Recension des écrits sur le capital social et sa mesure
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Recension des écrits sur le capital social et sa mesure
Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la CULTURE PHILANTHROPIQUE Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Laurence Martin-Caron Cahier no TA1301 i Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Laurence Martin-Caron Cahier no TA1301 ii Cahier de la Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique « Recension des écrits sur le capital social et sa mesure » Laurence Martin-Caron Sous la direction de Yvan Comeau, professeur titulaire, Université Laval ISBN 978-2-924117-18-7 (version imprimée) ISBN 978-2-924117-19-4 (version numérique) Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2013 Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2013 Révision linguistique : Le Graphe iii Présentation de la Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique La Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique poursuit une mission de production de connaissances originales sur la culture philanthropique, de diffusion de contenus d’érudition qui rendent compte de sa complexité et d’appui à la mise en pratique des résultats de la recherche pour la progression de la culture philanthropique. La Chaire conçoit ainsi la culture philanthropique : Les manifestations comportementales, intellectuelles et morales de même que les structures sociales par lesquelles des personnes donnent volontairement argent, biens ou temps, afin de contribuer au mieux-être de leurs semblables, de leur collectivité et plus généralement de l’humanité, et ce, sans contrepartie pleinement équivalente. La culture philanthropique prend forme dans une diversité de lieux, de secteurs d’activités, de tâches et de significations portées par différents groupes sociaux. Considérant la variété de ces manifestations, la Chaire privilégie trois axes de recherche : • • • les formes et pratiques actuelles de la culture philanthropique : les travaux de cet axe portent sur les actions récentes, innovantes et peu documentées de solidarité, notamment dans les domaines de l’alimentation et du logement. Les études réalisées permettront de décrire la culture philanthropique québécoise contemporaine et d’expliquer sa différenciation ; les transformations de la culture philanthropique : les activités de cet axe concernent les changements des pratiques touchant l’entraide, le bénévolat, l’engagement social et la libéralité financière. Les études contribueront à saisir l’influence des phénomènes sociétaux et des logiques d’acteurs qui reconstruisent l’inclinaison à donner pour le bien commun ; les interventions en faveur de la culture philanthropique : les travaux de cet axe identifient les principes à la base du succès des démarches éducatives, éducationnelles ou sociales de diffusion de la culture philanthropique, notamment auprès des populations défavorisées et des jeunes. Les cahiers de recherche représentent un des moyens de diffusion des connaissances produites par la Chaire. Les cahiers de la collection « Études empiriques » rendent compte d’observations originales et systématiques faites par des chercheurs sur diverses manifestations de la culture philanthropique. Les cahiers de la collection « Théories et approches » font état des idées et des concepts permettant de comprendre et d’expliquer les différentes facettes de cette culture. Enfin, la collection « Interventions » expose différentes initiatives menées le plus souvent par des professionnels en vue de développer la disposition à la solidarité sociale. En rappelant le nom de Marcelle Mallet, la Chaire rend hommage à une femme totalement engagée pour ses semblables et qui a fondé, en 1849, la congrégation des Sœurs de la Charité de Québec. Yvan Comeau, professeur titulaire [email protected] www.culturephilanthropique.ulaval.ca iv Présentation de l’auteur Laurence Martin-Caron est titulaire d’une maîtrise en service social et d’un baccalauréat sur mesure en éducation et développement humain, obtenus à l’Université Laval. Son mémoire de maîtrise est une contribution empirique à l’appréciation du capital social dans un territoire. Laurence Martin-Caron a collaboré à l’étude de Comeau (2012) sur L’engagement social des élus municipaux et leurs représentations du développement local et il est l’auteur de la Monographie de la Coopérative de développement régional Centre-du Québec/Mauricie (CDRCQM) publiée par le CRIDÉS en 2011. Après avoir notamment travaillé en développement des communautés, l’auteur est actuellement administrateur d’une coopérative de solidarité en habitation et occupe le siège de chercheur au Pôle régional d’économie sociale de la Capitale-Nationale. v Table des matières Liste des tableaux et des figures ......................................................................................... viii Liste des sigles ..................................................................................................................... ix Résumé ................................................................................................................................. x 1. Introduction ....................................................................................................................... 1 2. La recension des écrits théoriques du capital social ......................................................... 2 2.1. Les fondateurs ........................................................................................................... 2 2.1.1. Pierre Bourdieu : capital social, habitus et classes sociales ............................... 3 2.1.2. James S. Coleman : liens forts et confiance ....................................................... 