N°117 - Fonds Français pour l`Alimentation et la Santé
Transcription
N°117 - Fonds Français pour l`Alimentation et la Santé
LETTRE SCIENTIFIQUE de l’Institut Français pour la Nutrition ISSN 1629-0119 FEVRIER 2007 - N° 117 Les édulcorants intenses : considérations toxicologiques et pondérales I - Aspects toxicologiques : mythes et réalités Dominique Parent-Massin, Laboratoire de toxicologie alimentaire, URF Sciences / UBO, EA 3880, 6 avenue Le Gorgeu, CS 93837, 29238 Brest cedex 03 II - Quelle incidence sur l’appétit et le poids ? France Bellisle, CRNH Ile-de-France, UMR 1125INRA/U5571INSERM/CNAM/Paris 13, SMBH Université Paris 13, 64 rue Marcel Cachin, 93017 Bobigny Dominique Parent-Massin est biologiste de formation, docteur es sciences, spécialité toxicologie. Elle est professeur de toxicologie alimentaire à l'Ecole supérieure de microbiologie et sécurité alimentaire de Brest (ESMISAB), et directrice du laboratoire de toxicologie alimentaire et cellulaire, EA 3880 à l'UFR Sciences de Brest, université de Bretagne Occidentale. Elle a commencé l'expertise publique en 1993 en participant au groupe de travail additifs alimentaires du CSHPF, puis au groupe de travail biotechnologie (1997) et au groupe de travail risque pour l'homme de la commission des toxiques (Pesticides, 1998). Elle a présidé le comité d'expert spécialisé de l'Afssa pendant deux mandats (2000-2003; 2003-2006). Elle est expert invité à l'EFSA dans le groupe de travail Additifs. Elle est secrétaire générale de la Société française de toxicologie. France Bellisle est directeur de recherche INRA au Centre de recherche en nutrition humaine d’Ile-de-France. Elle est spécialisée dans l'étude expérimentale des comportements alimentaires humains. Ses travaux portent sur la motivation à manger chez l'homme, la quantification de divers aspects des comportements alimentaires, l'importance de nombreux déterminants externes et internes. Conférence du 15 février 2007 La Lettre Scientifique de l’IFN engage la seule responsabilité de ses auteurs. LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007 I - ASPECTS TOXICOLOGIQUES : MYTHES ET REALITES, par Dominique Parent-Massin 1 - Généralités 1.1 - Définition Un édulcorant est une substance possédant une saveur sucrée qui est utilisée pour son action sucrante. Les substances douées d'une saveur sucrée peuvent être regroupées en deux catégories : • Les édulcorants nutritifs dont le pouvoir sucrant est inférieur ou voisin de celui du sucre. Parmi eux on distingue les "sucres" comme le saccharose, le fructose, le glucose, l'isoglucose, etc. qui sont des denrées alimentaires et les polyols ou sucres-alcool comme le sorbitol, le xylitol, l'isomalt, le maltilol, le mannitol et le lactitol qui sont des additifs alimentaires. • Les édulcorants intenses (non nutritifs) qui, compte tenu de leur haut pouvoir sucrant, ne présentent qu'une charge pondérale infime dans la denrée alimentaire sont des additifs alimentaires. 1.2 - Evaluation du risque et notion de DJA Les édulcorants, comme tous les additifs alimentaires, font l'objet d'une évaluation du risque pour le consommateur avant d'obtenir une autorisation de mise sur le marché. L’étape ultime de la caractérisation du danger est la détermination de la Dose Journalière Admissible ou DJA (Acceptable Daily Intake, ou ADI en anglais) qui est la quantité qu’un individu peut consommer tous les jours de sa vie sans courir de risque pour sa santé. Elle est déterminée à partir de la Dose Sans Effet ou DSE (No Observed Adverse Effect Level ou NOAEL) chez l’animal de laboratoire le plus sensible affectée de 2 facteurs de sécurité, l'un inter-spécifique (10) et l'autre intra-spécifique (10). 