Elles travaillent « à l`allemande » et font un tabac à l`export

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Elles travaillent « à l`allemande » et font un tabac à l`export
14 entreprises & innovation
LA TRIBUNE VENDREDI 21 SEPTEMBRE 2012
Elles travaillent « à
l’allemande » et font
un tabac à l’export
compétitivité Le rapport Gallois remis dans quelques jours
proposera des remèdes aux maux de l’industrie française. L’occasion
d’un zoom sur trois entreprises qui brillent à l’international.
Leur obsession : l’excellence technique et managériale.
© dr
e dites pas à Olivier
Pa s s o t , B r u n o
Bouy­­gues ou Bernard Reybier que
l’industrie française
est moribonde, ils pourraient bien
vous rire au nez. Le premier, PDG
de Revol, réussit à vendre aux
Chinois sa porcelaine culinaire
fabriquée dans la Drôme. Le deuxième, directeur général de GYS,
«
a conquis l’Allemagne avec ses
postes de soudure à l’arc « made
in Mayenne ». Et le troisième,
PDG de Fermob, a envahi les
grands squares new-yorkais avec
ses fameuses chaises pliantes
métalliques « Bistro » produites
dans l’Ain.
Leur secret commun : une in­
novation permanente pour
construire une marque forte et
garder des prix suffisamment
­rémunérateurs ; et une internatio-
Les entreprises ont souvent
beaucoup plus de savoirs en
interne que ce qui est contenu
dans leur offre commerciale. La
grande force des Allemands, c’est
de surajouter des savoirs dans
leurs produits. » Bruno Bouygues (GYS)
nalisation « sans complexe », selon
l’expression de Bernard Reybier
qui, la semaine dernière encore,
présentait ses meubles au salon
Furniture China de Shanghai.
Bruno Bouygues, de son côté, enchaînait les rendez-vous avec les
clients du monde entier à la foire
Automechanika de Francfort. Une
vraie stratégie industrielle et commerciale à l’allemande, en somme.
Le pari n’est pas facile pourtant
car, dans chacun des secteurs
d’activité de ces PMI, la guerre
des prix fait rage.
« Dans les années 1980-1990, la
porcelaine à bas prix a commencé
à envahir la France et mon père,
qui dirigeait alors la société, a décidé de se concentrer sur la clientèle des restaurateurs, très exigeante en matière de qualité », se
souvient Olivier Passot, descendant de la onzième génération des
fondateurs de cette entreprise
familiale née en 1789.
Revol exporte
66 % de ses 18 M€
de chiffre d’affaires,
Fermob, 46 % de ses
38 M€ et GYS, 50 %
de ses 58 M€.
«
© J.-P. Lemoine
N
odile esposito
Mais, une fois arrivé à son tour
aux manettes, ce jeune patron de
40 ans décide de revenir vers le
grand public. « J’ai eu le sentiment
qu’il nous fallait construire une
marque et donc être visibles »,
e­ xplique-t-il.
Un souci qui anime aussi Bernard Reybier lorsqu’il reprend, en
1989, le petit atelier de mobilier
métallique qui n’emploie plus
alors qu’une douzaine de personnes. « J’ai décidé de faire de
Fermob une marque, raconte-t-il.
Notre ambition n’était pas de
vendre le plus de sièges possibles,
mais de nous concentrer sur du
mobilier à valeur ajoutée créative,
avec un fort contenu en design, et
de capitaliser sur notre origine
française qui, dans ce domaine, est
une bonne carte de visite. »
Chez GYS, lorsqu’ils reprennent
en 1997 cette affaire à la barre du
tribunal de commerce, il est difficile au départ, pour Nicolas
­Bouygues et son fils Bruno, de
­capitaliser sur la marque ou sur un
label « made in France » de moins
en moins prisé dans les produits
industriels. Alors ils décident de
miser sur la technique, avec un
catalogue allant des postes de
­soudure à l’arc aux chargeurs de
batteries automobiles et aux équipements de carrosserie. Mais aussi
Exporter, c’est
vendre à des clients.
