Journaux scolaires à l`ère d`Internet

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Journaux scolaires à l`ère d`Internet
Université de Paris 3 Sorbonne nouvelle
UFR Communication
Master 2 Recherche – Sciences de l’information et de la communication
Journaux scolaires à l’ère d’Internet :
Problèmes, enjeux, concepts
Mémoire présenté par Odile Chenevez
Sous la direction du Professeur Guy Lochard
Septembre 2007
Avant-propos
Au cours des dernières années, les travaux sur les journaux scolaires et lycéens se sont
enrichis : le colloque organisé en mai 2005 à l’Université de Paris III – Sorbonne nouvelle l’a
bien montré à travers de nombreuses interventions, dont plusieurs émanaient de jeunes
chercheurs 1. Jacques Gonnet fut sans conteste l’initiateur de ce champ d’études, et je tiens à
rendre hommage à ses travaux, à commencer par sa thèse d’État, sans lesquels ce mémoire, si
modeste soit-il, n’existerait pas.
J’ai travaillé de nombreuses années aux côtés de Jacques Gonnet alors qu’il dirigeait le
Clemi 2. J’ai acquis une expérience de la presse scolaire d’abord comme jeune professeure de
mathématiques et de sciences en lycée professionnel, où j’ai lancé plusieurs journaux avec
mes classes, ensuite comme chargée de mission au Clemi où j’ai eu la responsabilité du
dossier que l’on nommait alors « expression des jeunes ». C’est à ce poste que j’ai eu à suivre,
dans la décennie 1990, la mise en place de la circulaire de 1991 qui donnait un statut aux
journaux lycéens 3.
C’est en tant que coordonnatrice des missions du Clemi dans l’académie d’Aix-Marseille
depuis l’année 2000 que j’ai eu l’occasion, dans mes interventions et dans les formations que
j’ai animées, de suivre la réalité quotidienne et les évolutions de ce type de publications.
Formatrice à l’IUFM, je dirige aussi chaque année des mémoires professionnels dont certains
portent sur la production de journaux scolaires et sur les questions professionnelles que leur
réalisation ne manque pas de soulever.
Enfin, c’est également à l’IUFM d’Aix-Marseille que j’ai eu la chance de participer pendant
deux années au séminaire de didactique des savoirs mathématiques pour formateurs (DSMF).
J’y ai découvert la Théorie anthropologique du didactique (TAD). Je tiens à remercier ici
Yves Chevallard pour nos riches conversations qui m’ont amenée à comprendre comment
cette approche pouvait éclairer ma réflexion sur les journaux scolaires ainsi que pour sa
relecture attentive de mon mémoire, notamment sur les aspects didactiques.
Une partie importante du travail présenté ici est entièrement originale ; mais j’ai aussi utilisé
quelques-uns de mes travaux déjà publiés dans des ouvrages et des revues professionnelles ou
pédagogiques. J’ai cherché à organiser mon propos en multipliant les prises d’information et
en faisant parler les corpus de données réunis, afin de respecter constamment l’exigence de
rigueur qui permet de solliciter l’intuition du chercheur sans pour autant livrer ses inférences à
sa seule sensibilité.
O.C.
1
Ce colloque tenu les 13 et 14 mai 2005 avait pour titre « L’expression lycéenne : enjeux et contenus des
journaux produits par les jeunes ». Voir http://ed120.univ-paris3.fr/colloques.htm#lyc%E9e.
2
Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information. Voir http://www.clemi.org/.
3
Voir le chapitre 3 de ce mémoire.
1
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Sommaire
Journaux scolaires à l’ère d’Internet :
problèmes, enjeux, concepts
Introduction générale........................................................................................ 6
Les journaux scolaires revisités
Chapitre 1 : Journaux scolaires et rapport à l’actualité ............................... 10
[Introduction]
1. De l’école de Bar-sur-Loup au « village global »............................................................. 10
1.1. Du cochon sacrifié à la vague médiatique
1.2. Les journaux des élèves de Célestin Freinet
1.2.1. Un corpus historique disponible
1.2.2. Des propos liés aux préoccupations du village
1.2.3. Un rapport à l’actualité confronté au réel
1.3. Les journaux scolaires en 2005 et en 2006
1.3.1. Le corpus disponible
1.3.2. La méthode de sélection
1.3.3. La revue de presse « écoles-collèges »
1.3.4. Rapport direct, rapport médiat au réel
1.4. Les violences urbaines de 2005
1.5. Le cas des journaux lycéens
1.5.1. Une presse historiquement critique
1.5.2. La revue de presse « lycées »
1.5.3. Une polémique avec et contre les médias
1.6. L’ évolution des genres journalistiques scolaires
2. L’actualité dans la classe : des questions plutôt que de réponses .................................. 23
2.1. Rencontrer les questions du monde d’aujourd’hui
2.2. Le cas du tsunami : sous la vague médiatique
2.2.1. Un appel aux enseignants
2.2.2. Les réponses à l’appel
2.3. Instaurer un « espace de disponibilité »
3. De la presse à imprimer aux outils numériques .............................................................. 30
3.1. Si Freinet avait connu le Web…
3.2. Au-delà des « encadrés aux coins arrondis »
3.2.1. Les logiciels de publication
3.2.2. Une fascination-répulsion
3.2.3. Enfin Internet vint !
3.3. Journaux en réseaux
4. Pour conclure...................................................................................................................... 33
Annexes ........................................................................................................................... 34 à 41
A.1. Deux extraits des journaux des élèves de Freinet / A.2. Trois témoignages d’enseignants sur
leur travail en classe à propos du tsunami (extraits des Cahiers pédagogiques, 434). Dessins
extraits du journal « Les petits Curieux ». / A.3. Revue de presse 2005, page du tsunami – Revue
de presse 2006, page des violences urbaines.
2
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Sommaire
Chapitre 2 : Le rapport au savoir et à la vérité.............................................. 42
[Introduction]
1. La classe et le bruit du monde........................................................................................... 42
1.1. L’école ne peut ignorer l’actualité
1.2. Des exigences pour l’école
1.2.1. Retrouver le sel des savoirs enseignés
1.2.2. Intégrer l’actualité
1.3 Le journalisme scolaire : conditions de possibilité
1.3.1. Un certain rapport à la vérité
1.3.2. Journalistes en mal de vérité
1.3.3. La valeur des témoignages : un regard historien
2. La dialectique des médias et des milieux.......................................................................... 47
2.1. Situation didactique et de milieux adidactiques
2.2. Dialectique des médias et des milieux et articles scolaires
2.2.1. Le journal Les remparts, 1931
2.2.2. Des articles de 2005 sur le loup du Mercantour
2.2.3. Se doter de milieux acceptables
2.3. Le lectorat comme milieu d’expérimentation.
2.4. Le don du journal et la nécessité du contre-don.
3. Du recopiage à l’ « excription »......................................................................................... 52
3.1 Les recopiés d’internet
3.2. La prise de conscience du rapport aux savoirs
3.2.1 D’où vient ce que je sais et que je diffuse ?
3.2.2. Vers une pratique salutaire de réécriture
4. Pratique de l’enquête journalistique ................................................................................ 56
4.1. Compétences rédactionnelles
4.2. Les compétences critiques
4.3. Les compétences d’investigation
5. Construire une enquête avec les médias........................................................................... 61
5.1. Le parcours d’étude et de recherche
5.2. Le PER dans le journal scolaire
5.3. L’enquête-PER ou la recherche de réponse à une vraie question
5.3.1 La question des ressources
5.3.2 Tensions dialectiques
5.3.3. Il n’est pas de mauvaises ressources…
5.3.4. Consulter aussi les œuvres faisant autorité
5.3.5. Construire et défendre sa réponse R♥
6. Pour conclure...................................................................................................................... 67
Annexes ............................................................................................................................ 68 à 70
A.1. Revue de presse 2005: La page du Loup du Mercantour,
A.2. Jean Meckert, 1954, les aveux de Gaston Dominici
3
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Sommaire
Chapitre 3 : Journal scolaire et rapport au droit .......................................... 71
[Introduction]
1. Les dispositions légales du journal scolaire ou les règles de la liberté d’expression.... 71
1.1. Une affaire de tarifs postaux
1.2. Des formalités inégalement accomplies
1.3. Les limites très variables à la liberté d’expression
2. La liberté d’expression dans les journaux lycéens .......................................................... 73
2.1. Premières recommandations juridiques
2.2. Des conflits qui conduisent rarement devant les tribunaux
2.3. L’affaire Ravaillac
3. La certification « Informatique et Internet »................................................................... 78
3.1. Le Brevet Informatique et Internet (B2i)
3.2. Le C2i2e : former les enseignants
4. Connaître les règles de la liberté d’expression : un impératif citoyen .......................... 83
4.1. Les notions de la loi sur la presse transposées à l’Internet
4.1.1. Publier légalement
4.1.2. Un constante validité des principes
4.1.3. Le directeur de publication
4.1.4. La loi « pour la confiance dans l’économie numérique »
4.2. Un exemple : l’évolution de la question du droit à l’image
4.3. Les blogs d’adolescents comme analyseur
4.4. Penser les savoirs à enseigner
5. Pour conclure...................................................................................................................... 92
Annexes ........................................................................................................................... 92 à 96
A.1. Circulaire de 1991, revue en 2002.
A.2. Circulaire dépôt pédagogique.
A.3. L’article du Monde, procès droit à l’image.
4
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Sommaire
Chapitre 4 : Le rapport à l’acte de publier .................................................... 97
[Introduction]
1. Vers un monde où l’on écrit plus qu’on ne lit
1.1. Tous des auteurs, autorisés par qui et avec quelle autorité
1.2. A l’ère du « journalisme citoyen »
2. Des besoins éducatifs nouveaux
2.1. Publier, un acte qui reste lié à la technique et à l’économique
2.2. Les blogs adolescents : une interface entre le privé et le public
2.3. Le blog est aussi un outil pour la classe
2.4. Du SPIP au bimédia : l’accompagnement de l’écriture
2.4.1. La technologie CMS
2.4.2. Le SPIP, outil fonctionnel pour la publication scolaire
2.4.3. Le journal en ligne intégré dans la pratique scolaire
3. Etude d’un journal collégien en ligne
3.1. L’organisation de la plate-forme
3.2. Le projet Médias Tissent
3.3. Le fonctionnement de la plateforme
3.4. L’histoire d’un article : la réécriture
3.5. Double langage
3.6. La gestion collective des copier-coller
3.7. Éléments de bilan
Conclusion générale .......................................................................................... 125
Vers une didactique de l’enquête journalistique scolaire
Bibliographie...................................................................................................... 129
5
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Introduction
Le journal scolaire revisité
Ce sont les questions d’enseignants, vaillants maïeuticiens et patients accoucheurs de
journaux scolaires, qui nous ont amenée à démarrer cette réflexion. Comment faire écrire les
enfants ? Que faire pour les amener à développer une parole personnelle ? Peut-on les laisser
parler de l’actualité ou de la politique ? Comment les aider à se détacher des médias ?
Comment faire pour qu’ils soient critiques ? Ils publient des blogs, est-ce grave ? Ils recopient
tout sur Internet : faut-il – et alors comment – les en empêcher ? Etc.
Ce sont donc moins les journaux lycéens dits « d’initiative jeune » que nous sommes amenée
à observer dans ce travail que ceux réalisés à l’intérieur même d’un projet scolaire, dans le
cadre même des activités scolaires, souvent par des élèves qui n’écriraient pas en dehors de
cet accompagnement, et cela quel que soit leur âge. C’est en vérité de la pratique du journal
scolaire à la façon de Célestin Freinet que nous observons ici la descendance en sa diversité.
Notre travail trouve son origine dans ce qui semble bien être le plus grand bouleversement
dans l’écriture des journaux scolaires : l’influence de plus en plus marquée des médias de
masse et, entre tous, de l’Internet.
Nous verrons que cette influence agit autant sur les contenus que sur les modes de préparation,
d’organisation et de fabrication. C’est en conséquence la question suivante qui organisera le
travail présenté ici : quelle est l’influence d’Internet et des médias de masse sur les modes de
publication, sur les contenus et sur les effets d’apprentissage des journaux réalisés en milieu
scolaire ?
Parce qu’elle fait référence à des champs de savoirs assez différents, nous avons scindé cette
étude en quatre chapitres, portant respectivement sur le rapport à l’actualité, sur le rapport au
savoir et à la vérité, sur le rapport à la loi, enfin sur le rapport à l’acte de publier.
Jacques Gonnet a posé sur les journaux scolaires un regard philosophique et anthropologique
essentiel. Laurence Corroy en a étudié les évolutions historiques et plusieurs chercheurs en
ont analysé le contenu sous divers éclairages. Nous tenterons ici, pour notre part, une
approche plus nettement didactique.
Dans cette perspective, nous avons inscrit notre travail dans le cadre de la théorie
anthropologique du didactique (TAD), théorie élaborée solidairement, depuis trois décennies
environ, par Yves Chevallard (UMR ADEF, Marseille) et plusieurs équipes de chercheurs,
notamment en France et en Espagne 1.
La TAD est née autour de l’enseignement des mathématiques ; mais elle trouve aujourd’hui
des applications dans tous les domaines d’enseignement, disciplinaires ou interdisciplinaires.
En particulier, ainsi qu’on le verra, la notion récemment introduite de « dialectique des
médias et des milieux » nous est apparue comme un outil précieux pour questionner les
1
Le IIe congrès international sur la TAD aura lieu à Uzès (France) du 31 octobre au 3 novembre 2007. Voir
http://www4.ujaen.es/~aestepa/TAD_II_fr/.
6
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Introduction
pratiques pédagogiques du journal scolaire ; et nous nous efforcerons donc d’éclairer de cette
lumière-là la notion même d’enquête journalistique.
La théorisation didactique à laquelle s’adosse notre recherche peut se condenser en quelques
points successifs, que nous présentons ici dans un ordre logique plutôt que chronologique.
1. La didactique étudie les conditions et les contraintes de la diffusion (et de l’échec de la
diffusion, ou son refus), au sein des institutions de la société, et à l’adresse des personnes qui
en sont les sujets et les acteurs, « de connaissances et de savoirs ». On entend ici par
institution toute entité sociale possible délimitée, dans l’ensemble de la vie sociale, à certains
égards, par un régime vital et normatif propre : une famille, une classe, une nation, un média,
un parti politique sont ainsi des institutions, qui ont chacune un certain « régime
institutionnel » décrit par la TAD à l’aide notamment de la notion de « rapport institutionnel »
aux objets reconnus par l’institution – notion dans laquelle nous n’entrerons pas davantage ici.
2. La TAD généralise les notions (plus ou moins communes ou scientifiquement élaborées) de
connaissance et de savoir en introduisant la notion extrêmement large de praxéologie ou
organisation praxéologique, notion de base de la modélisation proposée. Dans sa forme la
plus élémentaire, une praxéologie est constituée de deux « blocs » : le bloc de la praxis, le
bloc du logos. Chacune de ces parties comporte elle-même deux composantes. La praxis (qui
correspond grosso modo à l’idée commune de savoir-faire) est composée d’un type de tâches,
qui peut être n’importe quel type d’action en lequel une société découpe l’activité de ses
membres – on y considèrera par exemple comme un type de tâches aussi bien le fait de
monter un escalier (le fait de monter cet escalier étant alors une tâche de ce type), que le fait
de… se moucher, ou de typographier correctement un sigle, ou d’interviewer un témoin, ou
de vérifier ses sources, ou de calculer une intégrale, etc. ; et d’une technique pour accomplir
les tâches d’un type considéré (l’emploi du mot de technique s’inscrivant ici dans la filiation
de la notion de « technique du corps » due à Marcel Mauss). Le logos d’une praxéologie
répond à la notion commune de savoir, mais en étend volontairement le concept pour
subsumer des configurations de connaissances ordinairement non reconnues comme
constituant des « savoirs » stricto sensu. Il est constitué, d’une technologie et, la surplombant,
d’une théorie. La technologie est un ensemble de notions et d’arguments arrangeables en un
discours plus ou moins rationnel, censé justifier la technique et son emploi (pourquoi cette
technique marche-t-elle pour ce type de tâche, qu’est-ce qui la justifie ? etc.). La théorie est
un ensemble plus abstrait de concepts et d’arguments organisés en un discours plus général
destiné à justifier la technologie elle-même. On notera que « savoirs » et « savoir-faire » ne
vivent pas séparément mais existent en principe les uns avec les autres et par rapport aux
autres, au sein d’organisations praxéologiques. Cela souligné, et pour conserver ici un
vocabulaire plus courant, chaque fois qu’il n’y aura pas d’ambiguïté, nous parlerons dans ce
travail de savoir, tout court, là où la TAD appellerait, en toute rigueur, l’usage du vocable
plus général de praxéologie.
3. La TAD désigne (et étudie) au sein du monde social cette réalité qu’elle nomme le
didactique (à la façon dont on parle du politique, du religieux, etc.), universel anthropologique
constitué de l’immense multiplicité des épisodes où une « instance » (institution, personne)
envisage de faire et/ou fait « quelque chose » pour qu’une autre instance (personne ou
institution) apprenne « quelque chose », c’est-à-dire l’intègre, au moins momentanément, à
son « équipement praxéologique ». Plus précisément, la didactique étudie les modalités du
didactique et leurs conditions de possibilité ou, selon une autre source d’inspiration, leur
économie et leur écologie.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Introduction
4. L’apprentissage personnel ou institutionnel n’est pas regardé – en rupture avec le point de
vue commun – comme une « transmission » ne varietur d’un savoir (ou, plus généralement,
d’une praxéologie), mais comme un processus de transposition de savoirs (ou de
praxéologies) au sein d’une institution donnée – une classe par exemple –, c’est-à-dire comme
une reconstruction adaptative à partir de matériaux praxéologiques empruntés à d’autres
institutions, et cela dans les conditions et sous les contraintes prévalant dans l’institution siège
dudit « apprentissage ».
5. L’étude de ces mécanismes ubiquitaires de transposition praxéologique se règle sur un
critère « épistémologique » dont la considération sera un leitmotiv tout au long de notre
travail. Depuis les premiers travaux sur la transposition didactique (1980), en effet, la TAD
n’a cessé d’approfondir un précepte fondateur de la didactique des mathématiques, celui de la
problématicité des savoirs. Un savoir n’existe pas par hasard : il est là parce qu’il répond – ou
aussi : il est encore là parce qu’il a jadis répondu – à une question qui, dès qu’on s’élève dans
une certaine hiérarchie des praxéologies, porte en règle générale, en quelque sorte au second
degré, sur la manière de répondre à un certain type de questions. (Exemple à la fois simple et
primordial, le savoir géométrique s’efforce de répondre dès ses origines à cette question parmi
quelques autres : comment calculer une distance que l’on ne peut mesurer directement ?) Or
c’est là que la TAD met en évidence un phénomène transpositif essentiel du point de vue de la
vie des savoirs : parce qu’elle tend à naturaliser les savoirs qu’elle plie à son régime propre,
la transposition scolaire masque bien souvent (et la tradition d’enseignement finit par
occulter) le fait que ces savoirs sont des œuvres humaines motivées, dont l’existence procède
d’une intention anthropique déterminée. Dès lors qu’il en est ainsi, loin de tenter de
reconstruire les praxéologies qu’elle vise en les faisant naître à nouveaux frais comme
réponses à des questions, la transposition scolaire (et pas seulement elle) procède à un
« recopiage » souvent déformant d’œuvres désormais valorisées formellement, et quelquefois
quasiment sacralisées par l’institution scolaire, alors que sombrent dans l’oubli institutionnel
(et personnel) leurs raisons d’être spécifiques, leurs fonctionnalités propres, tout ce par quoi
elles nous permettent de mieux penser et de mieux agir au sein des situations du monde.
6. En conséquence, nous devons souvent affronter ces situations démunis de tout secours
« praxéologique » assuré. Ainsi le traitement de texte induit-il une écriture généralisée, non
professionnalisée, ce dont on peut se réjouir ; mais – pour ne prendre qu’un exemple
« simple » – les savoirs de l’orthotypographie, réservés traditionnellement à quelques
professionnels de l’édition, typographes ou correcteurs, n’y sont pas : la typographie
commune est donc anarchique. Sous quelles conditions ces savoirs manquants pourraient-ils
diffuser hors du cercle étroit où l’histoire les a jusqu’ici maintenu et pénétrer jusqu’au cœur
de ce que la TAD nomme le topos de l’élève, ce lieu didactique où celui-ci se reconnaît
responsable des solutions qu’il donnera aux problèmes rencontrés ? Problème typique de
didactique, entendue au sens de la TAD, que nous formulons ici à titre d’illustration, sans
tenter, bien évidemment, d’y répondre. Notons seulement que, aujourd’hui, une solution à ce
problème ne saurait émerger sans que se développe du même mouvement ce qui se nomme
par avance – dans le cas d’espèce choisi – une didactique de l’orthotypographie.
7. Ce dernier exemple doit être généralisé ; car ce qui, on le verra, est sous-jacent à tout notre
travail, est l’émergence en partie ébauchée aujourd’hui d’une didactique (scolaire) de
l’enquête journalistique, qui dégage, fasse reconnaître et aide à diffuser, des savoirs du
journalisme à l’école.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Introduction
D’autres concepts devraient être mentionnés ici auxquels nous réservons une présentation
plus circonstanciée lorsque le besoin s’en manifestera de façon évidente. Entre ceux-là,
mentionnons à nouveau la notion de dialectique des médias et des milieux et, solidaire d’elle,
celle de parcours d’étude et de recherche, toutes deux essentielles pour notre propos, et que
nous retrouverons de façon plus systématique dans le chapitre 2 de ce mémoire.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Journaux scolaires et rapport à l’actualité
D’ordinaire les journaux parlent de l’actualité. Les journaux scolaires aussi. De l’actualité la plus proche, celle
qui concerne la famille ou l’école, à la plus lointaine, celle dont on entend seulement les échos dans les médias.
Celle-ci apporte son lot de charges émotionnelles, de colères, de souffrances ou d’exaltations dont les effets sont
prégnants à tous les moments de l’activité de la classe. Dans ce chapitre nous tentons de mettre en évidence
l’évolution de la présence de l’actualité dans les journaux scolaires, en comparant ceux que produisaient les
élèves de Célestin Freinet avec ceux des élèves d’aujourd’hui. Nous observerons également, à propos d’un
événement marquant, comment l’actualité entre dans la classe même lorsqu’elle n’y est pas conviée, et quelles
en sont les répercussions dans l’expression publiée des élèves. Enfin nous verrons comment le rapport à
l’actualité des journaux scolaires a suivi l’évolution des moyens techniques de leur fabrication.
1. De l’école de Bar-sur-Loup au « village global »
1.1. Du cochon sacrifié à la vague médiatique
Entre l’expression concernant le vécu direct, expérimenté, et celle concernant un savoir, une
connaissance, un événement appris par média interposé, il y a une évolution très nette au
cours du XXe siècle. Cette évolution mérite d’être analysée sur des corpus accessibles. En
préparant une exposition sur les journaux scolaires, nous avons eu accès à une importante
quantité de journaux d’avant la guerre de 1939-1945 : il y apparaît clairement que le sujet
d’article le plus fréquent dans les journaux scolaires des écoles élémentaires du début du XXe
est sans conteste « On a tué le cochon », événement à la fois le plus marquant et le plus
répandu qu’un enfant pouvait expérimenter directement à cette époque en milieu rural. Même
pendant la guerre, les textes libres imprimés dans les journaux scolaires de Célestin Freinet,
qui évoquent sans précautions particulières les événements les plus tragiques, ne font état que
de situations vécues directement par leurs auteurs, et constituent pour cela des témoignages
souvent uniques, parfois poignants et toujours précieux.
En janvier 2005, par contraste, les journaux des élèves du même âge évoquent tous « la
vague », « le tsunami », soit une connaissance apprise par média interposé et qui concerne un
fait dont ces élèves n’ont aucune expérience directe. On reconnaît là, bien sûr, l’évolution du
rapport médiatisé au monde, dont on sait aujourd’hui combien il importe de le prendre en
compte dans la construction des apprentissages, même si les écueils sont nombreux (Gonnet,
1995, p. 48).
En observant également les destinataires des journaux, on mesure la différence entre
l’expression destinée à un environnement proche et celle destinée à des lecteurs inconnus et
lointains. Il semble ainsi que, contrairement à ce que pourrait laisser supposer le progrès
technologique, on observe une évolution vers le besoin d’expression locale. Les journaux
scolaires du temps de Freinet trouvaient leur lectorat chez les correspondants d’autres régions,
voire d’autres pays, dont les modes de vie étaient fort différents. En revanche, la plupart des
journaux scolaires d’aujourd’hui sont destinés au cercle le plus proche. La banalisation
d’Internet ne change sans doute guère ce besoin de communication de proximité. Les
adolescents qui publient des blogs le font par exemple pour leurs copains proches, et
n’apprécient pas forcément d’être visités par des adultes non conviés à la lecture. La
communauté adolescente protège sa parole et la cantonne dans des supports à vocation de
cercles fermés.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
1.2. Les journaux des élèves de Célestin Freinet
1.2.1. Un corpus historique disponible
Michel Barré, qui fut le biographe de Freinet, a rassemblé pour l’INRP de nombreux articles
extraits des journaux scolaires des classes de Célestin Freinet. Il en a fait un ouvrage (Barré,
1996) rassemblant quelque 200 pages des journaux scolaires de trois périodes : le Livre de vie
de la classe de Bar-sur-Loup (1926 à 1928), Les remparts de la classe de Saint-Paul (1928 à
1933) et Les pionniers de l’école Freinet de Vence (1935 à 1940). Ces pages ont été choisies
sur plus de deux mille produites dans ces trois périodes, dont toutes n’ont pas été retrouvées,
ou sont quelquefois devenues illisibles. Ayant à faire un choix, Michel Barré précise n’avoir
pas cherché « à réaliser une anthologie des plus beaux textes, mais un recueil représentatif de
ce qui se passait dans la classe, y compris dans la répétition de certains thèmes dont la
signification tient dans la répétition même ». Il en a lui-même fait un classement par thèmes
que nous reproduisons ici (Barré, 1996, p. 203).
Jeux d’enfants : 11 textes / Activités de la vie : 11 textes / Saisons, météo : 9 / Travaux agricoles : 11
/ Animaux : 11 / Vie de la classe ou de l’école : 39 / Correspondance : 21 / Témoignages et
souvenirs : 10 / Voyages : 7 / Festivités : 9 / Observations : 9 / Réflexions : 7 / Enquêtes : 30 /
Films : 8 / Projets : 4 / Poèmes ou fictions : 5 / Rêves : 8 / Contes populaires : 4 / Événements
locaux : 22 / Evénements nationaux : 5 / Apprentissage de la langue : 6
Aux articles dénombrés dans la catégorie « enquêtes » – la plus fournie après « vie de la
classe » –,il faut ajouter des textes en général très courts, intitulés « notre enquête »,
consistant en deux ou trois lignes imprimées en dessous d’un autre article et rédigées à la suite
d’une petite enquête, souvent à propos de l’article de la même page. Trois points méritent en
outre d’être signalés. Tout d’abord, presque chaque jour, surtout à Saint-Paul, la page du jour
se terminait par un relevé des températures minimales et maximales, ou par des observations
météorologiques. Ensuite, les élèves de Célestin Freinet signaient souvent de leur nom
complet, mais pas systématiquement, en ajoutant parfois, surtout à Saint-Paul, leur âge en
années et en mois. Enfin, les articles sur les films sont des comptes rendus de documentaires,
souvent complétés par la rubrique « notre enquête ».
1.2.2. Des propos liés aux préoccupations du village
Pour présenter le type de propos et de questionnements auxquels répondent les articles des
élèves de Célestin Freinet, nous reproduisons ci-après quelques articles ou extraits d’articles,
en précisant le thème dans lequel Michel Barré les a classés. Voici d’abord un article relevant
de l’apprentissage de la langue.
Notre patois – Chez nous aussi nous parlons un patois qui s’appelle le provençal. Nous le
comprenons tous. Mais il n’y en a que quatre qui parlent patois à la maison. Nous savons un peu tous
parler l’italien. La maman de Noël ne comprend que le corse. Bruno dit qu’il parle anglais, mais ce
n’est pas vrai.
Voici des noms en français, patois, corse et italien : le pain, sou pan, lou pâné, il pane ; au revoir,
aoureiveiré, adio, arivederci. (Livre de vie, 1928)
L’article suivant relève de la catégorie films.
La cueillette du jasmin (Film) – De juillet à novembre, tous les matins, à la rosée, femmes et
enfants cueillent les fleurs de jasmin. Il faut 1000 fleurs pour 1kg et une bonne cueilleuse cueille
environ 3 Kgs par jour.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Dès la cueillette finie, des jeunes gens portent le jasmin à l’usine. On pèse la corbeille et on la place
dans un transporteur qui la mène aux ateliers.
On place les fleurs dans des récipients cylindriques en tôle perforée. Ces récipients rentrent dans des
alambics. Là, ils trempent dans l’éther qui dissout l’essence. On laisse évaporer l’éther et on obtient
l’essence pure de jasmin qui est solide.
1000 kg de jasmin font 3 kg d’essence.
D’après Mathieu A
NOTRE ENQUÊTE : Il y a à Saint-Paul quelques plantations de jasmins, mais les fleurs se vendent
très mal. (Les remparts, décembre 1931)
Voici ensuite un exemple extrait de la catégorie enquêtes.
On taille les arbres – On taille les cinq ormeaux de la place. M. Martin est là sur une grosse
branche près de la fenêtre. Il nous entend peut-être. Il se sert d’un couteau scie et d’un sécateur. Au
pied des arbres M. Quadri coupe les branches avec une serpette. On porte les fagots à la coopérative
pour le four. La place est sale. Les enfants ramassent les brindilles pour leur maman. (Livre de vie,
février 1927)
La catégorie animaux peut être illustrée par la production suivante.
Mon âne – Hier mon frère est allé à la foire de Rocquebilière vendre ses melons. Il est parti à
5 heures et il est passé par Vence, Saint-Jannet, Gattières, pour traverser le Var au pont de la Menda.
De retour il a fait un chargement de chèvres et de boucs. Il a aussi acheté un âne.
Hier soir vers six heures, mon frère ouvre la porte de la maison et fait entrer le petit âne dans la
cuisine. Nous sommes restés stupéfaits.
J’ai pris l’âne et je suis allé le faire boire à la fontaine, puis je l’ai mené à l’écurie.
[Signé] : Garcin M 13 a. 4 m.
NOTRE ENQUÊTE : c’est un petit âne de 1m 10 de haut. A Saint-Paul, nous avons 32 gros ânes et
8 petits ânes de Corse. (Les remparts, octobre 1932)
Deux articles aux thèmes bien différents illustreront la catégorie témoignages et souvenirs.
La première communion – Dimanche 19 juin a eu lieu la première communion à St Paul : 19
garçons, 16 filles et 12 renouvelants. Monsieur le curé nous a donné une brioche à chacun. Nous
partons à l’église en chantant. Nous avons fait la bomme, Castelli s’est saoûlé. Des hommes étaient
ivres aussi. Nous avons mangé à la maison des bons gâteaux et des bonnes galettes.
[Signé] : Les trois élèves présents (Castelli, Cordara, Janinet)
[Suit une dernière phrase avec un dessin] : Les autres sont encore allés à la messe et ils sont fatigués.
(Les remparts, 20 juin 1932)
Une manifestation – Dimanche matin cinq fascistes sont venus à Vence vendre leur journal : Le
Franciste.
– « Demandez Le Franciste, le seul organe fasciste français ! »
Ils ont rencontré quelques vendeurs du Cri et ça a commencé. Un fasciste a craché à la figure d’un
camarade. Celui-ci a donné un coup de poing qui l’a envoyé par terre.
Les fascistes ont dit :
– « Si vous ne partez pas, nous vous tirons dedans ! »
La police est venue qui les a emmenés à la gendarmerie. Ils sont repartis. Dimanche ils reviendront
avec du renfort.
[Signé] : Équipe des Oudarnik (Les pionniers, février 1936)
La catégorie rêves n’est pas la moins fournie ; en voici un spécimen.
Mon rêve – J’ai rêvé que toute la classe s’était révoltée contre le maire de Saint-Paul qui ne voulait
pas nous donner les fournitures gratuites. Monsieur Freinet était devant. Il dit à Monsieur le Maire :
– Si vous ne voulez pas nous payer les livres, on vous tue ! (…) (Les remparts, mars 1932)
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Terminons ce rapide examen avec un article entrant dans la catégorie jeux d’enfants.
Aux boules – Hier, dit Eugène, nous avons joué aux boules avec M. le Curé. Baptistin et Vassalo
étaient avec M. le Curé ; Marcel et Marius étaient avec moi. (Les remparts, octobre 1931)
Dans tous ces exemples, qu’il s’agisse des langues parlées dans le village, de la cueillette du
jasmin, de la taille des ormeaux, des animaux de la ferme, ou même des tensions politiques
avec violences, il n’y a pas de sujet qui soit extérieur aux préoccupations locales de la
communauté villageoise. Le vocabulaire utilisé est celui de la communauté, en particulier les
noms des outils et des diverses productions agricoles. Les institutions locales sont
fréquemment citées : les services municipaux, la coopérative, la gendarmerie, la foire, la place,
la fontaine, la pétanque, les commerces et les échanges commerciaux, les fermes, les familles
et bien sûr les deux piliers institutionnels, la mairie et l’église, tous deux d’ailleurs souvent en
tension avec l’école de Freinet. L’examen des quelque 200 articles montre que la
confrontation au réel se retrouve dans la presque totalité des articles. Si l’on s’intéresse
parfois à des préoccupations exogènes, c’est surtout lors des échanges avec les correspondants
(il ne faut pas oublier que les journaux sont écrits à leur intention), mais c’est alors l’occasion
de les mettre en rapport avec les préoccupations locales, comme dans l’article suivant.
Chers camarades de Sailly - Nous avons examiné ce que vous nous avez envoyé. Les petits ont vite
mangé le chocolat. Francis a partagé le lard : il est meilleur que le nôtre. Votre terre est plus
argileuse que la nôtre. Mais qu’est-ce que le brai pour allumer le feu de l’usine ? Nous l’avons
allumé, ça fond comme de la cire. Nous n’avons pas de jardin, chaque élève a pris quelques graines
pour son petit jardin. Merci à tous. (Livre de vie, mai 1928)
Pour les informations qui viennent des médias, on ne trouve guère qu’un récit de film de
fiction (Un sauvetage en mer), deux récits de films documentaires (Les objets de nacre et La
cueillette du jasmin), et un seul article, reproduit ici, qui relève d’une information lue dans le
journal et évoque d’abord Nungesser et Colli puis Charles Lindberg.
Les avions – Deux aviateurs étaient partis de Paris pour traverser l’océan Atlantique et arriver en
Amérique. Personne ne les a plus vus. Peut-être les requins les ont-ils mangés !
Un aviateur américain est parti tout seul d’Amérique et il est arrivé à Paris. Il a voyagé pendant 35
heures. Sur le journal nous avons vu la photographie de l’avion et de l’aviateur. (Livre de vie, 1927)
1.2.3. Un rapport à l’actualité confronté au réel
À partir de 1937, des enfants réfugiés espagnols arrivent à l’école de Vence. Aussi de
nombreux articles, dans Les pionniers, souvent en espagnol surtout au début, font référence à
la guerre d’Espagne et aux souvenirs dramatiques de bombardements où certains ont perdu
leur famille. Ainsi en va-t-il dans cet article, daté du 16 octobre 1937, signé par un petit José
Luis 1.
El bonbardeo – El primer dia que vinieron a bonbardear en Santander no entendemos las sirenas.
Venian 18 apartos y empezaron a bonbardear. Era conmigo. Mi madre no estaba sirbiendo en la
mesa. Dijo mi madre
― Cayar ! que ruido es ese ?
Dijo mi hermano
― Son barrenos
1
Les textes en espagnol – dont nous n’avons pas corrigé l’orthographe parfois défectueuse – ne sont en général
pas traduits dans Les pionniers : la traduction qui suit est personnelle.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Y de pronto empezaron a tirar muchas bonbas. Nosotros escapamos y bailaban los platos y la casa
donde viviamos.
Le bombardement – Le premier jour où ils sont venus pour bombarder Santander, nous avons
entendu les sirènes. 18 appareils sont arrivés et ont commencé à bombarder. Elle (?) était avec moi.
Ma mère n’était pas en train de servir à table. Ma mère dit : taisez-vous ! Qu’est-ce que c’est que ce
bruit ? Mon frère dit : ce sont des trous d’obus. Et tout de suite ils commencèrent à tirer beaucoup
de bombes. Nous nous sommes échappés et les assiettes se mirent à valser comme la maison où nous
vivions.
Ce texte témoigne d’une expérience personnelle, douloureuse, avec des détails précis qui en
attestent la véracité. Une information, cependant, ne vient probablement pas directement de
l’expérience : c’est le nombre d’« appareils » – 18 aparatos – que José Luis précise, après
l’avoir probablement entendu dans son entourage.
En 1938, des petits Catalans de Barcelone arrivent aussi à Vence et tout le monde doit
apprendre le français, sans oublier d’où l’on vient, comme en témoigne cet article non signé,
qui dit « nous ».
Nous sommes les enfants de la vaillante Espagne. Les fascistes bombardent nos villes. Ils ne
passeront pas ! Nos mères souffrent beaucoup, ici nous avons la vie sauve. Nous gagnerons la guerre.
L’Espagne aux Espagnols !
La guerre qui sévit en Espagne est connue des enfants à partir de nouvelles qui arrivent par
des parents, des lettres, des voyageurs… La presse ou la radio ne sont pas évoquées par les
enfants qui n’y avaient probablement que très peu accès. Pourtant les nouvelles sont
mauvaises en 1938, et les enfants le savent et le disent : ils sont directement concernés.
Pauvre Barcelone ! Les fascistes veulent s’emparer de toi !... Que de misères dans tes rues ! Ton
nom sera des plus grands dans l’histoire. Gloire à toi, Barcelone !
Les prémices de la deuxième guerre mondiale apparaissent dans de nombreux articles de cette
période, mais toujours sous l’angle de ce qui se passe localement.
Mobilisation et guerre - Que de changements depuis 1 mois ! Albert qui était en permission a
d’abord été rappelé à Grasse. Puis Mani le chauffeur est parti à Toulon. […] 35 Espagnols sont partis
aussi soit en Espagne soit avec leurs parents. Nous craignions d’abord que la guerre vienne chez
nous et nous avons préparé nos ballots. Une nuit les sirènes ont donné l’alerte. Nous sommes ici 28
dont 10 Espagnols et 17 Français. Maintenant nous pensons surtout à tous les mobilisés […] (Les
pionniers, septembre 1939)
1.3. Thèmes traités en 2005 et 2006 dans les journaux scolaires de France
1.3.1. Le corpus disponible
Chaque année, le Clemi réalise deux opuscules intitulés De l’actualité avec comme sous-titre
Ils en ont parlé : un pour les journaux lycéens, un autre pour les journaux des écoles et des
collèges. Il s’agit dans chaque cas de revues de presse des journaux scolaires. Ainsi le millier
de titres de journaux scolaires reçus chaque année est-il soigneusement dépouillé afin de faire
ressortir les thèmes les plus traités dans l’année. Ceux-ci feront chacun l’objet d’une rubrique
de la revue de presse, et les articles jugés par une commission comme les plus représentatifs,
les plus pertinents ou les plus originaux dans le thème seront retenus pour figurer dans cette
14
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
rubrique de la revue de presse 2. La méthode de sélection permet de considérer globalement
que la place réservée à une rubrique dans la revue de presse est en rapport avec le nombre
total d’articles dans le thème correspondant. Ce corpus sera utilisé plusieurs fois dans ce
mémoire.
1.3.2. La méthode de sélection
La revue de presse 2005 a été effectuée à partir de 305 titres de journaux d’écoles (482
numéros), 329 titres de journaux collégiens (535 numéros) et de 202 titres de journaux
lycéens (504 numéros) réalisés entre septembre 2004 et septembre 2005. En 2006, la même
méthode a été appliquée, avec 223 titres de journaux d’écoles (429 numéros), 303 titres de
journaux de collèges (546 numéros) et 198 titres de journaux lycéens (480 numéros) : le
travail de la commission s’est étalé de septembre 2005 à juillet 2006. Chaque numéro de
chaque journal a été l’objet d’une lecture attentive.
Le Clemi a pris soin de respecter la diversité des opinions exprimées lorsqu’un sujet faisait
débat. Notons que le thème de l’environnement et du développement durable, fréquemment
abordé dans les journaux, n’avait pas été retenu en 2005 dans la mesure où il devait faire
l’objet d’une revue de presse thématique ; il a en revanche été retenu en 2006.
Certains articles ont fait l’objet de coupes signalées. La version intégrale de l’édition 2005
figure dans l’édition électronique qui en a été réalisée. Chaque opuscule en version papier
compte 16 pages, dont 14 pour les différentes rubriques, une « une » qui présente quelques
dessins concernant certaines rubriques, et une page 2 d’éditorial et de sommaire.
1.3.3. La revue de presse « écoles-collèges »
En 2005, dans la version papier de la revue de presse écoles-collèges, le tsunami est de très
loin le thème le plus traité : la revue de presse lui consacre 3 pages. Les rubriques retenues
sont alors les suivantes.
– Tsunami (émotions et médiatisation, solidarité, réflexions) (3 pages) ;
– International (Guerre en Irak, élections américaines, guerre en Palestine) (1 page) ;
– Constitution européenne (1 page) ;
– Le 60e anniversaire des camps de concentration (1 page) ;
– Le loup du Mercantour (1 page) ;
– Sport (local et national) (1 page) ;
– Santé, alcool cannabis et sida (1 page) ;
– Vie scolaire et règles de vie (1 page) ;
– Vie scolaire, petits et grands (changer de classe, entrer au collège, angoisses et fierté) (1 page) ;
– Nouveaux médias (internet ; blogs, téléchargements ; MP3) (1 page) ;
– Jeux vidéos (j’aime jouer, la violence, l’addiction) (1 page) ;
– Vie personnelle – Famille (1 page)
La version en ligne comporte des articles supplémentaires dans les rubriques précédentes et
en ajoute cinq : Cinéma ; Médias ; L’ourse Cannelle ; Manga ; Filles et garçons.
2
Pour la revue de presse 2006, nous avons participé à cette commission, qui comprenait une dizaine de
personnes : journalistes, correspondants académiques du Clemi, membres de l’équipe nationale du Clemi et du
Conseil d’Orientation et de Perfectionnement du Clemi.
15
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
En 2006, dans la version papier, le thème des violences urbaines est de loin le plus traité : la
revue de presse lui consacre 3 pages. Les rubriques sont alors les suivantes.
– Violences urbaines (récits et témoignages ; réactions, réflexions) (3 pages) ;
– Violences à l’école (1 page) ;
– Le CPE (contrat première embauche) (1 page) ;
– Marques (looks et tribus) (2 pages) ;
– International (cyclone Katrina, chikunguya, tremblement de terre au Pakistan) (1 page) ;
– Grippe aviaire (1 page) ;
– Environnement –Planète (réchauffement, carburants, dégazages sauvages, OGM) (1 page) ;
– Environnement – Déchets (piles, pollutions, comportements) (1 page) ;
– Culture – Harry Potter (1 page) ;
– Culture – Charlie et la chocolaterie – Mangas (1 page) ;
– Sentiments – Filles/garçons (1 page).
Cette fois, la version en ligne est identique à la version papier.
1.3.4. Rapport direct, rapport médiat au réel
En 2005, sous la rubrique tsunami, on trouve un seul témoignage direct, celui d’un élève du
collège Saint Simon de Jouars-Ponchartrain (Yvelines) qui se trouvait en Thaïlande le
26 décembre 2004. Dans Le Petit Sainsimonlien, il écrit ceci.
J’ai entendu des cris, alors j’ai paniqué. J’étais avec ma mère et mes deux sœurs. On nous a dit de
monter sur la montagne. On voyait la vague comme un mur qui surgissait d’un coup et écrasait les
bungalows dont celui où nous étions. Une autre vague était prévue, alors nous sommes restés sur
notre montagne avec une cinquantaine d’autres personnes. J’avais très peur car mon père était parti
aider les blessés et je ne savais pas ce qu’il était devenu. Pendant 4 heures je suis resté là avec ma
peur.
Dans la collection de journaux examinée (634 titres), c’est l’unique témoignage direct sur le
tsunami : même s’il ne dit rien qui n’ait déjà été entendu en boucle dans les médias, pour le
journal, c’est un scoop. Ce qui faisait le quotidien des journaux des élèves de Freinet 3, la
relation directe d’un fait vécu devient exceptionnel en ce qui concerne le thème le plus traité
par les écoliers et les collégiens en 2005. Il semble d’ailleurs que le rapport à l’expérience
directe ne redevienne chose « intéressante » que lorsque il s’agit d’un événement déjà surmédiatisé, chargé d’une émotion intense et exceptionnelle. Tout se passe comme s’il y avait
aujourd’hui tant de choses « intéressantes » dont on est « au courant » par les médias que l’on
s’occupe moins d’observer et de décrire ce qui advient dans son entourage immédiat.
On peut remarquer que, dès lors que ce témoignage est publié dans Le Petit Sainsimonlien, il
n’est plus qu’un document médiatique parmi d’autres pour tous ceux qui voudront l’utiliser à
partir de cette source. Seul ce journal peut s’en prévaloir comme procédant d’un rapport direct
à une expérience vécue, autrement dit comme un reportage, et donc comme apportant,
potentiellement, un élément de preuve 4.
En 2006, la page concernant la grippe aviaire contient des articles dont aucun ne fait
référence à une expérience directe, ni à une enquête complémentaire. Tous sont pratiquement
construits de la même manière : description d’un fait venu des médias et reçu comme vérité,
3
4
L’article précédent est à rapprocher de celui de José Luis (1937), supra.
Nous reviendrons longuement sur ce thème au chapitre 2.
16
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
rappel de recommandations entendues dans les médias, suivi d’un commentaire exprimant
l’émotion et la peur d’une contamination. Ainsi en va-t-il avec cet article d’un petit Robin,
élève d’une classe de CM2 à Pointe à Pitre.
Le virus de la grippe aviaire peut se transmettre de l’animal à l’homme. La maladie se présente
comme une grippe (fièvre > 39 ºC associée à des maux de gorge, des douleurs musculaires et des
troubles respiratoires comme la toux), mais elle s’aggrave rapidement. La contamination ne se fait
pas par la consommation de viande contaminée cuite. C’est une maladie qui nous inquiète beaucoup
car elle peut entraîner la mort.
En 2006, à l’opposé, la page sur les violences à l’école ne contient pratiquement que des
articles en rapport direct avec des expériences personnelles de leurs rédacteurs. Plusieurs
mettent en relation un fait entendu dans les médias avec leur propre expérience, à l’instar de
Miad, élève du collège Matisse à Paris (20e), qui écrit ceci dans le journal Bahut.
Non à la violence et à l’irrespect ! – La violence est partout, au coin d’une rue, dans une file de
cinéma, à la caisse d’un supermarché, dans les parcs, sur la route… et justement il y a quelques
semaines nous sommes partis au Kinépolis pour une sortie organisée autour du thème de la sécurité
routière. Cette escapade s’est transformée en émeute, les élèves se sentant forts ont été malpolis avec
les acteurs sur scène, avec leurs professeurs et même avec les gens dans la rue. Je me suis senti
entraîné, c’est ce qu’on appelle l’effet de groupe. Nos réactions m’ont déçu et m’ont scandalisé.
En 2005 comme en 2006, d’autres thèmes restent le territoire de l’expérience personnelle et
du témoignage. Les thèmes Vie personnelle – Famille (2005), ou Sentiments – Filles/garçons
(2006), sont de cela des exemples caractéristiques : on y retrouve le mode d’expression des
élèves de Freinet, comme le montre le florilège d’entames d’articles ci-après.
– Famille recomposée – « Le nouvel amoureux de maman vient s’installer à la maison […] »
(collège).
– J’ai revu ma sœur – « Je suis allée voir ma sœur dans sa famille d’accueil […] » (école).
– Ma famille, mon amour – « Dans la famille marocaine, les enfants occupent une place
prépondérante […] Chez moi je suis l’aînée de mes deux frères et de ma sœur. Par là j’assume une
responsabilité […] » (lycée agricole).
– « Hier soir, j’ai cru voir mon papa dans ma chambre. Il faisait nuit et j’allais m’endormir. En fait
mon papa on dirait que je le voyais transparent. Je crois qu’il voulait voir si je dormais bien. Voilà.
J’ai dit à ma maman que ça me faisait beaucoup de mal d’avoir perdu mon papa […] » (école).
– La garde alternée – « Nous avons rencontré deux autres élèves de parents divorcés qui ont bien
voulu nous parler de leur situation […] (collège).
– Que faire quand nos parents divorcent – « Garde le contact avec tes deux parents […] »
conseillent deux élèves de 6e (collège).
