ne pondent peut-être pas aussi
bien qu‟elles le devraient, mais on n‟est pas privés d‟?ufs . ( Giles s‟éclipse par la gauche)
Christopher – Et si vous avez une bouteille de vin, même bon marché, on peut la mettre dans le
b?uf aux céréales. Ça donne un goût de gastronomie « à la française ». Montrez-moi la cuisine et
tout ce que vous avez, il se pourrait bien que j‟aie une inspiration divine .
Mollie – Venez. (ils sortent en direction de la cuisine, par l‟arche du fond. Giles fronce les
sourcils, lance quelques mots peu flatteurs à l‟endroit de Christopher et se dirige vers le petit
fauteuil de l‟avant-scène. Il y prend le journal et le lit pendant un certain temps avec intérêt.
Il sursaute lorsque Mollie s‟adresse à lui en rentrant dans la pièce)
Mollie – Il est adorable . (elle se place devant la table de salon) Il a mis un tablier et il est en train de
tout mélanger ensemble. Il m‟a dit de tout lui laisser faire et de ne pas revenir avant une demi-heure.
Si le pensionnaires se mettent à la cuisine, ça va nous éviter du boulot.
Giles – En quel honneur lui as-tu donné la meilleure chambre ?
Mollie – Je te l‟ai dit, il adorait le lit à colonnes.
Giles – Il aimait le joli petit lit à colonnes … Quelle andouille !
Mollie – Giles !
Giles – Ce genre de type ne me dit rien. ( puis d‟une manière bien sentie) puisque tu ne t‟es pas
occupée de sa valise, je m‟en suis chargé .
Mollie – Et alors ? Il y avait des briques dedans ? (elle va s‟asseoir dans le fauteuil placé au centre)
Giles – Elle n‟était pas lourde du tout . Si tu veux mon avis, il n‟y avait rien dedans . Il doit squatter
les pensions de famille à droite et à gauche, et truander les propriétaires.
Mollie – Ça m‟étonnerait. Moi, je l‟aime bien. (après un temps) Par contre, je trouve Miss
Casewell assez spéciale . Pas toi ?
Giles – C‟est une femme épouvantable – si on peut dire que c‟est un femme.
Mollie – On dirait bien que tous nos pensionnaires cultivent un genre spécial. Ils sont tous ou bien
étranges, ou carrément déplaisants. En tout cas , je trouve le Major Metcalf tout à fait bien. Et toi ?
Giles – Ça ne m‟étonnerait pas qu‟il boive !
Mollie – Oh, tu crois ?
Giles – Non, je plaisantais. Je me sens juste un peu déprimé. Bon, en tous cas , on ne peut pas avoir
pire : ils sont tous arrivés.
( la sonnette de la porte d‟entrée retentit)
Mollie – Qui ça peut bien être ?
Giles – Sans doute l‟assassin de Culver Street …
Mollie – (elle se lève) Ne dis pas ça, s‟il te plaît !
(Giles se dirige vers la porte d‟entrée, et Mollie vers la cheminée)
Giles – (en coulisses) Oh !
(Mr Paravicini entre en titubant par la porte du fond , il porte un petit sac. C‟est un étranger au teint
mat, d‟un certain âge, qui arbore une moustache flamboyante. C‟est une sorte d‟Hercule Poirot, en
légèrement plus grand, qui porte un gros pardessus doublé de fourrure. Il s‟appuie contre le mur de
l‟arche du fond et pose son sac à terre. Giles entre derrière lui.
Paravicini – Mille pardons. Je suis … mais où suis-je ?
Giles – Vous vous trouvez dans la pension de famille de Monkswell Manor.
Paravicini – Mais quel hasard prodigieux ! Madame … (il se dirige vers Mollie, lui prend la main
pour l‟embrasser. Giles s‟avance vers le fauteuil central) Mes v?ux ont été exaucés . Une pension
de famille … et une hôtesse charmante … Pour mon malheur, ma Rolls-Royce est entrée dans une
congère. Il y avait de la neige partout, et j‟ai été ébloui . Je ne savais même plus où j‟étais. J‟ai bien
cru que j‟allais mourir congelé . Alors j‟ai pris mon petit sac, j‟ai marché tant bien que mal dans
cette neige, quand j‟ai aperçu les grilles en fer de votre allée devant moi. Une habitation ! J‟étais
sauvé . Je suis tombé deux fois dans la neige en montant votre allée, mais je suis tout de même
parvenu jusqu‟ici, et en un instant ( il regarde autour de lui) mon désespoir a laissé place à la joie. (
changeant soudain d‟attitude) Vous avez une chambre à me proposer, j‟espère ?
Giles – Oui.
Mollie – Mais j‟ai bien peur qu‟elle soit plutôt petite.
Paravicini – Bien sûr, bien sûr… Je suppose que vous avez d‟autres pensionnaires…
Mollie – Nous n‟avons ouvert cette pension qu‟aujourd‟hui même, aussi sommes-nous assez
novices.
Paravicini – ( il regarde Mollie d‟un ?il coquin) Charmant, charmant …
Giles – Et vos bagages ?
Paravicini – Ça n‟a pas d‟importance. J‟ai bien fermé la voiture .
Giles – Il vaudrait mieux aller les chercher .
Paravicini – Non, non . (il se dirige vers Giles) Je peux vous assurer qu‟avec un tel temps, les
voleurs ne traînent pas dehors. Quant à moi, je n‟ai pas besoin de grand-chose. J‟ai tout ce qu‟il me
faut … là … dans ce petit sac . Oui, tout ce qu‟il me faut.
Mollie – Prenez le temps de vous réchauffer. (Paravicini s‟approche de la cheminée) Je vais
m‟occuper de votre chambre (elle s‟arrête près du fauteuil central) Ce n‟est pas non plus la chambre
la plus chaude, car elle donne sur le nord, mais toutes les autres sont occupées.
Paravicini – Vous avez donc plusieurs pensionnaires ?
Mollie – Nous avons Mrs Boyle et le Major Metcalf , Miss Casewell et un jeune homme du nom de
Christopher Wren, … et puis vous, à présent.
Paravicini – Et oui, l‟invité surprise, en somme. Celui qu‟on n‟attend pas, qui débarque de nulle
part, ou plutôt qui semble tout droit sorti de la tempête. Ça fait assez théâtral, vous ne trouvez pas ?
Qui suis-je ? Vous l‟ignorez . D‟où je viens ? Vous ne le savez pas davantage… Je suis le
pensionnaire mystérieux (il rit. Mollie rit aussi, et jette un ?il à Giles, qui sourit faiblement.
Paravicini, qui semble de très bonne humeur, hoche la tête en direction de Mollie) Mais écoutez
bien la suite … laissez-moi compléter le tableau : à partir de maintenant, il n‟y aura plus d‟autre
arrivée à Monkswell Manor. Et plus de départ. D‟ici demain, et peut-être même déjà à l‟heure qu‟il
est, nous serons coupés de la civilisation. Pas de boucher, pas de boulanger, pas de livraison de lait,
pas de facteur, pas de journal. Personne, … ni rien … sauf nous. C‟est épatant… épatant ! Ça ne
pouvait pas mieux tomber pour moi. Au fait, mon nom est Paravicini . (il va s‟installer dans le petit
fauteuil près de l‟avant-scène droit. Giles se rapproche de Mollie, et se tient à côté d‟elle)
Paravicini – Mr et Mrs Ralston … ? (il hoche la tête, comme Giles et Mollie acquiescent . Puis il
regarde autour de lui, se lève et s‟approche de Mollie) Et ici, m‟avez-vous dit, c‟est la pension de
famille de Monkswell Manor ? Bien ... La pension de famille de Monkswell Manor ! (il rit) Parfait .
(il rit de nouveau puis s‟approche de la cheminée. Mollie jette un coup d‟?il à Giles, puis tous deux
regardent Paravicini d‟un air gêné , et
LE RIDEAU TOMBE
Scène 2
Même décor, l’après-midi suivant. Lorsque le rideau se lève, la neige a cessé, mais
on aperçoit au dehors une grosse couche de neige entassée contre la fenêtre. Le
Major Metcalf est en train de lire sur le canapé, tandis que Mrs Boyle est installée
dans le grand fauteuil, devant la cheminée. Elle écrit dans un bloc-notes posé sur ses
genoux.
Mrs Boyle – Je trouve que c‟est très malhonnête de leur part de ne pas m‟avoir dit qu‟ils débutaient.
Major Metcalf – Bah, il faut un début à tout . Excellent petit déjeuner, ce matin. Bon café. ?ufs
brouillés, confiture d‟oranges maison. Et très bien servi, en plus . La petite dame fait tout ellemême.
Mrs Boyle – Des amateurs. Il devrait y avoir du personnel.
Major Metcalf – Excellent déjeuner, aussi .
Mrs Boyle – Du b?uf en conserve .
Major Metcalf – Mais très bien accommodé. Au vin rouge. Mrs Ralston a promis de nous faire une
tourte pour ce soir.
Mrs Boyle – (elle se lève et se dirige vers le radiateur) Les radiateurs ne sont pas très chauds . Il
faudra que je le signale.
Major Metcalf – Lits très confortables, en tous cas le mien. Le vôtre aussi, j‟espère .
Mrs Boyle – Ça pouvait aller. (elle retourne s’asseoir dans le grand fauteuil) Je ne vois pas bien
pourquoi ils ont donné la meilleure chambre à ce jeune homme vraiment très spécial.
Major Metcalf – Il est arrivé avant nous . Premier arrivé, premier servi.
Mrs Boyle – La publicité laissait entendre que la pension était tout à fait autre chose que ce qu‟elle
est en réalité . Il était censé y avoir un bureau confortable, et une pièce commune bien plus grande,
avec une table de bridge et d‟autres agréments.
Major Metcalf – Le confort rêvé pour un bon vieux matou ...
Mrs Boyle – Je vous demande pardon ?
Major Metcalf – Euh … je veux dire … oui, je vois ce que vous voulez dire…
( Christopher entre, sans être vu, par l’escalier de gauche)
Mrs Boyle – Non, vraiment, je ne ferai pas de vieux os ici …
Christopher – (il rit) Non … Non, vous n‟y ferez pas de vieux os !
gauche qui donne dans la bibliothèque)
(il sort par la porte de
Mrs Boyle – Il est vraiment très spécial . Ça ne m‟étonnerait pas que ce soit un déséquilibré mental.
Major Metcalf – Il doit sortir d‟un asile d‟aliénés.
Mrs Boyle – Je n‟en serais pas surprise. (Mollie entre par l‟arche du fond)
Mollie – (appelant Giles à l‟étage) Giles ?
Giles – (en coulisses) Oui ?
Mollie – Est-ce que tu peux dégager la porte de derrière ? Elle est de nouveau pleine de neige …
Giles – (en coulisses) J‟arrive . (Mollie ressort)
Major Metcalf – Je vais vous donner un coup de main, hein ? (il se lève du canapé et se dirige vers
la porte) C‟est un bon exercice . Il faut de l‟exercice.
(le Major Metcalf sort de scène . Giles entre par l‟arche de gauche, puis prend la même direction
que le Major. Mollie revient dans la pièce, avec un plumeau et un aspirateur. Elle traverse la scène
et monte à l‟étage. Elle se heurte à Miss Casewell, qui descendait l‟esaclier.)
Mollie – Désolée !
Miss Casewell – Ce n‟est rien . (Mollie sort . Miss Casewell avance lentement dans la pièce,
jusqu‟au centre de la scène)
Mrs Boyle – Vraiment ! Quelle jeune femme insensée ! Que connaît-elle aux tâches ménagères ?
Promener son balai plein de poussière à travers le salon ! Il n‟y a pas un escalier de service pour ça ?
Miss Casewell – (elle prend une cigarette dans son sac à main ) Si, il y en a un , et très beau. (elle se
dirige vers le feu) Il serait même très bien s‟il était chauffé. (elle allume sa cigarette)
Mrs Boyle – Pourquoi ne l‟utilisent-ils pas ? De toute façon, le ménage aurait dû être terminé avant
le déjeuner.
Miss Casewell – Je présume que notre hôtesse devait justement préparer le déjeuner.
Mrs Boyle – Ils font vraiment tout comme des amateurs, au petit bonheur la chance. Il devrait y
avoir du personnel.
Miss Casewell – Ça ne se trouve pas facilement de nos jours, non ?
Mrs Boyle – Non, ça, vraiment, la classe ouvrière n‟est pas consciente de ses responsabilités.
Miss Casewell – La pauvre classe ouvrière ! Elle ronge son frein, pas vrai ?
Mrs Boyle – (d‟un ton glacial) Dois-je comprendre que vous êtes socialiste ?
Miss Casewell – Non, je ne dirais pas ça . Pas vraiment une Rouge, disons plutôt rose pâle. (elle se
dirige vers le canapé et s‟assoit sur le bras gauche de celui-ci) Mais la politique ne m‟intéresse pas
vraiment . Je vis à l‟étranger.
Mrs Boyle – Je suppose que la vie est plus belle à l‟étranger…
Miss Casewell – Disons que je n‟ai pas à cuisiner, ni à faire le ménage. Contrairement à beaucoup
de gens dans ce pays, visiblement.
Mrs Boyle – Ce pays s‟est salement dégradé. Il n‟est plus ce qu‟il était. J‟ai fini par vendre ma
maison l‟an passé . Tout devenait trop difficile.
Miss Casewell – Il est plus facile de vivre dans des hôtels et des pensions de famille …
Mrs Boyle – Ça résout à coup sûr une partie du problème. Êtes-vous en Angleterre pour
longtemps ?
Miss Casewell – Tout dépend . J‟ai une affaire à régler. Quand ce sera fait, je repartirai.
Mrs Boyle – En France ?
Miss Casewell – Non .
Mrs Boyle – Italie ?
Miss Casewell – Non. (elle arbore un large sourire)
(Mrs Boyle la regarde d‟un air interrogateur, mais Miss Casewell ne répond pas. Mrs Boyle se met
alors à écrire dans son carnet. Miss Casewell la regarde et sourit, puis se rend près du poste de radio
qu‟elle allume, tout d‟abord doucement, puis elle augmente le volume)
Mrs Boyle – (dérangée dans son travail) Ça vous dérangerait d‟écouter ça moins fort ? Je ne
parviens pas à me concentrer quand la radio marche.
Miss Casewell – Vraiment ?
Mrs Boyle – Si vous n‟avez pas d‟émission particulière à écouter …
Miss Casewell – C‟est le programme musical que je préfère . Il y a un secrétaire par là (elle désigne
de la tête la porte de la bibliothèque)
Mrs Boyle – Je le sais. Mais il fait plus chaud ici.
Miss Casewell – Il fait plus chaud ici, je vous l‟accorde. (elle se met à danser sur la musique que
diffuse la radio)
(Mrs Boyle, après lui avoir jeté un regard furieux, se lève et sort par la porte de la bibliothèque.
Miss Casewell sourit, se dirige vers la table de salon, écrase sa cigarette. Elle se dirige ensuite vers
le fond de la scène, et prend un des magazines posés sur la table) Vieille garce . (elle va s‟asseoir
dans le grand fauteuil . Quelques instants plus tard, Christopher entre par la porte de la
bibliothèque, et se dirige vers la gauche de l‟avant-scène)
Christopher – Oh !
Miss Casewell – Salut .
Christopher – ( il fait des gestes en direction de la bibliothèque) Où que j‟aille, cette bonne femme
semble me pourchasser. Et quand elle me trouve, ses yeux me lancent des éclairs, de vrais éclairs.
Miss Casewell – (en désignant la radio) Baissez-la un peu . (Christopher baisse le son jusqu‟à ce
que le volume soit assez bas)
Christopher – Ça va comme ça ?
Miss Casewell – Oh oui ! J‟ai obtenu ce que je voulais .
Christopher – C‟est-à-dire ?
Miss Casewell – Question de tactique … (Christopher n‟a pas l‟air de saisir . Miss Casewell lui
indique la bibliothèque d‟un signe de la tête)
Christopher – Ah ! C‟était pour elle …
Miss Casewell – Elle avait piqué le meilleur fauteuil. C‟est moi qui l‟ai, maintenant.
Christopher – Vous l‟avez fait déguerpir. J‟en suis ravi. Vraiment ravi. Je ne l‟aime pas du tout. (il
se dirige vers Miss Casewell) Si on mettait au point quelques petits trucs pour l‟embêter ?
J‟aimerais bien qu‟elle quitte cette pension.
Miss Casewell – Avec ce temps ? Pas la moindre chance qu‟elle s‟en aille .
Christopher – Oui, mais quand la neige aura fondu …
Miss Casewell – Oh, quand le neige aura fondu, beaucoup de choses auront changé ...
Christopher – Oui … oui, c‟est vrai . (il se poste derrière la fenêtre) C‟est beau la neige, hein ? Si
apaisant, si pur … Ça fait tout oublier .
Miss Casewell – Ça ne me fait rien oublier du tout !
Christopher – Quelle agressivité !
Miss Casewell – C‟est seulement que … je pensais …
Christopher – À quoi ? (il s‟assoit sur la banquette de la fenêtre)
Miss Casewell – À de la glace sur l‟eau d‟un pot de chambre … à des engelures … à une plaie en
sang … à une couverture en lambeaux … à un enfant tremblant de froid et de peur .
Christopher – Brrr … c‟est vraiment macabre . C‟est quoi ? Un roman ?
Miss Casewell – Vous ne saviez pas que j‟étais écrivain ?
Christopher – Vraiment ? (il se lève de son siège et se dirige vers elle )
Miss Casewell – Désolée de vous décevoir . En fait, je ne suis pas écrivain . (elle relève le
magazine sur son visage . Christopher la regarde d‟un air hésitant, puis traverse la scène jusqu‟à la
radio qu‟il met très fort, et sort par la porte du salon. La sonnerie du téléphone retentit. Mollie
dévale les escaliers, le plumeau à la main, et se dirige vers le téléphone)
Mollie – (décrochant le combiné) Oui ? ( elle éteint la radio) Oui, c‟est bien la pension de famille
de Monkswell Manor … Comment ? … Non, j‟ai bien peur que Mr Ralston ne puisse pas vous
parler pour le moment . Mrs Ralston à l‟appareil . Qui … ? La police du Berkshire[11] … ? (Miss
Casewell abaisse son magazine) Oui, oui Superintendant[12] Hogben, mais je crains que ce soit
impossible. Il ne parviendra jamais jusqu‟ici. Nous sommes pris par la neige . Complètement pris
par la neige. Les routes sont impraticables …
(Miss Casewell se lève et se dirige vers les escaliers)
… Personne ne peut passer … Oui … Très bien … Mais que … Allô ? Allô ? … (elle repose le
combiné )
(Giles entre par la porte du fond. Il pose son pardessus et l‟accroche dans l‟entrée)
Giles – Mollie, sais-tu où je peux trouver une autre pelle ?
Mollie – (allant à sa rencontre) Giles, la police vient d‟appeler .
Miss Casewell – Des ennuis avec la police ? Vous vendez de l‟alcool sans autorisation ? (elle
sort de scène par les escaliers)
Mollie – Ils nous envoient un inspecteur , ou un sergent, ou je ne sais plus qui …
Giles – (il s‟approche d‟elle, à sa droite) Mais il n‟arrivera jamais jusqu‟ici !
Mollie – C‟est ce que je leur ai dit . Mais ils avaient l‟air de penser qu‟il y parviendrait .
Giles – C‟est stupide . Même une Jeep ne pourrait pas passer par ce temps . Et puis, de quoi s‟agitil ?
Mollie – C‟est ce que je leur ai demandé ! Mais il n‟a rien voulu me dire . Il m‟a juste dit de bien te
répéter que tu devais absolument écouter ce que le Sergent …Trotter, je crois, allait te dire , et que
tu devais suivre ses instructions sans discuter . C‟est dingue, non ?
Giles – (se dirigeant vers la cheminée) Qu‟est-ce qu‟on a bien pu faire de mal ?
