« Est-ce que je dois parler de sexualité avec mon adolescent ? »

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« Est-ce que je dois parler de sexualité avec mon adolescent ? »
« Est-ce que je dois parler de sexualité avec mon
adolescent ? »
F. SCHWARZ,
Centre de planification familiale et PMI, Asnières-sur-Seine et Suresnes
« L’amour, c’est délicat, il faut prendre des
gants », lisait-on dans un quotidien invitant
ses lecteurs à se protéger du sida. Le sujet
est d’autant plus sensible qu’on l’aborde
avec un adolescent et que celui-ci est notre
enfant ! Tellement sensible que la tentation
pourrait être forte pour les parents de ne
pas en parler du tout. Pourtant, ces
derniers ont un rôle important dans la
transmission des valeurs familiales et la
prévention des risques liés à la sexualité.
out ce que les adolescents ont toujours
voulu savoir sur le sexe, qui va leur dire ? A
priori, leurs parents ne sont pas les mieux
placés pour aborder le sujet.
Entre la nécessité d’informer et le respect de l’intimité, il est difficile de trouver la
bonne distance. C’est alors parfois au médecin d’aider les parents à trouver le
bon angle, pour transmettre des messages de prévention, mais aussi des
valeurs, celles qu’ils ont défendues depuis l’enfance.
Un sujet tabou par excellence
Alors que les adolescents frissonnent d’amour pour un garçon ou une fille, les
parents tremblent en se demandant : « Si elle/il faisait l’amour trop tôt ? », « Si
elle/il devenait parent ? », « Si elle/il attrapait une IST ? » (1). Autant
d’inquiétudes dont ils ont du mal à parler avec leur enfant. La sexualité devient
en effet un sujet difficile à aborder entre parents et enfants à l’adolescence.
L’évolution du corps de l’enfant en un corps sexualisé d’adulte impose de
nouvelles distances à trouver pour les adolescents comme pour les parents. Si
les parents parlent de sexualité, l’adolescent réalise que ses parents ont une
sexualité. Or, « en pleine période d’exaltation pubertaire, les uns et les autres
sont trop proches et cela rejoint le tabou de l’inceste, c’est-à-dire l’interdiction de
partager la sexualité entre générations différentes », explique Daniel Marcelli,
pédopsychiatre, auteur de plusieurs ouvrages sur l’adolescence(2). Cependant,
de nombreuses études montrent que les discussions entre parents et adolescents
ont un effet positif sur la prévention des risques liés à la sexualité. En effet,
l’information par les parents divise par deux l’absence de contraception lors du
premier rapport(3). De plus, les jeunes qui comptent sur leur groupe d’amis et
Internet comme première source d’information sur la sexualité sont plus
susceptibles d’avoir des comportements à risque(4).
De réels besoins d’information et d’échanges
Entre juin et juillet 2007, une enquête téléphonique a été proposée aux jeunes et
aux parents d’enfants de 11 à 25 ans, utilisateurs des lignes téléphoniques de
l’Ecole des parents et des éducateurs (Fil santé jeunes, Jeunes Violence Ecoute
ou Inter service parents)(5). Un des objectifs de l’enquête était de comparer le
point de vue des parents d’adolescents et des adolescents eux-mêmes sur divers
thèmes liés à l’exercice de la parentalité. Dans la figure (ci-dessous), sont
exposés les résultats à la question : « Quelles sont les discussions fréquemment
partagées avec vos parents/avec votre adolescent ? ». Sur certains sujets, les
parents et les adolescents n’ont pas le même ressenti.
Résultats d’une enquête sur les sujets fréquemment abordés entre
parents et adolescents distinguant le point de vue de chacun d’entre
eux(5).
Par contre, ils s’accordent pour dire que le sujet de la vie amoureuse est difficile
à aborder entre eux. Il est pourtant intéressant de noter que sur la ligne
téléphonique de Fil santé jeunes, environ un appel sur deux venant d’adolescents
concerne la sexualité ou la vie amoureuse. Les jeunes n’en parlent donc pas
beaucoup à la maison, mais ils ont besoin d’en parler ailleurs.
L’information par les parents divise par deux l’absence de contraception lors du
premier rapport.
Quelques questions aux parents
Nous nous positionnons ici dans le cadre d’une consultation où nous recevons les
parents seuls. Aux parents se demandant s’ils doivent parler de sexualité avec
leur adolescent, il est important de leur poser les questions suivantes : « Avezvous des inquiétudes vis-à-vis de votre adolescent ? Qu’entendez-vous par
sexualité ? Où pensez-vous que votre adolescent en soit dans son exploration de
la sexualité ? Avez-vous déjà abordé ce sujet ? Quels sont les messages que
vous voudriez faire passer ? » De leur côté, les parents veulent savoir quel est le
bon moment pour en parler, quels sujets aborder, comment s’y prendre, etc.
