Extrait 1 - Marc FRACHET
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Extrait 1 - Marc FRACHET
LE RETOUR D’ETHELIOR d’après l’univers transmédia InCarnatis LE RETOUR D’ETHELIOR Tome 1 de la trilogie de romans transmédias LA VÉNUS D’EMERAE par Marc FRACHET D’après l’univers transmédia InCarnatis® ACCI Entertainment éditions © ACCI Entertainment & Marc Frachet, 2016 Tous droits réservés pour tous pays INCARNATIS LE RETOUR D’ETHELIOR Un livre transmédia de Marc FRACHET d’après l’univers transmédia InCarnatis Textes : Marc FRACHET Musiques : Jean-Marie PHILIBERT et Marc FRACHET Voix : Odile SCHMITT , Benoît ALLEMANE et Stéphane POUPLARD, avec la participation de Jean-Marc TROCHON et de la chorale La Brénadienne Sound design : Jean-Marie PHILIBERT Mixage : Vincent BRULEY studio Piccolo (Paris) Illustrations et couvertures : Etienne LE ROUX Logo inCarnatis : Marc FRACHET et Stéphane GASSIN Direction artistique visuelle : Stéphane GASSIN Édition et production : ACCI Entertainment MERCI... À mon père, parti trop tôt, qui n’aura pas vu le résultat de cette aventure de vie. Puisse son Istria nous revenir. À ma mère, pour qu’elle trouve la force de continuer. À mon épouse, qui s’est unie à moi depuis plus de vingt ans et m’accompagne au quotidien dans cette ambition. À mes deux enfants, à qui j’ai pris tant de temps pour donner vie à ce rêve, dans lequel, j’espère, ils ont grandi. À mes deux associés et amis, qui ont apporté leurs talents et leurs compétences, et ont su me challenger. Aux artistes ; dessinateur, musiciens, auteur, comédiens, chanteurs... et aux techniciens, informaticien, développeur, modeleur..., tous des Maîtres dans leur discipline, qui chacun, ont ajouté une dimension supplémentaire. À tout ceux qui ont cru à ce projet ambitieux de concept d’univers transmédia, qui l’ont soutenu ou s’y sont joints d’une façon ou d’une autre, permettant ainsi d’avancer et de lui donner corps dans la durée. À tous les financeurs participatifs qui ont pris part à la campagne de crowdfunding pour sponsoriser la production des médias de ce premier livre augmenté. À tous ceux, professionnels ou particuliers, qui m’ont suivi pleins de curiosité, de perplexité, parfois regardé étrangement alors que moi-même je ne savais pas dans quoi je me lançais, durant toutes ces années de conception et d’élaboration, pour qu’ils croient en leurs rêves et dans leur capacité d’évolution. À tout ceux qui croient qu’un artiste doit créer dans la douleur, c’est faux ! Le chemin est tout aussi important que la destination. Il peut être long... Alors si on n’y prend pas de plaisir, autant faire autre chose ! À tout ceux qui m’ont aidé d’une façon ou d’une autre... Merci ! Bienvenue dans l’univers InCarnatis... MODE D’EMPLOI « InCarnatis, le Retour d’Ethelior » est un livre, avant tout, mais un livre enrichi de médias additionnels qui vous permettront de prolonger votre immersion dans l’univers InCarnatis. Récits audios, musiques, illustrations et artefacts ponctueront votre lecture très simplement en scannant les QRcodes avec un smartphone ou une tablette (voir exemple sur la page suivante). Pour cela, téléchargez au préalable une application permettant de lire les QRcodes. C’est gratuit, et vous en trouverez aisément une sur le store de votre mobile ou de votre tablette. Les médias additionnels n’étant pas indispensables pour comprendre le récit, vous pouvez, si vous le souhaitez, les ignorer au cours de votre lecture, et les découvrir plus tard. Si nécessaire, retrouvez en fin d’ouvrage un glossaire avec la définition de certains termes que vous découvrirez au cours de votre lecture. Signature musicale InCarnatis (0:25) AVANT-PROPOS Et si, depuis des millénaires, depuis les origines mêmes de l’humanité, l’Homme avait développé un lien profond avec l’univers, source de pouvoirs extraordinaires permettant de transcender la Mort ? Et si nos civilisations, nos cultures, et la majorité de nos croyances, avaient été forgées suite à d’étranges rencontres ? Et si l’Histoire, telle qu’on nous l’enseigne, était en réalité bien différente, marquée par l’affrontement dans l’ombre de deux sociétés secrètes depuis la nuit des temps ? Et si, vous-même, étiez détenteur du Pouvoir de la Science Arcanique ?... Découvrez un récit audio (2:58) LA FIN D’UN MONDE Zapping radio durant les catastrophes naturelles de 2199 « J+119. Il fait froid. Les cendres projetées dans l’atmosphère par les volcans ont plongé la Terre dans une nuit permanente... » Scannez Chapitre 1 A.D. 2372, L’EFFET PAPILLON INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior 1. La main grise d’un homo-aquaticus préleva une algue rouge qui s’étirait paisiblement dans une culture bien ordonnée. Puis il replia machinalement son bras par-dessus son épaule et la fourra dans un filet placé sur son dos. À la fois ferme et délicat, son geste démontrait un savoirfaire typique des ouvriers de Len’Landra, évitant ainsi de remuer la terre et d’endommager la plante aquatique. L’homme évoluait presque nu entre deux rangées d’algues, sans masque ni bouteille. Il répéta son geste de récolte avec son autre bras et recommença, encore et encore, dans un balancement de plus en plus véloce qui donnait l’impression qu’il avançait en picorant le sol de ses mains. Comme des clones tout autour de lui, des centaines d’ouvriers répétaient la même gestuelle chaloupée. Emplissant leur filet en vidant les prairies sous-marines, ils s’adonnaient à une sorte de ballet aquatique dont le dernier acte était livré par des dauphins. Guidés par des aquaticus, les cétacés tiraient des charrues primitives qui retournaient délicatement la terre afin d’accueillir les générations futures. Une vingtaine de minutes après avoir pris son office, l’ouvrier au filet empli d’algues rouges se dirigea prestement vers l’une des nombreuses cloches de verrite qui étaient disposées à intervalles réguliers dans les cultures. Arrimées à quelques brassées du fond par des filins d’algues tressées, les cloches de verre biotique oscillaient légèrement au gré des courants, donnant l’impression de rythmer l’activité des ouvriers. 