Mollie – (elle se rapproche de Giles ) Tu crois que ça peut être à cause des bas nylon que j‟ai
ramenés de Gibraltar ?
Giles – J‟ai bien payé la redevance, pourtant . On a le papier, non ?
Mollie – Oui, il est dans le buffet de la cuisine .
Giles – J‟ai bien eu un léger accrochage l‟autre jour avec la voiture, mais c‟est l‟autre type qui était
en tort.
Mollie – On a pourtant bien dû faire quelque chose …
Giles – (se mettant à genoux pour placer une bûche dans la cheminée) Probablement un truc en
rapport avec la pension. Je sens qu‟on a dû oublier de payer une taxe d‟un ministère quelconque.
C‟est pratiquement impossible d‟y échapper, à l‟heure actuelle. (il se relève et se tient face à Mollie)
Mollie – Oh, mon chéri, on n‟aurait jamais dû ouvrir cette pension !
On va être bloqués par
la neige pendant des jours, en plus tout le monde se plaint, et on va sans doute épuiser toutes nos
réserves de conserves …
Giles – Courage, ma chérie. (il la prend dans ses bras) Tout va bien pour le moment. J‟ai rempli
tous les seaux à charbon, j‟ai rentré du bois, entretenu le feu et nourri les poules. Je vais aller
m‟occuper du chauffe-eau, et couper quelques fagots de plus. (il s‟éloigne) Tu sais, Mollie, (il se
dirige lentement vers la grande table) en y réfléchissant, ça doit être assez sérieux pour qu‟ils
envoient un sergent de police par ce temps . Ça doit être une affaire urgente…
(Giles et Mollie se regardent, embarrassés. Mrs Boyle entre par la porte de la bibliothèque)
Mrs Boyle – ( se dirige vers la gauche de la grande table) Ah, vous voila Mr Ralston. Êtes-vous au
courant que les radiateurs de la bibliothèque sont quasiment gelés ?
Giles – Désolé, Mrs Boyle . On est un peu à court de charbon et …
Mrs Boyle – Je vous paye sept guinées par semaine . Sept guinées, ce n‟est pas pour être gelée .
Giles – Je vais aller les monter. (Giles sort par l‟arche du fond, et Mollie lui emboîte le pas)
Mrs Boyle – Mrs Ralston, vous ne m‟en voudrez pas de vous le dire, mais le jeune homme qui
réside ici est vraiment … étrange . Ses manières... et ses cravates … et puis , cela lui arrive-t-il de se
peigner ?
Mollie – C‟est un jeune architecte extrêmement billant.
Mrs Boyle – Je vous demande pardon ?
Mollie – Christopher Wren est un architecte …
Mrs Boyle – Ma chère petite dame… j‟ai naturellement déjà entendu parler de Sir Christopher
Wren !
(elle se dirige vers la cheminée) Bien sûr que c‟était un architecte ! C‟est lui qui a bâti la cathédrale
Saint-Paul . Mais les jeunes pensent toujours tout savoir mieux que les autres...
Mollie – Non, je veux dire NOTRE Wren . Lui aussi s‟appelle Christopher . Ses parents lui ont
donné ce nom dans l‟espoir qu‟il devienne architecte . (elle s‟approche de la table de salon pour
prendre une cigarette dans son paquet) Et il est devenu architecte … ou presque . Finalement, ça a
l‟air d‟avoir marché.
Mrs Boyle – Pfff ! Ça m‟a l‟air d‟une histoire à dormir debout . (elle s‟assoit dans le grand fauteuil)
Je me renseignerais mieux à son sujet si j‟étais vous . Que savez-vous de lui ?
Mollie – À peu près autant que j‟en sais sur vous, Mrs Boyle. C‟est-à-dire que, l‟un comme l‟autre,
vous nous payez sept guinées par semaine . (elle allume sa cigarette) C‟est bien suffisant, non ? En
tout cas, le reste ne me regarde pas . Peu m‟importe si mes pensionnaires me plaisent, ( d‟un ton
significatif) ou s‟il ne me plaisent pas .
Mrs Boyle – Vous êtes jeune et inexpérimentée . Vous devriez écouter les conseils d‟une femme
d‟expérience … Et cet étranger ?
Mollie – Et bien ?
Mrs Boyle – Vous ne l‟attendiez pas, n‟est-ce pas ?
Mollie – Il est illégal de refuser l‟hospitalité à toute honnête personne, Mrs Boyle . Ce n‟est pas à
vous que je vais apprendre cela .
Mrs Boyle – Pourquoi dites-vous cela ?
Mollie – (revenant vers l‟avant-scène) N‟étiez-vous pas juge auprès des tribunaux , Mrs Boyle ?
Mrs Boyle – Tout ce que je dis, c‟est que ce Paravicini, ou je ne sais plus comment il prétend
s‟appeler, m‟a l‟air … (Paravicini entre sans bruit par l‟arche de gauche)
Paravicini – Prenez garde, chère madame . ( Mrs Boyle sursaute) Quand on parle du Diable … il
paraît . Ha, Ha !
Mrs Boyle – Je ne vous ai pas entendu venir . ( Mollie se place derrière la table de salon)
Paravicini – Je suis entré sur la pointe des pieds . Comme ceci … (il fait une démonstration, se
dirigeant vers l‟avant-scène) Personne ne m‟entend arriver si tel est mon désir . Je trouve cela
follement amusant .
Mrs Boyle – Vous trouvez ?
Paravicini – (il s‟assoit dans le grand fauteuil) Ça me rappelle une jeune fille …
Mrs Boyle – (elle se lève) Bon, il faut que j‟avance mon courrier . Je vais voir s‟il fait un peu
meilleur dans le salon . (Mrs Boyle s‟éclipse dans le salon, par la porte de gauche placée à l‟avantscène. Mollie l‟accompagne jusqu‟à la porte)
Paravicini – Ma charmante hôtesse semble bouleversée. De quoi s‟agit-il, chère madame ? (il la
regarde d‟un air coquin)
Mollie – Tout semble bien compliqué ce matin . C‟est à cause de la neige .
Paravicini – Oui. La neige complique les choses, n‟est-ce pas ? (il se lève) … Ou bien, elle les rend
beaucoup plus faciles ( il va jusqu‟à la grande table et s‟y assoit) Oui … très faciles .
Mollie – Je ne sais pas ce que vous voulez dire .
Paravicini – Il y a beaucoup de choses que vous ne savez pas . Je pense, par exemple, que vous
n‟en savez pas très long sur la manière de tenir une pension.
Mollie – (elle se poste à gauche de la table de salon et écrase sa cigarette) Je n‟ai pas honte de dire
que nous débutons . Mais nous comptons bien y arriver !
Paravicini – Bravo ! Bravo ! (il applaudit, puis se lève )
Mollie – Je ne suis pas si mauvaise cuisinière …
Paravicini – (il la regarde d‟un ?il toujours intéressé) Vous êtes sans discussion une cuisinière
formidable. (il vient se placer derrière la table de salon et prend la main de Mollie. Mollie repousse
sa main et se place devant le canapé) Puis-je vous donner un petit conseil, Mrs Ralston ? Ne vous
montrez pas trop confiants, vous et votre mari. Avez-vous pris des renseignements sur vos
pensionnaires ?
Mollie – Vous pensez que nous aurions dû ? (elle se tourne vers lui)
gens se … se contentaient de venir, un point c‟est tout .
J‟ai toujours cru que les
Paravicini – Il est toujours sage de connaître un tant soit peu les gens qui dorment sous le même
toit que vous . Tenez : moi, par exemple . Je débarque, en prétendant que ma voiture est prise dans
une congère. Que savez-vous de moi ? Rien du tout ! Je suis peut-être un voyou, ou un cambrioleur
, (il se rapproche lentement de Mollie) … ou un homme recherché par la police … ou un fou … ou
même , qui sait, un assassin !
Mollie – (elle recule) Oh !
Paravicini – Vous voyez ! Et je suis prêt à parier que vous en savez aussi peu sur vos autres
pensionnaires …
Mollie – En ce qui concerne Mrs Boyle … ( Mrs Boyle entre en scène, venant du salon . Mollie se
dirige vers le fond de la scène, derrière la grande table)
Mrs Boyle – Le salon est bien trop froid pour pouvoir y rester assise . Je vais devoir faire mon
courrier ici . (elle se dirige vers le grand fauteuil)
Paravicini – Laissez-moi attiser le feu . ( il s‟exécute. Le Major Metcalf entre , venant de l‟entrée)
Major Metcalf – (il s‟adresse à Mollie, avec une pudeur très « vieux-jeu » ) Mrs Ralston, votre
mari serait-il dans les parages ? … J‟ai bien peur que les tuyaux du … euh … des cabinets du bas
ne soient gelés .
Mollie – Mon Dieu ! Quelle journée affreuse ! Tout d‟abord la police, et maintenant les tuyaux …
(elle s‟apprête à sortir par l‟arche du fond )
( Paravicini laisse échapper le tisonnier avec un grand bruit, tandis que le Major Metcalf demeure
interdit, comme paralysé)
Mrs Boyle – ( effrayée) La police ?
Major Metcalf – ( d‟une voix forte, comme s‟il ne pouvait y croire) La police, avez-vous dit … ?
(il se poste à gauche de la grande table)
Mollie – Oui, ils ont appelé . À l‟instant. Pour dire qu‟ils nous envoyaient un sergent. (elle jette un
coup d‟?il sur la neige accumulée contre la fenêtre) Mais je doute qu‟ils parviennent jusqu‟ici .
(Giles entre par l‟arche du fond, un panier à la main )
Giles – Ce sacré charbon pèse plus qu‟un âne mort . Et il n‟est pas donné … et bien , que se passet-il ?
Major Metcalf – Nous venons d‟apprendre que la police allait venir ici. Peut-on savoir pour quelle
raison ?
Giles – Oh , ne vous en faites pas . Personne ne peut passer avec cette neige. Les congères doivent
bien faire cinq pieds[13] de haut . Les routes sont complètement prises par la neige. Personne ne
pourra parvenir jusqu‟ici aujourd‟hui. (il s‟approche de la cheminée pour poser son chargement)
Pardon, Mr Paravicini, je voudrais poser ça.
(Paravicini s‟éloigne de la cheminée. On entend alors trois coups secs frappés sur la fenêtre du
fond : un visage est collé à la vitre, qui cherche à voir à l‟intérieur de la pièce. Mollie laisse
échapper un cri et désigne la fenêtre du doigt .
Giles se dirige vers la fenêtre qu‟il ouvre toute grande, découvrant ainsi le Sergent Trotter qui est à
skis. C‟est un homme assez jeune, d‟allure banale mais assez engageante. Il a un léger accent
cockney[14].)
Trotter – Vous êtes Mr Ralston ?
Giles – Oui .
Trotter – Parfait . Sergent-détective Trotter, de la police du Berkshire. Où puis-je entreposer mes
skis ?
Giles – (désignant un point sur sa droite) Faites le tour par là jusqu‟à la porte d‟entrée. J‟arrive.
Trotter – Je vous remercie.
(Giles sort de scène par l‟arche du fond puis la porte d‟entrée, laissant la fenêtre grande ouverte)
Mrs Boyle – Voilà pourquoi on paye des impôts : pour que la police s‟amuse aux sports d‟hiver. Ça
aussi c‟est normal, à l‟heure actuelle, je suppose…
(Mollie se dirige vers la fenêtre)
Paravicini – (s‟avance vers la grande table, et lance à Mollie, d‟une voix basse mais agressive)
Pourquoi avez-vous appelé la police, Mrs Ralston ?
Mollie – Je ne l‟ai pas appelée . (elle ferme la fenêtre)
(Christopher revient du salon et reste à gauche, au niveau du canapé, tandis que Paravicini se place à
droite de la grande table)
Christopher – Qui c‟est ce type ? D‟où il sort ? Il est passé devant la fenêtre du salon à skis !Tout
est bloqué par la neige, et lui il fait de l‟exercice !
Mrs Boyle – Vous n‟allez peut-être pas le croire, mais c‟est un policier. Un policier, à skis !
(Giles et le Sergent Trotter entrent par le fond . Trotter a posé ses skis, et les tient à la main)
Giles – (il se tient à droite de la pièce) Euh … et bien voici le Sergent-détective Trotter .
Trotter – ( tout en se dirigeant vers le grand fauteuil) Bonsoir ...
Mrs Boyle – Vous êtes bien trop jeune pour être Sergent .
Trotter – Je ne suis pas aussi jeune que j‟en ai l‟air , Madame .
Christopher – En tous cas, vous êtes du genre sportif .
Giles – Allons ranger vos skis sous l‟escalier . ( Giles et le Sergent Trotter ressortent par où ils
étaient venus)
Major Metcalf – Excusez-moi, Mrs Ralston, mais puis-je utiliser votre téléphone ?
Mollie – Bien sûr, Major Metcalf .
( il se rend près du téléphone et compose un numéro)
Christopher – (il s‟assoit à l‟extrémité droite du canapé) Il est vraiment séduisant, vous ne trouvez
pas ? Tous les policiers sont séduisants .
Mrs Boyle – Pas très malin, ça se voit tout de suite .
Major Metcalf – (au téléphone) Allô … allô ?
marche pas . La ligne est coupée .
( à Mollie)
Mrs Ralston, votre téléphone ne
Mollie – Il marchait encore il y a une demi-heure .
Major Metcalf – La ligne a dû être coupée par le poids de la neige, sans doute .
Christopher – ( il rit de manière hystérique) Et bien voilà ! Nous sommes tout à fait coupés du
monde, cette fois ! Coupés du monde ! C‟est drôle, non ?
Major Metcalf – (il se dirige vers la gauche du canapé) Je ne vois vraiment pas ce qu‟il y a de
drôle .
Mrs Boyle – Moi non plus .
Christopher – C‟est une plaisanterie qui m‟amuse, en tous cas . Oups … le fin limier est de retour
…
( Trotter entre de nouveau en scène, venant de l‟entrée. Giles le suit . Trotter vient se placer au
centre de l‟avant-scène, tandis que Giles se place à gauche de la table de salon )
Trotter – (sortant son carnet) Venons-en tout de suite à ce qui m‟amène , Mr Ralston . Mrs
Ralston ?
( Mollie s‟approche du policier )
Giles – Souhaitez-vous nous voir en particulier ? ( il désigne la porte de la bibliothèque) Nous
pouvons aller dans la bibliothèque .
Trotter – (tournant le dos au public) Ce n‟est pas nécessaire, Monsieur . On gagnera du temps si
tout le monde est présent . Puis-je m‟asseoir à cette table ? ( il se rend à l‟extrémité droite de la
grande table, où se trouve déjà Paravicini)
Paravicini – Excusez-moi (il se déplace, fait le tour de la table par le fond de la pièce et vient se
poster à l‟autre extrémité de la table)
Trotter – Merci . ( il s‟installe, avec l‟air d‟un juge impartial, sur un siège faisant face au public)
Mollie – Oh, je vous en prie, dites-nous vite ce dont il s‟agit . (elle s‟approche de la table)
Qu‟avons-nous fait ?
Trotter – (surpris) Fait ? Oh, il ne s‟agit pas de ça, Mrs Ralston . Je suis là pour tout autre chose .
Il s‟agit plutôt d‟une mesure de protection policière, si vous voyez ce que je veux dire .
Mollie – De protection policière ?
Trotter – C‟est en rapport avec la mort de Mrs Lyon . Mrs Maureen Lyon, qui habitait au 24
Culver Street, à Londres, a été assassinée hier, le 15. Vous en avez peut-être entendu parler ?
Mollie – Oui, ils l‟ont annoncé à la radio . La femme qui a été étranglée ?
Trotter – C‟est cela, madame . ( à Giles ) La première chose que j‟aimerais savoir, c‟est si vous
connaissiez cette Mrs Lyon .
Giles – Jamais entendu parler . ( Mollie fait non de la tête)
Trotter – Peut-être l‟avez-vous connue sous une autre identité . Lyon n‟était pas son vrai nom .
Elle avait un casier judiciaire et ses empreintes digitales étaient répertoriées. On a donc eu aucun
mal à l‟identifier . Son véritable nom était Maureen Stanning . Son mari, John Stanning, était
agriculteur à la ferme de Longridge, pas très loin d‟ici .
Giles – La ferme de Longridge ! C‟est pas là qu‟il y a eu ces enfants … ?
Trotter – C‟est ça . L‟affaire de la ferme de Longridge .
(Miss Casewell entre, venant de l‟étage )
Miss Casewell – Trois enfants … (elle traverse la pièce pour aller s‟asseoir dans le fauteuil placé à
droite. Tous la regardent)
Trotter – Exactement, mademoiselle . Les Corrigans . Deux garçons et une fille . Ils souffraient
de maltraitance et devaient être protégés . Le tribunal les a placés dans cette ferme, chez Mr et Mrs
Stanning, à Longridge. Un des trois enfants est décédé peu de temps après, à la suite de
négligences criminelles et de mauvais traitements répétés. L‟affaire a fait grand bruit, à l‟époque .
Mollie – (très secouée ) C‟était horrible .
Trotter – Les Stanning ont été condamnés à une peine de prison ferme . Stanning est mort en
prison . Mrs Stanning a purgé sa peine, puis a été libérée . Hier, comme je vous l‟ai dit, on l‟a
retrouvée morte au 24 Culver Street, étranglée .
Mollie – Par qui ?
Trotter – J‟y arrive , Madame . On a retrouvé un carnet sur les lieux du crime . Il y avait deux
adresses dans ce carnet . La première indiquait le 24, Culver Street . L‟autre … ( il marque une
pause ) était celle de Monkswell Manor .
Giles – Quoi ?
Trotter – Oui, Monsieur . ( pendant la tirade suivante du Sergent Trotter , Paravicini se dirige
lentement vers l‟escalier puis se tient appuyé contre le mur de l‟arche) C‟est pourquoi le
Superintendant Hogben, lorsqu‟il a reçu ces informations de Scotland Yard, a jugé indispensable
que je vienne ici, pour vous demander si vous pouviez expliquer le rapport qu‟il y a entre cette
pension, ou ceux qui s‟y trouvent, et l‟affaire de Longridge Farm.
Giles – (il se déplace vers l‟extrémité gauche de la grande table) Il n‟y a rien, absolument rien. Ce
doit être une coïncidence .
Trotter – Ce n‟est pas ce que pense le Superintendant Hogben, Monsieur . ( le Major Metcalf se
tourne vers le Sergent Trotter. Il sort sa pipe et la bourre tandis que le Sergent poursuit ) Il serait
venu lui-même si cela avait été possible . Vu les conditions météo, et comme je sais skier, il m‟a
envoyé ici pour obtenir des indications précises, de votre part à tous . Je dois les lui communiquer
par téléphone. Par ailleurs il m‟a aussi chargé de prendre les mesures qui me sembleront
nécessaires, afin d‟assurer la sécurité de toute la maisonnée .
Giles – La sécurité ? Que craint-il qu‟il puisse nous arriver ? Bon Dieu, il ne pense tout de même
pas qu‟on va assassiner quelqu‟un ici ?
Trotter – Je ne veux effrayer personne … mais , honnêtement, c‟est son idée .
Giles – Mais … pourquoi ?
Trotter – C‟est ce que je dois découvrir .
Giles – Mais c‟est dingue cette histoire !
Trotter – Oui . Et c‟est justement parce que c‟est dingue que c‟est dangereux .
Mrs Boyle – Ça ne tient pas debout !
Miss Casewell – Je dois reconnaître que ça semble un peu tire par le cheveux .
Christopher – Je trouve ç merveilleux . ( il se tourne vers le Major Metcalf, qui allume sa pipe)
Mollie – Y‟a-t-il autre chose que vous ne nous ayez pas dit, Sergent ?