1.3 - Réglementation Les édulcorants sont régis par la directive européenne 94/35/CE. Cette réglementation repose sur le principe de la liste positive, c'est-à-dire que toute molécule qui n’est pas autorisée est interdite. Edulcorant Pouvoir sucrant E 420 Sorbitol 0,5-0,6 E 421 Mannitol 0,5-0,6 E 953 Isomalt 0,5-0,6 E 965 Maltitol 0,8-0,9 E 966 Lactitol 0,3-0,4 E 967 Xylitol 0,4-0,7 DJA Non Spécifiée Non Spécifiée Non Spécifiée Non Spécifiée Non Spécifiée Non Spécifiée Tableau 1 : Pouvoir sucrant, DJA et dose d'emploi des édulcorants de charge autorisés dans l'UE 3 - Les édulcorants intenses autorisés dans l’UE 3.1 - DJA et pouvoir sucrant des édulcorants intenses Les édulcorants intenses autorisés dans l'UE bénéficient tous d'une DJA spécifiée, à l'exception de la thaumatine. Ils font donc l'objet d'autorisations denrée alimentaire par denrée alimentaire assortie de dose d'emploi maximale dans chaque denrée alimentaire. Ils ont un pouvoir sucrant qui peut être très largement supérieur à celui du sucre. Le fait que tous ces édulcorants (à l'exception de la thaumatine) bénéficient d'une DJA spécifiée et de dose maximale d'utilisation amène à penser qu'ils ne présentent pas de risques toxicologiques pour l'homme. Cependant, l'innocuité d'un certain nombre d'édulcorants intenses fait l'objet à la fois d'attaque dans les médias mais aussi de réévaluation par les agences de sécurité alimentaire, parmi eux l'aspartame est le plus concerné. Edulcorant E 950 Acésulfame K Pouvoir sucrant 200 E 951 Aspartame 200 DJA mg/kg pc/j 15 (JECFA 1991) 9 (SCF 2000) 40 E 952 Acide cyclamique et ses sels (Ca et Na) E 954 Saccharine et ses sels (Na, K et Ca) E 957 Thaumatine 35 7 300-500 2,5 2 000-3 000 Non Spécifiée 1 000 5 400-600 15 2 000 40 15 0,3 (FDA 2002) 0,6 (Afssa 2004) 2 (JECFA 2003) E 959 Néohespéridine Dihydrochalcone E 955 Sucralose E 962 Sel Aspartame/ Acésulfame Néotame 2 - Les polyols édulcorants autorisés dans l’UE Les édulcorants de "charge" ont un pouvoir sucrant proche de celui du sucre. Tous ceux autorisés dans l'UE bénéficient d'une DJA non spécifiée. En conséquence, la dose maximale de chacun de ces édulcorants repose sur le principe du quantum satis, c'est-à-dire de la dose strictement nécessaire pour obtenir l'effet recherché. Ces édulcorants bénéficiant d'une DJA non spécifiée, leur utilisation ne fait pas courir de risque aux consommateurs, ils ne présentent donc pas de risques toxicologiques. 2 Dose maximale Quantum Satis Quantum Satis Quantum Satis Quantum Satis Quantum Satis Quantum Satis En cours d’autorisation, en cours d’évaluation par UE Tableau 2 : Pouvoir sucrant, DJA des édulcorants intenses autorisés dans l'UE 3.2 - L'aspartame L'aspartame a été découvert en 1965. L'innocuité de l'aspartame a été évaluée par le JECFA et SCF. La DJA a été fixée à 40 mg/kg pc/j à partir d'une dose sans effet de 4 g/kg pc/j, cor- LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007 respondant à la dose la plus forte utilisée au cours des études de cancérogenèse chez le rat, divisé par un facteur de 100. Elle a été confirmée après réévaluation par le SCF en 2002. Il est autorisé dans l'UE par la directive 94/35/CE. Le débat autour d'un éventuel effet cancérigène de l'aspartame a été relancé en juillet 2005. Il a pour origine une étude réalisée par une équipe italienne de la Fondation Ramazzini publiée dans un premier temps dans l'European Journal of Oncology (revue propre à la fondation Ramazzini). La même étude avec des éléments complémentaires a été ensuite publiée dans l'Environnemental Health Perspectives revue reconnue par la communauté scientifique des toxicologues. Selon les travaux décrits dans ses publications, l’aspartame induirait de façon dose dépendante et à de faibles doses proches de la DJA une augmentation de l’incidence d’hémopathies malignes (lymphomes/leucémies), une augmentation de l’incidence de lésions prénéoplasiques et néoplasiques de la vessie et voies urinaires, une augmentation de l’incidence de schwannomes malins. Quel crédit accorder à cette étude ? C'est la question que tous les toxicologues se sont posée au vu de ces publications. Les agences internationales (EFSA, FDA) ou nationales (Afssa) d'évaluation du risque ont souhaité examiner les protocoles et les résultats de cette étude avant d'envisager la moindre mesure concernant l'aspartame. Pourquoi ces agences, très soucieuses de la sécurité