5 2.2. L’approche par réseaux sociaux ................................................................................ 7 2.2.1. Mark Granovetter : liens faibles et opportunités ................................................. 7 2.2.2. Nan Lin et Ronald Burt : stratégie et gains de capital social ............................... 8 2.2.3. Alejandro Portes : mauvais capital social et risques ........................................... 9 2.3. L’approche communautarienne ................................................................................. 9 2.3.1. La popularité de Putnam .................................................................................. 10 2.3.2 Une approche controversée ............................................................................. 11 2.4. L’approche institutionnelle-synergique ..................................................................... 12 2.5. Bilan et prescriptions concernant l’utilisation des écrits théoriques pour la mesure . 21 3. La recension des écrits méthodologiques portant sur la mesure du capital social .......... 25 3.1. Les mesures quantitatives du capital social ............................................................. 25 3.2. Les mesures qualitatives du capital social ............................................................... 30 3.3. Les méthodes mixtes : l’analyse des réseaux .......................................................... 32 vi 4. Les méthodes de mesure et d’analyse à privilégier......................................................... 33 4.1. La composition sociale de la communauté .............................................................. 33 4.2. Les degrés d’organisation des groupes sociaux ...................................................... 34 4.3. La structure associative de la communauté ............................................................. 35 4.4. L’information et les communications ........................................................................ 36 4.5. Les normes de réciprocité : contrôle social informel et confiance ............................ 37 5. Le précis technique en contexte québécois .................................................................... 39 5.1. La recherche statistique en capital social ................................................................ 39 5.1.1. La recension statistique des groupes sociaux .................................................. 39 5.1.2. La recension statistique des associations ........................................................ 42 5.1.3. Le taux de participation aux élections ............................................................... 47 5.2. La recherche documentaire ..................................................................................... 49 5.2.1. La recension des médias accessibles sur le territoire....................................... 50 5.2.2. L’analyse de contenu des médias .................................................................... 50 5.3. Les observations...................................................................................................... 51 5.4. Les groupes de discussion ...................................................................................... 53 5.4.1. Le recrutement ................................................................................................. 53 5.4.2. Le guide d’animation ........................................................................................ 54 5.4.3. L’animation ....................................................................................................... 54 5.5. Les entrevues individuelles ...................................................................................... 55 6. Conclusion ...................................................................................................................... 56 Bibliographie ....................................................................................................................... 58 vii Liste des tableaux et des figures Tableaux Tableau 2.1 : Dimensions du capital social selon les théoriciens ....................................... 17 Tableau 2.2 : La dimension structurelle du capital social ................................................... 22 Tableau 2.3 : Les dimensions cognitive et relationnelle du capital social ........................... 23 Tableau 3.1 : Dimensions pour la création d’outils quantitatifs par les grandes enquêtes .. 26 Tableau 3.2 : Prescriptions de Harpham (2008) pour l’élaboration de questionnaires ....... 27 Tableau 3.3 : Dimensions et indicateurs quantitatifs de Grootaert et al. (2004) ................. 28 Tableau 3.4 : Indicateurs du capital social communautaire selon Putnam ......................... 29 Tableau 3.5 : Dimensions et outils de mesure qualitatifs de Dudwick et al. (2006) ............ 31 Tableau 4.1 : Moyens pour rendre compte de la composition sociale de la communauté .. 34 Tableau 4.2 : Moyens pour rendre compte des degrés d’organisation des groupes sociaux........................................... 35 Tableau 4.3 : Moyens pour rendre compte des structures associatives de la communauté ............................................ 36 Tableau 4.4 : Moyens pour rendre compte de l’information et de la communication .......... 37 Tableau 4.5 : Moyens pour rendre compte des normes de réciprocité et du contrôle social ........................................... 38 Tableau 4.6 : Moyens pour rendre compte des normes de réciprocité fondées sur la confiance .................................... 38 Tableau 5.1 : Sources de données statistiques pour recenser les groupes sociaux .......... 40 Tableau 5.2 : Indicateurs de défavorisation de l’Atlas du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ........... 