Les relations entre filles et garçons sont un thème important, dont cet autre choix témoigne.
– La mixité ce qu’on en pense – « Je pense que ce ne serait vraiment pas bien de séparer les filles et
les garçons parce que des fois ils nous taquinent mais cela ne nous dérange pas […] » (école).
– Test 100 % Filles : As-tu raison d’aimer ton petit ami ? – « As-tu déjà pleuré à cause de son
attitude envers toi ?… » (collège).
– Des vies d’élèves - Les amoureux – « […] les copains, ça vous casse vos coups. Surtout quand
les autres s’en mêlent (ils s’en mêlent toujours !) : les cupidons-messagers, les pipelettes, les troublefêtes, les semeurs de zizanie, les parents et les frères et sœurs (le pire !) […] » (collège).
– « Les CP-CE1 se sont questionnés sur : pourquoi les filles et les garçons sont séparés dans les
dortoirs ? […] quand on voit l’autre nu on rigole et ça nous gêne […] » (école).
17
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
– Comité anti-déodorants – « […] Comment être attiré par un garçon assis au fond de la classe et
qu’on sens au premier rang ? La publicité leur fait croire que mettre un déodorant les fait passer pour
un super-héros, un James Bond… » (collège).
1.4. Les violences urbaines de 2005
Comme la plupart des thèmes, le thème des violences urbaines de novembre 2005 est traité en
référence à des informations sur-médiatisées, souvent pour les commenter, s’offusquer,
s’indigner, se questionner, et parfois pour y ajouter une expérience personnelle. En voici trois
exemples, cités dans la revue de presse « école-collège » de 2006.
– Le couvre-feu – « En France, dans plusieurs régions, le couvre-feu a été décidé à cause de
plusieurs violences dans les cités. Ces incidents ont commencé par des voitures brûlées puis se sont
poursuivis avec des immeubles incendiés pour en arriver aux écoles maternelles. Ces violences
auraient été provoquées par un homme politique. Le couvre-feu consiste à interdire aux gens de
sortir à partir d’une certaine heure. Et vous, que pensez-vous du couvre-feu ??? Écrire au journal
pour donner votre opinion » (école, Bas-Rhin). [On appréciera l’usage du conditionnel à propos de
l’homme politique « provocateur », choix probablement soufflé par un enseignant trouvant dans
l’usage de ce mode le moyen de préserver une certaine neutralité.]
– Des vandales au collège – « […] l’incendie du gymnase est bien évidemment le sujet le plus
important de ces dernières semaines […] ») (collège, Seine-Saint-Denis).
– « Dans ma cité, des jeunes ont brûlé des poubelles, des voitures, ils les ont mises au milieu des
rues […] ») (collège, Seine-Saint-Denis).
La rubrique des violences urbaines contient 13 articles (numérotés dans ce qui suit de 1 à 13),
qui avaient été jugés par la commission de sélection représentatifs de l’ensemble des articles
sur ce thème. Le plus important de l’année en quantité d’articles publiés, le thème des
violences urbaines offre la possibilité d’une mise en relation entre les événements médiatisés
et une expérience directe de la part des élèves.
No de l’article
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Critères
Répète les médias…
non
non
… implicitement +
+
+
+
+
… explicitement
+
+
+
Prend position par
rapport à l’information
non
non
médiatisée…
… pour réagir aux +
+
+
+
+
+
+
+
événements
… pour réagir à la
(+)
médiatisation
Met en relation un fait
local et l’information
non non non
non non non non
non
médiatique…
… implicitement
+
… explicitement
+
Témoigne ou enquête… non non non
non non non non non
… indépendamment des
informations
+
médiatiques
… en relation avec les
informations
(+)
médiatiques
18
11
12
13
+
+
+
+
+
+
non
(+)
(+)
+
non non
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Dans le tableau précédent, le critère « répète les médias, implicitement » signifie que la
répétition des informations médiatiques se fait sans aucune référence aux médias ;
« explicitement » s’il y a une référence. Le critère « prend position par rapport à l’information
médiatisé, pour réagir aux événements » signifie que la prise de position concerne
l’événement, et non son traitement dans les médias : elle relève de la modalité « pour réagir à
la médiatisation » dans le cas contraire. Le critère « met en relation un fait local et
l’information médiatisé, implicitement » signifie que cette relation n’est pas énoncée comme
telle ; la modalité « explicitement » est retenue dans le cas contraire. Le critère « témoigne ou
enquête, indépendamment des informations médiatiques » signifie qu’une investigation a été
menée et mise en lien avec les informations médiatiques ; elle est dite « sans relation avec les
informations médiatiques » dans le cas contraire.
Sans prétendre tirer des conclusions généralisantes de cette analyse, on doit souligner
certaines permanences. Ainsi de la répétition de propos venus des médias, presque
systématique (11 articles sur 13), ce qui est peu surprenant s’agissant de l’événement
considéré. Mais la conscience de répéter les médias, et sa formulation explicite dans le texte,
n’est pas fréquente : elle n’apparaît que dans 4 articles sur les 11 qui reprennent des propos
des médias. La prise de position par rapport aux événements médiatisés est, elle aussi,
presque systématique, alors que le mode de traitement de ces événements dans les médias ne
fait pas réagir. En outre, seuls 4 articles sur 13 font une relation, parfois minime, avec un fait
local. Enfin très peu d’articles contiennent le résultat d’une investigation, même minimale.
1.5. Le cas des journaux lycéens
1.5.1. Une presse historiquement critique
Selon Laurence Corroy (2005c), les premiers journaux lycéens accessibles datent de 1860 ;
mais elle regarde la loi sur la presse de 1881 comme marquant une césure, après laquelle « les
fonds officiels deviennent plus nombreux et plus riches, preuve que la presse lycéenne
s’organise ». Il existait cependant des journaux lycéens depuis le début du XIXe siècle. Jacques
Gonnet (2001, p. 95) a ainsi retrouvé la trace de deux journaux concurrents dans le cadre du
lycée Henri-IV de Paris ; il en croque l’opposition et l’activité dans les termes suivants.
Le Lycéen soutient la littérature classique et se range sous la bannière de Racine. Le Cauchemar,
pro-romantique, défend Victor Hugo ; mais ces deux journaux contiennent aussi des remarques plus
ou moins bienvenues sur la vie de l’établissement. La hiérarchie en prend ombrage et décide de
renvoyer pour quelques jours le rédacteur en chef du Lycéen. Ses partisans se plaignent d’une
véritable atteinte à la liberté de la presse.
Les publications lycéennes des deux dernières décennies du XIXe siècle rassemblent parfois
des lycées de plusieurs villes et montrent une volonté de constituer une force organisée face à
l’institution. C’est une presse exclusivement masculine qui regarde la gent féminine comme
objet d’émois plus ou moins dévoilés. Les lycéens y dénoncent les misères que doivent
endurer les lycéens – mauvaise nourriture, entorses aux règlements sanitaires, défectuosités
du matériel ou de l’éclairage, « spéculations inqualifiables des concierges » – ou proposent au
ministre des modifications sur le contenu des programmes. Cette presse engagée mêle
impertinence et drôlerie, badinage et sérieux (Corroy, 2005c, p. 29), mais ses préoccupations
restent très centrées sur la vie au lycée.
19
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Jacques Gonnet a longuement décrit les journaux lycéens des années 1960 à 1990 (Gonnet,
1979, 1988), en particulier ceux qui sont réalisés à l’initiative des lycéens eux-mêmes. Il y
voit les mêmes interrogations sur la société et l’institution scolaire que celles décrites un
siècle auparavant. En particulier, il remarque que « la constance de ces questionnements est
révélatrice de la signification à donner aux journaux lycéens : ils fonctionnent d’abord comme
un droit de réponse et comme le lieu privilégié où poser leurs propres questions ». Ce type de
journal, dit d’initiative jeune, peut être placé sous la responsabilité d’un directeur de
publication élève 5.
Les journaux des lycéens sont en effet, et depuis longtemps, traditionnellement des
productions plus ou moins autonomes destinées à accompagner la quête identitaire d’une
jeunesse aspirant à la reconnaissance et à s’approprier le pouvoir de l’écrit. Aujourd’hui, les
journaux réalisés dans les lycées relèvent aussi plus souvent de projets pédagogiques, pilotés
ou au moins accompagnés par un enseignant, une documentaliste ou un conseiller principal
d’éducation, et peu d’entre eux utilisent la possibilité d’assumer eux-mêmes la responsabilité
de directeur de publication. Les journaux reçus au Clemi, par exemple à l’occasion du
concours annuel de journaux scolaires, montrent qu’ils préfèrent s’en remettre à un adulte de
l’établissement. Mais qu’elle soit clandestine ou pédagogique, la presse lycéenne est souvent
plus chargée que la presse collégienne de rapports affectifs et d’enjeux internes de pouvoirs.
Son rapport à l’actualité consiste d’abord à mettre une distance critique avec l’information
vue par les adultes.
Certains lycées diffusent par ailleurs leur journal d’établissement, organe d’information à
l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement. Plus institutionnel, ce journal contient les
informations nécessaires à l’information interne et externe : informations pratiques sur la
scolarité ou l’orientation, comptes rendus et reportages sur les activités scolaires et
extrascolaires ou encore tribunes libres sur les débats de fond qui mobilisent l’établissement.
Les élèves sont concernés, mais le directeur de publication de ce type de journal est en
général le chef d’établissement.
À titre d’exemple, dans l’académie d’Aix-Marseille, en 2007, le Clemi a reçu 12 titres lycéens
participant au concours de journaux scolaires. Un seul titre s’est doté d’un directeur de
publication élève ; dans les autres cas, cette responsabilité est assumée par 3 professeurs, 3
documentalistes, 1 chef d’établissement, 3 CPE et 1 assistant d’éducation (dans un lycée
privé). La lecture attentive des productions correspondantes permet de ranger 5 titres dans la
catégorie journaux d’expression lycéenne, 4 titres dans la catégorie journaux à vocation
pédagogique et 3 titres dans la catégorie journaux d’établissement.
1.5.2. La revue de presse « lycées »
La lecture des revues de presse 2005 et 2006 conduit à des observations un peu différentes de
celles faites pour les écoles et les collèges, alors même que les thèmes abordés sont voisins. Si
les grands sujets généraux sont largement traités à partir des informations que donnent les
médias, on prend plus facilement position par rapport aux messages de ces médias et on
devient également un peu plus critique vis-à-vis des modes de production de ces messages.
5
Voir le chapitre 3.
20
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
En 2005, dans la revue de presse lycées, une place importante – 9 pages au total dans
l’opuscule du Clemi – est réservée à l’actualité internationale et à la politique : les lycéens se
sentent concernés – en particulier à propos des thèmes suivants.
– Les élections américaines (anti-Bush et anti anti-Bush…) (1 page) ;
– Le tsunami – solidarité (1 page) ;
– Le tsunami – réflexions (1 page) ;
– L’actualité internationale (mort de Yasser Arafat, mort du pape, Darfour) (1 page) ;
– La Constitution européenne (oui ou non ?, sentiment européen) (1 page) ;
– La réforme Fillon – Opinions (1 page) ;
– La réforme Fillon – Bac et TPE (1 page) ;
– Le mouvement lycéen (manifestations, violences et occupations) (2 pages) ;
– L’anniversaire de la libération des camps de concentration (1 page) ;
– Le sport (le foot : les pour et les contre, polémiques, commentaires) (1 page) ;
– Les nouveaux médias (blogs, téléchargements : pour et contre) (1 page) ;
– La vie personnelle (des mots sur des situations familiales douloureuses…) (1 page) ;
– Les mangas (un genre revendiqué par une génération) (1 page) ;
En 2006, le thème des violences urbaines et celui du CPE sont de loin les plus traités. La
revue de presse « lycées » leur consacre chacun 4 pages dans un ensemble qui rassemble les
thèmes suivants.
– Violences urbaines (récits, témoignages, débats, réactions, questions politiques) (4 pages) ;
– Distributeurs (débats sur leur suppression dans les lycées) (1 page) ;
– Contrat première embauche (CPE) (le projet de loi, le chômage des jeunes) (4 pages) ;
– Environnement (humeurs et coups de gueule) (1 page) ;
– Consommation (comportements, modes, marques : polémiques) (1 page) ;
– International (ouragan Katrina, tremblement de terre au Pakistan, nucléaire en Iran : dénonciations)
(1 page) ;
– Médias et culture (Florence Aubenas, Harry Potter : plaisir ou prise de distance) (1 page) ;
– Caricatures de Mahomet (liberté d’expression ou respect des différences : débats) (1 page) ;
1.5.3. Une polémique avec et contre les médias
L’examen du corpus réuni conduit à différentes observations. Les thèmes traités sont très
proches de ceux de l’agenda de la presse d’information et sont simplement publiés avec un
certain décalage dans le temps. Les grands sujets mondiaux dont l’appréhension est purement
médiatique, comme le tsunami ou l’actualité internationale, sont traités comme chez les
collégiens en réaction aux événements montrés : « C’est injuste ce désastre ! […] Maintenant
aidons ces pays à revivre ! » (Le Biface). L’indignation est violente, sans marquer
d’interrogation sur les informations et les chiffres qui circulent : « Comme si ce n’était pas
assez, [les catastrophes en Asie] favorisent les trafics d’enfants. […] Pour 1,5 million
d’enfants, 35 000 se sont trouvés isolés et sont devenues les proies de trafiquants » (Le
Chevelu).
Si on ne cherche pas à remettre en cause les informations, on est facilement révolté par les
méthodes des médias ou du monde économique. Ainsi peut-on lire à propos de l’envoi de
SMS pour l’Asie : « Cette catastrophe donne l’occasion à des opérateurs d’étendre leur
marché dans des pays en pleine voie de développement. […] Cela devient écœurant, c’est une
course à la bonne conscience ou la bonté. L’humanitaire devient aussi populaire que la Star
Académie […] » (L’Acid). Les informations sur les méthodes des médias sont d’ailleurs
21
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
souvent tout aussi recopiées des médias eux-mêmes. « Une heure de journal sur le tsunami
depuis la catastrophe. Pourquoi ? Pour les quelques milliers de touristes venus se soulager
dans les bordels de Kau-Lak, se goinfrer à Phuket ou pour faire des randos au Sri-Lanka. […]
On peut parier que si cela n’avait touché que des zones non-touristiques, cela aurait fait 20
minutes du 20 heures pendant 2 jours. » (Dis-leur !)
Sur l’ensemble des grands sujets d’actualité, le propos est essentiellement critique, on est
souvent très « pour » ou très « contre », indépendamment des éléments de preuve de ce que
l’on avance. Source ou autorité de la source ne sont pas des préoccupations premières. Mais
on s’essaye au maniement de l’argument polémique en reprenant les propos des médias : « Un
homme qui mêle religion et politique (contraire aux principes démocratiques) ne devrait pas
rester à la Maison Blanche » (L’obsédé textuel). De même, à propos cette fois de la mort de
Yasser Arafat, on peut lire : « Aucun chef d’État occidental n’a fait le déplacement ni pour
son enterrement ni pour la cérémonie religieuse. Est-ce normal ? » (Noir sur Blanc).
La page sur l’anniversaire de la libération des camps de concentration nazis est l’occasion de
l’utilisation de témoignages, soit d’anciens déportés de leur environnement, soit d’élèves
ayant fait un voyage scolaire à Auschwitz par exemple. Mais, ici comme ailleurs, l’exercice
polémique peut surgir, s’appuyant comme souvent sur les informations données dans les
médias.
Chaque journal télévisé de la semaine dernière présentait son lot de visites d’écoles ou de lycées, et à
chaque fois la même constatation affligeante : les adolescents ne savent pas ce que fut Auschwitz…
Déclenchement immédiat de polémiques sur l’inculture de nos chers lycéens, battage médiatique sur
la présence de la Shoah au programme d’Histoire de terminale (après vérification, la Shoah n’est pas
au programme de terminale).
Pourquoi sommes-nous toujours considérés comme des attardés refusant tout contact avec le passé, le
fuyant avec nos nouveautés high-tech, pourquoi le lycéen est-il stigmatisé par ses cheveux sur les
yeux, le pantalon traînant par terre, l’iPod vissé sur les oreilles et j’en oublie. Serions-nous la
génération maudite reniant toujours ses pères ? (Le Tir-o-flan)
On remarquera dans cet exemple un effort annoncé du rédacteur pour vérifier une information,
mais la vérification est insuffisante : il aurait été honnête vis-à-vis du lecteur de préciser que
« la politique nazie d’extermination » est en fait au programme d’histoire des classes de
première.
1.6. L’ évolution des genres journalistiques scolaires
Le genre journalistique par excellence utilisé par les élèves de Freinet était l’enquête : rien
n’était écrit alors qui n’ait fait l’objet d’une confrontation avec le terrain. L’observation des
faits et l’analyse des observations constituaient la démarche essentielle qui précédait l’écriture.
Les élèves en tiraient une connaissance sûrement étroite, parce que peu stimulée par des
médias, mais solidement ancrée sur une expertise réelle.
En 2005 et 2006, les journaux scolaires d’école et de collège révèlent une grande curiosité
pour le monde, satisfaite par la multiplicité des sources et des informations. On observe que le
comportement encouragé par l’école, vis-à-vis de ces informations, n’est pas, généralement,
de trouver des chemins pour mettre à l’épreuve du réel les propos des médias. Si l’on sait
parfois confronter des propos d’un média à ceux d’un autre média – on appelle cela « vérifier
une information » – on ne pratique en revanche que rarement une véritable enquête. Les
genres journalistiques courants sont le commentaire, le point de vue, mais aussi le plagiat, la
répétition ou la paraphrase. Comme si le sentiment des élèves – et des enseignants – était que
22
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
tout a déjà été dit… Le témoignage, personnel ou par interview, est également fréquent, mais
il concerne principalement les aspects de la vie intime, familiale, les loisirs ou la
consommation culturelle. Exceptionnellement, un témoignage local à propos d’un événement
déjà très médiatisé pourra faire l’objet d’un article. Il devient alors un scoop et atteint le statut,
très rare, d’élément de preuve.
Pour ce qui est des journaux lycéens, s’ils perpétuent clairement aujourd’hui leur vocation de
support rassembleur pour une quête d’identité, ils le font le plus souvent en référence plus ou
moins explicite aux messages des médias. Une étude comparative entre les journaux lycéens
du XIXe siècle observés par Laurence Corroy, ceux de la deuxième moitié du XXe observés par
Jacques Gonnet, et ceux de ce début de XXIe permettrait très probablement de voir apparaître
l’émergence progressive de cette référence insistante aux médias de masse.
2. L’actualité dans la classe : des questions plutôt que de réponses
2.1. Rencontrer les questions du monde d’aujourd’hui
L’actualité et ses surgissements incontrôlés à l’école ne se limite pas à leur présence dans des
journaux scolaires. Comment les enseignants d’aujourd’hui la prennent-ils en compte
effectivement dans leur enseignement, en particulier lorsqu’elle en bouscule le quotidien ?
Nous avons coordonné en 2005 un dossier des Cahiers pédagogiques (paru dans le numéro
434 de cette revue) sur le thème « L’actualité du monde et la classe ». Nous en reprenons ici
certains éléments (Chenevez, 2005a).
Certains types de questions engendrées par l’actualité diffusée par les médias alimentent les
préoccupations communes de la société française, et donc celles des élèves : Y a-t-il de l’eau
sur Mars ? La catastrophe due au raz-de-marée dans l’Océan indien était-elle évitable ? Faut-il
encore envoyer des journalistes en Irak alors que leur sécurité n’est pas assurée ? Qui est
responsable des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ? À quoi sert le Traité
établissant une Constitution pour l’Europe ? Peut-on laisser se développer les essais de
culture transgénique en plein champ ? Pourquoi le ministre de l’Éducation a-t-il supprimé les
TPE en terminale ? Qu’est-ce qui permettrait d’éradiquer le paludisme ? Un nouveau pape, ça
change quoi pour le monde ? Est-ce vrai ce qu’on nous montre aux infos à la télé ?
Il n’est guère confortable en effet d’accueillir en classe des questions qui n’ont pas de
réponses déjà construites, déjà constituées en savoirs estampillés. Pourtant les réalités du
monde envahissent les salles de classes, et, pour les enseignants, elles sont peut-être, malgré
qu’ils en aient, une chance de donner un sens aux savoirs qu’ils enseignent. Car ces réalités,
lorsqu’elles surgissent, sont rarement formulées en questionnements, mais plus souvent
grimées en certitudes, en colères, en provocations. Elles sont le point de départ d’un savoir
qui reste à construire. Il faudra patiemment dégager les véritables questions des fortes charges
émotionnelles – inévitables parce qu’il s’agit de la vie réelle, présente – largement alimentées
par les médias, leurs propos assourdissants, leurs images opacifiantes et leur non moins
bruyants silences, et pourtant notre seul moyen d’accès à bien des savoirs sur le monde.
L’objet du dossier des Cahiers pédagogiques était de mettre à l’étude la place qui pourrait
être donnée à l’actualité dans les pratiques enseignantes d’une école qui se veut formatrice de
citoyens à la fois curieux de s’informer, instruits pour ne pas gober sans questionner, capables
de faire le lien entre les savoirs appris à l’école et les informations reçues des médias, enfin
habiles à devenir eux-mêmes des acteurs du dialogue social en participant à des médias.
23
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Dans sa contribution au dossier, Michel Tozzi avançait que les réponses de l’école doivent
résolument s’ancrer dans « l’inactuel », même s’il faut « lire le monde actuel avec notre
culture d’hier ». Pour Jacques Gonnet, en tout cas, « on ne peut, sans faillir à la mission de
l’école, laisser à la porte des classes les interrogations des élèves sur le monde ». Quant à
Serge Tisseron, il recommandait dans une interview d’écouter ce que les enfants ressentent et
imaginent devant les images qui les bouleversent.
S’il semble reconnu qu’il ne peut s’agir, en classe, d’apporter une réponse définitive à des
questions scientifiquement et socialement vives, leur mise en débat reste terriblement délicate
du fait de leur brutal surgissement dans la vie sociale. Dans le même dossier des Cahiers,
Laurence Simmoneaux montre ainsi comment peut se penser et se préparer la mise en place
d’un travail d’argumentation.
Une large place avait été donnée dans ce dossier aux propos des enseignants qui prennent en
compte l’actualité dans leur enseignement. Ces enseignants y montrent que, lorsque l’actualité
est « critique » (guerres, attentats, catastrophes naturelles), l’ignorer à l’école devient
impossible et vain. Mais la seule manière de pouvoir réagir à l’événement du monde qui fait
irruption en classe sans qu’on l’invite (thème de la deuxième partie du dossier) est de côtoyer
au quotidien cette actualité, son bruit dans les médias, et de prendre l’habitude de le
questionner (thème de la troisième partie du dossier). Le « point d’actualité » peut devenir un
rituel du cours d’histoire, le kiosque de presse un lieu privilégié du CDI, et un journaliste peut
intervenir en classe sans remplacer le professeur.
Dès l’école primaire, on peut analyser une image d’actualité et comprendre qu’elle n’est
qu’une représentation du réel dont le sens appartient aussi à celui qui la lit (comme le montre
dans sa contribution, François Maillet), et comment s’y prennent les enseignants qui veulent
aider leurs élèves à décrypter les messages des médias, à en comprendre le sens, le mode de
construction.
La problématique du dossier visait un enjeu éducatif d’importance : le citoyen d’aujourd’hui
doit être capable de faire le lien entre les apprentissages de l’école et les connaissances qui lui
viennent des médias. Afin que ceux-ci deviennent aussi des savoirs construits, discutés et
confrontés. Et afin que l’exercice de l’esprit critique et du doute ne soit pas qu’une méfiance
simpliste et systématique mais une conscience éclairée de tout ce qui structure notre rapport
au monde.
2.2. Le cas du tsunami : sous la vague médiatique
2.2.1. Un appel aux enseignants
Le 26 décembre 2004, un tsunami d’importance exceptionnelle et non prévu provoque en
Asie du Sud la mort de 150 000 personnes, dont des touristes occidentaux. L’événement est
exceptionnel aussi par la force des images (délivrées en continu par les télévisions et par
Internet) ainsi que par le montant des dons privés aux organismes humanitaires. Horreur,
fatalité et impuissance sont alors les maîtres mots de ce déferlement émotionnel au milieu
desquels il était bien difficile, à celui qui voulait comprendre, de discerner quelque
considération d’ordre géopolitique.
24
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
À la rentrée des vacances de Noël, beaucoup d’enseignants sont conscients qu’il faut « en
parler ». Mais comment ? D’autant que, pour la première fois depuis 1945, à propos d’une
question d’actualité, le ministre recommande aux enseignants de « répondre aux questions des
élèves ». Devant l’urgence, il précise que cela devra se faire… « dans les formes qui leur
paraîtront les plus adaptées », comme on le voit dans la capture d’écran ci-après.
Pour mieux connaître ce qui pouvait constituer « les formes les plus adaptées » selon les
enseignants, nous avons lancé alors, une semaine après le Tsunami, à la veille de la rentrée
scolaire, un « appel » sur la liste de diffusion du CRAP dont voici le contenu 6.
Appel – Je viens vers vous aujourd’hui à propos de l’Asie du Sud. Vous savez peut-être que je
prépare un dossier pour les Cahiers dont le thème est « comment prendre en compte l’actualité dans
la classe ? » Je ne voudrais pas qu’il paraisse sans que l’on n’y évoque les événements si
dramatiques de l’Asie du Sud. Ils n’auront pu échapper à vos élèves qui vont rentrer à l’école
demain frappés par les images vues, mais aussi par les appels à la solidarité et peut-être par ce qui ce
sera dit chez eux.
Mais en classe, qu’allez-vous en faire ?
En quelques lignes, j’aimerais recevoir, dans la semaine si possible, des témoignages sur ce que vous
avez fait (ou allez faire) dans vos classes, sur les échanges que vous aurez avec vos élèves. OC.
2.2.1. Les réponses à l’appel
Sur la vingtaine de réponses reçues, quatre prennent la forme de témoignages rédigés,
auxquels s’ajoute un journal scolaire. Le premier témoignage, dû à François Maillet, se
rapporte à un travail d’analyse sémiologique de quelques photos dans une classe de CE1/CE2.
Un deuxième témoignage, proposé par Florence Castincaud, est une mise en mots des
émotions et une reformulation de l’événement à partir des médias, assortie d’explications
techniques exogènes, dans une classe de 3e. La troisième réponse vient d’Astrid de La Motte,
qui évoque la réalisation, avec une classe unique de cycle 3, d’une exposition sur les unes de
presse, occasion d’expliquer les mots entendus à la télévision, tels aide humanitaire, ONU,
6
Le CRAP est le Cercle de recherche et d’action pédagogique et l’éditeur des Cahiers pédagogiques. Environ
200 enseignants des premier et second degrés ainsi que du supérieur sont abonnés à cette liste nationale.
25
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
séisme, pertes humaines, sixième sens des animaux, etc. Quatrième témoignage : apporté par
Élisabeth Picard, il a trait à la formulation de questions, avec une classe de sixième, afin de
mettre des mots sur les images du drame.
Le journal scolaire est celui d’élèves de CM2 de l’école de Lavérune (Hérault) qui ont réalisé
un numéro spécial de leur journal, Le petit Curieux, sur l’événement. Leur enseignant, Martial
Casino, explique que les textes et dessins réalisés par les élèves portaient sur plusieurs
thèmes : « ce qui nous a choqués ; points de vues ; explication scientifique du phénomène ;
appel aux dons avec argumentation. » Les échanges dans la classe autour de cette production
ont donné aux élèves l’occasion « à la fois d’affiner leur perception des événements et de leur
traduction dans les médias, tout en leur permettant, à travers l’évocation des faits et de leurs
conséquences, d’évacuer l’émotionnel accumulé durant ces derniers jours ».
Des autres réponses recueillies, nous présenterons ici les traits saillants, ainsi que nous
l’avions fait alors dans un compte rendu intitulé Tsunami : une rentrée scolaire sous la vague
médiatique (Chenevez, 2005c). La situation à laquelle étaient confrontés les enseignants était
complexe. Fallait-il simplement écouter les questions des élèves et entendre leurs certitudes ?
Fallait-il se taire ou donner un point de vue personnel ? Proposer une réflexion sur le
traitement médiatique de l’événement ? Expliquer le fonctionnement des tsunamis ? Appeler à
la solidarité ?… Parce que le sentiment d’impuissance si répandu à l’époque les touchait aussi,
la première idée qui vint à l’esprit de nombreux enseignants fut de relayer les appels des
médias pour collecter des fonds : ventes de gâteaux et spectacles de solidarité ont ainsi très
vraisemblablement aidé certains élèves à éponger leur émotion, par une action certes plus
impliquante que la présence d’une urne pour la Croix-Rouge dans le hall du collège… Mais
d’autres se demandent si c’est bien là le rôle – ou l’un des rôles – de l’école. Sur ce sujet
délicat, Myriam Bérot s’interroge sur le fait d’accréditer malgré soi le jeu des médias,
ajoutant : « Sans parler de l’affaire du petit euro pour aider les pôvres sinistrés, qui me donne
envie de vomir (et pas qu’à moi, ça me console un peu). [...] On est vraiment bien
manipulés. »
Chacun sens bien que, dans le cadre de son enseignement, sa mission n’est pas de faire écho à
la médiatisation de l’émotion. Olivier Masson, ainsi, exprime des hésitations pédagogiques et
éthiques.
Est-ce que je bouscule l’ordre des chapitres de géographie de seconde pour traiter très bientôt
l’homme face aux risques ? […] On peut aussi attendre un peu et mettre à distance ses émotions
après les avoir prises en compte. L’exploitation pédagogique ne doit pas être à mon avis une
exploitation intéressée... du malheur des autres.
Plus explicitement encore, Marie Soler manifeste son trouble devant une situation exorbitante.
J’ai abordé aujourd’hui le sujet de la catastrophe en Asie, en préambule à la leçon de géographie sur
« pays pauvres / pays riches », et sous l’angle des images vues à la télévision, qui n’ont évidemment
pas échappées à mes élèves (CM1 / CM2). […] Nous nous sommes arrêtés sur le rôle des ONG, et
sur le fait que l’Inde a refusé l’aide humanitaire, par fierté, ont dit certains médias (dixit mes élèves),
pour ne pas céder au chantage de la reconstruction (conclusion à laquelle une autre est arrivée), avec
le risque qu’il y ait davantage de morts (selon un troisième). J’ai été surprise de l’étendue de leur
compréhension du phénomène, naturel d’abord (les tsunamis), et politique ensuite (l’organisation de
l’aide humanitaire et l’ampleur de la catastrophe humaine et économique). Ils ont aussi repéré que
l’on parle surtout de l’Asie, mais que l’Afrique elle aussi a été touchée, ainsi que la Réunion.
Fabienne Rouffia a fait travailler ses élèves de 3e dans le cadre habituel de la revue de presse
bimensuelle. Deux groupes ont travaillé en comparant le traitement médiatique de cette
26
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
information dans la presse et les journaux télévisés des 27 et 28 décembre. Pour le JT, par
exemple, les élèves analysent chaque reportage selon une grille qui leur est distribuée :
origine des images, indices ; angle (traitement du sujet) ; valeur informative du reportage (ce
que l’on apprend) ; effet recherché. La classe tire ensuite ses conclusions.
Dominique Natanson a commencé à travailler avec les secondes dès le lundi de la rentrée.
« La géographie doit servir à comprendre le monde et non à faire la guerre », souligne-t-il,
avant d’ajouter : « La dissociation phénomène naturel / catastrophe naturelle me semble
indispensable, en s’appuyant sur le travail de prévention fait par des pays du Nord (États-Unis
et Japon). » Cette problématique se traduit par la constitution d’un dossier pédagogique sur le
thème : « Le Tsunami de l’océan indien, une catastrophe naturelle ? » Trois questions sont
mises en avant 7.
1. Qu’est-ce qu’un tsunami, quel est le mécanisme de ce phénomène naturel ?
2. En quoi la littoralisation a-t-elle aggravé le phénomène ?
3. La catastrophe était-elle évitable ?
Le dossier est une étude de cas où presque toutes les questions et sous-questions trouvent leur
réponse bien fléchée dans le manuel de géographie.
D’autres stratégies sont mises en œuvre. On peut proposer une table de livres au CDI et
mettre des liens sur le thème en page d’accueil de l’intranet du lycée (Alain Le Flohic).
Profitant d’un projet en cours, on invite un sismologue au collège (Nadine Lanneau). Telle
enseignante qui voulait parler du tsunami se heurte au mutisme des élèves (Odile Sotinel).
Telle autre, au contraire, qui n’avait rien prévu à ce sujet, ne peut y échapper, au détour d’une
leçon de technologie qui n’avait rien à voir (Monique Ferrerons). Cette dernière relate la
chose ainsi.
Dans une classe on disait dans la leçon sur le budget qu’il fallait avoir confiance dans l’économie
d’un pays pour y investir de l’argent. Quelqu’un a dit : « Pas comme en Inde alors » ; « Mais si, on
leur donne de l’argent » ; « oui, mais il vient du cœur, là c’est pas parce qu’on pense qu’il va
rapporter ». Dans l’autre classe, quelqu’un a demandé : « Et sur quelle ligne budgétaire elle le prend,
la France, l’argent qu’elle envoie en Inde ? » ; « On a des réserves pour les catastrophes ? » ; « Il y a
ce que le pays fait, mais il y a aussi ce que chacun a envie de donner, c’est pas pareil ».
Pour certains enseignants, le travail sur l’actualité fait partie du quotidien de la classe. Ceux-là
multiplient alors les directions de travail, depuis la gestion de l’émotion jusqu’à l’analyse des
informations en les adaptant au niveau de leur classe. Le témoignage de Maïté Stein, que nous
reproduisons ici au long, illustre bien ce type de réponse.
Avec les 6e C, nous avons consacré une demi-heure le mardi 4 janvier à évoquer les images qui les
avaient le plus touchés à la télévision. Tous avaient vu à plusieurs reprises les reportages télévisés, la
plupart du temps en famille. Identification très forte aux familles détruites, aux enfants orphelins,
répulsion pour les images de corps d’enfants alignés ou enfouis, sentiment de voyeurisme quand des
caméras ont pris des photos de gens engloutis par les flots.
Avec les 5e B (28 élèves), travail plus approfondi car je suis leur professeur de français, d’IDD
médias (à l’année) et d’éducation civique : j’ai donc consacré 2 h le matin du 5 janvier au thème de
la solidarité : classe divisée en demi-groupes, l’un travaillant sur la Croix Rouge […], l’autre sur la
solidarité internationale (avec un manuel d’éducation civique, des brèves de Midi Libre et le dessin
de Plantu du Monde du 1er janvier). […] Nous avons fait apparaître la solidarité institutionnelle
(Radio France), celle des entreprises (opérateurs de SMS), celles des particuliers par leurs envois,
7
Voir le site des Clionautes : http://www.lycee.clionautes.org/article.php3?id_article=153.
27
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
ainsi que le rôle de l’ONU. Pour le dessin de Plantu, je leur ai demandé si on pouvait faire sourire
lors d’un désastre, si cela était indécent ou non.
Nous avons consacré la 2e heure non pas au français comme d’habitude mais à une discussion sur les
images ou des commentaires qui les ont marqués ou qui leur ont posé problème. Presque tous les
élèves ont voulu s’exprimer et certains plusieurs fois. Nous avons commenté ensemble chaque
intervention : l’impuissance des survivants, de ceux qui filmaient à ce moment, le sentiment
d’horreur devant la mort, les cadavres empaquetés, le rejet de la mort dans notre société, l’empathie,
la joie pour les miraculés, la douleur devant les archétypes (père ou mère perdant un enfant), la
difficulté à atteindre des zones où il n’y a plus de voies de communication...
Des élèves ont apprécié de « pouvoir parler d’autre chose que du cours » (c’est pourtant bien le
programme) et que je les considère « comme des grands capables de donner leur opinion et leurs
sentiments sur des problèmes importants. »
2.3. Instaurer un « espace de disponibilité »
On peut bien sûr s’indigner de ceux qui ne savent pas quoi faire pour « en parler » et
s’emploient simplement à « éponger » l’émotion partagée en organisant des collectes dans
l’établissement – car ce n’est probablement pas le rôle de l’école. On aura peut-être plus de
mal à se distancier de l’assurance professionnelle de Dominique Natanson qui pose les
questions (les bonnes questions, selon lui) et qui prépare les réponses, ses propres réponses,
pour ses élèves et pour toute la communauté des enseignants d’histoire-géographie qui vont
recopier son dossier – ses questions et ses réponses – sur Internet… Malgré son caractère
rassurant et sa réactivité, à propos d’une question qu’il situe comme « socialement vive » –
puisqu’il remet en cause la qualité de catastrophe naturelle –, il reste dans la posture
traditionnelle où l’enseignant produit les questions et les réponses – que l’élève doit
éventuellement deviner. Il semble ainsi demeurer en retrait des démarches didactiques
relatives aux questions socialement vives proposées par exemple par Alain Legardez, et
Laurence Simonneaux (2006). Réunis au sein du groupe de recherche interdisciplinaire en
didactique des questions socialement vives (GRID-QSV), ces chercheurs préconisent
notamment un débat argumenté, soigneusement préparé, permettant à ce type de questions de
conserver, en étant enseignées, leur caractère de questions vives. « Ne pourrait-on pas
proposer, se demande Alain Legardez (2004, p. 70), une “reproblématisation raisonnée” de
ces questions dans le cadre scolaire, en se gardant du débat idéologique d’opinions et en
évitant le mimétisme du débat scientifique dans le classe ? »
Nous verrons au chapitre 2 comment la notion de parcours d’étude et de recherche (PER)
peut permettre d’aborder les questions posées par un événement de l’actualité pour en faire
des objets de savoir. Cette quête est à regarder à la lumière des travaux de Jacques Gonnet, et
en particulier de la notion d’espace de disponibilité (Gonnet, 1995). Il ne saurait selon lui y
avoir d’approche de « l’actualité à l’école » – notion qu’il préfère à celle d’« éducation aux
médias » – sans installer dans la classe un lieu et un temps protecteur de l’expression (p. 54).
Si l’on veut donner un sens fort à ces travaux [les analyses des discours des médias et de leurs
conditions de production], il faut autoriser, il faut accepter, il faut être disponible, dans un premier
temps, à quantité d’expressions, à celles des autres comme à la sienne propre avant de les organiser.
Avant de dire nous allons travailler sur le Rwanda, nous allons comprendre comment fonctionne
l’information, il ne faut pas hésiter à laisser exploser une colère enfantine, adolescente, humaine tout
simplement, qui est sans doute la seule façon d’éviter la banalisation de l’horreur. Quelle autre
possibilité sinon de refouler, sinon d’ignorer ?
Sans ignorer la difficulté de gestion de ces dialogues en classe, Jacques Gonnet remarque que
les journaux d’enfants sont remplis de textes « d’incompréhension devant l’horreur et la
souffrance d’autrui ». Pour souligner le sens et l’importance de ces textes publiés, il se réfère
28
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
à Luc Boltanski (1993), pour qui, « face à la souffrance, le seul impératif est celui de
l’action ».
On peut comprendre, selon J. Gonnet, que des enseignants refusent d’aborder de tels sujets en
classe (p.57).
Comment ne pas reconnaître le caractère difficile, voire explosif de telles discussions ?
Effectivement, je déconseillerais personnellement, en cas d’événement grave, d’aborder à chaud,
sous une pression éventuelle, un thème particulièrement polémique. Mais je le déconseillerai
seulement à un enseignant qui n’a jamais abordé ces problèmes à des moments « non polémiques ».
Il y a en effet un rapport de confiance qui s’instaure quand cet espace de disponibilité est intégré,
vécu comme un temps fort, mais maîtrisé, de l’espace et du temps scolaire.
Jacques Gonnet a expérimenté lui-même, avec des étudiants, la construction de cet espace de
disponibilité à propos de l’insupportable dans l’actualité véhiculée par les médias de masse.
L’analyse de cette expérience a donné lieu à la publication d’un ouvrage poignant, Les médias
et l’indifférence, titre d’éditeur auquel l’auteur préfère le sous-titre : Blessures d’information
(Gonnet, 1999). Il y est en particulier question de l’observation des effets du désarroi ou du
refus provoqué par les messages médiatisés. Une analyse de la notion de compassion selon
diverses approches philosophiques (Stoïciens, Lumières, Nietzsche) et religieuses (juives,
chrétiennes) précède un chapitre sur l’impossibilité de transmettre l’indicible, à propos de
quoi l’auteur note ceci (p. 137).
Le repli sur soi est fréquent pour ceux qui ont vécu ou côtoyé un drame. D’abord parce qu’ils ne
supportent pas la réactivation de ce qu’ils ont vécu, ensuite parce qu’ils ressentent une quasiimpossibilité à faire partager une expérience inhumaine à des personnes qui ne souhaitent pas
forcément les entendre.
Dès lors, comment acquérir cette capacité à ressentir la souffrance de l’autre, même celui que
l’on ne connaît pas, au travers des figures obsédantes de la souffrance que diffusent les
médias ? Pourtant il s’agit bien d’une condition essentielle d’accession à la liberté d’homme.
Et Gonnet de conclure, comme une invitation à ouvrir l’espace de disponibilité : « La blessure
d’information est un questionnement. En devenir conscient est le premier pas de la réponse. »
Ainsi les différences de réaction des enseignants face au tsunami, tel qu’il s’est inscrit dans
l’expérience des élèves le 3 janvier 2005, montrent-elles la place plus ou moins grande
donnée à cet espace de disponibilité – que parfois les élèves imposent par des questions
délibérément étrangères au propos de l’enseignant.
Les approches d’analyse des messages et de leurs conditions de production, quant à elles,
diffèrent bien sûr selon les disciplines des professeurs concernés, mais leur inévitable
maladresse est liée au désarroi que produit un tel surgissement du monde dans la classe quand
on n’y est pas préparé. Ainsi Florence Castincaud 8 , professeur de français, conclut-elle :
« Pendant cette heure-là, brusquement le monde est entré dans ma classe. Est-ce dire à quel
point il n’y est pas d’ordinaire ? »
8
Voir son témoignage en annexe.
29
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
3. De la presse à imprimer aux outils numériques
3.1. Si Freinet avait connu le Web…
Le rapport à l’actualité du monde, c’est aussi le rapport que l’on entretient à l’école avec les
techniques de production et de diffusion de la chose publiée. Les écrits scolaires qui sont faits
pour être lus vont beaucoup dépendre, comme tous les médias, des choix et des évolutions
techniques. De la patatogravure 9 au blog, il n’y a que quelques décennies ; mais la
motivation profonde demeure inchangée, comme Célestin Freinet le rappelle dans ces lignes
(1946/1969).
Nous cultiverons avant tout ce désir inné chez l’enfant de communiquer avec d’autres personnes,
avec d’autres enfants, surtout de faire connaître autour de lui ses pensées, ses rêves ses espoirs. Alors,
apprendre à lire à écrire, se familiariser avec l’essentiel de ce que nous appelons la culture sera pour
lui une fonction aussi naturelle que d’apprendre à marcher.
Depuis la décennie de 1920, Freinet avait compris l’intérêt de placer au cœur de la classe les
outils les plus modernes de la communication. Créer les conditions de situations réelles de
communication a été l’un des fils directeurs de sa démarche : il était convaincu qu’il ne fallait
pas proposer aux enfants de faire semblant ou développer des activités d’imitation, sous peine
de les voir se lasser.
Le génie de Freinet fut de faire de l’imprimerie au plomb un outil de communication. Au lieu
de conformer l’outil aux pratiques anciennes (il aurait pu s’en servir pour faire recopier des
exercices ou des textes d’auteurs), il invente en 1926 la pédagogie qui lui donne un sens : le
texte libre et le journal scolaire. De même, l’entrée du magnétophone dans la classe n’a pas
servi à enregistrer des récitations ou des leçons toutes prêtes. Les élèves des compagnons de
Freinet deviennent « chasseurs de son » et produisent des audiogrammes destinés à être
écoutés par des correspondants et diffusées à d’autres classes comme objets de rencontre et de
connaissance. Chaque nouvel outil, avec ses techniques propres, est abordé comme un moyen
complémentaire d’entrer en communication, d’échanger, de s’exprimer, d’apprendre des
autres et de découvrir ce qui vient de l’autre. Puis ces réseaux ont concerné des
correspondants étrangers, et les envois postaux, en utilisant en France la franchise postale du
courrier entre fonctionnaires, voyagent dans des grandes enveloppes aux contenus tout à fait
multimédias : lettres, livres de vie, journaux de classe, affiches, photos, bandes audio montées.
L’arrivée de l’une de ces enveloppes est un événement tout aussi important dans la classe que
l’expédition de ses propres productions. Quelques décennies plus tard, Freinet aurait sûrement
confié le Web à ses élèves, non sans rencontrer de nouvelles questions à résoudre.
3.2. Au-delà des « encadrés aux coins arrondis »
3.2.1. Les logiciels de publication
On ne s’accommode pas si facilement des changements techniques 10. La fascination pour les
outils, surtout depuis que l’ordinateur peut être utilisé pour publier, a produit quelques
déconvenues dans la production de journaux scolaires. « Le Conseil général a doté le CDI
d’un ordinateur, alors on voudrait faire un journal. Qu’est-ce qu’il nous faut comme
logiciel ? » L’enthousiasme qui accompagnait ce genre de demandes vers la fin des années 80
9
Technique d’illustration du journal scolaire utilisant une pomme de terre coupée en deux, et gravée comme un
tampon, que l’on imprègne d’encre d’imprimerie.
10
Nous reprenons ici des analyses publiées dans les Dossiers de l’ingénierie éducative (Chenevez, 2005d).
30
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
nous paraissait désarmantes. Et il nous paraissait désespérant de voir arriver au Clemi, par
brassées, tant de journaux scolaires aux contenus désincarnés ! Ces publications finissaient
par ressembler à des catalogues de fonctionnalités des logiciels de PAO 11.
Il est vrai qu’après les ronéos, les stencils, les machines à alcool et autres patatogravures, il
devenait tout à coup facile de fabriquer des pages avec une quantité de choses amusantes et
surprenantes. Un journal scolaire ne se lisait plus, il se feuilletait. On le qualifiait de
« beau »ou « pas beau » et l’on ne se demandait même plus s’il était intéressant. Rédiger un
encadré n’était pas le résultat de choix rédactionnels réfléchis, mais le moyen de montrer
qu’on disposait d’un logiciel capable de produire des cadres aux coins arrondis, voire garnis
de fioritures diverses… Quant aux polices de caractères, il était important de faire usage de
toutes celles que l’on avait en magasin, de la plus grasse à la plus maigre avec une préférence
pour les plus illisibles ou biscornues. Et si par malheur votre logiciel ne vous permettait pas
de modifier la justification d’une colonne, là où cela était nécessaire, on se refusait à le faire
plutôt que de se servir de ciseaux et de colle, selon la bonne vieille méthode. Question
d’honneur ?…
Cette situation nous avait alors conduite à recommander fermement aux équipes
pédagogiques désireuses de réaliser un journal avec des élèves d’oublier l’ordinateur dans un
premier temps pour se concentrer sur le projet : publier quoi ? pour qui ? Mais ce message
peinait à être entendu – tant que le détail des polices disponibles avec Le Journaliste ou du
chaînage des zones de textes avec Pagemaker n’avait pas été finement présenté.
3.2.2. Une fascination-répulsion
Aujourd’hui, la PAO a retrouvé son statut d’outil. Le projet d’un journal scolaire a retrouvé sa
place de projet pédagogique de publication, sans pour cela qu’il y ait moins de journaux
scolaires. Personne ne songe plus à les juger sur leur seule allure. On aurait pu croire à une
passade, un engouement technologique ou ludique. Il n’en fut rien. Faire un journal constitue
désormais un projet pédagogique en soi, indépendamment de la PAO et d’Internet, même si
ce type de projet a absorbé les évolutions technologiques au fur et à mesure de leurs
apparitions – non certes sans sombrer parfois dans la fascination. Comment échapper à une
telle fascination devant la deuxième révolution de l’imprimerie, celle du numérique ? À cet
égard, la presse « parallèle » des années 1960 et 1970 peut regretter d’être venue trop tôt. Un
seul petit appareil, qu’on peut avoir chez soi ou dans la classe, pour écrire, corriger, calibrer,
relire, enrichir, composer les titres, mettre en page, travailler les illustrations, faire des
épreuves, recorriger et tirer, toutes choses qui nécessitaient auparavant une succession
d’étapes techniquement complexes : il y a bien de quoi être fasciné.