du consommateur, ont-elles pris leur temps pour statuer et ont-elles exigé les études complètes ? La raison principale est due au fait que l'étude menée par la fondation Ramazzini ne répond pas aux normes extrêmement strictes selon lesquelles les études toxicologiques chez l'animal doivent être menées pour être utilisables dans l'évaluation du risque pour le consommateur avant de délivrer une autorisation de mise sur le marché. Ces règles, utilisées et reconnues sur le plan international permettent d'éviter l'interférence de paramètres extérieurs dans l'apparition d'effets toxiques qui peuvent alors, s'ils apparaissent, être attribués à la molécule testée. Si l'étude menée par la fondation Ramazzini avait été présentée par un industriel pour une autorisation de mise sur le marché, elle aurait été refusée en raison des nombreux biais méthodologiques qu'elle présente. Le principal de ces biais est du au fait que l'expérience est menée jusqu'à la mort des animaux. Ce choix est propre à la fondation Ramazzini, mais n'est pas en accord avec les lignes directrices de l'OCDE sur les études de cancérogenèse qui recommandent d'arrêter les expériences à 104 semaines, de façon à éviter l'apparition de résultats difficilement interprétables en raison des signes de vieillesse des animaux (modification du métabolisme hépatique, de l'excrétion…). Une augmentation de l'incidence des hémopathies malignes est observée chez les femelles. Cette augmentation est statistiquement significative pour les doses allant de 20 mg/kg de poids corporel/j à 5 000 mg/kg de poids corporel/j. Cette observation n'est pas faite chez les mâles. Cependant, il faut noter que l'augmentation de l'incidence est mesurée par comparaison au groupe témoin. Le groupe témoin femelle présente une valeur très basse si on la compare aux mâles 8,7 % versus 20,7 %. Si LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007 l'on considère l'ensemble des animaux on constate que cette augmentation de l'incidence n'apparaît pas. Les valeurs historiques indiquées par les auteurs concernant l'incidence des leucémies chez les témoins sont très différentes de celles observées dans cette étude pour le groupe femelle, 13,4 % versus 8,7 % alors quelles sont très proches pour les groupes témoins mâles 21,8 % versus 20,7 %. On peut donc s'interroger sur le groupe témoin femelle de cette étude. Les auteurs annoncent un effet dose-dépendant (augmentation du nombre de leucémies et lymphomes en fonction de la dose) qui n'apparaît pas évident au vu des résultats présentés. Un autre fait troublant est dû au fait que la survie des animaux est identique quels que soient les groupes, témoins ou soumis à l'aspartame quelles que soient les doses. Il est connu des toxicologues que le rat ne meurt pas de leucémie, cependant, les auteurs n'ayant, comme cela est demandé dans les protocoles habituels, sacrifié en cours d'étude des animaux, il est impossible de savoir à quel moment au cours de l'étude qui dure 3 ans, les leucémies sont apparues. Les conclusions et extrapolations paraissent également abusives. En effet, attribuer l'augmentation de l'incidence des pathologies hématologiques cancéreuses au méthanol ou au formaldéhyde, produits issus du métabolisme de l'aspartame est très hasardeux voire faux. En effet, la quantité de méthanol issue du métabolisme de l'aspartame représente au maximum 10 % de la quantité ingérée. Selon l'étude issue du même centre de recherche, c'est à des doses beaucoup plus fortes que les hémopathies malignes (pathologies hématologiques cancéreuses) apparaîtraient. Le formaldéhyde a, certes, été classé en groupe 1 par IARC (Centre International de Recherche contre le Cancer) c'est-à-dire cancérigène pour l'homme mais c'est en raison de sa génotoxicité, c'est-à-dire les interactions qu'il est capable d'avoir avec l'ADN induisant en conséquence des mutations. Cet effet n'est pas dose dépendant. Or, il est reconnu que l'aspartame, même en présence de système de métabolisation n'est pas génotoxique. De plus, les auteurs