42 Tableau 5.3 : Sources de données sur la participation aux diverses élections au Québec ............................................................... 48 Figures Figure 2.1 : Deux conceptions du capital social : bien stratégique ou bien commun .......... 14 Figure 2.2 : L’articulation des dimensions du capital social selon Ruuskanen ................... 15 viii Liste des sigles ACC ARC ASCAT ASSS CAE CCCM CDEC CDR CLD CTROC CQCM CSSS DSP FMI ISQ MAMROT MDEIE MFA MRC MSSS OBNL OCDE ONU OSBL ROC-03 PPA RRA RTA SACAlS SADC SC SOCAT TROC Association des coopératives du Canada Agence du revenu du Canada Adapted Social Capital Assessment Tool Agences de la santé et des services sociaux Centre d’aide aux entreprises Conseil canadien de la coopération et de la mutualité Corporation de développement économique communautaire Coopérative de développement régional Centre local de développement Coalition des tables régionales d’organismes communautaires autonomes Conseil québécois coopération et mutualité Centre de santé et de services sociaux Direction de la santé publique Fonds monétaire international Institut de la statistique du Québec Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de Ministère de la Famille et des ÉAînés Municipalité régionale de comté Ministère de la Santé et des Services sociaux Organisme à but non lucratif Organisation de coopération et de développement économiques Organisation des Nations Unies Organisme sans but lucratif Regroupement des organismes communautaires de Québec Participatory Poverty Assessment Rapid Rural Appraisal Région de tri d’acheminement Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales Société d’aide au développement des collectivités Statistique Canada Social Capital Assessment Tool Table régionale des organismes communautaires ix Résumé Il n’existe pas de définition unique du concept de capital social. Cette situation est en partie attribuable au fait que ce concept est utilisé par plusieurs disciplines et interprété selon différentes écoles idéologiques. Il en résulte une grande diversité de propositions quant aux dimensions du concept, à ses niveaux, déterminants, bénéfices et possibles retombées. Notre recension des écrits permet de cataloguer les différentes perspectives théoriques du capital social, de dresser le portrait des consensus et des approches reconnues par les chercheurs en 2012 et qui nous paraissent les plus utiles aux interventions sociales et économiques, puis de répertorier et de détailler les méthodes et techniques de mesure des différentes composantes du capital social. Le choix méthodologique qui a guidé la recension repose sur quatre critères : efficacité, utilité, objectivation des données et économie des ressources. x Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 1. Introduction Si les mots servent à brouiller les choses, c’est parce que la bataille sur les mots est indissociable de la bataille sur les choses. – J. Rancière Selon Forgues (2004), qui a réalisé un travail rigoureux de synthèse du concept, le capital social fait référence aux « réseaux et [aux] liens sociaux plus ou moins actifs grâce auxquels un individu ou une communauté peut accéder à des ressources (économiques, politiques, culturelles ou humaines) nécessaires à l’atteinte de ses objectifs » (p. 13). Audelà du simple nombre de relations dont les acteurs peuvent profiter, le capital social réfère renvoie aussi à ce qui influence les interactions à l’origine des réseaux sociaux, notamment les valeurs et les normes ainsi que ce qui y est donné et échangé (Forgues, 2004). Ainsi, l’étude du capital social est centrée d’abord sur les interactions entre acteurs, sur les liens sociaux, puis de manière incontournable sur ce qui circule (ou pourrait circuler) par ces relations et sur ce qui influence leur dynamique. Il s’agit d’une notion à laquelle s’intéressent autant le paradigme du structuralisme sociologique que celui du choix rationnel (Ponthieux, 2006). Le capital social est le produit d’acteurs qui agissent avec une compétence sociale, tout en étant « encastrés » dans un environnement qui les influence (Ponthieux, 2006 : 23). La définition de Forgues (2004) qui vient d’être proposée représente, à nos yeux, une réconciliation des différents courants de pensée sur le capital social. En effet, un nombre impressionnant d’auteurs ont traité du capital social dans plusieurs disciplines et selon différents paradigmes (Bélanger, Sullivan et Sévigny, 2000). Ces nombreuses conceptions du capital social introduisent forcément de la complexité. À cela s’ajoutent les imprécisions des premières définitions et les divergences entre les théoriciens (Ponthieux, 2006). Ainsi, même la conceptualisation la plus répandue du capital social, soit celle de Robert Putnam (2000) dans son ouvrage Bowling Alone. The Collapse and Revival of American Community, est également une des plus contestées par les chercheurs. La confusion entourant le terme n’est égalée que par la popularité du concept auprès des théoriciens et praticiens sociaux, politiques et économiques. C’est dans ce contexte que s’inscrit notre recension des écrits théoriques et méthodologiques. En la présentant, nous visons à contribuer à la démystification du terme chez nos lecteurs francophones, à établir certaines normes sur le plan de sa mesure ainsi qu’à faciliter son appréciation par les chercheurs et son utilisation par les praticiens du Québec. La recension des écrits théoriques et méthodologiques se présente en cinq sections : 1) la recension des écrits théoriques du capital social ; 2) la recension des écrits méthodologiques portant sur la mesure du capital social ; 3) les méthodes de mesure et d’analyse à privilégier ; 4) le précis technique en contexte québécois ; 5) la conclusion. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 2. La recension des écrits théoriques du capital social Le capital social est un métaconcept abstrait, puisqu’il s’agit en fait d’un assemblage particulier de plusieurs autres concepts et que sa signification apparaît impossible à saisir à l’aide des sens. Cette nature complexe et abstraite du concept né au 20e siècle a entraîné de nombreux changements dans sa définition et ses composantes, selon les auteurs et les courants de pensée. La présente section est une recension des écrits théoriques, structurée de façon à présenter les évolutions multiples du concept : 1) les fondateurs qui ont jeté des bases différentes au concept ; 2) les auteurs orientés vers les réseaux sociaux (approche économique) ; 3) les auteurs qui mettent l’accent sur la communauté (approche politique) ; 4) les auteurs s’appuyant sur les travaux empiriques, la mesure et l’intervention (approche institutionnelle-synergique). 2.1. Les fondateurs La première mention du terme « capital social » est attribuable, selon Woolcock et Narayan (2000), à Hanifan dès 1916. Les travaux de ce dernier portaient sur l’importance des communautés pour la réussite scolaire. Hanifan propose une définition du capital social qui rejoint plus spécifiquement les intérêts des organisateurs communautaires et intervenants sociaux d’aujourd’hui : [...] those tangible substances [that] count for most in the daily lives of people : namely good will, fellowship, sympathy and social intercourse among the individuals and families who make up a social unit. If [an individual comes] into contact with his neighbor, and they with other neighbors, there will be an accumulation of social capital, which may immediately satisfy his social needs and which may bear a social potentiality sufficient to the substantial improvement of living conditions in the whole community (Woolcock et Narayan, 2000 : 227). Hanifan propose alors que le terme capital social corresponde à l’accumulation de relations amicales, de bon voisinage et de collaboration qui, par les ressources (matérielles ou non) qui s’y échangent, contribuent à améliorer les conditions de vie des individus et de la collectivité en général. En parallèle de cette première définition du terme, Watson et Papamarcos (2002) ainsi qu’Adam et Roncevic (2003) lient le concept aux travaux de sociologues et philosophes classiques, tels que Mill, Durkheim, Locke, Simmel, Marx, Rousseau, Tocqueville, Toennies et Weber. Pour ce qui est de la paternité officielle du concept, la plupart des spécialistes du sujet, dont Kazemipur (2009) et Ponthieux (2006), s’entendent pour accorder le plus grand crédit à Pierre Bourdieu, James Coleman, puis à Robert Putnam. Il est à noter que Putnam n’est pas un fondateur du concept. Il est plutôt celui qui a réussi à l’adapter de façon qu’il s’insère dans l’actualité des débats politiques, philosophiques, économiques et universitaires aux États-Unis et dans les organismes économiques internationaux, comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Marquées par des divergences importantes, les conceptualisations proposées par Hanifan, Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Bourdieu, Coleman et Putnam se rejoignent sur l’idée que le capital social renvoie en partie aux normes et au niveau de confiance présents dans les réseaux sociaux qui facilitent l’atteinte de certains objectifs autant individuels que communs. 2.1.1. Pierre Bourdieu : capital social, habitus et classes sociales Éminent théoricien français de la sociologie, Pierre Bourdieu (1930-2002) est le fondateur du structuralisme constructiviste, qu’il présentait comme une tentative de dépassement de la dualité psychologie/sociologie pour l’explication de l’action humaine en société (Ponthieux, 2006). Le contexte théorique dans lequel est alors introduit le concept de capital social est celui du paradigme conflictuel où, selon Bourdieu, la société peut être représentée comme une entité à la fois divisée en classes sociales historiquement construites et unie par la légitimité ainsi établie de la place qui revient à chacune (Siisiäinen, 2000). Le capital social bourdieusien serait l’élément central responsable du maintien de la division de la société en classes sociales. Chaque individu intègrerait la culture de son groupe de proximité à force d’interagir quotidiennement avec les personnes qui sont porteuses d’idées, de goûts, d’objets, de ressources matérielles, d’opportunités et de signes distinctifs particuliers. Ces éléments partagés par les personnes proches seraient en fait propres à leur réseau social étendu et à leur classe sociale. L’individu aurait tendance à s’identifier, consciemment ou non, à cette classe sociale, autant par affection et affinité avec ses semblables que par différenciation avec les personnes ayant d’autres appartenances sociales et culturelles, d’autres signes distinctifs. L’entourage humain immédiat d’un individu aurait donc une grande importance dans la détermination de sa place sociale. On peut dès lors mieux saisir la définition que Bourdieu donne au capital social : Le capital social est la somme des ressources, actuelles ou virtuelles, qui reviennent à un individu ou à un groupe du fait qu’il possède un réseau durable de relations, de connaissances et de reconnaissances mutuelles plus ou moins institutionnalisées, c’est-à-dire la somme des capitaux et des pouvoirs qu’un tel réseau permet de mobiliser (Bourdieu, 1980 : 2). Ainsi, chacun possède des capitaux de différents types (social, matériel, culturel, politique, symbolique), mais le capital social aurait un effet « multiplicateur sur le capital possédé en propre », stimulant par le fait même la solidarité de groupe (Bourdieu, 1980 : 2). De manière générale, le sociologue français considère la notion de capital comme étant synonyme de ressource et de pouvoir, tant en acte qu’en