19 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior L’homme rejoignit l’une d’elles et y enfourna sa tête. La verrite généra de l’oxygène, dont des bulles s’échappèrent de la cloche, puis l’aquaticus réapparut visiblement soulagé. Il prit alors la direction d’un petit collecteur d’algues, une installation fixe assez sommaire, comme un rack fixé à même le sol dans lequel transitaient trois tubes translucides, suffisamment larges chacun pour qu’un homme put y nager. Un tube pour chaque couleur d’algue : verte, brune et rouge, à l’intérieur desquels circulait un puissant flux d’eau. L’aquaticus présenta donc l’ouverture de son filet au-dessus du gros entonnoir rouge qui trônait sur le collecteur d’algues rouges. Retenu par sa lanière, le filet se retourna en un instant, aspiré par le courant qui en emporta le contenu. Puis il le ressortit et s’en alla l’emplir à nouveau. S’agitant dans leur tunnel transparent, les algues rouges glissaient comme des serpents dont le nombre s’accroissait à chaque collecteur. À tel point qu’après avoir parcouru plusieurs kilomètres, les tubes étaient devenus d’imposants pipelines qui charriaient d’énormes quantités d’algues. Longeant des enclos dans lesquels des baleines étaient en train de faire leurs besoins précieusement récupérés par des aquaticus, les gigantesques tubes s’étiraient en direction des Domas de Len’Landra. Construite sur les ruines de Tunis après les catastrophes des Lunes Sombres, presque deux siècles auparavant, Len’Landra était l’une des premières et plus importantes villes domiennes. À la croisée de plusieurs « Rondes des Changes », la plupart des aéroplaneurs de la Guilde Universelle des Commerçants Aériens y faisait escale plusieurs fois par an. 20 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior À grandes brassées dans leur énorme conduit, les algues rouges s’en rapprochaient inexorablement, rejoignant d’autres tubes qui convergeaient en étoile vers le bascollecteur central. Là où tous les gigantesques pipelines des champs alentour venaient fusionner dans un impressionnant flux ardent. Surnommée l’ascenseur, c’est dans cette dernière section de parcours sous-marin que les récoltes prenaient la direction de la surface. Trois colossaux tubes de verrite s’élevaient progressivement vers le multiport, emmenant les algues qui donnaient l’impression de grimper littéralement vers le haut-collecteur, une trentaine de mètres au-dessus de la surface de l’eau. Elles débouchaient alors à l’air libre pour être projetées sur des grilles inclinées comme des toboggans. L’eau s’échappait par-dessous dans un bouillonnement intense tandis que les algues visqueuses glissaient vers le séchoir, une grande installation industrielle qui, dans un bruit de sifflements assourdissants et de jets de vapeur, asséchait la membrane extérieure des algues, les débarrassant de leur viscosité tout en leur conservant un cœur moelleux, synonyme de qualité. Déversées sur de longs tapis roulants, les algues étaient contrôlées par des ouvriers qui en extrayaient les corps étrangers tels que poissons, cailloux et crustacés. Puis elles passaient le contrôle qualité. Celles qui étaient jugées inaptes au premier choix étaient prélevées pour finir en pâture animale, en produits de beauté ou en rations alimentaires bon marché. Après avoir été contrôlées une dernière fois, les algues arrivaient au bout du tapis où elles tombaient dans des caisses en bois marin estampillées du symbole de l’algue rouge de Len’Landra. 21 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior Une fois emplies, ces caisses étaient aussitôt éloignées du tapis et scellées par un couvercle marqué de la date du jour. Elles étaient enfin entreposées dans la zone de transit. Mais très prisées, aux vertus aphrodisiaques supposées, les algues rouges ne restaient jamais bien longtemps stockées. Et l’une des caisses fut ramassée par une dockeuse qui la prit sur son épaule pour l’emporter dans le multiport. Elle se fraya un chemin à travers les nombreuses personnes qui s’affairaient, chargeant et déchargeant des marchandises dans toutes sortes d’engins flottants, roulants ou volants, dont la plupart étaient frappés de l’insigne de la Guilde Universelle des Commerçants Aériens. Certains vaisseaux étaient déjà sur le départ prêts à rejoindre une Ronde des Changes tandis que d’autres étaient à l’approche, attendant de se poser à leur tour pour ouvrir grand leurs soutes et y engloutir toute sorte de marchandises. La dockeuse se dirigea vers un gigantesque marché à ciel ouvert bondé de monde : la Place des Échanges qui, dans une atmosphère traditionnelle méditerranéenne, offrait mille couleurs et sons entremêlés de parfums envoûtants. Habituée à cette foule en effervescence, la domienne longea rapidement une étroite allée bordée d’échoppes et d’étalages où les gens se vendaient et se revendaient toutes sortes de choses. Des répliques fusaient çà et là, traduisant l’état des négociations en cours. — C’est inadmissible ! Jamais le tek d’Arbokan ne paiera une telle somme ! s’insurgea un homme face à un commerçant. Un « Saloperie de tekos ! » s’échappa de la foule, provoquant la colère de l’acheteur d’Arbokan. 