Trotter – Oui, Mrs Ralston . Au-dessous des deux adresses, il y avait une inscription : « Three
Blind Mice[15] » Et sur le corps de la victime, le meurtrier a laissé un mot : « voici la première »,
avec un dessin représentant trois souris et une portée de musique avec quelques notes . Ces notes
sont celles de la comptine enfantine « Three Blind Mice » Vous la connaissez sûrement. ( il se met à
chantonner ) « Three Blind Mice …
Mollie – ( elle chante à sa suite) … See how they run
They all ran after the farmer‟s wife … [16]
Oh, quelle horreur !
Giles – Il y avait trois enfants, et l‟un d‟entre eux est mort, c‟est bien ça ?
Trotter – Oui, le plus jeune, un garçon de onze ans .
Giles – Que sont devenus les deux autres ?
Trotter – Quelqu‟un a adopté la fille . On ne sait absolument pas dans quel coin elle vit à présent.
L‟aîné des garçons doit avoir environ trente-deux ans. Il a déserté l‟armée et on n‟a plus entendu
parler de lui depuis . D‟après le psychologue de l‟armée, il était très probablement schizophrène[17]
. ( il explique) Ça veut dire « un peu fêlé[18] ».
Mollie – Ils pensent que c‟est lui qui a tué Mrs Lyon … Mrs Stanning ? (elle vient se placer devant
le fauteuil central)
Trotter – Oui .
Mollie – Et qu‟il est un fou meurtrier ( elle s‟assoit) , qu‟il va venir ici pour essayer de tuer
quelqu‟un … mais pourquoi ?
Trotter – C‟est ce que je suis chargé de découvrir, avec votre aide . D‟après le Superintendant, il
doit exister un lien . ( à Giles ) Monsieur, vous affirmez qu‟en ce qui vous concerne, vous n‟avez
aucun lien avec l‟affaire de la ferme de Longridge ?
Giles – Aucun lien .
Trotter – Même chose en ce qui vous concerne, Madame ?
Mollie – (gênée) Je … non … je veux dire … aucun lien .
Trotter – Et le personnel ?
( Mrs Boyle manifeste sa désapprobation)
Mollie – Nous n‟avons pas de personnel . ( elle se lève et se rend vers l‟arche du fond) D‟ailleurs,
cela me rappelle que … Sergent Trotter, voyez-vus un inconvénient à ce que j‟aille à la cuisine ? Je
m‟y trouverai, au cas où vous auriez besoin de moi .
Trotter – Pas d‟objection, Mrs Ralston .(Mollie sort par le fond . Giles se dirige lui aussi vers
l‟arche, mais s‟arrête lorsque le Sergent Trotter reprend ) À présent, pourrais-je connaître vos noms
à tous, s‟il vous plaît ?
Mrs Boyle – Ça ne rime à rien. Nous n‟avons rien à voir avec cet endroit . Nous ne sommes que des
clients de cette pension . Nous sommes arrivés hier seulement .
Trotter – Mais vous avez tous prévu ce séjour depuis quelque temps déjà . Et vous avez réservé vos
chambres à l‟avance .
Mrs Boyle – Oui, bien sûr . Tous … sauf Monsieur … ( elle regarde Paravicini )
Paravicini – … Paravicini .
( il s‟avance vers la grande table ) Ma voiture est entrée dans une congère .
Trotter – Je vois . Mais le point où je veux en venir est le suivant : quelqu‟un qui vous aurait
espionnés aurait facilement pu savoir que vous alliez séjourner ici . Bon, il y a une seule chose
importante à savoir , mais il faut le savoir rapidement : lequel d‟entre vous a un rapport avec
l‟affaire de Longridge Farm ?
( silence de mort)
Votre attitude n‟est pas très raisonnable . L‟un d‟entre vous est en danger … en danger de mort. Il
me faut savoir qui c‟est .
( autre silence)
Très bien, je vais vous questionner à tour de rôle . (à Paravicini) Vous, pour commencer, puisque
vous semblez être arrivé ici plus ou moins par hasard, Monsieur Pari …
Paravicini – … Para . Paravicini . Mais, cher inspecteur, je ne sais rien, mais alors rien du tout, au
sujet de ce que vous nous avez raconté . Je suis étranger . J‟ignore tout des histoires qui se sont
déroulées dans ce coin, qui plus est il y a des années .
Trotter – ( il s‟approche de Mrs Boyle) Mrs … ?
Mrs Boyle – Boyle . Je ne comprends pas, vraiment je trouve insolent que … Pourquoi diable
devrais-je avoir quelque chose à voir avec une affaire si … si affligeante ?
( le Major Metcalf la regarde d‟un ?il sévère )
Trotter – (se tournant vers Miss Casewell) Miss … ?
Miss Casewell – ( prenant son temps) … Casewell . Leslie Casewell . Je n‟ai jamais entendu parler
de Longridge Farm, et j‟ignore tout de cette affaire .
Trotter – (se dirige vers la droite du canapé et s‟adresse au Major Metcalf) Vous, Monsieur … ?
Major Metcalf – … Metcalf. Major Metcalf . J‟ai lu l‟histoire dans la presse à l‟époque . J‟étais
en garnison à Edimbourg[19] à ce moment-là . Pas de lien personnel .
Trotter – ( à Christopher) Et vous ?
Christopher – Christopher Wren . Je n‟étais qu‟un enfant à l‟époque. Je ne me souviens même pas
en avoir entendu parler.
Trotter – (reprenant place derrière la table de salon) Et c‟est tout ce que vous avez à me dire ? Tous
autant que vous êtes ?
( silence)
(Trotter vient se placer au milieu de la pièce) Bien . Si l‟un d‟entre vous est assassiné, vous ne
pourrez vous en prendre qu‟à vous-même . A présent, Mr Ralston, serait-il possible que je jette un
?il à la maison ?
( Trotter et Giles sortent de scène par l‟arche du fond. Paravicini s‟installe sur la banquette de la
fenêtre)
Christopher – (se levant) Et bien, quel mélodrame ! Il est vraiment séduisant, vous ne trouvez
pas ? ( il se dirige vers la grande table) J‟ai une grande admiration pour les policiers. Si austères, si
durs à cuire . Ça fait frémir, toute cette affaire . Three Blind Mice ! C‟est comment l‟air, déjà ? ( il
chantonne l‟air de la comptine Three Blind Mice )
Mrs Boyle – Vraiment, Mr Wren !
Christopher – Vous n‟aimez pas ? ( il se place à gauche de Mrs Boyle ) C‟est comme un générique
d‟émission …mais avec la signature de l‟assassin ! Imaginez le plaisir qu‟il doit prendre à sa mise
en scène …
Mrs Boyle – Sottises ! Je ne crois pas un mot de cette histoire .
Christopher – ( s‟approchant d‟elle à pas feutrés) Patience, Mrs Boyle … Je me glisserai
doucement derrière vous, et vous y croirez quand vous sentirez mes mains se serrer autour de votre
cou .
Mrs Boyle – Arrêtez ! … (elle se lève)
Major Metcalf – Ça suffit, Christopher . C‟est une plaisanterie de très mauvais goût . D‟ailleurs
cette histoire n‟a rien d‟une plaisanterie .
Christopher – Oh mais si ! (il se place derrière le fauteuil du centre) C‟est exactement ça . Une
immense blague faite par un fou . C‟est justement ça qui la rend délicieusement macabre . (il se
dirige vers l‟arche du fond, se retourne, jette un coup d‟?il circulaire sur les pensionnaires et rit
bêtement ) Si vous pouviez voir vos têtes ! (il sort par le fond)
Mrs Boyle –( elle se rend vers l‟arche du fond) Ce garçon est particulièrement mal élevé ! Et
névrosé .
( Mollie fait son entrée, venant de la salle à manger, par la porte située à l‟avant-scène droite . Elle
reste sur le seuil de la porte ) Où est Giles ?
Miss Casewell – Il fait une petite visite guidée de la maison à notre policier .
Mrs Boyle – (retournant au fauteuil) Votre ami, l‟architecte, vient de se conduire d‟une manière
tout à fait anormale .
Major Metcalf – Les jeunes sont fragiles des nerfs, à l‟heure actuelle . Je suppose que ça lui
passera en vieillissant .
Mrs Boyle – (elle s‟assoit) Fragiles des nerfs ? Ça me rend dingue tous ces gens qui prétendent
qu‟ils sont fragiles des nerfs ! Est-ce que je suis nerveuse, moi ?
(Miss Casewell se lève et se dirige vers l‟escalier)
Major Metcalf – Ça vaut sans doute mieux pour vous, Mrs Boyle, que vous ne soyez pas anxieuse .
Mrs Boyle – Qu‟insinuez-vous ?
Major Metcalf – (il se rend près du fauteuil central) À vrai dire, je crois que vous faisiez partie des
magistrats qui siégeaient à ce tribunal, à l‟époque . De fait, vous avez votre part de responsabilité,
dans cette affaire, puisque vous avez envoyé ces trois enfants à Longridge Farm .
Mrs Boyle – Vraiment, Major Metcalf, on peut difficilement me tenir pour responsable de cette
histoire . Les services sociaux nous avaient transmis le dossier des Stanning . Ils avaient l‟air tout à
fait comme il faut, et ils tenaient absolument à accueillir ces enfants . Tout semblait pour le mieux :
les petits allaient vivre sainement au grand air, nourris d‟?ufs et de lait frais …
Major Metcalf – … Coups, brimades, privations… bref un couple parfaitement haineux et violent
.
Mrs Boyle – Mais comment aurais-je pu le savoir ? Tout le monde parlait d‟eux en termes très
élogieux …
Mollie – C‟est bien ça, je ne m‟étais pas trompée. (elle se rend vers le fond de la pièce et regarde
Mrs Boyle fixement) C‟était bien vous …
( le Major Metcalf jette un ?il sévère à Mollie )
Mrs Boyle – On essaie de faire son devoir, et voilà ce qu‟on récolte : des insultes !
( Paravicini rit de bon c?ur)
Paravicini – Veuillez m‟excuser, mais je trouve cela vraiment distrayant. Je m‟amuse beaucoup
.
( riant toujours, il sort par la porte de gauche qui donne sur le salon. Mollie, elle, se déplace
jusqu‟au canapé)
Mrs Boyle – Cet homme m‟a toujours déplu !
Miss Casewell – ( elle se déplace vers l‟extrémité de la table de salon) Il est sorti d‟où, hier soir ?
(elle prend une cigarette dans son paquet)
Mollie – Je l‟ignore .
Miss Casewell – Il me fait l‟effet d‟un trafiquant . Il se maquille . De la poudre et du fond de
teint ! C‟est répugnant ! Il doit pourtant être assez âgé . (elle allume sa cigarette)
Mollie – Et pourtant il sautille comme un jeune premier .
Major Metcalf – Il va falloir du bois . Je vais en chercher . (il sort par le fond)
Mollie – Il n‟est que 16 heures, et pourtant il fait presque nuit . Je vais allumer la lumière . (elle se
rend près de la porte de la salle à manger et allume les appliques qui encadrent la cheminée ) Ah,
on y voit mieux …
(il y a un moment de silence. Mrs Boyle, mal à l‟aise, jette un coup d‟?il à Mollie puis à Miss
Casewell, qui toutes deux l‟observent)
Mrs Boyle – (rassemblant ses papiers) Bon, où est-ce que j‟ai mis mon stylo ? (elle se lève et
traverse la pièce, puis sort par la porte de la bibliothèque. Nouveau silence, pendant lequel on
entend le piano du salon . Quelqu‟un joue l‟air de Three Blind Mice, sur un doigt )
Mollie – ( en se rendant vers la fenêtre pour fermer les rideaux) Cette petite musique est vraiment
affreuse !
Miss Casewell – Vous n‟aimez pas ? Ça vous rappelle peut-être votre enfance ? … une enfance
malheureuse ?
Mollie – J‟ai eu une enfance tout à fait heureuse . (elle s‟approche de la table)
Miss Casewell – Vous avez eu de la chance .
Mollie – Ce n‟est pas votre cas ?
Miss Casewell – (elle s‟approche de la cheminée) Non .
Mollie – Je suis désolée .
Miss Casewell – Mais tout cela est vieux . On s‟en remet…
Mollie – Je suppose que oui .
Miss Casewell – … ou on ne s‟en remet pas, difficile à dire .
Molie – On dit que ce qu‟on vit au cours de notre enfance détermine toute notre vie .
Miss Casewell – On le dit , on le dit ... mais qui le dit ?
Mollie – Les psychologues .
Miss Casewell – Tous des charlatans ! Un beau tas de sottises . Les psychologues et les psychiatres
ne me disent rien qui vaille .
Mollie – ( elle vient se placer devant le canapé) En fait, je n‟ai jamais vraiment eu affaire à eux .
Miss Casewell – Vous avez eu de la chance . Tout ça c‟est des bêtises . Votre vie dépend de ce que
vous en faites, un point c‟est tout . Il faut aller de l‟avant, ne jamais regarder en arrière .
Mollie – On ne peut pas toujours s‟en empêcher .
Miss Casewell – Balivernes ! C‟est une question de volonté .
Mollie – Peut-être .
Miss Casewell – (avec force ) Je le sais ! (elle se déplace vers l‟avant-scène)
Mollie – Vous avez sans doute raison … (elle soupire) Mais parfois certaines choses arrivent, et
elles vous rappellent le passé …
Miss Casewell – Il ne faut pas s‟en occuper ! Il faut leur tourner le dos
Mollie – Est-ce une bonne chose à faire ? Je me le demande … C‟est peut-être pire . Il vaut peutêtre mieux les affronter .
Miss Casewell – Tout dépend de quoi vous parlez .
Mollie – (avec un petit rire) Parfois, je ne sais pas trop de quoi je veux parler . (elle s‟assoit sur le
canapé)
Miss Casewell – (elle s‟avance vers Mollie) Aucun événement de mon passé ne m‟affectera jamais
. Sauf si je le souhaite .
( Giles et Trotter redescendent par l‟escalier)
Trotter – Bon, rien de particulier là-haut . (il aperçoit la porte de la salle à manger restée ouverte,
traverse la pièce et sort par cette porte. Il réapparaît quelques instants plus tard par l‟arche du fond.
Miss Casewell sort elle aussi par la porte de la salle à manger, laissant la porte ouverte. Mollie se
lève et fait un peu de rangement. Elle arrange les coussins, puis se rend près des rideaux. Giles la
rejoint . Trotter se rend à l‟avant-scène gauche, et ouvre la porte qui donne sur le salon) C‟est quoi,
là ? Le salon ? ( la porte ouverte, on entend plus distinctement le piano. Trotter disparaît dans le
salon dont il referme la porte. Il réapparaît bientôt à la porte de la bibliothèque )
Mrs Boyle – (en coulisses) Vous voulez bien fermer cette porte ? Cette maison est pleine de
courants d‟air .
Trotter – Désolé, Madame, mais je dois connaître la configuration des lieux .
(Trotter referme la porte puis disparaît dans l‟escalier. Mollie se place au centre, devant le fauteuil)
Giles – (qui la rejoint) Mollie, qu‟est-ce que … ?
(Trotter réapparaît au bas de l‟escalier)
Trotter – Bien, j‟ai fait le tour . Rien de suspect . Je crois que je vais faire mon rapport au
Superintendant Hogben dès maintenant. (il se dirige vers le téléphone)
Mollie – (elle se rend à l‟extrémité gauche de la grande table) Mais vous ne pouvez pas téléphoner !
La ligne est coupée …
Trotter – (il fait volte-face) Quoi ? (il prend le combiné) Depuis quand ?
Mollie – Le Major Metcalf s‟en est rendu compte en voulant passer un coup de fil juste après votre
arrivée .
Trotter – Mais il marchait à peine un peu plus tôt ! Le Superintendant vous a joints sans problème
.
Mollie – Oui. Je suppose que depuis, la neige a dû affaisser les lignes téléphoniques .
Trotter – Je me le demande . On peut très bien l‟avoir coupé . ( il repose le combiné et se
retourne vers Giles et Mollie)
Giles – Coupé ? Mais qui pourrait l‟avoir coupé ?
Trotter – Mr Ralston … En savez-vous long sur les gens qui séjournent dans votre pension ?
Giles – Je … nous … nous ne savons rien d‟eux .
Trotter – Ah ! (il se rend devant la table de salon)
Giles – ( se rapproche de Trotter) Mrs Boyle nous a contactés depuis un hôtel de Bournemouth[20]
. Le Major Metcalf depuis … d‟où c‟était déjà ?
Mollie – Leamington[21] . (elle aussi se rapproche)
Giles – Wren nous a écrit d‟Hampstead[22], et Miss Casewell d‟un hôtel particulier de
Kensington[23] . Paravicini, comme vous nous l‟avons dit, est arrivé à l‟improviste hier soir . Pour
autant, je suppose qu‟ils ont tous des papiers d‟identité, ou des cartes de rationnement, ou ce genre
de choses.
Trotter – J‟examinerai tout cela en détail, évidemment. Mais il ne faut pas accorder trop de crédit à
ce genre de documents .
Mollie – En tout cas si ce … ce maniaque avait l‟intention de venir ici pour nous tuer, ou du moins
tuer l‟un d‟entre nous, on peut être tranquilles maintenant . Avec cette neige, personne ne pourra
parvenir jusqu‟ici avant que ça fonde .
Trotter – À moins que l‟assassin ne soit déjà dans la maison .
Giles – Dans la maison ?
Trotter – Et pourquoi pas, Mr Ralston ? Tous les pensionnaires sont arrivés à Monkswell Manor
hier en fin de journée, soit quelques heures après l‟assassinat de Mrs Stanning . Ça laisse largement
le temps de venir ici .
Giles – Mais, à part Mr Paravicini, ils avaient tous réservé depuis longtemps …
Trotter – Oui, et alors ? Ces meurtres aussi sont planifiés depuis longtemps .
Giles – Ces meurtres ? Il n‟y en a eu qu‟un, celui de Culver Street . Pourquoi pensez-vous qu‟il y
en aura un autre ici ?
Trotter – Je ne suis pas sûr qu‟il y aura un meurtre commis à Monkswell Manor. En tout cas,
j‟espère bien l‟empêcher . En revanche, je suis sûr qu‟on va tenter de le commettre.
Giles – (il se dirige vers la cheminée) C‟est incroyable . Totalement extravagant .
Trotter – Ce n‟est pas extravagant. Ce sont les faits.
Mollie – Vous avez une idée … ou un signalement, de ce à quoi ressemble cet homme ?
Trotter – Taille moyenne, carrure indéterminée, pardessus sombre, chapeau mou, visage dissimulé
dans un cache-col . Il parlait en murmurant . ( il traverse la pièce jusqu‟au fauteuil central, puis
marque une pause ) Il y a trois pardessus sombres pendus dans l‟entrée, Mr Ralston, dont le vôtre.
Et trois chapeaux mous … ( Giles esquisse quelques pas vers l‟entrée, mais s‟arrête lorsque Mollie
prend la parole )
Mollie – Je ne parviens toujours pas à y croire .
Trotter – Et pourtant … Ce qui m‟inquiète le plus, c‟est ce câble téléphonique . S‟il a été coupé …
(il se rend près du téléphone et se penche pour examiner le câble )
Mollie – Je dois retourner m‟occuper des légumes .
( Mollie sort en direction de la cuisine . Giles prend machinalement le gant de Mollie resté sur le
fauteuil, et le tient en pensant à autre chose . Il en retire soudain un bout de papier, manifestement
un ticket de bus de Londres . Il le regarde d‟un air hébété, puis jette un coup d‟?il dans la direction
où Mollie a disparu, puis regarde de nouveau le ticket )
Trotter – Y‟a-t-il un autre poste ?
(Giles regarde toujours le ticket de bus et fronce les sourcils, sans répondre à la question de Trotter )
Giles – Excusez-moi, vous avez dit quelque chose ?
Trotter – Oui, Mr Ralston, je vous ai demandé s‟il y avait un autre poste . (il revient vers le centre
de la scène)
Giles – Oui, dans notre chambre, à l‟étage .
