Extrait 1 - Marc FRACHET

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Extrait 1 - Marc FRACHET
LE RETOUR D’ETHELIOR
d’après l’univers transmédia InCarnatis
LE RETOUR D’ETHELIOR
Tome 1 de la trilogie de romans transmédias
LA VÉNUS D’EMERAE
par Marc FRACHET
D’après l’univers transmédia InCarnatis®
ACCI Entertainment éditions
© ACCI Entertainment & Marc Frachet, 2016
Tous droits réservés pour tous pays
INCARNATIS
LE RETOUR D’ETHELIOR
Un livre transmédia de Marc FRACHET
d’après l’univers transmédia InCarnatis
Textes : Marc FRACHET
Musiques : Jean-Marie PHILIBERT et Marc FRACHET
Voix : Odile SCHMITT , Benoît ALLEMANE et Stéphane POUPLARD, avec
la participation de Jean-Marc TROCHON et de la chorale La Brénadienne
Sound design : Jean-Marie PHILIBERT
Mixage : Vincent BRULEY studio Piccolo (Paris)
Illustrations et couvertures : Etienne LE ROUX
Logo inCarnatis : Marc FRACHET et Stéphane GASSIN
Direction artistique visuelle : Stéphane GASSIN
Édition et production : ACCI Entertainment
MERCI...
À mon père, parti trop tôt, qui n’aura pas vu le résultat de
cette aventure de vie. Puisse son Istria nous revenir.
À ma mère, pour qu’elle trouve la force de continuer.
À mon épouse, qui s’est unie à moi depuis plus de vingt ans
et m’accompagne au quotidien dans cette ambition.
À mes deux enfants, à qui j’ai pris tant de temps pour donner
vie à ce rêve, dans lequel, j’espère, ils ont grandi.
À mes deux associés et amis, qui ont apporté leurs talents et
leurs compétences, et ont su me challenger.
Aux artistes ; dessinateur, musiciens, auteur, comédiens,
chanteurs... et aux techniciens, informaticien, développeur,
modeleur..., tous des Maîtres dans leur discipline, qui chacun,
ont ajouté une dimension supplémentaire.
À tout ceux qui ont cru à ce projet ambitieux de concept
d’univers transmédia, qui l’ont soutenu ou s’y sont joints
d’une façon ou d’une autre, permettant ainsi d’avancer et de
lui donner corps dans la durée.
À tous les financeurs participatifs qui ont pris part à la
campagne de crowdfunding pour sponsoriser la production
des médias de ce premier livre augmenté.
À tous ceux, professionnels ou particuliers, qui m’ont
suivi pleins de curiosité, de perplexité, parfois regardé
étrangement alors que moi-même je ne savais pas dans quoi
je me lançais, durant toutes ces années de conception et
d’élaboration, pour qu’ils croient en leurs rêves et dans leur
capacité d’évolution.
À tout ceux qui croient qu’un artiste doit créer dans la
douleur, c’est faux ! Le chemin est tout aussi important que
la destination. Il peut être long... Alors si on n’y prend pas de
plaisir, autant faire autre chose !
À tout ceux qui m’ont aidé d’une façon ou d’une autre...
Merci !
Bienvenue dans l’univers InCarnatis...
MODE D’EMPLOI
« InCarnatis, le Retour d’Ethelior » est un livre, avant tout,
mais un livre enrichi de médias additionnels qui vous
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Les médias additionnels n’étant pas indispensables pour
comprendre le récit, vous pouvez, si vous le souhaitez, les
ignorer au cours de votre lecture, et les découvrir plus tard.
Si nécessaire, retrouvez en fin d’ouvrage un glossaire avec la
définition de certains termes que vous découvrirez au cours
de votre lecture.
Signature musicale InCarnatis (0:25)
AVANT-PROPOS
Et si, depuis des millénaires, depuis les origines mêmes de
l’humanité, l’Homme avait développé un lien profond avec
l’univers, source de pouvoirs extraordinaires permettant de
transcender la Mort ?
Et si nos civilisations, nos cultures, et la majorité de nos
croyances, avaient été forgées suite à d’étranges rencontres ?
Et si l’Histoire, telle qu’on nous l’enseigne, était en réalité
bien différente, marquée par l’affrontement dans l’ombre de
deux sociétés secrètes depuis la nuit des temps ?
Et si, vous-même, étiez détenteur du
Pouvoir de la Science Arcanique ?...
Découvrez un récit audio (2:58)
LA FIN D’UN MONDE
Zapping radio durant les catastrophes naturelles de 2199
« J+119. Il fait froid. Les cendres projetées dans l’atmosphère
par les volcans ont plongé la Terre dans une nuit
permanente... »
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Chapitre 1
A.D. 2372, L’EFFET PAPILLON
INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
1.
La main grise d’un homo-aquaticus préleva une algue rouge
qui s’étirait paisiblement dans une culture bien ordonnée.
Puis il replia machinalement son bras par-dessus son épaule
et la fourra dans un filet placé sur son dos.
À la fois ferme et délicat, son geste démontrait un savoirfaire typique des ouvriers de Len’Landra, évitant ainsi de
remuer la terre et d’endommager la plante aquatique.
L’homme évoluait presque nu entre deux rangées d’algues,
sans masque ni bouteille. Il répéta son geste de récolte avec
son autre bras et recommença, encore et encore, dans un
balancement de plus en plus véloce qui donnait l’impression
qu’il avançait en picorant le sol de ses mains. Comme des
clones tout autour de lui, des centaines d’ouvriers répétaient
la même gestuelle chaloupée.
Emplissant leur filet en vidant les prairies sous-marines, ils
s’adonnaient à une sorte de ballet aquatique dont le dernier
acte était livré par des dauphins.
Guidés par des aquaticus, les cétacés tiraient des charrues
primitives qui retournaient délicatement la terre afin
d’accueillir les générations futures.
Une vingtaine de minutes après avoir pris son office,
l’ouvrier au filet empli d’algues rouges se dirigea prestement
vers l’une des nombreuses cloches de verrite qui étaient
disposées à intervalles réguliers dans les cultures.