Bien avant cette révolution inespérée, Freinet avait indiqué la direction en recommandant de
« placer au cœur de la classe les outils les plus modernes de la communication ». Et de fait,
contre les apparences parfois, les équipes qui se sont lancées, grâce aux nouvelles
technologies, dans l’aventure du journal scolaire ont mis leurs pas dans des traces
pédagogiques bien explorées. Depuis Freinet on savait le rôle, dans les apprentissages, de
l’écrit publié. Malgré l’emballement des premières découvertes, les enseignants se sont vite
souvenus que les écrits des élèves devaient faire sens et pour eux et pour les lecteurs auxquels
ils les destinaient. Et ils ont compris que ni les « coins arrondis » ni les images extraites de
bibliothèques d’images n’avaient le moindre effet de sens, ou du moins de sens maîtrisé. On a
donc accepté l’idée que l’ordinateur n’était pas le magicien pédagogique adulé de la dernière
11
Publication assistée par ordinateur.
31
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
décennie du siècle, censé presque rendre intelligent et savant par simple exposition des élèves
aux rayonnements des écrans…
Dans le même temps la fascination avait son corollaire dans le corps enseignant même : la
répulsion technophobe. Toujours vivace sans doute, celle-ci n’est plus l’obstacle
insurmontable qui a pu réserver pendant un temps la pratique du journal scolaire aux seuls
professeurs de technologie. On sait aujourd’hui que si le projet est solide, on trouvera toujours
quelqu’un, élève, aide-éducateur ou professeur, pour assurer la mise en page, dont on se
désintéresserait presque.
3.2.3. Enfin Internet vint !
Vers 1995, la même fascination a été ressentie à propos de la publication sur le Web, suivie
d’un même retour à une raison cette fois enrichie par l’intégration des TICE à un très vieux
projet pédagogique : faire communiquer entre eux des élèves vivant loin les uns des autres. Il
est intéressant, à ce titre d’observer comment ont évolué les destinations des productions
« communicantes » des élèves. Freinet et ses compagnons les envoyaient toujours à des
réseaux de correspondants vivant dans une autre région, et aux modes de vie différents. Or,
dans un premier temps, on a dû constater que tout se passait comme si, plus les technologies
numériques apportaient de solutions, moins on croyait au sens des écrits des élèves, moins la
diffusion fait partie du projet de l’équipe : des messages étaient émis qui semblaient n’avoir
pas de destinataires prévus. Combien de journaux ont été distribués aux familles pour susciter
de leur part une attitude bienveillante, sans pour cela attendre d’elles un intérêt réel pour le
contenu proposé ? Nombre de journaux en ligne, de sites d’écoles, de collège ou de lycée ont
été ainsi publiés comme des bouteilles à la mer (tout le monde peut « le » visiter, mais
personne ne le rencontre) pour être très vite abandonnés.
3.3. Journaux en réseaux
Cependant, et parallèlement, la souplesse apportée par la communication en ligne donne un
sens renouvelé aux projets européens et internationaux qui renouent aujourd’hui avec la
tradition des correspondants lointains. L’apparente facilité technique, et surtout la nouveauté,
ont engendré beaucoup de projets de communication scolaire. Ceux qui ont maintenu le cap
avec succès pendant plusieurs années sont tous des projets qui intégrant une mise en réseau et
l’utilisation du virtuel pour un échange réel avec des correspondants réels, non des
« bouteilles à la mer ». Nous donnerons ici quelques exemples nés avec la popularisation
d’Internet, au milieu des années 1990. Le journal Cyberpresse 12 , projet franco-québécois
ancré dans l’académie de Poitiers, et qui a cessé son édition à la rentrée 2002-2003, se décrit
ainsi.
Un magazine franco-québécois qui a permis, pendant 6 ans, à un nombre d’élèves important
d’appréhender le monde d’Internet, à partir d’activités en prise avec l’éducation aux médias, de
s’inscrire dans une dynamique d’écriture, d’exercer un regard critique, de travailler sur
l’argumentation, sur la notion de Une, de communiquer à distance et en temps réel, dans une langue
commune, riche aussi de ses différences, avec des élèves d’un autre pays partageant un patrimoine
culturel à la fois commun et différent.
12
Cyberpresse est toujours visible en 2007 sur http://cyberpresse.crdp-poitiers.cndp.fr/
32
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Le réseau Jailu a fonctionné de 1996 à 1998 comme une liste de diffusion entre classes de
lycée 13. On peut y voir une préfiguration de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Internet citoyen.
Des élèves, encadrés par leur professeur d’histoire-géographie, entretiennent des échanges
écrits à propos de l’actualité.
Les textes qui paraissent dans Jailu sont de deux sortes.
1. Les premiers commencent par la phrase « J’ai lu dans (titre du journal) du (date) : (citation
susceptible de lancer le débat) », suivie de l’avis argumenté de l’élève, de ses réactions face à
l’événement ou de son opinion face à la prise de position d’un journaliste. Ils se terminent par : « Et
vous, qu’en pensez-vous ? »
2. Les réponses sont de forme libre. L’objectif est de donner à l’élève le goût du débat démocratique
et, ainsi, de le mener sur la voie d’un apprentissage de la citoyenneté.
L’École réticulaire correspond à un réseau d’écoles rurales du haut pays grassois qui existe
depuis 1993. Utilisant d’abord la communication entre ordinateurs (par modem) avant de
passer à Internet, le réseau s’est ouvert dès 1996 à des écoles luxembourgeoises d’abord, puis
italiennes et québécoises. L’une des principales et premières réalisations de ce réseau a été le
journal électronique hebdomadaire Ordimadaire, considéré par ses utilisateurs comme « le
ciment qui unit les écoles et leur permet de ne pas être isolées » (Chenevez & Roudy, 1998).
Le programme fax!, quand à lui 14, est significatif d’un projet qui a intégré au fur et à mesure
les évolutions technologiques. Au départ, en 1989, il s’agit d’un journal européen à rédaction
éclatée : chaque établissement envoie sa page par télécopie le jour dit, sur le thème prévu par
l’établissement organisateur. Celui-ci réalise le journal, l’imprime et en envoie quelques
exemplaires aux établissements participants. La réception du journal est un moment important
où l’on travaille sur les propos des autres classes correspondantes dans leur propre langue.
Aujourd’hui, en 2007, après plus de trois centaines de numéros papier ou en ligne organisés
par des établissements de tous les continents, sur des thèmes aussi variés que « la
démobilisation des enfants soldats », « l’égalité hommes-femmes » ou « la francophonie
gourmande », la plupart des numéros se publient en ligne, d’où le nom cyberfax! Donné à
cette série de publications. Mais le projet – « des jeunes du monde entier débattent de
l’actualité » – n’a pas varié dans ses objectifs. Cette détermination est certainement la raison
pour laquelle le programme fax! fut l’un des tout premiers projets scolaires en France à
utiliser le courrier électronique et Internet, dès 1994 – il s’est alors appelé interfax!.
4. Pour conclure
La place qu’occupent les médias dans la société, la force des informations qu’ils diffusent, le
rapport fasciné que chacun entretient avec l’actualité du monde même lointain, parfois sans la
rechercher, dérange la profession enseignante qui n’y est pas toujours préparée. Elle doit
s’interroger sur les moyens de permettre aux élèves d’une part de reconnaître leurs émotions,
d’autre part de les distinguer de la recherche de la légitimité, de la justice ou de la vérité. Les
deux approches sont nécessaires pour construire la dignité d’homme, capable à la fois de
compassion sincère et d’un goût entêté pour la raison. Le citoyen du XXIe siècle a besoin de
compétences de questionnement, de mise à l’épreuve des informations, mais aussi de
retrouver les chemins de la confrontation au réel.
13
14
Voir Bader, 1998. On y lira notamment un exemple d’échanges.
Voir www.clemi.org/fax.html.
33
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1
Annexes (7 pages)
A.1. Deux extraits du journal Les remparts des élèves de Freinet.
A.2. Trois témoignages d’enseignants sur leur travail en classe à propos du tsunami (extraits
des Cahiers pédagogiques, 434). Dessins extraits du journal « Les petits Curieux ».
A.3. Revue de presse 2005, page du tsunami – Revue de presse 2006, page des violences
urbaines.
34
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1 – Annexes
A.1. Journal Les remparts
A.1.1. Du 14 décembre 1931
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1 – Annexes
A.1.2. Du 30 juin 1932
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1 – Annexes
A.2. Témoignages d’enseignants à propos du tsunami (extraits des Cahiers pédagogiques
n° 434). Dessins du journal Les Petits Curieux.
37
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1 – Annexes
38
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 1 – Annexes
39
Tsunami
3
De l’actualité ● Revue de presse des journaux scolaires ● Volume 1
Émotion et médiatisation
La catastrophe du tsunami a suscité une énorme émotion dans les journaux scolaires. Ils n’en questionnent pas moins sa médiatisation.
TÉMOIGNAGE
Le 26 décembre 2004, un tsunami a ravagé une
grande partie de l’Asie du sud. Un élève du collège
se trouvait en Thaïlande au moment du drame. Nous
avons pu recueillir, pour vous, ses impressions.
« J’ai entendu des cris, alors j’ai paniqué. J’étais
avec ma mère et mes deux sœurs. On nous a dit de
monter sur la montagne. On voyait la vague
comme un mur qui surgissait d’un coup et écrasait les bungalows dont celui où nous étions. Une
autre vague était prévue, alors nous sommes restés sur notre montagne avec une cinquantaine
d’autres personnes. J’avais très peur car mon
père était parti aider les blessés et je ne savais pas
ce qu’il était devenu. Pendant 4 heures, je suis
resté là avec ma peur. Après, nous l’avons retrouvé puis nous sommes rentrés en France, un peu
choqués ».
Le Petit Sainsimonlien > N° 2 - Janvier 2005
Collège Saint Simon - Jouars Pontchartrain (78)
L’horreur
Vivre Ici - Le journal de la Montagne > N° 69 - 1er Trim. 2005
Classe de cycle 3 - École de Villegusien (52)
C’était un lundi soir. Je m’apprêtais à prendre
mon goûter, lorsque j’ai eu l’idée d’allumer la
télévision. C’est alors que j’ai vu l’importance
de ce mystérieux raz-de-marée.
C’était horrible, car c’était comme si on était
à leur place. Moi, ce qui m’a le plus choquée,
c’était le nombre d’enfants étalés sur la plage.
Il y avait aussi les enfants qui avaient perdu
leurs parents ou les parents qui avaient perdu
leurs enfants. J’ai aussi vu un grand-père qui a
retrouvé sa petite fille à l’hôpital mais il n’y
avait plus aucune trace des parents de celle-ci.
Lara, Juliette et Julie
CE1/CE2 bilingue
Mme Boulanger
Élodie Pannier et Kathy Lelièvre
Ça coule de source > N° 1
Collège Les sources d’Aure - Caumont l’Éventé (14)
La gazette des écoliers > Année scolaire 2004/05
École du centre - Saverne (67)
« Ça m’a fait peur quand j’ai vu la vague arriver. À la télé, c’était dégoûtant, il y avait
des gens morts. » Christopher
L. Blériot décolle > N° 61 - Février 2005 – École Louis Blériot - le Mans (72)
Pour ce premier débat, il était proposé aux 4e de
s’exprimer sur la manière dont ils avaient vécu, en
tant que téléspectateurs ou lecteurs de presse, le
traitement médiatique du drame du tsunami en
Asie.
– Vincent: Moi je trouve que c’est horrible mais il y
a des problèmes encore tout aussi graves dont on ne
parle pas assez, comme le conflit israélo-palestinien
ou la guerre en Tchétchénie. Je ne dis pas que le traitement est démesuré mais on parle trop de cet événement en ce moment.
– Sarah : Je ne suis pas d’accord. Si on regarde les
journaux télévisés, on voit qu’ils parlent très souvent
des guerres. Là, il y a eu plus de 200 000 morts! C’est
obligé d’en parler!
– Coralie : C’est normal qu’on en parle beaucoup, ça
vient de se produire.
– Pierre : Les journalistes ont fait des images horribles et ils les montrent à longueur de journée. Ils
devraient passer à autre chose.
– Erwan : C’est normal car ils ont besoin de solidarité. Plus ils passeront ces images, plus ils récolteront
de l’argent !
– Pierre : De toute façon, ils ne peuvent pas passer à
autre chose. Les pays ont été complètement dévastés
et on découvre chaque jour de nouveaux dégâts.
– Agathe : Mais ce sont des images qui choquent en
même temps.
– Sarah : C’est parce que ça choque que les gens
regardent. C’est ce qui est affreux qui attire, c’est
grâce à ces images qu’on va récolter de l’argent.
– Pierre : Le problème, c’est qu’ils ne parlent plus du
reste de l’actualité.
– Vincent: C’est bien que la communauté se mobilise, mais par exemple le Sida, on n’en parle pas assez !
Toutes les secondes il y a un nouveau cas déclaré !
– Clémence: Pour l’instant, c’est un sujet médiatique
mais dans trois semaines on n’en parlera plus de toute
façon.
– Charlotte : Il y avait beaucoup de Français là-bas,
beaucoup de touristes. C’est aussi pour ça qu’on en
parle beaucoup.
Les Potins d’abord ● n°30
Le Petit Sainsimonlien
n°2
●
Ça coule de sourçe ● n°1
L. Blériot décolle ● n°61
Les Potins d’abord > N° 30 - Mars 2005
Collège Georges Brassens - Le Rheu (35)
Plus d'articles
>
www.clemi.org
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La gazette des écoliers ●
Violences urbaines
De l’actualité ● Revue de presse des journaux scolaires ● Volume 1
Récits, témoignages
3
Images spectaculaires, conséquences directes pour ceux qui vivent en cité… les événements en banlieues font la Une.
En banlieue
Une bande d’adolescents qui rentraient chez eux
ont voulu passer par un chantier. Pendant que
certains passaient, d’autres faisaient le guet. C’est
alors qu’une personne les surprit et appela les
gendarmes. Et c’est le début d’une course-poursuite incompréhensible. Les adolescents partirent
en courant et nous racontèrent que pendant qu’ils
couraient, les gendarmes les poursuivaient. Eux,
les gendarmes, nous avouèrent qu’ils ne les poursuivaient pas.
Au bout d’un certain temps, cinq d’entre eux (des
adolescents) rentrèrent dans une sorte de décharge ou de parc abandonné. Deux d’entre eux se
cachèrent pendant leur course et les trois autres
passèrent de l’autre côté d’un mur où se trouvait
une sorte de petite centrale électrique et se cachèrent alors dans un transformateur. Ils reçurent une
décharge électrique de vingt mille volts. Seul un
des adolescents survécut. Alors si vous vous faites
poursuivre par des gendarmes, ne vous planquez
pas dans un transformateur électrique !
Texte : Vincent D. – Illustrations : Nicolas A.
Et si on discutait
« A la télé, nous avons vu beaucoup
de voitures, de maisons, de cars brûlés. Les gens qui n’ont plus de voitures ne peuvent plus aller travailler. Il
y en a plusieurs qui pleuraient. Ils
n’avaient plus d’argent pour en acheter une autre.
Il y a même eu plusieurs écoles abîmées et les enfants ne vont pas avoir
classe pendant plusieurs jours.
Nous avons aussi vu des gens jeter
des pierres sur les pompiers qui éteignaient les feux et se battre contre les
gendarmes. » (…)
Les MS-GS de Lieuvillers
La Gazette > N° 30 – Nov. 2005
École Primaire – Lieuvillers (60)
Le couvre-feu
Par Chouia Sonia
En France, dans plusieurs régions, le couvre-feu a été décidé
à cause de plusieurs violences
dans les cités. Ces incidents ont
commencé par des voitures brûlées puis se sont poursuivis avec
des immeubles incendiés pour
en arriver aux écoles maternelles. Ces violences auraient été
provoquées par un homme politique. Le couvre-feu consiste à
interdire aux gens de sortir à partir d’une certaine heure.
Et vous, que pensez-vous du
couvre-feu ??? Ecrire au journal pour donner votre opinion.
Notre journal > N° 1
Déc. 2005 – Collège J. Twinger
Strasbourg (67)
La Mosca > N° 8 – Mars 2006
Collège André Malraux – La Farlède (83)
A lire sur www.clemi.org
(…) L’incendie du gymnase est bien évidemment le sujet le plus important de ces dernières semaines. A cause de cet acte malveillant,
les surveillants et les élèves sont obligés de
rester dehors pendant leurs heures de trous,
car la salle de permanence sert maintenant
pour les cours de sport. Le foyer remplace
l’ancienne permanence, mais il est trop petit,
inadapté. Résultat : les élèves sont pénalisés,
ils ont du mal à travailler. (…)
La rédaction
Dans la nuit du samedi 5 novembre, le collège a été frappé par les émeutiers qui sévissaient. Le gymnase a été complètement
détruit. Les services de sécurité (pompiers et
police) sont intervenus rapidement et ont
empêché la propagation de l’incendie à la
cantine. Grâce au travail des professeurs
d’EPS, nous avons pu retrouver nos matériels de sport propres. Nous avons interrogé
M. Morice, professeur d’EPS et M.
Scieszyk, dont voici les réponses.
Comment avez-vous réagi en trouvant le gymnase dans cet état ?
Déjà il y a la surprise d’être réveillé en pleine nuit. J’ai ressenti un sentiment de colère et
d’inquiétude. Cet acte est stupide et impardonnable. (…)
Est-ce que les réparations vont coûter cher ?
Le collège risque-t-il de fermer ?
Non, le collège ne fermera pas. Les réparations
vont coûter cher. Elles sont prises en charge par
le conseil général (donc par les impôts locaux
payés par les habitants du département) et par
l’assurance. Rien que pour les tapis, on en a
pour vingt mille euros. (…)
Savez-vous où en est l’enquête ?
Non. Nous avons porté plainte mais la police
n’a pas encore donné de nouvelles.
Binta Ndiaye et Dounia Benzouak
▲▲▲
(…) Ma mission si vous l’acceptez, sera de vous
expliquer ce qui s’est réellement passé.
Le Périsien > N° 26 – Déc. 2005
Coll. Gabriel Péri – Aubervilliers (93)
Le Périsien ● n°26
Les violences dans notre cité en novembre 2005
Pendant cette semaine, il y a eu
des gens qui ont fait des bêtises
en brûlant des voitures, pour se
venger des gens qui les insultaient et qui disaient des méchancetés sur eux. Dans ma cité,
il y avait beaucoup de policiers
et aussi des hélicoptères qui survolaient ma ville pour arrêter les
dégâts. (…) Je pense qu’il faudrait construire beaucoup de terDans ma cité, des jeunes ont rains de jeu pour que les jeunes
brûlé des poubelles des voitures, puissent s’amuser.
ils les ont mises au milieu des Camélia
rues pour empêcher les gens de Ces derniers jours, il y a eu
passer, la salle d’une école a beaucoup de drames, des voitubrûlé. Des jeunes ont jeté des res, des bus et des bâtiments
bouteilles en feu sur la police. brûlés, des agressions, dans le
Dans la nuit, j’ai vu des hélicop- ciel des hélicoptères patrouiltères qui survolaient la cité et il laient. Tout ça, je pense parce
y avait des C.R.S. qui passaient que les jeunes n’ont pas de tratout le temps devant chez moi. vail, alors moi j’aimerais bien
Ce n’est pas bien d’avoir brûlé qu’il y ait beaucoup plus de trales écoles, car l’école c’est pour vail pour eux et pas seulement
les enfants, pour qu’ils appren- de temps en temps. Alain
nent. Et moi, j’ai eu très peur,
peut-être les gens aussi... J’ai eu Les élèves de CM2 B
peur que les jeunes brûlent mon de Romain Rolland.
bâtiment. Thi Nga
Notre journal ● n° 1
Dans notre ville, des familles
sont obligées de vivre dans des
caravanes parce qu’elles ne peuvent pas payer de loyer. Brûler
des écoles, des gymnases ou des
bus, ça gêne tout le monde il
faut que les jeunes arrêtent mais
je crois qu’ils sont énervés parce
qu’ils sont mal payés et après ils
ne trouvent pas de travail.
Maurice.
Plume d’Amour > N° 17 – Mars 2006
École Anatole France – Stains (93)
« Quinze mots pour comprendre les émeutes » Le Chemin des Écoliers - Sinceny (02)
La Mosca ● n° 8
Plume d’Amour ● n°17
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Le rapport au savoir et à la vérité
Non seulement les journaux scolaires se font l’écho de l’actualité du monde, du point de vue des générations les
plus jeunes, mais ils sont également pour eux l’occasion de se confronter à l’exigence de vérité et de preuve qui
engage leur signature par le fait même de la publication. C’est de cette responsabilité que peut naître un rapport
aux savoirs qui devrait relever davantage de « l’expertise », donc de la connaissance et de la compétence, que
du « recopiage ».
Dans l’écrit scolaire traditionnel, l’élève écrit pour le seul enseignant, qui, tenu par un contrat didactique, se
doit de lire et de produire un retour à cette production. Dans le journal, l’élève écrit pour un lecteur qui n’est
pas obligé de lire, et donc qu’il faut soigner, pas seulement en tentant de le séduire avec une jolie maquette.
Écrire dans un journal, c’est engager la crédibilité du journal et prendre la responsabilité des propos qu’on y
tient. Et c’est dans une mise en tension de la vérité, entre le doute et la recherche de preuves, que peuvent naître
de vraies compétences d’investigation, malgré, et avec, le bruit du monde. De l’enquête journalistique comme
situation didactique féconde.
1. La classe et le bruit du monde
1.1. L’école ne peut ignorer l’actualité
L’école sanctuaire, en tant que lieu d’apprentissage coupé du monde, n’existe pas. Même en
fermant portes, fenêtres et écrans, il est impossible d’y créer la sérénité monastique nécessaire
à un apprentissage soustrait à la clameur de l’actualité. Les élèves sont des citoyens en
devenir destinés à apprendre à vivre ensemble : ils sont de ce fait séculiers – dans le siècle. Le
bruit confus du cosmos, ou ses traces, voire ses grincements, est déjà dans leurs têtes quand
ils franchissent la grille de l’établissement, et reste présent quand ils ouvrent leurs manuels.
Pourtant, s’il est un sanctuaire précieux, parfois menacé, à l’école, c’est bien celui qui autorise
et organise la cohabitation de la raison et de l’émotion. Celui-ci n’est pas muré et porte
l’ambition de développer chez les jeunes générations un rapport au monde qui s’accommode
du réel présent sans s’y résigner, qui ne soit ni soumis, ni naïvement méfiant, mais éclairé par
une sensibilité humaine et une intelligence outillée par des savoirs diversifiés et actualisés.
Défendre ce « temple » suppose notamment de répondre, dans l’acte d’enseignement en
général et dans la pratique du journal scolaire en particulier, à certaines exigences qui
permettent de penser le lien entre l’école et l’actualité.
1.2. Des exigences pour l’école
1.2.1. Retrouver le sel des savoirs enseignés
Parce qu’elles supposent un rapport au savoir qui prenne en compte l’actualité, il est
intéressant de regarder ici les nouvelles pratiques d’enseignement, tels les TPE et les IDD 1,
qui ne comportent pas de programmes exhaustivement délimités, et proposent des domaines
et des thèmes possibles au sein desquels se choisit un sujet d’étude 2. Leur mise en oeuvre
« induit une mobilisation (ou une construction) fonctionnelle des connaissances et des savoirs,
1
2
Travaux personnels encadrés et Itinéraires de découverte.
Ce paragraphe est repris d’un article paru dans les Dossiers de l’Ingénierie Éducative (Chenevez, 2005e).
42
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
en vue de répondre à une question motivée, qui délimite alors localement le champ de
l’étude » 3. Par le biais de la codisciplinarité, ces dispositifs ont permis à de nombreux élèves
de comprendre que le savoir ne s’élabore qu’en réponse à une question – à une question vraie,
et pas à une fausse question confectionnée spécialement pour recevoir en réponse ce que l’on
veut que l’élève apprenne. À l’occasion d’un atelier à l’IUFM, il nous est arrivé de demander
à un groupe de futurs professeurs, de disciplines diverses, de formuler des questions pouvant
donner lieu à des recherches dans le cadre des TPE. La tentation, acquise dans leur propre
scolarité, est alors de formuler une question à réponse prévue, qui figure en général dans le
programme (« Le Commonwealth, bienfait ou méfait ? », « Comment naissent les mythes ? »,
etc.), en évitant soigneusement le gouffre épistémologique qu’est la rencontre avec l’inconnu.
En fait, les questions les plus vraies sont alors souvent les plus naïves ; c’est ainsi que, par
exemple, le site L’opéra savon 4 annonce en préambule : « Bienvenue sur notre site consacré
au savon... Il vient de l’initiative de quatre élèves de 1re, qui, dans le cadre des TPE, se sont
posé une question toute bête mais qui n’est pas pour autant évidente : Comment est-ce que le
savon lave ? »
Malheureusement, la déqualification récente de ces dispositifs retarde un peu plus encore le
nécessaire renouveau épistémologique auquel l’enseignement doit s’ouvrir. Car l’un des
grands tourments de l’école d’aujourd’hui est bien de retrouver le sens des savoirs qui y sont
enseignés. Enseigne-t-on bien ce dont la société a besoin pour des futurs citoyens à la fois
éclairés et compétents ? Les disciplines qu’il leur est proposé d’approcher et surtout le rapport
à la matière savante tel qu’il se construit chez les jeunes élèves sont-ils bien en résonance
avec les questions que pose et les besoins que suscite le monde actuel ? À quoi peut servir
d’enseigner les savoirs comme réponses aux questions du passé – en oubliant d’ailleurs
d’étudier pour quelles questions d’alors ces réponses ont été longuement élaborées et
discutées –, si l’on n’est pas capable de les actualiser, de s’en servir pour élaborer aujourd’hui
des réponses aux questions vives d’aujourd’hui 5 ? La recherche salutaire d’une nouvelle
épistémologie scolaire, qui préoccupe aujourd’hui la recherche en didactique, concerne
également la pratique du journal scolaire, qu’il convient donc de repenser en la mesurant à
cette aune.
1.2.2. Intégrer l’actualité
Même quand les savoirs de l’école s’ancrent résolument dans l’inactuel, on ne peut, sans
faillir à la mission de l’école, laisser à la porte des classes les interrogations des élèves sur le
monde – celles-là même qu’ils reçoivent principalement des médias de masse. Il importe de
leur apprendre à domestiquer leur rapport à la réalité et à ses représentations, à formuler en
questionnements ce qui surgit parfois dans la classe. Toute construction de connaissance
scolaire devrait permettre un tant soit peu d’accéder à des problématiques sociales, artistiques,
philosophiques politiques ou scientifiques qui sont celles des chercheurs et des acteurs du
monde contemporain.
3
Chevallard, 2004.
TPE en ligne sur : http://operasavon.free.fr . (En anglais, soap opera désigne les séries télévisées à l’eau de
rose, à l’origine sponsorisées par des marques de savon.)
5
À moins qu’on ne fasse sien le point de vue élitiste qu’exprimait au XIXe siècle Saint-Marc Girardin dans cette
terrible confidence : « Je ne demande pas à un honnête homme de savoir le latin : il me suffit qu’il l’ait oublié. »
4
43
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Et s’il semble reconnu qu’il ne peut s’agir, en classe, d’apporter une réponse définitive à des
questions scientifiquement et socialement vives 6, une approche de leur mise en débat est
nécessaire même si elle reste terriblement délicate du fait de leur brutal surgissement dans la
vie sociale. Et c’est consciemment que l’on évitera alors d’institutionnaliser une vérité unique
et définitive, en lui préférant la recherche d’une réponse argumentée, expérimentée,
personnelle, partielle et provisoire.
Le seul fait de recueillir des propos d’élèves sur l’actualité ne confère pas magiquement au
journal scolaire une qualité de lieu de débat effectif. En revanche, il peut en devenir un
support privilégié et sa pratique constituer comme on va le voir, une situation didactique
particulièrement fructueuse pour apprendre à questionner le réel.
1.3. Le journalisme scolaire : conditions de possibilité
1.3.1. Un certain rapport à la vérité
Derrière toute démarche journalistique, fût-elle scolaire, se pose la question de la vérité. Si la
profession journalistique aime à dire qu’il n’y a pas de recherche objective de la vérité et que,
d’un bon journaliste, on ne peut exiger que l’honnêteté, la question n’en reste pas moins posée
tant que cette honnêteté n’est pas définie. Chacun s’accorde déjà pour considérer que la bonne
foi ne constitue en aucun cas un gage suffisant de l’honnêteté du journaliste. On attend de lui
qu’il se rapproche un peu plus de la vérité, cette notion étant entendue au sens donné par
Voltaire dans son Dictionnaire philosophique (1764) : « Humainement parlant, définissons la
vérité, en attendant mieux, ce qui est énoncé tel qu’il est. » Comment le journaliste est-il
supposé y parvenir ? Pour le professionnel, la réponse comporte au moins ces deux préceptes :
1) « en vérifiant au mieux mes informations, et pas seulement en comparant les médias entre
eux, mais en multipliant les occasions de vérifier à la source, au plus près de l’événement luimême » ; 2) « en prenant en compte le fait que ma médiation donne obligatoirement une
construction personnelle des faits dont le message sera porteur ».
Cette double contrainte du rapport à la vérité peut tout aussi bien guider le journaliste scolaire.
Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de vérifier que, mis dans la situation d’écrire un
article à propos d’un fait d’actualité, surtout une actualité de proximité, des élèves de tous
âges trouvent dans ces principes un guide précieux pour écrire, à condition qu’ils leur soient
présentés au moment où ils sont nécessaires, et bien sûr avec des mots adaptés à l’âge des
élèves. Au reste, lorsqu’un journaliste professionnel, invité à guider des élèves qui produisent
un journal, prend le risque d’un « parler vrai » sur ces questions, en citant les situations
difficiles que ces principes lui font rencontrer, il aura toutes chance d’être entendu.
Cette approche du rapport à la vérité est bien différent de celui de la justification – par la
croyance – d’une doxa, d’une valeur morale ou religieuse, que l’on confond bien souvent
avec la notion de vérité. « M’dame, vous y croyez, vous, aux attentats du 11 septembre (ou
aux sept vies du chat, à Dieu, au mouvement perpétuel, au vaccin pour la grippe, aux
promesses du président de la République, etc.) ? » : autant de questions maintes fois
entendues par les enseignants, dont certains élèves attendent une réponse simple, terriblement
efficace pour détruire l’esprit critique : « Oui » ou « Non ».
6
Voir sur ce sujet la lettre d’information numéro 27 du service de veille scientifique et technologique de l’INRP
(mai 2007) : L’enseignement des « questions vives » : lien vivant, lien vital, entre école et société ? (voir
http://www.inrp.fr/vst/LettreVST/mai2007.htm).
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Pour cela, avant même la classe de terminale et le cours de philosophie, on pourra donner au
journal comme devise une citation issue du patrimoine philosophique, telles celles-ci : « Dire
la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils
se font haïr » (Blaise Pascal, Pensées, 1669, II, 100) ; « La justice et la vérité sont deux
pointes si subtiles, que nos instruments sont trop mousses [émoussés] pour y toucher
exactement » (Pascal, Pensées, 1669, II, 082) ; « On doit exiger de moi que je cherche la
vérité, mais non que je la trouve » (Diderot, Pensées philosophiques, 1746) ; « Je sais
seulement que la vérité est dans les choses et non pas dans mon esprit qui les juge » (JeanJacques Rousseau, Émile, IV, 1762).
1.3.2. Journalistes en mal de vérité
Nous examinerons ici quelques exemples, de nature différente, de situations permettant de
réfléchir avec les journalistes sur le rapport à la vérité. Le premier est simple à mettre en
œuvre, notamment pendant la semaine de la presse dans l’école : un localier peut venir
expliquer en classe les difficultés auxquelles il se heurte pour ne pas faire d’erreur sur les
détails dans sa description d’un fait divers, et comment ce qui peut paraître sans importance,
comme le numéro exact de la rue où s’est produit un cambriolage, peut devenir crucial pour
des personnes qui habitent à cet endroit, ou comment l’indication du prix d’entrée à un
concert, s’il est faux, va porter préjudice aux organisateurs et aux spectateurs. On verra que la
collecte précise de ces détails, si elle est une exigence pas toujours respectée dans les médias
professionnels, est une contrainte difficile à assumer, souvent pour des raisons de temps. S’il
se sent assez libre, le journaliste peut expliquer aussi comment la pression de ce que le public
– ou son groupe de presse – attend à propos d’une enquête peut le pousser à arranger parfois
la relation des faits tels qu’il estimerait devoir les rapporter.
Voici un deuxième exemple. L’équipe de formateurs du Clemi d’Aix-Marseille travaille
régulièrement avec un journaliste reporter de guerre, Gilles Perez, qui est parfois invité à
s’exprimer devant des élèves de collège. Lorsqu’il explique, avec gravité, que les images qu’il
donne à voir sont peut-être insoutenables mais que ce qu’il a vu, lui, l’est encore plus, le débat
qui s’ensuit est l’occasion d’une réflexion avancée, non ordinaire, et ce quel que soit l’âge des
élèves, sur le rapport à la vérité dans les médias.
Les exemples qui suivent relèvent davantage du prolongement que l’on peut donner en classe
à de telles rencontres avec des journalistes : ils ont trait à ce que des journalistes ont écrit sur
le difficile et parfois douloureux rapport à la vérité dans l’investigation journalistique.
En 1952, Jean Meckert, alors jeune journaliste, fut envoyé à Lurs (Alpes-de-Haute-Provence)
par le journal France Dimanche pour couvrir ce qui deviendra l’un des procès de fait divers
les plus retentissants de l’époque. Dans un ouvrage publié deux ans plus tard, il reprend tous
ses dossiers et entreprend d’écrire l’histoire de l’affaire Dominici. Dans cette enquête, La
tragédie de Lurs, récemment rééditée (Meckert, 2007), il décrit la manière dont les
journalistes ont été poussés, surtout du fait de la concurrence entre eux, par la nécessité de
relater une histoire fascinante pour les lecteurs, quitte à perturber le déroulement même de la
justice et à prendre des libertés avec la vérité des faits 7.
7
Voir en annexe la page sur les aveux de Gaston Dominici. Par la suite, Jean Meckert fut surtout, sous le
pseudonyme de Jean Amila, un écrivain de romans policiers, peut-être (?) à cause de la difficulté qu’il avait
éprouvée en cette affaire à rendre compte du réel.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Suivant un processus similaire, et sûrement aggravé, trente ans plus tard, Laurence Lacour,
alors correspondante de la radio Europe 1 dans l’est de la France, a passé quatre années de sa
vie journalistique, à partir de 1983, à couvrir l’assassinat de Grégory Villemin, 4 ans, dans la
vallée de la Vologne dans les Vosges. Hantée par ce qu’elle a vu, notamment par l’influence
considérable des médias dans l’instruction de l’affaire, elle décide d’arrêter son métier pour
mener une enquête approfondie, véritable investigation cette fois, qui fera l’objet d’un livre de
plus de 500 pages : Le bûcher des Innocents 8. Laurence Lacour est devenue grâce à ce travail
une référence en matière de déontologie journalistique.
On ne peut pas traiter du rapport à la vérité chez les journalistes sans évoquer le débat à
propos d’Albert Londres. « Notre métier, se plaisait à dire Londres, n’est ni de faire plaisir, ni
de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » Mais Albert Londres était-il un bon
journaliste ? Ce n’est pas l’avis de l’essayiste Jean-Pierre Tailleur (Tailleur, 2002), qui lui
reproche ses « bidonnages », ses arrangements avec les faits. Il s’en explique sur le site du
maljournalisme, où l’on peut notamment lire ceci 9.
Albert Londres était un mauvais journaliste, ou du moins, il n’avait pas les qualités professionnelles
que l’on doit attendre du reporter le plus encensé en France. Le prix le plus prestigieux de la presse
française porte son nom parce que cette profession ne se remet pas assez en cause.
J.-P. Tailleur résume alors dans les termes suivants le point de vue de Bernard Voyenne dans
son étude classique intitulée Les journalistes français. D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Que
font-ils ? (Retz, Paris, 1985).
Albert Londres est certainement celui qui personnifie le plus l’image idéale du reporter. Il n’est pas,
en dépit du prix prestigieux qui porte son nom, l’exemple à donner en tous points aux jeunes
journalistes d’aujourd’hui. D’un art fugitif entre tous, sa manière donne un échantillon, qui, de son
vivant déjà, était quelque peu obsolète.
Que l’on ne s’y trompe pas : cette mise en cause ne concerne pas les qualités de dénonciateur
des injustices du monde, voire de justicier, reconnues à Albert Londres. En revanche il lui est
reproché d’avoir pris quelques libertés avec la vérité, dans des enquêtes qui laissaient
beaucoup de place à l’imagination et à la théâtralité. Le débat est donc parfois vif autour de
ses qualités journalistiques : la polémique renvoie à la distinction de la vérité historique, qui
supporte parfois fort bien d’être exprimée à travers une fiction romanesque ou
cinématographique, et que cela permet même de rendre parfois plus aisément intelligible au
profane 10, et la vérité du comportement des individus, qui, elle, réclame, du point de vue des
protagonistes de l’action, le plus sévère réalisme servi par une extrême rigueur.
1.3.3. La valeur des témoignages : un regard historien
Dans les journaux scolaires, dans les meilleurs des cas, on utilise les témoignages dont on
gère souvent assez mal le rapport à la preuve. On valorise à juste titre ce rapport avec des
8
Lacour, 1993/2006. D’abord publié chez Plon en 1993, l’ouvrage de Laurence Lacour a été augmenté grâce à
l’accès devenu possible aux pièces de l’instruction : il a été réédité en 2006 aux éditions Les Arènes.
9
Le prix Albert Londres n’immunise pas contre le maljournalisme : voir http://maljournalisme.chezalice.fr/albert_londres_bidon.htm.
10
Situation qu’explore l’historien Marc Ferro dans son article « Le paradoxe du Potemkin » (Ferro, 1988) :
« comment est-il possible qu’une œuvre de fiction, composée pour l’essentiel de scènes imaginaires, puisse
proposer une analyse qui rend compte d’un phénomène historique en le rendant plus intelligible que tous les
travaux érudits ? » (v. http://monderusse.revues.org/document862.html).
46
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
personnes réelles mais il est intéressant de regarder ce que disent les historiens à se sujet.
Nicole Tuttiaux-Guillon, spécialiste de l’enseignement des questions vives en HistoireGéographie, s’inspire d’une question fondamentale d’Annette Wievorka (Wieviorka, 1998.
p. 180) : « Comment inciter à réfléchir, à penser, être rigoureux quand les sentiments et les
émotions envahissent la scène publique ? » L’historienne souligne que la promotion du
témoin s’inscrit dans un mouvement culturel de promotion de l’individu et de l’intimité qui se
manifeste aussi par des publications, des émissions de télévision ; elle date l’« ère du témoin »
des années 1970, quand se manifeste un engouement du public pour les récits de vie d’êtres
quelconques. À cet égard, Nicole Tutiaux-Guillon apporte ce commentaire (Tutiaux-Guillon,
2006b, p. ?).
Affirmer que seuls les acteurs peuvent parler du passé confond la vérité historique avec la véracité
du vécu, surtout si c’est un vécu de souffrance, sans que la confrontation à d’autres sources soit
nécessaire, sans recherche d’autre preuve. À la limite, une telle affirmation risque de conforter un
certain relativisme qui tient le discours historien pour un discours littéraire, en mettant l’accent sur
les formes du discours et non sur ce qui le fonde (tension vers la vérité), et donc qui tient tout
discours – témoignage ou produit de recherche – pour équivalent. Il est utile parfois de faire
expérimenter aux élèves la fragilité du témoignage. Une telle expérience prend peu de temps si elle
consiste par exemple à accomplir une action visible, voire spectaculaire, mais difficilement
interprétable et à demander quelques minutes plus tard aux élèves de la raconter ; la confrontation de
leurs témoignages les éclaire sur les différences d’interprétation et de ressenti (Cartable de Clio,
2004). L’importance de la recherche de preuves, même si l’Histoire est bien une construction
socialement située, peut et doit être éprouvée, autour d’une question du type : sur quoi fonder un
accord sur ce qui s’est (probablement) passé ? Le témoignage peut être présenté comme la vérité de
la subjectivité des acteurs.
Comme l’historien, le journaliste, et donc le journaliste scolaire, doit recueillir les propos
avec fidélité, mais aussi prendre la précaution d’en préciser soigneusement le statut. Il doit les
placer à une distance qui ne les confonde pas avec une vérité providentielle. Pas davantage
que la recopie des médias d’information, le témoignage vécu, « immédiat », ne saurait
constituer une démarche exclusive, et suffisante, dans la recherche de la vérité.
2. La dialectique des médias et des milieux
2.1. Situations didactiques et milieux adidactiques
La notion de milieu utilisée dans la théorie anthropologique du didactique (TAD), due à Yves
Chevallard, vient de la théorie des situations didactiques (TSD) élaborée par Guy Brousseau
(Brousseau, 1986). Sans entrer ici dans une théorisation complexe et subtile, nous citerons
simplement la notice consacrée par Guy Brousseau dans son Glossaire de quelques concepts
de la théorie des situations didactiques en mathématiques 11 à la notion de dévolution.
Processus par lequel l’enseignant parvient dans une situation didactique à placer l’élève comme
simple actant dans une situation a-didactique (à modèle non didactique). Il cherche par là à ce que
l’action de l’élève ne soit produite et justifiée que par les nécessités du milieu et par ses
connaissances, et non par l’interprétation des procédés didactiques du professeur. La dévolution
consiste pour l’enseignant, non seulement, à proposer à l’élève une situation qui doit susciter chez
lui une activité non convenue, mais aussi à faire en sorte qu’il se sente responsable de l’obtention du
11
Ce glossaire est en ligne sur le site personnel de Guy Brousseau : voir http://perso.orange.fr/daest/guybrousseau/textes/Glossaire_Brousseau.pdf.
47
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
résultat proposé, et qu’il accepte l’idée que la solution ne dépend que de l’exercice des
connaissances qu’il possède déjà.
Cela noté, nous présenterons le concept de dialectique des médias et des milieux, élaboré par
Yves Chevallard, en reprenant simplement un de ses textes récents (Chevallard, 2007).
Précisons tout d’abord les notions généralisées de média et de milieu.
Le mot de média désigne (…) tout système de mise en représentation d’une partie du monde naturel
ou social à l’adresse d’un certain public : le « cours » du professeur de mathématiques, un traité de
chimie, le journal d’un présentateur de télévision, un quotidien régional ou national, un site Internet,
etc., relèvent en ce sens du système des médias. Un milieu est entendu ici dans un sens voisin de
celui de milieu adidactique : on désigne en effet comme étant un milieu tout système qu’on peut
regarder comme dénué d’intention didactique dans la réponse qu’il peut apporter, de manière
explicite ou implicite, à telle question déterminée. Le système considéré se comporte alors à cet
égard comme un fragment de « nature ».
Par contraste, à propos de nombre de questions qu’on entend leur poser, les médias sont en général
mus par une certaine intention, didactique ou hypo-didactique, par exemple l’intention
« d’informer ». Bien entendu, un média peut fort bien, à propos de telle question particulière, être
regardé comme un milieu, et être utilisé comme tel.
Le « jeu » entre médias et milieux apparaît alors au cœur du problème de la vérité, abordé
dans une problématique « galiléenne ».
L’existence d’une dialectique vigoureuse (et rigoureuse) entre médias et milieux est une condition
cruciale pour qu’un processus d’étude et de recherche ne se réduise pas au recopiage acritique
d’éléments de réponse épars dans les institutions de la société. Une telle exigence est en vérité
consubstantielle à l’esprit galiléen caractéristique des sciences modernes de la nature et de la société,
dans lequel la soumission à l’autorité cède la place à une culture partagée du questionnement, de la
mise à l’épreuve par la construction de milieux idoines, déterministes ou statistiques, combinant
dispositifs matériels et immatériels (enquête, expérimentation, raisonnement, déduction). En
conséquence, l’un des grands problèmes éducatifs et citoyens de notre temps est celui de la
généralisation de la capacité (de l’élève, du professeur, du formateur, du chercheur, du citoyen, etc.)
à situer sa pensée et son action dans une dialectique des médias et des milieux adéquate à
l’évaluation de ses assertions et de ses décisions.
Pour Yves Chevallard, ces définitions sont tout à la fois des outils de description et d’analyse
de l’état actuel des sociétés et des institutions, et l’énoncé d’un programme de « civilisation »,
c’est-à-dire, selon un point de vue qui rejoint le concept freudien de Kulturarbeit, d’un
programme de travail débordant telle société particulière en vue d’en modifier les
déterminants civilisationnels les plus profonds. Nous nous limiterons dans ce qui suit à un
usage analytique et descriptif.
2.2. La dialectique des médias et des milieux dans les articles scolaires : exemples
2.2.1. Le journal Les remparts, 1931
Le journal Les remparts publié par la classe de Saint-Paul de Vence où Célestin Freinet fut
instituteur en 1928-1933 comporte cet article 12.
La chouette – Ce matin Christini a apporté une chouette que son père a blessée à une aile. Elle a
20 cm de long et 50 cm d’envergure. Elle a des yeux comme de petites amandes, jaune et noir ; son
12
Voir le chapitre 1 de ce mémoire ; et encore le passage du livre de Michel Barré que l’on trouvera à l’adresse
suivante : http://www.ecolebizu.org/amisdefreinet/publication/barre/freineteducateur/1-066-073.html.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
bec est crochu comme un bec de perroquet. Ses ongles sont crochus et pointus comme ceux de tous
les rapaces. Les plumes sont gris cendré et très soyeuses. Ses deux oreilles se dressent légèrement
au-dessus de la tête.
Nous ne savons pas exactement si c’est une chouette. Nous allons chercher dans les livres.
Le milieu adidactique est ici premier : on a la chouette sous les yeux et on l’observe. Les
mesures et les descriptions que l’on fait sont le fruit d’une expérience sur un milieu qui n’a,
lui-même, aucune intention didactique. On confronte les observations avec les savoirs
antérieurs (« … comme ceux de tous les rapaces »). Enfin si une question se pose, le recours à
un média qui fait autorité (« les livres ») viendra apporter une réponse. Ici, le média répondra
d’autant mieux que les observations seront précises. Michel Barré ajoute en commentaire à
cet article : l’oiseau « s’avèrera être un Moyen Duc », donc plutôt un hibou ; il s’agit là très
probablement du résultat de la recherche dans « les livres », résultat inscrit dans un article
postérieur comme étant la réponse finalement retenue par la classe à la question posée.
2.2.2. Des articles de 2005 sur le loup du Mercantour
Dans la revue de presse 2005 des écoles et collèges 13, une page est consacrée au « loup du
Mercantour » (voir annexes). Elle comporte cinq articles (accompagnés de dessins), dont nous
reproduisons les titres.
1. Le grand méchant loup ? Là est la question ! Article du journal Cah’Info du collège Marcel
Cachin du Blanc-Mesnil (Val d’Oise).
2. Qui êtes-vous Monsieur Lelou ? Article du journal Pistache du groupe scolaire de Bischwiller
(Bas-Rhin).
3. À pas de loup : POUR et CONTRE. Article de La cocotte déchaînée de l’école R. Marty de
Montmeyran (Drôme).
4. Poème du Loup. Jurnal Échos d’école du centre scolaire de l’hôpital Necker à Paris.
5. Le loup du Mercantour. Journal 100 titres du Collège Camille Reymond de Château-Arnoux
(Alpes-de-Haute-Provence).
Aucun de ces journaux ne vient de la région du Mercantour, et seul le dernier vient d’un
département qui abrite en partie le Parc national du Mercantour. Néanmoins, tous les articles
donnent des précisions dont aucune ne peut avoir été tirée d’une expérience directe ou d’un
reportage ou interview de personnes directement concernées. Dans l’article 1, rédigé dans la
région parisienne, on lit : « un berger peut perdre son troupeau en une seule nuit par la faute
d’un loup » ; « quatre loup sont morts fin 2004, et ce n’est pas fini (6 exécutions sont prévues
cette année) » ; « Le loup ne tue pas pour le plaisir, lui ! ». Dans l’article 2 on trouve cette
précision : « Je pèse 80 kilos. » Dans l’article 3, un dénombrement précis est donné : « En
2001 les chiens errants ont tué 20 000 moutons, alors que les loups en ont tué 1466. » Dans
l’article 4, le rédacteur se fait le porte-parole du loup : « On est celui qui s’en va en meute et
qui défend son territoire. » Il en est de même dans l’article°5 : « Ils croient que j’ai dévoré un
de leurs moutons. » Ces informations sont rédigées comme des évidences bien connues de
tous. Et si elles sont si « naturelles », c’est qu’elles ont été dites et répétées dans la plupart des
médias d’information dans la période concernée. Il n’y a donc aucun besoin de préciser
comment on sait cela, avec quelle certitude, ni d’émettre un doute, ni de vérifier, puisqu’on
trouvera des milliers de sources médiatiques pour répéter la même chose. Il devient même
possible, dès lors, d’écrire à la première personne en se mettant dans la peau du loup.
13
Voir le chapitre 1.