Trotter – Vous voulez bien aller vérifier s‟il fonctionne ? ( Giles disparaît dans l‟escalier, l‟air
ahuri, emportant le gant et le ticket. Trotter suit le parcours de câble, jusqu‟à la fenêtre. Il tire les
rideaux et ouvre la fenêtre, essayant de suivre la course du câble . Puis il traverse la pièce pour sortir
par le fond, à droite. Il revient quelques instants plus tard, avec une lampe électrique . Il retourne
près de la fenêtre, l‟enjambe et sort dans la neige. Il se penche alors vers le sol pour y examiner
quelque chose. Il disparaît ensuite hors de vue du public . Il fait presque nuit . Mrs Boyle fait son
entrée dans la pièce, venant de la bibliothèque . Elle frissonne, puis s‟aperçoit que la fenêtre est
restée ouverte)
Mrs Boyle – (elle se dirige vers la fenêtre) Qui a laissé cette fenêtre ouverte ? ( elle ferme la
fenêtre puis tire les rideaux . Elle se dirige ensuite vers la cheminée dans laquelle elle met une
bûche. Elle se rend ensuite jusqu‟au poste de radio, qu‟elle allume . Elle retourne près de la grande
table, prend un magazine après y avoir jeté un coup d‟?il )
VOIX DE LA RADIO – … pour bien comprendre ce que j’appelle le « mécanisme de la frayeur », il
faut se pencher sur les réactions produites sur l’esprit humain. Imaginez, par exemple, que vous vous trouvez
seul dans une pièce, en fin d’après-midi. Une porte s’ouvre derrière vous tout doucement…
( la porte de la salle à manger s‟ouvre . On en tend quelqu‟un siffler l‟air de la comptine « Three
Blind Mice » . Mrs Boyle se retourne en sursaut)
Mrs Boyle – (avec soulagement) Ah, c‟est vous ? Il n‟ a vraiment aucune émission intéressante à la
radio. ( elle retourne près du poste de radio et met un programme musical)
(Par la porte de la salle à manger, on voit une main s‟avancer vers l‟interrupteur et éteindre la
lumière . La pièce est soudain plongée dans l‟obscurité la plus totale) Et bien, qu‟est-ce que vous
faites ? Pourquoi éteignez-vous la lumière ? (Tandis que le volume de la radio est poussé au
maximum, on entend un bruit de lutte et des petits cris étouffés, puis le bruit d‟un corps qui tombe .
Mollie entre par l‟arche du fond et demeure immobile, ne comprenant pas ce qui se passe )
Mollie – Pourquoi tout est éteint, ici ? Quel vacarme !
(elle rallume la lumière avec l‟interrupteur situé près de l‟entrée, puis traverse la pièce jusqu‟au
poste de radio pour baisser le son. Elle se retourne et aperçoit enfin Mrs Boyle, qui gît par terre
devant le canapé, étranglée. Elle pousse un hurlement, tandis que
LE RIDEAU TOMBE
ACTE II
Scène 1
Même décor, dix minutes plus tard.
Lorsque le rideau se lève, tout le monde est réuni dans la pièce. Le corps de Mrs
Boyle a été évacué. Le Sergent Trotter a pris les choses en main : il est assis face au
public, derrière la grande table. Mollie se tient debout, à droite de la grande table.
Tous les autres sont assis : le Major Metcalf dans le grand fauteuil, Christopher sur la
chaise du bureau, Giles sur les marches de l‟escalier, Miss Casewell sur le bord droit
du canapé, tandis que Paravicini occupe l‟autre extrémité.
Trotter – Allez, Mrs Ralston, essayez de vous souvenir ! Réfléchissez …
Mollie – (sur le point de craquer) Je n‟en peux plus . J‟ai l‟impression d‟avoir reçu une enclume sur
la tête.
Trotter – Vous avez trouvé le corps de Mrs Boyle juste après qu‟elle a été assassinée . Vous
arriviez de la cuisine . Vous êtes sûre de n‟avoir vu ni entendu personne en traversant l‟entrée ?
Mollie – Il me semble . Je n‟entendais que la radio qui hurlait dans la pièce . Je me demandais bien
qui pouvait l‟avoir mise aussi fort. Il était impossible que j‟entende quelque chose d‟autre.
Trotter – C‟est sûrement aussi le calcul qu‟a fait le meurtrier … ( d‟un ton significatif) ou la
meurtrière.
Mollie – Je ne pouvais rien entendre de plus .
Trotter – Pas si sûr . Si le meurtrier a quitté la pièce par là (il montre la droite de la scène), il vous a
peut-être entendu arriver de la cuisine . Dans ce cas, il s‟est peut-être caché dans l‟escalier de
service, ou bien s‟est faufilé dans la salle à manger.
Mollie – Il me semble avoir entendu une porte grincer, puis être refermée. Mais je n‟en suis pas
sûre. C‟était juste en sortant de la cuisine .
Trotter – Quelle porte ?
Mollie – Aucune idée .
Trotter – Réfléchissez , Mrs Ralston, faites un effort . Était-ce à l‟étage ou bien en bas ? Près de
vous ? Loin ? Sur votre droite, ou à gauche ?
Mollie – (sur le point de pleurer) Je vous dis que je l‟ignore . Je ne suis même pas sûre d‟avoir
entendu quelque chose. ( elle va s‟asseoir sur le fauteuil central)
Giles – (il se lève et se dirige vers la grande table et, en colère) Arrêtez de la tourmenter ! Vous ne
voyez pas qu‟elle est à bout ?
Trotter – (durement) Nous enquêtons sur un meurtre, Mr Ralston . Jusqu‟à présent, aucun d‟entre
vous n‟a voulu prendre cette histoire au sérieux . Mrs Boyle, par exemple . Elle m‟a délibérément
caché certains renseignements, comme vous le faites tous . Et bien , Mrs Boyle est morte. Alors,
nous avons intérêt à connaître le fin mot de cette histoire, et très vite. Sinon, il y aura bientôt un
troisième meurtre.
Giles – Un troisième meurtre ? Ça n‟a pas de sens ! Pourquoi y aurait-il un troisième meurtre ?
Trotter – (l‟air grave) Parce qu‟il y avait trois souris …
Giles – Un meurtre pour chaque souris ? Mais il faudrait qu‟il y ait un lien … je veux dire … un
autre lien, entre un autre pensionnaire et l‟affaire de Longridge Farm .
Trotter – Tout à fait .
Giles – Mais pourquoi ici ?
Trotter – Parce qu‟il n‟y avait que deux adresses dans le carnet que nous avons trouvé . Il n‟y avait
qu‟une victime possible à Culver Street, c‟est entendu. Elle est morte . Mais ici, à Monkswell
Manor, le champ des possibles est beaucoup plus large . ( il regarde les pensionnaires tour à tour,
de manière significative)
Miss Casewell – C‟est idiot . Ce serait vraiment une coïncidence extraordinaire qu‟il y ait deux
personnes ici, venues par hasard, et concernées toutes deux par l‟affaire de Longridge Farm.
Trotter – Ce ne serait peut-être pas une coïncidence . Réfléchissez-y, Miss Casewell .( il se lève) À
présent, j‟aimerais tirer au clair un point précis : où se trouvait chacun d‟entre vous quand Mrs
Boyle a été assassinée ? Mrs Ralston nous affirme qu‟elle préparait le repas dans la cuisine, puis
qu‟elle est sortie par la porte battante, et qu‟elle est passée par l‟entrée (il désigne l‟arche du fond)
pour déboucher ici, intriguée par le bruit. La radio hurlait, mais la pièce était plongée dans le noir,
de même que l‟entrée. Mrs Ralston, vous avez allumé la lumière, vous avez aperçu Mrs Boyle puis
vous avez crié, c‟est bien cela ?
Mollie – Oui, j‟ai crié à tue-tête . Puis, enfin, quelqu‟un a fini par arriver.
Trotter – (il se rend près de Mollie) Oui, comme vous le dites, quelqu‟un est arrivé … et même
tout le monde, et d‟un seul coup . Chacun semblait arriver d‟un endroit différent. (il marque une
pause, va se placer à l‟avant-scène, et se tourne vers les occupants de la maison, dos au public)
Bien . Mr Ralston, quand je suis sorti par cette fenêtre (il désigne la fenêtre du fond) pour suivre le
câble de téléphone, vous êtes monté à l‟étage dans la chambre que vous occupez avec votre épouse,
pour essayer l‟autre poste. ( il revient au centre de la pièce) Où étiez-vous lorsque votre femme a
crié ?
Giles – J‟étais encore là-haut, dans la chambre . Le téléphone ne fonctionnait pas non plus . J‟ai jeté
un ?il par la fenêtre, pour voir s‟il y avait trace d‟un câble coupé, mais je n‟ai rien pu voir . Alors
j‟ai refermé la fenêtre, puis j‟ai entendu Mollie crier et je me suis rué dans l‟escalier pour voir ce qui
se passait .
Trotter – (prenant appui sur la grande table) Et il vous a fallu tant de temps pour faire si peu de
choses , Mr Ralston ?
Giles – Pas tant que ça. (il retourne près de l‟escalier)
Trotter – Disons que vous avez pris votre temps pour les faire …
Giles – J‟avais un peu la tête ailleurs.
Trotter – Entendu. Bien … à vous, Mr Wren . Où étiez-vous ?
Christopher – (il se lève et s‟approche de Trotter) Je me suis d‟abord rendu à la cuisine pour voir si
je pouvais aider Mrs Ralston . J‟aime cuisiner . Puis je suis monté dans ma chambre .
Trotter – Pour quelle raison ?
Christopher – Sans raison particulière . Il me semble normal d‟aller dans sa chambre pour être un
peu tranquille .
Trotter – Vous êtes donc allé dans votre chambre parce que vous vouliez être seul ?
Christopher – Je voulais aussi me coiffer et, euh …, faire un brin de toilette .
Trotter – ( il regarde d‟un air sévère les cheveux en bataille de Christopher) Pour vous coiffer,
vraiment ?
Christopher – En tout cas, je me trouvais dans ma chambre ! ( Giles se place près de la porte du
salon)
Trotter – Et c‟est de votre chambre que vous avez entendu Mrs Ralston crier ?
Christopher – Oui .
Trotter – Vous êtes donc descendu ?
Christopher – Oui .
Trotter – C‟est bizarre que vous n‟ayez pas rencontré Mrs Ralston dans l‟escalier … (Christopher
et Giles se regardent)
Christopher – Je suis passé par l‟escalier de service . Il donne à côté de ma chambre .
Trotter – Est-ce par là aussi que vous étiez monté à l‟étage ? Ou bien aviez-vous emprunté cet
escalier-ci (il désigne l‟escalier), auquel cas vous avez traversé cette pièce ?
Christopher – Je suis aussi monté par l‟escalier de service . (il va s‟asseoir sur la chaise du bureau)
Trotter – Je vois . ( il se poste à droite de la table de salon) Mr Paravicini ?
Paravicini – Je vous l‟ai déjà dit . (il se lève et fait le tour de la table de salon) J‟étais dans le
bureau en train de jouer du piano . (désignant la porte du salon) De ce côté-ci, inspecteur .
Trotter – Je ne suis pas inspecteur, Mr Paravicini, seulement sergent . Pensez-vous que quelqu‟un
vous ait entendu jouer du piano ?
Paravicini – (il sourit) Cela m‟étonnerait . Je jouais très très doucement. Et avec un seul doigt, en
plus .
Mollie – Vous jouiez l‟air de Three Blind Mice .
Trotter – C‟est vrai ?
Paravicini – Oui, c‟est vrai . C‟est un air très prenant . Et même, comment dire … obsédant . Vous
ne trouvez pas ?
Mollie – Je le trouve horrible .
Paravicini – Et pourtant, on l‟a facilement dans la tête. Il y avait aussi quelqu‟un qui sifflait cet air,
quelque part, pendant que je le jouais au piano.
Trotter – Qui le sifflait ? D‟où ça venait ?
Paravicini – Je ne suis pas bien sûr . Peut-être de l‟entrée . Ou de l‟escalier … ou peut-être même
d‟une chambre, à l‟étage .
Trotter – Lequel d‟entre vous sifflait cet air ? ( personne ne répond) Est-ce une invention de votre
part, Mr Paravicini ?
Paravicini – Non, non, inspecteur ... pardon … sergent . Je ne ferais certainement pas une chose
pareille .
Trotter – Bon . Nous vous écoutons . Vous jouiez du piano …
Paravicini – (il lève un doigt) Avec un seul doigt … Puis j‟ai entendu la radio qui marchait
tellement fort qu‟on aurait dit des cris . Tout cela me cassait la tête . Et peu après, tout à coup Mrs
Ralston a hurlé. (il s‟assoit sur le bord gauche du canapé)
Trotter – (il retourne près de la grande table, et compte sur ses doigts) Mr Ralston était à l‟étage…
Mr Wren aussi … Mr Paravicini dans le salon … Et vous, où étiez-vous, Miss Casewell ?
Miss Casewell – Je faisais du courrier dans la bibliothèque .
Trotter – Avez-vous entendu ce qui se passait ici ?
Miss Casewell – Non, j‟ai seulement entendu le cri de Mrs Ralston .
Trotter – Et alors, qu‟avez-vous fait ?
Miss Casewell – Je suis venue ici .
Trotter – Aussitôt ?
Miss Casewell – Oui … je crois .
Trotter – Vous dites que vous faisiez du courrier lorsque Mrs Ralston a crié, c‟est bien ça ?
Miss Casewell – C‟est ça .
Trotter – Et que vous avez quitté le bureau précipitamment pour accourir ici ?
Miss Casewell – Oui .
Trotter – Il n‟y a pourtant pas de lettre en cours sur le bureau de la bibliothèque …
Miss Casewell – (elle se lève) Je l‟ai emportée . (elle ouvre son sac à main, en sort une lettre, se
dirige vers Trotter et la lui tend)
Trotter – (il y jette un coup d‟?il et la lui rend) « Chère Jessie… » Hum … une amie à vous, ou une
connaissance … ?
Miss Casewell – Rien à voir avec votre affaire en tout cas . (elle retourne près du canapé)
Trotter – C‟est possible . (il se rend derrière la grande table, face au public) Il me semble, pour ma
part, si j‟entendais quelqu‟un appeler au meurtre, que je ne prendrais pas le temps de ramasser ma
lettre, de la plier et de la mettre dans mon sac, avant d‟aller voir ce qui se passe .
Miss Casewell – Vous ne prendriez pas le temps ? Comme c‟est intéressant … (elle s‟assoit sur le
tabouret situé près de l‟escalier)
Trotter – (s‟approche du Major Metcalf, toujours assis dans le grand fauteuil de droite ) Bien … et
vous, Major Metcalf ? Vous dites que vous étiez à la cave . Pour quelle raison ?
Major Metcalf – (l‟humeur joyeuse) Je jetais un ?il . Tout simplement . En ouvrant le placard qui
se trouve sous l‟escalier près de la cuisine, j‟avais remarqué qu‟il y avait une porte au fond, derrière
tout un tas de bric-à-brac et d‟attirail de sport . Je l‟ai ouverte, et j‟ai vu qu‟elle donnait sur des
marches . Comme je suis curieux, je suis descendu . (à Mollie) Vous avez vraiment une très belle
cave .
Mollie – Ravie qu‟elle vous plaise …
Major Metcalf – Ce n‟est pas ce que je veux dire … Ce n‟est pas une simple cave que vous avez là
. On dirait plutôt la crypte[24] d‟un ancien monastère . C‟est sans doute pour cette raison que cette
demeure s‟appelle « Monkswell Manor ».
Trotter – Nous ne faisons pas de recherches archéologiques, Major Metcalf . Nous enquêtons sur
un meurtre . Mrs Ralston nous a dit avoir entendu une porte grincer . (il s‟approche du canapé) Et il
se trouve que la porte du placard située sous l‟escalier, grince elle aussi . Il est très possible
qu‟après avoir tué Mrs Boyle, le meurtrier ait entendu Mrs Ralston sortir de la cuisine, et qu‟il se
soit glissé dans le placard en refermant la porte derrière lui …
Major Metcalf – Beaucoup de choses sont possibles …
(Mollie se lève du fauteuil placé au centre pour aller s‟asseoir dans le fauteuil près de la cheminée.
Il y a un moment de silence)
Christopher – (se levant) Il doit y avoir des empreintes digitales, sur la poignée intérieure de la
porte du placard .
Major Metcalf – Il doit y avoir les miennes, probablement . Mais la plupart des assassins prennent
bien soin de ne pas laisser leurs empreintes . Ils portent des gants, non ?
Trotter – C‟est fréquent . Mais tous les criminels se font attraper tôt ou tard .
Paravicini – Je me le demande, sergent …
Giles – (il s‟approche du sergent Trotter) Bon, écoutez . On est en train de perdre du temps . Il n‟ y
a qu‟une personne qui …
Trotter – Mr Ralston, je vous prie ! C‟est moi qui suis chargé de l‟enquête .
Giles – Bon, très bien, mais … (il sort par la porte du salon)
Trotter – (d‟un ton autoritaire) Mr Ralston ! (Giles revient dans la pièce l‟air mécontent, mais reste
près de la porte) Merci . (Trotter se replace derrière la table, face au public) Il ne faut pas
seulement considérer le mobile du crime . Nous devons aussi examiner qui a eu la possibilité de
commettre ce meurtre . Et laissez-moi vous dire ceci : vous avez tous eu cette possibilité .
(on entend quelques murmures de protestation . Trotter lève la main) Il y a deux cages d‟escaliers .
N‟importe lequel d‟entre vous a pu monter par l‟une, et redescendre par l‟autre . N‟importe lequel
d‟entre vous peut être allé à la cave par le placard du corridor, et être remonté par ces quelques
marches qui aboutissent là, au pied de l‟escalier (il désigne l‟escalier du doigt), à cette trappe . Le
point important à retenir est le suivant : chacun d‟entre vous se trouvait seul au moment du
meurtre.
Giles – Mais enfin, sergent ! Vous nous parlez comme si vous nous teniez tous pour suspects . Cela
ne rime à rien !
Trotter – Quand il s‟agit d‟un crime, tout le monde peut être soupçonné .
Giles – Mais vous savez parfaitement qui a tué cette femme de Culver Street ! Vous pensez qu‟il
s‟agit du plus âgé des enfants de Longridge Farm . Un jeune homme mentalement instable, âgé de
trente-trois ans ou à peu près aujourd‟hui . Alors, Bon Dieu, ça ne peut être qu‟une seule personne
ici ! (il montre Christopher et s‟approche discrètement de lui)
Christopher – Ce n‟est pas vrai ! Ce n‟est pas vrai ! Vous m‟en voulez tous ! Tout le monde a
toujours été contre moi ! C‟est un coup monté contre moi … c‟est de la persécution … (il traverse
la pièce et s‟arrête près du major Metcalf) voilà ce que c‟est … de la persécution !
(Giles l‟a suivi, mais s‟est arrêté à l‟extrémité gauche de la grande table)
Major Metcalf – (il se lève, et dit gentiment) Du calme, mon garçon, du calme . (il tapote
Christopher sur l‟épaule, puis sort sa pipe)
Mollie – (elle se lève du fauteuil et s‟approche de Christopher) Tout va bien, Chris . Personne n‟en
a après vous . ( à Trotter ) Dites-lui que tout va bien.
Trotter – (il regarde Giles, puis, impassible[25] ) Il n‟y a pas de coup monté … contre personne .
Mollie – (toujours à Trotter) Dites-lui que vous n‟allez pas l‟arrêter .
Trotter – (se dirige vers Mollie, toujours impassible) Je n‟arrête personne . Pour arrêter quelqu‟un,
il me faut des preuves . Et pour l‟instant, je n‟en ai pas .
(Christopher se rend près de la cheminée)
Giles – Tu dérailles, Mollie ! (il s‟approche de Trotter et lui lance ) Et vous aussi ! … Ça ne peut
être que lui le meurtrier, et ne serait-ce que par mesure de sécurité vous devriez l‟arrêter . Pour notre
sécurité .