Pour moi, il n’y a pas de
différence entre un client
français et un client
allemand ou japonais. »
Bernard Reybier (Fermob)
Produites dans l’Ain, les chaises
métalliques colorées de Fermob
conquièrent le monde. À New
York, leur version bistro fait
fureur dans les squares. [DR]
entreprises & innovation
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VENDREDI 21 SEPTEMBRE 2012 LA TRIBUNE
Le fameux « gobelet froissé »
de Revol s’est vendu à plusieurs
millions d’exemplaires à travers
le monde. [DR]
sur une intégration très poussée de
leur production, ce qui nécessite
des compétences pointues dans
tous les domaines, de l’électronique
à la plasturgie et aux matériaux.
Une démarche anachronique
quand les industriels ont tendance
au contraire à se concentrer sur un
ou deux savoir-faire et à acheter le
reste ? « Une intégration poussée
est la seule façon de maîtriser complètement la ­qualité et de capitaliser sur des technologies qui permettront à l’entreprise de se réinventer
en permanence, rétorque Bruno
Bouygues. C’est une source de productivité et le meilleur moyen de se
battre contre les Chinois ! »
Objectif : « compliquer
la vie des chinois »
Et il faut se battre, justement. Car,
très vite, les nouveaux dirigeants de
GYS voient eux aussi la concurrence se durcir, avec une « forte
polarisation, accélérée par le développement d’Internet, entre les produits pas chers venus d’Asie et les
produits ultra-technologiques, proposés notamment par les Allemands
ou les Coréens, indique le directeur
général. Face à cela, l’offre française
était mal adaptée, car orientée vers
la moyenne gamme demandée par
«
sommes aperçus que le soudeur allemand voulait un appareil doté d’un
système d’exploitation avec possibilités de réglage pour maîtriser le
procédé. Nous avons donc rapidement mis en place la recherche
­nécessaire pour répondre à cette
demande plus sophistiquée. »
Surveiller la demande, humer les
tendances, telle est l’obsession de
ces dirigeants toujours entre deux
avions. « Notre catalogue est passé
de deux pages au démarrage à cent
aujourd’hui, se réjouit Bernard Reybier. Et Fermob a désormais la réputation d’apporter chaque année
quelque chose de neuf sur le marché
du meuble, que ce soit en matière de
forme ou de couleur. » « L’innovation
est fondamentale dans notre stratégie, confirme Olivier Passot, chez
Revol. Si nous n’avions pas misé
­dessus ces dix dernières années, nous
ne serions plus là aujourd’hui. »
La PMI travaille sur le design,
mais aussi sur les matériaux. La
mode est à l’utilisation des ardoises en guise d’assiettes ? Revol
met au point une ligne de produits
baptisée Basalt, imitant l’ardoise
à la perfection, mais tout en étant
plus légère et hygiénique.
De même, face à l’engouement
pour l’induction, la PME a déve-
Avec des salariés qui ont
20 ans d’ancienneté en moyenne,
nous avons une lourde responsabilité
sociale. Mais nous ne pouvons nous
passer d’un volant minimum
d’intérimaires. C’est le seul moyen
pour nous de garder de la flexibilité. »
© dr
Olivier Passot (Revol)
le marché domestique. Par exemple
un artisan français qui achète un
poste de soudure va souvent se
contenter de la seule fonction on/off.
Mais quand nous avons voulu proposer nos produits en Allemagne au
début des années 2000, nous nous
loppé une gamme de cocottes baptisée Revolution, capables de passer des plaques à induction au four
classique ou au micro-ondes. Elle
a pour cela créé une céramique
technique brevetée, avec l’aide du
groupe de matériaux Imerys. Ob-
Chez GYS (postes de soudure à l’arc, chargeurs de
batteries, équipements de carrosserie…), la direction a
fortement misé sur la technique et sur une intégration
poussée pour « maîtriser complètement la qualité ». [dr]
zoom
Un impératif : trouver et fidéliser les hommes
« Lorsque j’ai repris Fermob, mon premier
investissement a été dans les ressources
humaines », se souvient Bernard Reybier qui
a fait depuis passer ses effectifs de 10 à
200 personnes. « J’ai sans doute toujours
surinvesti au niveau des compétences par rapport à la taille de la société, reconnaît-il. Mais
nous avons su fidéliser nos collaborateurs. »
Une tâche parfois ardue : « Il faut compter un
mois avant qu’un ouvrier intérimaire ou en
CDD soit vraiment opérationnel, indique
Olivier Passot, le PDG de Revol. Mais parfois,
une fois formé, il quitte l’entreprise très vite. »
Compliqué aussi d’attirer des compétences
nouvelles. Bruno Bouygues souligne la « dif-
jectif avoué d’Olivier Passot dans
cette boulimie d’innovations :
« Compliquer la vie des Chinois »,
toujours très prompts à copier les
innovations.