49
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Se demander s’il existe un élément qui pourrait servir de preuve à ce qui est affirmé, c’est
rechercher si une dialectique médias/milieux, même minimale, a été mise en œuvre. Le seul
« milieu » qui apparaît dans ces articles est celui de l’argument d’autorité apporté par
l’article 1, qui prend Rabelais à témoin pour affirmer que « le loup ne les tue pas tous [les
moutons], beaucoup meurent parce qu’ils sautent dans un précipice par crainte de l’animal ».
Ici la source fait partie du patrimoine littéraire (Les moutons de Panurge), elle vaut donc
d’être citée, et elle fait indubitablement autorité : Rabelais, lui, savait sûrement d’expérience
ce qu’il affirme ! Pour le reste des affirmations (les six exécutions de loups prévues cette
année, par exemple), on compte implicitement sur le fait que tout le monde le sait puisque
tous les médias le disent. À moins, et c’est d’ailleurs peut-être le cas pour cet article, qu’il
n’ait été écrit à la suite d’un patient travail d’enquête dont le texte publié ne donne au lecteur
que la réponse personnelle des auteurs à la question de départ, celle du titre : Le grand
méchant loup ? Là est la question ! Comme on le voit dans ces exemples, la profusion
médiatique a pour effet de rendre paresseuse la mise en œuvre d’une dialectique des médias et
des milieux. Si elle existe quelquefois, elle n’est pas explicitée à l’intention du lecteur, et est
sûrement rarement pratiquée par les rédacteurs de ces journaux scolaires d’une façon
« vigoureuse ».
2.2.3. Se doter de milieux acceptables
Faute d’un accès facile à des milieux indubitablement adidactiques vis-à-vis des questions
qu’on leur pose, on peut tenter de valider des savoirs par la confrontation de médias, qui
deviennent éventuellement, par leur diversité, un milieu acceptable d’expérimentation. Si le
quotidien La Provence est un média et (sauf exception) rien que cela, le large panel de presse
que reçoivent les établissements pendant la Semaine de la presse constitue parfois un milieu
permettant de mettre à l’épreuve un certain rapport à l’information. Le pluralisme, souvent
présenté comme une nécessité de l’éducation aux médias, se justifie alors d’être la garantie de
voir les médias constituer un « milieu » un peu meilleur.
Cependant, le processus de répétition des médias dits d’information entre eux doit inciter à
examiner aussi les sources les moins chargées d’intermédiaires, celles qui ont une meilleure
proximité avec les véritables milieux. C’est que l’Internet permet souvent de faire. Au lieu par
exemple de ne comparer que les commentaires que font les médias à propos d’un rapport
officiel, on peut aller chercher le rapport lui-même pour observer comment ont été réalisés les
commentaires des médias.
2.3. Le lectorat comme milieu d’expérimentation
Un journal d’élèves est un média où les élèves écrivent et commentent ce qu’ils pensent
savoir, ce qu’ils découvrent, ce qu’ils recopient et retranscrivent, en général à partir d’autres
médias.
Il peut être intéressant aussi de considérer un journal d’élèves comme une expérience mise en
place pour tester des propos sur des lecteurs, dont il est attendu qu’ils réagissent sans intention
didactique, donc comme un milieu adidactique. Le savoir émergera pour ces élèves des
réactions de ces lecteurs. Publier, c’est se constituer un milieu – les lecteurs imaginés comme
dénués d’intentions didactiques – pour le faire parler et en tirer ainsi une connaissance.
Lorsque, par exemple, Étienne Chouard, professeur en lycée à Marseille, publie sur son site
Web un texte d’argumentation pour le non au Traité établissant une Constitution pour
l’Europe, il cherche à expérimenter ses propos dans le monde des internautes – qui devient
50
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
son milieu d’expérimentation : il attend un retour, il confronte, vérifie, corrige. Sa position
personnelle première est en revanche reçue comme l’expression d’un média par de nombreux
groupes humains connectés, et rediffusée comme telle.
De semblable façon, lorsque Daniel M., élève au lycée Marseilleveyre de Marseille, signe
dans Mars Info un long article de quatre pages pour décrire plutôt favorablement le Traité, il
ne fait pas autre chose que de tester ce qu’il sait sur un public le plus large possible au travers
du journal. Il ne le dit pas, bien sûr, mais ce texte n’a de sens pour lui que pour le retour qu’il
en attend.
Les élèves qui voient « tuer le cochon » chez eux ou « tailler les arbres » dans le village
apprennent par observation d’un milieu ; ceux qui regardent le tsunami à la télévision
apprennent par réception d’un média. À force de ne recevoir que des connaissances
médiatisées (et, au sens proposé, le cours dispensé par le professeur est un média sauf quand il
permet aux élèves d’expérimenter sur le réel), il devient nécessaire de se créer des milieux. Le
lectorat de proximité en est un.
En regardant l’acte de publication comme une expérimentation sur un milieu (que cet acte
constitue comme tel), on peut avancer à titre de conjecture que ce qui est testé dans un article
de journal scolaire, c’est un certain rapport à la vérité, saisi à travers la réception par un
certain groupe humain des propos diffusés, entendus comme portant une question sur le
monde.
2.4. Le don du journal et la nécessité du contre-don
Que se passe-t-il pourtant si le milieu ne répond pas ? Quand on écrit pour un lecteur qui n’est
pas obligé de lire, on lui fait un don, on attend qu’il le reçoive et qu’il fasse un contre-don 14.
Toute la force de la prise de risque de l’acte de publier est liée à la liberté du lecteur de
recevoir ou pas et d’organiser son contre-don comme il l’entend. Classiquement, dans
l’institution scolaire, le don est obligatoire, la transaction est convenue : l’élève remet ses
travaux au professeur et celui-ci apporte un contre-don sous la forme d’une note et d’un
commentaire (annotations, etc.). Dans le cas du journal scolaire, qui correspond à un effort
important de don, la réception fait parfois défaut. Le risque de ce manque est alors la rupture
avec le destinataire.
Un exemple éclairera ce point. Au lycée Dominique Villars de Gap, un groupe d’élèves édite
Le Torchon, journal à la fois humoristique et traitant de sujets sérieux (engagement associatif,
compte rendu de FSE, etc.). Déçue par le peu d’intérêt suscité par le journal auprès des élèves,
une rédactrice nous a déclaré : « De toutes manières, ils ne comprennent rien ! » Des modes
de réception très divers peuvent cependant s’avérer des contre-dons « efficaces ». Si le regard
approbateur des adultes est souvent bienvenu, les commentaires critiques, ou même la mise en
cause explicite des propos, dès lors qu’elle est légitime et expliquée, constitue une réception
porteuse d’un intérêt certain. Le pire qui puisse arriver à un journal scolaire est de ne pas être
lu.
Dans le lectorat dont on attend qu’il réagisse sans intention didactique, il existe un « lectorat
captif » – parents, professeurs, proviseur, mais aussi copains –, famille élective dont la
réponse est primordiale. Si l’élève ne reçoit aucune réponse, aucun commentaire, aucune
14
Au sens de Marcel Mauss dans son classique Essai sur le don (Mauss, 1923-1924) : pour ce texte, voir
http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/2_essai_sur_le_don/essai_sur_le_don.pdf.
51
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
critique, aucune mise en cause, il sera dans la même situation qu’un biologiste dont le milieu
d’expérimentation ne « répond » pas. Il restera avec ses questions qu’il aura pourtant fait
l’effort de mettre en forme afin qu’elles soient « audibles » par le milieu d’expérimentation.
3. Du recopiage à l’« excription »
3.1. Les recopiés d’Internet
Pour préparer la revue de presse des journaux scolaires de 2006, nous avons été amenés à
vérifier l’authenticité des signatures des articles des élèves, au moins par rapport à ce qui est
disponible en ligne. En effet bien peu de journaux scolaires ont inscrit dans leur code
déontologique l’obligation de fournir des articles originaux et il est fréquent de retrouver
publiés des propos venus d’horizons divers, au hasard d’une requête sur tel ou tel moteur de
recherche et simplement recopiés, parfois ne varietur. Nous avons passé au crible de Google
tous les articles qui, à première vue, pouvaient ne pas avoir été écrits par les élèves qui les ont
signés. La technique est simple : sélectionner une partie de phrase sur laquelle on a des
doutes, et la proposer, encadrée de guillemets, dans la fenêtre de recherche. Le résultat fut
surprenant, puisque plus d’une tentative sur deux s’est montrée fructueuse, nous donnant
facilement le site d’où avait été recopié l’article ou le morceau d’article. Ce sont surtout des
articles classés en rubrique « culture » qui sont concernés : les critiques ou les notices de
livres, de vidéos, de jeux, de musique, de films pullulent sur Internet. Pour les enfants, ces
textes disent tellement bien ce qu’ils pensent qu’il leur suffit de se les approprier, avec
toujours cette idée tenace que ce qui est sur Internet est à tout le monde. Ainsi la phrase cidessous n’avait que peu de chance d’avoir été écrite par un élève de collège qui la signait
pourtant de son nom. Le moteur fut impitoyable, ce texte avait été rédigé pour un site
promotionnel (il en a été retiré depuis).
Ma-gni-fi-que ! On ne peut rien dire d’autre. Superbe, tragique, prenant et très intense. Même après
avoir lu le livre sous toutes ses coutures on est cramponné à son siège en se demandant si Harry va
s’en sortir. Ralph Fiennes (Voldemort) est incroyablement machiavélique et terrifiant, une
interprétation de premier ordre ! Cette scène s’impose comme la plus réussie des quatre premiers
films. (Extrait d’un article finalement non retenu pour la revue de presse 2006.)
Nous avons, à chaque découverte de plagiat, informé le responsable du journal, parfois très
étonné de le découvrir, ou au contraire n’y voyant pas de problème, « tant que c’est pour le
journal et pas pour un devoir scolaire ». C’est dire le peu de crédit accordé parfois à ces
productions par ceux-là mêmes qui les promeuvent !
Parfois le journal, sans plagiat cette fois mais avec une visée qui s’apparente à la revue de
presse, est organisé entièrement autour de la recopie ou la réécriture de textes découverts sur
Internet. En 2007, dans l’académie d’Aix-Marseille, le journal X… 15 envoie le 3e opus de
l’année comme élément de participation au concours annuel de journaux scolaires. Ce numéro
est de jolie facture, tout en couleurs et plaisant à feuilleter. Sur les 32 pages du journal de
format A5, seules 3 pages – les pages 24-26, qui contiennent une interview d’un auteur de
romans pour adolescents – ont été rédigées à partir d’autre chose que des œuvres
documentaires, pour la plupart en ligne sur des sites Internet divers. Toutes les autres pages
relèvent d’un travail de récollection, éventuellement de légère réécriture, et de mise en page
des textes et images récoltés. Certes, on n’oublie pas de citer ses sources pour les photos et
15
Volontairement anonymé.
52
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
l’on voit ainsi de nombreuses adresses URL remplacer les légendes. Les textes, eux, relèvent
également du recopiage, mais sont signés par les élèves sans indication de source dans la
plupart des cas. Dans la fiche de présentation du journal, rédigée par la documentaliste, il est
précisé que les élèves « ont fait preuve d’une grande autonomie ».
Comme c’est l’usage, l’équipe du Clemi de l’académie d’Aix-Marseille envoie un petit
commentaire d’encouragement et de conseil à tous les journaux qui ne sont pas lauréats. Voici
le commentaire adressé fin avril au journal X…
Malgré l’évident enthousiasme des élèves et la diversité des rubriques, votre journal n’a pas été
retenu par les membres du jury car il apparaît que les articles sont, pour beaucoup, des
« copiés/collés » d’Internet. L’écriture d’articles ainsi que les illustrations devraient être des
productions des élèves. Bonne continuation pour la suite, nous attendons le numéro 3 ! [Signé : Le
Clemi]
Le 18 mai, nous recevions une lettre manuscrite, visiblement d’une écriture jeune, portant au
dos le tampon du principal du collège et sa signature précédée de la mention « Lu et
approuvé »
Nous attendions avec impatience le résultat du concours organisé par le Clemi, mais votre réponse
nous a déçu. La rédaction d’X… a été très peiné que vous ayez cette image négative de notre journal
car nous passons beaucoup de temps à la réécriture des informations trouvées sur Internet ou dans
des revues. Quant à l’utilisation des images trouvées sur Internet, nous respectons le droit d’auteur
en citant toujours nos sources. Cependant nous sommes obligés d’utiliser ces photographies car nous
n’avons pas la chance d’approcher les célébrités, de voir certains paysages, ou d’observer la faune et
la flore dans leur élément naturel. Nous vous adressons donc le numéro 3 d’X… en espérant que
vous ne restiez pas sur une image négative de notre journal. Cordialement. [Signé La rédaction avec
7 signatures d’élèves].
L’approbation du principal signifie que ce chef d’établissement considère comme un effort
louable le fait de mener cette réalisation jusqu’au bout et qu’il convient donc d’encourager les
élèves, ce que nous considérons bien sûr comme tout à fait légitime. Mais pourquoi s’interdire
à ce point de considérer la pratique du journal comme une situation didactique à part entière ?
Il semble en ce cas que, pour valoriser le travail des élèves, il soit nécessaire de leur laisser
croire que : 1) « citer la source » est suffisant pour respecter le droit d’auteur ; 2) « passer
beaucoup de temps à réécrire des informations » trouvées ici ou là, sans plus savoir où, est
une activité journalistique, ou au moins une activité suffisante pour un journalisme scolaire ;
3) hors des célébrités des magazines, des photos d’ours blancs ou de chênes venus de nulle
part, il n’y a rien à observer par soi-même dans l’environnement de l’établissement.
Cette situation n’est pas unique. Elle est révélatrice du peu de cas que l’on semble faire
aujourd’hui des journaux scolaires, dont on n’attend parfois rien d’autre que de permettre aux
élèves de montrer qu’ils sont capables de persévérance pour mener à terme un projet, voire un
« joli » projet, même si celui-ci est presque vide de sens. Cette ambiguïté, au reste, nous paraît
entretenue par la nouvelle « note de vie scolaire » instituée en 2006 dans les collèges et prise
en compte pour le Diplôme National du Brevet. Cette note, précise une circulaire
ministérielle 16, « contribue, en donnant des repères aux élèves, à faire le lien entre la
scolarité, la vie scolaire et la vie sociale ». Le rédacteur ajoute : « Elle est destinée à valoriser
les attitudes positives vis-à-vis de l’école et vis-à-vis d’autrui. » Certes on peut voir en cela
une occasion de légitimation pour les élèves dont la contribution volontaire à un journal sera
16
Circulaire no 2006-105 du 23-6-2006, parue au BO no 26 du 29 juin 2006.
53
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
reconnue comme « participation de l’élève à la vie de l’établissement ou aux activités
organisées ou reconnues par l’établissement ». Mais il faudra veiller à ce que ces « activités »
ne soient plus dénuées de sens encore que les disciplines scolaires auxquelles elles sont
censées données des raisons d’être.
3.2. La prise de conscience du rapport aux savoirs
3.2.1. D’où vient ce que je sais et que je diffuse ?
Dans leurs propos publiés, les élèves du XXIe siècle font en permanence référence à des
savoirs, des informations, des données multiples dont ils ne savent plus l’origine. Le bain
médiatique ambiant transparaît fortement, souvent sous forme d’assertions, comme s’il
s’agissait de savoirs supposés connus et partagés par tous, de savoirs « naturalisés ».
L’enseignant prend rarement le temps de rechercher avec eux l’origine de leurs affirmations :
comment, quand et où as-tu appris cela ?
Moyennant un tel effort, on verrait en effet que la télévision, Internet, ou la famille, sont, plus
souvent que l’école, l’institution de transmission de l’information dont l’élève fait usage. Et
cette information n’aura généralement pas eu le temps de se construire en véritable savoir,
questionné, mis en débat, argumenté. Or la responsabilité créée par l’acte de publier pourrait
en constituer l’occasion exceptionnelle 17.
3.2.2. Vers une pratique salutaire de réécriture
Nous donnons dans ce qui suit des extraits d’articles sur l’actualité issus de la revue de presse
2006 des journaux scolaires, dont les affirmations semblent venir directement des médias.
Chacun d’entre eux est suivi d’un commentaire proposant une direction possible de réécriture,
ce qui passe d’abord par un travail d’excription – travail inverse de l’inscription, c’est-à-dire
travail d’explicitation de l’information 18 –, et donc par la production, à partir des
informations écrites recueillies, de questions visant à mettre à l’épreuve ces informations.
Notre planète va mal et ce n’est pas peu dire. En effet, le climat se réchauffe, ce fait est désormais
admis par toute la communauté scientifique. Ce réchauffement est dû à l’utilisation à outrance des
énergies fossiles telle que le pétrole (...), le charbon, le gaz... Ces dernières dégagent des gaz à effet
de serre qui nuisent gravement à l’environnement. Les prévisions pour le siècle à venir
s’échelonnent entre une hausse de 1 à 6 ºC.
[…] Dans les siècles à venir, le réchauffement de la planète pourrait déplacer plus de 100 millions de
personnes. En particulier en Bretagne, le climat pourrait être radicalement changé par une déviation
du Gulf Stream due à la fonte des calottes polaires.
(L., lycée du Finistère)
À l’instar des adultes du monde moderne, les élèves font parfois usage de données censées
rapporter des résultats de recherche. Mais ils ne savent plus d’où ils les tiennent, et n’ont, en
général, aucune idée de la manière dont elles ont été produites. On procède alors par
assertions péremptoires, n’offrant au lecteur que la possibilité de « croire sur parole », le
chiffre nu faisant office d’argument. Pour fonder la confiance de son lecteur, le lycéen auteur
de cet article pourrait être invité à revenir sur quelques sources et à expliciter quelques
éléments du débat à l’origine des affirmations retenues.
17
18
Toute cette partie de notre exposé emprunte librement à Chenevez, 2007.
Sur la notion d’excription, voir Chevallard, 2004.
54
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Interview auprès d’élèves du collège X :
Que penses-tu de la grippe aviaire ?
Je pense que cette maladie arrivera bientôt en France. R., élève de 6e
Je pense que cette grippe touche surtout les agriculteurs. F., 5e
Je pense qu’il faut que l’État mette plus de vaccins à disposition. M., 5e
Je lui réponds : II n’existe pas de vaccins pour cette maladie. En revanche il existe des antibiotiques
qui ne sont pas toujours efficaces.
Je pense que c’est comme la vache folle, elle va bientôt disparaître. C., 3e
CONCLUSION : Espérons que les scientifiques arriveront vite à trouver un vaccin !
(JC, 5e collège des Bouches-du-Rhône)
À partir de quel savoir ces élèves s’autorisent-ils à affirmer ce qu’ils pensent ? Un petit travail
pour situer l’origine des propos qu’ils s’attribuent comme leur propre pensée s’avère là
indispensable.
Le Chicoungougna est un virus transmis par un moustique à la Réunion. Seule la femelle moustique
peut piquer. Chicoungougna veut dire en swahili « marcher courbé » dans la langue de la Réunion.
En effet, c’est ce que font les malades à cause de leurs douleurs aux articulations. Ils ont aussi de
fortes fièvres et des plaques sur la peau. (J. et C., école primaire).
Les élèves pourraient être amenés à prendre conscience qu’ils sont en train de diffuser un
mélange d’informations recueillies dans des médias qui eux-mêmes le tiennent d’autres
sources médiatiques, et dont la restitution dans l’article mériterait certaines vérifications. Il
conviendrait de se poser des questions comme : Le chikungugna sévit-il exclusivement à la
Réunion ? Le mot est-il bien swahili ? Le swahili est-il bien la langue (ou une langue) de la
Réunion ? Comment se fait-il que l’on utilise ce mot (originaire de Tanzanie) pour désigner la
maladie ? De telles vérifications sont d’ailleurs assez faciles à amorcer sur Internet.
La grippe aviaire qui vous donne la chair de poule serait un danger pour nous tous ! Le moindre
oiseau mort, c’est la panique générale. (…) Et à qui la faute ? On accuse les Asiatiques mais en eston sûr ? Mais alors, d’où vient donc ce fichu virus ? (A., collège).
On rencontre ici les traces de la posture de doute, celle que l’on attend du futur citoyen. Mais
une recherche documentaire simple, sur la source asiatique de la maladie, permettrait
cependant l’élaboration de quelques éléments de réponse, même contradictoires ou
conjecturaux, à ces questions.
À la télé, nous avons vu beaucoup de voitures, de maisons, de cars brûler. Les gens qui n’ont plus de
voitures ne peuvent plus aller travailler. Il y en a plusieurs qui pleuraient. Ils n’avaient plus d’argent
pour en acheter une autre.
Il y a même eu plusieurs écoles abîmées et les enfants ne vont pas avoir classe pendant plusieurs
jours.
Nous avons aussi vu des gens jeter des pierres sur les pompiers qui éteignaient les feux et se battre
contre les gendarmes. (…) (Moyenne et grande section de maternelle de l’Oise).
Dès la maternelle, les enfants s’expriment sur des événements d’actualité dont ils n’ont
aucune expérience réelle directe, mais qui leur ont procuré, via la télévision, une expérience
émotionnelle forte. Et ils publient leurs réactions sous forme de dictée à l’adulte. Il s’agit
certes ici pour l’enseignant de recueillir l’émotion, mais aussi de souligner que ce qu’on a vu
à la télévision, on ne l’a pas vu dans la réalité. C’est peut-être l’occasion de commencer à
comprendre que le journal télévisé donne une certaine représentation, construite, de la réalité,
en réunissant des images captées à des endroits et à des moments divers.
55
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Dans ma cité, des jeunes ont brûlé des poubelles, des voitures, ils les ont mises au milieu des rues
pour empêcher les gens de passer, la salle d’une école a brûlé. Des jeunes ont jeté des bouteilles en
feu sur la police. Dans la nuit, j’ai vu des hélicoptères qui survolaient la cité et il y avait des C.R.S.
qui passaient tout le temps devant chez moi. Ce n’est pas bien d’avoir brûlé les écoles, car l’école
c’est pour les enfants, pour qu’ils apprennent. Et moi, j’ai eu très peur, peut-être les gens aussi... J’ai
eu peur que les jeunes brûlent mon bâtiment. (T. N., CM2 de Seine-saint-Denis).
L’élève évoque ce qu’il a vécu directement, ce qu’il sait par expérience, peut-être rehaussé de
commentaires entendus dans le quartier, dans la famille, dans les médias, ou à l’école. Lui
permettre de rédiger cet article, de le publier, de recueillir des réactions, d’en débattre, peut
l’aider à faire le tri entre ce qu’il a vu et les interprétations qu’il a construites avec des
éléments extérieurs.
[À propos des incidents de Clichy-sous-Bois]
Ma mission, si vous l’acceptez, sera de vous expliquer ce qui s’est réellement passé.
[…] Les adolescents partirent en courant et nous racontèrent que pendant qu’ils couraient, les
gendarmes les poursuivaient. Eux, les gendarmes, nous avouèrent qu’ils ne les poursuivaient pas.
Au bout d’un certain temps, cinq d’entre eux (des adolescents) rentrèrent dans une sorte de décharge
ou de parc abandonné. Deux d’entre eux se cachèrent pendant leur course et les trois autres passèrent
de l’autre côté d’un mur où se trouvait une sorte de petite centrale électrique et se cachèrent alors
dans un transformateur. Ils reçurent une décharge électrique de vingt mille volts. Seul un des
adolescents survécut. Alors si vous vous faites poursuivre par des gendarmes, ne vous planquez pas
dans un transformateur électrique ! (V.D., collège du Var)
Ici la confusion s’installe dans le rapport à l’information. Cet élève d’un collège du sud de la
France créé, sans doute involontairement, la confusion entre ce qu’il a vu à la télévision et ce
qu’il a vécu directement : on pourrait presque croire qu’il a lui-même recueilli les
témoignages des adolescents et des gendarmes. Il conviendrait de vérifier qu’il ne le croit pas
lui-même.
4. Pratique de l’enquête journalistique
4.1. Compétences rédactionnelles
La rédaction d’un article de presse diffère de l’écrit scolaire traditionnel par son destinataire –
un lecteur qui n’est pas obligé de lire mais dont on souhaite qu’il lise –, mais aussi par son
genre. Ce terme désigne à la fois la manière de recueillir les informations, la façon de les
rédiger et l’éventuelle position que prend l’auteur vis-à-vis de ces informations. On a vu que
le commentaire, au sens réduit de commentaire des propos des médias, était l’un des genres
préférés des journaux scolaires d’aujourd’hui ; mais le compte-rendu, chronologique, y est
également fréquent notamment pour relater sorties et voyages scolaires. Si on laisse de côté le
plagiat (qui, bien sûr, n’est pas un genre), on trouve aussi parfois des interviews. Mais rares
sont les journaux scolaires où l’on invite les élèves à utiliser toute la palette des genres. La
brève, l’éditorial, le billet, le portrait, la chronique, le reportage, la critique, et bien sûr
l’enquête, genre journalistique par excellence qui réunit tous les autres, sont souvent
ignorés 19. Pourtant connaître et respecter les règles de l’écriture d’un billet ou d’un reportage
est une discipline qui permet un positionnement par rapport à la notion de vérité. Ainsi le
reportage est-il soumis à des règles que nous avons pu résumer dans les termes suivants 20.
19
20
Voir Chenevez & Famery, 2005.
Chenevez & Famery, 2005, p. 56
56
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Il s’agit de rapporter des informations collectées au plus près de l’événement dans le temps comme
dans l’espace. Le reporter doit s’imprégner au maximum d’un sujet : il est dans l’événement, faisant
jouer tous ses sens perceptifs. Son mode d’écriture sera donc très descriptif, utilisant un vocabulaire
coloré qui donne à voir, à entendre au lecteur, qui doit avoir l’impression d’y être.
La notion d’« angle », cruciale pour le journaliste, est également essentielle au développement
des compétences d’écriture liées à la pratique de l’enquête, dès l’âge scolaire. Comparons à ce
sujet la définition qu’en donne un lexique professionnel destiné aux journalistes de la presse
quotidienne régionale 21 avec la transposition qui en est faite dans l’ouvrage cité ici, destiné
aux élèves du secondaire 22.
ANGLE (angle d’attaque) — Point de vue à partir duquel le rédacteur se place pour traiter une
information ou tout au moins pour l’« attaquer ». Par exemple : un article sur une cantine scolaire
peut être traité sous l’angle de l’alimentation (mais plus précisément selon l’actualité : qualité des
repas, variété, diététique ; choix des menus ; fournisseurs, contrôles sanitaires, …), ou bien sous
l’angle des écoliers-consommateurs (leurs points de vue), ou celui des conditions matérielles
(l’aménagement des lieux, insonorisation, mobilier, …), ou encore sous l’angle économique (coût
aux familles, prix de revient, gestion, personnel, …) ; l’angle des conditions de travail, etc. Ces
divers angles constituent autant de hors-textes possibles ou d’autres sujets d’articles à traiter
ultérieurement, selon son propre programme rédactionnel.
Choisir un angle : le secret du papier réussi – Pour que votre sujet bénéficie au mieux du genre
dans lequel vous voulez le traiter, ne cherchez pas à aborder tout d’emblée. Il serait prudent, pour ne
pas écraser le lecteur, de savoir par où entrer. C’est ce que l’on appelle choisir un angle.
« Le ramassage scolaire » peut parfaitement faire l’objet d’une enquête. Mais si vous ne trouvez pas
un angle qui concentre l’intérêt, vous risquez de vous contenter d’une fiche descriptive sur les
conditions de fonctionnement des cars scolaires. Ce qui est fort utile, mais un peu insuffisant pour
une véritable enquête.
Lorsque Le Petit Reporter titre : « La galère des bus », on sent que l’angle est plus pointu. À partir
d’un événement récent – une élève est envoyée en retenue à cause d’un retard de bus –, l’enquête va
recueillir des témoignages d’élèves et d’un chauffeur de car, mettre au jour les mauvais
fonctionnements de ces transports... et proposer des solutions.
De même si vous souhaitez écrire un billet d’humeur sur « la pollution », vous risquez de rester dans
le vague ! Pourquoi ne pas aborder la question par les mutations des truites aux abords de l’usine
chimique voisine, pour élargir ensuite au problème planétaire ?
C’est l’angle que vous choisirez qui fera toute l’originalité de votre article. Et dans un dossier sur un
thème, vous choisirez des angles différents pour chaque article.
Même si elle est délicate pour un journaliste professionnel, la notion d’angle, proposée aux
élèves au moment où ils en ont besoin, leur est très précieuse pour entreprendre un véritable
travail sur le réel, même très simple.
4.2. Compétences critiques
Il est intéressant de regarder comment l’Institut d’études politiques (IEP) de Rennes
rapproche la notion d’angle avec celle de « la problématique du chercheur » en proposant de
développer les « compétences analytiques » des étudiants du master Journalisme dans
l’espace public : « L’angle du journaliste et la problématique du chercheur, lit-on en effet sur
la notice de présentation de ce master 23, sont convoqués et développés de façon conjointe
21
Voir http://www.cinqsurcinq.net/liens.htm.
Chenevez & Famery, 2005, p. ?.
23
Voir http://www.rennes.iep.fr/tudes/masters/journalisme-dans-espace-public/journalisme-dans-espace-publicnouveau-master-ouverture-septembre-2006-274.html.
22
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Chapitre 2
dans la formation avec l’objectif d’expliquer l’émergence de problèmes publics, d’interpréter
des données, de contextualiser un évènement, de donner de la signification aux faits sociaux. »
N’est-ce pas également ce qu’on entend développer chez les élèves lorsque l’on parle de
compétences critiques ? Les compétences attendues du journaliste d’investigation
professionnel ne sont-elles pas précisément celles qu’on attend des élèves sans les leur avoir
jamais enseignées ? Il manquerait, pour le vérifier, une réelle explicitation dans les textes
officiels de ces fameuses compétences critiques, indispensables dès lors qu’élèves et
enseignants sont amenés à publier en ligne des articles, textes, photos, vidéos et travaux
divers réalisés par des élèves. La prise en compte par l’école de ce nouveau paradigme est
tangible dans le récent « socle commun de connaissances et de compétences », où il est
indiqué que la bonne « maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la
communication » requiert des attitudes énoncées ainsi 24.
Le développement du goût pour la recherche et les échanges d’informations à des fins éducatives,
culturelles, sociales, professionnelles doit s’accompagner d’une attitude responsable – domaine
également développé dans la définition du B2i – c’est-à-dire :– une attitude critique et réfléchie visà-vis de l’information disponible ;
– une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs.
En revanche, il n’est pas dit comment il convient de provoquer ces attitudes chez les élèves.
L’institution scolaire devra encore accomplir un travail d’explicitation, notamment pour
préciser ce que suppose, en termes de savoirs, l’adoption d’une attitude critique et réfléchie.
« Soyez critiques ! » est en effet l’injonction quasi magique la plus communément utilisée
pour obtenir des élèves ce qui est loin d’être un simple comportement. Or il est vain d’espérer
que la méthode ait quelque efficacité, d’abord parce que l’injonction est paradoxale : il est
impossible d’obéir sans plus de façon à l’ordre « sois critique ! » sans cesser de l’être ; ensuite
parce que l’acquisition de cette attitude est le résultat de longs apprentissages et de patientes
réflexions solidement guidées.
Dans son livre Éducation aux médias et fonction critique, Jacques Piette (1996) a cherché à
préciser les choses, à cet égard, au travers des attendus de différents programmes d’éducation
aux médias dans le monde. Sa méthode consiste à analyser les objectifs de ces programmes à
l’aide d’une typologie des « habiletés critiques » obtenue par une synthèse adaptée des
typologies établies par différents auteurs 25. Il établit ainsi la grille suivante, dont il développe
chaque item.
Les trois catégories des habiletés cognitives
• Habiletés liées à la capacité de clarification des informations
– Poser des questions, concevoir et juger des définitions ;
– distinguer les différents arguments d’une argumentation, d’un problème, d’une situation ou d’une
tâche ;
– identifier les problèmes importants et clarifier les enjeux.
• Habiletés liées à la capacité de porter un jugement sur la fiabilité des informations
– Juger de la crédibilité des sources ;
– juger de la crédibilité des informations ;
– identifier les présupposés implicites ;
– juger le la validité logique d’une information.
24
25
Voir http://www.education.gouv.fr/bo/2006/29/MENE0601554D.htm.
Ennis & Norris, 1989, p.14 ; Beyer, 1988, p. 57 ; Paul, 1990, p. 307-308 ; Lipman, 1985, p. 88-96.
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Chapitre 2
• Habiletés liées à la capacité d’évaluation de ces informations
– Tirer des conclusions appropriées, faire des généralisations, inférer, formuler des hypothèses ;
– générer ou reformuler de manière personnelle une argumentation, un problème, une situation ou
une tâche.
Dans son étude des programmes d’éducation aux médias, il utilise également une grille
portant sur les stratégies pédagogiques et une autre sur les habiletés métacognitives
nécessaires à la pensée critique. Nous retiendrons plus particulièrement la typologie de Barry
Beyer 26, qui se prête facilement à la comparaison avec le travail d’investigation – il semble
en effet qu’on ait là une liste de compétences nécessaires à la réalisation d’un travail
d’enquête 27.
Critical Thinking Skills
1. Distinguishing between verifiable facts and value claims.
2. Distinguishing between relevant and irrelevant information, claims, and reasons.
3. Determining factual accuracy of a statement.
4. Determining credibility of a source.
5. Identifying ambiguous claims or arguments
6. Identifying unstated assumptions
7. Detecting bias.
8. Identifying logical fallacies
9. Recognizing logical inconsistencies in a line of reasoning
10. Determining the strength of an argument or claim.
Habiletés de la pensée critique
1. Distinguer les faits vérifiables et des affirmations fondées sur des jugements de valeur.
2. Distinguer des informations des prétentions ou des raisons qui sont pertinentes de celles qui ne le
sont pas.
3. Déterminer la valeur factuelle d’une affirmation.
4. Déterminer la crédibilité d’une source.
5. Identifier les prétentions ou les arguments ambigus.
6. Identifier les présupposés implicites.
7. Détecter les biais.
8. Identifier les erreurs de raisonnement logique.
9. Reconnaître les inconsistances logiques dans un raisonnement.
10. Déterminer la solidité d’une prétention ou d’un argument.
4.3. Compétences d’investigation
Pour les journalistes professionnels, les notions de grand reportage, d’enquête et de
journalisme d’investigation sont mal distinguées et utilisées souvent dans des acceptions
différentes quoique voisines. On retiendra ici que, notamment pour Philippe Gaillard (1992,
p. 76-78), le grand reporter est une catégorie professionnelle, le grand reportage un genre
journalistique un peu plus large que l’enquête (un grand reportage couvre une série
d’enquêtes dans une zone géographique par exemple), l’enquête définit le genre et
26
Beyer, 1987. {Practical strategies for the teaching of thinking. Boston MA: Allyn and Bacon, Inc.} Voir par
exemple http://pubs.aged.tamu.edu/conferences/SRAERC2001/pdf/e2.pdf.
27
La traduction en français reproduite ci-après est reprise de Piette, 1996, p. 123.
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Chapitre 2
l’investigation la méthode. Écoutons par exemple ce qu’en dit Mark Hunter, qui, à l’Institut
Français de Presse (Université de Paris II), enseigne le journalisme d’investigation 28.
… l’investigation est une méthode, non un talent. On travaille toujours implicitement ou
explicitement sur une hypothèse, c’est ça la méthode. Le reste du travail est du raffinement.
L’objectif de mes cours est que les étudiants sortent du Master avec cette méthode et une attitude :
les sources journalistiques ne sont pas supérieures, c’est-à-dire qu’il ne faut pas être intimidé par ses
sources, ne pas hésiter à aller jusqu’au bout.
[Un « bon » journaliste d’investigation doit] être un peu obstiné, revendiquer ses droits et donc bien
les connaître, avoir du courage, être organisé, avoir le « sens de l’outrage », ce qui signifie être
capable d’être choqué, de s’émouvoir. Enfin, oser être stupide, ne pas hésiter à poser des questions
simples.
Dans un « Que sais-je ? » intitulé Le journalisme d’investigation, Mark Hunter retient les
enquêtes d’Albert Londres comme l’exemple des « faiblesses du grand reportage » (Hunter,
1997, p. 69) – un témoignage n’est que « la vérité de la subjectivité du témoin », ce n’est pas
un milieu dénué d’intention – et apporte à ce propos le commentaire suivant.
Néanmoins, une telle grandeur de vision [celle qui consiste à chercher à épingler l’institution
pénitentiaire tout entière à partir de récits généralisants] peut servir à masquer une incapacité à
prouver des faits essentiels. Même dans un chef-d’œuvre comme Au bagne, il n’y a presque pas de
faits qui ne dérivent de l’observation personnelle du reporter ou des témoignages de ses
informateurs. Ce sont des sources nécessaires et valides d’information, mais un reporter qui n’utilise
que ces sources introduit inévitablement des exagérations et des erreurs dans son récit, tout
simplement parce que l’être humain n’est que rarement capable de se raconter sans introduire des
éléments imaginaires ou erronés dans ce qu’il raconte.
Hunter, spécialiste en France de l’investigation, est d’origine américaine : la tradition de
l’investigation est plus anglo-saxonne que française, comme le précise Pierre Albert (2004,
p. 50-51).
Le journalisme français a toujours été plus un journalisme d’expression qu’un journalisme
d’observation : il accorde la préférence à la chronique et au commentaire sur le compte-rendu et le
reportage. Autant qu’à la présentation des faits, il s’est toujours intéressé à l’exposé des idées ;
autant qu’à l’analyse des situations, il s’est attaché à la critique des intentions et à la prévision des
conséquences. Par là il est fondamentalement différent du journalisme factuel anglo-saxon, selon
lequel la nouvelle doit être nettement séparée de son commentaire, comme du journalisme
analytique, quasi pédagogique, allemand, plus préoccupé de traiter des sujets que de décrire des
faits.
Dans la notice « journaliste » de son Dictionnaire des médias, Francis Balle (1998, p. 134) est
plus précis quant aux compétences nécessaires : on retrouve alors des qualités
professionnelles voisines des habiletés de la pensée critique.
Le journaliste doit sa légitimité et son crédit, quand il exerce son métier dans un journal
indépendant, à la distance qu’il réussit à garder vis-à-vis de ses sources et de tous ceux en général
qui s’efforcent de la manipuler, d’exercer sur lui toutes sortes de pressions. « Historien de l’instant »,
selon la formule d’Albert Camus, ce droit d’enquête du journaliste a pour contrepartie notamment le
devoir de rigueur.
28
Voir http://www.u-paris2.fr/ifp/formation/dess/journalisme/markhunter.htm. L’expression de « sens de
l’outrage » employée par Hunter est, ici, un anglicisme : outrage y désigne vraisemblablement “a feeling of
righteous anger”, un sentiment de colère moralement justifiée.
60
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
On peut tenter de saisir également la manière dont se définit le journalisme d’investigation à
travers la vie de Jacques Derogy (1925-1997), que l’on regarde parfois comme le véritable
initiateur du journalisme d’investigation en France 29. Lors de sa disparition, un de ses
confrères, Jacques Coubard, lui rendra cet hommage 30.
Jacques Derogy, pionnier du journalisme d’investigation, écrivain, […] fut, pour tous ceux qui l’ont
connu sur le terrain, une sorte de premier de cordée, allant toujours sur les pentes escarpées de la
recherche de la vérité, avec une obstination, un calme qui le distinguait dans la profession. Il
s’inquiétait récemment de voir les journalistes se livrer « à une course abominable » alors que
« l’investigation est précisément le contraire de la vitesse ».
Sans doute ne demandera-t-on pas à des élèves de 5e d’enquêter sur l’affaire Cleastream !
Mais pourquoi ne pas enquêter dans sa ville ou son village sur la réalité des violences
urbaines ou du chômage, le fonctionnement d’une écluse, l’organisation et le décompte des
voix dans une opération électorale, l’état des arbres plantés, les chiffres réels de la pollution,
les mesures prises pour diminuer les incendies de forêt ou le niveau des nappes phréatiques ?
Il existe dans l’environnement de chacun quantité de sujets à propos desquels se posent de
vraies questions et dont les véritables sources sont souvent accessibles. Pour le didacticien, la
collecte des faits au plus près de leur source est le moyen de se fabriquer les milieux
nécessaires pour « situer sa pensée et son action dans une dialectique des médias et des
milieux adéquate à l’évaluation de ses assertions et de ses décisions ».
5. Construire une enquête avec les médias.
5.1. le parcours d’étude et de recherche
La notion de parcours d’étude et de recherche (PER) a été introduit par Yves Chevallard 31
comme un concept permettant de penser un certain type de fonctionnement épistémologique
et didactique de dispositifs multiples introduits dans le cadre des études scolaires (ou
universitaires) depuis quelques décennies et donc les TPE (en classe de première) ou les IDD
sont (ou pourraient être) les exemples les mieux connus. Plus généralement, la notion de PER
s’offre, dans des travaux récents de didactique, comme une voie de rénovation du rapport à la
connaissance et aux savoirs que l’école engendre chez les futurs citoyens.
Formellement, un PER a pour point de départ une question Q qui se pose et qu’une
communauté d’étude X – un élève, une classe, une équipe d’élèves, etc. – décide d’étudier.
Cette décision crée un système didactique notée traditionnellement S(X, Y, Q), où Y désigne
l’ensemble des directeurs d’étude et plus largement de ceux qui encadrent officiellement le
PER et le guident : ce sera le professeur dans la classe, les professeurs « encadrant » une
équipe d’élèves lors d’un TPE, etc. Il se peut que l’on ait Y = ∅ (pour employer les notations
mathématiques usitées par l’auteur mentionné) ; on parlera alors de système autodidactique.
La décision d’étudier la question Q crée le système didactique S(X, Y, Q) en même temps
qu’elle le lance en un parcours non écrit à l’avance, afin que soit construite par lui une
réponse notée R♥ (lire « r cœur ») à la question Q, réponse satisfaisant à certaines conditions
29
Jacques Derogy a décrit sa manière de travailler dans un livre cosigné avec Jean-Marie Pontaut, Investigation,
passion (Derogy & Pontaut, 1993).
30
L’Humanité, 1er novembre 1997 : voir http://www.humanite.fr/popup_imprimer.html?id_article=790774.
31
Voir par exemple Chevallard, 2004, p. 8.
61
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
et contraintes propres à X, et qui sera en principe « au cœur » de l’activité de X par la suite,
chaque fois du moins que son activité requerra une réponse appropriée à la question Q. (Bien
entendu, l’étude de Q pourra être reprise ultérieurement, s’il appert un jour que R♥ a cessé
d’être une réponse adéquate aux besoins de connaissance de X.) Cela noté, tout parcours
d’étude et de recherche en lequel peut se déployer l’activité de X à propos de la question Q
est, d’une manière générale, formalisé de la façon suivante.
(S(X, Y ; Q) ► R◊1, R◊2, …, R◊n, On+1, …, Om) ► R♥.
Ce schéma formel doit se comprendre ainsi : pour produire une réponse R♥ (a priori
inconnue), le système didactique « arraisonne » une série R◊1, R◊2, …, R◊n, de réponses « toutes
faites » R◊ (lire « r poinçon »), réponses « estampillées » en certaines institutions au moins,
c’est-à-dire reconnues en leur sein comme des réponses « canoniques », en même temps qu’il
se rend disponible (par l’étude) des œuvres-outils On+1, …, Om qui sont ainsi introduites dans
l’espace de travail du système. Le signe ► peut se lire « produit » en des sens contrastés du
terme : le système didactique S(X, Y ; Q) « produit » d’abord les réponses R◊i et les œuvres Oj
en les faisant paraître, toujours plus ou moins transposées, dans son espace de travail ; et il
produit R♥ en la « construisant », à partir de matériaux pris aux R◊i et d’outils empruntés aux
Oj.
C’est par rapport à ce schéma que nous situerons ci-après notre propos, en le rapportant plus
spécifiquement circonscrivant à la pratique plus ou moins développée du « journalisme
scolaire ».
5.2. Le PER dans le journal scolaire
Les journaux d’élèves peuvent paraître dérisoires à ceux qui les découvrent. Il leur est fait
reproche d’être conformistes, convenus, peu originaux. La chose met mal à l’aise les
pédagogues, qui questionnent alors de « l’intérêt de la démarche »… Mais quel peut être le
sens d’une telle « démarche » ? N’y retrouve-t-on pas parfois, même maladroitement la
logique d’un parcours d’étude et de recherche : partir d’une vraie question, souvent cruciale,
construire une réponse personnelle, partielle et provisoire, en explorant les réponses
disponibles dans la culture ?
Voici de cela un exemple. Aurélie S. est élève de terminale ES au lycée Esclangon de
Manosque. En 2005 elle réalise un dossier sur l’homosexualité dans le journal Regarde le
Monde : elle introduit son travail par la relation d’un fait divers datant de 1998, qui a coûté la
vie à un jeune homme battu à mort pour son homosexualité. Elle ne fait pas œuvre originale
dans les arguments et les notions qu’elle développe : le fait divers est ancien, et elle recopie,
en les reconstruisant, beaucoup d’informations, fort bien organisées d’ailleurs. Si l’on regarde
le journal comme un simple média, les informations sont banales, déjà vues dans notre monde
surinformé. Or ce qui l’affaire d’Aurélie, c’est une vraie question, non formulée (ou du moins
non formulée ainsi), qu’elle pose à la société : pourquoi, aujourd’hui encore, voit-on
l’homosexualité provoquer aversions et crimes ?
Cette question, Aurélie la formule en organisant son dossier : la présence même de ce dossier
témoigne de l’existence de la question. Or cette question vive – et cruciale – de l’actualité n’a
pas de réponse scolairement construite, estampillée, inscrite dans un manuel. Sous son allure
de recopiage conforme, le dossier d’Aurélie est un cri qui demande à être entendu. Les
éléments de réponse sont à chercher partout, dans l’histoire, la philosophie, les sciences
humaines et sociales, le droit, la psychologie, la psychanalyse, la biologie humaine, la
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
génétique, et ce dossier en constitue un début de réponse, puisé dans les savoirs disponibles. Il
n’est donc pas un prétexte, mais une tentative de contribution à la problématisation du monde
d’aujourd’hui.
Si l’institution scolaire sait lire et recevoir de telles questions, elle retrouvera peut-être le sens
des savoirs qu’elle enseigne et y trouvera l’occasion de réfléchir aux moyens permettant aux
élèves de construire des réponses à leurs questions. Dès lors, il devient possible de définir une
forme de transposition didactique de l’enquête d’investigation journalistique : à cette
construction didactique, qui devient alors (ou peut devenir) un « savoir à enseigner », nous
donnerons ici le nom d’enquête-PER.
5.3. L’enquête-PER ou la recherche de réponse à une vraie question
5.3.1. La question des ressources
Imaginons qu’un élève, sensibilisé par ce qu’il entend dans les médias, déclare vouloir faire
un article sur les fast-food. Il pourra commencer par élaborer une question qu’il se pose
vraiment, par exemple : la nourriture des fast-food est-elle dangereuse pour la santé ? Viendra
ensuite la nécessité de rassembler les ressources qui lui permettront de construire sa réponse
partielle, personnelle et provisoire à la question.
Le mot de ressource est à entendre ici au-delà du sens documentaire généralement admis,
ainsi d’ailleurs que le font les dictionnaires de la langue française. Le Littré le définit par
exemple ainsi : « Ce qu’on emploie pour se tirer d’un embarras, pour vaincre des difficultés. »
Le Trésor de la Langue Française, semblablement, propose cette définition : « Moyen
permettant de se tirer d’embarras ou d’améliorer une situation difficile. » Mais on s’attardera
ici sur la formulation détaillée qu’en offre le RFC 2396 32 parce qu’il embrasse l’immense
diversité de ce dont on peut avoir besoin pour se tirer d’embarras devant une question
problématique.
RFC 2396 (1998) A resource can be anything that has identity. Familiar examples include an
electronic document, an image, a service (e.g., “today’s weather report for Los Angeles”), and a
collection of other resources. Not all resources are network “retrievable”; e.g., human beings,
corporations, and bound books in a library can also be considered resources.
Une ressource peut être toute chose qui possède une identité. Des exemples familiers incluent un
document électronique, une image, un service (par exemple « le bulletin météo d’aujourd’hui pour
Los Angeles »), ou un ensemble d’autres ressources. Certaines ressources ne peuvent pas être
« ramenées par le réseau » (network retrievable), par exemple les êtres humains, les entreprises, les
livres d’une bibliothèque peuvent être aussi considérés comme des ressources (traduction de
Wikipédia).
Dans l’exemple de départ, seront ainsi considérés comme des ressources des éléments aussi
divers que l’interview d’un employé de chez McDonald’s – le « MacDo » des adolescents
français 33 –, une étude de l’OMS ou un échange dans un forum sur Internet. Aucune de ces
32
Les requests for comment (RFC, littéralement demandes de commentaires) sont une série de documents et de
normes concernant Internet, dont l’élaboration et la publication ont commencé dès 1969. Peu de RFC sont des
standards, mais tous les standards de l’Internet sont enregistrés en tant que RFC. Tous les RFC sont enregistrés
par l’IETF (Internet Engineering Task Force) à l’adresse http://www.ietf.org/rfc.html. Le RFC 2396 est
aujourd’hui remplacé par le RFC 3986 qui constitue la norme d’Internet concernant les URI (Uniform Ressource
Identifier), dont les URL (UR Locator : l’adresse web) et l’URN (UR Name : le nom) sont les applications.