puissance, et permettant, d’après Bertrand Russell, à certaines personnes d’en influencer d’autres de façon voulue et prévue (Domhoff, 1983 : 3). Pour ce qui est de la solidarité des réseaux sociaux, Bourdieu considère qu’elle n’est pas qu’instrumentale ; elle serait aussi enracinée dans l’affect d’appartenance, parfois inconscient, à un groupement humain transcendant la personne et ses proches. Bien que la définition retenue soit publiée en 1980, Bourdieu a d’abord utilisé le concept de capital social dans son ouvrage La Distinction publié en 1979. Le capital social y est représenté comme étant à la fois la source et le résultat du développement du potentiel des individus et des groupements. Le capital social d’une personne réfère donc, à une extrémité Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure du spectre, à ce qui a contribué à son développement en tant qu’individu pourvu de capacités, soit la famille, la communauté, les pairs et les réseaux sociaux qui sont incidemment porteurs d’autres capitaux (Bourdieu, 1979). Les groupes useraient de stratégies et investiraient temps, argent, savoirs, relations, prestige et violence symbolique dans le but de maintenir les acquis et d’améliorer leurs conditions de vie, tout en tentant de se faire accepter comme légitimes (Bourdieu, 1994 : 5). Ceux détenant le plus de capitaux seraient alors avantagés et tireraient avantage à maintenir le statu quo et la reproduction sociale. Dans ses articles publiés en 1977 et 1981, l’économiste Glenn Loury appuie la thèse bourdieusienne de la reproduction sociale par le capital social en centrant son analyse sur les plus démunis plutôt que sur l’élite, comme le fait Bourdieu. Il le fait en se référant à la situation des Afro-Américains qui, bien qu’ils aient acquis des droits, héritent de leur famille et de leur communauté une insuffisance relative de biens matériels, un manque de culture commune avec le système en place et une quasi-absence de liens sociaux avec les groupes pouvant leur donner accès à des opportunités professionnelles et sociales (Portes, 1998 : 4). Bourdieu va plus loin dans son analyse. Il affirme que le capital social, culturel et matériel dans lequel croît une personne contribuerait non seulement à la constitution de son pouvoir, mais aussi, élément important de sa théorie, à la formation de sa personnalité, c’est-à-dire à la définition des goûts, dégoûts, penchants, de même qu’à une grille de lecture de la réalité, à un système de classification des gens et des objets, à des modes comportementaux, à des signes distinctifs et à un style de vie. Ainsi est définie une personnalité de classe nommée « habitus » (Bourdieu, 1979 : 62-64). Par un travail d’instauration et d’entretien des relations entre les personnes partageant un même habitus, les personnes semblables auraient tendance à s’assembler « naturellement » par le repérage de signes distinctifs qu’elles estiment (Bonnewitz, 1997). Non immuable, cet habitus se reconstruit constamment dans le temps. Bourdieu souligne que les interrelations et interactions entre les différents habitus risquent statistiquement de renforcer les dispositions acquises (Bourdieu, 1979). C’est à travers ces interactions entre ressemblances et différences subjectivement perçues et exprimées qu’une personne sélectionnera les réseaux sociaux qui seront son capital social et qu’elle sera sélectionnée par ces réseaux : Chaque agent a une connaissance pratique, corporelle, de sa position dans l’espace social, un « sense of one’ s place », comme dit Goffman, un sens de sa place (actuelle et potentielle), [...] définie absolument et surtout rationnellement, comme rang, et les conduites à tenir pour la tenir (« tenir son rang ») et s’y tenir (« rester à sa place », etc.). La connaissance pratique que procure ce sens de la position prend la forme de l’émotion (malaise de celui qui se sent déplacé, ou aisance associée au sentiment d’être à sa place), et elle s’exprime par des conduites comme l’évitement ou des ajustements inconscients [...] (Bourdieu, 1997 : 220). Le capital social se construirait par la recherche de sa place dans le monde social, par la distinction et par la recherche du confort de la prédictibilité des relations habituelles. Certes, il existe plusieurs espaces sociaux pour chacun dans une société où une dynamique sociale spécifique peut être construite (à l’école, au travail, à la maison, au cours de peinture ou d’escalade, etc.). Or, pour Bourdieu, les personnes auraient plutôt tendance à créer de la Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure cohérence entre elles par les liens qu’elles entretiennent, tentant de maintenir leur habitus d’un espace social à l’autre, créant ainsi des phénomènes sociaux tels que les classes sociales qui transcendent les divers espaces sociaux (Bourdieu, 1979 : 47-48). Le nombre et l’étendue des recherches empiriques qui s’inscrivent dans la perspective de Bourdieu sont énormes, puisque ses écrits sont à la fois dans l’air du temps en modernisant les propos de Marx sur les classes sociales, et complexes en faisant le pont entre différentes disciplines et concepts des sciences sociales. Les propos de Bourdieu sont pourtant quasi absents de la littérature scientifique anglophone portant sur le capital social et sa mesure (Ponthieux, 2006). 