internationaliser sans
nuire aux sites français
Des Chinois qui sont aussi, de
plus en plus, devenus des clients…
Grâce aux multiples partenariats
noués avec des écoles de cuisine
et des chefs prestigieux, grâce
aussi à quelques produits devenus
culte comme le fameux « gobelet
froissé » qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires à
travers le monde, Revol exporte
66 % de ses 18 millions d’euros de
chiffre d’affaires. Chez Fermob, ce
taux atteint 46 % pour un chiffre
d’affaires de 38 millions et, chez
GYS, l’international apporte la
moitié des 58 millions d’euros de
chiffre d’affaires.
Une internationalisation qui ne
nuit pourtant pas, loin de là, aux
usines françaises des trois PMI.
Revol fabrique toutes ses porcelaines à Saint-Uze, au sud de Lyon,
avec 200 salariés. Fermob, lui, est
implanté à Thoissey, dans l’Ain.
Son usine, qui emploie 195 per-
ficulté de continuer à monter en savoir technique ». GYS emploie pourtant déjà 41 chercheurs ainsi que 60 ingénieurs et techniciens
à Laval ! « Nous avons profité de la délocalisation en Asie de nombreux équipementiers
­télécoms pour recruter des ingénieurs et des
techniciens très pointus en électronique et en
informatique industrielle », raconte-t-il.
Avec des projets plein la tête, ces patrons
aimeraient aller plus loin. Leur souhait ? « Un
peu moins de rigidité sur le marché du travail »,
résume Bernard Reybier. Pour conserver un
droit à l’erreur et faire face aux fluctuations
des commandes, Fermob et Revol gardent un
volant d’intérimaires. À contrecœur…& O. E.
sonnes, se veut un modèle en matière d’organisation industrielle,
notamment pour réduire les délais
de livraison, mais aussi de respect
de l’environnement. L’entreprise
s’est également dotée d’un petit
site de production en Asie pour
servir les marchés locaux car « nos
produits sont difficiles à transporter par avion, explique Bernard
Reybier. Idéalement, il faudrait
faire la même chose en Amérique
du Nord, mais nous ne sommes
qu’une PME… »
GYS, de son côté, vient d’ouvrir
en Allemagne un vaste « campus »
employant 50 personnes et réunissant forces de vente, showroom,
bureau d’études et centre de formation. « Nous avons aussi investi
dans une usine en Chine. Nous
sommes en train de former le
middle management et nous
­commençons à y fabriquer des
­produits très simples, avec l’objectif
de monter en volume », précise
Bruno Bouygues.
Une menace pour le site de SaintBerthevin, qui emploie 320 salariés
à proximité de Laval ? « Absolument pas, assure le dirigeant. Nous
sommes en train de faire également
une grosse extension de notre usine
française. Mais nous souhaitons
avoir un campus intégré sur chaque
continent et les usines doivent servir
cette ambition géographique. Et il
faut également savoir que le top
management d’une filiale chinoise
coûte désormais aussi cher que son
équivalent français. Pour les postes
de middle management, les Chinois
coûtent environ 30 % de moins que
les Français. Seule la main-d’œuvre
non qualifiée reste nettement moins
chère en Chine, avec un rapport de 1
à 6. Il faut donc que la densité de
main-d’œuvre directe dans nos
­produits soit la plus faible possible ».
Plus facile à dire qu’à faire sans
doute…
Innovation, audace, prise de
risques, tel est donc le lot quotidien
de ces dirigeants de PMI. À l’heure
où l’industrie française s’interroge
sur ses faiblesses et son futur, leur
expérience vaut bien des beaux
discours ! &
un site utile
La Fabrique de l’industrie (www.
la-fabrique.fr), présidée par Louis
Gallois, se veut un lieu d’échanges
de réflexions et de témoignages sur
l’industrie et sur son devenir.

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