33
Voir par exemple http://fr.wikipedia.org/wiki/McDonald's.
63
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
ressources ne peut être considérée comme la réponse à la question étudiée, mais comme une
réponse R◊ que l’on regarde comme issue de l’institution qui la propose ou l’avoue, et qu’il
faudra mettre en tension avec d’autres réponses afin de développer sa réponse propre.
5.3.2. Tensions dialectiques en jeu
La présence et l’indispensable diversité de ces ressources contraignent cependant à la mise en
jeu de plusieurs tensions dialectiques.
La première dialectique lie fiabilité et pertinence. Une ressource peut être fiable dans ses
contenus, mais d’un usage non nécessairement pertinent par rapport à un contexte donné. Une
autre sera très pertinente parce qu’en rapport direct avec une question précise, mais sa
fiabilité devra être analysée de près parce qu’elle a été délivrée par un « auteur » à propos
duquel on dispose de peu d’éléments de crédibilité.
Il s’agit, pour faire vivre cette dialectique, d’élargir la notion de ressource au-delà des outils
tout prêts, « didactisés », pour l’usage scolaire. Si l’absence de critères de fiabilité sur des
sources pertinentes conduit à l’obscurité cognitive, la fréquentation exclusive de l’information
réputée fiable conduit très certainement à la fabrication d’esprits crédules et à la pratique du
recopiage, sous toutes ses formes. Comment apprendre à évaluer un document si l’on n’a
accès qu’à des ressources regardées implicitement comme parfaites ? Voudrait-on enseigner
comme s’il existait réellement des contenus définitivement fiables, comme si l’on pouvait
trouver le média parfait, celui qui dit définitivement la vérité ! Il importe au contraire que les
élèves apprennent à utiliser aussi des ressources non vérifiées, non validées d’avance par la
doxa scolaire, à dose mesurée certes, adaptée à leur capacité de jugement, et dont la critique
fine et argumentée leur donnera l’occasion d’une production qui ne procède pas du recopiage.
Une seconde dialectique met en tension protection et éducation. La méfiance scolaire quant à
la fiabilité des ressources trouvées sur Internet trouve sa raison d’être dans le souci légitime
de protection de l’élève, non seulement contre des contenus choquants, mais aussi contre des
contenus erronés. Mais lui offre-t-on une véritable éducation en lui présentant exclusivement
des dispositifs d’étude dans lesquels il n’aura qu’un accès filtré à son intention, « pour son
bien », à des savoirs auxquels nous lui demandons de croire parce que le métier d’élève se
réduirait à faire confiance aux professeurs ?
Que sont donc les bonnes ressources ? On aurait tort de s’en tenir à celles qui sont
« didactisées », toutes prêtes à être apprises, et qui permettent à l’élève de deviner la réponse
qui est dans la tête du professeur quand celui-ci pose une question. Car il y a également toutes
celles qui sont disponibles dans la culture et aujourd’hui souvent accessibles sur Internet,
ressources que l’on peut y observer pour les analyser et les évaluer afin d’élaborer une
réponse personnelle, partielle et provisoire à une vraie question que l’on se pose sur le monde.
C’est en réalité des unes et des autres que l’enseignant peut tirer profit, à la seule condition
quelles soient pertinentes dans le processus d’étude, et exploitables par les élèves en fonction
de leur âge.
5.3.3. Il n’est pas de mauvaises ressources…
Parmi les facteurs qui rendent crédible un auteur ou une source, l’utilisateur privilégie en
général l’expertise qu’il lui prête, expertise qu’il évalue en fonction de la capacité de cet
auteur à être en contact avec les « milieux » où s’éprouve le savoir. Plus généralement, pour
64
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
faire jouer au mieux les deux dialectiques envisagées ici, on leur associera avec grand
bénéfice la dialectique des médias et des milieux.
Examinons sur l’exemple de la restauration rapide comment cette dialectique fondamentale
s’applique à des ressources diversifiées. Quelles sont les bonnes ressources pour construire
une réponse à la question « La nourriture des fast-food est-elle dangereuse pour la santé ? » ?
Le site de McDonald’s propose une rubrique « Mangez équilibré » (où l’on peut télécharger
divers « guides d’information sur la nutrition »), qui apporte une réponse à la question
étudiée. Mais ce site est-il une « ressource » fiable ? L’école est censée le récuser d’office
pour manque d’indépendance vis-à-vis du problème en cause. Certes, la ressource n’est pas
valable si l’on ne fait que recopier les contenus en les prenant pour la réponse unique et
exclusive à la question de départ. Mais si l’on confronte le message de ce média à des milieux
appropriés, si l’on en analyse le discours en le comparant aux discours d’autres sources, en
rapprochant les recommandations de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) avec la
composition des menus proposés par la marque, on aura bien vite matière à construire quelque
chose comme un savoir à éprouver.
Dans ce but, on pourra de même retenir les contributions d’internautes sur un fil de discussion
à propos des fast-food. On lit ainsi sur le site Hardware.fr l’échange suivant 34.
1 – De gorobei : « Moi et ma copine (ex aujourd’hui) chez Mc Do : 2Royal+nuggets+2grandes
frite+1McFleury+1 sunday caramel+1bière et toi chérie tu prends quoi ? Et 2h après j’avais les
crocs!… »
2 – De palos_de_la_frontera : « Je reviens de 3 mois à Madrid. J’y ai découvert le Burger King.
Grace à un carnet de réduction, pour 5€ on pouvait se caler un menu Géant c’est à dir 2 sandwich,
Coca 1L et frites. / Et le premier mois avec un pote on est vraiment devenu dépendant. Chaque midi
on se disait “on y va pas” et finalement on craquait et à la fin du menu on le regrettait ! Le résultat
c’est simple : +7kg en 3 semaines !... »
Il s’agit d’une ressource probablement utile dans le cadre de l’élaboration d’une réponse à la
question de départ, même si elle n’est pas conforme à la culture scolaire patentée, à la
condition d’en faire un élément d’un corpus que l’on va analyser. On pourra décider
également de retenir – pour les étudier – les conseils prodigués par la rubrique « Goûts &
culture » du site Doctissimo 35. Sous l’intitulé Accro au Mac Do ?, on lit ceci.
La restauration rapide peut-elle agir comme une drogue ? Alors, devez-vous essayer de décrocher ?
Tous des rats… Selon des chercheurs américains, les repas riches en calories pourraient agir comme
des drogues. Pour arriver à cette conclusion, ils ont étudié le comportement de rats. Ils leur ont
donné des rations plus riches en sucre (+ 25 % ), puis ils ont retiré cet excédent. Ils ont alors constaté
que les rats montraient tous les symptômes du manque : tremblements, claquement de dents… Selon
les chercheurs, ces rongeurs présentaient un syndrome de sevrage identique à celui qui existe pour la
nicotine ou de la morphine.
34
Voir http://forum.hardware.fr/hfr/Discussions/Sante/fast-food-dependance-sujet_57875_1.htm. Le site
HardWare.fr se présente comme « le plus ancien et le plus visité des sites français consacré au matériel
informatique » (http://www.hardware.fr/html/a_propos/).
35
Voir http://www.doctissimo.fr/html/nutrition/mag_2003/mag0221/nu_6497_accro_macdo.htm. Le site
Doctissimo se présente ainsi (http://www.doctissimo.fr/qui_sommes_nous.htm) : « Doctissimo est une filiale de
Medcost, société de services spécialisée dans le secteur santé. Lancé en mai 2000, Doctissimo est le premier
portail dédié à la santé et au bien-être. Afin de diversifier les contenus et élargir son audience autour d’une
thématique famille et loisirs, le groupe a procédé en 2004 au rachat de Momes.net, Ados.fr et en 2006 au rachat
de Fluctuat.net. »
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
Bien entendu, de telles affirmations resteront à vérifier, en recherchant (sur Internet ou
ailleurs) d’abord si les chercheurs qui auraient produit ces résultats sont identifiables.
On voit que ce qui va donner à l’élève une « expertise » sur la question, ce n’est pas la seule
ressource didactisée, mais bien le corpus des ressources qui, par son caractère même de
corpus, devient terrain expérimental, quasiment dénué d’intention à l’endroit de l’utilisateur.
Ce sont ces éléments bruts, analysés, évalués, comparés qui vont permettre la construction
d’une réponse : dès lors qu’on les situe au sein d’un corpus assez vaste et divers, les conseils
nutritionnels de McDonad’s, eux-mêmes très didactisés, perdent leur fonction de média censé
apporter une vérité toute faite pour constituer un élément du milieu expérimental disponible.
Bien entendu, à ces réponses de la culture médiatique, on pourra ajouter celles obtenues par la
rencontre avec des personnes concernées par la question: interview d’un médecin
nutritionniste, d’un employé de restauration rapide ; témoignages d’habitués de ces lieux ou
de ceux qui les ont en horreur ; sondage dans la classe, ou dans plusieurs classes, sur les
habitudes de fréquentation de ces restaurants par les élèves ou les professeurs ; etc.
5.3.4. Consulter aussi les œuvres faisant autorité
Pour mettre en débat ces réponses, bien d’autres ressources, regardées comme autant
d’œuvres, devront (ou pourront) être mobilisées, qu’elles aient été collectées au plus près
d’experts supposés (ceux qui ont un accès direct à des milieux appropriés), ou qu’on leur
reconnaisse une haute crédibilité institutionnelle ou une valeur expérimentale lorsque l’on
aura pu soi-même constituer un milieu adéquat à une expérimentation pertinente.
La réalisation, par soi-même, avec l’aide d’un enseignant, d’une analyse biologique de l’un
des composants d’un hamburger (pour en mesurer le taux de lipides par exemple) appartient à
cette dernière catégorie. Mais on pourra aussi se prévaloir du rapport de l’OMS initutlé
Obésité : prévention et prise en charge de l’épidémie mondiale et daté de 2003. Dans une
section intitulée Produits de restauration rapide ce rapport apporte la précision suivante 36.
On manque de preuves directes attestant qu’une consommation accrue de produits de restauration
rapide entraîne un surpoids et une obésité. Cependant, tout le monde estime que c’est le cas et que
l’obésité a progressé dans les sociétés industrialisées à partir du moment où les familles se sont
détournées des repas préparés à domicile et ont consommé davantage d’aliments de restauration
rapide ou à emporter.
Bien d’autres ressources peuvent être exploitées. Le cédérom L’alimentation : entre
complexité et paradoxe 37 comporte ainsi des animations et des exercices interactifs et aborde
la thématique de l’alimentation selon des facteurs (écologiques, sociaux, économiques...) liés
au développement durable. Le film américain Super Size Me (de Morgan Spurlock), ou au
moins à la notice de Wikipédia qui lui est consacrée 38, sont de nature à nourrir une réflexion
qui pourra prendre en compte, de même, les arguments de l’INPES (Institut National Pour
36
Voir http://whqlibdoc.who.int/trs/WHO_TRS_894_fre.pdf (WHO est l’acronyme de “World Health
Organization”). Le rapport 2002 de l’OMS contient également des résultats utilisables pour cette recherche. On y
lit par exemple ceci : “Low intake of fruit and vegetables is estimated to cause about 31% of ischaemic heart
disease, 11% of stroke worldwide and 19% of gastrointestinal cancer. Overall, 2.7 million deaths are attributable
to low fruit and vegetable intake.”
37
STRASS Productions / Éditions UNESCO, Paris, 2005.
38
Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Super_Size_Me.
66
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
l’Éducation à la Santé), dont le site affirme notamment ceci39 : « Le fast-food n’est pas une
source de problèmes en soi, si on n’en abuse pas et si, comme dans tout lieu de restauration,
on utilise au mieux les possibilités qui y sont offertes. » Suivent des recommandations pour
bien choisir ses aliments, sans danger pour la santé, réunies en un guide intitulé Je mange
souvent au fast-food. Le site de l’Institut Danone offre pour sa part, sous la plume du Dr
France Bellisle (INRA, Hôtel-Dieu, Paris), une analyse du phénomène de satiété où on lit 40 :
« Il n’existe aucune preuve non plus que les aliments de type “fast food” pervertissent le goût
des enfants et les empêchent de s’intéresser aux saveurs plus “subtiles” des aliments
courants. » Le guide Thémadoc du CNDP intitulé Principe de base de la nutrition 41,
bénéficie d’un coefficient élevé de fiabilité scolaire et permettra les comparaisons entre les
apports d’un menu fast-food et les besoins journaliers. Le site d’informations médicales
Medisite.fr propose des conseils pour une alimentation équilibrée des adolescents, et un guide
des nutriments 42.
Le bref inventaire précédent apporte des exemples de ressources possibles, mais l’une ou
l’autre d’entre elles peut suffire à des élèves jeunes ou peu habitués à la gestion et à l’analyse
de documents. Ce n’est pas tant, en effet, le nombre de documents qui importe que le soin
qu’on apportera à les questionner. Un travail sera en effet nécessaire sur chacune des
ressources que l’on aura retenue afin d’en interroger les éléments les plus pertinents. Ce
travail devra notamment s’accompagner d’une analyse de la source et du degré
d’indépendance des propos au regard des intérêts directs ou indirects de l’institution qui les
diffuse.
5.3.5. Construire et défendre sa réponse R♥
Même si l’on n’en retient que deux, une fois sélectionnées et évaluées de ces diverses
ressources permettra à l’élève de présenter une réponse sans doute partielle et provisoire, mais
une R cœur, personnelle, et cela sous la forme d’un article ou d’un ensemble d’articles
constituant l’enquête-PER. La démarche, complète, ne l’aura pas mis en danger au regard des
informations peu fiables qu’il aura côtoyées, et il aura acquis, au contraire, une expertise
quant à la question de départ. On voit ici que cette démarche peut rejoindre celle des TPE
(travaux personnels encadrés), dispositif aujourd’hui réservé à la classe de première et faisant
l’objet d’une évaluation pour le baccalauréat. La pratiquer en amont à l’occasion de l’écriture
d’articles pour le journal scolaire ne saurait être que bénéfique.
6. Pour conclure
Il existe un parallèle entre le journalisme professionnel et le journalisme scolaire au regard du
rapport au réel et à la vérité. Le journalisme traditionnel à la française a toujours été plus attiré
par la chronique et le commentaire que par le travail sur les faits, généralement regardé
comme emblématique du journalisme « à l’anglo-saxonne ». Il en est de même pour le
journalisme scolaire d’aujourd’hui. La tentation du journaliste professionnel est de s’en
remettre trop facilement aux sources institutionnelles, gouvernementales, administratives,
39
Voir http://www.mangerbouger.fr/public/adultes/adultes_manger/manger_portraits/manger_portraits_intro.php?id=7.
Voir http://www.institutdanone.org/comprendre/publications/objectif_nutrition/066/tribune.php.
41
Voir http://www.cndp.fr/Themadoc/besoins/accueil.htm.
42
Voir http://www.medisite.fr/medisite/-Alimentation,276-.html. Ce site indique que les informations qu’il
délivre « ont été validées par [son] comité rédactionnel composé de médecins, pharmaciens et biologistes » et
qu’il s’interdit « toute forme de consultation médicale personnalisée à distance ». Sa consultation est
recommandée par le site du CNDP (v. http://www.cndp.fr/svt/dvdsante/tenir_forme1.htm#journee).
40
67
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2
alors même qu’il revendique un nouveau journalisme d’investigation. La tentation du
journalisme scolaire est de s’en remettre aux médias, alors même que le système scolaire se
propose de faire acquérir un esprit critique aux élèves.
Une transposition de la méthode de l’investigation pour mener des enquêtes-PER à publier
dans un journal scolaire peut engendrer des situations didactiques bénéfiques à la formation
d’un citoyen éclairé capable d’entretenir avec les savoirs des rapports de curiosité, de doute et
de questionnement.
Annexes (2 pages)
A 1. Le loup du Mercantour dans la revue de presse 2005.
A.2. Extrait de Jean Meckert, La Tragédie de Lurs.
68
Loup
p
De l’actualité ● Revue de presse des journaux scolaires ● Volume 1
du Mercantour
9
Aux frontières du réel et de l’imaginaire, la guerre de territoire qui se joue depuis toujours entre le loup et l’homme fait polémique.
Qui êtes-vous, monsieur Lelou ?
Le loup est un animal sauvage qui fait peur et que
nous, les Hommes, nous connaissons très mal. Nous
avons donc décidé de questionner monsieur Lelou
pour qu’il se présente (lui et les siens).
1– De quel «ordre animal » êtes-vous ?
Je suis un mammifère carnivore. Je mange de la
viande.
2-.Quel nom les scientifiques vous donnent-ils ?
Le nom que les scientifiques me donnent est Canis
Lupus
3- Combien d’espèces de loups existe-t-il ?
Il existe plus de 30 espèces de loups dans le
monde. Les loups les plus connus sont les loups
gris, les loups roux et les loups blancs.
4- Est-ce que vous appartenez à la famille du chien ?
J’appartiens à la famille des chiens. Nous sommes
des canidés.
5- Où habitez-vous ?
Je vis dans les forêts, les montagnes et les toundras d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord.
6- Quelle taille avez-vous ?
Je peux atteindre la taille de 1 mètre et 60 cm.
7- Quel poids pouvez-vous atteindre ?
Je pèse 80 kilogrammes.
8- Combien d’années pouvez-vous vivre ?
Je peux vivre 12 ans.
Les élèves du CM2 (salle12)
(...) L’homme préhistorique et le loup étaient rivaux,
car ils chassaient les mêmes proies. Est-ce encore le
cas ? Certainement non !
Un berger peut perdre son troupeau en une seule nuit
par la faute d’un loup. Néanmoins, le loup ne les tue
pas tous, beaucoup meurent parce qu’ils sautent dans
un précipice par crainte de l’animal. Rabelais l’a raconté dans son histoire de Panurge* (Le Quart Livre suite
des aventures de Gargantua et Pantagruel).
Le loup est protégé en France depuis 1992 par la
Convention de Berne. Il permet la biodiversité car il se
nourrit des animaux les plus isolés et les plus faibles.
C’est auusi un animal superbe) Serge Lepeltier, notre
ministre de l’Écologie actuel affirme que «le loup est
un enrichissement de la nature en France» (...).
Pourquoi alors, a-t-il autorisé «en cas de dernier
recours» l’exécution de 4 de nos loups?
Cette exécution a eu lieu après une battue de plusieurs
jours. Quatre loups sont morts fin 2004, et ce n’est pas
fini... ( 6 exécutions sont prévues cette année).
Nous, nous pensons que l’homme et le loup sont restés
longtemps rivaux et que le loup est un coupable parfait? Alors que le loup essaye juste de survivre, il ne tue
pas pour la plaisir, lui!!! Et vous qu’en pensez-vous ?
Jeslyna Hardel et Vincent Denis
Pistache > N°154 - Groupe scolaire - Bischwiller (67)
* Les moutons de panurge: c’est un héros de l’écrivain Rabelais,
compagnon de Pantagruel. Il jette dans la mer un mouton qu’il a
acheté. Les autres moutons suivent le premier et se noient.
Plus d'articles
Cach’info > N°1 - mars 2005
Collège Marcel Cachin - Le Blanc-Mesnil (93)
www.clemi.org
➤
À PAS DE LOUP
POUR
Les associations de protection de la nature et
du patrimoine manifestent leur colère contre
l’abattage des deux loups
● Mais le loup lui, est protégé.
● Le loup ne se soucie pas des frontières, il est
venu « clandestinement» d’Italie.
● En 2001, les chiens errants ont tué 20 000
moutons alors que les loups en ont tué 1466.
● Sans loup, la nature n’est plus en équilibre,
car trop de cerfs mangeraient les jeunes arbres.
Il n’y aurait plus de forêt.
● Il ne reste plus que 10 000 loups en Europe
et 40 en France.
Marcia, Cindy, Nathan, Guillaume
●
Le Loupiot > N°5 - Dec. 2004 - École de Loupian (34)
>
CONTRE
Aimeriez-vous être envahis par les rats ? Les
bergers eux ne veulent pas voir les troupeaux
de brebis mangés par les loups.
● S’il n’y a plus de moutons qui mangera les
broussailles ?
● S’il y a trop de broussailles, il est difficile
de se promener en forêt et il y a des risques
d’incendies.
● Si le loup revient, les bergers devront
surveiller tout le temps leurs troupeaux.
Et cela coûte plus cher.
Iliana Sarah, Axel Mégane
●
La cocotte déchaînée > N°0 - Fév. 2005
École R. Marty - Montmeyran (26)
Poème du loup
D’après « Les animaux de Tout le Monde »
de Jacques Roubaud
Quand on est loup on n’est pas chien
On ne joue pas à la balle
En aboyant
On chasse les caribous
(quand on est loup, on est loup)
Quand on est loup on n’est pas chien
On ne lèche pas les gens
Parce qu’on est content
On ne mange pas dans une gamelle
(quand on est loup, on n’est pas chien)
On passe l’hiver dans la neige
A poursuivre ses proies
Au printemps on prépare la tanière
Pour réchauffer les louveteaux
On est celui qui s’en va en meute
Et qui défend son territoire
(quand on est loup, on est loup)
Échos d’école ● n°11
Le super journal ● n°2
Mickaël G, 5ème, Service de neuro-métabolisme
Échos d’école > N°11 - Mai 2005 - Centre
scolaire de l’Hôpital Necker - Paris (75)
Le loup du Mercantour
(...) En ce moment je traverse le parc du
Mercantour. Mais, à mon avis, je ne vais pas y
demeurer longtemps car les hommes, ces êtres
surdoués, sont à mes trousses. Ils croient que j’ai
dévoré un de leurs moutons. Hier c’était l’ouverture de la chasse et ces créatures ambidextres ont
l’autorisation de nous chasser. Nous sommes soidisant trop nombreux… Quand ces clowns viennent nous assassiner, ils sont armés de leurs instruments terribles. (..).
Ce soir, la nuit est noire comme l’ébène et froide
comme la glace. Je suis à la recherche d’une
caverne car, à mon avis, cette nuit, ces mortels
blanchâtres et peu poilus vont revenir.
Demain à l’aube, je reprendrai ma route
en espérant rencontrer une meute de
loups et peut-être une amie !
Le Loupiot ● n°5
Pistache ● n°154
100 titres > N°1 - Déc. 2004
Coll. Camille Reymond
Château Arnoux Saint Auban (04)
Le super journal > N°2 - Déc. 2004 École J. Ferry - Errouville (54)
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 2 – Annexes
A 2. Jean Meckert, La Tragédie de Lurs (1954/2007, p. 198-200)
Entre-temps on a quelques détails nouveaux sur les aveux du « monstre ». Ce n’est pas au
commissaire Sébeille, parti dîner à l’hôtel Mistre, qu’il aurait avoué, mais à un simple gardien
avec lequel il s’entretenait en patois, après avoir dîné d’une soupe, d’une omelette, de
nouilles, d’une orange, et bu deux bons verres de vin.
– Es iou ! (C’est moi!)
Il aurait d’abord déclaré qu’il voulait sauver Gustave, puis, comme cet aveu n’en était pas un,
il aurait déclaré qu’il avait voulu surprendre l’Anglaise déshabillée. Appelé à la hâte, le
commissaire Prudhomme « flattant les manies séniles » aurait obtenu de croustillants aveux...
Si croustillants qu’au matin le procureur Sabatier déclarait à la presse :
– Gaston Dominici est enfin entré dans la voie des aveux. Il reconnaît être le seul assassin de
la famille Drummond. Toutefois la version qu’il donne du triple crime ne satisfait pas encore
les enquêteurs.
On allait mettre au point la version définitive tandis que, par un curieux phénomène, le récit
du crime était téléphoné dans tous les azimuts, avec des détails criants de vérité, mais très
différents pour chaque catégorie de lecteurs.
Écoutons une version, très jolie :
« – Es iou qu’aï fa peta ! (C’est moi qui ai tiré.)
« Ces mots terribles, il les avait lancés à la face de Gustave, dans la nuit du crime, vers deux
heures du matin, comme un défi, comme une menace !
« Ce n’était pas un aveu ! C’était un ordre : C’est moi qui ai tué les Anglais ; tu le sais ; tienstoi-le pour dit et tais-toi !
« L’assassin avait rajusté sur son pantalon sa “taillole”, sa ceinture de flanelle qui avait glissé
au cours de la poursuite d’Elizabeth, et il avait tourné les talons sans ajouter un mot... »
Voici une autre version, aussi pleine de talent. Si l’on croit que je me moque, on a tort. J’ai vu
des hommes peiner sur ces récits, avouant humblement qu’ils ne savaient rien. Mais lorsqu’on
est journaliste, il faut savoir quelque chose !
« Après les coups de feu, Gustave a entendu son père rentrer. Il était une heure trente du
matin.
« Gustave est sorti au petit jour et il a découvert le massacre. Il est revenu, les jambes
flageolantes d’horreur, et s’est rendu au petit appentis sur le rayon duquel le père posait sa
carabine rafistolée de braconnier. La place était vide. Gustave comprit.
« Épouvanté il regagna, glacé d’effroi, la chambre conjugale. Le père était ressorti avec ses
chèvres qu’il menait, ce matin-là, dans une direction opposée au lieu du crime. Clovis arriva.
Gustave le mit au courant... Le vieux père apparaît vers six heures, l’œil terrible sous ses
sourcils en broussaille. Les fils n’ont la force de rien dire. Le père comprend aussitôt qu’ils
sont au courant. Il leur dit fermement :
« – Li ai creba touti très ! (Je les ai crevés tous les trois !) Mais cela ne vous regarde pas. Vous
ne savez rien. Malheur, si vous parlez ! Nous sommes trois seulement à savoir !... »
On croirait y être !
Je n’ai pas fait le compte, mais je crois qu’il doit bien y avoir une trentaine de versions
différentes, toutes aussi chargées de ces petits détails qui sont la marque de l’absolue vérité.
Qui condamner ? Ces hommes qui sont impitoyablement saqués s’ils ne fournissent pas ce
qu’on attend d’eux ?…
Que celui qui n’a jamais eu à gagner sa croûte jette la première pierre !
70
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
Journal scolaire et rapport au droit
Le journal scolaire dans sa dimension traditionnelle a été très longtemps la seule occasion pour des enfants, et
parfois pour toute leur vie, de se confronter à l’acte de publier. Avec Internet, ce n’est plus le cas. Chacun peut
aujourd’hui rendre publics ses propos, en écrits, en images ou en sons sans qu’il lui en coûte un sou et avec des
techniques de plus en plus accessibles. A condition que l’école prenne en compte ce nouveau paradigme, le
journal scolaire peut devenir l’occasion, presque unique, de l’apprentissage des règles et des lois qui régissent
l’usage social de la liberté d’expression dans une société démocratique
1. Les dispositions légales du journal scolaire ou les règles de la liberté d’expression
1.1. Une affaire de tarifs postaux
Comment le journal scolaire vient-il à Célestin Freinet ? Par un détour inattendu. Lorsque, en
1926, Freinet envoie chaque jour le « livre de vie » de son école de Bar-sur-Loup (Alpes
Maritimes) à la classe des correspondants de Trégunc (Finistère), il choisit le tarif
« Périodiques » – par souci d’économie. Dans l’introduction du recueil d’extraits des journaux
scolaires des écoles de Bar-sur-Loup, Saint-Paul et Vence de 1926 à 1940, Michel Barré, le
biographe de Freinet, écrit à ce propos (Barré, 1996, p. 7).
Chaque jour, la classe envoie à ses correspondants, et reçoit d’eux en échange une série d’imprimés
(un par enfant) afin de constituer un double livre de vie. Ces envois se font au tarif « Périodiques ».
Qu’y a-t-il en effet de plus périodique que l’envoi quotidien ?
C’est alors qu’intervient un changement crucial pour la suite de l’aventure ; Barré le rapporte
en ces termes (ibid.).
En décembre 1926, certains bureaux de poste refusent cette interprétation : le tarif réduit est réservé
aux publications officiellement déclarées. Qu’à cela ne tienne, décide Freinet : il suffit pour chaque
classe d’inventer un titre et de déclarer à la Préfecture, comme périodique, le recueil de ses textes. Et
c’est ainsi que naît fortuitement le journal scolaire qui aura l’avenir que l’on sait.
Le rapport direct d’école à école s’ouvre ainsi brusquement à l’Autre de la société : ces écrits
dont des enfants sont les auteurs et les premiers lecteurs, il leur faut désormais les assumer
très officiellement devant l’autorité administrative légale.
1.2. Des formalités inégalement accomplies
Ainsi, dès le début de son existence, le journal scolaire confronte-t-il ses producteurs à un
certain rapport à la loi – ici la déclaration à la Préfecture. En l’espèce, cette déclaration lui
donne normalement un statut de publication de presse, qui le soumet aux dispositions de la loi
sur la presse de 1881. Les collections du Clemi attestent que, jusqu’au milieu des années 1970
surtout, de nombreux journaux ont ainsi effectué, à chaque parution, les formalités de
déclaration d’intention de paraître et de dépôts légaux.
Ces formalités étaient d’ailleurs souvent vécues par les enseignants, à l’école primaire, au
collège ou au lycée, comme une occasion pédagogique de donner une certaine officialité à la
publication, de la faire reconnaître comme un vrai journal, et non comme un « ersatz », « pour
faire semblant ». Cependant, et les collections du Clemi l’attestent aussi, à partir des années
71
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
1980 surtout, plus nombreux encore sont les journaux qui semblent ignorer totalement les
formalités requises, y compris la simple déclaration d’un directeur de publication.
Si, au reste, l’habitude de satisfaire aux exigences légales semble revivre aujourd’hui, c’est
probablement grâce aux efforts du Clemi, qui, dans toutes ses publications, ses stages, ses
règlements de concours, rappelle la nécessité de faire figurer le nom d’un directeur de
publication dont la responsabilité juridique est expliquée.
Quant aux formalités de dépôt légal, le Clemi tire profit de sa mission de dépôt pédagogique 1
légal pour proposer aux établissements des formalités simplifiées en six « règles d’or » que
nous reproduisons ici (Chenevez & Famery, 2005, p. 118).
Formalités : les six règles d’or
1. Vous ferez toujours figurer en clair dans chaque numéro le nom du directeur de publication. Il
sera le responsable légal du contenu du journal.
2. Vous mentionnerez dans chaque numéro l’adresse du journal, le numéro de série, éventuellement
son prix et sa périodicité, l’adresse de l’imprimeur (ou « imprimerie spéciale », s’il est imprimé par
vos soins).
3. Vous indiquerez toujours, et le plus précisément possible, la date de parution. C’est intéressant
pour le lecteur ! En plus cela constitue une référence juridique importante en cas de procédure contre
le journal.
4. Si vous diffusez votre journal, vous déposerez chaque numéro à la préfecture, ou à la souspréfecture, ou plus simplement à la mairie.
5. Si vous voulez le vendre sur la voie publique, vous demanderez l’autorisation à la mairie et vous
devrez déposer le nom et l’adresse des vendeurs.
6. Dans tous les cas, vous remettrez à chaque numéro, deux exemplaires à votre chef d’établissement
et vous enverrez trois exemplaires au Clemi, journaux d’élèves, 391 bis, rue de Vaugirard, 75015
Paris.
En même temps, l’effort pour faire connaître ces exigences aux publics concernés (chefs
d’établissements, personnels d’éducation, professeurs, enseignants documentalistes, élèves,
parents, etc.) témoigne d’une certaine rétivité à leur endroit. La visée éducative que marque
l’adjectif « scolaire » semble ainsi oblitérer le fait socialement essentiel : la publication d’un
journal, qui ne diffère à cet égard en rien de n’importe quelle autre publication.
1.3. Les limites très variables de la liberté d’expression
La référence à la loi sur la presse s’est longtemps limitée aux formalités indiquées plus haut.
Les questions concernant la liberté d’expression ont pratiquement toujours été rapportées à la
« loi de la classe » (ou de l’établissement) et traitées en conséquence de façon variable selon
l’idée que le maître se faisait de la liberté de ton et d’expression à laisser aux enfants dans
leurs publications.
C’est ainsi que, en 1932, Freinet ne voyait pas d’inconvénient à ce que ses élèves évoquent
dans le journal les « soûleries » qui accompagnent les festivités de la première communion, au
risque de provoquer l’ire des bien-pensants locaux (Barré, 1996, p. 100). De même, devant la
menace de guerre, en 1939, il assume que les enfants de l’école de Vence (dont beaucoup sont
des réfugiés de la guerre d’Espagne) écrivent : « nous craignions que la guerre vienne chez
nous et nous avions préparé les ballots » (Barré, 1996, p. 183).
1
Voir en annexe la circulaire de 2002 instaurant un dépôt pédagogique.
72
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
Aujourd’hui, par contraste, dans un lycée ou un collège, il n’est pas rare de voir proscrire des
publications scolaires toute question d’ordre politique ou religieux, même traitée
contradictoirement, et sans qu’on puisse y déceler un quelconque prosélytisme.
De fait, au moins jusqu’à l’orée du XXIe siècle et la généralisation de l’accès à Internet, les
enseignants n’ont en général pas appris à distinguer les limites de l’expression qui relèvent
1) de la loi (propos racistes, diffamatoires, etc.), 2) des principes de l’école (neutralité
politique et religieuse, absence de publicité ou d’activité commerciale, etc.), 3) du confort des
non-dits de la communauté scolaire (on ne critique pas la qualité de la cantine ou
l’organisation des sorties, on ne parle pas de politique, etc.).
À cet égard, en nombre de cas, on s’est longtemps contenté d’une attitude moralisante mal
délimitée, plus ou moins adaptée aux manières de penser d’une époque et aux convictions
intimes des pédagogues.
S’agissant de la question de la liberté d’expression dans les publications scolaires, la diffusion
dans l’institution scolaire de la notion de légalité ne s’est imposée que récemment, avec
Internet et ses effets de propagation à grande vitesse. La référence à la loi n’était pourtant pas
nouvelle : comme on va le voir, depuis 40 ans environ la question était posée à l’institution
par les journaux lycéens.
2. La liberté d’expression dans les journaux lycéens
2.1. Premières recommandations juridiques
Au début de la décennie 1990, le thème des droits et devoirs du « journaliste lycéen » est
largement explicité dans notre ouvrage Faire son journal au collège et au lycée (Chenevez,
1991), qui sera réédité une quinzaine d’année plus tard (Chenevez & Famery, 2005).
Sous le titre-slogan « Citoyen lycéen, informer est ton droit », le jeune lecteur s’y voit d’abord
rappeler l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ;
tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette
liberté dans les conditions déterminées par la loi. »
Le commentaire qui en est proposé met d’abord l’accent sur le caractère à la fois précieux et
fragile d’un droit démocratique essentiel (Chenevez, 1991, p. 107).
Depuis que l’imprimerie existe, la presse a toujours été le lieu privilégié du débat démocratique.
Partout dans le monde, le pouvoir de diffuser des informations se protège ou se revendique comme
un bien précieux. Il se confisque aussi très facilement, là où te totalitarisme décide d’une vérité et
d’une seule.
Mais il s’attache ensuite à cette redoutable nuance : « sauf à répondre de l’abus de cette
liberté… » En particulier, il souligne l’exigence de protection de l’individu et de toute
collectivité qui pourrait pâtir d’un tel abus (ibid.).
La force sociale que représente la diffusion d’une information, vraie ou fausse d’ailleurs, a entraîné
de tout temps la nécessité d’un accompagnement juridique très précis. Le sens de toute loi
démocratique sur la presse est de protéger la vérité, celle qui est propre à chaque citoyen et qui donc
73
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
n’est pas unique, mais aussi de protéger chaque individu, et la collectivité, d’un usage abusif du droit
d’autrui à l’information.
Si le système juridique de la presse française repose toujours sur le socle de la loi du 29 juillet
1881 (plusieurs fois modifiées depuis lors), note encore le texte cité, les conditions
particulières de parution des journaux lycéens ne font l’objet d’une réglementation spécifique
que depuis mars 1991. Changement crucial, celle-ci, souligne le commentaire, déplace le
centre de gravité de la responsabilité depuis le chef d’établissement vers les élèves (ibid.).
Entre la liberté absolue de diffusion et un contrôle strict et a priori sur tout ce qui paraît dans le
lycée, chaque proviseur fixait ses propres limites, en assumant d’ailleurs lui-même la responsabilité
de toute publication réalisée ou diffusée dans le cadre de l’établissement. Les nouvelles dispositions
réglementaires visent en réalité à déplacer la responsabilité du chef d’établissement vers les élèves,
en faisant du lycée un lieu où s’exerce plus complètement le statut de citoyen.
Faire de l’élève un sujet de droit et le rendre responsable de ses écrits, tel est donc ici
l’objectif. Mais cette responsabilité est encadrée. Dans un décret du 18 février 1991 relatif aux
droits et obligations des élèves, qui concrétise des engagements pris devant les lycéens en
décembre 1990, l’article 1 du titre 1, « Des droits des élèves », dispose d’abord que « les
publications rédigées par les lycéens peuvent être librement diffusées dans l’établissement ».
Mais ce même article ajoute alors la restriction suivante.
Toutefois, au cas où certains écrits présenteraient un caractère injurieux ou diffamatoire ou en cas
d’atteinte grave aux droits d’autrui ou à l’ordre public, le chef d’établissement peut suspendre ou
interdire la diffusion de la publication ; il en informe le conseil d’administration.
L’article du décret sera précisé par une circulaire qui fixe le statut de responsabilité de la
presse lycéenne en référence à la loi du 29 juillet 1881. On trouvera en annexe le texte de
cette circulaire de 1991, modifiée en 2002 ; on verra qu’elle est rédigé de manière
suffisamment claire pour que les lycéens aussi bien que les chefs d’établissement puissent y
faire référence.
2.2. Des conflits qui conduisent rarement devant les tribunaux
Nous nous réfèrerons ici principalement à l’ouvrage récent de Thomas Rogé, qui fut président
de l’association J.Presse puis délégué national à la vie lycéenne de 2000 à 2003 auprès de
Jack Lang : La presse lycéenne, droits et devoirs (CRDP de l’académie de Grenoble, 2006).
Ce guide juridique et administratif met en son centre la question du droit, parce que celle-ci,
qui n’est plus le monopole des adultes (l’auteur s’adresse d’ailleurs principalement aux
lycéens eux-mêmes), se révèle chaque jour plus centrale dans la vie des établissements. Le but
de l’auteur n’est évidemment pas de louer la « judiciarisation » des rapports humains au sein
de la communauté éducative ; il s’agit bien plutôt de prendre acte de l’intérêt pour une
transparence et une objectivité accrues dans le traitement des conflits éventuels, par la
confrontation avec les règles communes qui gouvernent la société.
En cela réside, pour Thomas Rogé, le fondement de la dimension éducative du journal lycéen,
qui engage les jeunes à devenir des citoyens actifs et responsables. Citant Jacques Gonnet,
l’auteur estime que « la production d’un média constitue une véritable initiation sociale », qui
favorise notamment le dialogue intergénérationnel, dont la place, on le sait, est ordinairement
riens moins qu’assurée dans l’institution scolaire.
Le propos de l’auteur se limite volontairement, soulignons-le, à la presse écrite, dont les
règles de fonctionnement et la réglementation apparaissent comparativement bien stabilisées
74
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
et relativement claires, au contraire d’Internet et d’autres médias plus récemment apparus
(blogs, etc.), médias dont, selon cet auteur et du point de vue de l’éducation à l’autonomie, la
valeur ajoutée est en conséquence moindre.
Cela noté, les différents chapitres de l’ouvrage abordent alors classiquement les questions qui
jalonnent la production d’un périodique lycéen : environnement juridique et réglementaire
d’un journal lycéen (types de journaux et structures associatives supports, rôles et
responsabilités des acteurs, du directeur de publication aux maquettistes en passant par le
rédacteur en chef, rôles des responsables de l’établissement, etc.) ; contenu du journal (liberté
d’expression, censure, outrage, diffamation et injure, respect de la vie privée, droit de réponse,
sujets tabous, neutralité et pluralisme, droit à l’image, droit des images, caricature,
déontologie) ; suspension ou interdiction d’un journal (presse lycéenne et justice,
jurisprudence, médiation, etc.).
Les démêlés juridiques entre les journaux lycéens et l’administration des lycées ont en effet
existé bien avant Internet et les blogs. Dans la réalité, si les conflits sont fréquents, ceux qui
aboutissent aux tribunaux sont rares. Thomas Rogé relève ainsi quatre procès en quarante ans.
Le premier avait déjà été cité par Jacques Gonnet 2 : il concernait, en 1972, un journal lycéen
au nom onomatopéique, Glurp, publication du lycée Gérard de Nerval de Luzarches (Val
d’Oise). Ce journal, dont, indique Rogé, le contenu oscillait « entre la dénonciation de la
guerre du Vietnam et le refus du carnet de correspondance imposé par l’administration »,
publie alors dans son numéro 4, un article dans lequel l’école est présentée comme « le
premier engrenage capitaliste ». « Faites-le sauter, le reste suivra », suggère Glurp à ses
lecteurs, avant de lancer ce mot d’ordre : « Alors… commencez par votre lycée. » Le propos,
poursuit Rogé, est accompagné de la recette du cocktail Molotov et évoque même la
nitroglycérine. Le tribunal d’instance de Pontoise condamnera les lycéens à 500 F d’amende
avec sursis pour injures au chef de l’État, incitation à la destruction d’édifices publics non
suivie d’effet et incitation de mineurs à la débauche (ils avaient reproduits des dessins de
Reiser jugés alors pornographiques).
La deuxième affaire a lieu en 1991 à Rochefort-sur-Mer (Charente-Maritime). Le procès est
intenté au journal Confessions pour diffamation et injures envers trois professeurs. Étant
donné le caractère jugé non public de la diffusion du journal, il aboutira d’abord à la relaxe
des élèves rédacteurs. En appel, pourtant, les lycéens seront condamnés à 100 F d’amende
chacun et à 1 F de dommages et intérêts aux victimes pour injures et diffamations non
publiques.
La troisième affaire, qui s’est déroulée en 1998 à Vendôme (Loir et Cher), a été jugée
beaucoup plus sévèrement. Elle aboutit à la condamnation pour diffamations, injures et
provocation à une infraction en matière de stupéfiants, du seul élève identifié comme ayant
concouru à la fabrication du journal Le tas de ça, dont la couverture portait cette maxime :
« Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ». L’élève mis en cause avait
effectué les 70 photocopies du journal ; il sera condamné, après appel, à s’acquitter au total de
la somme de 26 000 F.
Ces trois affaires constituent des exemples extrêmes. De leur existence, mais aussi de leur
rareté, on peut tirer certains enseignements. Premier enseignement, la plupart des conflits
d’expression concernant les journaux se règlent au sein même de l’établissement. La chose
peut paraître raisonnable dès lors qu’un véritable enjeu de démocratie et de formation du
citoyen guide les décisions. Mais bien souvent, comme le note Bernard Defrance dans son
2
Gonnet, 1988, p. 56.
75
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
livre Le droit dans l’école, c’est alors la peur, aussi bien du côté des enseignants que des
enseignés, qui guide les comportements. « L’obéissance se pervertit en soumission, et
l’autorité en pouvoir. 3 » On a vu ainsi des élèves être renvoyés définitivement, sans conseil
de discipline, d’un grand lycée parisien, pour délit d’expression dans un journal d’existence
parfaitement légale. Le marché suivant leur avait été proposé : si vous décidez de partir de
votre propre chef, il n’y aura pas de poursuite judiciaire.
Deuxième enseignement : lorsque, néanmoins, le conflit est porté devant les tribunaux, il
apparaît clairement que ceux-ci n’ont pas pour mission de prendre en compte la dimension de
protection éducative que doit l’établissement scolaire aux élèves. Les mineurs ou les jeunes
majeurs concernés sont traités selon la loi de la société, où la liberté d’expression est un bien
précieux très protégé par la justice. Seule compte alors la dimension « publique » ou
« privée ». Les résultats surprennent parfois l’institution scolaire par leur « laxisme ».
Troisième enseignement : l’affaire de Vendôme montre exemplairement l’application de la
responsabilité en cascade voulue par la loi sur la presse : lorsqu’il n’y a pas de directeur de
publication annoncé, on recherche les auteurs, et s’ils ne peuvent être identifiés, on poursuivra
l’imprimeur. Dans le cas présent, l’imprimeur est celui qui a fait les photocopies…
2.3. L’affaire Ravaillac
La quatrième affaire de journaux lycéens portés devant les tribunaux a secoué le vénérable
lycée Henri-IV de Paris en 2001. Cette fois, les élèves, qui connaissaient bien leurs droits, ont
porté plainte pour contester la décision du chef d’établissement d’interdire la diffusion d’un
numéro où dix élèves posaient nus sur la couverture. La plainte donnera lieu à un procès que
ces élèves gagneront, finalement, en 2003. Nous avions eu l’occasion, dès 2002, d’étudier
cette affaire dans un billet pour le site Internet des Cahiers pédagogiques dont nous
reproduisons ici les premiers alinéas.
Fallait-il interdire Ravaillac ?
Au lycée Henri IV de Paris un journal lycéen doit s’appeler Ravaillac. Il en est ainsi depuis des
générations même si, certaines années, plusieurs Ravaillac se font concurrence. Mais si Henri IV, le
lycée, est toujours vivant, les Ravaillac meurent, eux, les uns après les autres. Parce qu’un journal
lycéen dure ce que durent les lycéens : un ou deux printemps, pas beaucoup plus. Pourtant, en mars
2002, le vénérable Henri IV a été un peu secoué par le no 2 d’un Ravaillac iconoclaste qui
entreprenait de parler sans tabou, parfois avec talent, de sexualité et osait montrer la nudité des
lycéens rédacteurs qui, sagement alignés en première page, arboraient un post-it décollable en guise
de cache-sexe.
« Si je n’avais rien fait, les parents auraient pu s’en plaindre, à bon droit », déclare Patrice Corre,
proviseur, au journal Libération.
D’abord interdit, puis prudemment suspendu dans le lycée, Ravaillac a eu l’honneur des médias. Il a
plu aux journalistes qui y ont retrouvé les « jouissez sans entraves » de leur mai 68… De leur côté,
les parents de la FCPE-Paris applaudissent : « que des élèves particulièrement encadrés résistent
ainsi au formalisme institutionnel constitue à la fois une surprise et une preuve de courage et de
maturité » ; et ceux de la PEEP estiment, avec une prudente bienveillance que « l’apprentissage de
la liberté ne va pas sans quelques maladresses dont on ne saurait faire l’économie. » Des
exemplaires originaux circulent, paraît-il, sous le manteau dans les couloirs du ministère... Seul le
Syndicat national des personnels de direction (SNPDEN) ose parler de « connotation
pornographique particulièrement affirmée » (mais l’ont-ils vraiment vu ?) et suspend sa
participation à l’Observatoire de la presse lycéenne, animé par l’association J.Presse qui a apporté
son soutien à Ravaillac.
3
Defrance, 2000, p. 11.
76
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
Quant aux élèves concernés, ils ont frisé le procès pour la diffusion publique de la photo d’une élève
mineure, nue, sans le consentement de ses parents, se sont taillé un petit succès médiatique et ont fait
de Ravaillac le canard le plus « branché » du moment.
Les questions de principe n’en demeurent pas moins. Quelle réponse apporter face à une
transgression réalisée par des lycéens, qui vise apparemment à faire avancer un débat qu’on
peut juger par ailleurs légitime ? Dans un contexte où la pornographie prospère, mettant
parfois brutalement les adolescents devant des pratiques violentes ou humiliantes, doit-on
s’étonner de voir certains d’entre eux refuser d’être « prisonniers des discours pré-mâchés qui
prétendent [leur] imposer [leurs] plaisirs et [leurs] désirs » et exhiber sur un mode parodique
la difficulté qu’ils éprouvent à « développer [leur] propre conception du sexe » ?
Mais l’enthousiasme médiatique, salvateur pour Ravaillac, n’est pas forcément au rendezvous lorsqu’un journal lycéen de banlieue est interdit pour des propos contre l’extrême droite,
au motif qu’ « on ne doit pas parler de politique au lycée »… L’aventure emblématique de
Ravaillac ne doit donc pas masquer que le problème est d’assurer à tous les lycéens l’accès à
la liberté d’expression, y compris sur des sujets politiques ou religieux. De ce souci découle,
au reste, une modification de février 2002 de la circulaire sur les publications des lycéens 4 :
le principe de neutralité y est mis en tension avec le fait de la présence d’élèves majeurs et
mineurs. D’une façon générale, toutefois, l’imposition de limites dans un cadre éducatif doit
se rendre compatible avec la position exigeante qu’exprime dans les termes suivants la Cour
européenne des droits de l’homme.
La liberté d’expression vaut non seulement pour les informations, les idées accueillies avec faveur
ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent
ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la
tolérance, l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique.