22 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior Mais la dockeuse ne prêta aucune attention à la chose et traça son chemin, la caisse commençant à peser sur son épaule. Elle croisa un collègue moins chanceux qui poussait une charrette d’engrais biologique primeur, et fit une grimace dégoûtée par l’odeur de bouse de baleine encore fumante. Après quelques minutes d’une marche rendue pénible par le poids de la caisse, elle entrevit enfin sa destination, la devanture d’une boutique au nom prometteur : « Tout pour tout ». Elle se délesta à côté sur un impressionnant monticule de caisses d’algues rouges. Puis elle reprit allégée la direction du séchoir. 23 LES DOMAS Extrait des memoranda de l’Orden Veritas Memorandum #B18-05 Témoignage d’Edza Whyra Gardienne des Souvenirs Après l’apocalypse de 2199, les villes marines qui résistèrent particulièrement bien aux Lunes Sombres se sont vues crouler sous des cohortes de réfugiés. Au cours du XXIIIe siècle, elles durent se développer et construire davantage de domas, des grands dômes de verrite recouvrant tout un quartier de ville sous les eaux, et qui donnèrent leur nom à cette civilisation sous-marine : les Domas. Les domiens intensifièrent la culture des algues, devenues la principale ressource alimentaire mondiale. La vie s’organisa autour de cette culture et d’une spiritualité très proche de la Nature. Nature à qui les domiens vouaient un véritable culte, qui virait parfois à l’extrémisme, allant jusqu’à se l’approprier totalement pour se fondre en elle et la manipuler. Jusqu’à ce jour, il semble qu’ils n’ont pas encore réussi à produire un être humain avec des branchies. Mais ils sont arrivés à une autonomie d’apnée moyenne de l’ordre de vingt minutes en effort, à accroître la résistance au froid et à modifier la vision, de sorte que les ouvriers travaillant dans les champs d’algues puissent évoluer sans équipement particulier. À force de manipulations génétiques à outrance venant modifier l’Évolution, ces nouveaux Êtres humains furent classés dans une nouvelle branche de l’espèce humaine : l’Homo aquaticus. Mais la croissance de cette civilisation s’est opérée également en creusant. Historiquement, bon nombre des réfugiés post-apocalyptiques s’installèrent de façon anarchique et illégale dans les domas, en créant leurs propres quartiers sous la forme de « roots », des enchevêtrements de souterrains et de grottes dont même les autorités ignoraient les ramifications. Une véritable vie parallèle et enterrée se développa, qui eut longtemps du mal à coexister avec la vie sous la doma. Même si une forme de statu quo se mit en place. Des Boka-Tsu, sortes de parrains mafieux qui régnaient sur les roots devinrent parfois complices des autorités locales, notamment lorsqu’il s’agissait de fournir des êtres humains pour les expériences génétiques d’adaptation en milieu aquatique. Car les domiens jouaient littéralement avec la Vie, se livrant à toutes sortes d’expérimentations sur la faune, la flore et l’Être humain. En jouant ainsi avec la Nature, les domiens oublièrent quelques lois physiques élémentaires et Mère Nature les rappela à l’ordre à la doma de Len’Berg. Littéralement rongée de l’intérieur par les roots qui en avaient affaibli les fondations, la doma s’effondra et fut complètement noyée. Plusieurs centaines de milliers de personnes y trouvèrent la mort et la catastrophe marqua les esprits sur la terre entière. Les nouveaux historiens, qui compilèrent plus tard les traces du passé sur les Réseaux de Savoir, nommèrent la période qui suivit les Lunes Sombres, le néo-Moyen Âge. LA VÉNUS D’EMERAE TOME 1 LE RETOUR D’ETHELIOR INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior 2. En général, le voyageur trouvait son bonheur dans les nombreux rayons richement garnis du « Tout pour tout », donnant ainsi corps à la devise du lieu. À l’intérieur de l’imposante boutique, deux hommes discutaient de part et d’autre d’un magnifique comptoir en bois sculpté. Arborant ostensiblement les insignes de la Guilde, Borro, un homme bien bâti d’une quarantaine d’années aux cheveux bruns et courts, dont le visage rayonnait du soleil d’altitude, s’adressait mécontent au gérant de la boutique : — Allons mon ami, lança-t-il en fixant le marchand de ses yeux bleus perçants, ce n’est pas en rajoutant une caisse que le compte sera bon ! Deux-cents ou deux-cent-une caisses pour mille-cinq-cents Dollos ! Tu plaisantes ? À ce prix-là, même un teken n’en voudrait pas ! Soyons sérieux : rajoute ce sabre et je te prends l’ensemble à mille Dollos. Borro pointa du regard un sabre que faisait rouler dans sa main Izmir Taïos, un fier guerrier à l’allure touareg qui dissimulait un visage fin sous son vêtement traditionnel. D’une taille moyenne, Izmir laissait deviner un corps particulièrement bien sculpté par des années d’entraînement intensif, qui l’autorisaient à porter sur lui le blason des Maîtres d’Armes de la Guilde. Mais cela n’impressionnait aucunement le gérant engoncé derrière son comptoir : — Mille Dollos ! Des algues rouges, les meilleures de la région, à peine récoltées ! Et un sabre original de Tolède, inusable ! Un sabre comme ça, tu peux le tailler toute ta vie, il ne bougera pas et restera tranchant comme une lame de rasoir. Mille-trois-cents ! 