indiquent que l'effet observé est dose dépendant. Il y a donc là incohérence. L'Afssa a montré en 2002, dans le rapport publié sur l'aspartame que la consommation d'aspartame en France est très inférieure à la Dose Journalière Admissible puisque la consommation moyenne chez l'adulte se situe entre 0,05 et 0,4 mg/kg pc/j et les valeurs maximales entre 1 et 2,75 mg/kg pc/j, et chez l'enfant entre 0,13 et 2,8 mg/kg pc/j aux valeurs maximales. Chez les enfants diabétiques, elles se situent, sur la base d'une étude française de 2001 à 1,9 mg/kg pc/j en moyenne et 15,6 mg/kg pc/j en consommation maximale. Il est important de noter également une étude récente a été menée par le National Toxicology Program (2003) sur des souris transgéniques, particulièrement sensibles aux effets cancérigènes. Trois souches de souris transgéniques différentes (Déficient en p53, Déficient en Cdkn2a, TgAC hemizygous) ont été soumises pendant 9 mois à des doses quotidiennes d'aspartame de 500 à 9 500 mg/kg pc/j. Aucune augmentation de l’incidence de tumeur n'a été retrouvée dans cette étude. 3 Les publications de la fondation Ramazzini sont très ambiguës dans la mesure où elles montrent à partir d'une méthodologie critiquable, principalement une augmentation de l'incidence des hémopathies malignes chez les rats femelles soumis à une consommation d'aspartame. C'est la raison pour laquelle les agences ont jugé indispensable de disposer de l'étude complète et des résultats animaux par animaux pour évaluer sa pertinence. Les éléments suivants ont été pris en considération, date de la survenue des leucémies chez les animaux et âges des animaux atteints, données sur l'état de santé général des animaux atteints et de leurs capacités métaboliques. L'avis de l'autorité européenne de sécurité alimentaire ou EFSA (mai 2006) : les données brutes ont été fournies fin décembre 2005 à l'EFSA qui a immédiatement constitué un groupe de travail en janvier 2006. Ce groupe de travail a examiné très en détail toutes les données fournies sur cette étude. Il est intéressant de noter que l'EFSA a également demandé aux agences nationales européennes comme l'Afssa d'examiner les données pour apporter leurs contributions à cette analyse méticuleuse. L'avis de l'EFSA été publié le 5 mai 2006. L'EFSA n'a pas retenu comme pertinente au vu des données l'affirmation que l'augmentation de l'incidence des lymphomes/leucémies était induite par l’aspartame. Les animaux présentaient une incidence importante de pneumopathies accompagnées d'hyperplasie lymphocytaire importante au niveau des poumons chez les animaux atteints de pathologies respiratoires chroniques. Or, il est connu des toxicologues que des lymphomes et/ou des leucémies pulmonaires telles que ceux observés dans l'étude de Soffritti peuvent survenir dans les colonies de rats atteintes de ce type de pneumopathie. Références bibliographiques AFSSA (2002). Assessment Report: Opinion on a possible link between exposition to aspartame and the incidence of brain tumours in humans. Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, Maisons-Alfort. http://www.afssa.fr. EFSA (2006). Opinion of the Scientific Panel on Food Additives, Flavourings, Processing Aids and Materials in contact with Food (AFC) on a request from the Commission related to a new long-term carcinogenicity study on aspartame. Question number EFSA-Q-2005-122. The EFSA Journal 356, 1-44. http://www.efsa.europa.eu NTP (2003). NTP Technical Report. Toxicity studies of aspartame in FVB/N-TgN(v-Haras) Led (Tg.AC) hemizygous mice and carcinogenicity studies of aspartame in B6.129Trp53tm&Brd (N5) haploinsufficient mice. NTP GMM 1, 2003. SCF (2002). Opinion of the Scientific Committee on Food: Update on the Safety of Aspartame (expressed on 4 December 2002). http://europa.eu.int/comm/food/fs/sc/scf/out155_en.pdf SOFFRITTTI M et al., Aspartame induces lymphomas and leukemia in rats. Eur. J. Oncology, 2005, 10, 107-116. SOFFRITTTI M et al. First experimental demonstration of the multipotential carcinogenic effects of aspartame