2.1.2. James S. Coleman : liens forts et confiance James S. Coleman (1926-1995), sociologue américain, est le chercheur qui a introduit la notion de capital social chez les anglophones dans les années 1980-1990. Plus pragmatique que Bourdieu, Coleman détache le concept du paradigme conflictuel pour l’associer au paradigme plus atomiste de l’individualisme méthodologique. En fait, plutôt que de s’attarder au capital social de l’élite, Coleman aborde le concept dans toutes les catégories sociales. Son projet théorique réside dans la tentative de lier les théories économiques et la sociologie classique (Ponthieux, 2006). Y sont amalgamées les théories du choix rationnel individuel et celles du déterminisme sociologique (règles et obligations sociales). Selon ce paradigme et Coleman, la société et les comportements individuels s’interinfluenceraient par l’entremise du capital social. L’auteur décrit ce processus d’interinfluence entre la société et les individus en trois étapes (Coleman, 1990). La première étape est le passage de la doctrine idéologique dominante jusqu’à l’individu. Gary Becker, collègue de Coleman, décrit ainsi le processus de socialisation fondé sur le capital social : Le capital social dépend donc plus des choix faits par les autres que des choix individuels – en particulier, l’influence des parents lors du processus de socialisation, ou encore l’influence de la culture. Mais les individus conservent le choix de se soumettre ou non à certaines influences en choisissant leurs relations, en fonction de l’utilité future qu’ils en attendent [...] (Becker, 1996, dans Ponthieux, 2006 : 9). On retrouve ici le capital social comme une source d’influence moins déterminante que chez Bourdieu, l’individu pouvant utiliser sa raison et ainsi filtrer plusieurs éléments externes formateurs de sa personnalité. La seconde étape est celle où l’individu impose ou modifie sa façon d’être et de faire préférée afin d’entrer en relation économique avec quelqu’un d’autre. Les personnes s’ajustent entre elles et créent ainsi des toiles d’échange normées dont les mécanismes peuvent se rigidifier et se ritualiser à force de répétition. Les normes interindividuelles ainsi formées se transmettraient alors à d’autres personnes et réseaux afin d’élargir les cercles d’échange. Le capital social de Coleman fait donc référence aux Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure réseaux de relations durables ainsi qu’aux normes qui régissent les échanges et donnent accès à toutes sortes de ressources. Ce phénomène conduit à la troisième étape de la théorie de Coleman : les comportements d’échange normés créent graduellement l’organisation économique de la société (Coleman, 1990). La diffusion de ces normes passe alors par les réseaux selon la force relative de ceux-ci dans la société. Il s’agit dès lors d’un système basé sur la réciprocité, les normes et les sanctions adoptées par les individus et qui définit un cadre prévisible de possibilités pour les acteurs en interaction. L’efficacité des réseaux sur le plan économique, selon Coleman, dépend donc des normes facilitant ou non les échanges, mais aussi de la fermeture relative du réseau assurant des liens plus étroits et intenses entre ses membres (Ponthieux, 2006 : 12). Lorsque les théoriciens se réfèrent à Coleman, ils le font principalement pour se positionner par rapport à cette hypothèse sur les bénéfices potentiels des liens étroits qu’ils nomment the strength of strong ties. Un autre apport majeur de Coleman au capital social est le fait qu’il a détourné le concept de la définition traditionnelle de capital (Kazemipur, 2009 ; Ponthieux, 2006). Contrairement aux différents capitaux (matériel, symbolique, culturel et politique) qui peuvent être accumulés, puis dépensés stratégiquement en échange d’autres formes de capitaux, le capital social « n’est la propriété d’aucun de ceux qui en bénéficient » et il peut profiter à tous en même temps, comme un bien public (Coleman, 1988 : 98). Pour ce qui est de l’apport de Coleman à la définition du capital social, Portes (1998 : 5) affirme qu’il entretient un flou d’où résulteront le grand nombre d’approches différentes et parfois contradictoires qui s’en inspirent. La définition visée par Portes est celle-ci : Le capital social est défini par sa fonction. [...] La fonction qu’identifie le concept de capital social est la valeur des aspects de la structure sociale que les acteurs peuvent utiliser comme des ressources pour atteindre leurs objectifs (Coleman, 1988 : 98-99). L’organisation sociale, en ce qu’elle facilite la réalisation d’objectifs qui ne seraient pas atteignables en son absence, ou seulement à un coût très élevé, constitue le capital social (Coleman, 1990 : 304). Coleman (1988) recourt à quatre exemples pour illustrer les avantages des liens forts et montrer que le capital social est ce qui existe entre les gens sans appartenir à personne en particulier. Il rapporte en premier lieu le cas des diamantaires de New York constitués en un réseau fermé et à haut degré de confiance. Le réseau favorise l’échange sans formalités de diamants de haute valeur aux fins d’évaluation, sans coûts d’assurance ou de sécurité. En deuxième lieu, Coleman fait référence aux étudiants activistes coréens dont l’efficacité de l’organisation repose sur des liens de confiance qui se sont tissés depuis la petite école. En troisième lieu, il présente le cas d’une mère de six enfants qui acquiert de la liberté et une qualité de vie en déménageant de Détroit à Jérusalem, un endroit où les gens ont l’habitude de s’occuper des enfants du voisinage. Elle se libère ainsi d’inquiétudes et de tâches nécessitant temps et énergie (surveillance, accompagnement, etc.). En quatrième lieu, Coleman évoque l’exemple des marchands du Caire qui s’adressent mutuellement des clients dans un esprit de réciprocité. A contrario, Ponthieux (2006 : 14) cite un exemple où l’absence de confiance des Américains envers leurs médecins aurait fait grimper le coût des soins médicaux, à cause des assurances prises à l’encontre des poursuites judiciaires des Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure patients. Quoi qu’il en soit, on peut souligner pour notre propos l’ambiguïté des définitions proposées par Coleman, qui empêche d’élaborer un instrument