Arrimées à quelques brassées du fond par des filins d’algues
tressées, les cloches de verre biotique oscillaient légèrement
au gré des courants, donnant l’impression de rythmer l’activité
des ouvriers.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
L’homme rejoignit l’une d’elles et y enfourna sa tête. La
verrite généra de l’oxygène, dont des bulles s’échappèrent de
la cloche, puis l’aquaticus réapparut visiblement soulagé.
Il prit alors la direction d’un petit collecteur d’algues,
une installation fixe assez sommaire, comme un rack fixé à
même le sol dans lequel transitaient trois tubes translucides,
suffisamment larges chacun pour qu’un homme put y nager.
Un tube pour chaque couleur d’algue : verte, brune et rouge, à
l’intérieur desquels circulait un puissant flux d’eau.
L’aquaticus présenta donc l’ouverture de son filet au-dessus
du gros entonnoir rouge qui trônait sur le collecteur d’algues
rouges. Retenu par sa lanière, le filet se retourna en un instant,
aspiré par le courant qui en emporta le contenu.
Puis il le ressortit et s’en alla l’emplir à nouveau.
S’agitant dans leur tunnel transparent, les algues rouges
glissaient comme des serpents dont le nombre s’accroissait
à chaque collecteur. À tel point qu’après avoir parcouru
plusieurs kilomètres, les tubes étaient devenus d’imposants
pipelines qui charriaient d’énormes quantités d’algues.
Longeant des enclos dans lesquels des baleines étaient en
train de faire leurs besoins précieusement récupérés par des
aquaticus, les gigantesques tubes s’étiraient en direction des
Domas de Len’Landra.
Construite sur les ruines de Tunis après les catastrophes des
Lunes Sombres, presque deux siècles auparavant, Len’Landra
était l’une des premières et plus importantes villes domiennes.
À la croisée de plusieurs « Rondes des Changes », la plupart
des aéroplaneurs de la Guilde Universelle des Commerçants
Aériens y faisait escale plusieurs fois par an.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
À grandes brassées dans leur énorme conduit, les algues
rouges s’en rapprochaient inexorablement, rejoignant
d’autres tubes qui convergeaient en étoile vers le bascollecteur central. Là où tous les gigantesques pipelines des
champs alentour venaient fusionner dans un impressionnant
flux ardent. Surnommée l’ascenseur, c’est dans cette dernière
section de parcours sous-marin que les récoltes prenaient la
direction de la surface.
Trois colossaux tubes de verrite s’élevaient progressivement
vers le multiport, emmenant les algues qui donnaient
l’impression de grimper littéralement vers le haut-collecteur,
une trentaine de mètres au-dessus de la surface de l’eau.
Elles débouchaient alors à l’air libre pour être projetées sur
des grilles inclinées comme des toboggans.
L’eau s’échappait par-dessous dans un bouillonnement
intense tandis que les algues visqueuses glissaient vers le
séchoir, une grande installation industrielle qui, dans un bruit
de sifflements assourdissants et de jets de vapeur, asséchait
la membrane extérieure des algues, les débarrassant de leur
viscosité tout en leur conservant un cœur moelleux, synonyme
de qualité.
Déversées sur de longs tapis roulants, les algues étaient
contrôlées par des ouvriers qui en extrayaient les corps
étrangers tels que poissons, cailloux et crustacés.
Puis elles passaient le contrôle qualité. Celles qui étaient
jugées inaptes au premier choix étaient prélevées pour
finir en pâture animale, en produits de beauté ou en rations
alimentaires bon marché.
Après avoir été contrôlées une dernière fois, les algues
arrivaient au bout du tapis où elles tombaient dans des caisses
en bois marin estampillées du symbole de l’algue rouge de
Len’Landra.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
Une fois emplies, ces caisses étaient aussitôt éloignées du
tapis et scellées par un couvercle marqué de la date du jour.
Elles étaient enfin entreposées dans la zone de transit. Mais
très prisées, aux vertus aphrodisiaques supposées, les algues
rouges ne restaient jamais bien longtemps stockées. Et l’une
des caisses fut ramassée par une dockeuse qui la prit sur son
épaule pour l’emporter dans le multiport.
Elle se fraya un chemin à travers les nombreuses personnes
qui s’affairaient, chargeant et déchargeant des marchandises
dans toutes sortes d’engins flottants, roulants ou volants, dont
la plupart étaient frappés de l’insigne de la Guilde Universelle
des Commerçants Aériens.
Certains vaisseaux étaient déjà sur le départ prêts à
rejoindre une Ronde des Changes tandis que d’autres étaient
à l’approche, attendant de se poser à leur tour pour ouvrir
grand leurs soutes et y engloutir toute sorte de marchandises.
La dockeuse se dirigea vers un gigantesque marché à ciel
ouvert bondé de monde : la Place des Échanges qui, dans une
atmosphère traditionnelle méditerranéenne, offrait mille
couleurs et sons entremêlés de parfums envoûtants.
Habituée à cette foule en effervescence, la domienne longea
rapidement une étroite allée bordée d’échoppes et d’étalages
où les gens se vendaient et se revendaient toutes sortes de
choses. Des répliques fusaient çà et là, traduisant l’état des
négociations en cours.
— C’est inadmissible ! Jamais le tek d’Arbokan ne paiera
une telle somme ! s’insurgea un homme face à un commerçant.
Un « Saloperie de tekos ! » s’échappa de la foule, provoquant
la colère de l’acheteur d’Arbokan.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
Mais la dockeuse ne prêta aucune attention à la chose et
traça son chemin, la caisse commençant à peser sur son épaule.
Elle croisa un collègue moins chanceux qui poussait une
charrette d’engrais biologique primeur, et fit une grimace
dégoûtée par l’odeur de bouse de baleine encore fumante.
Après quelques minutes d’une marche rendue pénible
par le poids de la caisse, elle entrevit enfin sa destination, la
devanture d’une boutique au nom prometteur : « Tout pour
tout ».