Alain Weber, qui fut l’avocat des rédacteurs de Ravaillac, et qui est considéré comme un
expert en matière de droit des journaux lycéens 5, apportera, à la suite de ce procès, le
commentaire suivant 6.
La liberté d’expression doit supporter, selon les juges, l’exagération, la polémique, la provocation.
Cette décision est courageuse car en conformité avec la Cour européenne des droits de l’Homme qui
juge que la liberté d’expression supporte justement l’outrance. Il n’est pas question de liberté
d’expression quand il s’agit d’exprimer des banalités consensuelles […]. Les juges qui ont suivi
cette approche ont permis une réelle avancée du droit de l’expression.
Il souligne en outre qu’il n’existe pas d’approche légale particulière « qui ferait que les jeunes
auraient un droit d’expression différent de celui des adultes ». La protection de l’acte non
responsable du mineur, en situation d’apprentissage de sa citoyenneté, est en effet assuré par
des dispositions internes, indiquées dans la circulaire de 1991 modifiée en 2002. À cet égard,
A. Weber précise que, si « le chef d’établissement a des pouvoirs pour empêcher qu’une revue
qui porterait atteinte à l’ordre public – des revues racistes, communautaristes, négationnistes,
qui feraient du prosélytisme religieux ou politique – ne paraisse », « le même conflit entre des
droits légitimes se trouve à la fois dans la communauté classique des citoyens et dans celle de
la communauté scolaire ».
4
Circulaire no 91-051 du 6 mars 1991 sur les publications rédigées par les lycéens, modifiée par la circulaire
n 2002-026 du 1er février 2002.
5
Voir, sur le site du cabinet d’avocats Henri Leclerc et associés, dont il est membre, son étude « Liberté
d’expression : le régime juridique des journaux lycéens » (http://www.cabinet-leclerc.fr/content/view/43/57/).
6
Entretien avec Alain Weber : Laurence Corroy, 2005.
o
77
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
3. La certification « Informatique et Internet »
3.1. Le Brevet Informatique et Internet (B2i)
Ainsi que le précise l’arrêté du 14 juin 2006 qui le rend obligatoire, le « Brevet Informatique
et Internet est une attestation qui comporte trois niveaux de maîtrise des technologies de
l’information et de la communication ». La comparaison des premières formulations des
compétences du B2i, en 2000, avec le nouveau référentiel datant de la rentrée 2006 fait
apparaître certaines évolutions 7. Dans le comparatif ci-après, on n’a retenu que ce qui relève
ou pourrait relever du droit des publications (liberté d’expression, loi sur la presse, droit de
l’image, droit à l’image ou droit d’auteur).
2000
2006
B2i niveau 1 (école primaire)
Adopter une attitude citoyenne face aux
informations véhiculées par les outils
informatiques
Lors de manipulations de données utiles aux
activités d’apprentissage et à la suite de débats
organisés au sein de la classe, l’élève témoigne de
sa capacité à :
– vérifier la pertinence et l’exactitude de données
qu’il a saisies lui-même ;
– prendre l’habitude de s’interroger sur la
pertinence et sur la validité des résultats produits
par le traitement des données au moyen de
logiciels et, plus généralement, témoigner d’une
approche critique des données disponibles ;
– reconnaître
et
respecter
la
propriété
intellectuelle.
Domaine 2 : Adopter une attitude responsable
Connaissances principales
Des lois et des règlements régissent l’usage des
TIC.
La validité des résultats est liée à la validité des
données et des traitements informatiques.
Objectif
Prendre conscience des enjeux citoyens de l’usage
de l’informatique et de l’Internet et adopter une
attitude critique face aux résultats obtenus.
Capacités
L’élève doit être capable de :
– appliquer les règles élémentaires d’usage de
l’informatique et de l’Internet ;
– faire preuve d’esprit critique face à l’information
et à son traitement ;
– participer à des travaux collaboratifs en
connaissant les enjeux et en respectant les règles.
B2i niveau 2 (collège)
[L’élève] perçoit les limites relatives à l’utilisation Domaine 2 : Adopter une attitude responsable
d’informations nominatives ainsi que celles que Connaissances principales
fixe le respect de la propriété intellectuelle.
Des lois et des règlements régissent l’usage des
TIC.
La validité des résultats est liée à la validité des
données et des traitements informatiques.
Objectif
Être un utilisateur averti des règles et des usages
de l’informatique et de l’Internet.
Capacités
L’élève doit être capable de :
7
Voir la note de service « Brevet Informatique et Internet (B2i) École – Collège » parue au BO no 42 du 23
novembre 2000 ainsi que l’arrêté « Brevet Informatique et Internet : connaissances et capacités exigibles pour le
B2i » paru au BO no 29 du 20 juillet 2006.
78
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
– connaître et respecter les règles élémentaires du
droit relatif à sa pratique ;
– protéger sa personne et ses données ;
– faire preuve d’esprit critique face à l’information
et à son traitement ;
– participer à des travaux collaboratifs en
connaissant les enjeux et en respectant les règles.
B2i niveau 3 (lycée)
Pas de B2i spécifique aux lycées
Domaine 2 : Adopter une attitude responsable
Connaissances principales
Des lois et des règlements régissent l’usage des
TIC.
La validité des résultats est liée à la validité des
données et des traitements informatiques.
Objectif
Être un utilisateur impliqué dans le respect des
règles et des usages de l’informatique et de
l’Internet.
Capacités
L’élève doit être capable de :
– connaître et respecter les règles élémentaires du
droit relatif à l’informatique et à l’Internet ;
– protéger sa personne et ses données ;
– faire preuve d’esprit critique face à l’information
et à son traitement ;
– participer à des travaux collaboratifs en
connaissant les enjeux et en respectant les règles.
Plusieurs observations méritent d’être explicitées. Première observation : en 2000,
l’injonction d’« adopter une attitude responsable » ne concerne que les écoles primaires. On
retrouve ici la trace du slogan magique « Soyez responsables ! », qu’il suffirait de bien
inculquer à l’école primaire pour obtenir les résultats escomptés, qu’au reste on ne précise
pas. L’apprentissage d’une telle « responsabilité » semble ainsi ne requérir aucune
connaissance particulière qui nécessiterait d’être pensée et discutée au long de la scolarité.
Deuxième observation : en 2006, le domaine 2, « Adopter une attitude responsable », même
s’il reste flou quant aux praxéologies qu’il met en jeu, s’impose au contraire jusqu’au lycée –
au détriment de compétences manipulatoires qui deviennent moins centrales. Il y a là sans
doute un écho du problème majeur posé par l’arrivée d’Internet dans les murs de l’école : le
constat d’un grand manque de réponses éducatives face la hantise du « copier-coller » ou des
mauvaises rencontres : au sein des établissements, on craint de voir des élèves accéder à des
sites peu compatibles avec l’activité scolaire. Le manque de connaissances juridiques des
enseignants en matière de publications leur fait par exemple confondre les sites illégaux
(comme ceux présentant la pédophilie sous un jour favorable) avec des sites considérés
comme dangereux pour les mineurs ou inadéquats en milieu scolaire (comme les sites de
pornographie). Mais la profession peine encore aujourd’hui à mettre un contenu de formation
sur ce domaine, sauf à dresser des listes d’interdits qui figureront sur une charte des usages de
l’informatique et d’Internet, ou qui seront pris en charge au plan national sous forme des listes
noires constituant les filtres de l’Internet auxquels les établissements s’abonnent 8.
8
Voir sur le site Educnet la présentation du dispositif de la « liste noire » : http://www.educnet.education.fr/aiedu/listenoire.htm.
79
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
Troisième observation : les intitulés des domaines ainsi que ceux des connaissances
principales sont identiques aux trois niveaux du B2i. L’objectif énoncé, quant à lui, marque
au contraire une progression : à l’école, il s’agit de « prendre conscience des enjeux citoyens
de l’usage de l’informatique et de l’Internet et adopter une attitude critique face aux résultats
obtenus » ; au collège, il faut devenir « un utilisateur averti des règles et des usages de
l’informatique et de l’Internet » ; au lycée enfin, l’élève doit « être un utilisateur impliqué
dans le respect des règles et des usages ». De la même façon, les capacités à acquérir
marquent une progression. On peut penser que la similitude de formulation entre les trois
niveaux montre une prise en compte de la complexité du savoir à acquérir, qui nécessite une
mise en débat continuée et une lente maturation.
Quatrième observation enfin : s’il est clairement énoncé que l’élève est supposé « participer à
des travaux collaboratifs », et « faire preuve d’esprit critique », on ne voit pas toujours
apparaître clairement ce qui est attendu de lui quant à la maîtrise de ses propres publications
sur Internet. À l’heure où de très nombreux adolescents publient un blog, déposent des vidéos
sur des plates-formes interactives de vidéos en ligne comme YouTube, ou au moins
interviennent fréquemment sous forme de commentaires dans des blogs ou des forums sur
Internet, on peut penser qu’il s’agit là d’un vestige des formes scolaires où l’élève est censé
uniquement recevoir des informations et les restituer au plus près. Or, pour le citoyen
d’aujourd’hui, les besoins réels de compétences en matière « d’attitude responsable » vont
beaucoup plus loin : ils incluent une connaissance des aspects juridiques de l’acte de
publication.
3.2. Le C2i2e : former les enseignants
Chargés de valider les compétences B2i de leurs élèves, les enseignants rencontrent de
nouvelles questions professionnelles liées aux Tic. Pour leur faire face, ils se doivent
aujourd’hui d’acquérir le « certificat informatique et Internet niveau 2 enseignant ». Le
référentiel de compétences de ce certificat comprend un domaine de compétences A3 qui
concernent « la responsabilité professionnelle dans le cadre du système éducatif ». En
particulier, les compétences A3 dont le libellé est reproduit ci-après peuvent être
raisonnablement regardées comme non étrangères au droit des publications.
A.3.1. S’exprimer et communiquer en s’adaptant aux différents destinataires et espaces de diffusion
(institutionnel, public, privé, interne, externe...).
A.3.3. Prendre en compte les lois et les exigences d’une utilisation professionnelle des TICE
concernant notamment :
– la protection des libertés individuelles et publiques ;
– la sécurité des personnes ;
– la protection des mineurs ;
– la confidentialité des données ;
– la propriété intellectuelle ;
– le droit à l’image.
Afin de concevoir et de mener à bien une formation à ces compétences, nous avons participé à
un groupe de travail de formateurs Tice de l’IUFM d’Aix-Marseille, celui-ci a conçu un
dispositif qui fait explicitement référence aux problèmes posés par le droit des publications.
Sous le titre « La responsabilité professionnelle : une formation au C2i2e par étude de cas »,
nous avons eu l’occasion de présenter ce dispositif dans le numéro 55, paru en septembre
2006, des Dossiers de l’ingénierie éducative (Chenevez, 2006). Nous nous appuierons sur ce
travail pour présenter ici les principes et les modalités de la formation créée.
80
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
Relativement au domaine de compétences A3, le premier élément du dispositif de formation
est constitué d’une conférence en grand groupe d’une durée de trois heures permettant aux
professeurs stagiaires de découvrir l’ensemble du domaine considéré. Pour mener à bien ce
qui apparaît a priori comme une mission impossible – donner dans le laps de temps imparti
un cours significatif sur les aspects à la fois juridiques et éducatifs, parfois extrêmement
sensibles, de la « responsabilité éducative » –, l’équipe des formateurs TICE a tenté d’adopter
une approche formative réaliste et pertinente en construisant la charpente d’un cours fondée
sur des études de cas reflétant au plus près la réalité professionnelle et concentrées sur les
questions les plus pressantes qu’elle pose.
Ayant recensé au mieux les savoirs que recouvre chacun des quatre items 9 du domaine A3,
l’équipe a fait reposer la formation sur quatre études de cas, chacune effectuée en quatre
temps : présentation d’une situation vécue dans un établissement ; énumération de questions
professionnelles liées au cas ; propositions d’éléments de réponses à ces questions ; mise à
disposition de ressources pour approfondir le sujet. Nous prendrons ici un exemple relatif à la
compétence A.3.3 (dont le libellé a été présenté ci-dessus). En ce cas, la liste des savoirs
pertinents, identifiés par nous, s’articule pour l’essentiel aux exigences suivantes.
• Distinguer les principales dispositions du droit de publication et de communication sur Internet, et
leur raison d’être.
• Repérer, parmi ces dispositions, celles qu’il convient de transmettre à des élèves, en réponse à des
situations à identifier.
• Connaître les enjeux et les limites de la loi et des systèmes de protection des mineurs.
• Adopter soi-même un comportement réfléchi et adapté au caractère public ou privé des différents
lieux d’expression sur Internet.
• Connaître les gestes professionnels de l’enseignant qui apprennent aux élèves à s’y mouvoir en
citoyen éclairé.
• Se positionner professionnellement dans une dialectique protéger/éduquer en tenant compte du fait
que les interdits et les verrouillages divers n’enlèvent pas l’obligation éducative due aux élèves
quant à la réalité d’Internet et à la légalité des comportements que l’on y adopte.
• Être sensibilisé à la nécessaire confidentialité des mots de passe pour la bonne gestion d’un réseau
ou d’un espace numérique de travail.
• Connaître, et savoir expliquer à des élèves, ce qui relève des « données personnelles » et de leur
protection par les règles de la CNIL.
• Connaître et fréquenter quelques ressources institutionnelles auxquelles se référer en cas de besoin
(Educnet et Légamédia, Forum des droits de l’Internet, Juriditice académique, par exemple).
Il fallait alors trouver la trame d’une étude de cas pertinente. En l’espèce, l’équipe a choisi
d’abord une situation liée aux problèmes posés à l’institution scolaire par l’existence et le
contenu de blogs personnels des élèves. La situation à examiner est alors présentée ainsi.
Des élèves de 3e ont publié sur un « skyblog » la photo de leur prof de français prise au téléphone
mobile, à son avantage, avec des compliments sur son enseignement. Le CPE a trouvé ce blog grâce
au nom de l’établissement, mais il n’y a pas le nom de l’enseignante. Il ne sait pas non plus avec
certitude qui en est l’auteur mais par divers recoupements pense savoir de qui il s’agit. Par ailleurs,
l’historique du CDI présente de fréquentes connexions au site de Skyblog. Un peu plus tard, dans un
« commentaire » publié sur ce blog, un anonyme a écrit des injures racistes sur cette enseignante.
9
Outre les compétences A.3.1 et A.3.3, que nous avons explicitées, le domaine A3 comporte en outre la
compétence A.3.2, qui porte sur « la recherche et les critères de contrôle de validité des informations », « la
sécurité informatique » et « le filtrage Internet », ainsi que la compétence A.3.4, qui a trait au respect de « la
charte d’usage de l’établissement, dans une perspective éducative d’apprentissage de la citoyenneté ».
81
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
L’étape suivante de l’étude visait à élaborer des réponses aux questions professionnelles
suscitées par cette situation.
Q1. Publier sur Internet une « belle » photo d’un professeur en l’accompagnant de compliments, estce autorisé par la loi ?
Q2. Y a-t-il une différence, en terme de responsabilité, entre publier sur un blog et sur un « vrai »
site ? Le blog a-t-il un statut différent d’un autre type de site web ?
Q3. En quoi le système éducatif peut-il être concerné par les blogs personnels des élèves ?
Q4. Quels sont les moyens pédagogiques dont on peut disposer pour apprendre aux élèves à prendre
correctement leurs responsabilités sur leurs blogs ?
Q5. Quels programmes, de quelle discipline et pour quel niveau, permettent d’aborder ce sujet ?
Q6. Y a-t-il un risque juridique à laisser des élèves accéder à des blogs au CDI ?
Q7. La charte informatique de l’établissement doit-elle mentionner des interdits de navigation ?
Q8. Qui est responsable des commentaires laissés sur un blog ou tout autre système de publication
(Spip, etc.) ? Faut-il les interdire dans les publications scolaires ?
Q9. Quelle est la différence juridique entre des propos racistes et des propos qui mettent en cause,
par exemple, la qualité de la cantine ? Faut-il interdire ces derniers ?
Chacune de ces questions a fait l’objet, au cours de la conférence, de l’élaboration d’une
réponse discutée, comparée et étayée de références diversifiées 10. Il était aussi nécessaire de
rendre disponibles aux stagiaires des ressources liées à ce cas, accessibles sur les pages du site
de l’IUFM consacrées au C2i2e : extraits du site Légamédia sur le droit à l’image, articles de
la loi sur la presse, précisions sur le statut juridique des blogs, plaquette blog-note réalisée par
le Clemi à l’intention des élèves.
Il est intéressant d’observer qu’il n’existe pas de bijection entre les contenus abordés dans
l’étude de cas et les items de la compétence A.3.3 : si certains seront en effet abordés dans
une autre étude de cas, celle-ci concerne également d’autres items du référentiel. Les
situations réelles de la vie professionnelle sont ainsi faites qu’elles ne se plaquent pas
exactement sur les items d’un référentiel – ce qui, au demeurant, ne gêne nullement la
formation.
On s’arrêtera sur une deuxième étude de cas, relative cette fois aux problèmes liés à la
publication sur un intranet, un extranet ou un site d’établissement. La situation considérée en
ce cas se formule ainsi.
Dans l’intranet du lycée figure un espace dédié à la discipline SVT. Les enseignants y ont déposé de
nombreuses ressources pour leurs cours, glanées sur Internet ou numérisées sur des livres, des
magazines…
On y trouve par exemple :
– des photos de paysages pour la géologie ;
– une PréAO sur l’ouragan Katrina réalisée par des enseignants et diffusée par le Café pédagogique ;
– des simulations d’expériences acquises sur la banque de ressources CNS ;
– la reproduction d’un texte de Darwin ;
– une photo et un texte extraits du site de l’explorateur Jean-Louis Étienne ;
– des travaux d’élèves, etc.
10
Les éléments permettant d’élaborer un réponse à ces questions sont en ligne sur la site de l’IUFM d’AixMarseille : http://www.aix-mrs.iufm.fr/C2i/rubrique.php3?id_rubrique=27.
82
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
À cette situation était associée la liste de questions ci-après.
Q1. La présence de ces documents est-elle licite dans l’intranet ou l’extranet, l’ENT ou le site
Internet de l’établissement ? Y a-t-il une différence entre des images copiées à partir d’un site
Internet, scannées à partir d’un livre, prises lors d’une sortie ?
Q2. Quelles démarches, en fonction des types de documents, doit-on effectuer pour demander
l’autorisation de publier sur un site ?
Q3. Y a-t-il une différence entre publier un document entier ou un extrait ? La réponse est-elle la
même pour tous les types de documents (texte, image fixe et en mouvement, musique…) ?
Q4. Peut-on mettre un lien vers un site externe dans un site d’établissement ? Dans le site personnel
d’un enseignant ?
Q5. Qu’est-ce que CNS ? Y a-t-il d’autres banques de ressources numériques en ligne et dans quelles
conditions peut-on les utiliser ?
Le troisième cas retenu concerne l’utilisation de la messagerie avec des élèves, tandis que le
quatrième cas a trait à la recherche sur Internet et l’utilisation de Wikipédia. En outre, parce
qu’il appartient à l’équipe de formation de valider les compétences acquises par chacun des
stagiaires, il convenait d’imaginer un travail personnel exploitant les ressources proposées. En
l’espèce, le choix de l’équipe s’est porté sur le dispositif suivant : le stagiaire choisit une
question dans une liste qui lui est proposée – par exemple celle-ci : « Examinez le texte
“officiel” de la Netiquette, dit RFC 1855. Proposez-en un extrait ou une réinterprétation,
exploitable avec vos élèves. Commentez vos choix. » Le stagiaire doit alors élaborer une
réponse argumentée ou une petite étude de cas.
4. Connaître les règles de la liberté d’expression : un impératif citoyen
4.1. Les notions de la loi sur la presse transposées à l’ Internet
4.1.1. Publier légalement
En 2003, il était devenu clair qu’Internet n’est pas l’espace de non-droit que d’aucuns avaient
annoncé. Mais comment le droit s’y applique-t-il et comment publier en ligne légalement ?
S’il y a « droit », il y a « limites » ; mais lesquelles ? Dans un texte intitulé « L’imprimerie et
la librairie sont libres, le web aussi », paru en décembre 2003 dans le numéro 45 des Dossiers
de l’ingénierie éducative, nous avions proposé une interprétation, à l’usage des publications
scolaires en ligne, de certaines dispositions de la loi sur la presse (Chenevez, 2003). Nous la
reprenons largement ici.
Le respect des règles de propriété intellectuelle et de droit à l’image semblent être entrées
dans les habitudes, même scolaires, pour distinguer ce qu’on peut ou non publier en ligne.
Des réflexes s’installent : surtout ne pas publier une photo ou un dessin pour lequel on
n’aurait pas l’autorisation de l’auteur et de l’éditeur ! Éviter de copier-coller des textes
d’auteur, ou d’ouvrir des pages du site du collège sur des photos d’enfants pendant une sortie
scolaire, sans avoir soigneusement flouté les visages ou demandé l’autorisation des parents.
Certains webmestres scolaires sont ainsi passés maîtres dans l’art de ne montrer que des
enfants de dos ou de calculer avec précision la longueur du morceau de texte d’auteur que
l’on pourra publier sur le site sous la protection du statut de « citation ». On en viendrait
presque à penser que si l’on est l’auteur de ce que l’on publie et qu’on ne montre pas de
visage d’enfant ni d’image heurtant les bonnes mœurs, on a le droit de diffuser n’importe quoi
sur le net !
83
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
4.1.2. Une constante validité des principes
C’est oublier un peu vite la notion de fausse nouvelle de nature à perturber l’ordre public,
l’atteinte à la vie privée, l’injure, la diffamation, la provocation au crime ou au délit ou la
discrimination raciale, etc. Car, s’il n’existe sur le web aucun agrément administratif qui
permette la qualification de publication de presse, il apparaît que toute publication en ligne
est soumise, de fait, aux principales dispositions du bon vieux droit de la presse. Certes,
depuis la loi de 1881, énoncée alors pour la seule presse papier, la situation a évolué : ainsi
l’idée même d’une publication périodique change-t-elle de sens sur Internet, puisque toute
publication en ligne peut être constamment renouvelée. Pourtant, la force des principes de la
loi sur la presse réside dans leur constante validité au regard de la démocratie. Il est ainsi
opportun de rappeler que le premier article de cette loi n’est pas une limite à l’expression,
mais l’affirmation que « l’imprimerie et la librairie sont libres ». L’application aux services en
ligne de ce principe, pensé pour le papier, lui donne un regain de force, dans la mesure où de
plus en plus de citoyens deviennent des auteurs « Internet ».
Les limites apportées au principe général de liberté visent à instituer un équilibre entre la
liberté d’expression et la protection des personnes 11. Au fur et à mesure de l’arrivée de
nouveaux supports, l’audiovisuel d’abord, Internet maintenant, les principes en ont
simplement été adaptés, précisés ou complétés. Les différentes infractions énoncées sont
susceptibles d’être caractérisées quels que soient le support et le moyen de l’expression (écrit,
parole ou image sur la voie publique, presse, télévision, Internet…) dès lors qu’il y a
publication. Et si cette loi est souvent malmenée sur Internet, c’est que, pour respecter le
principe de son article premier – « l’imprimerie et la librairie sont libres » –, aucun contrôle
ne peut se faire avant publication, tandis que les caractéristiques techniques du média en
compliquent la surveillance… après publication.
4.1.3. Le directeur de publication
En application de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881, toute publication de presse doit
déclarer un directeur de publication. En application de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet
1982, cette obligation incombe également aux services de communication audiovisuelle. À
cet égard, l’engagement de la responsabilité d’un directeur de publication est rappelé par la
Direction du développement des médias (Premier ministre) : il est nécessaire pour toute
publication en ligne de désigner un directeur de publication qui se porte garant des contenus
publiés. Un texte du 5 septembre 2001 de la Direction du développement des médias précise
le principe en jeu dans les termes suivants 12.
Le régime de responsabilité relève du dispositif adapté aux services de communication audiovisuelle
lorsque la publication fait l’objet d’une diffusion en ligne (article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982)
limitant la chaîne de responsabilité (directeur de la publication, à défaut l’auteur, à défaut le
producteur) et subordonnant sa mise en œuvre à une « fixation préalable » des messages incriminés.
Les conditions spécifiques de mise en œuvre de la responsabilité des intermédiaires techniques
doivent faire l’objet de précisions dans le projet de loi sur la société de l’information…
En revanche, la déclaration d’intention de paraître auprès du procureur de la République,
nécessaire pour les écrits périodiques de support papier, ainsi que les dépôts administratif,
judiciaire et légal, disparaissent de fait. Cela noté, on est amené à distinguer les publications
en ligne réalisées dans le cadre scolaire en fonction du directeur de publication. C’est en
11
Voir le chapitre IV, « Des crimes et délits commis par voie de presse ou de toute autre publication », de la loi
du 29 juillet 1881 : http://www.clemi.org/medias_scolaires/FAQ/FAQpresse1881_2.htm.
12
Voir http://www.ddm.gouv.fr/article.php3?id_article=830.
84
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
général le chef d’établissement qui assume cette responsabilité pour les sites d’établissement
destinés au public extérieur, aux familles, aux élèves, avec des contenus de type vitrine, de
valorisation de l’établissement, avec des pages destinées à alimenter les enseignements et la
communication avec les élèves et les familles, voire quelques éléments d’information
pratique. On trouve souvent dans ces sites des pages de publication de travaux d’élèves, mais
elles restent alors sous la responsabilité du chef d’établissement qui peut avoir délégué ses
responsabilités de directeur de publication à un webmestre adulte (professeur, CPE,
documentaliste…). Il serait en revanche irresponsable, croyons-nous, d’en confier la
délégation à un emploi-jeune ou un surveillant par exemple, même si c’est bien cette personne
qui réalise le site. De tels sites sont parfois, et légitimement, hébergés sur un serveur
académique.
Pourtant la liberté de publication ne saurait s’en tenir à ces dispositions. L’article 10 de la loi
d’orientation du 10 juillet 1989 énonce que, « dans les collèges et dans les lycées, les élèves
disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté
d’information et de la liberté d’expression », avant de préciser que « l’exercice de ces libertés
ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ». Pour préciser les modalités
d’application de ce principe, il existe une transposition de la loi sur la presse adaptée aux
publications réalisées à l’initiative des élèves : énoncée dans la circulaire no 91-051 du 6 mars
1991, elle a été modifiée par une circulaire du 1er février 2002 13. Or les outils de réalisation
de pages web sont aujourd’hui à la portée de nombreux élèves qui commencent à exercer en
ligne leur droit de publication. Ils se font parfois héberger sur des sites privés – et il ne s’agit
alors plus vraiment d’une publication scolaire, puisqu’elle n’est pas diffusée dans
l’établissement, mais sur le web. Mais il arrive aussi que des établissements les hébergent sur
leur propre serveur avec la même bienveillance que l’on peut avoir à l’égard des journaux
lycéens. Ainsi le journal lycéen Interpaul 14 est-il hébergé sur le site du lycée Paul Lapie de
Courbevoie (Hauts-de-Seine). On y lit que « les opinions exprimées dans ces pages
n’engagent que leurs auteurs », ce qui n’est probablement pas exact, même si le directeur de
publication n’est pas annoncé… C’est bien à la lumière des principes des circulaires
susmentionnées qu’il faut regarder alors les publications en ligne d’élèves, même si des
adaptations sont nécessaires. Nous retiendrons ici quelques points essentiels.
1. Les publications rédigées par les lycéens peuvent être librement diffusées dans l’établissement.
[En ligne, sur un site web public, il s’agira d’une publication externe, et sur un intranet d’une
publication interne.]
2. La responsabilité personnelle des rédacteurs est engagée pour tous leurs écrits quels qu’ils
soient, même anonymes. [On peut sans difficulté élargir cette disposition aux « écritures »
audiovisuelles ou multimédias.]
3. Ces écrits (tracts, affiches, journaux, revues...) ne doivent porter atteinte ni aux droits d’autrui, ni
à l’ordre public. [On peut ajouter ici à l’énumération des écrits, « pages web »]. Quelle qu’en soit la
forme, ils ne doivent être ni injurieux, ni diffamatoires, ni porter atteinte au respect de la vie privée.
En particulier, les rédacteurs doivent s’interdire la calomnie et le mensonge.
4. Les lycéens s’interdisent tout prosélytisme politique, religieux ou commercial, sans pour autant
s’interdire d’exprimer des opinions.
5. [Dans le cas de publications internes, donc non diffusées à l’extérieur de l’établissement] Le
responsable de la publication peut être un élève majeur ou mineur. Dans ce dernier cas, il devra
bénéficier de l’autorisation de ses parents dont la responsabilité est susceptible d’être engagée. [Ce
peut être le cas notamment de publications diffusées sur l’intranet d’un établissement…]
13
14
Voir http://www.clemi.org/medias_scolaires/outils/textesofficiels.html#circulaire.
Voir http://www.ac-versailles.fr/etabliss/plapie/Interpaul05/Interpaul05.htm.
85
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
6. Dans les cas graves […] le chef d’établissement est fondé à suspendre ou interdire la diffusion de
la publication dans l’établissement. [Mesure applicable lorsque les pages sont hébergées par
l’établissement.]
4.1.4. La nouvelle loi « pour la confiance dans l’économie numérique »
Depuis 2003, le législateur a confirmé les principes précédents en les précisant. C’est ainsi
que la loi no 2004-575 du 21 juin 2004, dite « loi pour la confiance dans l’économie
numérique », distingue les règles de la « communication au public par voie électronique » de
celles de « communication audiovisuelle » 15. Le titre 1er de cette loi s’intitule « De la liberté
de communication en ligne » et vise à appliquer au mieux les principes de la loi sur la presse
de 1881. La notion en question, déjà définie par la loi du 30 septembre 1986, y est formulée
dans les termes suivants dans l’article 1 du chapitre Ier.
On entend par communication au public par voie électronique toute mise à disposition du public ou
de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux,
d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une
correspondance privée.
La loi précise en outre la responsabilité de celui qui « stocke » les données – appelé
couramment l’hébergeur –, en la distinguant de celle du « producteur » des « services de
communication audiovisuelle audiovisuelles », et cela en utilisant la possibilité offerte par la
diffusion en ligne de retirer « promptement » des contenus, comme le souligne l’article 6 de
son chapitre II.
Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du
public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits,
d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne
peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées
à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de
leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment
où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en
rendre l’accès impossible.
La loi décharge l’hébergeur de sa responsabilité directe sur les contenus diffusés par les
éditeurs, mais ne lui rappelle pas moins dans les termes suivants ses devoirs liés à « l’intérêt
général » (chapitre II, article 7).
Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller
les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des
faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
…………………………………………………………………………………………………………
Compte tenu de l’intérêt général attaché à la répression de l’apologie des crimes contre l’humanité,
de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, les personnes mentionnées
ci-dessus doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et
huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et à l’article 22723 du code pénal.
Enfin, soulignons que la loi souligne la nécessité d’un directeur de publication, et
accompagne cette notion de dispositions nouvelles remplaçant la « déclaration d’intention de
paraître », qui n’est plus requise pour les publications en ligne. Il s’agit pour celles-ci de la
« mise à disposition du public » de certaines données d’identification (ibid.).
15
Voir http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ECOX0200175L.
86
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
Les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne mettent à
disposition du public, dans un standard ouvert :
a) S’il s’agit de personnes physiques, leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone et, si
elles sont assujetties aux formalités d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au
répertoire des métiers, le numéro de leur inscription ;
b) S’il s’agit de personnes morales, leur dénomination ou leur raison sociale et leur siège social, leur
numéro de téléphone et, s’il s’agit d’entreprises assujetties aux formalités d’inscription au registre du
commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de leur inscription, leur capital
social, l’adresse de leur siège social ;
c) Le nom du directeur ou du codirecteur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de
la rédaction au sens de l’article 93-2 de la loi no 82-652 du 29 juillet 1982 précitée ;
d) Le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse et le numéro de téléphone du prestataire
mentionné au 2 du I.
2. Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne
peuvent ne tenir à la disposition du public, pour préserver leur anonymat, que le nom, la
dénomination ou la raison sociale et l’adresse du prestataire mentionné au 2 du I, sous réserve de lui
avoir communiqué les éléments d’identification personnelle prévus au 1.
Le « prestataire mentionné au 2 du I » est bien sûr l’hébergeur, à qui l’éditeur doit
communiquer ses éléments d’identification.
Dans l’acte de publier, nul n’est censé ignorer la loi sur la presse. De ce point de vue, il faut
éviter de passer d’un espace de non-droit et d’arbitraire à l’autocensure abusive, à
l’expression de pure forme, convenue et stérile, ce qui conduirait les élèves à produire ce que
Figaro, le personnage de Beaumarchais (1732-1799), aurait nommé – en 1784 – des
« journaux inutiles » (Le Mariage de Figaro, Acte V, Scène 3).
… on me dit que, pendant ma retraite économique, il s’est établi dans Madrid un système de liberté
sur la vente des productions, qui s’étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle
en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni
des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose,
je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette
douce liberté, j’annonce un écrit périodique, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le
nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille, on me
supprime, et me voilà derechef sans emploi !
4.2. Un exemple : l’évolution de la question du droit à l’image
Dans le cadre de la préparation des enseignants au C2i2e (voir ci-dessus), nous avons pu
observer que la découverte de certains domaines du droit des publications révèle des
représentations fantasmées des dispositions légales. Celles-ci seraient censées renfermer une
réponse à toute situation, et cela de façon exactement binaire : on devrait pouvoir faire la liste
complète de ce qui est autorisé et de ce qui est interdit. Et il suffirait alors de connaître ces
listes, que d’aucuns, au demeurant, pensent connaître !
Il est un domaine où quasiment chacun, dans l’institution scolaire, succombe à cette tentation
simplificatrice : celui du droit à l’image. Si l’on pose la question suivante à des stagiaires
enseignants en formation initiale ou continue : « publier une belle photo de quelqu’un sans
son autorisation, est-ce autorisé par la loi ? », la réponse fuse, immédiate et systématique :
« non ». Nous en avons encore fait systématiquement le test lors de l’ensemble des stages de
formation auxquels nous avons eu accès au cours de l’année 2006-2007 : chaque fois, l’air
entendu des participants manifestait clairement que c’était là pour eux une question
« évidente ».
87
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
Il faut souvent batailler ferme pour faire entendre que le rapport à la loi est une chose plus
complexe. Si, en effet, l’usage, sans son autorisation, de l’image d’une personne dans le cadre
de sa vie privée peut entraîner la mise en cause de la responsabilité de l’utilisateur, on oublie
souvent qu’il faut pour cela que la preuve de l’existence d’un préjudice constitutif d’une
atteinte à la vie privée soit apportée. À cet égard, il est vrai, un changement s’est imposé dans
les mœurs contemporaines : alors que, dans les années 1930, on considérait ordinairement que
l’image d’un citoyen appartenait à la communauté des citoyens, dans les années 1990 la
simple présence de votre image dans une photo publiée dans un journal vous donnait toutes
vos chances de toucher un petit pécule, à l’issue d’un procès – une situation à laquelle
certaines agences de presse n’ont pas survécu.
Aujourd’hui, il semble que les jurisprudences reviennent à plus de modération. C’est ainsi
que, en mai et juin 2007, trois procès successifs pour atteinte au droit à l’image à l’encontre
d’un livre du photographe François-Marie Banier ont été perdus par les plaignants, la justice
considérant, dans les cas cités, que le préjudice sur la vie privée ne pouvait pas être opposé au
droit de l’information ou au droit de l’expression artistique 16. L’étude de cet exemple en
formation des enseignants, ou avec des élèves de lycée, devrait pouvoir permettre de donner
un sens plus exact à la demande d’autorisation écrite de publier une photo, recommandée par
toutes les institutions, en particulier scolaires. Car la loi n’oblige nullement à recueillir cette
autorisation écrite, qui permet simplement de s’assurer que la personne ne devrait pas y voir
une atteinte éventuelle à sa vie privée.
4.3. Les blogs d’adolescents comme analyseur
L’arrivée brutale, en mars 2005, des blogs personnels des adolescents, en particulier sur la
plate-forme Skyblog, a secoué les établissements, qui ont pris des dispositions d’exclusion
d’élèves au moment où tout le monde découvrait que ce qu’on pensait être un espace privé
était en réalité un espace public. En quoi ce phénomène de société concerne-t-il l’école ?
On peut certes voir dans la profusion des blogs un phénomène de mode qui aura tôt fait de
passer. Les enseignants considèrent souvent, sans doute à juste titre, qu’il relève des activités
privées des adolescents, et qu’eux-mêmes n’ont pas à s’immiscer dans ce qui constitue les
terrains d’expérience autonome de l’adolescence. Pourtant de nombreux établissements n’ont
pas hésité à opérer des exclusions nombreuses lorsqu’ils ont découvert brutalement, au cours
de l’année 2005, des propos et des images contrevenant gravement à la loi sur la presse de
1881 : injures, diffamation, atteintes à la vie privée et au droit à l’image, etc., le tout proféré
sur Internet par de jeunes élèves sincèrement convaincus que seuls les dix copains à qui ils
avaient communiqué l’adresse du blog pouvaient y accéder. Certains ont même cru avoir été
dénoncés par l’un d’entre eux, ignorant l’efficacité de la recherche par mots clés.
La mode des blogs passera peut-être, mais la simplicité technique des supports de la liberté
d’expression est, sauf régression démocratique violente, installée solidement dans les
pratiques sociales. Là où il fallait autrefois être doté de moyens professionnels et de
ressources financières importantes pour diffuser de l’information, un simple citoyen peut
aujourd’hui s’exprimer publiquement sur un support, peut-être discret, mais potentiellement
accessible au monde entier – souvenons-nous de l’énorme impact, médiatique et aussi
16
Voir, dans Le Monde du 6 juin 2007, « Un livre de François-Marie Banier visé par trois procès en droit à
l’image », par Michel Guerrin ; et, dans Le Monde du 27 juin 2007, « Le photographe François-Marie Banier
gagne un procès inédit sur le droit à l’image », par Claire Guillot. Voir en annexe.
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
politique, du site d’Étienne Chouard, simple professeur de lycée, au moment du débat sur le
Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
Si le rôle de l’école est de préparer les jeunes citoyens au monde réel, il faut alors leur
permettre de comprendre les enjeux d’une société de communication, avec notamment ses
espaces publics et ses espaces privés, parfois bien difficiles à distinguer. Il s’agit d’armer les
futurs citoyens pour que les dangers du cyberespace se transmuent en risques pris en toute
connaissance de cause : on ne peut ainsi laisser des élèves penser que ce qu’ils écrivent dans
leur skyblog ne peut être lu que par dix copains !
Mais les mesures disciplinaires prises à l’encontre de certains élèves auteurs de délits
d’expression sur leurs blogs sont plus révélatrices peut-être de la peur de l’institution que
d’une préoccupation éducative. Cette peur, la communauté éducative peut apprendre à la
maîtriser et à la transformer. Il faut pour cela utiliser chaque « débordement » comme une
occasion de réfléchir aux nouvelles normes d’une cybercitoyenneté à construire, cette
réflexion étant nourries de savoirs adéquats.
4.4. Penser les savoirs à enseigner
En 2007, les savoirs relatifs au droit de publication s’imposent comme une nécessité. De plus
en plus d’éditeurs fabriquent de petits opuscules à destination des élèves et de leurs
enseignants pour les guider dans la connaissance de leurs droits. Ces fascicules didactisés,
disponibles en ligne, sont souvent les seules ressources qu’utilisent les enseignants. Ainsi en
va-t-il par exemple avec les Mémotice, des 4-pages réalisés par le CRDP de Versailles 17, ou
encore avec Internet et moi, brochure de 16 pages réalisée par le Forum des droits sur
l’Internet 18.
Pour de jeunes professeurs ayant intégré le C2i2e dans leur parcours de formation, cette
production peut devenir un champ de recherche, à explorer par exemple dans le cadre de leur
mémoire professionnel à l’IUFM. Trois jeunes stagiaires documentalistes de l’IUFM d’AixMarseille ont ainsi rédigé collectivement, en 2007, un mémoire professionnel sur le thème
« Droit et Tic ». Deux d’entre eux ont choisi comme exemple d’application la réalisation d’un
journal, et ont créé à l’intention de leurs élèves respectivement un Petit guide de l’apprenti
journaliste 19 et un Guide du cybercitoyen 20. Ces outils, bien que perfectibles, reflètent le
besoin réel que ressent la profession enseignante au début du XXIe siècle de préciser les
savoirs à enseigner en réponse aux questions notamment juridiques que soulève l’acte de
publication aujourd’hui à la portée de tous. C’est ainsi que le sommaire du Petit guide de
l’apprenti journaliste fait apparaître entre autres les développements que voici.
♦ Le choix d’une image
– À quoi sert une image dans un article ?
– Image et droit
∗ Ai-je le droit de publier les images que je veux sur le journal du collège ?
∗ Où se trouvent les informations sur les droits d’utilisation d’une image ?
∗ Comment identifier l’auteur / le propriétaire d’une image ?
∗ Modèles de demandes d’autorisation :
⋅ Je veux demander à un auteur l’autorisation de copier une image sur le site d’un journal
17
Voir http://www.tice.ac-versailles.fr/rubrique.php3?id_rubrique=70.
Voir http://www.foruminternet.org/activites_evenements/lire.phtml?id=159.
19
Magali Magnien, Collège Jean Bernard (Marseille). Voir http://www.galitheque.fr/.
20
Julien Sénégas, Collège Honoré Daumier (Marseille). Voir http://moncdivirtuel.free.fr/index.html.
18
89
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
⋅ Je veux demander à une personne l’autorisation de publier sa photo sur le site du journal
– Des banques d’images libres de droit
– Comment présenter une image dans un article de journal
♦ Quelques questions de droit…
– Ai-je le droit de recopier un extrait de texte sur Internet ?
– Qu’est-ce qu’une diffamation ?
– Atteinte à la vie privée
– Incitation au délit et à la haine raciale
L’auteur du Guide du cybercitoyen, quant à lui, intègre la notion de licence libre et enseigne
aux élèves à choisir une licence dite Creative Commons quand ils mettent en ligne des
contenus dont ils sont les auteurs. Il en précise les conditions sur le site du journal Le
Daumier Express 21.
Le Comité de Rédaction a pris connaissance des règles concernant les droits d’auteur. Après avoir
réfléchi aux différentes possibilités qu’offrent les licences libres et suite à un vote, les jeunes
journalistes et le Rédacteur en chef ont choisi la licence 2.0 des Creative Commons.
Cette Licence permet à nos lecteurs d’utiliser, de reproduire et de modifier nos articles à condition
de respecter les règles suivantes :
Droit de paternité
Toute personne voulant utiliser, reproduire ou modifier un article doit obligatoirement citer le ou les
auteurs de l’article ainsi que le nom du journal.
Pas d’utilisation
commerciale
Si l’utilisation et la modification des articles sont autorisées, en revanche aucune utilisation
commerciale n’est possible.
Partage à l’identique
Les personnes voulant utiliser, reproduire ou modifier nos articles doivent utiliser la même licence
Creative Commons que nous.
Cette licence s’applique à tous nos articles sauf mention contraire.
Dans une rubrique de son Guide, ce jeune enseignant documentaliste présente et explique une
version simplifiée de la charte « informatique et Internet » de l’établissement : l’extrait
suivant donnera une idée de ce qui est ainsi proposé à la réflexion des élèves.
21
Voir http://ledaumierexpress.free.fr/spip/spip.php?article18, où sont hébergés les deux premiers numéros du
journal en ligne.
90
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
2. Respect du droit des personnes
J’ai droit à ce que ma vie privée soit respectée et au respect de ma personne.
Je m’engage à ne pas porter atteinte à la dignité humaine d’un autre utilisateur, à ne pas diffuser
d’informations injurieuses ou diffamatoires pouvant porter atteinte à la vie privée ou à l’image
d’autrui et à ne pas diffuser des photos sans l’autorisation des personnes représentées.
Lorsque je communique sur le Web, ou quand je publie un document en ligne, je dois faire très
attention à ce que j’écris. Je dois savoir ce que sont les injures et la diffamation. Si je ne respecte pas
ces règles je m’expose à des sanctions. Le droit à l’image est aussi très important. Tout le monde à le
droit au respect de son image. Je ne peux pas mettre la photo de quelqu’un sur le Web sans lui
demander son accord.
Je m’engage à ne pas diffuser des informations faisant l’apologie du racisme, de l’antisémitisme et à
ne pas consulter de site à caractère immoral (raciste, antisémite, xénophobe, pédophile ou
pornographique).
Je ne tiens pas de propos raciste sur Internet. Le collège garde la trace de tous les sites que je
consulte.
3. Respect des droits d’auteur
J’ai un droit sur mes productions, il faut me demander l’autorisation pour les reproduire ou les
diffuser.
Je suis auteur de mes productions (mes devoirs, exposés, etc.). Ce qui veut dire qu’une personne qui
voudrait les diffuser, dans ou hors de l’établissement, doit me demander mon autorisation.
Je m’engage à respecter la propriété intellectuelle en ne publiant pas des productions sans
l’autorisation de leur auteur, en n’utilisant pas de copie illégale, en ne téléchargeant pas de fichiers
protégés par le droit d’auteur.
Je dois respecter les droits d’auteur. À chaque œuvre (même une photo trouvée sur le Web)
correspond des droits d’auteur. Je ne peux pas diffuser (sur Internet) une œuvre dont je ne possède
pas les droits. Il est souvent possible de demander à l’auteur une autorisation.
De fait, de multiples ressources existent, à la portée des élèves. On peut par exemple tirer un
excellent bénéfice du texte des « Conditions générales d’utilisation » (CGU) de la plate-forme
Skyblog gérée par la société Téléfun. Cette dernière fait signer ce texte 22 aux auteurs de
blogs, selon un protocole d’échange de courriels. Il contient, entre autres conditions, une
décharge de responsabilité de la société Téléfun quant aux contenus publiés, écho des
dispositions ordinaires de la loi que nous avons commentées plus haut.
L’Utilisateur est expressément informé que les Contenus numériques associés et présentés sur son
Blog sont sous sa seule responsabilité. Par conséquent, seul le titulaire du Compte ayant renseigné la
fiche d’identification assumera la responsabilité tant civile que pénale des Contenus associés et
présentés sur son blog en sa qualité d’auteur et d’éditeur du Blog. À ce titre, les parents sont invités à
surveiller l’utilisation qui est faite du Blog par leurs enfants mineurs.
La préoccupation des CGU est sans doute beaucoup plus commerciale que pédagogique :
l’intention de l’hébergeur est en effet de protéger sa responsabilité, mais aussi d’afficher une
image de bienveillance vis-à-vis des mineurs et d’exemplarité juridique afin de gagner la
confiance d’abord des familles (pour qu’elle laissent leurs enfants aller sur le site), ensuite des
éducateurs (pour qu’ils ne les en dissuadent pas), enfin et surtout des annonceurs (pour que
leur marque soit associée à un site irréprochable). C’est pour cela précisément que
l’enseignant peut y voir un pourvoyeur de milieux adidactiques 23 didactiquement productifs :
la rencontre par les élèves, dans un dispositif didactique adapté, de tout ou partie du texte des
CGU est susceptible d’engendrer des situations didactiques fécondes à propos de questions
concernant leur propre activité sur Internet. S’agissant ainsi des obligations qu’ils contractent
22
23
On le trouvera à l’adresse suivante : http://www.skyrock.fm/front/static/footer/?pg=cgu.
Voir chapitre 2.
91
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3
en devenant directeur de publication, et de celles que devront assumer leurs parents de ce fait,
le travail d’élucidation pourra par exemple s’appuyer sur cet autre passage.
Lors de son Inscription en ligne, l’Utilisateur s’engage à fournir des informations vraies, exactes, à
jour et complètes sur son identité et son âge comme demandé dans le formulaire d’inscription aux
Services, conformément à l’article 6-II de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans
l’économie numérique. Il s’engage notamment à ne pas créer une fausse identité de nature à induire
TELEFUN ou les tiers en erreur et à ne pas usurper l’identité d’une autre personne morale ou
physique.
L’Utilisateur s’engage à mettre immédiatement à jour, en cas de modification, les données qu’il a
communiquées lors de son Inscription en ligne.
…………………………………………………………………………………………………………
Il est rappelé aux parents et à toute personne exerçant l’autorité parentale, qu’il leur appartient, d’une
part, de déterminer quel(s) Service(s) leur enfant mineur est autorisé à utiliser et, d’autre part, de
surveiller l’utilisation que celui-ci fait de ce(s) Service(s).
Pour assurer sa coopération, et s’attacher la confiance des adultes, la plate-forme Skyblog
reste d’ailleurs toujours disposée à fermer un blog si un problème est signalé par un
établissement ou un parent. Cela, bien sûr, n’empêche pas que l’on puisse développer avec
des élèves, dans un travail encadré (par exemple dans le cadre des IDD), une analyse critique
documentée et argumentée du « système » Skyblog.