Mollie – Attends, Giles, s‟il te plaît … Sergent Trotter … est-ce que … est-ce que je pourrais vous
dire un mot ?
Trotter – Bien sûr Mrs Ralston . (aux autres) Veuillez vous rendre dans la salle à manger s‟il vous
plaît. ( tous se lèvent et se dirigent vers la porte de la salle à manger : Miss Casewell marche en
tête, suivie de Paravicini qui proteste, de Christopher et du Major Metcalf . Celui-ci s‟arrête pour
allumer sa pipe, puis réalise que Mollie et Trotter l‟observent. Il sort )
Giles – Je reste .
Mollie – Non, Giles, toi aussi, s‟il te plaît .
Giles – (furieux) Je reste . Je ne sais pas ce qui te prend, Mollie …
Mollie – Je t‟en prie … ( Giles sort par la porte de la salle à manger, qu‟il laisse ouverte. Mollie va
la fermer . Trotter, lui, fait quelques pas près de l‟arche de l‟entrée)
Trotter – Je vous écoute, Mrs Ralston . (il s‟approche du fauteuil placé au centre) Que voulez-vous
me dire ?
Mollie – (elle s‟approche de lui) Sergent Trotter , la police pense que ce … (elle se place devant le
canapé) … ce tueur fou est l‟aîné des enfants de Longridge Farm, … mais vous n‟en êtes pas sûrs,
c‟est bien ça ?
Trotter – En réalité, nous n‟en savons rien . La seule chose que nous savons, c‟est que la femme du
couple de Longridge Farm qui a maltraité les enfants a été tuée. Et qu ‟une des jurés responsable du
placement des enfants a elle aussi été tuée . (il s‟approche du canapé) Le câble du téléphone qui me
reliait au commissariat de police a été coupé, ça aussi nous le savons .
Mollie – Même cela, vous n‟en êtes pas sûr . C‟est peut-être la neige qui …
Trotter – Non, Mrs Ralston … La ligne a été coupée délibérément . Juste au-dessus de la porte
d‟entrée. J‟ai trouvé l‟endroit exact où le câble a été sectionné .
Mollie – (troublée par ces révélations) Je vois …
Trotter – asseyez-vous, Mrs Ralston .
Mollie – (elle obéit) Mais tout de même, vous ignorez …
Trotter – (il fait le tour du canapé pour venir se placer devant Mollie) Je me base sur ce qui est
probable . Et tout semble converger vers un point : la mentalité d‟un gamin, un déséquilibre mental,
et une désertion de l‟armée. Le tout attesté par un rapport du psychiatre .
Mollie – Oh, je sais bien que tout semble désigner Christopher . Mais je ne peux pas croire que ce
soit lui . Il doit y avoir une autre solution .
Trotter – ( il se retourne et lui fait face) Comme … ?
Mollie – (elle hésite puis dit) Et bien … ces enfants n‟avaient-ils aucune famille ?
Trotter – La mère était alcoolique, et elle est morte peu après que ses enfants lui ont été retirés.
Mollie – Et le père ?
Trotter – Il était sergent dans l‟armée, en service à l‟étranger . Il n‟est probablement plus dans la
carrière, si toutefois il vit encore .
Mollie – Mais vous na savez pas où il se trouve à l‟heure actuelle ?
Trotter – Nous n‟avons aucun renseignement à son sujet . Cela prendra sans doute du temps pour
retrouver sa trace, mais je peux vous assurer, Mrs Ralston, que la police examinera toutes les pistes
en détail .
Mollie – Vous ignorez totalement où il peut être . Or, si son fils est un déséquilibré mental, il est
très possible qu‟il le soit aussi .
Trotter – C‟est tout à fait possible .
Mollie – Si par exemple il a été prisonnier des japonais pendant la guerre, qu‟il ait terriblement
souffert de sa captivité … et qu‟en rentrant chez lui après la guerre il découvre que sa femme est
morte, que ses enfants ont subi des violences et des privations, et que l‟un d‟eux en est mort … il
peut très bien avoir perdu la tête et chercher à se venger …
Trotter – Ce ne sont que des suppositions .
Mollie – Mais c‟est possible ?
Trotter – Oui, Mrs Ralston, on peut l‟envisager .
Mollie – Donc le meurtrier peut très bien être un homme d‟âge mûr, voire un homme âgé . (elle
réfléchit un moment) Je me souviens que lorsque j‟ai annoncé que la police avait appelé ici, le
Major Metcalf a eu l‟air effrayé . Vraiment effrayé … Ça se voyait sur son visage .
Trotter – (songeur) Le Major Metcalf ? ( il va s‟asseoir dans le fauteuil placé au centre)
Mollie – Il a la cinquantaine . Il est retraité de l‟armée . Il a bien l‟air sympathique et tout à fait
normal, mais on ne voit pas toujours que quelqu‟un est déséquilibré .
Trotter – Oui, le plus souvent ça ne se voit pas .
Mollie – (elle se lève et s‟approche de Trotter ) Christopher n‟est donc pas le seul suspect . Le
Major Metcalf l‟est aussi .
Trotter – D‟autres suggestions ?
Mollie – Et bien, Mr Paravicini a fait tomber le tisonnier quand j‟ai annoncé que la police avait
appelé .
Trotter – (qui semble réfléchir) Mr Paravicini …
Mollie – Je sais bien qu‟il a l‟air vraiment âgé, que c‟est un étranger et tout, mais il n‟est peut-être
pas aussi âgé qu‟il en a l‟air . Sa façon de bouger par exemple . On dirait celle d‟un homme bien
plus jeune . Et puis il est toujours maquillé . Miss Casewell l‟a remarqué elle aussi . Peut-être qu‟il
est … oh, je sais que ça fait un peu mélo … mais il est peut-être déguisé ?
Trotter – Vous tenez absolument à ce que ce ne soit pas Mr Wren le coupable, n‟est-ce pas ?
Mollie – (se dirige vers la cheminée) Il a l‟air tellement … tellement délaissé . (elle se retourne
face à Trotter ) Et si malheureux .
Trotter – Écoutez-moi, Mrs Ralston . Depuis le début, j‟envisage toutes les pistes possibles .
L‟aîné des enfants, Georgie, leur père … Il y a aussi une autre possibilité . Si vous vous souvenez
bien, il y avait aussi une fille parmi les enfants de Longridge Farm .
Mollie – Ah ! La s?ur ?
Trotter – (il se lève et s‟approche de Mollie) L‟assassin de Maureen Lyon peut très bien être une
femme . Une femme … ( il revient vers le centre de la scène) Le cache-col relevé, le chapeau mou
bien enfoncé, et souvenez-vous du témoignage du concierge : l‟assassin chuchotait . On ne peut
donc pas savoir s‟il s‟agissait d‟un homme … ou d‟une femme . (il s‟approche de la table de salon)
Oui, ça peut très bien être une femme .
Mollie – Vous pensez à Miss Casewell ?
Trotter – (s‟approchant de l‟escalier) Elle semble un peu âgée pour ça . ( il se dirige vers la porte de
la bibliothèque, l‟ouvre, jette un ?il dans la pièce, puis referme la porte ) Le champ des suspects est
très large, vous savez, Mrs Ralston . (il revient vers le centre de la pièce) Il y a vous, par exemple .
Mollie – Moi ?
Trotter – Vous devez avoir l‟âge qui correspond . (Mollie s‟apprête à protester)
Trotter – (l‟arrêtant tout net) Non, non . Inutile de vous défendre, de toute façon je n‟ai pour
l‟instant aucun moyen de vérifier ce que vous pourrez me dire . Et puis … il y a aussi votre mari .
Mollie – Giles ? Quelle idée !
Trotter – (il traverse la pièce pour se poster près de Mollie) Il est à peu près de l‟âge de
Christopher Wren . Il est vrai que votre mari fait plus âgé, et que Christopher Wren fait plus jeune,
lui . Il est difficile de leur donner un âge précis . Mais … que savez-vous au juste de votre mari,
Mrs Ralston ?
Mollie – Ce que je sais de Giles ? Ne soyez pas stupide, Sergent Trotter.
Trotter – Depuis combien de temps êtes-vous mariés ?
Mollie – Un an seulement …
Trotter – Où l‟avez-vous rencontré ?
Mollie – Lors d‟une soirée à Londres. Nous avons dansé …
Trotter – Avez-vous rencontré sa famille ?
Mollie – Il n‟a pas de famille . Ils sont tous décédés .
Trotter – (d‟un air significatif) Ils sont tous décédés ?
Mollie – Oui, mais … oh … vous dites ça d‟une telle façon ! Son père était avocat, et sa mère est
morte quand il était encore bébé .
Trotter – Oui, mais ça, c‟est ce qu‟il vous a raconté .
Mollie – Oui, mais … ( elle se détourne de Trotter et s‟éloigne de lui)
Trotter – Vous n‟en savez rien par vous-même.
Mollie – (elle se retourne brusquement) Vous dépassez les bornes …
Trotter – Vous seriez surprise, Mrs Ralston, si je vous disais le nombre de cas comme celui-ci que
j‟ai pu voir . Surtout depuis la guerre[26] . De nombreuses familles ont été dispersées, beaucoup de
personnes sont mortes. Il est très facile de prétendre qu‟on a servi dans l‟armée de l‟air, ou qu‟on
vient juste de finir son armée . Pas de parents, pas de famille … Auparavant, pour un mariage, il
fallait que les parents et la famille se rencontrent, donnent leur accord … ils se renseignaient sur le
nouveau venu. Mais maintenant tout cela est révolu . Les jeunes se rencontrent, décident de se
marier, et puis c‟est tout . On ne leur demande plus d‟où ils sortent . Une fille épouse un type, et
puis elle se rend compte un ou deux ans après que son mari est un escroc en cavale … ou un
déserteur, ou autre chose du même genre . Depuis combien de temps connaissiez-vous Giles Ralston
lorsque vous l‟avez épousé ?
Mollie – Seulement trois semaines, mais ….
Trotter – Et vous ne savez rien de lui ?
Mollie – C‟est faux ! Je sais tout de lui ! Je sais exactement quel genre de personne il est . Il est …
Giles ! (elle se détourne de Trotter pour faire face à la cheminée) Et c‟est complètement absurde de
suggérer qu‟il a quelque chose à voir avec ce maniaque criminel . En plus, il n‟était même pas à
Londres hier, quand le meurtre a eu lieu .
Trotter – Il était où ? Ici ?
Mollie – Il est sorti faire une course . Il nous fallait du grillage pour les poules .
Trotter – Il en a trouvé ? (il s‟approche du bureau)
Mollie – Non, en fait, aucun ne convenait .
Trotter – Monkswel Manor n‟est qu‟à trente miles[27] de Londres, n‟est-ce pas ? Ah ! Vous avez
les horaires des trains ? (il les prend sur le bureau et lit) Il ne faut qu‟une heure pour aller à
Londres en train . Et à peine un peu plus en voiture .
Mollie – (elle tape du pied avec colère) Je vous dis que Giles n‟était pas à Londres !
Trotter – Un instant, Mrs Ralston . (Trotter se dirige vers l‟entrée et revient avec un pardessus
sombre . Il s‟approche de Mollie) C‟est bien le manteau de votre mari ? (Mollie jette un ?il au
pardessus)
Mollie – (avec méfiance) Oui …
(Trotter sort un journal froissé de la poche du pardessus)
Trotter – Evening News[28] . Édition d‟hier . Il a été mis en vente dans les rues de Londres[29]
hier après-midi vers 15h30 .
Mollie – Je ne vous crois pas !
Trotter – Ah bon ? (il se dirige vers l‟entrée puis se retourne ) Vraiment ?
(Trotter sort par l‟arche du fond, emportant le pardessus . Mollie s‟assoit dans le petit fauteuil près
de la cheminée, le regard perdu, fixé sur le journal . La porte de la salle à manger s‟ouvre lentement
. Christopher jette un coup d‟?il dans la pièce, et entre en constatant que Mollie est seule .)
Christopher – Mollie !
(Mollie se lève d‟un bond et cache le journal sous un coussin du fauteuil central)
Mollie – Oh ! Vous m‟avez fait peur ! (elle se tient à gauche du fauteuil)
Christopher – Où est-il ? Où est-ce qu‟il est passé ?
Mollie – Qui ça ?
Christopher – Le sergent .
Mollie – Oh … il est sorti par là .
Christopher – Si seulement je pouvais trouver un moyen de partir d‟ici … Est-ce qu‟il y a un
endroit dans la maison, où je pourrais me cacher ?
Mollie – Vous cacher ?
Christopher – Oui, lui échapper .
Mollie – Mais pourquoi ?
Christopher – Parce qu‟ils en ont tous après moi . C‟est terrible . Ils vont dire que c‟est moi qui ai
commis ces meurtres . Surtout votre mari . ( il se place à droite du canapé)
Mollie – Ne vous occupez pas de lui . (elle fait un pas vers lui) Écoutez, Christopher, vous ne
pouvez pas éternellement fuir les choses …
Christopher – Pourquoi dites-vous cela ?
Mollie – Je ne me trompe pas, n‟est-ce pas ?
Christopher – (vaincu) Non, vous avez raison . (il s‟assoit à l‟extrémité gauche du canapé)
Mollie – (s‟asseyant l‟autre bout, puis d‟un ton affectueux) Il faut bien devenir adulte un jour ou
l‟autre, Chris .
Christopher – Je n‟aimerais mieux pas .
Mollie – Christopher Wren, ce n‟est pas votre vrai nom, n‟est-ce pas ?
Christopher – Non …
Mollie – Et vous n‟êtes pas non plus étudiant en architecture ?
Christopher – Non .
Mollie – Pourquoi …
Christopher – … j‟ai donné ce nom ? Pour plaisanter . À l‟école, ils se moquaient de moi . Ils
m‟appelaient de toutes sortes de noms d‟oiseaux . L‟école, c‟était l‟enfer .
Mollie – Quel est votre vrai nom ?
Christopher – Ça n‟apporterait rien . J‟ai déserté pendant mon service militaire . C‟était si …
bestial . Ça me faisait horreur . (Mollie a soudain l‟air mal à l‟aise, et Christopher le remarque .
Elle se lève du canapé)
Christopher – ( se lève aussi et s‟éloigne vers la porte du salon) Oui, comme le mystérieux
assassin . (Mollie recule vers la table, lui tournant le dos) Je vous ai bien dit que tout me désignait :
la description correspond, tout … Ma mère … (il revient vers la table de salon)
Mollie – Votre mère … ?
Christopher – Tout irait bien si elle n‟était pas morte . Elle aurait pu s‟occuper de moi, me surveiller
…
Mollie – On ne va pas vous materner éternellement . Il faut affronter la vie, aller de l‟avant, toujours
. Et surmonter les événements douloureux .
Christopher – C‟est impossible .
Mollie – Si, c‟est possible .
Christopher – Vous voulez dire que cela vous est arrivé ? (il s‟approche d‟elle)
Mollie – (elle se tient face à Christopher) Oui .
Christopher – De quoi s „agissait-il ? Une sale histoire ?
Mollie – Une histoire que je n‟ai jamais oubliée …
Christopher – Ça a un rapport avec Giles ?
Mollie – Non, c‟était bien avant que je le rencontre .
Christopher – Vous deviez être bien jeune, alors . Pour ainsi dire une enfant …
Mollie – Et c‟est sans doute pour cela que c‟était si horrible . C‟était affreux, vraiment affreux …
J‟essaie d‟oublier, en tous cas de ne jamais y penser .
Christopher – Vous aussi vous fuyez . Vous fuyez au lieu d‟affronter les difficultés .
Mollie – Oui, dans un sens vous avez sans doute raison .
(ils restent silencieux quelques instants)
Mollie – Pour voir qu‟on ne se connaît que depuis hier, il semble qu‟on en sait pas mal l‟un sur
l‟autre maintenant .
Christopher – Oui, c‟est bizarre, hein ?
Mollie – Je ne sais pas . Je crois qu‟il y a aune sorte de compréhension naturelle entre nous .
Christopher – Bref… Vous pensez que je dois rester ici jusqu‟au bout ?
Mollie – Je ne vois pas trop ce que vous pourriez faire d‟autre .
Christopher – Je pourrais piquer les skis du Sergent . Je skie plutôt pas mal .
Mollie – Ce serait complètement stupide . Cela reviendrait à admettre que vous êtes coupable .
Christopher – C‟est déjà ce que pense le Sergent Trotter .
Mollie – Non, c‟est faux. Du moins … je ne sais pas ce que pense Trotter . (elle va jusqu‟au
fauteuil central, prend le journal qu‟elle avait caché sous le coussin, le regarde fixement puis
s‟exclame soudain avec flamme) Je le hais, je le hais, je le hais …
Christopher – (médusé) Qui ça ?
Mollie – Le Sergent Trotter . Il insinue des choses . Des choses qui ne sont pas vraies … qui ne
peuvent pas être vraies .
Christopher – De quoi s‟agit-il ?
Mollie – Je n‟y crois pas ... je ne peux pas y croire …
Christopher – À quoi ? (il s‟approche doucement de Mollie, pose ses mains sur ses épaules et la
force à se tourner vers lui ) Allons ! Dites-le !
Mollie – (elle désigne le journal) Vous voyez ce journal ?
Christopher – Oui .
Mollie – Vous savez ce que c‟est ? C‟est le journal d‟hier, édition du soir, … et de Londres . Et il
se trouvait dans la poche de Giles . Or Giles n‟a pas été à Londres hier .
Christopher – Et bien, s‟il est resté ici toute la journée d‟hier …
Mollie – Non, il n‟était pas ici . Il est allé en voiture chercher du grillage pour les poules, mais il
n‟en a pas trouvé .
Christopher – Bon, où est le problème ? (il fait quelques pas vers l‟escalier) Sans doute s‟est-il
rendu à Londres, après tout .
Mollie – Et pourquoi ne me l‟aurait-il pas dit ? Pourquoi a-t-il prétendu qu‟il avait sillonné toute la
région pour trouver du grillage ?
Christopher – Sans doute à cause de ces terribles nouvelles . Ce meurtre …
Mollie – Il ignorait tout de ce meurtre . À moins que … À moins que … (elle s‟approche de la
cheminée)
Christopher – Bon Dieu, Mollie ! Vous ne voulez tout de même pas dire que … Le Sergent ne
pense tout de même pas que …
(tout en prononçant les paroles qui suivent, Mollie traverse la pièce lentement en direction de
l‟escalier. Christopher, silencieux, jette le journal sur le canapé)
Mollie – J‟ignore ce que pense vraiment le Sergent … il est très fort pour vous faire imaginer tout
un tas de trucs sur les gens . On se pose des questions, et on commence à douter . On se demande si
la personne que l‟on aime n‟est pas finalement un étranger, si on la connaît aussi bien qu‟on le
croyait . (elle soupire) Ça ressemble à un cauchemar . C‟est comme si on se trouvait avec des amis,
et que soudain en les regardant, on ne reconnaisse plus leurs visages … qu‟ils aient l‟air différents
… comme s‟ils jouaient la comédie depuis toujours . Sans doute ne peut-on avoir confiance en
personne . Nous sommes tous des étrangers les uns pour les autres . ( elle cache son visage dans ses
mains)
(Christopher s‟approche d‟elle en hissant un genou sur le canapé, et écarte les mains du visage de
Mollie . Giles entre à ce moment par la porte de la salle à manger, mais s‟arrête en les voyant .
Mollie s‟écarte de Christopher, qui s‟assoit sur le canapé .)
Giles – ( toujours près de la porte) Excusez-moi de vous interrompre …
Mollie – Nous … nous discutions simplement … Il faut que j‟aille à la cuisine … surveiller la
tourte aux oignons … et préparer les épinards . (elle traverse la pièce en passant près du fauteuil
central)
Christopher – (se lève et s‟apprête à la suivre) Je vous suis, je vais vous aider .