administrated in the feed to Sprague Dawleys rats. Env. Health Perspect., 114, 379-385. Les observations de cancer de la vessie et des voies urinaires sont considérées par l’EFSA comme spécifique du rat exposé à des acides aminés et comme non pertinente pour être extrapolées à l’homme. Au vu de cette analyse, l'EFSA juge également comme non pertinente l'affirmation selon laquelle l'aspartame induirait des cancers. L’agrégation de toutes les tumeurs recensées ne semble pas justifiée à l’EFSA pour les études statistiques. L'EFSA considère que les cancers de la vessie et des voies urinaires et les lymphomes et leucémies devraient en être exclus. Concernant les schwannomes malins dont l'incidence est basse et qui présente un effet dose faible, l'EFSA constate que lors d'une relecture de quelques lames histopathologiques, le National Toxicological Program ne confirma pas ce diagnostic dans un certain nombre de cas. L'EFSA insiste sur la nécessité d'une relecture de toutes les lames concernées. L'EFSA conclue que cette étude ne peut être retenue et qu'aucune nouvelle donnée significative sur d'éventuels effets toxiques de l'aspartame n'a été publiée depuis l'avis du SCF de 2002. L'EFSA confirme dans cet avis la DJA de l'aspartame à 40 mg/kg pc/j. 4 LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007 II - QUELLE INCIDENCE SUR L’APPETIT ET LE POIDS ?, par France Bellisle (Ce texte a été publié dans “Les entretiens de Bichat” sous le titre “Quelles nouvelles dans le domaine des édulcorants intenses ? Leur action sur le cerveau et leur rôle dans le contrôle pondéral” et reproduit ici avec leur aimable autorisa tion) Il est donc très important que le consommateur consulte les étiquettes et vérifie le contenu énergétique de tout produit "allégé en sucre", ou "sans sucre". L’utilisation d’édulcorants intenses en remplacement du sucre ne peut favoriser la diminution des apports énergétiques que dans la mesure où une différence significative de densité énergétique existe bien entre le produit standard et sa version édulcorée. 1 - Introduction : problématique 3 - Edulcorants intenses et appétit : quels bénéfices et dans quelles conditions ? Les édulcorants intenses sont des substances de natures physico-chimiques très diverses qui possèdent un pouvoir sucrant très élevé en comparaison de celui du saccharose. Alors que les sucres contenus dans les aliments et boissons apportent 4 kilocalories par gramme, l’ajout de quelques milligrammes d’édulcorant intense permet de conférer à l’aliment un goût sucré agréable sans y apporter de calories (ou très peu). Les édulcorants intenses pourraient donc être des substances capables de remplacer les sucres, en préservant le plaisir associé au goût sucré tout en éliminant les calories apportées par les sucres, ce qui pourrait entraîner une diminution des apports énergétiques et, par voie de conséquence, favoriser le contrôle du poids et même l’amaigrissement. A priori, c’est une bonne idée. Cependant, les travaux qui ont porté sur les effets des édulcorants intenses depuis plus de 20 ans ont montré que les choses ne sont pas si simples (1). 2 - Que sont les édulcorants intenses, comment peuvent-ils être utilisés ? Plusieurs édulcorants intenses sont autorisés dans de nombreux pays pour la consommation humaine (acésulfame-K, aspartame, néotame, saccharine, sucralose, néotame). Ils peuvent être utilisés soit comme substances sucrantes dans des produits industriels, soit comme édulcorants de table. Leur pouvoir sucrant est très supérieur (100 à 13 000 fois) à celui du saccharose. On peut donc théoriquement enlever le sucre d’un produit et le remplacer par une quantité infime de l’un de ces édulcorants qui donnera un goût sucré sans apporter d’énergie. Cependant, en pratique, cette manipulation n’aboutit pas forcément à réduire la densité énergétique du produit. Dans les sodas, on peut effectivement enlever tout le sucre et le remplacer par un édulcorant intense, pour aboutir à un produit dont le contenu énergétique est nul. Dans des produits