de mesure pertinent pour sa théorie. L’importance de cette affirmation, à l’instar de la déclaration de Portes (1998), est que les fondateurs du concept n’ont pas réussi à articuler de définition ni de conceptualisation claire et concise à laquelle les théoriciens actuels peuvent se rattacher de façon consensuelle. D’après Woolcock et Narayan (2000), de ces écrits fondateurs émanent quatre approches du capital social : 1) l’approche des réseaux sociaux ; 2) l’approche communautarienne ; 3) l’approche institutionnelle ; 4) l’approche synergique. Les deux premières approches seraient véritablement distinctes. Toujours d’après les deux auteurs, la troisième représenterait une forme d’application spécifique des théories, alors que la dernière permettrait d’aborder empiriquement le capital social. Pour sa part, Ponthieux (2003) ne fait pas cette distinction entre les approches institutionnelle et synergique. Aux fins de notre présentation des écrits théoriques sur le capital social, nous retenons les approches communautarienne et institutionnellesynergique des réseaux. 2.2. L’approche par réseaux sociaux L’approche par réseaux sociaux est généralement associée aux échanges et à l’économie (Woolcock et Narayan, 2000). Centrée sur les valeurs libérales comme la liberté et le profit personnel, cette perspective tend à distinguer le bon capital social du mauvais en fonction des possibilités que fournit l’entourage social et des contraintes que celui-ci impose. 2.2.1. Mark Granovetter : liens faibles et opportunités Le sociologue américain Mark Granovetter fait avancer la conceptualisation du capital social dans les années 1980 en approfondissant la théorie des réseaux sociaux. C’est en 1954 que John Barnes nomme officiellement l’objet d’étude, défini ainsi par Siegfried Nadel trois ans plus tard : Par le terme réseaux sociaux je ne veux pas seulement indiquer les liens entre les personnes ; le terme relation suffit à cela. Je veux plutôt indiquer qu’il y a liaison entre les liens eux-mêmes, ce qui a pour conséquence que ce qui arrive, pour ainsi dire, entre une paire de nœuds ne peut manquer d’affecter ce qui arrive entre une paire adjacente (Nadel, 1957, dans Mercklé, 2004 : 8). Cette théorie s’inscrit dans le courant de la sociologie économique (Granovetter, 1985). On s’intéresse ici à l’étude « des actions d’homo oeconomicus en tant qu’elles sont encastrées dans les relations sociales » (Ponthieux, 2006 : 23). Plutôt que de statuer sur les types de liens qui facilitent les échanges comme le fait Coleman, Granovetter met l’accent sur les liens qui donnent accès aux ressources ayant le plus de valeur. Il appuie cependant l’hypothèse de Coleman selon laquelle les liens forts facilitent la confiance. Il affirme toutefois que les ressources qui circulent dans ces groupes fermés sont à l’évidence plutôt limitées (1973 : 46-47). En fait, il estime que, plus les liens entre deux personnes sont forts, Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure plus il y a statistiquement de chances que ces personnes gravitent dans des cercles sociaux similaires ou qu’ils partagent une grille de lecture semblable. Les liens forts réduisent ainsi la possibilité d’avoir accès à de nouvelles informations et ressources. En revanche, les liens faibles supposent une relation plus distante avec des gens différents et donnent accès à une plus grande diversité d’opportunités et de ressources (Granovetter, 1973). Ses travaux portant sur la corrélation entre l’obtention d’un emploi et l’utilisation de liens faibles confirment son hypothèse (1973 : 72). Cette valorisation des liens faibles va à l’encontre de l’opinion de Durkheim selon qui une société composée de liens faibles est à éviter, car il en résulterait une hausse de l’anomie responsable de plusieurs maux sociaux (Ponthieux, 2006). Dans leur article The Strength of Weak Ties You Can Trust, Daniel Levin, Rob Cross et Liza Abrams (2002) répertorient plusieurs études appuyant la théorie des liens faibles comme facteur favorisant l’accès aux ressources. Ils retiennent également de Granovetter et Coleman l’importance du phénomène médiateur de la confiance qui agirait comme facilitateur de transactions et de cohésion sociale. Cette confiance dans les liens faibles serait influencée par la perception, à distance, basée sur la réputation ou d’autres indices, de la présence de trois éléments, soit 1) la bienveillance, préjugé favorable d’intention, 2) la compétence, préjugé favorable de capacité, et 3) l’intégrité, préjugé favorable de la prédictibilité de l’autre (Mayer, Schoorman et Davis, 2007). Sur le plan empirique, les chercheurs en réseaux sociaux utilisent généralement des méthodes quantitatives sophistiquées. Ce sont principalement les écrits de Jacob L. Moreno (1889-1974) qui leur servent de référence. Moreno est le fondateur de la sociométrie, un « instrument qui étudie les structures sociales à la lumière des attractions et des répulsions qui se sont manifestées au sein d’un groupe » (Moreno, 1954 : 53). Aujourd’hui, on pratique la sociométrie au moyen de logiciels d’analyse des réseaux sociaux (Social Network Analysis, par exemple) qui fonctionnent le mieux lorsqu’on connaît déjà les limites d’un réseau (par exemple pour l’étude d’une classe d’école). 