31 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — Mille-cent. Et c’est bien payé. Tu sais comme moi que les tekens deviennent méfiants sur tout ce qui vient des domas. Si tu veux continuer à vendre ta marchandise, il faudra que tu adaptes tes prix. — Mmm... mille-cent Dollos... deux-cent-une caisses d’algues rouges, un sabre de Tolède... À mille-deux-cents tu prends tout ! — Mille-cent cinquante, et c’est mon dernier prix. — Yallah, conclu !... Mais tu es dur en affaires toi. Borro se détendit et afficha un léger sourire de satisfaction. Le marchand prit alors des papiers l’air miséreux : — Ça fait trente ans que je vends des algues, jamais j’ai vu des prix aussi bas... faut bien que je gagne ma vie ! C’est que j’ai trois femmes et dix-sept enfants à nourrir moi... marmonna-til en se plongeant dans la paperasse d’usage. — Trop ambitieux, mon ami ! Moi, je n’en ai qu’une... Ceci dit, elle en vaut bien trois, commenta l’aérostier en se tournant vers Séréna, une ravissante femme blonde, fine et élancée, aux yeux d’un vert émeraude précieux s’accommodant parfaitement à son teint clair. Mais absorbée par ses recherches dans le rayon des pièces détachées pour aéroplaneurs de type Magic III, Séréna n’entendait rien de la conversation entre les deux hommes. — Et je n’ai pas dix-sept enfants, poursuivit Borro, seulement des jumeaux, qui comptent bien triple aussi, ajoutat-il comme s’il se parlait à lui-même. — Et vous payez comment ? interrogea le marchand en levant le nez de ses papiers. — En cash mon ami, lui répondit son client en sortant quelques liasses de Dollos. Et n’oublie pas les « trois-pourcent de ristourne pour tous les achats de plus de mille Dollos 32 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior payés en cash » comme c’est écrit là, précisa-t-il en pointant un petit écriteau derrière le commerçant. — Pfffff... acquiesça le gérant qui se replongea dans ses papiers tout en grommelant quelque chose d’inaudible. Borro se rapprocha d’Izmir qui examinait le sabre l’air satisfait. Il lui fit un clin d’œil et articula quelques mots sans émettre le moindre son, utilisant la technique de reconnaissance labiale maîtrisée par tous les aérostiers de la Guilde. Une pratique bien utile par grand vent ou pour parler secrètement lors de négociations. — Nous irons vendre ces algues à Tikity, indiqua Borro en silence, c’est moins loin, et la question domienne les préoccupe moins que dans d’autres teks. On en tirera facilement trois à quatre fois plus. C’est une bonne affaire. Derrière son comptoir, le gérant l’interpella : — À quel nom la facture ? — Grinh, Borro Grinh, de la Guilde Universelle des Commerçants Aériens. — Oui, oui, j’avais vu... marmonna l’homme en achevant ses documents. Ça fait mille-cent-quinze Dollos et cinquante centimes. — Les voilà, répondit l’aérostier en faisant le compte. — Et voici le certificat d’origine pour la traçabilité des algues. Je m’occupe de les faire livrer à votre aéroplaneur. Après avoir rangé l’argent sous son comptoir, à côté d’une arme à peine dissimulée, l’homme regarda machinalement dans les miroirs de surveillance subtilement disposés dans les rayons. Il entrevit les deux enfants, dont un la main dans sa poche, et ajouta plus bas en se penchant vers leur père. — Des jumeaux ?... Y s’ressemblent pas beaucoup. Et s’ils prennent des articles biotechs, il faudra les payer. 33 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — Évidemment ! répondit Borro spontanément cherchant du regard ses enfants dans les rayons. en Âgés d’une douzaine d’années, les jumeaux ne se ressemblaient effectivement guère. Yarel était plutôt grand et costaud, légèrement trapu, le teint mat, souligné par des yeux dont la couleur évoluait selon la lumière, virant du bleu, parfois gris, au vert, souvent teinté de jaune et de brun. Étrangement, son imposante chevelure brune et ondulante présentait déjà quelques cheveux blancs. Ce qui n’était pas sans occasionner diverses moqueries de son frère Yohan, qui espérait ainsi compenser son encore petite taille et sa finesse, clairement apparentées à Séréna, dont il avait aussi hérité des cheveux blonds lumineux et des yeux vert émeraude. Ils farfouillaient tous les deux dans un rayon où étaient entassés en vrac divers articles biotechs. — Y’a que de la vieille occase ! constata Yarel, contrarié, en parcourant l’étagère rapidement. Comment tu veux qu’on répare les combivs de jeu avec ces trucs encore plus usés que les nôtres ! Faut croire qu’il n’y a que les algues qui sont bien ici ! — Ah, j’aurais les cheveux si on pouvait pas jouer làhaut ! commenta Yohan tout en continuant de chercher machinalement. Tiens, regarde ce biopross, ça pourrait pas aller ? Yarel y jeta un bref regard. — Non. L’hologramme de certification n’est pas tout à fait conforme. C’est une contrefaçon. — Et alors, il y a de très bonnes copies, non ? 34 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — Peut-être mais pas pour tout. Pour des éléments comme ça, il vaut mieux une pièce originale. Tu te souviens pas quand le cerveau-moteur de sensations est tombé en panne et que tu as cru qu’on t’arrachait la peau ? demanda Yarel en souriant. C’était trop... — Pas drôle ! l’interrompit Yohan, j’aurais pu avoir des séquelles toute ma vie a dit maman. Et repose la pièce qui est dans ta poche. — La quoi... ? répondit Yarel sur un ton gêné avant de se reprendre, qu’est-ce que ça peut te faire d’abord ? C’est juste un petit circuit intégré. — Mais pourquoi le voler puisqu’on peut le payer ? — Je ne sais pas. Ça doit être pour le plaisir, ou le risque. Ou le plaisir du risque... Et qui dit que je le vole ? Il faut bien que je me libère les mains pour chercher dans ce bazar, non ? — Tu parles d’un plaisir ! T’es vraiment... Mais Yohan s’arrêta, voyant que son frère ne l’écoutait déjà plus, le regard soudainement attiré au dehors. — Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda-t-il. — Je sais pas, répondit Yarel, il se passe quelque chose. — Allez les enfants, les interrompit Séréna, si c’est bon pour vous, on retourne à l’aéroplaneur. 