Elle se délesta à côté sur un impressionnant monticule de
caisses d’algues rouges. Puis elle reprit allégée la direction du
séchoir.
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LES DOMAS
Extrait des memoranda de l’Orden Veritas
Memorandum #B18-05
Témoignage d’Edza Whyra
Gardienne des Souvenirs
Après l’apocalypse de 2199, les villes marines qui résistèrent
particulièrement bien aux Lunes Sombres se sont vues crouler
sous des cohortes de réfugiés.
Au cours du XXIIIe siècle, elles durent se développer et construire
davantage de domas, des grands dômes de verrite recouvrant
tout un quartier de ville sous les eaux, et qui donnèrent leur nom
à cette civilisation sous-marine : les Domas.
Les domiens intensifièrent la culture des algues, devenues la
principale ressource alimentaire mondiale.
La vie s’organisa autour de cette culture et d’une spiritualité très
proche de la Nature.
Nature à qui les domiens vouaient un véritable culte, qui virait
parfois à l’extrémisme, allant jusqu’à se l’approprier totalement
pour se fondre en elle et la manipuler.
Jusqu’à ce jour, il semble qu’ils n’ont pas encore réussi à produire
un être humain avec des branchies. Mais ils sont arrivés à une
autonomie d’apnée moyenne de l’ordre de vingt minutes en
effort, à accroître la résistance au froid et à modifier la vision,
de sorte que les ouvriers travaillant dans les champs d’algues
puissent évoluer sans équipement particulier.
À force de manipulations génétiques à outrance venant modifier
l’Évolution, ces nouveaux Êtres humains furent classés dans une
nouvelle branche de l’espèce humaine : l’Homo aquaticus.
Mais la croissance de cette civilisation s’est opérée également en
creusant.
Historiquement, bon nombre des réfugiés post-apocalyptiques
s’installèrent de façon anarchique et illégale dans les domas, en
créant leurs propres quartiers sous la forme de « roots », des
enchevêtrements de souterrains et de grottes dont même les
autorités ignoraient les ramifications.
Une véritable vie parallèle et enterrée se développa, qui eut
longtemps du mal à coexister avec la vie sous la doma. Même
si une forme de statu quo se mit en place. Des Boka-Tsu, sortes
de parrains mafieux qui régnaient sur les roots devinrent parfois
complices des autorités locales, notamment lorsqu’il s’agissait
de fournir des êtres humains pour les expériences génétiques
d’adaptation en milieu aquatique.
Car les domiens jouaient littéralement avec la Vie, se livrant à
toutes sortes d’expérimentations sur la faune, la flore et l’Être
humain.
En jouant ainsi avec la Nature, les domiens oublièrent quelques
lois physiques élémentaires et Mère Nature les rappela à l’ordre
à la doma de Len’Berg. Littéralement rongée de l’intérieur par
les roots qui en avaient affaibli les fondations, la doma s’effondra
et fut complètement noyée. Plusieurs centaines de milliers de
personnes y trouvèrent la mort et la catastrophe marqua les
esprits sur la terre entière.
Les nouveaux historiens, qui compilèrent plus tard les traces du
passé sur les Réseaux de Savoir, nommèrent la période qui suivit
les Lunes Sombres, le néo-Moyen Âge.
LA VÉNUS D’EMERAE
TOME 1
LE RETOUR D’ETHELIOR
INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
2.
En général, le voyageur trouvait son bonheur dans les
nombreux rayons richement garnis du « Tout pour tout »,
donnant ainsi corps à la devise du lieu.
À l’intérieur de l’imposante boutique, deux hommes
discutaient de part et d’autre d’un magnifique comptoir en
bois sculpté.
Arborant ostensiblement les insignes de la Guilde, Borro,
un homme bien bâti d’une quarantaine d’années aux cheveux
bruns et courts, dont le visage rayonnait du soleil d’altitude,
s’adressait mécontent au gérant de la boutique :
— Allons mon ami, lança-t-il en fixant le marchand de ses
yeux bleus perçants, ce n’est pas en rajoutant une caisse que le
compte sera bon ! Deux-cents ou deux-cent-une caisses pour
mille-cinq-cents Dollos ! Tu plaisantes ? À ce prix-là, même un
teken n’en voudrait pas ! Soyons sérieux : rajoute ce sabre et
je te prends l’ensemble à mille Dollos.
Borro pointa du regard un sabre que faisait rouler dans
sa main Izmir Taïos, un fier guerrier à l’allure touareg qui
dissimulait un visage fin sous son vêtement traditionnel.
D’une taille moyenne, Izmir laissait deviner un corps
particulièrement bien sculpté par des années d’entraînement
intensif, qui l’autorisaient à porter sur lui le blason des Maîtres
d’Armes de la Guilde.
Mais cela n’impressionnait aucunement le gérant engoncé
derrière son comptoir :
— Mille Dollos ! Des algues rouges, les meilleures de la
région, à peine récoltées ! Et un sabre original de Tolède,
inusable ! Un sabre comme ça, tu peux le tailler toute ta vie,
il ne bougera pas et restera tranchant comme une lame de
rasoir. Mille-trois-cents !
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
— Mille-cent. Et c’est bien payé. Tu sais comme moi que les
tekens deviennent méfiants sur tout ce qui vient des domas.
Si tu veux continuer à vendre ta marchandise, il faudra que tu
adaptes tes prix.
— 
Mmm... mille-cent Dollos... deux-cent-une caisses
d’algues rouges, un sabre de Tolède... À mille-deux-cents tu
prends tout !
— Mille-cent cinquante, et c’est mon dernier prix.
— Yallah, conclu !... Mais tu es dur en affaires toi.
Borro se détendit et afficha un léger sourire de satisfaction.
Le marchand prit alors des papiers l’air miséreux :
— Ça fait trente ans que je vends des algues, jamais j’ai vu
des prix aussi bas... faut bien que je gagne ma vie ! C’est que j’ai
trois femmes et dix-sept enfants à nourrir moi... marmonna-til en se plongeant dans la paperasse d’usage.