Quelles réponses apporter aux parents
● Choisir le bon moment
Il est important d’ouvrir le dialogue tôt à ce sujet. Dès la petite enfance, il est
facile de parler de sexualité en général et dans la vie de tous les jours. À la
préadolescence (entre 9 et 12 ans environ), les enfants sont souvent plus
disposés à discuter de sexualité avec leurs parents. Il est aussi plus facile et
moins gênant pour l’enfant à cet âge d’expliquer la puberté qui va arriver et la «
raison » de cette puberté. À l’adolescence, il faut prendre la balle au bond, savoir
mettre à profit l’occasion dès qu’elle se présente. Il faut savoir privilégier les
moments d’échanges et les temps neutres de côte à côte. Les accompagnements
en voiture ou les activités partagées, par exemple, peuvent être propices aux
discussions.
● Respect et prévention
La sexualité ne se réduit pas à la génitalité et aux messages sur la prévention
des IST et sur la contraception. Bien avant l’adolescence, les parents ont
transmis à leurs enfants des messages et des valeurs à travers leur vie familiale.
La famille constitue le premier modèle de la sexualité de l’enfant (6). Comme
dans tous les domaines de la vie, les parents peuvent faire passer le message du
respect, respect émotionnel et physique de soi et de l’autre. Les parents ont
aussi un rôle à jouer dans le relai des informations de prévention. Pour les aider,
nous pouvons leur donner les mêmes informations que celles données aux
adolescents en consultation ou bien lors des séances d’éducation à la vie sexuelle
et relationnelle organisées dans les collèges et lycées. Nous pourrons donc leur
parler des différentes méthodes contraceptives et de leurs utilisations : pilule,
patch, anneau vaginal, dispositif intra-utérin (DIU), implant. Mais aussi de la
contraception d’urgence (Norlevo ®, EllaOne®), de la réglementation encadrant
l’IVG (plus d’autorisation parentale nécessaire, délai de 14 SA, présence d’un
majeur référent) et des lieux de consultation gratuits et anonymes (Centre de
planification et d’éducation familiale, Planning familial). Il faut souligner que
refuser une méthode contraceptive en se disant que cela va obliger les jeunes à
utiliser un préservatif est risqué. Il y a très souvent des problèmes « techniques
» avec les préservatifs qui amènent à des risques de grossesse non désirée. Leur
utilisation est absolument nécessaire pour se protéger des IST, mais pas
suffisante comme méthode contraceptive. Enfin, les parents peuvent aborder le
thème de l’homosexualité, en tout cas essayer de ne pas éviter le sujet. Plus
l’entourage accueillera l’homosexualité favorablement, plus l’adolescent sera
susceptible d’avoir une bonne estime de soi et d’accepter son homosexualité(1).
Dans l’enquête Baromètre santé 2005, on note une augmentation de
l’acceptation de l’homosexualité, mais le sujet reste problématique pour certains
groupes sociaux(7). Le film canadien « C.R.A.Z.Y. », qui relate la vie d’une
famille ordinaire avec plusieurs adolescents, dont l’un des fils est homosexuel,
traite le sujet avec beaucoup de subtilité et de justesse (voir encadré).
● L’amour chez papa et maman
En 2006, les jeunes ont connu l’amour plus souvent au domicile parental que
leurs aînés(8). Les parents se posent de plus en plus la question, doivent-ils
accepter ou non que le ou la petit(e) ami(e) dorme sous le toit familial ? Cette
décision leur appartient. Pour les aider dans leur réflexion, nous pouvons leur
faire partager le point de vue de Didier Lauru, psychiatre et psychanalyste :
« Cohabiter avec un bébé couple renvoie les parents à leur propre sexualité,
qu’ils imaginent moins épanouie ou les conduit à entendre des conversations ou
des bruits qui ne les regardent pas. Il y a de la gêne et de l’ambivalence ». Il
peut être rassurant pour les parents de savoir où dort leur adolescent et avec
qui, mais ils exercent ainsi un contrôle et « cette situation interdit à l’adolescent
de vivre la dimension émancipatrice de la sexualité. Il serait préférable que les
deux domaines soient séparés »(9).
En 2006, les jeunes ont connu l’amour plus souvent au domicile parental que
leurs aînés.
● Des supports écrits très utiles
La qualité des relations entre parents et enfants prend toute son importance à
cet âge, comme le note Philippe Jeammet : « La meilleure prévention réside dans
la création d’un climat de confiance réciproque qui témoigne que les parents
estiment que l’adolescent possède les ressources suffisantes pour gérer au mieux
les risques inhérents à la vie, et qu’il est en mesure de prendre lui-même le relai
de la vigilance parentale »(10). Par ailleurs, parler de sexualité revient souvent à
parler des IST et des grossesses non désirées, or il sera plus constructif
d’aborder ce sujet positivement et en y introduisant la relation à l’autre. Les
parents peuvent également mettre à disposition des documents écrits, où les
adolescents trouveront des informations fiables et des réponses aux questions
qu’ils n’oseraient pas poser. Les documents écrits sont de très bons supports à
tous les âges (voir encadré).