3. À peine franchies les portes de l’échoppe, les Grinh et leur Maître d’Armes se retrouvèrent plongés dans l’agitation intense de la Place des Échanges. — Deux Dollos un petit circuit comme ça... avec tout ce qu’on lui a laissé... c’est du vol ! lança dégoûté Yarel à son frère. 35 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — Légal celui-là, commenta Yohan avec un petit sourire. Et ça aurait pu être pire s’il avait fait remonter une plainte à l’Archicom. — L’Archicom, pour deux Dollos ?... j’espère bien qu’il a autre chose à faire ! Quelques pas en retrait, Séréna s’étonna d’un air presque admiratif en regardant le tas de caisses d’algues rouges. — Dis-donc, ça ne traîne pas ici, les dockers ont déjà enlevé une bonne partie des caisses ! — Il faut que ça tourne pour gagner de l’argent, précisa Borro en connaisseur. Ne traînons pas non plus, il faudrait être à l’aéroplaneur avant eux pour superviser le chargement. Sinon, ils vont encore tout déposer devant et... il faudra charger nous-mêmes. Spontanément, ils se mirent alors à presser le pas, tentant de se frayer un chemin à travers la grande place bondée de toutes sortes de gens. Un peu plus loin, ils passèrent à proximité de deux tekens en tenue d’étudiants médaux de l’académie militaire d’Aksys. Vindicatifs dans l’indifférence générale, les deux hommes commençaient à s’en prendre à une vieille domienne miséreuse dont la peau était légèrement grise comme celle des aquaticus. — Sous-race ! lança avec un air supérieur le lieutenant Tara Nex, un individu au visage sec, avec des petits yeux noirs sombres comme la nuit et un crâne imberbe éclatant comme le jour. Il fit mine de la frapper. 36 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior Davantage effrayée par son regard plein de haine que par son geste, la vieille femme trébucha en arrière et se retrouva dans la poussière. — Non, pitié messeigneurs ! Je n’ai rien fait ! implora-t-elle en se protégeant le visage avec ses bras. — Dégénérée de mutante grisée ! Je vais te la dire la bonne aventure, moi ! s’exclama le teken en attrapant la domienne par le bras. Sous les yeux de son coéquipier, Tara Nex continua quelques instants à la molester comme s’il avait eu quelque chose de personnel à lui reprocher. Et, si l’on sentait bien qu’il exprimait encore un peu de retenue car il était en public, l’étudiant en médecine militaire était sur le point de franchir un cap. Les jumeaux s’arrêtèrent pour regarder discrètement, rejoints par leur mère. Gênée, elle détourna son regard en hochant la tête de dépit. Puis elle fit signe aux enfants de la suivre et reprit son chemin. — Hé, maman, attends... s’inquiéta discrètement Yarel en la retenant par le bras, on peut pas les laisser faire ? — Tu sais très bien que la Guilde ne se mêle pas des affaires des autres. Nous ne pouvons rien faire, répondit Séréna sur un ton plein de dépit. — Mais si on peut ! rétorqua spontanément le jeune garçon. — Non, Yarel. Je sais que ça te révolte, mais ce n’est pas à nous d’agir. L’Archicom nous l’a interdit. Allez, venez ! Ne traînons pas ici, conclut Séréna en reprenant sa marche. — C’est à qui alors ? se dit tout haut Yarel qui resta planté sur place en observant d’un œil les deux tekens à quelques mètres de lui. 37 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior Comme s’il venait d’avoir une idée, Tara Nex tendit le bras de la veille femme à son coéquipier : — Tiens, Rakal, amuse-toi. Le lieutenant sortit alors de la poche intérieure de son blouson une petite trousse noire qu’il faillit ouvrir, avant de se reprendre. — Amène-la un peu à l’écart de cette populace, dit-il à son coéquipier en cherchant un endroit à l’abri des regards. — Tu vas pas encore faire un sale truc, hein ? s’enquit son collègue en maintenant la domienne par le bras. — Quoi ! T’es avec elle, c’est ça ? — Non, non, calme-toi, Tara. — T’inquiète pas. C’est juste une mise en pratique sur un être humain. Enfin... si on peut appeler ça comme ça, ajoutat-il en regardant avec dédain la vieille femme. Allez, vas-y, emmène « ça » par là ! Tandis que Séréna s’éloignait en regardant droit devant comme pour fuir au plus vite cette scène exécrable, Yarel retint son frère par le bras. Il scruta rapidement aux alentours et articula quelques mots en silence, utilisant la technique que lui avait enseignée son père. Séréna rejoignit Borro et Izmir, préoccupée : — Les tekens ne connaissent plus de limites. Ils sont de plus en plus agressifs. — Je sais, j’ai vu, lui répondit Borro sur un ton désolé en touchant son arme. Si ça ne tenait qu’à moi, je leur apprendrais bien les bonnes manières à ces... 38 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — La tension est grande entre ces deux peuples, mais il nous faut respecter la neutralité de la Guilde. Ainsi est la volonté de l’Archicom, rappela le Maître d’Armes. — Ça a empiré depuis quelques semaines, observa Borro. Il suffirait d’un rien pour que ça dégénère. Filons d’ici au plus vite. — Où sont les enfants ?! alerta Séréna en cherchant autour d’eux. « Yarel ! Yohan ! Où êtes-vous ? », commencèrent-ils à crier. En vain. — Bon sang, où sont-ils ? angoissa leur mère. Avec tous les trafiquants d’enfants et d’esclaves qui traînent dans le coin, il peut leur arriver n’importe quoi ! Mais personne