— Trop ambitieux, mon ami ! Moi, je n’en ai qu’une... Ceci
dit, elle en vaut bien trois, commenta l’aérostier en se tournant
vers Séréna, une ravissante femme blonde, fine et élancée,
aux yeux d’un vert émeraude précieux s’accommodant
parfaitement à son teint clair.
Mais absorbée par ses recherches dans le rayon des pièces
détachées pour aéroplaneurs de type Magic III, Séréna
n’entendait rien de la conversation entre les deux hommes.
— 
Et je n’ai pas dix-sept enfants, poursuivit Borro,
seulement des jumeaux, qui comptent bien triple aussi, ajoutat-il comme s’il se parlait à lui-même.
— Et vous payez comment ? interrogea le marchand en
levant le nez de ses papiers.
— En cash mon ami, lui répondit son client en sortant
quelques liasses de Dollos. Et n’oublie pas les « trois-pourcent de ristourne pour tous les achats de plus de mille Dollos
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
payés en cash » comme c’est écrit là, précisa-t-il en pointant
un petit écriteau derrière le commerçant.
— Pfffff... acquiesça le gérant qui se replongea dans ses
papiers tout en grommelant quelque chose d’inaudible.
Borro se rapprocha d’Izmir qui examinait le sabre l’air
satisfait. Il lui fit un clin d’œil et articula quelques mots
sans émettre le moindre son, utilisant la technique de
reconnaissance labiale maîtrisée par tous les aérostiers de la
Guilde. Une pratique bien utile par grand vent ou pour parler
secrètement lors de négociations.
— Nous irons vendre ces algues à Tikity, indiqua Borro en
silence, c’est moins loin, et la question domienne les préoccupe
moins que dans d’autres teks. On en tirera facilement trois à
quatre fois plus. C’est une bonne affaire.
Derrière son comptoir, le gérant l’interpella :
— À quel nom la facture ?
— 
Grinh, Borro Grinh, de la Guilde Universelle des
Commerçants Aériens.
— Oui, oui, j’avais vu... marmonna l’homme en achevant
ses documents. Ça fait mille-cent-quinze Dollos et cinquante
centimes.
— Les voilà, répondit l’aérostier en faisant le compte.
— Et voici le certificat d’origine pour la traçabilité des
algues. Je m’occupe de les faire livrer à votre aéroplaneur.
Après avoir rangé l’argent sous son comptoir, à côté d’une
arme à peine dissimulée, l’homme regarda machinalement
dans les miroirs de surveillance subtilement disposés dans
les rayons. Il entrevit les deux enfants, dont un la main dans sa
poche, et ajouta plus bas en se penchant vers leur père.
— Des jumeaux ?... Y s’ressemblent pas beaucoup. Et s’ils
prennent des articles biotechs, il faudra les payer.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
— 
Évidemment 
! répondit Borro spontanément
cherchant du regard ses enfants dans les rayons.
en
Âgés d’une douzaine d’années, les jumeaux ne se
ressemblaient effectivement guère.
Yarel était plutôt grand et costaud, légèrement trapu, le
teint mat, souligné par des yeux dont la couleur évoluait selon
la lumière, virant du bleu, parfois gris, au vert, souvent teinté
de jaune et de brun. Étrangement, son imposante chevelure
brune et ondulante présentait déjà quelques cheveux blancs.
Ce qui n’était pas sans occasionner diverses moqueries de son
frère Yohan, qui espérait ainsi compenser son encore petite
taille et sa finesse, clairement apparentées à Séréna, dont il
avait aussi hérité des cheveux blonds lumineux et des yeux
vert émeraude.
Ils farfouillaient tous les deux dans un rayon où étaient
entassés en vrac divers articles biotechs.
— Y’a que de la vieille occase ! constata Yarel, contrarié,
en parcourant l’étagère rapidement. Comment tu veux qu’on
répare les combivs de jeu avec ces trucs encore plus usés que
les nôtres ! Faut croire qu’il n’y a que les algues qui sont bien
ici !
— Ah, j’aurais les cheveux si on pouvait pas jouer làhaut ! commenta Yohan tout en continuant de chercher
machinalement. Tiens, regarde ce biopross, ça pourrait pas
aller ?
Yarel y jeta un bref regard.
— Non. L’hologramme de certification n’est pas tout à fait
conforme. C’est une contrefaçon.
— Et alors, il y a de très bonnes copies, non ?
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
— Peut-être mais pas pour tout. Pour des éléments comme
ça, il vaut mieux une pièce originale. Tu te souviens pas quand
le cerveau-moteur de sensations est tombé en panne et que tu
as cru qu’on t’arrachait la peau ? demanda Yarel en souriant.
C’était trop...
— Pas drôle ! l’interrompit Yohan, j’aurais pu avoir des
séquelles toute ma vie a dit maman. Et repose la pièce qui est
dans ta poche.
— La quoi... ? répondit Yarel sur un ton gêné avant de se
reprendre, qu’est-ce que ça peut te faire d’abord ? C’est juste
un petit circuit intégré.
— Mais pourquoi le voler puisqu’on peut le payer ?
— Je ne sais pas. Ça doit être pour le plaisir, ou le risque. Ou
le plaisir du risque... Et qui dit que je le vole ? Il faut bien que je
me libère les mains pour chercher dans ce bazar, non ?
— Tu parles d’un plaisir ! T’es vraiment...
Mais Yohan s’arrêta, voyant que son frère ne l’écoutait déjà
plus, le regard soudainement attiré au dehors.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda-t-il.
— Je sais pas, répondit Yarel, il se passe quelque chose.
— Allez les enfants, les interrompit Séréna, si c’est bon
pour vous, on retourne à l’aéroplaneur.
3.
À peine franchies les portes de l’échoppe, les Grinh et
leur Maître d’Armes se retrouvèrent plongés dans l’agitation
intense de la Place des Échanges.