Giles – (il s‟approche de la cheminée) Non, vous n‟irez pas .
Mollie – Giles !
Giles – Les tête-à-tête sont peu recommandés par les temps qui courent . Alors vous vous tenez à
l‟écart de la cuisine, et loin de ma femme .
Christopher – Écoutez …
Giles – (furieux) Vous vous tenez loin de ma femme, Wren . Je ne tiens pas à ce qu‟elle soit la
prochaine victime .
Christopher – C‟est donc tout ce que vous pensez de moi ?
Giles – Je vous l‟ai déjà dit, non ? Il y a un meurtrier quelque part dans cette maison … et je ne
vois que vous qui puissiez correspondre .
Christopher – Oh, non ! … je ne suis pas le seul qui corresponde …
Giles – Je ne vois personne d‟autre .
Christopher – Vous ne voyez pas grand-chose … ou bien vous ne voulez pas voir .
Giles – Je vous l‟ai déjà dit : la seule chose qui m‟intéresse, c‟est la sécurité de ma femme .
Christopher – Moi aussi . C‟est pourquoi je ne vous laisserai pas seul avec elle dans cette pièce .
(il s‟approche de Mollie, restée dans le fond de la pièce)
Giles – (s‟approche lui aussi de Mollie , de sorte qu‟elle se retrouve entre eux deux) Bon Dieu,
qu‟est-ce que … ?
Mollie – Sortez Chris, s‟il vous plaît .
Christopher – Je ne sors pas .
Mollie – S‟il vous plaît Chris, je vous en prie … Ça ne …
Christopher – Je ne serai pas bien loin . (il sort de mauvaise grâce par l‟arche du fond . Mollie
traverse la pièce jusqu‟à la chaise du téléphone, et Giles la suit)
Giles – Qu‟est-ce que ça signifie, tout ça ? Mollie, tu dérailles ! Tu t‟apprêtais à t‟enfermer dans
la cuisine avec un maniaque criminel .
Mollie – Il n‟est pas un criminel, ni un maniaque …
Giles – Il suffit de regarder son visage pour voir qu‟il est complètement toqué .
Mollie – Non plus . Il est seulement malheureux . Giles, je te jure qu‟il n‟est pas dangereux . Je le
saurais, s‟il l‟était . Et de toute manière, je peux me défendre toute seule .
Giles – C‟est aussi ce que prétendait Mrs Boyle .
Mollie – Oh, Giles ! S‟il te plaît … (elle s‟approche de la porte du salon)
Giles – (s‟approchant d‟elle) Écoute … qu‟est-ce qu‟il y a entre toi et ce pauvre type ?
Mollie – Qu‟est-ce que tu insinues par « entre nous » ? Je le plains, c‟est tout .
Giles – Tu le connaissais peut-être avant ? Tu lui as peut-être suggéré de venir ici, et vous avez fait
semblant de vous rencontrer pour la première fois . Vous avez tout manigancé à l‟avance, c‟est ça ?
Mollie – Giles, tu perds la tête ou quoi ? Comment oses-tu dire des choses pareilles ?
Giles – (il se rend à la grande table) C‟est plutôt étrange, non, qu‟il soit venu ici, dans une pension
à l‟écart de tout ?
Mollie – Pas plus étrange que pour Miss Casewell, le Major Metcalf ou Mrs Boyle .
Giles – J‟ai lu un jour que les femmes éprouvent de l‟attirance pour les criminels . Ça a l‟air d‟être
vrai . (il s‟approche de la table de salon) Où l‟as-tu connu ? Depuis combien de temps le
fréquentes-tu ?
Mollie – Tu deviens vraiment ridicule . (elle se rapproche de la cheminée) Je n‟avais jamais vu
Christopher avant qu‟il ne mette les pieds ici hier .
Giles – C‟est toi qui le dis . Tu as peut-être filé à Londres pour le rencontrer en cachette .
Mollie – Tu sais très bien que ça fait des semaines que je ne suis pas allée à Londres .
Giles – (d‟un ton bien senti) Tu n‟es pas allée à Londres depuis des semaines, dis-tu ? C‟est bien
ça ?
Mollie – Mais Bon Dieu, où veux-tu en venir ? Oui, c‟est bien ça !
Giles – Vraiment ? Alors ça, c‟est quoi ? (il sort de sa poche le gant de Mollie, et en extrait le ticket
de bus . Mollie tressaille ) C‟est un des gants que tu portais hier . Tu l‟as jeté là . Je l‟ai trouvé cet
après-midi quand je parlais au Sergent Trotter . Avec ce ticket à l‟intérieur : un ticket de bus … de
Londres !
Mollie – (d‟un air coupable) Oh, ça …
Giles – (il se détourne) On dirait bien que tu n‟as pas seulement été au village, hier. Tu as aussi fait
un tour à Londres …
Mollie – Bon, très bien. Je suis allée …
Giles – Pendant que je battais la campagne pour trouver ce foutu grillage, tu pouvais faire ce que tu
voulais …
Mollie – Pendant que tu battais la campagne !
Giles – Allez, reconnais-le : tu as été à Londres .
Mollie – (elle s‟assoit sur le canapé) C‟est vrai, je suis allée à Londres . Mais toi aussi !
Giles – Quoi ?
Mollie – Toi aussi ! Tu as ramené un journal de l‟édition d‟hier soir ! (elle montre le journal posé
sur le canapé)
Giles – Où as-tu pêché ça ?
Mollie – Il se trouvait dans la poche de ton manteau .
Giles – N‟importe qui a pu l‟y mettre .
Mollie – Vraiment ? Non, tu es allé à Londres .
Giles – Très bien … oui, j‟étais à Londres hier . Mai pas pour rencontrer une femme .
Mollie – (horrifiée, elle murmure) Que tu dis ! En es-tu bien sûr ?
Giles – Eh ? Qu‟est-ce que tu insinues ? (il se rapproche d‟elle . Mollie recule, et se dirige à
l‟avant-scène gauche)
Mollie – Va-t-en . Ne t‟approche pas de moi .
Giles – (il la suit) Qu‟est-ce qui t‟arrive ?
Mollie – Ne me touche pas .
Giles – Es-tu allée à Londres hier pour rencontrer Christopher Wren ?
Mollie – Ne sois pas stupide ! Bien sûr que non .
Giles – Alors, pourquoi y es-tu allée ?
Mollie – ( change soudain d‟attitude : elle sourit, l‟air rêveur) Je ne devrais pas te le dire . Peutêtre … écoute … j‟ai oublié pourquoi j‟y suis allée … (elle traverse la pièce en direction de la
cuisine)
Giles – (il la suit) Mollie, qu‟est-ce qui te prend ? Tu es soudain si différente . J‟ai l‟impression de
ne plus te connaître .
Mollie – Peut-être ne m‟as-tu jamais vraiment connue … Depuis combien de temps sommes-nous
mariés ? Un an … Mais au bout du compte tu ne sais pas grand-chose de moi . Tu ignores ce que
j‟ai pu faire, ou penser, ou ressentir, …ou souffrir, avant qu‟on se connaisse .
Giles – Mollie, tu dérailles …
Mollie – Très bien … si tu veux … je suis folle ! Pourquoi pas ? C‟est amusant d‟être folle !
Giles – (en colère) Que diable … ?
(Mr Paravicini entre par l‟arche du fond . Il vient s‟intercaler entre Mollie et Giles)
Paravicini – Allons, allons … J‟espère, jeunes gens, que vous n‟êtes pas en train de vous lancer
des mots qui dépassent votre pensée . On est tellement portés à le faire quand on se querelle par
amour .
Giles – Une querelle d‟amoureux ! Allons donc ! (il se place à gauche de la grande table)
Paravicini – ( il s‟approche du petit fauteuil, à l‟avant-scène droite) Mais, mais si . Je sais ce que
vous ressentez . J‟ai connu les mêmes choses quand j‟étais jeune homme . Jeunesse, jeunesse…
comme dit le poète . Mariés depuis peu, je suppose ?
Giles – (il s‟approche de la cheminée) Cela ne vous regarde pas, Mr Paravicini …
Paravicini – (se place au centre) Non, non, cela ne me regarde pas . J‟étais juste venu vous dire que
le Sergent ne parvient pas à retrouver ses skis, et j‟ai bien peur qu‟il se trouve dans l‟embarras . Il a
l‟air très ennuyé …
Mollie – Christopher !
Giles – De quoi s‟agit-il ?
Paravicini – Il voudrait savoir si, par hasard, vous ne les auriez pas déplacés, Mr Ralston …
Giles – Non, bien sûr que non .
(le Sergent Trotter entre par l‟arche du fond, il est rouge et a l‟air très embarrassé)
Trotter – Mr Ralston, Mrs Ralston, avez-vous enlevé mes skis du placard où nous les avions mis ?
Giles – Certainement pas .
Trotter – Quelqu‟un les a pris .
Paravicini – (s‟approche de Trotter) Comment vous en êtes-vous rendu compte ?
Trotter – La neige est encore abondante . J‟ai besoin de renforts ici . Je m‟apprêtais à rejoindre le
poste de police de Market Hampton à skis, pour faire mon rapport sur la situation .
Paravicini – Et vous ne pourrez donc pas le faire ? Mon Dieu … mon Dieu … quelqu‟un a fait en
sorte que vous ne puissiez pas le faire ! Mais il pourrait y avoir une toute autre raison, n‟est-ce
pas ?
Trotter – Oui, laquelle ?
Paravicini – Quelqu‟un cherche peut-être à s‟enfuir d‟ici …
Giles – (il s‟approche de Mollie et lui lance ) Que voulais-tu dire à l‟instant, quand tu as
dit : « Christopher ! » ?
Mollie – Rien …
Paravicini – (souriant à demi) Notre jeune architecte s‟est fait la malle, c‟est ça ? Très intéressant
…
Trotter – Est-ce vrai, Mrs Ralston ? (il s‟approche de la table où Mollie se tient toujours)
(À ce moment Christopher entre dans la pièce, par l‟escalier de gauche, et se place à gauche du
canapé)
Mollie – ( faisant quelques pas vers lui ) Oh, Dieu merci…vous n‟êtes pas parti, finalement .
Trotter – (il s‟approche de Christopher) Mr Wren, avez-vous pris mes skis ?
Christopher – (surpris) Vos skis, Sergent ? Non, pourquoi les aurais-je pris ?
Trotter – Mrs Ralston avait l‟air de croire que … (il jette un ?il à Mollie)
Mollie – Mr Wren est un fan de ski . Je pensais qu‟il les avait peut-être empruntés pour faire une
petite balade .
Giles – Une balade ? (il se place derrière la grande table)
Trotter – Bon,, écoutez bien, tous autant que vous êtes . C‟est une affaire grave . Quelqu‟un a
dérobé mon seul moyen de communiquer avec l‟extérieur . Je veux que tout le monde se réunisse ici
immédiatement .
Paravicini – Je crois que Miss Casewell est à l‟étage .
Mollie – Je vais la chercher . ( elle disparaît par l‟escalier . Trotter s‟approche de la fenêtre du
fond)
Paravicini – (se dirige vers la porte de l‟avant-scène droite) J‟ai laissé le Major Metcalf dans la
salle à manger. (il ouvre la porte et jette un ?il dans la pièce) Major Metcalf ? … Il n‟est plus là .
Giles – Je vais le chercher .
(il sort par l‟arche du fond, tandis que Mollie et Miss Casewell entrent en scène par les escaliers .
Elles se placent chacune à un bout de la grande table . Le Major Metcalf entre ensuite, par le fond à
gauche, venant de la bibliothèque )
Major Metcalf – Hello ! On me demande ?
Trotter – C‟est à propos de mes skis .
Major Metcalf – Vos skis ? (il s‟approche du canapé)
Paravicini – ( s‟approchant de l‟arche du fond, par où est sorti Giles, et appelle) Mr Ralston !
(celui-ci fait son apparition au fond, et reste dans l‟encadrure de l‟arche. Paravicini revient dans la
pièce et va s‟asseoir dans le petit fauteuil )
Trotter – (à Miss Casewell et au Major ) Est-ce que l‟un de vous deux a déplacé la paire de skis
que j‟avais rangée dans le placard, près de la porte de la cuisine ?
Miss Casewell – Certainement pas . Quelle idée !
Major Metcalf – Quant à moi, je n‟y ai pas touché non plus .
Trotter – Et pourtant, ils ont disparu . (à Miss Casewell) Par où êtes-vous montée dans votre
chambre ?
Miss Casewell – Par l‟escalier de service .
Trotter – Vous êtes donc passée devant ce placard .
Miss Casewell – Si vous le dites . En tout cas, j‟ignore où sont vos skis .
Trotter – (au Major Metcalf) Et vous, vous êtes bien rentré dans ce placard aujourd‟hui même,
d‟après ce que vous nous avez dit ?
Major Metcalf – Oui, c‟est exact .
Trotter – Au moment où l‟on assassinait Mrs Boyle .
Major Metcalf – Au moment où l‟on assassinait Mrs Boyle, je me trouvais dans la cave .
Trotter – Mes skis se trouvaient-ils toujours dans le placard quand vous y êtes passé ?
Major Metcalf – Je n‟en ai pas la moindre idée .
Trotter – Vous ne les y avez pas vus ?
Major Metcalf – Impossible de me le rappeler .
Trotter – Vous devez bien vous rappeler si ces skis se trouvaient dans le placard lorsque vous y
êtes passé, tout de même !
Major Metcalf – Vous ne devriez pas le prendre sur ce ton, jeune homme . J‟étais curieux de voir
la cave, et pas du tout intéressé par vos fichus skis . (il va s‟asseoir sur le canapé) L‟architecture de
cette demeure est tout à fait passionnante . J‟ai simplement ouvert la porte du fond du placard, pour
descendre à la cave . Je suis donc incapable de vous dire si vos skis se trouvaient dans le placard
ou non .
Trotter – (il va se placer à gauche du canapé) Vous vous rendez bien compte que vous aviez une
occasion en or pour vous en emparer ?
Major Metcalf – Oui, oui, je vous l‟accorde . Si j‟en avais eu l‟intention, bien entendu .
Trotter – La question reste : où sont-ils passés ?
Major Metcalf – On devrait pouvoir mettre la main dessus si on s‟y met tous . Ils ne doivent pas
jouer à cache-cache . Et puis ce n‟est pas une paille, une paire de skis . Si on s‟y met tous … (il se
lève du canapé, traverse la pièce et s‟apprête à sortir)
Trotter – Pas si vite, Major Metcalf . C‟est peut-être exactement ce qu‟on cherche à nous faire
faire .
Major Metcalf – Que voulez-vous dire ?
Trotter – J‟essaie de me mettre à la place de ce cinglé. Cinglé, mais astucieux . Je me demande
sans cesse ce qu‟il cherche à nous faire faire, et ce que lui-même a prévu de faire . J‟essaie d‟avoir
une longueur d‟avance sur lui . Sinon, il y aura un autre meurtre .
Miss Casewell – Vous n‟allez pas remettre ça ?
Trotter – Et si, Miss Casewell .Je remets ça . Trois souris aux yeux crevés, souvenez-vous . Déjà
deux d‟éliminées, il n‟en reste plus qu‟une à qui régler son compte .
(il se place à l‟avant-scène, le dos tourné au public) Vous êtes six dans cette pièce … six qui
m‟écoutez … et parmi vous, il y a un assassin .
(il y a un silence . Tous semblent mal à l‟aise, et se lancent des regards gênés)
L‟un d‟entre vous est un assassin. (il s‟approche de la cheminée) J‟ignore encore lequel, mais ça ne
saurait tarder . Et un autre d‟entre vous est la prochaine victime . C‟est à elle que je m‟adresse . (il
s‟approche de Mollie) Mrs Boyle n‟a pas voulu se fier à moi, elle non plus . Et bien, vous avez tort
… car vous êtes en danger . Quelqu‟un qui a déjà commis deux meurtres n‟hésitera pas à en
commettre un troisième . (il fait le tour de la table et va se placer à la droite du Major Metcalf) Et
au moment où je vous parle, j‟ignore lequel d‟entre vous a besoin d‟être protégé de l‟assassin .
(silence)
(Trotter revient se poster à l‟avant-scène, le dos tourné au public)
Allons ! … Quiconque a la moindre chose à se reprocher, même insignifiante, dans cette affaire des
enfants de Longridge Farm, ferait mieux d‟en parler .
(silence)
Très bien, vous ne parlerez pas . J‟aurai le meurtrier, ça, je n‟en doute pas . Mais ce sera sûrement
trop tard pour l‟un d‟entre vous . (il va se placer près de la grande table) Et laissez-moi vous dire
encore une chose : l‟assassin s‟amuse beaucoup . Oh, oui ! … Il doit se régaler … (silence)
(Trotter fait le tour de la grande table et se dirige vers les fenêtres du fond . Il écarte le rideau de
droite, jette un ?il à l‟extérieur puis s‟assoit sur le bord droit de la banquette murale ) C‟est bon,
vous pouvez partir .
(le Major Metcalf sort, en direction de la salle à manger. Christopher par les escaliers de gauche,
tandis que Miss Casewell s‟approche de la cheminée et s‟adosse à la poutre. Giles, suivi de Mollie,
s‟approche de la grande table . Giles s‟arrête soudain et se dirige vers la droite . Mollie tourne alors
les talons et va se placer derrière le grand fauteuil . Paravicini se lève du petit fauteuil et se dirige
vers Mollie .)
Paravicini – À propos des poules, chère Madame, avez-vous déjà essayé des toasts au foie de
volaille, sur un couche de foie gras, avec une très fine tranche de lard et un soupçon de moutarde ?
Je vais venir avec vous à la cuisine, et nous allons voir ce que nous pouvons concocter . Cela nous
occupera d‟une manière tout à fait agréable .
(Paravicini prend le bras droit de Mollie et l‟entraîne vers la cuisine)
Giles – (il prend le bras gauche de Mollie) Je vais aider ma femme, Paravicini . (Mollie se dégage
du bras de Giles)
Paravicini – (à Mollie) Votre mari s‟inquiète pour vous . C‟est bien naturel vu les circonstances .
Cela ne l‟enchante guère de vous laisser seule en ma compagnie . (Mollie se dégage de Paravicini)
Il a peur de mes tendances sadiques, pas de mes mauvaises manières . (il jette un regard coquin en
direction de Mollie) Hélas, que les maris sont ennuyeux ! (il lui baise la main) A rivederla[30] …
Mollie – Je suis sûre que Giles …
Paravicini – Il a raison . Ne prenez aucun risque. (il retourne près du grand fauteuil) Suis-je en
mesure de vous prouver, à vous, à votre mari ou bien même à notre obstiné Sergent que je ne suis
pas un tueur en série ? Il est si difficile de faire la preuve de ce que l‟on n‟est pas. Et à supposer que
je le sois vraiment … (il fredonne l‟air de Three Blind Mice)
Mollie – Oh, non ! (elle s‟adosse au grand fauteuil)
Paravicini – C‟est pourtant un air si gai … vous ne trouvez pas ? La fermière leur coupe la queue
avec un grand couteau … couic, couic, couic … c‟est délicieux . Un enfant adorerait ça … c‟est
cruel, un enfant . (il incline le buste en avant) Certains ne grandissent jamais . (Mollie pousse un
petit cri effrayé)
Giles – (il s‟approche de Paravicini) Cessez immédiatement d‟effrayer ma femme !
Mollie – C‟est moi qui suis stupide . Mais vous savez, c‟est moi qui l‟ai trouvée dans le salon . Son
visage était violet . Je ne parviens pas à me détacher de cette image …
Paravicini – Je sais . Il est difficile d‟oublier, n‟est-ce pas ? Et vous n‟êtes pas du genre à oublier .