autour d’eux ne prêtait attention à leur désarroi quand soudain dans le bruit ambiant, la voix de Yarel se fit entendre : « Tekos ! Hey ! Les tekos ! » Borro se retourna et découvrit Yarel, debout fièrement en haut d’une tourelle en bois qui dominait la Place des Échanges. — Là ! pointa-t-il. Qu’est-ce qu’il a encore inventé ? — Et Yohan ? s’inquiéta Séréna. — Hoooo ! Les tekos ! répéta Yarel du haut de sa tour. Tirant la domienne vers des bâches tendues entre des échoppes, Rakal regarda dans la direction du jeune garçon : — Quoi ! Qu’est-ce qu’il dit, lui ? Sale gamin. Il a de la chance que je sois occupé ! Pendant ce temps, Yohan arriva devant une petite navette biplace aux couleurs de l’académie militaire d’Aksys. Il fit 39 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior un grand sourire en découvrant une B-Twicy, un modèle du GACOR qui s’était vendu à plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde et avait fait la fortune du conglomérat industriel teken. Yohan le connaissait particulièrement bien, tout au moins virtuellement pour l’avoir piloté à de nombreuses reprises dans des courses effrénées. En quelques instants, il s’introduisit dans la navette et ouvrit une petite trappe technique sous les commandes. Il en sortit une platine et brancha deux fils ensemble. Aussitôt, l’engin démarra. Le jeune garçon jeta alors un bref coup d’œil autour de lui comme s’il cherchait quelque chose. Puis il enclencha le mode ralenti et sortit tranquillement de la navette sans la refermer, la laissant cheminer seule vers le centre de la grande place, le cockpit rabattu vers l’arrière prête à tout gober sur son passage. Du haut de la tourelle, Yarel agita ses bras en criant pour attirer l’attention des deux hommes : — Hey, les tekos ! Votre navette part sans vous ! fit-il en la pointant du doigt. Avançant doucement sur la Place des Échanges, l’engin bousculait des gens et renversait des étalages, provoquant la surprise et la colère des marchands. — La navette ! Faut la récupérer ! Laisse tomber la vieille ! s’écria Rakal en se mettant à courir. Comprenant lui aussi la situation, Tara Nex relâcha son attention, ce dont profita la domienne pour s’esquiver entre des échoppes. 40 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior Nex se mit alors à courir à son tour après la B-Twicy qui semait le désordre à son passage. Le cockpit grand ouvert, elle se dirigeait vers une charrette aquarium grouillant d’anguilles excitées. Borro était stupéfait en observant la scène. — Par les Alizés, ils l’ont fait ! se dit-il dépité avec une légère pointe d’admiration. Des gens s’arrêtèrent, comprenant à leur tour ce qui était en train de se passer. Ils commencèrent alors à se moquer des tekens. Rakal reçut une giclée d’algues vertes primeurs, bien visqueuses. « Allez-vous-en ! Partez ! », « On veut pas de vous ici ! », entendit-on sur leur passage, tandis que jaillissaient de nouvelles et copieuses salves d’algues. De son côté, Yarel descendit de la tour en exécutant quelques acrobaties le long des échafaudages qui la ceinturaient. En un rien de temps, il se retrouva en bas et se mit à courir à travers la foule. À quelques mètres de la navette, Rakal glissa sur des algues dans sa course et trébucha, se retrouvant face contre terre. Ce qui provoqua moqueries et huées des gens de plus en plus nombreux dont la rumeur montait en puissance et en agressivité. Juste derrière lui, Nex en profita pour prendre appui sur son compagnon à terre et, d’un bon énergique, sauta dans le cockpit de la navette avant qu’elle ne percutât l’aquarium ambulant. 41 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior Il tourna alors les manettes, évitant ainsi une collision frontale. Mais la B-Twicy heurta de son flanc gauche la carriole. Déséquilibrée, celle-ci se renversa, libérant sa dangereuse cargaison en direction de Rakal qui eut à peine le temps de se relever. — Monte ! Ou je te laisse là ! lança Nex furieux à son coéquipier trempé qui sautillait d’une jambe à l’autre pour éviter les anguilles énervées qui clapotaient dans les flaques d’eau. Rakal sauta dans la cabine. Nex fit alors décoller la navette. Mais avant de quitter la place, il vint frôler la foule de près pour lui faire peur. S’étant arrêté pour regarder la scène, Yarel se baissa comme tous les gens, puis il reprit sa course avec un grand sourire aux lèvres. Cachée derrière une bâche tendue entre des étalages, la domienne l’interpella à son passage : — Viens ! Viens, mon garçon ! fit-elle en l’attrapant pour le tirer sous son abri de fortune. Mille mercis à toi ! Tu es courageux et inventif, jeune homme. Comment puis-je te remercier ? — Heu... c’est rien Madame, répondit Yarel peu à l’aise face à la vieille femme dont se dégageait quelque chose qui le troublait. Personne ne vous aidait, alors avec mon frère... — Tu es brave mon garçon, fit-elle en saisissant sa main. Comment t’appelles-tu ? — Yarel, Madame. Elle la caressa d’un geste avec son autre main puis la retourna pour voir la paume de l’enfant. 