— Deux Dollos un petit circuit comme ça... avec tout ce
qu’on lui a laissé... c’est du vol ! lança dégoûté Yarel à son frère.
35
INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
— Légal celui-là, commenta Yohan avec un petit sourire.
Et ça aurait pu être pire s’il avait fait remonter une plainte à
l’Archicom.
— L’Archicom, pour deux Dollos ?... j’espère bien qu’il a
autre chose à faire !
Quelques pas en retrait, Séréna s’étonna d’un air presque
admiratif en regardant le tas de caisses d’algues rouges.
— Dis-donc, ça ne traîne pas ici, les dockers ont déjà enlevé
une bonne partie des caisses !
— Il faut que ça tourne pour gagner de l’argent, précisa
Borro en connaisseur. Ne traînons pas non plus, il faudrait
être à l’aéroplaneur avant eux pour superviser le chargement.
Sinon, ils vont encore tout déposer devant et... il faudra charger
nous-mêmes.
Spontanément, ils se mirent alors à presser le pas, tentant
de se frayer un chemin à travers la grande place bondée de
toutes sortes de gens.
Un peu plus loin, ils passèrent à proximité de deux tekens
en tenue d’étudiants médaux de l’académie militaire d’Aksys.
Vindicatifs dans l’indifférence générale, les deux hommes
commençaient à s’en prendre à une vieille domienne
miséreuse dont la peau était légèrement grise comme celle
des aquaticus.
— Sous-race ! lança avec un air supérieur le lieutenant
Tara Nex, un individu au visage sec, avec des petits yeux noirs
sombres comme la nuit et un crâne imberbe éclatant comme
le jour.
Il fit mine de la frapper.
36
INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
Davantage effrayée par son regard plein de haine que par
son geste, la vieille femme trébucha en arrière et se retrouva
dans la poussière.
— Non, pitié messeigneurs ! Je n’ai rien fait ! implora-t-elle
en se protégeant le visage avec ses bras.
— Dégénérée de mutante grisée ! Je vais te la dire la bonne
aventure, moi ! s’exclama le teken en attrapant la domienne
par le bras.
Sous les yeux de son coéquipier, Tara Nex continua quelques
instants à la molester comme s’il avait eu quelque chose de
personnel à lui reprocher. Et, si l’on sentait bien qu’il exprimait
encore un peu de retenue car il était en public, l’étudiant en
médecine militaire était sur le point de franchir un cap.
Les jumeaux s’arrêtèrent pour regarder discrètement,
rejoints par leur mère. Gênée, elle détourna son regard en
hochant la tête de dépit.
Puis elle fit signe aux enfants de la suivre et reprit son
chemin.
— Hé, maman, attends... s’inquiéta discrètement Yarel en la
retenant par le bras, on peut pas les laisser faire ?
— Tu sais très bien que la Guilde ne se mêle pas des affaires
des autres. Nous ne pouvons rien faire, répondit Séréna sur un
ton plein de dépit.
— Mais si on peut ! rétorqua spontanément le jeune garçon.
— Non, Yarel. Je sais que ça te révolte, mais ce n’est pas
à nous d’agir. L’Archicom nous l’a interdit. Allez, venez ! Ne
traînons pas ici, conclut Séréna en reprenant sa marche.
— C’est à qui alors ? se dit tout haut Yarel qui resta planté
sur place en observant d’un œil les deux tekens à quelques
mètres de lui.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
Comme s’il venait d’avoir une idée, Tara Nex tendit le bras
de la veille femme à son coéquipier :
— Tiens, Rakal, amuse-toi.
Le lieutenant sortit alors de la poche intérieure de son
blouson une petite trousse noire qu’il faillit ouvrir, avant de
se reprendre.
— Amène-la un peu à l’écart de cette populace, dit-il à son
coéquipier en cherchant un endroit à l’abri des regards.
— Tu vas pas encore faire un sale truc, hein ? s’enquit son
collègue en maintenant la domienne par le bras.
— Quoi ! T’es avec elle, c’est ça ?
— Non, non, calme-toi, Tara.
— T’inquiète pas. C’est juste une mise en pratique sur un
être humain. Enfin... si on peut appeler ça comme ça, ajoutat-il en regardant avec dédain la vieille femme. Allez, vas-y,
emmène « ça » par là !
Tandis que Séréna s’éloignait en regardant droit devant
comme pour fuir au plus vite cette scène exécrable, Yarel
retint son frère par le bras. Il scruta rapidement aux alentours
et articula quelques mots en silence, utilisant la technique que
lui avait enseignée son père.
Séréna rejoignit Borro et Izmir, préoccupée :
— Les tekens ne connaissent plus de limites. Ils sont de
plus en plus agressifs.
— Je sais, j’ai vu, lui répondit Borro sur un ton désolé en
touchant son arme. Si ça ne tenait qu’à moi, je leur apprendrais
bien les bonnes manières à ces...
38
INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
— La tension est grande entre ces deux peuples, mais
il nous faut respecter la neutralité de la Guilde. Ainsi est la
volonté de l’Archicom, rappela le Maître d’Armes.
— Ça a empiré depuis quelques semaines, observa Borro.
Il suffirait d’un rien pour que ça dégénère. Filons d’ici au plus
vite.
— Où sont les enfants ?! alerta Séréna en cherchant autour
d’eux.
« Yarel ! Yohan ! Où êtes-vous ? », commencèrent-ils à crier.
En vain.
— Bon sang, où sont-ils ? angoissa leur mère. Avec tous les
trafiquants d’enfants et d’esclaves qui traînent dans le coin, il
peut leur arriver n’importe quoi !
Mais personne autour d’eux ne prêtait attention à leur
désarroi quand soudain dans le bruit ambiant, la voix de Yarel
se fit entendre : « Tekos ! Hey ! Les tekos ! »
Borro se retourna et découvrit Yarel, debout fièrement en
haut d’une tourelle en bois qui dominait la Place des Échanges.