Mollie – (troublée) Il faut que j‟y aille …le repas …le dîner … préparer les épinards… et les
pommes de terre vont être toutes cassées… Giles, s‟il te plaît …
(Giles et Mollie sortent par l‟arche du fond . Paravicini, appuyé contre le mur gauche de l‟arche, les
regarde s‟éloigner, avec un large sourire. Miss Casewell se tient toujours devant la cheminée,
perdue dans ses pensées )
Trotter – (il se lève et s‟approche de Paravicini) Qu‟avez-vous bien pu lui dire pour la troubler
ainsi ?
Paravicini – Moi, Sergent ? Oh, juste une petite plaisanterie, tout à fait innocente. J‟ai toujours
aimé faire des petites plaisanteries.
Trotter – Il y en a qui sont drôles, et d‟autres qui ne le sont pas .
Paravicini – (revient vers le centre de la pièce) Je me demande bien ce que vous voulez dire,
Sergent .
Trotter – Je me pose des questions à votre sujet, monsieur .
Paravicini – Vraiment ?
Trotter – Oui . Je m‟interroge par exemple sur votre accident de voiture … Comment a-t-elle pu
rentrer dans une congère … (il marque un temps, tire le rideau de la fenêtre, puis achève) … si
opportunément ?
Paravicini – Inopportunément, vous voulez dire. N‟est-ce pas, Sergent ?
Trotter – (il se rapproche de Paravicini ) Tout dépend de la façon dont on considère les choses . Au
fait, où alliez-vous, quand vous avez eu cet … accident ?
Paravicini – Oh, j‟allais voir un ami …
Trotter – Dans les environs ?
Paravicini – Pas très loin d‟ici …
Trotter – On peut connaître le nom et l‟adresse de votre ami ?
Paravicini – Vraiment, Sergent Trotter , cela a-t-il une importance quelconque ? Je veux dire …
cela n‟a rien à voir avec la situation fâcheuse dans laquelle nous nous trouvons, si ? (il s‟assoit à
l‟extrémité du canapé)
Trotter – Disons que j‟aime bien avoir des renseignements complets . Comment avez-vous dit que
s‟appelait votre ami ?
Paravicini – Je ne vous l‟ai pas dit . (il prend un cigare, d‟un paquet qu‟il tire de sa poche)
Trotter – Non, vous ne me l‟avez pas dit . Et il semble bien que vous ne me le direz pas . ( il
s‟assoit sur le rebord droit du canapé) En tout cas, c‟est tout à fait intéressant .
Paravicini – Chacun peut avoir ses raisons … il y a tant de possibilités. Une histoire d‟amour, par
exemple … cela exige un peu de discrétion. Ah, ces maris jaloux ! ( il coupe son cigare)
Trotter – Un peu vieux pour tourner autour des jeunes femmes à votre âge, non ?
Paravicini – Mon cher Sergent, je ne suis peut-être pas aussi âgé que j‟en ai l‟air …
Trotter – C‟est précisément ce que je me disais, monsieur .
Paravicini – Qu‟est-ce que vous vous disiez, au juste ? (il allume son cigare)
Trotter – Que vous n‟étiez peut-être pas aussi âgé que vous voulez le faire croire. Beaucoup de
gens essaient au contraire de paraître plus jeunes qu‟ils ne sont . Alors, quand on tombe sur
quelqu‟un qui essaie de paraître plus âgé, on se demande quelles raisons il a pour le faire .
Paravicini – Vous vous demandez tant de choses à propos des gens, sans compter les questions que
vous devez aussi vous poser sur vous-même . Ça ne fait pas beaucoup ?
Trotter – J‟ai des chances d‟obtenir des réponses de ma part, beaucoup moins de la vôtre .
Paravicini – Bon,bon, essayez encore … enfin, si vous avez encore des questions à poser …
Trotter – Une ou deux . D‟où arriviez-vous, hier soir ?
Paravicini – C‟est très simple : de Londres.
Trotter – Quelle adresse, à Londres ?
Paravicini – Je descends toujours au Ritz .
Trotter – Très bonne adresse, du moins je suppose . Mais quelle est votre adresse fixe ?
Paravicini – Je n‟aime pas la fixité .
Trotter – Quelle est votre profession ?
Paravicini – Je joue en bourse .
Trotter – Courtier ?
Paravicini – Non, non, vous m‟avez mal compris .
Trotter – Vous aimez ce petit jeu, n‟est-ce pas ? Vous êtes bien sûr de vous. Vous ne devriez pas
l‟être autant : vous êtes mêlé à une affaire de meurtre, ne l‟oubliez pas . Un meurtre, ce n‟est ni une
plaisanterie, ni un jeu .
Paravicini – Même pas ce meurtre-ci ? (il émet un petit rire, et regarde Trotter par côté) Mon Dieu,
comme vous êtes sérieux, Sergent Trotter . J‟ai toujours trouvé que les policiers n‟avaient aucun
humour. (il se lève du canapé, et fait quelques pas sur la gauche) Ça y est, l‟interrogatoire est
terminé ? … pour l‟instant du moins ?
Trotter – Pour l‟instant, oui .
Paravicini – Merci beaucoup .Je vais pouvoir jeter un ?il dans le salon, au cas où quelqu‟un aurait
caché vos skis dans le piano .
(Paravicini sort par la porte du salon . Trotter le regarde sortir en fronçant les sourcils, va jusqu‟à la
porte et l‟ouvre . Pendant ce temps, Miss Casewell traverse la pièce d‟un pas tranquille, et s‟apprête
à prendre l‟escalier . Trotter referme la porte et lui lance, sans même tourner la tête )
Trotter – Une minute, s‟il vous plaît .
Miss Casewell – C‟est à moi que vous vous adressez ?
Trotter – Oui . (il traverse la pièce et gagne le fauteuil central) Si vous voulez bien venir vous
asseoir . (il tape les coussins du fauteuil à son intention)
(Miss Casewell l‟observe avec méfiance puis s‟ approche du canapé)
Miss Casewell – Bon, que me voulez-vous ?
Trotter – Vous avez sans doute entendu quelques-unes des questions que j‟ai posées à Mr
Paravicini ?
Miss Casewell – Oui .
Trotter – (il se poste à l‟extrémité droite du canapé) J‟aimerais aussi avoir quelques
renseignements à votre sujet .
Miss Casewell – ( elle se rend finalement jusqu‟au fauteuil et s‟y assoit) Que voulez-vous savoir ?
Trotter – Vos nom et prénom, s‟il vous plaît .
Miss Casewell – Leslie Margaret … (elle marque un temps) …Katherine Casewell .
Trotter – (sur un ton légèrement différent) Katherine …
Miss Casewell – Ça s‟écrit avec un “K”.
Trotter – Très bien . Votre adresse ?
Miss Casewell – Villa Mariposa, Le Pin d‟Or, Majorque .
Trotter – C‟est en Italie ?
Miss Casewell – Non, Majorque est une île espagnole .
Trotter – Je vois … Votre adresse en Angleterre ?
Miss Casewell – Tout mon courrier m‟est adressé aux bons soins de la banque Morgan, dans
Leadenhall Sreet.
Trotter – Vous n‟avez pas d‟autre adresse ?
Miss Casewell – Non .
Trotter – Depuis combien de temps êtes-vous en Angleterre ?
Miss Casewell – Depuis une semaine .
Trotter – Et depuis votre arrivée, vous séjournez…
Miss Casewell – À l‟hôtel Ledbury, dans Knightsbridge[31] .
Trotter – (il s‟assoit à l‟extrémité droite du canapé) Quelle raison vous a amenée jusqu‟à
Monkswell Manor, Miss Casewell ?
Miss Casewell – Je recherchais un endroit calme, à la campagne.
Trotter – Combien de temps aviez-vous, ou avez-vous encore, l‟intention de rester en Angleterre ?
(il se tortille les cheveux de la main droite)
Miss Casewell – Jusqu‟à ce que j‟en aie terminé avec ce qui m‟ a amenée ici . (elle remarque son
tic)
Trotter – (il relève les yeux, saisi par ses paroles. Elle l‟observe) Et de quoi s‟agissait-il ?
(silence)
De quoi s‟agissait-il ? (il cesse de se tortiller les cheveux)
Miss Casewell – (avec un froncement de sourcils contrarié) Comment ?
Trotter – Pour quelle raison êtes-vous venue en Angleterre ?
Miss Casewell – Je vous demande pardon . J‟étais en train de penser à autre chose .
Trotter – (il se lève et s‟approche de Miss Casewell) Vous n‟avez pas répondu à ma question .
Miss Casewell – Je ne vois vraiment pas pourquoi j‟y répondrais. Cela ne regarde que moi .C‟est
une affaire strictement privée .
Trotter – Tout de même, Miss Casewell …
Miss Casewell – (elle se lève et va jusqu‟à la cheminée) Non, inutile d‟insister .
Trotter – Est-ce trop de vous demander votre âge ?
Miss Casewell – Pas du tout . Comme cela est indiqué sur mon passeport, j‟ai vingt-quatre ans .
Trotter – Vingt-quatre ans ?
Miss Casewell – Vous trouvez que je fais plus âgée … vous avez raison .
Trotter – Y a-t-il quelqu‟un en Angleterre qui puisse confirmer vos dires ?
Miss Casewell – Ma banque pourra vous rassurer concernant ma situation financière . Je peux aussi
vous mettre en relation avec mon avocat, un homme très discret . Je ne puis malheureusement pas
vous fournir de références familiales . J‟ai pratiquement vécu toute ma vie à l‟étranger .
Trotter – À Majorque ?
Miss Casewell – À Majorque , entre autres .
Trotter – Vous êtes née à l‟étranger ?
Miss Casewell – Non, j‟ai quitté l‟Angleterre à l‟âge de treize ans .
(un silence, pendant lequel la tension est palpable)
Trotter – À vrai dire, Miss Casewell, je n‟arrive pas vraiment à vous cerner .
(il recule légèrement en direction du fauteuil)
Miss Casewell – Quelle importance ?
Trotter – Je l‟ignore . (il s‟assoit dans le grand fauteuil) Quelle raison vous a amenée ici ?
Miss Casewell – Cela a l‟air de vous préoccuper.
Trotter – Oui, cela me préoccupe . (il l‟observe attentivement) Vous êtes partie à l‟étranger à l‟âge
de treize ans ?
Miss Casewell – Oui, douze ou treize ans , quelque chose comme ça .
Trotter – Vous vous appeliez déjà Casewell ?
Miss Casewell – C‟est en tout cas comme ça que je m‟appelle aujourd‟hui .
Trotter – Était-ce votre nom à l‟époque ? Allons, dites-le moi …
Miss Casewell – (perdant patience ) Où voulez-vous en venir ?
Trotter – Je veux simplement savoir quel était votre nom quand vous avez quitté l‟Angleterre ?
Miss Casewell – C‟était il y a longtemps, j‟ai oublié .
Trotter – Cela fait partie des choses que l‟on ne peut pas oublier .
Miss Casewell – Si vous le dites.
Trotter – Le chagrin … le désespoir …
Miss Casewell – Sans doute …
Trotter – Quel est votre vrai nom ?
Miss Casewell – Je vous l‟ai déjà dit : Leslie Margaret Katherine Casewell . (elle s‟assoit dans le
petit fauteuil près de la cheminée )
Trotter – (il se lève) Katherine … ? (il se penche sur elle ) Que diable êtes-vous venue faire ici ?
Miss Casewell – Je … Oh, Mon Dieu … (elle se lève, se dirige vers le centre de la pièce, et se jette
sur le canapé. Elle éclate en sanglots , recroquevillée sur elle-même, et semble se balancer) Si
seulement j‟avais pu ne pas venir ici …
(Trotter, saisi, s‟approche du canapé. Christopher entre au même moment dans la pièce par la porte
du salon )
Christopher – (il s‟approche lui aussi du canapé) Je croyais que le passage à tabac était interdit .
Trotter – J‟étais simplement en train d‟interroger Miss Casewell.
Christopher – Vous semblez plutôt l‟avoir bouleversée . (à Miss Casewell) Que vous a-t-il fait ?
Miss Casewell – Non, ce n‟est rien . C‟est seulement tout ça … ce meurtre … c‟est si horrible .
(elle se lève et fait face à Trotter) Ça me revient out d‟un coup … Il faut que je monte dan ma
chambre .
(elle sort par l‟escalier)
Trotter – (il va jusqu‟à l‟escalier et la regarde monter à l‟étage) Ce n‟est pas possible … c‟est
incroyable …
Christopher – (il se dirige vers le bureau et s‟appuie sur le dossier de la chaise) Qu‟est-ce qui est
incroyable ? Les douze travaux d‟Hercule ?
Trotter – Ma foi, c‟est à peu près de cet ordre là .
Christopher – Mon Dieu ! On croirait que vous avez vu un fantôme .
Trotter – (reprenant son attitude habituelle) Je viens surtout de voir une chose que j‟aurais dû voir
avant . (il revient au centre de la pièce) J‟ai été aussi aveugle qu‟une chauve-souris . Mais je crois
bien que désormais nous allons aboutir .
Christopher – (d‟un ton impertinent) La police tient une piste !
Trotter – (il se place à droite de la table de salon, puis, d‟un ton un rien menaçant) Oui, Mr Wren .
La police tient enfin une piste . Je veux que tout le monde se rassemble ici de nouveau . Savez-vous
où sont les autres ?
Christopher – (s‟approche de Trotter) Giles et Mollie se trouvent dans la cuisine . J‟ai aidé le
major Metcalf à chercher vos skis . Nous avons regardé dans les endroits les plus extravagants,
mais sans grand résultat . J‟ignore où se trouve Paravicini .
Trotter – Je vais le trouver . (il se dirige vers la porte du salon) Ramenez les autres ! (Trotter ouvre
la porte et appelle ) Mr Paravicini ! (il revient près du canapé) Mr Paravicini ! ( il retourne près de
la porte du salon et crie) Paravicini ! (Trotter revient au centre de la pièce, près de la grande table,
tandis que Paravicini entre, l‟air guilleret, par la porte du salon )
Paravicini – Oui, Sergent ? (il va jusqu‟à la chaise du bureau) Que puis-je pour vous ? Notre
pauvre policier a perdu ses skis et n‟arrive pas à les retrouver ... Laissez-les revenir tous seuls, ils
vous ramèneront sûrement le meurtrier par la même occasion . (il retourne près de la porte du salon,
tandis que le Major Metcalf entre par l‟arche du fond . Giles et Mollie entrent à leur tour, venant de
la cuisine, accompagnés de Christopher)
Major Metcalf – Qu‟est-ce que cela signifie ? (il se dirige vers la cheminée)
Trotter – Asseyez-vous, Major. Mrs Ralston…
(aucun d‟eux ne s‟assoit. Mollie se tient derrière le grand fauteuil , Giles reste à l‟extrémité droite
de la grande table, tandis que Christopher se tient entre eux deux )
Mollie – Est-il vraiment important que je sois là ? Ça m‟ennuie de …
Trotter – Il y a des choses plus importantes que le dîner, Mrs Ralston . Mrs Boyle, par exemple,
n‟a plus besoin de dîner …
Major Metcalf – Bravo, Sergent, c‟est très délicat de votre part !
Trotter – Je suis désolé, mais j‟ai besoin de votre coopération à tous, et je compte bien l‟obtenir .
Mr Ralston, voulez-vous bien demander à Miss Casewell de descendre nous rejoindre ? Elle est
montée dans sa chambre voilà quelques minutes . Dites-lui que ce ne sera pas long .
( Giles sort par l‟escalier)
Mollie – (elle se rapproche de Christopher) Avez-vous pu mettre la main sur vos skis, Sergent ?
Trotter – Non, Mrs Ralston . En revanche, je peux dire que j‟ai une idée très précise de qui les a
pris, et de la raison pour laquelle on les a pris . Je ne vous en dirai pas plus pour le moment .
Paravicini – Oh ,oui … n‟en dites pas davantage . (il revient vers la chaise de bureau) Gardez-nous
les explications pour la fin. Vous savez, comme dans les romans policiers, on apprend tout avec
délice au dernier chapitre .
Trotter – (d‟un ton de reproche) Il ne s‟agit pas d‟un jeu, Monsieur !
Christopher – Vous trouvez ? Moi je pense que vous avez tort . Il s‟agit bien d‟un jeu ... pour l‟un
d‟entre nous .
Paravicini – Vous pensez que l‟assassin s‟amuse de cette situation ?
bien … (il s‟assoit sur la chaise)
Peut-être bien … peut-être
(Giles et Miss Casewell , maintenant calmée, font leur entrée par l‟escalier)
Miss Casewell – Que se passe-t-il ?
Trotter – Veuillez vous asseoir, Miss Casewell . Mrs Ralston…
(Miss Casewell s‟assoit sur le bras droit du canapé, tandis que Mollie va s‟asseoir dans le grand
fauteuil ; Giles quant à lui reste debout au pied de l‟escalier)
Trotter – (d‟un ton officiel) Je vous demande la plus grande attention. (il va s‟asseoir sur la grande
table) Vous vous rappelez sans doute qu‟après le meurtre de Mrs Boyle, j‟ai recueilli vos
dépositions . Elles m‟ont fait connaître les endroits où chacun se trouvait au moment où l‟on
assassinait Mrs Boyle . Nous disons donc : (il consulte son carnet) Mrs Ralston dans la cuisine …
Mr Paravicini jouant du piano dans le salon … Mr Ralston dans sa chambre . Mr Wren, idem .
Miss Casewell dans la bibliothèque. Le Major Metcalf … (il marque une pause et regarde le Major
Metcalf) … à la cave .
Major Metcalf – Exact .
Trotter – Ce sont là vos dépositions . Et je n‟étais pas en mesure de les vérifier . Elles sont peutêtre vraies, peut-être pas . Pour être plus clair… cinq d‟entre elles sont vraies, mais la sixième est
un mensonge … Laquelle ? (il se tait et observe chaque personne l‟une après l‟autre) Cinq d‟entre
vous m‟ont dit la vérité . L‟un de vous a menti . J‟ai une idée qui va peut-être m‟aider à découvrir
lequel d‟entre vous est un menteur . Et si je découvre qui m‟a menti, je tiens le meurtrier …
Miss Casewell – Pas sûr . Quelqu‟un peut très bien avoir menti pour une toute autre raison .
Trotter – J‟en doute.
Giles – Quelle est votre idée ? Je croyais que vous n‟aviez aucun moyen de vérifier nos dépositions
.
Trotter – C‟est vrai … sauf à supposer que chacun d‟entre vous soit amené à revivre la même
situation une seconde fois .
Paravicini – (soupirant) Oh, encore cette vieille ficelle … La reconstitution du crime !
Giles – Une idée exotique …
Trotter – Non, non … Pas une reconstitution du crime, Mr Paravicini. La reconstitution des faits et
gestes de gens a priori innocents …
Major Metcalf – Et qu‟espérez-vous apprendre ?
Trotter – Vous voudrez bien me permettre de ne pas vous le dire pour l‟instant .
Giles – Vous voulez que nous fassions … une sorte de répétition générale ?
Trotter – Tout à fait, Mr Ralston, c‟est cela .
Mollie – C‟est un piège, j‟en suis sûre .
Trotter – Je vous demande seulement de refaire ce que vous avez déjà fait .
Christopher – (lui aussi méfiant) Mais je ne vois vraiment pas … je ne vois tout simplement pas
ce que vous espérez obtenir en nous faisant refaire ce que nous avons déjà fait . Ça n‟a pas de sens .
Trotter – Vous croyez, Mr Wren ?
Mollie – En tout cas, ne comptez pas sur moi . J‟ai bien trop à faire à la cuisine . (elle se lève et se
dirige vers l‟arche du fond)
Trotter – Je ne peux me permettre d‟exclure aucun de vous .
(il se lève à son tour et les regarde les uns après les autres) À vous voir, on vous croirait tous
coupables. Pourquoi montrez-vous donc tant de mauvaise volonté ?
Giles – Vous avez raison, Sergent. Nous allons tous coopérer. N‟est-ce pas Mollie ?