42 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior La domienne ne put contenir une surprise qui étonna le jeune Grinh. — Qu’est-ce que j’ai ? s’inquiéta-t-il. — C’est extraordinaire, mon garçon ! Ton avenir sera grand, à l’image de ton passé ! — Quoi ? répondit Yarel intéressé, vous savez quelque chose sur... Soudain, Borro et Izmir arrachèrent la bâche, découvrant le jeune garçon et l’étrange femme à qui ils adressèrent un regard inquisiteur. D’un mouvement de main, Borro ordonna à Yarel de sortir. Il s’exécuta, contrarié. La domienne saisit l’aérostier par le bras. — Il n’est pas votre fils, n’est-ce pas ?... Surpris, Borro lui jeta un regard acéré et s’en alla. Légèrement troublé l’espace de quelques pas, il se reprit et s’adressa à Yarel qui le regardait l’air interrogateur : — N’écoute pas cette folle, mon fils, elle n’a plus toute sa raison. Yarel ne sembla pas se satisfaire de cette réponse, mais la vue de sa mère qui tenait Yohan par l’oreille comme pour le punir le ramena à la réalité. — Viens ici, toi ! lança-t-elle à Yarel avant de l’attraper lui aussi par l’oreille. Qu’est-ce qui vous a pris ? — Quoi ? Je voulais juste aider cette femme ! Je pensais que tu voulais le faire toi aussi, non ? — Non ! Si... enfin... non... c’est plus compliqué que ça ! répondit Séréna, embarrassée, en les relâchant. Ce sont des affaires de grands. 43 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — Et alors ? On n’est peut-être pas des adultes, mais nous aussi on habite dans ce monde ! — Oui, c’est vrai, répondit-elle surprise par la contradiction de Yarel. Mais, c’est que... j’ai eu tellement peur de ne plus vous revoir. Elle les serra alors fortement dans ses bras comme pour se rassurer qu’ils étaient bien là. — Je suis désolé maman, s’excusa Yarel. Elle les relâcha et les prit par les épaules. — Moi aussi je voudrais que tout ça change et que plus jamais personne n’ait à souffrir de son apparence, de sa religion ou ne meure de faim. Mais il faut que vous compreniez qu’on ne soigne pas le monde comme on soigne un simple rhume ! Avez-vous simplement pensé aux conséquences possibles de vos actes ? Discrètement, Izmir se rapprocha de Borro. — N’a-t-il pas le droit à la vérité ? Borro haussa les épaules l’air dubitatif en regardant Yarel. — Pourquoi ?... Il se pose déjà tant de questions. 4. En pilotage automatique dans leur navette, les deux tekens se remettaient en silence de leurs émotions. Tandis que Rakal s’épongeait au mieux, Nex était sur le point d’éclater, le regard figé sur le bouton d’armement des roquettes. — Sous-race de domiens, comment osent-ils nous traiter ainsi ! pensa-t-il tout haut. — Ça reste entre nous, hein ? demanda Rakal entre gêne et amusement. 44 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — Il n’y a rien d’amusant à la situation, répondit le lieutenant en regardant son coéquipier d’un air contrarié. Soufflant par le nez comme s’il bouillonnait, Nex sortit de nouveau sa petite trousse noire, qu’il tint dans sa main en la regardant, presque déçu. Puis il tourna ses yeux vers son coéquipier, et ramena son regard vers le bouton d’armement. Soudain, il eut un petit rictus de satisfaction et reprit son souffle. — On ne va pas en rester là, lâcha-t-il sur un ton froid et déterminé en armant les roquettes. — Quoi ! T’es malade ? C’est un coup à déclencher une guerre ! s’opposa Rakal. — C’est bien ce que je pensais, répondit Nex calmement en entrouvrant légèrement sa petite trousse noire. — Qu’est-ce que c’est ? — Un injector. — Haaa, je croyais que c’était tes scalpels. — Non, non... j’étudie les sérums à base de nanites. Il faut bien varier les plaisirs ! Mais dis-moi, Rakal, dans quel camp es-tu exactement ? Es-tu avec nous ou avec ce traître de Chancelor... qui, au lieu de diriger fièrement notre Tek vers son destin, n’a jamais pu se résoudre à prendre les bonnes décisions sur la question domienne ! — Ah oui ? Lesquelles ? — C’est dommage que tu n’aies pas compris ça. Il y a bien longtemps qu’on aurait dû entrer en guerre contre cette sousrace. Toutes les conditions sont réunies, il suffirait juste d’une étincelle... d’une lumière ! — Mais, Tara, lui répondit déconcerté Rakal, la Société du Droit Pouvoir, c’est juste une poignée d’étudiants médaux un 45 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior peu allumés ! Aller casser un peu de domiens, je veux bien, mais pas déclencher une guerre ! — Non ?... Tu me déçois, tu n’as aucune ambition, s’emporta Nex. Depuis plus de cent ans qu’il existe, le Droit Pouvoir c’est beaucoup plus ! C’est un réseau de cerveaux brillants implantés dans toutes les castes supérieures de la population tekenne... qui partagent un idéal commun. Il inspira profondément avant de conclure son propos les yeux illuminés. — Je peux lui donner vie. Je peux être cette, lumière ! — Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes, Tara ! — Il faut parfois un simple événement pour faire basculer l’Histoire. Un martyr, par exemple. — Un martyr ? Mais tu délires ! Et d’abord, qui est mort ? — Toi ! répondit Nex en lui plantant lourdement l’aiguille de son injector dans la tempe. Dis-toi qu’on rapportera plus tard que les Guerres Domiennes ont commencé ce 3 août 2372, suite à l’assassinat d’un stagiaire médaux de l’Académie militaire d’Ak... Nex se prit un violent coup de poing et s’en trouva sonné un bref instant, ce dont profita son coéquipier pour le saisir à la gorge. Mais Rakal n’eut pas le temps de l’étrangler, soudainement pris d’une violente douleur qui lui pénétra le cerveau. Il s’inclina en attrapant sa tête et en hurlant, puis il se redressa, les yeux en sang et regarda Nex avant de retomber foudroyé par une hémorragie interne. — Ah non... non ! C’est encore trop rapide ! déplora Nex déçu par l’effet de son sérum. Il ouvrit alors le cockpit et poussa avec ses jambes le corps ensanglanté hors de la cabine. Puis il referma et prit 46 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior manuellement les commandes, faisant faire demi-tour à la navette. « Je jure que plus jamais personne ne moquera Tara Nex. », pensa-t-il en couplant les mitrailleuses aux roquettes. Arrivé à quelques centaines de mètres au-dessus de la grande place, il déclencha l’enregistreur et attrapa la radio : — Mayday ! Mayday ! Mayday ! Ici le lieutenant Tara Nex de l’académie militaire d’Aksys. Nous sommes attaqués ! Mon binôme vient d’être lynché par les domiens sur la Place des Échanges de Len’Landra, je dois me défendre ! Au sec... Il coupa la radio sans même terminer son propos pour lui donner plus de dramaturgie. « Je vais écrire l’Histoire », se dit-il en lançant sa navette en piqué sur la foule... 