— Là ! pointa-t-il. Qu’est-ce qu’il a encore inventé ?
— Et Yohan ? s’inquiéta Séréna.
— Hoooo ! Les tekos ! répéta Yarel du haut de sa tour.
Tirant la domienne vers des bâches tendues entre des
échoppes, Rakal regarda dans la direction du jeune garçon :
— Quoi ! Qu’est-ce qu’il dit, lui ? Sale gamin. Il a de la chance
que je sois occupé !
Pendant ce temps, Yohan arriva devant une petite navette
biplace aux couleurs de l’académie militaire d’Aksys. Il fit
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
un grand sourire en découvrant une B-Twicy, un modèle du
GACOR qui s’était vendu à plusieurs millions d’exemplaires
à travers le monde et avait fait la fortune du conglomérat
industriel teken. Yohan le connaissait particulièrement
bien, tout au moins virtuellement pour l’avoir piloté à de
nombreuses reprises dans des courses effrénées.
En quelques instants, il s’introduisit dans la navette et
ouvrit une petite trappe technique sous les commandes. Il
en sortit une platine et brancha deux fils ensemble. Aussitôt,
l’engin démarra.
Le jeune garçon jeta alors un bref coup d’œil autour de lui
comme s’il cherchait quelque chose. Puis il enclencha le mode
ralenti et sortit tranquillement de la navette sans la refermer,
la laissant cheminer seule vers le centre de la grande place,
le cockpit rabattu vers l’arrière prête à tout gober sur son
passage.
Du haut de la tourelle, Yarel agita ses bras en criant pour
attirer l’attention des deux hommes :
— Hey, les tekos ! Votre navette part sans vous ! fit-il en la
pointant du doigt.
Avançant doucement sur la Place des Échanges, l’engin
bousculait des gens et renversait des étalages, provoquant la
surprise et la colère des marchands.
— La navette ! Faut la récupérer ! Laisse tomber la vieille !
s’écria Rakal en se mettant à courir.
Comprenant lui aussi la situation, Tara Nex relâcha son
attention, ce dont profita la domienne pour s’esquiver entre
des échoppes.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
Nex se mit alors à courir à son tour après la B-Twicy qui
semait le désordre à son passage. Le cockpit grand ouvert, elle
se dirigeait vers une charrette aquarium grouillant d’anguilles
excitées.
Borro était stupéfait en observant la scène.
— Par les Alizés, ils l’ont fait ! se dit-il dépité avec une légère
pointe d’admiration.
Des gens s’arrêtèrent, comprenant à leur tour ce qui était
en train de se passer. Ils commencèrent alors à se moquer des
tekens.
Rakal reçut une giclée d’algues vertes primeurs, bien
visqueuses. « Allez-vous-en ! Partez ! », « On veut pas de vous
ici ! », entendit-on sur leur passage, tandis que jaillissaient de
nouvelles et copieuses salves d’algues.
De son côté, Yarel descendit de la tour en exécutant quelques
acrobaties le long des échafaudages qui la ceinturaient. En un
rien de temps, il se retrouva en bas et se mit à courir à travers
la foule.
À quelques mètres de la navette, Rakal glissa sur des
algues dans sa course et trébucha, se retrouvant face contre
terre. Ce qui provoqua moqueries et huées des gens de plus
en plus nombreux dont la rumeur montait en puissance et en
agressivité.
Juste derrière lui, Nex en profita pour prendre appui sur
son compagnon à terre et, d’un bon énergique, sauta dans
le cockpit de la navette avant qu’elle ne percutât l’aquarium
ambulant.
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Il tourna alors les manettes, évitant ainsi une collision
frontale. Mais la B-Twicy heurta de son flanc gauche la carriole.
Déséquilibrée, celle-ci se renversa, libérant sa dangereuse
cargaison en direction de Rakal qui eut à peine le temps de se
relever.
— Monte ! Ou je te laisse là ! lança Nex furieux à son
coéquipier trempé qui sautillait d’une jambe à l’autre pour
éviter les anguilles énervées qui clapotaient dans les flaques
d’eau.
Rakal sauta dans la cabine.
Nex fit alors décoller la navette. Mais avant de quitter la
place, il vint frôler la foule de près pour lui faire peur.
S’étant arrêté pour regarder la scène, Yarel se baissa comme
tous les gens, puis il reprit sa course avec un grand sourire aux
lèvres.
Cachée derrière une bâche tendue entre des étalages, la
domienne l’interpella à son passage :
— Viens ! Viens, mon garçon ! fit-elle en l’attrapant pour
le tirer sous son abri de fortune. Mille mercis à toi ! Tu es
courageux et inventif, jeune homme. Comment puis-je te
remercier ?
— Heu... c’est rien Madame, répondit Yarel peu à l’aise
face à la vieille femme dont se dégageait quelque chose qui le
troublait. Personne ne vous aidait, alors avec mon frère...
— Tu es brave mon garçon, fit-elle en saisissant sa main.
Comment t’appelles-tu ?
— Yarel, Madame.
Elle la caressa d’un geste avec son autre main puis la
retourna pour voir la paume de l’enfant.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
La domienne ne put contenir une surprise qui étonna le
jeune Grinh.
— Qu’est-ce que j’ai ? s’inquiéta-t-il.
— C’est extraordinaire, mon garçon ! Ton avenir sera grand,
à l’image de ton passé !
— Quoi ? répondit Yarel intéressé, vous savez quelque
chose sur...
Soudain, Borro et Izmir arrachèrent la bâche, découvrant
le jeune garçon et l’étrange femme à qui ils adressèrent un
regard inquisiteur.
D’un mouvement de main, Borro ordonna à Yarel de sortir.
Il s’exécuta, contrarié.
La domienne saisit l’aérostier par le bras.
— Il n’est pas votre fils, n’est-ce pas ?...
Surpris, Borro lui jeta un regard acéré et s’en alla.
Légèrement troublé l’espace de quelques pas, il se reprit et
s’adressa à Yarel qui le regardait l’air interrogateur :
— N’écoute pas cette folle, mon fils, elle n’a plus toute sa
raison.