5. Pour conclure
Le journal scolaire ou lycéen est à la fois le bénéficiaire de la diffusion des savoirs sur le droit
des publications et l’occasion de former les élèves à leurs droits et devoirs en tant qu’auteurs
de contenus publiés, quel qu’en soit le support.
La didactisation de ces champs de savoirs, encore à l’état naissant, devrait connaître de
grandes avancées dans les années à venir, du fait même de l’existence du B2i, désormais
obligatoire. La pratique du journal scolaire, sur papier ou en ligne, pourrait en être l’un des
outils fondamentaux, car l’activité engendre de nombreuses situations où ces questions
émergent. La situation didactique que constitue un projet de journal a en effet toutes chances
d’apporter une vision positive de la loi, en obligeant à répondre à des questions qui se posent
vraiment, là où les listes d’interdits et de mises en garde diffusées aujourd’hui dans les
établissements scolaires produisent soit l’ennui, soit le désir de transgresser, soit même
parfois la peur ou l’effroi des élèves. De ce traitement contre-productif, l’épisode suivant, que
nous avons pu observer, est une bonne illustration : en mai 2007, dans un collège du
Vaucluse, à l’occasion d’une journée d’éducation à la citoyenneté consacrée aux nouveaux
médias, des élèves, de la 6e à la 3e, écoutent des intervenants leur commentant les choses à ne
pas faire sur Internet, avant de visionner un film sur la cyber-criminalité présenté par un
gendarme en tenue ; à l’issue de cette journée, les élèves présents concluront en chœur : « Il
faudrait interdire Internet ! » Ce qui n’était certes pas l’effet attendu par les responsables de la
manifestation.
Annexes (4 pages)
A.1. Circulaire sur les publications des lycéens de 1991, revue en 2002.
A.2. Circulaire sur le dépôt pédagogique de 2002.
A.3. Article du Monde, procès droit à l’image.
92
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3 – Annexes
A.1.
Circulaire du 1er février 2002 actualisant la circulaire du 6 mars 1991 sur les publications
réalisées et diffusées par les élèves dans les lycées et les établissements régionaux
d'enseignement adapté
La loi d'orientation sur l'éducation (n° 89-486 du 10 juillet 1989 codifiée au sein du code de l'éducation, art. 5112) a établi le principe de la liberté d'expression des élèves, notamment dans les lycées et les établissements
régionaux d'enseignement adapté (en ce qui concerne les élèves de niveau d'études correspondant).
Le décret en Conseil d'État n° 91-173 du 18 février 1991 relatif aux droits et obligations des lycéens qui a
modifié le décret n° 85-924 du 30 août 1985 modifié relatif aux établissements publics locaux d'enseignement, a
défini les conditions dans lesquelles les lycéens peuvent, sous leur responsabilité, rédiger et diffuser des
publications dans l'établissement (article premier).
Actualisée en prenant en compte les dix années d'expérience du droit de publication, la présente circulaire
précise les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le régime des responsabilités qui y est attaché. Elle
complète la circulaire relative aux droits et obligations des élèves (n° 91-052 du 6 mars 1991).
I - Le droit de publications des lycéens
Aux termes de l'article 3-4 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 modifié (article premier du décret du 18
février1991) "Les publications rédigées par les lycéens peuvent être librement diffusées dans l'établissement."
Conformément à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, cette liberté s'exerce sans autorisation ni
contrôle préalable et dans le respect du pluralisme ; ainsi plusieurs publications peuvent coexister dans le même
établissement si les élèves le souhaitent.
L'exercice de la liberté d'expression peut être individuel ou collectif, cet exercice n'exigeant pas la constitution
préalable d'une structure juridique, de type associatif notamment.
Il serait toutefois dangereux de laisser croire aux lycéens que leur capacité d'action en ce domaine ne connaît pas
de limites et qu'ils ne risquent pas de voir mettre en cause leur responsabilité. Il faut souligner au contraire que
les conditions d'exercice du droit de publication sont très précisément réglementées et qu'a été corrélativement
mis en place tout un éventail de sanctions civiles et pénales à la mesure de la liberté d'expression reconnue par la
loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 modifiée.
1) Les règles à respecter Les lycéens devront être sensibilisés au fait que l'exercice de ces droits entraîne
corrélativement l'application et le respect d'un certain nombre de règles dont l'ensemble correspondant à la
déontologie de la presse: - La responsabilité personnelle des rédacteurs est engagée pour tous leurs écrits quels
qu'ils soient, même anonymes.
- Ces écrits (tracts, affiches, journaux, revues...) ne doivent porter atteinte ni aux droits d'autrui, ni à l'ordre
public.
- Quelle qu'en soit la forme, ils ne doivent être ni injurieux, ni diffamatoires, ni porter atteinte au respect de la vie
privée. En particulier, les rédacteurs doivent s'interdire la calomnie et le mensonge. La loi sur la presse qualifie
d'injurieux l'écrit qui comporte des expressions outrageantes, mais qui ne contient pas l'imputation d'un fait
précis; elle qualifie de diffamatoire, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.
- Le droit de réponse de toute personne mise en cause, directement ou indirectement, doit toujours être assuré à
sa demande.
- Les lycéens s'interdisent tout prosélytisme politique, religieux ou commercial, sans pour autant s'interdire
d'exprimer des opinions.
2) Les responsabilités encourues Les lycéens doivent être conscients que, quel que soit le type de publication
adopté, leur responsabilité est pleinement engagée devant les tribunaux tant sur le plan pénal que sur le plan civil.
Dans le cas des élèves mineurs non émancipés, la responsabilité est transférée aux parents.
3) Le rôle des chefs d'établissement Ces principes ainsi posés, le chef d'établissement ne saurait pour autant se
désintéresser des publications rédigées par les lycéens.
Tout d'abord, il conserve à cet égard un pouvoir essentiel d'appui, d'encouragement ou, à l'inverse, de mise en
garde, qui peut faire de lui un conseiller très écouté des élèves. On quitte ici le domaine de l'instruction et de la
réglementation génératrices de responsabilité juridique pour celui de la concertation et de la discussion
confiantes, essentiel pour le bon fonctionnement de l'établissement et la qualité des relations entre enseignants et
élèves. Il est important que les lycéens désireux de créer une publication puissent, s'ils le souhaitent, être guidés
dans leur entreprise par des responsables de l'établissement.
93
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3 – Annexes
Par ailleurs, dans les cas graves prévus par l'article 3-4 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 modifié (article
premier du décret du 18 février 1991) le chef d'établissement est fondé à suspendre ou interdire la diffusion de la
publication dans l'établissement. Il doit notamment prendre en compte les effets sur les conditions de vie et de
fonctionnement du service public d'éducation à l'intérieur des établissements scolaires, des faits incriminés.
Lorsque la décision de suspension ou d'interdiction de la diffusion de la publication en cause est prise, il en
informe par écrit le responsable de cette publication en précisant les motifs de sa décision ainsi que la durée pour
laquelle elle est prononcée. Réglementairement tenu d'informer le conseil d'administration, le chef
d'établissement met cette question à l'ordre du jour de la prochaine réunion du conseil, ce qui lui permet de
susciter un débat de nature à éclairer sa décision et les suites qu'elle appelle. Il paraît important, compte tenu de
ses compétences, que cette question soit évoquée lors de la réunion du conseil des délégués pour la vie lycéenne
préalable à celle du conseil d'administration.
II - Les types de publications susceptibles d'être réalisées et diffusées
Les lycéens peuvent choisir, dans le respect des principes rappelés ci-dessus, entre deux types de publication.
a) les publications de presse au sens de la loi du 29 juillet 1881.
Les lycéens qui le souhaitent peuvent se placer sous ce statut, relativement contraignant. Il implique en effet le
respect d'un certain nombre de règles et de formalités, telles que la désignation d'un directeur de la publication,
qui doit être majeur, une déclaration faite auprès du Procureur de la République, concernant notamment le titre
du journal et son mode de publication, et le dépôt officiel de deux exemplaires à chaque publication.
b) les publications internes à l'établissement ne s'inscrivant pas dans le cadre de la loi de 1881.
Ces publications ne peuvent pas être diffusées à l'extérieur de l'établissement.
Dans ce cas, les lycéens ne sont pas assujettis à l'ensemble des dispositions relatives aux publications de presse.
Ils doivent seulement indiquer au chef d'établissement le nom du responsable de la publication et, le cas échéant,
le nom de l'association sous l'égide de laquelle cette publication est éditée.
Le responsable de la publication peut être un élève majeur ou mineur. Dans ce dernier cas, il devra bénéficier de
l'autorisation de ses parents dont la responsabilité est susceptible d'être engagée.
Enfin, conformément à la circulaire n° 2001-184 du 26 septembre 2001, le fonds de la vie lycéenne peut
contribuer au financement des publications internes réalisées par des élèves.
c) La conservation des publications réalisées par les élèves
Les publications scolaires doivent faire l'objet d'un "dépôt pédagogique" auprès du CLEMI (centre de liaison de
l'enseignement et des moyens d'information) dans les conditions prévues par la circulaire n° 2002-025 du 1er
février 2002.
III- La formation des lycéens
La reconnaissance du droit à l'expression écrite des élèves s'accompagnera d'un dispositif de formation.
Le recteur veillera à ce que des stages répondant à ces objectifs soient inscrits au programme académique de
formation.
Il s'agira d'apporter non seulement les connaissances propres à cet outil spécifique de communication qu'est la
presse, mais encore d'aborder les notions juridiques de base qui s'appliquent à ce domaine.
Les correspondants du centre de liaison de l'enseignement et des moyens d'information (CLEMI) pourront
intervenir dans ces formations, de même que les représentants des associations agréées en vertu du décret n° 90020 du 13 juillet 1990 (décret relatif aux relations du ministère chargé de l'éducation nationale avec les
associations qui prolongent l'action de l'enseignement public) et tout professionnel - journaliste, éditeur, libraire,
spécialiste du droit de l'information - susceptible d'enrichir le stage de sa compétence.
Les formations pourront être envisagées sous des formes variées s'adressant directement aux élèves, notamment
dans le cadre des formations des délégués des élèves, ou s'adressant aux enseignants au travers de stages qui
pourraient être mixtes enseignants-élèves. En complément de sa participation à la formation, le CLEMI remplira,
dans le cadre de son statut, une mission de conseil auprès de tous les acteurs de la communauté scolaire (chefs
d'établissement, personnels d'éducation, élèves) ainsi qu'une mission de "centre de ressources et d'observatoire".
De plus amples renseignements sur l'action du CLEMI sont disponibles sur son site internet : www.clemi.org Le
recteur et l'inspecteur d'académie sont tenus informés par le chef d'établissement des difficultés qui peuvent être
rencontrées dans l'application de la présente circulaire, ainsi que des expériences dont la diffusion peut faciliter
sa mise en oeuvre.
94
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3 – Annexes
A.2.
Circulaire du 1er février 2002 créant un dépôt pédagogique
Pour la première fois, le ministère de l'éducation nationale a demandé au centre de liaison de l'enseignement et
des moyens d'information, le CLEMI, de réaliser un recensement des médias produits par des élèves, de l'école
au lycée, pour l'année scolaire 2000-2001.
Il ressort de ce recensement l'existence d'un grand nombre de publications "papier" : 2 275 journaux d'école, 1
237 journaux collégiens et 481 journaux lycéens.
Ces publications, réalisées par des élèves, représentent un moment de l'histoire de l'établissement où elles sont
publiées. Jusqu'à présent, la conservation de ces journaux n'était que trop rarement assurée.
Ces publications devront désormais faire l'objet d'un "dépôt pédagogique". Ce dépôt s'effectue dans les jours qui
suivent la parution de la publication en en remettant cinq exemplaires au directeur de l'école ou au chef
d'établissement.
Deux de ces exemplaires seront conservés à la bibliothèque-centre documentaire (BCD) de l'école ou au centre
de documentation et d'information (CDI) de l'établissement au sein d'un fonds spécialement créé à cet effet.
Les trois exemplaires restants seront adressés au centre de liaison de l'enseignement et des moyens d'information
(CLEMI, 391bis, rue de Vaugirard, 75015 Paris), centre sous tutelle du ministère de l'éducation nationale et
associé au centre national de documentation pédagogique (CNDP), qui en assurera l'archivage et la
conservation.
Le CLEMI publiera un point sur son activité de collecte et de conservation des publications scolaires au sein de
son rapport d'activité annuel présenté à son conseil d'orientation et de perfectionnement (COP) composé de
professionnels des médias, de l'éducation, et d'acteurs du système éducatif.
J'appelle votre attention sur l'importance de cette démarche d'archivage des publications scolaires qui s'inscrit
dans une perspective de conservation du patrimoine de nos établissements scolaires.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me tenir informé des difficultés que vous pourrez éventuellement
rencontrer dans la mise en oeuvre de la présente circulaire.
95
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 3 – Annexes
A.3. Le droit à l’image. Article du Monde daté du 6 juin 2007
96
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
Les journaux scolaires et le rapport à l’acte de publier
Pour le citoyen d’aujourd’hui, connecté à Internet, la notion d’information est toujours à double sens : celle
qu’il recherche ou qu’il reçoit, bien sûr, mais aussi celle qu’il produit, sans qu’il y ait de véritable séparation
entre les deux sens. Ce phénomène, largement décrit dans sa dimension sociale, a pour effet secondaire qu’il
charge l’école d’une mission complémentaire : préparer les citoyens à maîtriser aussi l’information qu’ils
diffusent.
1. Vers un monde où l’on écrit plus qu’on ne lit
1.1. Tous des auteurs, mais autorisés par qui et avec quelle autorité ?
Qui se souvient encore du temps où pour publier un article, une photo, une vidéo, il fallait
résoudre l’impossible équation de l’équilibre entre coût de production et liberté d’expression ?
Aujourd’hui, l’acte social de publication est devenu un geste ordinaire, banalisé. Chaque
citoyen peut rendre publiques ses œuvres dès lors que celles-ci sont traduisibles en octets. Il
n’y a plus qu’un coût spécifique minime lié à la reproduction et la diffusion des œuvres. En
décembre 2001, sous le titre « Nous sommes tous des auteurs, les élèves aussi », nous avions
rédigé une tribune libre à ce sujet (Chenevez, 2001). Nous la revisitons ici en l’actualisant.
L’un des bouleversements apportés par le média Internet est la transformation radicale et
rapide de la notion d’auteur. Internet, « un média comme les autres » au sens où il n’est qu’un
nouveau support permettant le transport de l’information, change pourtant notre manière
d’être avec autrui, de penser, de produire ensemble, parce qu’il fait de chacun de nous un
auteur potentiel. Dans une interview de 2001 pour l’accompagnement du programme
européen Educaunet, la philosophe Isabelle Stengers le soulignait dans les termes suivants 1.
Pour moi, Internet a le même type d’importance que l’imprimerie, mais va beaucoup plus vite.
L’imprimerie a bouleversé la société, notamment en changeant la notion d’auteur : celui qui écrit et
publie devient un auteur dans un sens qui n’existait pas auparavant. Il acquiert une « autorité », dans
un cadre collectif, différente de celle des auteurs plus anciens, Aristote ou les Écritures saintes, que
l’on commentait comme autorité unique sans confronter les auteurs les uns aux autres.
Isabelle Stengers fait référence à une figure d’autorité savante de l’Antiquité qui, au MoyenÂge, donnera la notion d’auctoritas, échelon supérieur de l’organisation sociale de l’écrit et
du livre copié. Dans Critique et vérité, Roland Barthes note ceci (Barthes, 1966, p. 76).
Le Moyen-Âge, lui, avait établi autour du livre quatre fonctions distinctes : le scriptor (qui recopiait
sans rien ajouter), le compilator (qui n’ajoutait jamais du sien), le commentator (qui n’intervenait de
lui-même dans le texte recopié que pour le rendre intelligible), et enfin l’auctor (qui donnait ses
propres idées en s’appuyant toujours sur d’autres autorités).
Selon Olivier Ertzscheid (2002, p. 25), c’est la technique de l’imprimerie qui stabilisera la figure de
l’auteur 2.
1
« Educaunet » désigne le Programme européen d’éducation critique à Internet et aux risques liés à son usage.
Voir http://www.educaunet.org.
2
Voir http://affordance.typepad.com/akademik/thse_chapitre_1/index.html.
97
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
La figure de l’auteur n’apparaîtra vraiment et ne se stabilisera dans son sens qu’à compter du
basculement dans la civilisation de l’imprimé. Tant que l’oralité demeure le mode prédominant de
transmission et de communication, toute mention d’autorité paraît superflue : la parole racontée se
régénère de manière spécifique, l’une de ses conditions premières est précisément de s’enrichir des
ajouts de ceux qui la transmettent, et il importe, pour que cette chaîne de la communication ne soit
pas brisée, que toute référence à une autorité stabilisée soit, sinon absente, à tout le moins dissimulée
et non contraignante.
Internet apporterait donc à la société de nouvelles mutations en multipliant les possibilités
d’accès à un nouveau statut d’auteur, qui inclue la confrontation, l’émulation et
l’enrichissement par le collectif, toutes choses appartenant plutôt aux civilisations de l’oralité.
Le mariage de formes orales de communication (mode d’expression, patois identitaire,
gratuité, immédiateté, interpellations, dialogues, forums, etc.) avec la traçabilité impitoyable
du numérique produit une forme nouvelle de l’autorité que chacun exerce sur ses œuvres,
même minuscules, au sens où il doit individuellement en assumer la recevabilité et surtout la
responsabilité juridique 3.
Un autre changement de ce nouveau paradigme concerne la destination des œuvres : publier
un imprimé suppose d’éditer, de diffuser, donc de donner un destinataire à ses écrits ; publier
sur Internet peut s’inscrire dans une démarche d’appel vers un public potentiel qui n’est pas
un public « ciblé ».
Il est donc légitime de questionner le mot même de publication. Au sens strict, ce terme
signifie seulement « action de rendre public », comme le prévoyait la loi sur la presse de 1881
dans l’intitulé de son chapitre IV, Des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par
tout autre moyen de publication. Lesdits moyens de publication sont définis par l’article 23
(reproduit partiellement ci-après), dans lequel « la voie électronique » a été ajoutée par une
modification de 2004 ; on notera que, au moins pour la loi, la profération de propos dans un
lieu public est déjà une publication 4.
Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours,
cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins,
gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image
vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des
placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au
public par voie électronique, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite
action, si la provocation a été suivie d’effet.
Le dictionnaire Littré précise que publier, c’est rendre public et notoire, et propose aussi
l’acception éditer, faire paraître. C’est cette notion d’édition, selon un sens donné par
l’Académie française cette fois, « l’établissement rigoureux du texte d’une œuvre, en vue
d’une publication », historiquement associée à l’imprimerie, qui ajoute la dimension
d’autorité supposée. Or cette autorité de l’édition paraît se perdre avec Internet. Sur le réseau,
chacun peut parler, s’exprimer, crier ou chuchoter dans son coin ; il y a de la place pour tout
le monde, et chacun peut, en principe, être entendu. Et c’est alors l’évaluation de l’autorité
3
Et cela même si celui qui écrit n’est pas forcément le responsable, ainsi qu’on l’a vu dans le chapitre 3 de ce
mémoire au sujet des commentaires de blog.
4
Voir http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/PCEAA.htm.
98
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
reconnue aux contenus qui devient un problème social, ainsi qu’en témoigne, sur le blog de
Loïc Le Meur – un des blogueurs les plus en vue du Web français –, l’échange suivant 5.
[Article de Loïc Le Meur, le 15 février 2006]
Technorati ajoute la recherche par autorité de l’auteur
Sur n’importe quelle recherche sur Technorati, vous pouvez désormais filtrer en fonction de
l’autorité du blogueur définie comme d’habitude par le nombre de sources différentes (de sites et
non de liens) qui pointent sur un blog. Je l’attendais depuis longtemps, très utile lorsque vous
souhaitez savoir qui sont les blogueurs influents qui parlent d’un sujet donné. Vous pouvez toujours
filtrer aussi par langue pour ne lire que les blogs français. Exemple : Nicolas Sarkozy 18 920 notes
en français en parlent tous blogs confondus, 376 notes en français en parlent sur des blogs
« autoritaires ». Insolite : Technorati comptabilise Le Figaro comme un blog et lui donne une bonne
autorité (!) avec 6264 liens de 1795 sources. […]
[Le 15 février 2006 à 22:15 Olivier Ertzscheid lui répond dans un commentaire]
Effectivement c’est très pratique. Mais... si je peux me permettre de faire l’universitaire pointilleux,
je trouve dommage que la notion “d’autorité” soit utilisée à la place de celle de “popularité”. Car
c’est bien la popularité que mesure la dernière innovation de Technorati. Ça peut paraître anodin
comme ça (d’autant que dans certains cas, popularité et autorité sont liées) mais le fait d’être
populaire n’a jamais et en rien été un gage quelconque de crédibilité et/ou “d’autorité”. Un exemple
concret : le 13 heures de JP Pernaud. (pernod ?) est populaire. C’est même le plus populaire. Vous le
trouvez crédible vous ??? Vous lui attribueriez une “autorité” quelconque ????
Loïc Le Meur et Technorati entendent par autorité d’un blog le « poids » qu’il pèse sur le
Web, ce qu’Olivier Ertzscheid traduit par popularité en rappelant le sens fort d’autorité. La
dérive est fréquente et l’ambiguïté souvent entretenue sur Internet, notamment pour magnifier
le réseau interactif appelé Web 2.0. Pour autorité, le Littré propose, parmi les divers sens,
« créance qu’inspire un homme, une chose ». La dernière version du dictionnaire de
l’Académie française ajoute :
4. Crédit moral et intellectuel ; le fait d’être reconnu comme une référence. […] L’autorité de cet
ouvrage est incontestable. […] 5. Personne dont la compétence dans un domaine est indiscutée ;
écrit, ouvrage de cette personne, que l’on invoque dans une discussion pour soutenir une thèse,
confirmer un point de vue. Consulter, alléguer des autorités scientifiques. C’est une autorité dans la
matière. J’ai cent bonnes autorités pour prouver ce que j’avance. Argument d’autorité, argument
qui ne doit sa valeur qu’au fait d’être tiré d’un auteur reconnu par une tradition.
5
Blog de Loïc Le Meur (http://loiclemeur.com/france/2006/02/technorati_ajou.html), article du 15 février 2006.
Il annonce en slogan : « Les médias traditionnels diffusent des messages, les blogs démarrent des
conversations »
99
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
En ce sens, on pourra sans se tromper dire que le blog de Loïc Le Meur est populaire. Quant à
savoir s’il fait autorité, cela reste à étudier. De même, l’encyclopédie anonyme interactive
Wikipédia, qui est certainement « populaire », et souvent de bonne qualité d’information, est
regardée fréquemment comme pouvant difficilement faire autorité, faute d’auteur – individuel
ou collectif – clairement reconnu.
Sur Internet, on peut publier au sens d’éditer, en faisant valoir des éléments d’autorité au sens
fort, mais on peut aussi simplement mettre à la disposition de tous ce que l’on produit et que
l’on considère comme « montrable ». Il n’est plus nécessaire que ce que l’on diffuse soit
« rentable » : le lecteur, ou plutôt l’internaute, fait lui-même le tri, et devient éventuellement
un peu « éditeur », en faisant connaître par des commentaires, des tags (mots clés) ou des
liens sur ses propres pages les contenus qu’il valide, selon le principe de folksonomie (ou
taxonomie populaire) du Web 2.0., qui ne prend en compte que des critères liés à la
popularité, et à propos duquel un auteur (Le Deuff, 2006, p. 66) écrit ceci.
Le terme de folksonomie est apparu récemment sur le Web pour désigner le phénomène d’indexation
des documents numériques par l’usager. On rencontre également fréquemment le mot tag qui
désigne en quelque sorte un mot-clé. Le terme de folknologie est aussi employé, mais plus rarement.
L’usage du mot folksonomie semble donc plus opportun. L’architecte de l’information Thomas
Vander Wal a forgé ce terme en combinant la taxinomie (règles de classification, taxonomy en
anglais) et les usagers (folk).
Ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur avec l’avènement des nouvelles technologies du
web, dites « web 2.0 », qui donnent plus de possibilités d’expression à l’internaute. Les articles et les
blogs sur le sujet ne cessent de croître mais l’essentiel de ce mouvement s’exprime en langue
anglaise. Cependant, les usagers français pratiquent déjà les techniques de tags via le site Technorati
qui recense les blogs par mots-clés.
Hormis les limites légales, tout devient publiable. Même si votre site est peu visité, personne
ne vous enlèvera le droit de le maintenir en ligne. Si l’on admet que la présence, inévitable,
d’une multitude de produits médiatiques de qualité médiocre n’encombre pas le Net, puisque
celui-ci n’est pas un espace clos, et ne gêne pas la publication de qualité, on peut alors
tranquillement saluer la nouveauté, et tolérer ce foisonnement dont nous ne savons pas encore
comment il sera jugé par l’Histoire.
En termes éducatifs, l’enjeu est de permettre aux enfants de s’inscrire dans ce dialogue social
d’un genre nouveau, d’expérimenter dans les meilleures conditions cette nouvelle position
d’auteur dont nous ne mesurons pas encore les limites. Surtout, l’école doit leur permettre,
toujours selon Isabelle Stengers, d’apprendre à trouver « avec qui il est bon de penser » dans
ce qui va être leur monde.
Les médias scolaires de l’ère Internet ont investi le réseau en utilisant leur expérience
antérieure et en en découvrant peu à peu les nouvelles possibilités. On a vu se reproduire en
ligne les habitudes du « papier », prises dans leurs catégories traditionnelles répondant aux
contraintes traditionnelles de l’imprimerie (journal scolaire, expo, album, dossier, livre, etc.),
avec, au début, l’explosion d’un genre peu exploité jusqu’alors : la plaquette promotionnelle.
Faire son site équivalait alors, pour un établissement, à en mettre en ligne une présentation
flatteuse (le collège XY, son principal, son restaurant scolaire, ses options…), quitte à le
laisser se périmer ensuite. Les images numériques animées (GIF) copiées ici ou là ont
constitué bien souvent les premières entrées multimédias, à la mesure de la fascination qu’ils
exercèrent (un temps) sur les jeunes internautes. Puis les modes d’expression se sont
100
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
diversifiés et ont gagné en spécificité : hypertexte, image et son ; mise à jour régulière et
référencement dans les moteurs ; liens, interactivité et forum ; édition internationale. Même le
support vidéo, resté longtemps à l’écart en raison de sa lourdeur informatique, a fait largement
son apparition dans les médias scolaires. Quant aux nouveaux dispositifs interdisciplinaires
(« travaux croisés », TPE, etc.), ils ont investi les sites d’établissements comme lieu naturel de
leur expression.
Mais qui s’intéresse aux productions d’élèves ? Qu’est-ce qui fait qu’un site scolaire est
« intéressant » ? En circulant dans le Web scolaire, on découvre des productions où
l’« autorité » des élèves se réalise par la fraîcheur de l’œuvre ou l’originalité de l’information.
Sur L’écho des Salines 6, ou sur Les Futés de Stanislas Poumet 7 , on peut, visiteur « non
ciblé », avoir quelque chose à découvrir, à apprendre : chacun peut être concerné par ces
« auteurs »-là.
Dans le champ de la communication, l’école devient un partenaire de publication valable : le
« texte d’élève », voire le « produit multimédia d’élève », devient un produit « intéressant »,
c’est-à-dire à valeur éditoriale marchande reconnue. C’est ainsi qu’un groupe de presse,
Centre-Presse, s’attache à soigner son poulain en ligne, le Dix-15, « journal Internet des
écoliers, des collégiens et des lycéens », fait « par et pour eux », nous explique-t-on 8 .
Pourquoi donc tant de sollicitude pour des travaux qui, autrefois, ne quittaient pas les
classeurs des élèves ? En attend-on la fidélisation d’un lectorat (les jeunes eux-mêmes et leur
famille) pour les titres « adultes » du groupe ? Ou bien considère-t-on que le dialogue social
peut aussi se nourrir de la parole des jeunes ? Les deux hypothèses renvoient probablement à
des paris réels ; et il y en a sûrement d’autres. Quoi qu’il en soit, Internet permet d’en prendre
le risque parce que cela ne coûte pas trop cher, surtout si le système éducatif y met du sien en
apportant le label « Éducation nationale », ainsi que les « auteurs » et les « produits » à
publier.
Il en va de même lorsque Microsoft et Hewlett Packard lancent en 1997 une opération (qui
durera jusqu’en 2002) d’équipement d’écoles primaires nommé Graine de multimédia : le
témoin le plus probant de la réussite de ce partenariat sera un média en ligne présentant des
travaux d’élèves, comme l’explique le communiqué de presse qui décrit l’opération 9.
Les reportages des élèves : régulièrement, les enfants mettent en ligne des petits reportages sur des
sujets très différents : la fête de leur école, un personnage célèbre de leur ville ou leur région, un
travail réalisé grâce aux nombreux outils logiciels dont ils sont dotés. Ces reportages composent un
journal virtuel mêlant textes, sons et images. Ils prouvent l’intérêt pédagogique de l’équipement des
écoles primaires en matériel multimédia.
Le pari de l’édition scolaire en ligne se fait aussi, et le plus souvent, sans intermédiaire, par le
système éducatif lui-même. Alors même que le risque est grand, pour les enseignants qui se
lancent dans l’aventure, de se laisser envahir par les contraintes techniques, il est essentiel,
pour des raisons purement éducatives, de privilégier alors la qualité : il serait en effet
désastreux de laisser croire aux enfants que « le monde entier », qui représente le public
6
Hébergé entre 2000 et 2003 sur le site de l’académie de Caen. Toujours visible à l’adresse http://www.etab.accaen.fr/brehal/activit/journal/echo.htm.
7
Hebergé en 2001 sur un site privé ; toujours accessible à l’adresse http://perso.wanadoo.fr/epc56.palais/.
8
Voir www.10-15.com.
9
Voir http://www.microsoft.com/france/CP/1997/3/06039723_a3.mspx.
101
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
potentiel d’un site, va s’intéresser à une production qui ne répond pas à certains critères de
communicabilité.
Deux grandes options coexistent pour la publication à caractère pédagogique : le site
institutionnel de l’académie, ou le site personnel, chez un hébergeur privé. Le premier
présente l’avantage d’une visibilité réelle mais impose des critères déontologiques et
qualitatifs importants. Le second procure une totale autonomie et impose le risque de n’être
qu’une bouteille perdue dans la mer du web. Le premier accueille, comme éditeur, des
travaux finalisés et validés ; le deuxième autorise tous les tâtonnements et l’exercice de la
liberté d’expression, ou son apprentissage, dans le cadre des limites de la loi. À cet égard, il
paraît important de garder le choix et de ne pas leurrer les élèves.
1.2. À l’ère du « journalisme citoyen »
L’expression de « journalisme citoyen » fait aujourd’hui florès sur Internet, comme réponse à
un journalisme – tout court – assailli par trop de connivences politiques et de complaisances
économiques. L’expression laisse entendre que le journaliste professionnel n’écrit plus
comme un citoyen mais comme l’employé d’un marchand de papier ou l’affidé d’un
propagandiste. Le miracle de la réhabilitation de la fonction, nécessaire à la démocratie,
viendrait alors des citoyens lambdas qui, par leur nombre, leur désintéressement supposé et
leurs outils cybernétiques rétabliraient la vérité des faits.
Il ne s’agit pas ici de prendre un parti quelconque, mais d’interroger l’engouement,
contagieux sur Internet, qui conduit parfois les chantres de la critique indépendante à projeter
leur fascination pour la puissance des outils sur la valeur à accorder aux propos qu’ils font
connaître. Le leader reconnu de cette tendance est, en France, Joël de Rosnay, dont le livre,
La révolte du pronétariat 10, a d’abord vécu une carrière commerciale de six mois en librairie,
édité en papier chez Fayard, avant d’être diffusé sous une licence libre Creative Commons qui
autorise la diffusion en réservant le droit de paternité, sans utilisation commerciale et sans
modifications. C’est donc seulement la deuxième vie de l’ouvrage qui est « libre », la
première, moins « citoyenne », ayant eu une première durée de vie normale d’un essai dans le
monde actuel de l’édition.
Sur le site de l’ouvrage, dans une rubrique intitulée « Pourquoi ce livre ? », J. de Rosnay
explique dans les termes suivants le rapprochement qu’il effectue entre le concept de lutte des
classes et les nouveaux pouvoirs d’édition à la portée de tous 11.
La création collaborative et la distribution d’informations de personne à personne, confèrent de
nouveaux pouvoirs aux utilisateurs, jadis relégués au rang de simples « consommateurs ». Des outils
« professionnels » leur permettent de produire des contenus numériques à haute valeur ajoutée dans
les domaines de l’image, de la vidéo, du son, du texte, jusque là traditionnellement réservés aux
seuls producteurs de masse, propriétaires des « mass media ».
Volontairement optimiste dans son approche visionnaire, de Rosnay développe la thèse selon
laquelle les nouvelles armes des « pronétaires » sont leurs blogs, leurs wikis et leurs P2P
(peer to peer). Il reconnaît que, « idéalement », il faudrait « être “méfiant” vis-à-vis de toute
information disponible sur le Web et disposer d’outils et de méthodes pour en vérifier la
fiabilité et la pertinence ». Mais il ajoute : « Ceci n’est pas toujours ni réaliste ni réalisable. »
10
11
Néologisme construit sur « prolétariat et « Net » (Internet).
Voir http://www.pronetariat.com/.
102
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
C’est donc la communauté des internautes qui va prendre en charge la fonction de veille pour
apporter, autant que faire se peut, les éléments de vérification.
La vitrine du journalisme citoyen est, en France, Agoravox 12 , média participatif qui
fonctionne avec des règles bien établies et une déontologie reprise… du journalisme
professionnel dont les prescriptions (« avoir une éthique », « avoir une méthode », « collecter
de l’information », « écrire de manière juste et efficace ») sont développées d’une façon que
ne renierait pas un journaliste professionnel consciencieux, et dont un journal scolaire pourrait
s’inspirer, comme le suggère l’extrait suivant 13.
▪ Vérifiez et fiabilisez vos informations, dites la vérité.
Le journalisme comporte toujours une part de subjectivité (notamment dans le choix des mots),
toutefois, il doit tendre vers une certaine objectivité de l’information. Pour cela, vous devez toujours
revenir à l’information primaire et la vérifier : la vérité est à ce prix. La vérification de l’information
est le principe fondamental du journalisme. Basez-vous sur des faits et non sur des opinions ou sur
des allégations pour corroborer vos propos. Ceci vous permettra d’éviter que vos informations soient
contestées et fiabilisera votre information.
Que dira l’Histoire de cette concentration de l’autorité des citoyens sur quelques sites à forte
puissance sociale ? Pour être présent dans la sphère informationnelle, même citoyenne, mieux
vaut disposer déjà d’une notoriété si l’on choisit un hébergement indépendant, ou bien savoir
faire usage de mots-clés et de techniques de référencement efficaces… À défaut, on peut
tenter sa chance sur les grands médias citoyens (comme Agoravox ou Planète Terra – si l’on
écrit des articles et que l’on accepte la sélection par un comité de rédaction –, ou sinon
YouTube ou Dailymotion qui acceptent toutes les productions multimédias ) et attendre que la
folksonomie vous distingue. La grande affaire est de pouvoir être publié sur la version
internationale anglophone du journal citoyen coréen Ohmynews, leader mondial du genre,
qu’encadrent trente-cinq journalistes professionnels, et dont l’entrée est sévèrement
contrôlée 14 . L’éditeur de Zdnet, Emmanuel Parody, s’est posé la question de savoir qui
étaient les principaux contributeurs de ce site. Il a trouvé que seuls 21 d’entre eux publiaient
plus de 3 fois par mois et que 3 seulement parmi ceux-ci n’étaient pas des journalistes
professionnels. Sur son blog, Écosphère (hébergé par le site de Zdnet), il conclut en ces
termes : « Finalement ça ressemble plus au journaliste citoyen qu’au citoyen journaliste,
non ? ». Après un échange avec un internaute, il précise sa pensée un peu plus loin.
Ce qui m’intéresse c’est moins de découvrir qu’en fait l’encadrement et l’organisation sont
parfaitement calquées sur les médias traditionnels avec une équipe de journalistes salariés, que de
constater que parmi les contributeurs se dégage spontanément un noyau dur de journalistes.
Le phénomène pourrait être comparé à la capillarité : on ne cherche pas à promouvoir des
journalistes mais on établit au départ des règles de professionnalisme et des exigences qui sont celles
des journalistes. Ceux qui maîtrisent ces règles sont, naturellement, ceux qui s’approprient peu à peu
le média. Le phénomène existe aussi sur Current TV où j’ai été frappé de voir que la production qui
passe le filtre de l’antenne est majoritairement issue de journalistes. Bien sûr cette population a aussi
l’avantage considérable de disposer du temps, cette denrée rare, pour exercer cette fonction
d’informer ce qui n’est pas le cas des autres citoyens.
12
AgoraVox a été lancé à l’initiative de la société Cybion créée en 1996 et spécialisée dans la veille stratégique
sur Internet. Joël de Rosnay, président de la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette et Carlo Revelli,
PDG de Cybion, en sont les fondateurs.
13
Voir http://wiki.agoravox.fr/index.php/Journalisme-ethique.
14
Voir http://english.ohmynews.com/.
103
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
Il y a sur OhmyNews une majorité de non-journalistes parmi les contributeurs mais, au regard du
volume publié, le ratio s’équilibre ou s’inverse, ce qui relativise largement la portée utopique du
« journalisme citoyen » sans pour autant en nier l’aspect enrichissant.
Je crains toutefois que la réelle originalité du phénomène doive surtout se chercher dans le modèle
économique et le fait que tout ce beau monde accepte, au nom de l’utopie, de travailler sans être
rémunéré en proportion du travail effectué...
Les médias citoyens sont ainsi des médias comme les autres, les journalistes citoyens des
journalistes comme les autres, même s’ils ne sont pas professionnels ! Mais ceux qui
acceptent de travailler bénévolement disposent sur certains médias en ligne d’une plus grande
liberté de parole, ce qui, malgré tout, rafraîchit salutairement l’air ambiant de la démocratie.
Si la participation bénévole de tous les citoyens à la diffusion de l’information, devenue
possible, est une avancée précieuse de la liberté d’expression, elle ne peut pas en revanche
devenir une garantie de crédibilité ou de fiabilité des contenus. Plus que jamais, même lorsque
le journalisme se proclame citoyen, même lorsque les émetteurs et les récepteurs se
confondent en tant que personnes, chacun devra faire usage des médias avec la même
approche curieuse et questionneuse, en recherchant activement les milieux les plus
acceptables pour construire sa pensée. C’est bien cette dialectique qui reste l’enjeu d’un
apprentissage scolaire de l’activité journalistique.
2. Des besoins éducatifs nouveaux
2.1. Publier : un acte ordinaire qui resté lié à la technique et à l’économique
Ce qui revient à l’école aujourd’hui n’est pas tant de fournir des supports pour l’expression
autonome des élèves – ces supports existent – que de leur donner les connaissances qui leur
permettront de prendre la parole en citoyens avertis et libres.
Examinons ainsi la démarche qui aboutit à la publication annuelle du Nouveau Canard des
Chênaies 15 – nouveau parce que la perte en 2005 du support papier que lui offrait depuis dix
ans le Conseil général des Bouches-du-Rhône a contraint au changement. De force, donc, et
grâce à la technologie SPIP sur laquelle nous allons revenir, le beau journal papier en
quadrichromie des collégiens sur l’environnement s’est métamorphosé en un journal en ligne.
Piloté par le Clemi de l’académie d’Aix-Marseille, il concerne chaque année une douzaine de
classes de collèges différents. Celles-ci participent séparément à une sortie scolaire autour
d’un thème environnemental qui donne lieu à un reportage. Des articles sont préparés avant la
sortie, et rédigés après, dans le temps scolaire, des photos, des dessins, des schémas, des
cartes illustrant le propos. À partir de 2005-2006, tous les établissements de l’académie
peuvent s’inscrire annuellement au projet. Cette participation peut faire l’objet d’un IDD ou
s’inscrire dans un projet qui marie TICE, éducation aux médias et éducation à
l’environnement et au développement durable (EEDD). L’articulation entre un espace
collaboratif et un espace de publication, tel qu’il est conçu dans un site SPIP, convient tout
naturellement à cette action où les classes rédactrices travaillent à distance.
Les perspectives d’évolution visent à impliquer de plus en plus les élèves des établissements
concernés dans la collaboration à l’écriture, en utilisant avant publication l’espace privé prévu
15
Voir http://www.clemi.ac-aix-marseille.fr/spipcdc/
104
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
à cet effet, et à les accompagner dans la posture de lecteurs réactifs après publication. Ce
lectorat en réseau, on l’a vu 16, est toujours le plus à même d’assurer une réception effective
aux articles publiés.
Il est vrai pourtant que la banalisation du support Internet rend plus délicate la motivation des
équipes. L’enthousiasme lié à l’attrait du nouveau passe vite, le projet ne peut durer que si le
sens didactique de l’aventure est clairement établi et assumé par les enseignants avec le plus
grand sérieux, comme le faisait Freinet avec l’imprimerie. Ce sens peut s’énoncer ainsi : la
responsabilité de l’acte de publier des propos que l’on aura élaboré rigoureusement avec
l’intention de les diffuser, en assumant des retours sans concession, est une condition
épistémologique saine – et sans doute indispensable – de l’apprendre.
En effet, si l’on ne se préoccupe que de la motivation des élèves, ce qui plaît aujourd’hui en
terme de publication, c’est plutôt le papier glacé. Le style magazine flatte le narcissisme
beaucoup mieux que toute forme virtuelle, devenue tellement ordinaire ! Nous avons eu à
intervenir dans une classe professionnelle de Digne (Alpes de Haute-Provence) dont l’équipe
pédagogique avait mis en place un projet de journal de classe, constitutif du PPCP 17 des
élèves. La classe s’étant réunie autour de trois professeurs et de la documentaliste, nous avons
commencé par une présentation de quelques journaux lycéens avant d’en venir à leur projet.
Un compte-rendu de cette séance figure dans le rapport de la formation 2003-2004 du
Clemi 18 : nous en reproduisons ici un extrait.
[…] Pause. Les élèves sortent en récréation. Je reste avec les enseignants qui me paraissent rassurés
quant au sens éducatif du projet qu’ils ont initié. Au-delà peut-être, pour certains, des représentations
qu’ils en avaient jusqu’alors. On se met d’accord sur le fait qu’il s’agit bien d’un projet d’expression
et de communication, d’une expérience de citoyenneté à vivre, et pas de la seule réalisation d’un
produit centré sur la fabrication et la vente…
Reprise. Viennent les questions des élèves. Elles doivent porter, me dit-on, sur « les droits ». Je
m’attends à mes marottes habituelles : « Est-ce qu’on peut tout dire ? », « Est-ce qu’on peut nous
censurer ? », etc. Le groupe de quatre filles qui avaient choisi la rubrique mode prend la parole :
« On va aller en ville dans les magasins de vêtements qui nous plaisent, dans les instituts de beauté
et les salons de coiffure, on va se faire photographier avec les vêtements, les coiffures et les
maquillages, et on mettra les photos dans notre journal avec le nom des boutiques, en disant ce qu’on
aime bien. Comme on rend service au magasin, on leur demandera une participation financière pour
pouvoir imprimer les photos sur papier glacé, et en couleur. À qui faut-il demander l’autorisation ? »
Et tout le monde d’attendre ma réponse : la réponse officielle de la dame du rectorat… Un peu
interloquée mais toujours vaillante, j’explique que cela s’appelle de la publicité, que notre société le
permet effectivement, mais qu’à l’école, c’est interdit. J’argumente, je prends les exemples de la
presse féminine, je parle de l’indépendance rédactionnelle, j’explique qu’on peut faire des articles
sur la mode sans faire de la promotion, etc.
La documentaliste, se montrant favorable à mon intervention, insiste : « On vous dit cela parce
qu’on pense que vous pouvez faire mieux que d’être un objet, un support de publicité… » Une élève
l’interrompt alors avec conviction, et parlant tout à coup avec grande assurance : « Mais nous ON
VEUT être des objets ! Alors, si nous on est d’accord, pourquoi on ne nous laisse pas faire ? En plus,
y’a des classes que le lycée sponsorise pour faire des voyages, pourquoi à nous on veut pas nous
payer le papier glacé et les photos couleur ? ». Et je réponds clairement : non. J’explique, mais je
réponds NON. Ces gamines qui ont tout compris de l’économie libérale vont sûrement m’accuser de
censure. Tant pis.
16
Voir chapitre 1, § 3.3.
Projet pluridisciplinaire à caractère professionnel. Ce dispositif de formation, en vigueur dans les lycées
professionnels, est voisin dans la forme du TPE dans les lycées d’enseignement général.
18
Voir à l’adresse http://www.clemi.org/organisme.html le « Bilan de la formation 2003-2004 », page 21.
17
105
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
2.2. Les blogs adolescents : une interface entre le privé et le public
Si l’on se fie à la rapidité avec laquelle ils se sont approprié le système des blogs, dont ils ont
fait des carnets plus ou moins intimes publiés massivement sur le web, les adolescents ne
restent pas en marge de l’explosion de la prise de parole sur Internet. Ils n’ont pas mis très
longtemps à comprendre que la prétendue qualité de « journal intime » d’un blog n’était
qu’apparence : c’est justement le caractère public des blogs qui en fait toute la saveur. La
pratique volontariste et quantitative des commentaires est là pour l’attester. Le sens intime de
ces publications, dans leur version adolescente, reste d’ailleurs complexe : je suis fier de ce
que je publie, j’ai besoin que ce soit lu, le blog me permet de sortir de la masse anonyme,
mais… je tiens à rester anonyme !
Ce statut particulier d’interface entre la sphère publique et la sphère privée est certainement
bénéfique à la réalisation des mutations adolescentes et à ce que Françoise Dolto appelait la
mue du homard 19 . Pour préserver ce statut, il convient probablement que les adultes
s’immiscent le moins possible dans les contenus des blogs. On peut en effet regarder leur
fonctionnement en réseaux communautaires, par exemple celui de la plate-forme Skyblog,
comme un agglutination de petits homards nus hébergés par une grande carapace au sein de
laquelle ils se sentent protégés pour expérimenter leur image, leur potentiel de séduction, leur
agressivité, voire les limites de leurs provocations. Pourtant, depuis 2005, les blogs personnels
des adolescents préoccupent le système éducatif, et probablement avec raison si l’on
considère que la dimension publique, qu’on le veuille ou non, en est inéluctable, et que le
sentiment de protection est surévalué par les utilisateurs adolescents. Si la peur des risques de
dérives d’expression est compréhensible, elle devrait aussi donner l’occasion à l’école de
réfléchir à sa mission d’éducation aux principes républicains de la liberté d’expression.
Jusqu’au milieu de l’année 2007, lorsque l’on visitait le site de blogs le plus fréquenté par les
adolescents, Skyblog 20, on pouvait voit s’afficher le nombre de blogs hébergés par cette plateforme numérique appartenant au groupe Skyrock : ce nombre est monté jusqu’à près de dix
millions. Mais il ne faudrait pas en conclure hâtivement que dix millions d’adolescents
alimentent régulièrement un journal intime électronique : il faut compter avec les très
nombreux blogs ouverts une seule fois puis abandonnés, avec les personnes qui ouvrent de
multiples blogs et surtout avec les nombreuses initiatives commerciales et/ou
pornographiques qui sèment des blogs par chapelets sur la plate-forme Skyblog, comme du
papier attrape-mouches au milieu de l’effervescence adolescente (à quoi s’ajoute la publicité
clignotante « officielle » généreusement diffusée sur chaque page de la plate-forme).
Les responsables du groupe Skyrock s’évertuent à ce que, en langage « ado », un blog
hébergé chez eux s’appelle un skyblog, et ils y parviennent. Jusqu’à aujourd’hui, la quasi
totalité des blogs adolescents est hébergé sur cette plate-forme qui offre ainsi un caractère de
communauté identitaire avec ses codes, son vocabulaire et ses rites. Il n’est pas dans notre
propos, ici, d’étudier le contenu de ces carnets parfois appelés « extimes » et déjà largement
commentés 21. Mais on va voir qu’ils influent sur les publications scolaires, et parfois même
les motivent.
19
Un adolescent, selon Françoise Dolto, est comparable à un homard pendant la mue : sans carapace, obligé d’en
fabriquer une autre, et en attendant confronté à tous les dangers (Dolto, 1989).
20
Voir http://www.skyrock.com/blog/.
21
Voir ainsi l’étude d’A.-C. Orban (2005) : http://www.clemi.org/medias_scolaires/blogs/article_blog_ACO.pdf.