5. Atteignant son altitude de croisière, l’aéroplaneur de la famille Grinh rejoignit d’autres vaisseaux sur la Ronde des Changes en direction du tek de Tikity. Inspirés des caravelles de la Renaissance, les aéronefs de type Magic III déployaient majestueusement trois mâts pourvus de voiles solaires qui leur permettaient de naviguer au long cours tout en charriant plus de cinquante tonnes de marchandises. Équipés de puissants propulseurs sur rotules qui leur conféraient une étonnante maniabilité dans toutes les directions, les Magic III disposaient également d’une protection fantôme qui pouvait les occulter complètement, et d’une puissance de feu efficace, exclusivement réservée 47 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior à la défense, qui leur permettait de repousser les pirates et forbans guettant les navires isolés. Mais pour l’heure, un vol tranquille et sécurisé s’annonçait pour rallier la région de Tikity en Hellénie. Et déjà, chacun commençait à vaquer à ses occupations. Sur le pont central, Izmir sortit son nouveau sabre avec lequel il effectua quelques mouvements qui lui confirmèrent sa première impression. Il le regarda, puis en fit sonner la lame à l’aide d’une pichenette. Les harmoniques lui plurent. Il évalua alors le tranchant de la lame en posant ses doigts dessus. « Un sabre comme ça, tu peux le tailler toute ta vie, il ne bougera pas... », repensa-t-il en prenant son matériel d’affûtage. De leur côté, ayant mis le pilotage automatique, Borro et Séréna prirent la direction de leurs quartiers dans la plus grande et spacieuse des trois suites de l’aéronef située juste en dessous du pont arrière. À l’opposé, sur le pont supérieur, Yarel se ressassait les propos de la vieille femme en se dirigeant vers la proue. Perdu dans ses pensées, il s’assit sur le bastingage, les jambes à l’extérieur du navire. Une position dangereuse mais sécurisée du fait de la présence, quelques mètres sous l’aéroplaneur, d’un grand filet de protection qui le débordait de part et d’autre de manière à rattraper tout ce qui aurait pu tomber. C’était l’un de ses endroits préférés, où il trouvait un peu de solitude, laissant derrière lui l’exiguïté de l’aéroplaneur pour se retrouver face à l’infinité du ciel. 48 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior Yohan l’avait suivi, mais il se demandait en fait ce qu’il allait bien pouvoir faire puisque les combivs de jeu étaient en panne. Sa mère lui apporta alors la solution par l’intercom : — Les enfants, je vous rappelle que vous devez étudier vos bioroms d’Histoire. Dégoûté, Yohan se tourna vers son frère qui, soudain, hurla en se prenant la tête : « Non ! Non ! Haaa ! Pas çaaaa ! ». — Ouais, je suis d’accord avec toi, cria à son tour Yohan en levant le poing. Révolution ! À bas les devoirs ! Mais Yarel ne plaisantait pas. Ses yeux se révulsèrent tandis que la douleur devint de plus en plus intense. Il tomba dans une sorte de convulsion et se mit à vibrer en basculant en avant par dessus bord. — Yarel ! cria son frère en se penchant sur le bastingage, rejoint par les trois adultes qui accoururent. « Yarel... » lâchèrent-ils soulagés en le découvrant recroquevillé sur le filet de protection en position fœtale. — Juste quand on parle des devoirs, c’est bizarre, non ? ironisa Yohan. — J’arrive Yarel, j’arrive mon ange, lui lança Séréna tandis que Borro déployait déjà l’échelle mécanique vers le filet. Mais Séréna n’attendit pas. Elle saisit un cordage le long du bastingage et se laissa descendre doucement, en prenant soin d’arriver délicatement pour éviter de faire rebondir son enfant hors du filet. Particulièrement à l’aise, elle glissa comme une panthère sur une branche jusqu’à son fils, et le prit dans ses bras. — Je suis là mon ange, calme toi, c’est fini. Je suis là, répétat-elle en lui caressant le visage. Yarel reprit ses esprits et enlaça sa mère. 49 INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior — Ça a recommencé maman... c’est comme si je l’avais vécu... c’est horrible ! J’ai... j’ai vu plein de gens mourir, dit-il en enserrant sa mère plus fort. — Ça va aller, ça va aller mon bébé, le rassura-t-elle sur un ton calme en le pressant contre elle. C’est fini maintenant. — Mais qu’est-ce que j’ai ? Qu’est-ce qui m’arrive ?... —J’y ai beaucoup réfléchi avec ton père. J’ai l’impression que c’est lié à ton âge. Tu grandis. Ton corps change et ton esprit lui aussi doit changer. — Tu crois ? — À vrai dire, je l’ignore... Depuis que tu es tout petit, tu vois et tu ressens des choses là où personne ne voit rien... et tu as des visions du Passé. C’est... c’est certainement extraordinaire Yarel, mais tu dois le cacher. — Pourquoi ? — Il ne fait pas bon être différent en ce moment. Enfouis ça au plus profond de toi. — Mais comment ! Maman, comment ? — Tu es un garçon brillant mon fils, plein de capacités. Tu dois t’en servir. Développe ton esprit et ton corps pour être plus fort. 50 « Il n’existe qu’une alternative : l’étude ou la folie. » Extrait des Enluminures d’Ethelior FIN DU PREVIEW ! COMMANDER LE LIVRE