semiliquides comme les glaces ou les yaourts et dans les aliments solides, le sucre non seulement confère le goût sucré mais il constitue aussi une partie de la masse glucidique de l’aliment. Remplacer le sucre par un édulcorant peut affecter la densité énergétique de manière très différente selon que l’aliment est essentiellement composé d’eau (différence potentiellement importante), de protides ou de glucides (peu de différence) ou de lipides (la densité énergétique peut augmenter). Les biscuits, les céréales prêtes à manger ou les chocolats allégés en sucre ne sont pas nécessairement moins riches en énergie que leurs produits de référence ; ils peuvent parfois même être plus caloriques. LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007 Dès l’introduction des édulcorants intenses dans l’alimentation humane, les nutritionnistes se sont interrogés sur leurs bénéfices potentiels. La question posée était la suivante : est-ce que le bénéfice énergétique (la réduction du contenu calorique) apporté par la consommation d’aliments édulcorés va effectivement faciliter la diminution des apports énergétiques totaux, ou bien est-ce que le mangeur va "compenser" pour ces calories manquantes en mangeant plus à la prochaine occasion ? Beaucoup d’études ont constaté une réduction de l’énergie totale ingérée par les utilisateurs d’édulcorants, même si une partie des calories manquantes est compensée par une certaine augmentation de la consommation au cours du repas suivant. La capacité de compenser plus ou moins précisément pour les calories manquantes dépend de très multiples facteurs : sexe et âge du mangeur, nature de l’aliment ou de la boisson édulcoré, nature de l’édulcorant utilisé, délai entre la pré-charge et le repas, différentiel de calories entre le produit édulcoré et le produit sucré, etc. Alors que la majorité des études indique un certain bénéfice (réduction des apports énergétiques), certains travaux ont rapporté une stimulation paradoxale de l’appétit et de la prise alimentaire après ingestion de produits édulcorés (surtout à la saccharine) (2). Une intense controverse a sévi pendant de nombreuses années, permettant une large diffusion dans le public de la notion selon laquelle les édulcorants stimulent l’appétit, font manger excessivement, et favorisent la prise de poids. Une récente étude (3) réalisée chez quelques animaux de laboratoire a relancé la controverse. En dépit de ces résultats énigmatiques, un large consensus s’est mis en place à la suite des très nombreux travaux réalisés depuis plus de 25 ans, et surtout à partir de l’expérience de millions de consommateurs de ces produits. Il est admis aujourd’hui que, pour autant que la présence d’édulcorants intenses dans un produit crée effectivement une réduction de sa densité énergétique, la consommation de ce produit peut favoriser une diminution des apports énergétiques totaux dans certaines conditions. Même si une "compensation" énergétique est observée, elle est généralement partielle, ce qui permet d’observer une réduction nette des apports. Un autre effet de la substitution des sucres par des édulcorants intenses est la modification de la nature des glucides contenus dans les aliments : même si la différence en termes de contenu énergétique n’est pas très large entre un aliment sucré et le même aliment édulcoré, il n’en demeure pas moins que le second peut apporter moins de glucides simples, ce que certains nutritionnistes considèrent en soi comme un bénéfice nutritionnel. 5 A court terme donc, la substitution des sucres par des édulcorants intenses dans certains aliments et boissons peut induire une diminution de la densité énergétique susceptible de favoriser une diminution des apports énergétiques totaux. De nombreuses études ont néanmoins montré qu’il ne s’agit pas là d’un effet magique et automatique. Le simple fait de consommer des produits édulcorés n’est pas nécessairement associé à des apports énergétiques moindres. Dans les sociétés développées, le consommateur a un accès continu et facile à une très large gamme de produits agréables, dont beaucoup ont une forte densité énergétique (car riches en graisses et/ou en sucres). Dans ces conditions, le simple fait d’intégrer des produits édulcorés ne suffit pas à contrecarrer les effets d’une alimentation surabondante. L’effet potentiellement bénéfique de l’utilisation de produits édulcorés ne peut se manifester que dans le cadre d’une alimentation rationnelle permettant un équilibre ou un déficit énergétique (4). 