Une autre question des parents : « Peut-on, doit-on déposer des préservatifs
dans la salle de bain ? » Ça ne suffit pas et ne remplace aucune discussion.
Cependant, les adolescents ne planifient pas leurs relations sexuelles et avoir un
accès facile et discret à des préservatifs peut être utile. Les parents peuvent en
laisser à disposition de façon suffisamment « non ordonnée » pour qu’ils ne
puissent pas contrôler l’écoulement du stock.
La question des adolescents : « comment on fait ? »
C’est, en fait, la seule question qui les préoccupe vraiment. Et pourtant, c’est la
question à laquelle les parents ne peuvent et ne doivent pas répondre. C’est
aussi la question que les adolescents n’oseront pas poser. Ils en cherchent
souvent la réponse dans la pornographie, pensant y trouver les gestes et les
techniques à employer.
● Décrypter la pornographie
Sur Internet, on peut estimer
à un tiers les flux à contenu
pornographique.
Le phénomène n’est pas
nouveau. Les flux étaient
similaires sur le Minitel et la
même proportion pour les
cassettes vidéo (11).
Cependant, l’accès gratuit à
des scènes pornographiques
est
aujourd’hui
largement
facilité par Internet. Entre 14
et 18 ans, 80 % des garçons
et 45 % des filles ont vu dans
les 12 mois précédents des
images pornographiques (12).
Les parents peuvent aider les
adolescents à développer leur
sens critique et à déconstruire
les images pornographiques,
en leur rappelant qu’il s’agit
de fiction, de scènes tournées
en studio, avec des effets
spéciaux et des angles de vue
déformant
la
réalité.
Ils
peuvent aussi souligner que la
pornographie véhicule une
image faussée de la sexualité,
dominée par le machisme et
la violence(11).
Les parents peuvent aider les adolescents à développer leur sens critique et à
déconstruire les images pornographiques.
Conclusion
Les discussions autour de la sexualité peuvent être très utiles entre parents et
enfants. Il est important d’ouvrir le dialogue tôt dans l’enfance et d’accepter qu’à
l’adolescence, ces discussions aient comme limites l’intimité de chacun. Certaines
questions doivent rester sans réponses, en effet : « la sexualité humaine gardera
toujours sa part de mystère, les réponses ne peuvent se trouver que
progressivement, à la mesure de l’expérience de chacun » (2). Il est important
aussi pour les parents de relativiser car il n’y a pas d’adolescence sans soucis
pour les enfants et les parents (13). Enfin et surtout, les parents ont transmis au
cours du temps beaucoup de valeurs et de connaissances à leurs adolescents, il
faut maintenant savoir leur faire confiance…
Références
1. Petit guide à l’usage des parents pour discuter de sexualité avec leur
adolescent. Direction des communications du ministère de la Santé et des
Services sociaux, gouvernement du Québec, 2011.
2. Marcelli D. La Croix du 10/03/2009.
3. CFES. Baromètre santé jeunes. Paris, 1997-1998.
4. Colleen Di’orio et al. Communication about sexual issues: Mothers, fathers and
friends. Journal of Adolescent Health 1999 ; 24(3) : 181-9.
5. Toubal S. Quels parents, quels ados ? Les résultats de l’enquête. EPE
septembre 2008, n°573 HS, p. 10-1.
6. Athéa N, Coudert O. Parler de sexualité aux ados. Ed. Eyrolles, avril 2006, p.
91-105.
7. Moreau C et al. Activité sexuelle, IST, contraception : une situation stabilisée.
Baromètre santé 2005, p. 329-52.
8. Bajos N et Bozon M. La sexualité en France. La Découverte, Paris 2008.
9. Lauru D. Corps et sexualité, devoir d’intimité. EPE septembre 2008 ; n°573
HS, p. 51.
10. Jeammet P. Les destins de la dépendance à l’adolescence. Neuropsychiatr
Enfance Adolesc 1990 : 38 ; 190-9.
11. Breton Ph. Internet. Dictionnaire de l’adolescence et de la jeunesse, publié
sous la direction de David Le Breton et Daniel Marcelli. PUF 2010, p. 448-52.
12. Choquet M, Morin D, Hassler C. Enquête ESPAD. Inserm 2004.
13. Braconnier A. L’apprentissage de l’indépendance. Angoisses partagées. EPE
septembre 2008 ; n°573 HS, p. 18-9.
source :jim.fr
Copyright © Len medical, Pediatrie pratique, octobre 2012

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