Mollie – (à contrec?ur) Très bien …
Giles – Wren ? (Christopher approuve de la tête) Miss Casewell …?
Miss Casewell – Oui .
Giles – Paravicini ?
Paravicini – (avec un mouvement des mains) Ma foi, j‟accepte .
Giles – Metcalf ?
Major Metcalf – (lentement) Oui .
Giles – Devons-nous tous répéter exactement ce que nous avons déjà fait ?
Trotter – Oui, les mêmes faits et gestes .
Paravicini – (il se lève) Alors je retourne au piano, dans le salon . Je vais essayer de reproduire
l‟air qu‟aime tant notre assassin … avec un seul doigt bien sûr . (il chantonne l‟air, tout en remuant
son doigt comme s‟il jouait du piano) Tum, tum dum … tum tum dum (il se dirige vers la porte du
salon)
Trotter – (se rapproche de l‟avant-scène) Pas si vite, Mr Paravicini . ( à Mollie) Savez-vous jouer
du piano, Mrs Ralston ?
Mollie – Oui, un peu .
Trotter – Et connaissez-vous l‟air de Three Blind Mice ?
Mollie – Est-il possible de ne pas le connaître?
Trotter – Alors, vous pourriez peut-être le jouer au piano, avec un seul doigt, comme Mr
Paravicini ?
(Mollie acquiesce) Bien. Alors veuillez vous rendre au salon et vous installer au piano, s‟il vous
plaît . Tenez-vous prête à jouer à mon signal . (Mollie traverse la pièce en passant devant le canapé,
et se dirige vers la porte du salon)
Paravicini – J'avais compris que nous devions rejouer nos propres rôles .
Trotter – Les mêmes rôles vont être rejoués, mais pas nécessairement par les mêmes personnes .
Merci, Mrs Ralston .
(Paravicini lui ouvre la porte du salon; Mollie sort)
Giles – Je ne vois pas où vous voulez en venir .
Trotter – (retourne près de la grande table) J‟ai une idée précise . C‟est un moyen de vérifier vos
dépositions, et plus précisément une déposition en particulier . Bon, je vous demande la plus grande
attention . Je vais vous désigner les lieux où vous devez vous tenir . Mr Wren, s‟il vous plaît,
veuillez vous rendre à la cuisine . Profitez-en pour surveiller le dîner que nous a préparé Mrs
Ralston. Je crois que vous aimez cuisiner … (Christopher sort par l‟arche du fond) Mr Paravicini,
voulez-vous vous rendre à l‟étage, dans la chambre de Mr Wren ? Passez par l‟escalier de service,
ce sera plus commode . Major Metcalf, voulez-vous monter dans la chambre de Mr Ralston, et y
examiner le téléphone ? Miss Casewell, voulez-vous bien descendre à la cave ? Mr Wren vous
indiquera le chemin à suivre . Malheureusement, il faut que quelqu‟un joue mon rôle . Je suis
désolé, Mr Ralston, d‟avoir à vous demander cela, mais pouvez-vous sortir par cette fenêtre et
suivre le câble téléphonique jusqu‟à la porte d‟entrée, à peu près ? C‟est un rôle plutôt refroidissant,
mais vous êtes sans doute le plus solide de nous tous.
Major Metcalf – Et vous, qu‟allez-vous faire ?
Trotter – (il se rend près de la radio, qu‟il allume, puis éteint) Je vais tenir le rôle de Mrs Boyle .
Major Metcalf – C‟est un peu risqué, non ?
Trotter – Aucun de vous ne doit quitter son poste, tant que je ne vous aurai pas appelés .
(Miss Casewell se lève et sort par l‟arche du fond ; Giles contourne la grande table et ouvre le
rideau de droite ; le Major Metcalf sort par l‟escalier ; Trotter fait un signe de tête à Paravicini pour
lui demander de sortir )
Paravicini – Vous parlez d‟un jeu de société ! (il sort par l‟arche du fond)
Giles – Vous ne voyez pas d‟inconvénient à ce que je prenne un manteau ?
Trotter – Je vous le conseille, même . (Giles va chercher son pardessus dans le hall d‟entrée,
l‟enfile et retourne près de la fenêtre. Trotter se replace devant la grande table et note quelque chose
dans son carnet) Prenez ma lampe de poche, monsieur . Derrière le rideau .
(Giles escalade la fenêtre et sort . Trotter traverse la pièce jusqu‟à la porte de la bibliothèque et y
entre. Il réapparaît après un court instant, éteint la lumière de la bibliothèque et se rend à la fenêtre,
qu‟il referme, et tire le rideau. Il traverse la pièce en direction cette fois de la cheminée, et
s‟enfonce dans le grand fauteuil . Quelques secondes plus tard il se relève et se rend près de la porte
de salon . )
Trotter – (d‟une voix forte) Mrs Ralston, comptez jusqu‟à vingt et commencez à jouer .
(il referme la porte, se rend au pied des escaliers, et jette un ?il à l‟extérieur. On entend jouer au
piano l‟air de Three Blind Mice . Après un court instant, il se rend près de la porte de la salle à
manger et éteint les appliques murales qui entourent la cheminée . Il court jusqu‟à la lampe de
chevet qu‟il allume, puis retourne près de la porte de salon . Il appelle ) Mrs Ralston !
(Mollie entre et s‟approche du canapé)
Mollie – Oui, qu‟y a-t-il ? (Trotter referme la porte du salon et s‟adosse à celle-ci) Vous avez l‟air
bien content de vous . Avez-vous obtenu ce que vous vouliez ?
Trotter – J‟ai exactement ce que je souhaitais .
Mollie – Vous savez qui est le meurtrier ?
Trotter – Oui .
Mollie – Lequel est-ce ?
Trotter – Vous devriez le savoir .
Mollie – Moi ?
Trotter – Oui . Vous vous êtes montrée très imprudente. Vous vous êtes réellement mise en danger
en ne me faisant pas confiance . Au final , vous avez risqué votre vie à plusieurs reprises .
Mollie – Je ne comprends pas ce que vous voulez dire .
Trotter – (il se rend lentement vers la table basse, puis passe devant le canapé, l‟air naturel et
amical) Allez, Mrs Ralston … les policiers ne sont pas aussi stupides que vous semblez le croire .
Depuis le début je sais que vous avez eu un rapport direct avec l‟affaire de Longridge Farm . Et
vous saviez que Mrs Boyle était magistrat lors du placement des enfants . En fait, vous étiez au
courant de tout . Pourquoi n‟avoir rien dit ?
Mollie – (très touchée) Je ne sais pas . Je voulais oublier … oublier . (elle s‟assoit à l‟extrémité
gauche du canapé)
Trotter – Waring est bien votre nom de jeune fille ?
Mollie – Oui .
Trotter – Miss Waring … Vous faisiez la classe à l‟école où allaient les enfants .
Mollie – Oui .
Trotter – Jimmy, l‟enfant qui est décédé, vous a fait parvenir une lettre, c‟est bien ça ? (il s‟assoit à
l‟autre bout du canapé) Cette lettre était un appel au secours … il demandait de l‟aide à sa jeune et
gentille institutrice . Vous n‟avez jamais répondu à cette lettre .
Mollie – Je ne pouvais pas . Je n‟ai jamais eu cette lettre .
Trotter – En réalité, ça vous était bien égal .
Mollie – Ce n‟est pas vrai ... j‟étais malade ... c‟est le même jour que j‟ai contracté ma pneumonie .
La lettre a été mise de côté avec mon courrier … ce n‟est que plusieurs semaines après que je l‟ai
trouvée parmi les autres lettres . Et entre-temps, ce pauvre enfant était décédé … (elle ferme les
yeux) … mort … mort …il devait attendre que je fasse quelque chose … il a dû espérer, ….et puis il
a dû perdre espoir peu à peu … Oh, ça n‟a pas cessé de me poursuivre depuis tout ce temps … Si
seulement je n‟étais pas tombée malade … si seulement j‟avais su .. Oh, c‟est horrible que de telles
choses puissent arriver !
Trotter – (d‟une voix soudain sourde) Oui, c‟est horrible . (il sort un revolver de sa poche)
Mollie – Je croyais que la police anglaise n‟avait pas de revolver …. (elle voit soudain le visage de
Trotter et sursaute de terreur).
Trotter – La police, non . Mais je ne suis pas policier, Mrs Ralston . Vous l‟avez cru parce que je
vous ai appelée d‟une cabine téléphonique en prétendant me trouver au commissariat, et en vous
annonçant l‟arrivée d‟un Sergent Trotter … J‟ai coupé le câble du téléphone avant de me présenter
à la porte d‟entrée . Vous savez qui je suis, Mrs Ralston ? Je suis Georgie, le frère de Jimmy .
Mollie – Oh …! (elle regarde autour d‟elle, affolée)
Trotter – (il se lève) Vous n‟avez pas intérêt à crier, Mrs Ralston, car en ce cas je ferais feu sur
vous … J‟aimerais parler un peu avec vous . (il s‟éloigne) Oui, j‟aimerais vous parler … Jimmy est
mort . (il s‟exprime désormais d‟une manière enfantine) Cette sale méchante femme l‟a tué ! Ils
l'ont mise en prison, mais c'était pas assez méchant pour elle . J'avais juré de la tuer un jour … c'est
ce que j'ai fait . Dans la brume . Je me suis bien amusé . J'espère que Jimmy l'a vu . Je les tuerai tous
quand je serai grand … j'l'avais juré …les adultes peuvent faire ce qu'ils veulent . (d'un ton gai) Et
je vais vous tuer dans pas longtemps .
Mollie – Je ne le ferais pas si j'étais vous . (elle essaie de se monter persuasive) Vous ne pourrez
pas sortir d'ici .
Trotter – (sur un ton boudeur) Quelqu'un m'a piqué mes skis ! Je n'arrive pas à les retrouver .
Mais ça ne fait rien. Je m'en fiche de m'en aller ou pas . J'en ai marre . Je me suis tellement bien
amusé à voir vos têtes, et à jouer au policier .
Mollie – Le revolver fera un bruit du tonnerre .
Trotter – Ça oui . C'est mieux que je fasse comme d'habitude , en vous tordant le cou . (il
s'approche d'elle lentement, en sifflant l'air de Three Blind Mice) Vous êtes ma dernière petite
souris . Le piège va se fermer . (il jette le revolver sur le canapé, et se penche sur elle, la main
gauche sur sa bouche, et la droite sur son cou)
(À cet instant, paraissent Miss Casewell et le Major Metcalf, dans l'embrasure de l'arche du fond)
Miss Casewell – Georgie ! Georgie, tu me reconnais ? Tu te souviens de la ferme, Georgie ? Les
animaux, notre vieux cochon tout gros… et le jour où le taureau nous a poursuivis dans le champ …
et les chiens …
(elle va jusqu'à la table de salon)
Trotter – Les chiens ?
Miss Casewell – Oui : Spot et Plain .
Trotter – Kathy ?
Miss Casewell – Oui … Kathy . Tu te souviens de moi maintenant ?
Trotter – Kathy … c'est toi … qu'est-ce que tu fais là ? (il se lève et va jusqu'à la table de salon)
Miss Casewell – Je suis venue en Angleterre pour te chercher . Je ne t'ai reconnu que lorsque tu as
tortillé tes cheveux comme tu le faisais toujours . (Trotter se remet à tortiller ses cheveux) Oui, tu
l'as toujours fait . Georgie, viens avec moi .
Trotter – On va où ?
Miss Casewell – (doucement, comme si elle parlait à un enfant) Tout va bien, Georgie . On va
dans un endroit où on va s'occuper de toi … et on veillera à ce que tu ne causes plus de mal .
(elle sort par les escaliers, tenant Trotter par la main . Le major Metcalf rallume la lumière, va
jusqu'à l'escalier et appelle)
Major Metcalf – Ralston ! Ralston !
(le Major Metcalf disparaît par les escaliers, tandis que Giles entre par l'arche du fond . Il se
précipite vers le canapé où se trouve toujours Mollie, s'assoit et la prend dans ses bras, posant le
revolver sur la table de salon)
Giles – Mollie, Mollie … ça va ? Chérie … chérie …
Mollie –- Oh, Giles !
Giles – Qui aurait pu croire que c'était lui ?
Mollie – C'est dingue … complètement dingue .
Giles – Oui, mais tu …
Mollie – J'étais mêlée à cette histoire ,j'étais l'institutrice des enfants … Ce n'était pas ma faute …
mais il pensait que j'aurais pu sauver son frère .
Giles – Tu aurais dû m'en parler .
Mollie – Je voulais oublier . ( le Major Metcalf redescend l'escalier et vient se placer au centre de la
pièce )
Major Metcalf – Tout va bien . On va lui donné un calmant, il va dormir . Sa s?ur veille sur lui .
Le pauvre est complètement fêlé, c'est sûr . Depuis le début je le soupçonnais .
Mollie – Ah bon ? Vous aviez deviné qu'il n'était pas un vrai policier ?
Major Metcalf – Je savais qu'il n'était pas un policier, parce que c'est moi, le policier .
Mollie – Vous ?
Major Metcalf – Dès que nous avons été mis au courant du carnet retrouvé à Londres avec
l'adresse de Monkswell Manor, nous avons compris qu'il était capital d'avoir quelqu'un ici . Quand
nous lui avons expliqué l'affaire, le vrai Major Metcalf a accepté de me laisser prendre sa place .
J'ai été soufflé quand le soi-disant Trotter a débarqué ! (il aperçoit le revolver sur la table et le
prend)
Mollie – Miss Casewell est la s?ur de Trotter ?
Major Metcalf – Oui . Heureusement qu' elle l'a reconnu à temps ! Elle ne savait pas quoi faire,
alors elle est venue me trouver . Il était temps ! Bien : la neige commence à fondre, nous devrions
avoir du renfort d'ici peu . (il se dirige vers l'arche du fond) Au fait, Mrs Ralston, j'ai replacé les
skis. Je les avais placés au-dessus du lit à colonnes .
Mollie – Et moi qui soupçonnais Mr Paravicini .
Giles – Celui-là ! J'ai cru comprendre que la police allait passer sa voiture au peigne fin . Ça ne
m'étonnerait pas qu'on y trouve des centaines de montres suisses dans la roue de secours, ou autres
marchandise de ce goût-là. C'est le genre d'affaires qu'il mène, à ce qu'il paraît . Du trafic de petits
objets en tous genres . Mollie, tu pensais vraiment que je …
Mollie – Giles, qu'est-ce que tu es allé faire à Londres hier ?
Giles – Chérie, j'ai été te chercher ton cadeau d'anniversaire . Ça fait un an aujourd'hui qu'on est
mariés .
Mollie – Oh …! C'est aussi pour cela que je suis allée à Londres,et je ne voulais pas que tu le
saches .
Giles – Non ?
(Mollie se lève, va jusqu'au bureau et en sort le petit paquet qu'elle avait placé . Giles se lève ensuite
et se dirige près de la table basse )
Mollie – (en lui tendant son cadeau) Ce sont des cigares . J'espère que tu les aimeras .
Giles – (il défait le paquet) Chérie, tu es un ange . Ils sont magnifiques .
Mollie – Tu les fumeras ?
Giles – (d'un ton héroïque) Jusqu'au dernier !
Mollie – Et moi, c'est quoi mon cadeau ?
Giles – Ah, oui … j' oubliais ton cadeau . (il se précipite dans l'entrée, et prend un carton à chapeau
dans le coffre . Il revient et annonce fièrement ) Un chapeau !
Mollie – (surprise) Un chapeau ? Mais je n'en porte jamais !
Giles – J'ai fait pour le mieux .
Mollie – (elle le sort du carton) Oh, il est splendide , chéri .
Giles – Mets-le .
Mollie – Plus tard, quand je serai bien coiffée .
Giles – Ça te convient, tu es sûre ? La vendeuse m'a dit que c'était très à la mode .
(Mollie met le chapeau. Giles recule jusqu'au bureau . Le Major Metcalf entre en trombe par l'arche
du fond)
Major Metcalf – Mrs Ralston ! Mrs Ralston! Il y a une terrible odeur de brûlé qui vient de la
cuisine !
(Mollie se précipite vers la cuisine )
Mollie – (catastrophée) Oh, ma tourte !
LE RIDEAU TOMBE
titre d‟une comptine anglaise très connue, que l‟on peut traduire de deux manières :"Trois souris
aveugles” ou bien “Trois souris les yeux crevés”.
[1] « Three Blind Mice » :
[2] Monk : en anglais, cela signifie ………….
A well = …………………………………
Monkswell Manor = ………………………………………………….
[3] guinée : ancienne monnaie anglaise, dont les premières pièces furent frappées avec de l‟or guinéen. ( trois pays africains
portent le nom de Guinée : la Guinée équatoriale, la République de Guinée, et la Guinée –Bissau)
[4] l‟armée des Indes : le Royaume-Uni possédait un empire colonial immense, qui en Asie comprenait notamment l‟Inde, le
Pakistan et le Bangladesh actuels.
[5] oiseau de Paradis, ou paradisier : oiseau d‟Australie aux plumes à reflets métalliques.
[6] Charles Dickens est un romancier anglais du XIXème siècle, qui dans ses romans (Oliver Twist, David Copperfield…),
s‟inspire souvent de son enfance malheureuse pour décrire la vie des gens pauvres de l‟Angleterre du début de la Révolution
industrielle.
[7] Christopher Wren
est un architecte très connu du XVIIème siècle. Il est le constructeur de la cathédrale St Paul de
Londres.
[8] Cathédrale Saint-Paul : ce monument de style baroque, consacré en 1711, abrite le tombeau de son architecte, Sir
Christopher Wren. Les funérailles de Sir Winston Churchill y ont été célébrées, ainsi que le mariage de lady Diana et du
prince Charles, en 1981.
[9] Pied
( foot/feet) : unité de mesure anglo-saxonne, qui correspond à 30 cm environ.
[10] Paddington : quartier de l‟ouest de Londres, où se trouve une gare importante, notamment.
[11] Berkshire : comté (= région ou département ) d‟ Angleterre , située au sud-ouest de Londres. C‟est dans ce comté que se
trouve la pension de famille de Giles et Mollie.
[12] Superintendant : grade dans la police anglaise, qui correspond à préfet de police d‟un comté.
[13] Voir note 9
[14] cockney : accent des gens des classes populaires de la banlieue de Londres.
[15] Voir note 1
[16] « Trois souris aveugles/ Regardez-les courir/Elles poursuivent la femme du fermier… »
[17] schizophrénie : maladie mentale marquée par une perte de contact avec la réalité, un repli sur soi du malade, et une
humeur alternativement dépressive ou exaltée.
[18] … et il n‟a pas tort : le mot «
schizophrénie » est basé sur deux mos grecs : le premier « skhizein » signifie « esprit»,
et le second, « phrenos » signifie « fendre » . La schizophrénie, c‟est donc « l‟esprit fendu » …
[19] Edimbourg : capitale de l‟Ecosse .
[20] Bournemouth :
ville balnéaire de la côte sud anglaise .
[21] Leamington : station thermale du centre de l‟Angleterre.
[22] Hampstead : quartier résidentiel du nord-ouest de Londres.
[23] Kensington : quartier riche de l‟ouest de Londres.
[24] Crypte :
espace construit sous le sol d‟une église, servant de chapelle et pouvant abriter les tombeaux de martyrs ou de
saints .
[25] impassible : qui
reste calme, imperturbable.
[26] La pièce est écrite au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, ce qui explique les nombreux
décès, les personnes
disparues, et les difficultés d‟approvisionnement dont parlent les personnages tout au long du texte .
[27] un mile équivaut à peu près à 1,6 km .
[28] Evening News :
30 miles = ………… km environ .
……………………………………………………... .
[29] comme beaucoup de journaux à l‟époque, l‟ Evening
[30] a
News était aussi vendu dans la rue, à la criée .
rivederla : au-revoir, en italien .
[31] Knightsbridge : quartier résidentiel de Londres, entre Hyde Park et Buckingham Palace .

Documents pareils