4 - Edulcorants intenses et perte de poids Les édulcorants intenses peuvent-ils aider les personnes au régime hypocalorique ? Des études cliniques ont montré que des personnes en surcharge pondérale ont une meilleure adhésion à leur régime hypocalorique lorsqu’on leur permet d’utiliser les édulcorants intenses ; à la fin du programme d’amaigrissement, le maintien du poids perdu semble aussi meilleur après plusieurs années chez les patients qui utilisent les édulcorants intenses (5). Le fait que plusieurs études épidémiologiques aient rapporté un poids corporel plus élevé chez les utilisateurs habituels d’édulcorants que chez les non-utilisateurs a encore une fois nourri la controverse. L’utilisation d’édulcorants ne ferait-elle pas grossir ? De nos jours, ces observations sont expliquées par le fait que les utilisateurs d’édulcorants se recrutent surtout parmi les gens qui ont du mal à contrôler leur poids, et qui pourraient être encore plus gros s’ils n’avaient pas la possibilité de servir d’édulcorants intenses. Dans l’étude SuViMax par exemple, les utilisateurs d’édulcorants intenses sont effectivement plus lourds que les non-utilisateurs, alors que leurs apports énergétiques quotidiens et surtout leurs apports en sucres simples sont moindres (6). Cette dernière observation montre que l’utilisation d’édulcorants intenses ne stimule pas la consommation de sucres, contrairement à l’idée communément répandue. 5 - Données récentes à porter au dossier des édulcorants intenses Une récente étude (7) utilisant la résonance magnétique fonctionnelle vient de montrer que l’hypothalamus, une structure du cerveau très importante pour le contrôle de la prise alimentaire, ne réagit pas du tout à un édulcorant intense (aspartame) comme il réagit au sucre (glucose). Au cours de cette étude, cinq volontaires sains ont goûté quatre stimuli (eau pure, solution de glucose, solution d’aspartame, solution de maltodextrine), pendant que leur activité cérébrale était enregistrée par résonance magnétique fonctionnelle. De plus un prélèvement sanguin per- 6 mettait de vérifier l’impact de ces stimuli sur la glycémie et l’insulinémie. Les résultats montrent clairement que, pour l’hypothalamus, la solution d’aspartame et celle de maltodextrine (glucide non sucré) font le même effet que l’eau pure (aucun changement d’activité), alors que l’activité cérébrale est modifiée par la solution de glucose. En périphérie, la solution de glucose et celle de maltodextrine, donc les solutions de glucides contenant des calories, ont induit une élévation de la glycémie et de l’insulinémie ; la solution d’aspartame, comme l’eau pure, n’a produit aucun effet. Cette dernière observation confirme ce que plusieurs études antérieures avaient déjà établi : les édulcorants intenses ne stimulent pas de "phase céphalique" de sécrétion d’insuline, contrairement à une idée reçue qu’il est très difficile d’éradiquer. Cette année est parue une méta-analyse de plusieurs études portant sur les effets alimentaires et pondéraux des édulcorants intenses (8). Cette méta-analyse n’a considéré que les essais randomisés contrôlés qui suivaient la prise alimentaire de sujets humains pendant au moins 24 heures. Il s’agit donc d’un sousensemble des dizaines de travaux menés sur le sujet, dont la très grande majorité n’observe le comportement que pendant un ou deux repas. Quinze études ont été retenues concernant les effets des édulcorants intenses sur les apports énergétiques. Ces études présentaient des différences méthodologiques majeures (type de boissons ou d’aliments édulcorés ; populations ; durée de l’essai, etc.). Douze donnaient une estimation de la "compensation" énergétique observée après consommation de produits édulcorés. En dépit de la très grande variabilité de la compensation observée, la méta-analyse estime qu’environ 32 % de l’énergie enlevée aux aliments solides grâce à la substitution du sucre par un édulcorant intense était compensée, alors que la compensation pour les liquides n’atteignait que 15,5 %. L’ensemble de ces quinze études suggère une réduction des apports quotidiens de l’ordre de 10 % chez les utilisateurs d’édulcorants (en remplacement du saccharose), ce qui chez une personne ingérant en moyenne 2 200 calories par jour équivaudrait à une épargne de 220 calories. Les auteurs de la méta-analyse soulignent qu’une telle épargne représenterait une perte de poids d’environ 0,2 kg par semaine en moyenne. Les neuf études citées dans la méta-analyse présentant des données sur l’évolution pondérale (en moyenne sur 12 semaines) s’accordent avec cette extrapolation : en effet, une perte de poids d’environ 3 % est rapportée. Ces 3 % représentent 2,3 kg pour un adulte de 75 kg, et correspondent à une perte pondérale d’environ 200 g par semaine. La correspondance entre l’épargne énergétique et la perte de poids effectivement observée constitue, selon les auteurs de la méta-analyse, une démonstration convaincante d’un effet prévisible de l’utilisation des édulcorants dans la gestion du poids corporel. 6 - Conclusions L’utilisation d’édulcorants intenses dans certains produits alimentaires est susceptible d’en faire baisser la densité énergétique et, par conséquent, de favoriser une réduction des apports énergétiques et un meilleur contrôle du poids corporel dans le LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007 cadre d’une alimentation rationnelle, correspondant aux besoins du mangeur. Cet effet ne se produit pas automatiquement ou de façon magique : l’usage d’édulcorants intenses ne suffit pas à améliorer le contrôle pondéral si l’alimentation est excessive. Une récente méta-analyse d’essais randomisés contrôlés appuie la notion que l’économie d’apports énergétiques réalisée en remplaçant des sucres par des édulcorants aboutit effectivement à une réduction pondérale. Des données récentes confirment que ni le cerveau ni le pancréas ne réagissent au goût sucré des édulcorants comme s’ils étaient des sucres. Références bibliographiques (1) Drewnowski A. Intense sweeteners and energy density of foods : implications for weight control. Eur J Clin Nutr, 1999;53:757-763. (2) Blundell JE, Hill AJ. Paradoxical effects of an intense sweetener (aspartame) on appetite. L a n c e t, 1986;20 Suppl. 2:S12-S17. (3) Davidson TL, Swithers SE. A Pavlovian approach to the problem of obesity. Int J Obes, 2004;28:933-935. LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007 (4) Rolls BJ. Effects of intense sweeteners on hunger, food intake, and body weight : a review. Am J Clin Nutr, 1991;53:872-878. (5) Blackburn GL, Kanders BS, Lavin PT, Keller SD, Whatley J. The effect of aspartame as part of a multidisciplinary weight control program on short- and long-term control of body weight. Am J Clin Nutr, 1997;65:409-418. (6) Bellisle F, Altenburg de Assis MA, Fieux B, Preziosi P,Galan P, Guy-Grand B, Hercberg S. Use of "light" foods and drinks in French adults : biological, anthropometric and nutritional correlates. J Hum Nutr Diet, 2001;14:191-206. (7) Smeets PAM, de Graaf C, Stafleu A, van Osch MJP, van der Grond J. Functional magnetic resonance imaging of human hypothalamic responses to sweet taste and calories. Am J Clin Nutr, 2005;82:1011-1016. (8) Delahunty A, Gibson S, Ashwell M. A review of the effectiveness of aspartame in helping with weight control. Br Nutr Found Nutr Buss, 2006;31:115-128. 7 Institut Français pour la Nutrition 71 Avenue Victor Hugo 75116 PARIS Tél : 01 45 00 92 50 [email protected] Président : Jean-Paul Laplace Secrétaire Générale : Florence Strigler 8 LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007