Yarel ne sembla pas se satisfaire de cette réponse, mais la
vue de sa mère qui tenait Yohan par l’oreille comme pour le
punir le ramena à la réalité.
— Viens ici, toi ! lança-t-elle à Yarel avant de l’attraper lui
aussi par l’oreille. Qu’est-ce qui vous a pris ?
— Quoi ? Je voulais juste aider cette femme ! Je pensais que
tu voulais le faire toi aussi, non ?
— Non ! Si... enfin... non... c’est plus compliqué que ça !
répondit Séréna, embarrassée, en les relâchant. Ce sont des
affaires de grands.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
— Et alors ? On n’est peut-être pas des adultes, mais nous
aussi on habite dans ce monde !
— Oui, c’est vrai, répondit-elle surprise par la contradiction
de Yarel. Mais, c’est que... j’ai eu tellement peur de ne plus vous
revoir.
Elle les serra alors fortement dans ses bras comme pour se
rassurer qu’ils étaient bien là.
— Je suis désolé maman, s’excusa Yarel.
Elle les relâcha et les prit par les épaules.
— Moi aussi je voudrais que tout ça change et que plus
jamais personne n’ait à souffrir de son apparence, de sa religion
ou ne meure de faim. Mais il faut que vous compreniez qu’on
ne soigne pas le monde comme on soigne un simple rhume !
Avez-vous simplement pensé aux conséquences possibles de
vos actes ?
Discrètement, Izmir se rapprocha de Borro.
— N’a-t-il pas le droit à la vérité ?
Borro haussa les épaules l’air dubitatif en regardant Yarel.
— Pourquoi ?... Il se pose déjà tant de questions.
4.
En pilotage automatique dans leur navette, les deux tekens
se remettaient en silence de leurs émotions.
Tandis que Rakal s’épongeait au mieux, Nex était sur le
point d’éclater, le regard figé sur le bouton d’armement des
roquettes.
— Sous-race de domiens, comment osent-ils nous traiter
ainsi ! pensa-t-il tout haut.
— Ça reste entre nous, hein ? demanda Rakal entre gêne et
amusement.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
—  Il n’y a rien d’amusant à la situation, répondit le lieutenant
en regardant son coéquipier d’un air contrarié.
Soufflant par le nez comme s’il bouillonnait, Nex sortit de
nouveau sa petite trousse noire, qu’il tint dans sa main en
la regardant, presque déçu. Puis il tourna ses yeux vers son
coéquipier, et ramena son regard vers le bouton d’armement.
Soudain, il eut un petit rictus de satisfaction et reprit son
souffle.
— On ne va pas en rester là, lâcha-t-il sur un ton froid et
déterminé en armant les roquettes.
— Quoi ! T’es malade ? C’est un coup à déclencher une
guerre ! s’opposa Rakal.
— C’est bien ce que je pensais, répondit Nex calmement en
entrouvrant légèrement sa petite trousse noire.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un injector.
— Haaa, je croyais que c’était tes scalpels.
— Non, non... j’étudie les sérums à base de nanites. Il faut
bien varier les plaisirs ! Mais dis-moi, Rakal, dans quel camp
es-tu exactement ? Es-tu avec nous ou avec ce traître de
Chancelor... qui, au lieu de diriger fièrement notre Tek vers
son destin, n’a jamais pu se résoudre à prendre les bonnes
décisions sur la question domienne !
— Ah oui ? Lesquelles ?
— C’est dommage que tu n’aies pas compris ça. Il y a bien
longtemps qu’on aurait dû entrer en guerre contre cette sousrace. Toutes les conditions sont réunies, il suffirait juste d’une
étincelle... d’une lumière !
— Mais, Tara, lui répondit déconcerté Rakal, la Société du
Droit Pouvoir, c’est juste une poignée d’étudiants médaux un
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
peu allumés ! Aller casser un peu de domiens, je veux bien,
mais pas déclencher une guerre !
— Non ?... Tu me déçois, tu n’as aucune ambition, s’emporta
Nex. Depuis plus de cent ans qu’il existe, le Droit Pouvoir
c’est beaucoup plus ! C’est un réseau de cerveaux brillants
implantés dans toutes les castes supérieures de la population
tekenne... qui partagent un idéal commun.
Il inspira profondément avant de conclure son propos les
yeux illuminés.
— Je peux lui donner vie. Je peux être cette, lumière !
— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes, Tara !
— Il faut parfois un simple événement pour faire basculer
l’Histoire. Un martyr, par exemple.
— Un martyr ? Mais tu délires ! Et d’abord, qui est mort ?
— Toi ! répondit Nex en lui plantant lourdement l’aiguille
de son injector dans la tempe. Dis-toi qu’on rapportera plus
tard que les Guerres Domiennes ont commencé ce 3 août
2372, suite à l’assassinat d’un stagiaire médaux de l’Académie
militaire d’Ak...
Nex se prit un violent coup de poing et s’en trouva sonné
un bref instant, ce dont profita son coéquipier pour le saisir
à la gorge. Mais Rakal n’eut pas le temps de l’étrangler,
soudainement pris d’une violente douleur qui lui pénétra le
cerveau.
Il s’inclina en attrapant sa tête et en hurlant, puis il se
redressa, les yeux en sang et regarda Nex avant de retomber
foudroyé par une hémorragie interne.
— Ah non... non ! C’est encore trop rapide ! déplora Nex
déçu par l’effet de son sérum.
Il ouvrit alors le cockpit et poussa avec ses jambes le
corps ensanglanté hors de la cabine. Puis il referma et prit
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
manuellement les commandes, faisant faire demi-tour à la
navette.
« Je jure que plus jamais personne ne moquera Tara Nex. »,
pensa-t-il en couplant les mitrailleuses aux roquettes.