106
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
2.3. Le blog est aussi un outil pour la classe
Avant d’être le média électronique individuel qui fait tant parler, le blog est d’abord un outil,
une technologie de publication la plus simple qui existe actuellement et dont les usages en
classe se multiplient. Le blog de classe permet de rester en contact avec ses élèves jusqu’à
l’examen lorsque les cours s’arrêtent. Le blog utilisé comme portfolio électronique permet à
l’élève d’y déposer ses travaux. Le blog peut être aussi le support d’une cyber-exposition ou
d’un TPE. Le blog peut également servir de cahier de textes ou de journal de bord de la classe.
Le calendrier et le classement des « articles » par date peut encore être utile pour suivre
l’évolution dans le temps d’un phénomène (développement du ver à soie, éléments du climat
ou d’une expérience à évolution lente, etc.). Il y a là autant d’usages que les enseignants et
leurs élèves s’approprient avec beaucoup d’inventivité. Et il faudrait encore ajouter à cette
liste les blogs professionnels personnels des enseignants.
En revanche, il ne nous paraît pas judicieux que des enseignants se lancent dans le « skyblog
de classe» (ce qui est pourtant suggéré par la plate-forme Skyrock), justement pour laisser aux
adolescents leurs espaces propres, et aussi parce que cette plate-forme est la plus commerciale
qui soit. De multiples autres plates-formes proposent gratuitement l’ouverture de blogs. Ainsi
en va-t-il de lemonde.fr pour ses abonnés, d’Over-blog 22 , de Blogger 23 , de un Blog des
blogs 24, qui permettent tous la modération des commentaires, fonction essentielle quand on
prend en compte ce fait que le titulaire d’un blog est responsable juridiquement des
commentaires qui y sont déposés. Sans ingérence inutile dans les activités privées des élèves,
l’école peut ainsi contribuer à préparer les futurs citoyens à prendre leurs responsabilités dans
le cyberespace.
2.4. Du SPIP au bimédia : l’accompagnement de l’écriture
2.4.1. La technologie CMS
Les blogs, comme les wikis, comme les SPIP 25, comme GuppY 26 et les autres plates-formes
de publication utilisent une technologie dite dynamique différente de celle, dite statique,
utilisée pour la réalisation de sites dont les pages sont entièrement décrites en langage HTML.
Dans un dispositif statique, seule une personne expérimentée, et autorisée par l’hébergeur,
peut créer des pages, les installer sur le serveur, les rappeler pour les modifier, les réinstaller,
en créer de nouvelles, etc.
Dans la technologie des CMS (Content Management Systems, ou systèmes de gestion de
contenus, SGC), la mise en page et l’organisation générale du site sont décrites séparément
des contenus. Elles sont déposées sur le serveur et modifiables par intervention autorisée
comme pour un site statique. Les contenus, eux, sont déposés dans une base de données grâce
à un formulaire accessible par un simple navigateur. C’est ce qui fait qu’un internaute, créant
un blog par exemple, va choisir une maquette et des options proposés par l’hébergeur et
ensuite apporter ses contenus, qui seront stockés au fur et à mesure dans la base de données.
22
Voir www.over-blog.com.
Voir www.blogger.com. (Blogger est la plate-forme de blogs de Google.)
24
Voir http://unblog.fr.
25
Voir http://www.spip.net/fr.
26
Voir http://guppyed.org/index.php.
23
107
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
Les pages créées ne sont pas stockées dans leur apparence finale, mais se reconstituent à
chaque fois qu’elles sont appelées, en mettant en corrélation les éléments statiques, appelés
squelettes, et les contenus de la base de données.
C’est l’existence d’une base de données que l’on alimente par formulaire en ligne qui
détermine la facilité de publication des CMS.
2.4.2. Le SPIP, outil fonctionnel pour la publication scolaire
Les plates-formes dynamiques de type CMS sont souvent considérées comme la véritable
évolution dans la démocratisation de l’acte de publication, en particulier à l’école. Parmi eux,
le SPIP (pour : Système de Publication pour l’Internet Partagé) est livré sous licence de
logiciel libre GPL 27 . Plus complexe qu’un blog, le SPIP fonctionne en fait de la même
manière que celui-ci, c’est-à-dire comme un CMS. La différence tient dans l’existence d’une
gestion d’auteurs, qui permet un « tampon » entre l’écriture et la validation. Développée à
l’origine pour un usage journalistique (celui du Monde Diplomatique en ligne), cette plateforme nous est apparue comme répondant de façon acceptable aux besoins de la publication
scolaire.
Ainsi, à la différence des blogs, les articles produits sur un SPIP ne sont pas aussitôt publiés.
Un espace privé constitue un lieu protégé où élèves et enseignants peuvent travailler sur les
textes, les images, les sons, échanger, discuter, peaufiner la production. Lorsque l’article est
prêt, et seulement à ce moment-là, l’administrateur de la rubrique dispose d’un BAT (bon à
tirer) instantané : il clique sur le bouton vert, qui publie aussitôt. Un système de commentaires
existe également, qu’il faut bien sûr paramétrer en modération a priori. Le « sas » privé du
SPIP est le lieu spécifique de l’accompagnement pédagogique. Et c’est bien ce travail
d’élaboration privé qui détermine la construction d’un rapport des élèves à la chose publiée,
incluant la nécessité de penser ce que l’on va diffuser, en fonction précisément de cette
diffusion.
Ce système peut être utilisé aussi bien pour une publication scolaire de type journal scolaire,
une plate-forme collaborative pour la classe, ou comme support d’un intranet d’établissement
dans lequel les groupes de travail gèrent chacun leur rubrique. Une simple « contamination
virale » (des « initiés » forment les nouveaux utilisateurs) peut suffire pour diffuser les
techniques élémentaires d’utilisation, en tant qu’auteur, de ce type d’outil. Au sein des
établissements, elle se fait entre professeurs, entre élèves, ou de professeurs à élèves, et
parfois d’élèves à professeurs. Une véritable formation s’avère nécessaire dès lors que l’on
souhaite en administrer des rubriques, organiser une arborescence, gérer un forum, insérer des
objets peu courants, dimensionner correctement les images que l’on y insère, ou même en
modifier les squelettes… et respecter les règles de la publication et de la liberté d’expression.
2.4.3. Le journal en ligne intégré dans la pratique scolaire
De façon assez paradoxale, faire un journal en ligne en 2007 est un acte scolaire qui peut
devenir banal (c’est techniquement très facile), et même parfois tellement banalisé qu’il en
perd tout sens. S’il est seulement un espace d’expression ouvert aux élèves sans qu’un
véritable sens leur soit proposé pour progresser dans une étude, un échange, une recherche, il
27
General Public Licence du système d’exploitation GNU, qui autorise gratuitement l’utilisation, la modification
et la diffusion du logiciel et de ses dérivés.
108
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
est vite délaissé parce que le réseau est déjà rempli d’espaces d’expression facilement
accessibles. Ce ne sont pas les lieux d’expression publiée qui manquent, mais le sens qu’on
leur donne. Examinons à cet égard deux exemples.
Le collège Jean Moulin à Moreuil, dans l’académie d’Amiens, organise un atelier scientifique
et technique 28 en complément des cours de sciences physiques et de sciences de la vie et de la
Terre. L’activité d’abord proposée en 2003 fut une revue de presse de l’actualité scientifique.
La question s’est ensuite posée de la diffusion de cette revue de presse, et c’est également
vers une plate-forme SPIP que les enseignants se sont tournés, bien que la publication n’ait
pas été l’idée première. Ce qui est particulier ici, c’est que la validation des articles se fait par
petits groupes de trois à cinq élèves réunis autour de chaque auteur. Les articles sont analysés,
vérifiés, questionnés par le groupe, avant la réécriture finale et la demande de validation au
professeur 29. Cela dit, on retrouve dans les articles le même manque de milieux, la même
habitude de recopier des médias que dans les journaux scolaires sur papier, sans qu’une
pratique d’excription vienne interroger les résultats scientifiques que l’on rapporte, ce que le
document reproduit ci-après illustre.
Il existe cependant, dans ce journal en ligne, une rubrique intitulée « Suivi animal par
satellite » qui donne l’occasion aux rédacteurs de se confronter à de vrais milieux préparés par
des scientifiques. Dans le cadre d’un partenariat avec le Centre national d’études spatiales
(CNES), les élèves ont exploité les données de suivi par balises Argos de positions d’animaux
dans leurs déplacements. Dans un premier temps, ils ont utilisé les relevés du CNES pour des
animaux subaquatiques comme les manchots royaux, dont ils ont réalisé des tracés avec
divers outils informatiques 30. Le journal en ligne leur permet de publier leurs résultats en
tentant de premières interprétations. Dans un second temps, ils prévoient d’exploiter les
données et informations collectées par eux-mêmes, en relevant les déplacements des animaux
d’un marais voisin 31.
28
L’atelier scientifique et technique est un dispositif permettant la rencontre des élèves avec le monde de la
recherche et de la culture scientifiques.
29
Jeunes journalistes scientifiques est en ligne à l’adresse http://www.ac-amiens.fr/etablissements/0801439e/as/.
30
Voir http://www.ac-amiens.fr/etablissements/0801439e/as/rubrique.php3?id_rubrique=23.
31
Ce projet est décrit par l’un des initiateurs, enseignant de SVT, Yannick Gargam (2007).
109
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
Le second exemple concerne le collège Vallon-des-Pins de Marseille. Ce collège, qui recrute
en milieu dit « difficile », a choisi pour l’année 2007-2008 de concentrer son projet
« ambition-réussite » 32 sur le journalisme et la communication 33 . Le support principal du
travail des élèves sera un journal en ligne sur une plate-forme de publication, destiné à
accueillir tous les articles proposés par les élèves sous la responsabilité de leurs enseignants.
On mettra à profit la partie privée de la plate-forme pour la mise en discussion interne des
articles, et la partie publique constituera l’étape de validation. Une importante équipe d’une
douzaine d’enseignants, de toutes disciplines, est partie prenante du projet. Chacun dans sa
discipline fera travailler les élèves sur des enquêtes ou des articles de différents genres. Mais
au-delà du journal en ligne, l’équipe a souhaité mettre en place, en parallèle, un journal sur
papier destiné à accueillir les meilleurs articles, selon les critères et les choix d’un comité de
rédaction ad hoc. Il a été proposé qu’une classe à dominante du cycle central (5e ou 4e) soit
créée pour jouer ce rôle et réaliser le journal papier. Dans ce projet, la publication en ligne est
un outil de travail qui permet la mise en débat des travaux, la discussion entre élèves et
professeurs. Quant à la publication papier, elle est regardée comme le vrai produit fini, la
véritable mise en valeur attendue dont il conviendra de s’assurer que les signatures varient.
C’est bien, en l’espèce, un projet de bimédia scolaire qui est envisagé.
3. Étude d’un journal collégien en ligne
3.1. L’organisation de la plate-forme
Au collège de Plan-de-Cuques, à Marseille, une expérience de journal en ligne a été tentée
pendant deux ans, avec la technologie SPIP, avec comme objectif une éducation à
32
Dispositif d’enseignement prioritaire démarré à la rentrée 2006, destiné à remplacer les collèges ZEP, à
l’initiative du ministre de l’Éducation Gilles de Robien.
33
Nous avons accompagné, lors d’une formation dans le collège en juin 2007, l’équipe d’enseignants porteurs du
projet.
110
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
l’expression sur Internet. L’espace collaboratif privé qui alimente un site dynamique organisé
en rubriques et articles convenait au projet. Un système de statuts différencie 1) les articles en
cours de rédaction, 2) ceux proposés par leur auteur à la publication mais n’ayant pas encore
reçu l’aval de l’administrateur-modérateur (lequel occupe la fonction d’un rédacteur en chef
de publication de presse), 3) les articles publiés, qui, par la suite, pourront éventuellement être
repris et modifiés.
Dans l’académie d’Aix-Marseille, les établissements qui le souhaitent ont en effet la
possibilité de demander au rectorat l’installation d’un SPIP hébergé par le serveur académique.
Cet espace peut constituer le site de l’établissement, ou bien il enrichit d’une partie
dynamique un site déjà hébergé par l’académie. Il est possible de personnaliser
l’environnement, mais des squelettes types peuvent être installés en formulant la demande
auprès du service qui gère les sites des établissements. Cela autorise des équipes peu aguerries
aux langages de publication en ligne à prendre en main le support et à publier sans
intermédiaire technique, et même à faire publier par les élèves eux-mêmes. La structure
arborescente en rubriques est, de plus, bien adaptée à la réalisation de journaux en ligne. Nous
évoquons ci-après la mise en œuvre dont nous avons suivi la réalisation au cours de l’année
2004-2005, qui s’est prolongée au premier trimestre de l’année 2005-2006.
3.2. Le projet Médias Tissent
Les Médias Tissent 34 est le fruit d’un projet de journal scolaire en ligne pour tous les élèves
de 3e au collège de Plan-de-Cuques (Bouches-du-Rhône). Le projet s’avérait ambitieux au vu
de l’état des lieux à la rentrée 2004 : un réseau d’établissement peu développé, la connexion
Wifi pour les portables de l’opération Ordina 13 en cours d’installation 35, le poste d’ATI 36
en cours de changement, et des professeurs volontaires mais peu aguerris en informatique. En
revanche, l’équipe pluridisciplinaire d’enseignants représentant toutes les classes de 3e,
habituée au travail en équipe, se montrait très motivée.
Une courte formation des professeurs à la publication et à l’administration sous SPIP a permis
l’ouverture et les premiers essais du site. Il a fallu parallèlement orienter la formation sur les
aspects professionnels de l’accompagnement d’un journal scolaire, incluant les techniques
journalistiques et les conditions de la liberté d’expression dans un support à vocation scolaire.
Dès la troisième demi-journée de formation, les aspects techniques perdirent de leur pouvoir
paralysant, laissant plus de place aux questions pédagogiques.
Pendant ce temps, en classe, les articles commençaient à s’élaborer et quelques élèves de
chaque troisième étaient initiés au maniement de la plate-forme. Ceux-ci sont devenus tuteurs
techniques de leurs camarades lorsqu’il a fallu apprendre à entrer les articles dans l’espace
collaboratif. Ainsi, petit à petit, les élèves ont utilisé leur compte « auteur » individuel pour
entrer textes, images et pièces jointes. Les ordinateurs portables au collège ou à la maison, ou
le réseau fixe de l’établissement pouvaient être indifféremment utilisés dès lors que le journal
s’élabore en ligne. C’est également à l’usage que les règles d’administration ont été fixées.
Une véritable organisation de la rédaction s’est mise en place depuis la proposition d’un
34
Voir http://www.clg-plandecuques.ac-aix-marseille.fr/.
Cette opération conduite par le conseil général des Bouches-du-Rhône, a consisté à équiper tous les élèves de
4e et 3e du département d’un ordinateur portable personnel prêté pour l’année scolaire.
36
Ou Auxiliaire technique informatique. Un technicien était mis à la disposition de chaque établissement doté
par Ordina 13, pour suivre la maintenance des portables.
35
111
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
article jusqu’à la décision de publication, utilisant toutes les ressources des différents statuts
d’articles, ainsi que les forums de l’espace privé ou les commentaires de l’espace public.
C’est d’ailleurs à propos de ces commentaires que la surprise a été la plus grande. Les
enseignants, familiers du « de toutes manières, ils n’écrivent pas deux lignes spontanément, et
ce n’est pas parce qu’il y a un bouton “répondre à cet article” qu’il vont s’y mettre ! »,
n’imaginaient pas que les élèves y reconnaîtraient tout de suite la structure des coms
(commentaires) de leurs blogs favoris ! Le robinet à commentaires est donc resté ouvert un
moment, recevant des « délires » plus ou moins châtiés jusqu’à ce que les enseignants
stupéfaits, décident de bloquer toutes les réponses dans l’administration du site.
Nous avons alors fait l’hypothèse qu’on disposerait là d’un support donnant l’occasion d’une
formation pour les élèves qui s’adonnent, de manière privée, aux blogs. La mise en œuvre
d’une véritable gestion de l’expression dans les commentaires est devenue un objectif pour
l’année à venir : permettre les débats à propos d’un article, sans risque de publication
intempestive. La temporisation et la mise à l’épreuve de l’article et des commentaires, dans la
partie privée avant publication devient l’occasion de poser diverses questions concernant la
qualité rédactionnelle et les aspects déontologiques ou juridiques. Prenant un peu plus de
temps que la moyenne des internautes, on peut s’arrêter un moment sur la pastille orange de
l’article en attente de publication et explorer la question « quelles peuvent être les
conséquences de ce que je m’apprête à publier ? ». Ce temps de pause peut devenir très
éclairant si l’on s’autorise à y réfléchir de manière un peu plus approfondie que le
péremptoire « c’est permis » ou « c’est pas permis », parfois proféré devant les élèves, et à
l’accompagner d’un « permis par qui ? » ou « pas permis pourquoi ? ».
À la fin de la première année de fonctionnement, il ne restait plus guère de difficultés
techniques majeures quant à la gestion du logiciel, ni pour les professeurs ni pour les élèves.
La transmission aux futurs élèves de 3e, par les élèves eux-mêmes, est donc envisagée. Les
questions professionnelles qui subsistent concernent la dimension pédagogique du journal.
Comment faire écrire en classe ? Comment donner du mordant aux articles publiés, réaliser
des reportages, des interviews ? Comment aider les élèves à poster des commentaires sensés ?
Etc.
Se posait aussi la question de la périodicité, cette notion devenant ambiguë du fait d’une
actualisation quasi permanente – le manque d’échéance précise peut en effet être vécue
comme une difficulté pédagogique qu’il faudra étudier. Il reste beaucoup à faire, certes, pour
que ce journal en ligne puisse être reconnu parmi les « beaux objets » d’Internet, mais ce qui
se trame à l’insu du visiteur dans l’espace privé des Médias Tissent contient certains des petits
pas qu’il faut accomplir pour apprendre à la fois l’autonomie et la place dans le groupe. Et
rien de cette alchimie de ne se produirait sans le désir du « publier pour être lu » qui opère du
fait de l’existence du site public.
3.3. Le fonctionnement de la plate-forme
Les règles de fonctionnement sont fixés par le comité de rédaction « enseignants » et se
traduisent par un paramétrage adéquat de la plate-forme.
1. Les trois niveaux de statut d’article sont utilisés (blanc = « en cours de rédaction » ; orange =
« proposé à la publication » ; vert = « publié en ligne »).
112
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
2. Les articles au statut blanc ne peuvent être vus que par l’élève, auteur identifié, et les professeurs
administrateurs. Ceux-ci peuvent déposer des commentaires pour conseiller les auteurs qui seront les
seuls à les voir, au-dessous de leur article.
3. Les articles ne sont visibles par les autres élèves (du moins ceux qui ont un identifiant dans la
partie privée) qu’une fois terminés et « proposés à la publication », statut orange, par l’auteur. Les
autres élèves peuvent alors poster des commentaires qui sont alors visibles par tous les identifiés.
4. La validation finale pour le statut vert de « publié en ligne » est donnée par un professeur
administrateur. L’article ne peut plus alors être modifié ni commenté dans l’espace privé, sauf si
l’administrateur lui redonne un statut blanc. Il faudra alors repasser par les étapes orange et vert
pour qu’il soit republié.
5. Un article publié en ligne peut recevoir des commentaires des internautes (bouton « répondre à cet
article »), ceux-ci sont accueillis dans le « forum public », que l’équipe de professeurs avait d’abord
laissé libre (commentaires publiés aussitôt rédigés), et qu’ils ont ensuite soigneusement modérés au
point de ne plus rien publier du tout de ce forum public.
6. Au cours de la première année, les élèves utilisaient un identifiant personnel ; au cours de la
seconde année, ils utilisaient un identifiant de classe, et devaient signer leurs articles, sauf quelques
élèves plus aguerris qui ont pu obtenir un identifiant personnel. La première solution était plus
lourde à gérer, mais chaque élève était reconnu, notamment dans ses commentaires ; la deuxième a
été jugée par l’équipe comme laissant trop de place aux pratiques anonymes.
Le bilan quantitatif du projet qui s’est déroulé au cours des années 2004-2005 et 2005-2006
dénombre 111 rédacteurs (chaque élève de 3e la première année, et chaque classe la deuxième
année) et 13 administrateurs (les professeurs participant au projet) identifiés sur le site des
Média Tissent. Pour les articles, 165 ont été rédigés par les élèves, dont 51 validés pour la
publication en ligne ; 50 sont restés au statut orange, et 54 au statut blanc. Il est à remarquer
que les articles restés en statut orange constituent un journal interne, puisqu’ils sont visibles,
et visités, par les autres élèves. Dans le forum interne, 140 messages ont été échangés entre
élèves et professeurs, ou entre élèves, à propos des articles au statut orange ou vert.
3.4. L’histoire d’un article : la réécriture
Le 10 décembre 2004, Simon prépare un article à propos d’une sortie au théâtre qu’il n’a pas
vraiment aimée (nous n’avons pas cette première version, qui a disparu du site). Il en
demande la publication. Courant décembre, sa professeure de français lui propose quelques
aménagements en redonnant à son article le statut blanc.
113
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
114
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
Simon retravaille son article qui est finalement publié en ligne le 18 mars 2005, sans que
toutes les recommandations du professeur aient d’ailleurs été prises en compte.
115
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
Certes Simon écrit plutôt bien par rapport à la moyenne des élèves de 3e. Il est en effet le fils
d’une autre professeure de français du collège. Cette situation particulière a donné lieu à une
petite anecdote significative de la vigilance des élèves. Simon a en effet vite compris le
fonctionnement de la plate-forme, et n’hésite pas à se faire passer pour sa mère – qui n’a rien
vu – pour faire des commentaires sur les articles de ses élèves à elle, qui sont aussi ses
copains à lui… Voici un échange de commentaires, dissimulé au milieu des 140 autres, entre
Simon et un autre élève à propos d’un article sur un film américain intitulé « Constantine »,
article publié en ligne, mais que Simon considère, probablement à juste titre, comme recopié
d’Internet.
Voici quelques autres commentaires des enseignants, déposés à l’intention des élèves et qui
ont donné lieu à des réécritures, mais pas obligatoirement suivies de validation pour
publication en ligne.
116
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
On retrouve ici les commentaires classiques d’un enseignant de français à ses élèves, mais
quelque peu mal assurés à cause sans doute de la nouveauté d’une médiatisation qui mélange
ce qui se formule habituellement à l’oral avec ce que l’on écrit sur une copie. Et il n’est pas
interdit d’être courtois entre le professeur (Astrid A.) et l’élève (Guillaume A.)
3.5. Double langage
Certes les adolescents utilisent un langage identitaire bien spécifique dans leurs blogs, comme
dans les SMS, ou dans leurs échanges en messagerie instantanée. Ne pas le faire leur fait
d’ailleurs craindre un rejet du groupe. Écrire des mots en entier, dans des phrases complètes
est chose totalement déplacée sur un chat. En revanche sur le journal scolaire en ligne, il ne
117
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
vient à l’idée de personne d’écrire autrement qu’avec le langage en vigueur à l’école (ou de
tenter de la faire). Le tout est de manier pertinemment un certain bilinguisme. L’emploi du
« patois SMS » désigne clairement le(s) destinataire(s) et il convient d’être capable d’adapter
la langue au support utilisé. Nous avons souvent fait le constat que ceux des élèves qui
alimentent régulièrement un blog, en langage SMS, et ceux qui proposent souvent des articles,
en français ou en langue étrangère, pour le journal scolaire en ligne, sont souvent les mêmes.
Voyons comment Mélodie H., élève de 3e turquoise au collège de Plan-de-Cuques écrit dans
son blog et comment elle rédige une petite enquête dans le journal du collège. Nous avons
reproduit ici les deux articles dans leur réalité orthographique et typographique. Les pages
écran sont reproduites dans les annexes.
▪ [Sur le skyblog de Mélobiscotte]
je sais , je sais sa fé lonten que jé pa écri sur mon blog mé javé ni lenvi ni le ten!! sinon,chui
contente jé une tro bone classe(3EME TURQUOISE POWAAAAAAA^^) lané sanonce etre tripante
avec vou lé amis dailleur je profite pour vou dire que je vou aimeuuuuuuuuuuhhhh tro et riri mdr le
ski on va tripé avec lorene dan la chanbre bordel lol ma riri et ma camille je vou aimeuuuuuuuuuh
tro forr jé envi de telemen dire de chose que je c plu qoi dire lol^^ ah cette foto jelaimmme lol,
souvenirs souvenirs de disney prochaine voyage lané prochaine lol?!!c meme sur ^^(reste a voir si c
port aventura ou disney) bon tt sa pour vou dire que je sui deretour et que je feré plein darticle lol
bisouusss au rescapé de la bande mdr(riri,camille,martin et gui lol) mé bon ya de nouvo arivan non?
lol
▪ [Sur Médias tissent journal des 3e du collège de Plan-de-Cuques (voir annexe)]
Les ados, dépendants des marques
mardi 13 décembre 2005, par 3turquoise
Volcom, Vans, VonDuch, Diesel...La plupart des ados adorent ces marques et les portent !
Les jeunes de 14 à 18 ans persuadent leurs parents de leur acheter des habits de marque. Pour cela,
ils leur disent que les jeans Levi’s ou Volcom sont de meilleure qualité et que s’ils n’en portent pas
leurs camarades d’école se moqueront d’eux. C’est ce qu’explique un élève du collège de P.D.C en
classe de 5eme « J’aime bien porter des marques,c’est plus de qualité et c’est plus fun.De toute
façon,si je porte pas des marques les autres se moqueront de moi ». On a l’impression que ces
marques sont à la mode depuis toujours. Mais il ne faut pas croire que tous les enfants qui ne portent
pas des habits à 50 euros sont toujours mis de côté !
Mais dans notre société d’aujourd’hui,les marques sont vraiment importantes pour les ados. En
effet,on peut constater que certains enfants sont mis à l’écart, ce qui est totalement stupide ! Selon
l’enquête Consojunior effectué par TNS,l’argent de poche reçu chaque année par les 9 millions de
jeunes ,âgés de 8 à 18 ans,en France, est estimé à 1.5 milliard d’ euros. Un peu moins de la moitié
économise cet argent pour s’acheter les vêtements de leurs stars préférés.
Et les parents ?
Les parents n’apprécient pas tellement ce principe de marques qui s’est instauré auprès de leurs
enfants mais ils sont à peu près d’accord sur le fait que ces habits de marques sont de bonne
qualité.Ils ont surtout peur que leurs enfants soient mis a l’écart, ce qu’explique une parent d’élève «
Je trouve stupide l’idée de porter à tout prix des vêtements de marque,mais bon je veux pas que mes
enfants soient exclus.Si ça peut leur faire plaisir ! De toute façon, marques ou pas les prix des
vêtements sont chers ! » Ce problème de marques entraîne des discriminations sociales dans les
établissements scolaires. Il existe une solution à ce problème : le port de l’uniforme comme en
Angleterre mais tout le monde n’est pas d’accord avec cette solution. Pourtant,c’est la plus
convenable et ça enlèverait tous ces problèmes discriminatoires. Les ados n’accepteraient pas cet
uniforme même si ça pouvait avoir un effet bénéfique sur les résultats scolaires.
Reste à savoir si cette mesure sera mise en oeuvre...
Mélody H. [signature semi-anonymée ici, mais complète dans le journal]
Qui aurait pu imaginer que cette jeune personne peu avare de « lol » (lot of laughs) et qui
étale ses « je vou aimeuuu...uuuh » par lignes entières à côté d’une photo d’elle déguisée en
118
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
lapin de Dysneyland, rêve aussi d’une école où l’on porterait l’uniforme comme solution antidiscriminatoire ?
3.6. La gestion collective des copier-coller
La suspicion de copier-coller sur Internet est à l’origine du très grand nombre d’articles non
validés sur Média Tissent. En 2005, les élèves ne savent pas encore bien que ce qu’ils copient
sur Internet est facilement repérable, et beaucoup ont la naïveté de croire que cela ne se verra
pas. Ce fut d’ailleurs l’une des raisons du renoncement des enseignants à continuer le projet :
ils craignaient d’être débordés par le nombre d’articles copiés et ne savaient pas encore,
comme Julie (voir ci-dessous), qu’il était facile d’utiliser un moteur de recherche pour vérifier
lorsque l’on a un doute sur l’authenticité de l’écriture. Voici un échange significatif de la
régulation apportée par les élèves eux-mêmes, sur le forum interne, à propos de l’article
« Petites choses à savoir », signé de Etienne, 3e parme.
Petites choses à savoir
mise en ligne: lundi 6 décembre 2004, par 3parme
Vous pensez tout savoir, voici quelques trucs que vous ne savez sûrement pas !!!
Il est impossible de lécher votre coude. / Un crocodile ne peut sortir sa langue. / Le cou d’une
crevette est logé dans sa tête. / Une étude sur près de 200 000 autruches, pendant plus de 80 ans, ne
rapporte aucun cas où on aurait vu une autruche mettre la tête dans le sable. / Les porcs ne sont
physiquement pas capables de regarder le ciel. / Plus de 50% des gens, à travers le monde, n’ont
jamais fait ou n’ont jamais reçu d’appels téléphoniques. / Les rats et les chevaux ne peuvent vomir. /
Si vous éternuez trop fort, vous pourriez vous casser une côte. / Si vous tentez de retenir un
éternuement, vous pourriez causer le bris d’une veine au cerveau ou dans votre nuque et mourir. / Si,
de force, vous gardez vos yeux ouverts lorsque vous éternuez, ils pourraient sortir des orbites. / Les
rats se multiplient si rapidement qu’en 18 mois, un couple de rat peut avoir plus d’un million de
descendants. / Le briquet a été inventé avant l’allumette. / 35% des gens qui utilisent les annonces
personnelles des journaux pour trouver compagnon ou compagne sont déjà mariés. / À travers le
monde, 23% des problèmes aux photocopieurs sont causés par des gens qui s’assoient sur l’appareil
pour photocopier leur derrière. / Pendant la durée moyenne d’une vie, une personne qui dort avalera
70 insectes et 10 araignées. / La plupart des "rouges à lèvres" contiennent des écailles de poisson. /
Comme les empreintes digitales, l’empreinte de la langue est différente chez chaque personne. / Et
75% des gens qui lisent ceci auront tenté de lécher leur coude.
EtIeNne
Cet article a été validé par un professeur administrateur, et donc publié en ligne. Un élève en
revanche a eu un doute et a trouvé – il ne dit pas comment – d’où vient le copier-coller. Il
l’exprime dans un commentaire sur le site public. L’administrateur choisit de supprimer le
commentaire mais laisse l’article (Remarque : tout commentaire supprimé reste visible,
exclusivement par les administrateurs, sur le forum public).
119
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
L’échange de messages se poursuit donc sur le forum interne entre les seuls élèves, qui se
mettent alors à discuter comme sur une messagerie instantanée type MSN, avec les habitudes
d’écriture identitaire qui y sont de mise, même si – site scolaire oblige – il reste quelques mots
écrits correctement... Les professeurs avaient en fait négligé de regarder le flux des messages
du forum interne. Nous avons extrait ce dialogue qui se trouvait dispersé au milieu de 140
messages que comportait la messagerie interne. On reconnaîtra Étienne, l’auteur de l’article
qui utilise l’identifiant de sa classe : 3parme ; et Julie qui utilise un identifiant personnel :
**JuLIE** ainsi qu’un autre identifiant « d… » (anonymé), qui est en fait son patronyme.
Julie se fait aussi parfois appeler « Misslol », son nom de bloggeuse. Où l’on voit que Julie ne
s’en laisse pas conter, qu’elle sait faire fonctionner le moteur Google et que, lorsqu’elle est en
colère, elle en oublierait presque le langage identitaire (qu’elle utilise sans réserve sur son
blog 37).
37
Le skyblog de Julie : http://misslol.skyrock.com/36.html.
120
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
3.7. Éléments de bilan
Cette expérience, pionnière en 2004, a permis de vérifier que les élèves ont très vite saisi en
quoi la plate-forme ressemblait à leurs blogs, notamment quant à la manière de publier sur un
CMS. Mais ils ont aussi tous compris en quoi elle était différente, en particulier quant au
statut institutionnel du site, et à la présence d’un espace privé qui constitue tout un monde
d’échanges et de débats dans lequel on n’entre pas anonymement.
121
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4
Les professeurs ont facilement intégré le système de publication mais ont été vite débordés
par l’afflux de propositions d’articles qui compliquait leur mission d’accompagnement de
l’écriture. En particulier, ils n’ont compris que tardivement qu’ils pouvaient s’appuyer sur la
vigilance des élèves pour repérer les articles copiés, ou apprendre à le faire par eux-mêmes. Il
est certain aussi qu’une réflexion serait à mener sur la cohérence globale des sujets traités et
sur la « commande » des articles.
Mais d’un point de vue de l’éducation à la publication, le travail didactique de transposition
apporte quelques résultats intéressants. Tout d’abord, celle-ci est validée par une instance qui
s’en porte garant : les notions de comité de rédaction et de directeur de publication peuvent y
prendre sens. Ensuite, il s’agit bien d’un journal au sens démocratique du terme. Enfin, la
chose publiée en ligne prend une qualité de production aboutie, bien sûr perfectible, mais
validée par une réécriture et une supervision qui permet à l’élève de progresser. On pourrait
d’ailleurs envisager un comité de rédaction où les élèves auraient toute leur part dans la
validation – ce qui n’était pas le cas pour Les Médias Tissent.
Annexes (2 pages)
A.1. Sur le blog de Mélobiscotte…
A.2. Un article de Mélody sur le journal scolaire Les Médias Tissent.
122
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4 – Annexes
A 1. Sur le blog de Mélobiscotte… (page 4 sur 41)
123
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Chapitre 4 – Annexes
A.2. Un article de Mélody sur le journal scolaire Médias Tissent
124
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Conclusion
Vers une didactique de l’enquête journalistique scolaire
Au terme d’un parcours qui explore les mutations du journal scolaire selon quatre grands axes
(rapport à l’actualité, rapport au savoir et à la vérité, rapport à la loi, rapport à l’acte de
publier), nous brosserons ici une brève synthèse.
La comparaison entre les journaux des élèves de Célestin Freinet durant les deux décennies
précédant la seconde guerre mondiale avec ceux des élèves des années 2005 et 2006 fait
apparaître des différences qui, loin d’être uniquement matérielles, concernent d’abord le
rapport développé à l’actualité (chapitre 1). La place qu’occupent, dans la vie quotidienne des
élèves d’aujourd’hui, les informations issues des médias les plus divers modifie de façon
significative les questions qu’ils posent et se posent sur le monde. La curiosité pour l’actualité
est fortement conditionnée par des vagues émotionnelles, des blessures d’information, qui
peuvent en certains cas approcher l’insoutenable et transforment l’expression publiée des
élèves en réceptacle – certainement salutaire – de nombreux désarrois. Le journal scolaire
pourrait jouer alors le rôle d’espace de disponibilité ; mais les pratiques d’observation directe
du milieu, que préconisait Freinet, ne concernent plus guère alors que certains des aspects les
plus privés de la vie des élèves, quand elles ne demeurent pas enfermées dans la stricte
enceinte de l’établissement. Dès lors, la place donnée au genre journalistique du commentaire
devient prépondérante : les élèves commentent l’actualité diffusée par les médias de masse,
laquelle s’impose au dépend d’un travail plus patient – et plus serein – sur une actualité
directement observable, désormais à peu près entièrement absente des journaux scolaires.
Le rapport à l’actualité ne saurait s’émanciper du rapport au savoir, ni le rapport au savoir se
libérer totalement du rapport à l’actualité (chapitre 2). Il appartient donc à l’école de réguler et
de nourrir les liens vitaux qui unissent l’un à l’autre. Et, s’il est vrai que certaines
préconisations et certains dispositifs scolaires y concourent d’ores et déjà, il est non moins
vrai que le journal scolaire peut trouver là une raison d’être précieuse, en étant la source de
situations didactiques fécondes où s’impose la problématisation et le « travail » solidaires des
rapports à l’actualité, au savoir et aux savoirs. Ainsi peut-on dégager quelques-unes des
conditions de re-élaboration du rapport à la connaissance et à la vérité des élèves : s’imposer
de questionner les affirmations des médias, de rechercher activement des éléments de preuve,
de suspendre son jugement lorsque rien ne permet d’opiner, en refusant de s’en remettre aux
seuls médias « officiels ». Tout cela est essentiel à l’élève – et au citoyen qu’il deviendra –
pour que le rapport aux savoirs qui s’élabore à l’école soit construit pour durer, alors même
qu’il évolue dans une société menacée tout à la fois par la surinformation et le relativisme des
croyances et des opinions. Pour cela, il ne suffit certes pas de douter de tout : la vertu d’esprit
critique, tant louée, suppose un travail continué, qui seul permettra d’échapper à la référence
constante, dans les journaux scolaires aujourd’hui, qui va de la critique exaspérée au pur et
simple recopiage, aux médias de masse.
De ce point de vue, et en empruntant ici un concept à la théorie anthropologique du didactique,
l’analyse de ce qui, d’une dialectique des médias et des milieux authentique, se donne à voir
aujourd’hui dans les productions journalistiques scolaires, est éloquente. Elle suggère
fortement que la mise en relation dialectique, raisonnée, inventive entre le message d’un
média et la réponse d’un milieu interrogé sur la vérité de ce message pourrait jouer,
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Conclusion
moyennant une organisation et un accompagnement adéquats du travail des élèves, un rôle
refondateur de leur rapport au vrai. Dans ce cadre, la pratique à l’école de l’enquête
journalistique, triplement appuyée sur des compétences d’investigation, des compétences
rédactionnelles et des compétences critiques, qu’en retour elle permettra de développer,
apparaît comme une réponse pertinente au besoin actuel qu’éprouve l’école de donner aux
savoirs qui s’y enseignent un fondement intellectuellement et socialement vécu par les élèves
(et les professeurs). C’est ainsi que l’enquête journalistique pourrait devenir l’une des
activités phares des « ateliers de démocratie » et des « ateliers temps présent » que propose
Jacques Gonnet (2001, p. 131).
Le droit est un champ de savoirs très rarement abordé à l’école : il n’y existe souvent que par
des listes d’interdits (et de sanctions afférentes) inégalement validées par la loi (chapitre 3).
Publier un journal est alors l’occasion d’une rencontre avec le droit vivant. La complexité
grandissante des dispositions juridiques concernant les publications va de pair avec la
simplicité croissante (au moins pour l’utilisateur) de l’acte même de publier, en sorte qu’on ne
peut plus guère s’en tenir à des principes approximatifs… Du point de la formation du citoyen,
il est crucial de ne pas regarder ces dispositions comme des règles qu’on intègre sans discuter,
mais au contraire comme l’un des fondements cardinaux de la démocratie. Pour cela, les
journaux scolaires ne doivent surtout pas s’abstenir de la confrontation à la loi, qui doit
permettre de questionner tout à la fois le sens historiquement général et précisément
spécifique de chacune des dispositions que l’on rencontrera. Ce domaine de la formation
scolaire suppose aujourd’hui de mieux définir les besoins en formation des enseignants, sans
doute immenses, mais qui ne sont qu’un aspect des besoins de toute une société en la matière.
Les contenus de savoir idoines commencent aujourd’hui, au reste, de nourrir les passages
imposés tant aux élèves par la préparation du B2i qu’aux enseignants par celle du C2i2e. Car
on ne saurait exagérer le rôle joué en tout cela par le développement de l’Internet, dont
chaque usage soulève une foule de questions juridiques qui touchent à l’image même que
chacun se fait de la société où il vit et de la manière d’y vivre.
Une telle révision de nos idées les plus communes, où l’à-peu-près est présent plus souvent
qu’à son tour, est particulièrement sensible à propos du droit des publications et de leur
diffusion : le rapport à l’acte de publier est à la fois le point de fuite et le révélateur de
l’ensemble des problèmes que notre travail s’est efforcé d’interroger (chapitre 4). Plusieurs
difficultés s’accumulent en ce point, telles les notions d’auteur, d’autorité, de popularité,
d’un emploi toujours délicat ; tel aussi le phénomène, que l’on doit d’abord constater, de la
profusion des contenus publiés. Où trouver alors un modèle de régulation de cet
investissement spontané et foisonnant de l’Internet ? Pour répondre, on observera que, si le
« journalisme citoyen » sur Internet est d’abord un journalisme comme les autres, avec les
même exigences formelles et déontologiques, il n’en demeure pas moins le produit d’une
transposition dont certains modèles peuvent dès lors être exploités par le journalisme scolaire.
Des blogs d’adolescents au journal scolaire en ligne, au vrai, ce ne sont pas tant les outils qui
diffèrent que la raison d’être du projet : le fait doit devenir clair pour les élèves afin de leur
épargner l’écueil de la fascination, fugace mais ravageuse, par les outils ou, plus souvent
encore, la puissance affichée de ces outils. Bien que, à l’instar des journaux sur papier, les
journaux scolaires en ligne ne s’attachent aujourd’hui que trop rarement à appuyer leurs
raisonnements et leur pensée sur des milieux adéquats, deux exemples suffisent à montrer
qu’il est possible d’intégrer scolairement ce critère, décisif du triple point de vue didactique,
éthique et éducatif : dans un cas, un journal inter-établissements basé sur des sorties scolaires
accueille des reportages sur des thèmes environnementaux ; dans l’autre, un atelier
scientifique exploite les relevés et la méthodologie d’une équipe de chercheurs pour publier
126
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Conclusion
les interprétations réalisées par les élèves dans un journal en ligne. Dans les deux cas de
figure, les potentialités d’Internet sont utilisées bien autrement que pour recopier des contenus
tout faits. Un troisième exemple, celui d’un journal de collégiens hébergé par une plate-forme
qui permet le travail de réécriture et le débat sur les articles avant leur publication, préfigure,
nonobstant tous les tâtonnements qu’on voudra, ce que pourrait être la vocation d’un journal
scolaire à l’orée du XXIe siècle.
Le quadruple questionnement qui a été le nôtre conduit à souligner que si, hier encore, il était
d’abord nécessaire de donner aux élèves accès à un support d’expression, la question cruciale
aujourd’hui posée à l’école n’est plus guère celle-là. C’est celle de savoir comment fournir
aux élèves les moyens de produire et de publier une parole qui, si modeste soit-elle, se révèle
non seulement robuste face aux mises à l’épreuve scolaires traditionnelles, mais aussi
résistante aux tests que lui impose sa divulgation au grand air de l’Internet ou de tel autre
réseau… Telle est au fond l’exigence sine qua non de la notion de journalisme scolaire vers
laquelle tend le travail que nous concluons provisoirement ici.
L’approche théorique de la TAD annoncée dans l’introduction de ce mémoire se montre ainsi
productive pour construire un modèle didactique de l’enquête journalistique scolaire : un
contexte sociétal nouveau, celui de l’évolution des médias de masse, rend nécessaire et urgent
l’appropriation de savoirs nouveaux par les citoyens dans leurs rapports à l’actualité, à la
vérité, à la loi, à la publication. Ces savoirs sont ceux de l’investigation journalistique (les
savoirs savants) dont la transposition didactique devient l’enquête journalistique scolaire (les
savoirs enseignés), et dont le journal scolaire est la situation didactique pertinente puisqu’elle
en permet l’étude en donnant à l’élève un topos optimal.
Dès lors que l’enquête journalistique scolaire est regardée lucidement comme une pratique
transposée du journalisme professionnel, il convient de définir les savoirs à enseigner afin de
créer notamment les conditions d’une existence regardée comme légitime de cette pratique.
Les méthodes et les raisons d’être de l’enquête, du reportage, de l’interview et de toutes les
formes de l’investigation, réinvesties, doivent être rendues vivantes par des compétences
adaptées aux besoins qu’il convient du même pas d’identifier et de hiérarchiser. On sait par
exemple que l’écriture sur le web est aujourd’hui décomplexée par une très grande tolérance
formelle ; et, plutôt qu’une malédiction s’abattant sur les jeunes générations, on peut certes y
voir le désir d’une socialisation agonistique par la discussion. Mais l’écriture à laquelle on
reconnaît une certaine autorité, c’est-à-dire l’écriture qui, en un certains sens, compte,
l’écriture qui n’est pas jetée en vain sur un support aussitôt oublié parce qu’ignoré de tous,
cette écriture demande un formalisme plus rigoureux, même sur ces supports courants du
journalisme citoyen que sont les blogs. Le journal scolaire doit alors contribuer à faire que les
élèves parviennent à se situer comme un auteur – collectif ou individuel – auquel sera
reconnu une autorité limitée mais effective. Sur cette voie, les nouvelles compétences à
acquérir sont d’abord la capacité d’une lecture excriptrice des médias et la capacité de
rechercher (et de mettre en jeu) des milieux « acceptables », toutes capacités sans lesquelles il
n’est pas, quel que soit l’âge des « auteurs », de message véritablement autorisés.
Dans l’un de ses ouvrages, Jacques Gonnet demandait pourquoi il faudrait une éducation aux
médias alors qu’on ne parle pas par exemple d’éducation aux mathématiques… Il est admis
qu’on amène les élèves à faire des mathématiques, comme moyen de construire leur
connaissance de la discipline, limitée bien sûr à des savoirs scolaires eux-mêmes transposés
de savoirs savants toujours retravaillés, remis en question et précisés. Si donc les médias de
masse sont aujourd’hui des objets qui, ni bons ni mauvais, posent de vraies questions à la
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Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Conclusion
société, il convient de construire à l’école les questionnements transposés qui détermineront
les savoirs scolaires à enseigner au-delà d’une simple « éducation à » et dont l’apprentissage
supposera également de faire des médias comme on fait du français ou des mathématiques.
Il se dessine aujourd’hui, dans l’espace scolaire et autour de lui, un nouveau champ
disciplinaire que l’expression de « maîtrise de l’information » désigne parfois. Pour ce champ
en émergence, qu’inspire les pratiques de l’information literacy anglo-américaine, Alexandre
Serres (2007) a proposé récemment les éléments de base d’une didactique, au confluent de
trois cultures apparentées quoique distinctes : la culture de l’information-documentation, la
culture des médias, la culture informatique. À l’inventaire des axes du chantier didactique
ouvert par l’auteur cité – « recenser les contenus à enseigner », « délimiter les corpus »,
« didactiser les notions », « construire un curriculum » –, nous ajouterons ici, pour conclure
tout à fait, une exigence « topogénétique » qui fera violence aux contrats didactiques scolaires
anciens et modernes, mais que le temps où nous vivons ne permet plus d’ignorer : l’exigence
d’une participation réelle des élèves à la production et la diffusion de contenus d’information
et d’expression qui, dans leur registre, visent systématiquement à être les plus autorisés
possible, c’est-à-dire à faire autorité autant qu’il se peut dans un débat démocratiquement
ouvert.
128
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
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132
Journaux scolaires à l’ère d’Internet
Résumé
Initiés par Jacques Gonnet, les travaux de recherche sur les journaux scolaires s’inscrivent
dans le champ de l’éducation aux médias en empruntant des chemins divers. C’est ici un
éclairage didactique qui est recherché au travers d’une question critique : quelle est
l’influence d’Internet et des médias de masse sur les modes de publication, sur les contenus et
sur les effets d’apprentissage des journaux réalisés en milieu scolaire ?
Dans le rapport à l’actualité, d’abord, on verra que les élèves de Célestin Freinet
s’exprimaient sur le monde uniquement au travers d’une expérience directement vécue. Les
élèves du 21e siècle, eux, s’expriment surtout à propos d’une expérience médiatisée du monde,
parfois émotionnellement douloureuse ou envahissante.
Un rapport ambigu avec la notion de vérité s’installe de ce fait, nettement perceptible dans les
thèmes choisis et les propos publiés dans ces journaux. La croyance à des faits devient plus
décisive que leur preuve, ou même que leur source, et justifie seule la multiplication des
commentaires. La construction des savoirs est directement imprégnée de ce rapport aux
médias. La théorie anthropologique du didactique, et la dialectique des médias et des milieux
est ici sollicitée pour décrire l’absence de milieux dont souffrent les productions d’élèves. Les
organisations praxéologiques de l’enquête journalistique, dans leur transposition scolaire, sont
proposées pour un accompagnement bénéfique de l’expression des élèves dans leurs journaux.
La publication de journaux est aussi l’occasion de s’approprier le rapport au droit des
publications qui devient, du fait des usages de l’internet, une partie indispensable de
l’équipement praxéologique des citoyens du XXIe siècle.
Plus généralement, l’acte même de publication, en particulier en ligne sur Internet, devient
accessible à chacun, en particulier aux adolescents, dans la large sphère citoyenne comme
dans les multiples réseaux plus ou moins privés qui forgent les appartenances sociales. Aussi,
plus que des espaces pour publier, c’est un apprentissage des gestes de la publication que
l’école doit développer. L’enquête journalistique scolaire, publiée dans des journaux scolaires,
sur support papier ou en ligne, en est une situation didactique pertinente, et un axe fécond de
la toute nouvelle didactique de l’information.
Mots-clés : Éducation aux médias, journaux scolaires, théorie anthropologique du didactique,
internet, enquête, journaliste, médias, milieux, didactique, droit de la presse, article,
publication, auteur, vérité, savoirs, blogs, plate-forme de publication.