Arrivé à quelques centaines de mètres au-dessus de la
grande place, il déclencha l’enregistreur et attrapa la radio :
— Mayday ! Mayday ! Mayday ! Ici le lieutenant Tara Nex
de l’académie militaire d’Aksys. Nous sommes attaqués ! Mon
binôme vient d’être lynché par les domiens sur la Place des
Échanges de Len’Landra, je dois me défendre ! Au sec...
Il coupa la radio sans même terminer son propos pour lui
donner plus de dramaturgie.
« Je vais écrire l’Histoire », se dit-il en lançant sa navette en
piqué sur la foule...
5.
Atteignant son altitude de croisière, l’aéroplaneur de la
famille Grinh rejoignit d’autres vaisseaux sur la Ronde des
Changes en direction du tek de Tikity.
Inspirés des caravelles de la Renaissance, les aéronefs
de type Magic III déployaient majestueusement trois mâts
pourvus de voiles solaires qui leur permettaient de naviguer
au long cours tout en charriant plus de cinquante tonnes de
marchandises.
Équipés de puissants propulseurs sur rotules qui leur
conféraient une étonnante maniabilité dans toutes les
directions, les Magic III disposaient également d’une
protection fantôme qui pouvait les occulter complètement,
et d’une puissance de feu efficace, exclusivement réservée
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
à la défense, qui leur permettait de repousser les pirates et
forbans guettant les navires isolés.
Mais pour l’heure, un vol tranquille et sécurisé s’annonçait
pour rallier la région de Tikity en Hellénie. Et déjà, chacun
commençait à vaquer à ses occupations.
Sur le pont central, Izmir sortit son nouveau sabre avec
lequel il effectua quelques mouvements qui lui confirmèrent sa
première impression. Il le regarda, puis en fit sonner la lame à
l’aide d’une pichenette. Les harmoniques lui plurent. Il évalua
alors le tranchant de la lame en posant ses doigts dessus. « Un
sabre comme ça, tu peux le tailler toute ta vie, il ne bougera
pas... », repensa-t-il en prenant son matériel d’affûtage.
De leur côté, ayant mis le pilotage automatique, Borro et
Séréna prirent la direction de leurs quartiers dans la plus
grande et spacieuse des trois suites de l’aéronef située juste
en dessous du pont arrière.
À l’opposé, sur le pont supérieur, Yarel se ressassait les
propos de la vieille femme en se dirigeant vers la proue.
Perdu dans ses pensées, il s’assit sur le bastingage, les
jambes à l’extérieur du navire. Une position dangereuse
mais sécurisée du fait de la présence, quelques mètres sous
l’aéroplaneur, d’un grand filet de protection qui le débordait
de part et d’autre de manière à rattraper tout ce qui aurait pu
tomber. C’était l’un de ses endroits préférés, où il trouvait un
peu de solitude, laissant derrière lui l’exiguïté de l’aéroplaneur
pour se retrouver face à l’infinité du ciel.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
Yohan l’avait suivi, mais il se demandait en fait ce qu’il allait
bien pouvoir faire puisque les combivs de jeu étaient en panne.
Sa mère lui apporta alors la solution par l’intercom :
— Les enfants, je vous rappelle que vous devez étudier vos
bioroms d’Histoire.
Dégoûté, Yohan se tourna vers son frère qui, soudain, hurla
en se prenant la tête : « Non ! Non ! Haaa ! Pas çaaaa ! ».
— Ouais, je suis d’accord avec toi, cria à son tour Yohan en
levant le poing. Révolution ! À bas les devoirs !
Mais Yarel ne plaisantait pas.
Ses yeux se révulsèrent tandis que la douleur devint de plus
en plus intense. Il tomba dans une sorte de convulsion et se
mit à vibrer en basculant en avant par dessus bord.
— Yarel ! cria son frère en se penchant sur le bastingage,
rejoint par les trois adultes qui accoururent.
« Yarel... » lâchèrent-ils soulagés en le découvrant
recroquevillé sur le filet de protection en position fœtale.
— Juste quand on parle des devoirs, c’est bizarre, non ?
ironisa Yohan.
— J’arrive Yarel, j’arrive mon ange, lui lança Séréna tandis
que Borro déployait déjà l’échelle mécanique vers le filet.
Mais Séréna n’attendit pas.
Elle saisit un cordage le long du bastingage et se laissa
descendre doucement, en prenant soin d’arriver délicatement
pour éviter de faire rebondir son enfant hors du filet.
Particulièrement à l’aise, elle glissa comme une panthère
sur une branche jusqu’à son fils, et le prit dans ses bras.
— Je suis là mon ange, calme toi, c’est fini. Je suis là, répétat-elle en lui caressant le visage.
Yarel reprit ses esprits et enlaça sa mère.
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INCARNATIS – Le Retour d’Ethelior
— Ça a recommencé maman... c’est comme si je l’avais
vécu... c’est horrible ! J’ai... j’ai vu plein de gens mourir, dit-il
en enserrant sa mère plus fort.
— Ça va aller, ça va aller mon bébé, le rassura-t-elle sur un
ton calme en le pressant contre elle. C’est fini maintenant.
— Mais qu’est-ce que j’ai ? Qu’est-ce qui m’arrive ?...
—J’y ai beaucoup réfléchi avec ton père. J’ai l’impression
que c’est lié à ton âge. Tu grandis. Ton corps change et ton
esprit lui aussi doit changer.
— Tu crois ?
— À vrai dire, je l’ignore... Depuis que tu es tout petit, tu vois
et tu ressens des choses là où personne ne voit rien... et tu as
des visions du Passé. C’est... c’est certainement extraordinaire
Yarel, mais tu dois le cacher.
— Pourquoi ?
— Il ne fait pas bon être différent en ce moment. Enfouis ça
au plus profond de toi.
— Mais comment ! Maman, comment ?
— Tu es un garçon brillant mon fils, plein de capacités. Tu
dois t’en servir. Développe ton esprit et ton corps pour être
plus fort.
50
« Il n’existe qu’une alternative : l’étude ou la folie. »
Extrait des Enluminures d’Ethelior
FIN DU PREVIEW !
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