2.2.2. Nan Lin et Ronald Burt : stratégie et gains de capital social Nan Lin appartient au courant sociologique de la théorie des ressources. Comme ses prédécesseurs, Lin est d’avis que chaque personne aurait accès à deux types de ressources, personnelles et sociales, lui permettant d’accéder aux autres ressources qui lui manquent et qui ont pour elle un intérêt (Lin, 1982). Inspiré par la théorie des liens faibles et le paradigme conflictuel, Lin part du principe que ce qui est vraiment recherché par tout acteur est une position avantageuse dans la structure sociale. Il s’intéresse dès lors à la qualité des acteurs avec lesquels une personne ou un groupe est en lien, selon leur place dans la structure sociale et les ressources qu’ils permettent de mobiliser. Lin introduit donc l’importance des liens verticaux (le linking de Woolcock, 2001), entre acteurs occupant différentes places dans une hiérarchie. Lin scinde en deux parties le capital social : les réseaux sociaux qui seraient des lieux de ressources et les contacts dans ces réseaux qui permettraient d’avoir accès à ces ressources (Lin, 1982 et 1995). Pour reprendre le vocabulaire des auteurs abordés plus haut, il s’agirait d’établir des liens faibles, puis de les renforcer à l’aide de stratégies. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Dans la même veine que Lin, Ronald Burt s’intéresse à ce qui fait qu’une stratégie d’échange est avantageuse pour un acteur (Mercklé, 2004). Il en vient à la conclusion que l’important n’est pas vraiment le lien hiérarchique, mais la structure des relations. S’appuyant sur la théorie du tertius gaudens de Theodore Caplow, Burt (1982) croit que l’avantage dans les relations sociales, ce qu’il nomme le capital social, apparaît lorsque l’on connaît des acteurs qui n’ont pas de liens entre eux (dans Mercklé, 2004). Devenir agent médiateur entre ces inconnus donne accès à des informations et à des ressources de l’un qui pourraient intéresser l’autre. Une telle position procure des avantages pour soi-même par l’appropriation de la réciprocité, l’exploitation des conflits, etc. Cette perspective porte sur les stratégies déployées pour obtenir des avantages personnels plutôt que sur l’appréciation du capital social dans une communauté, ce qui n’empêche pas de repérer ce type de stratégie dans des communautés. 2.2.3. Alejandro Portes : mauvais capital social et risques L’idée d’un mauvais capital social suppose une référence normative à ce que procurent les réseaux, comme le montre cette définition du capital social : « [...] the ability of actors to secure benefits through membership in networks and other social structures » (Portes 1998 : 6). Il existerait une fermeture stratégique des groupes aux autres groupes, qui permettrait de maximiser certains bénéfices. Selon Portes et Landolt (1996), ces fermetures stratégiques risquent de faire en sorte que le capital social entraîne des effets indésirables pour les individus, les groupes et les collectivités. Il est possible de concevoir que la multiplication de groupes stratégiquement fermés puisse ralentir le développement des communautés en augmentant les coûts d’échange, en réduisant la mobilité sociale, en freinant l’inclusion sociale, en divisant les communautés, en encourageant par certaines sous-cultures le crime ou les comportements antisociaux, en renforçant de mauvaises habitudes de vie par la pression du groupe et même en réduisant l’importance de la réussite scolaire par l’appartenance à tel ou tel groupe (Aldridge, Halpern et Fitzpatrick, 2002). Bourdieu l’a expliqué : le capital social n’aurait pas que des avantages, car il peut jouer en défaveur de certains individus, groupes, communautés ou sociétés. Pour Portes, le capital social représente une ressource qui doit être utilisée de manière responsable afin d’éviter la production de problèmes sociaux. Déceler le mauvais capital social se fait à la lumière d’idéaux à atteindre ou à éviter. 2.3. L’approche communautarienne L’approche communautarienne considère volontiers que le capital social contribue à la démocratie et au bien commun (Woolcock et Narayan, 2000). Ses principaux auteurs, Putnam et Fukuyama, centrent leur attention sur les groupes locaux (associations, clubs, organismes communautaires, coopératives, entreprises privées, etc.), plutôt que sur les individus eux-mêmes. Pour ces auteurs, davantage d’associations sur un territoire indique de meilleurs liens entre les individus, et donc davantage de capital social, et devient synonyme de vitalité communautaire prometteuse de développement économique et social. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 2.3.1. La popularité de Putnam Politicologue américain, Robert Putnam est considéré comme l’auteur ayant diffusé le plus largement le concept de capital social tant chez les élites américaines (Bush « père », Bill Clinton), dans la population en général et dans les milieux universitaires que dans les organisations internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale ainsi que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (Ponthieux, 2006). Il a contribué à cette popularisation par son ouvrage Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community (2000), qui reprend son article « Bowling Alone : America’s Declining Social Capital », paru en 1995. Putnam y affirme que, selon lui, le capital social américain, base de la société, serait en déclin. Le discours alarmiste de l’auteur soulève l’intérêt des lecteurs, d’autant plus qu’il présente du même coup le capital social comme étant un one cure fits all où se trouve la solution aux maux sociétaux contemporains que sont l’individualisme, l’exclusion sociale, les inégalités économiques, le désengagement social, le déficit démocratique, la déresponsabilisation, etc. La définition de Putnam n’a alors rien d’exceptionnel, mis à part sa simplicité : « [...] social capital refers to features of social organization such as networks, norms, and social trust that facilitate coordination and cooperation for mutual benefit » (Putnam, 1995 : 67). Sa nouveauté réside en partie dans l’articulation des concepts que Putnam considère comme étant les composantes du capital social, mais surtout dans son approche communautarienne conférant une vertu presque eschatologique au capital social. Il est à noter que cette définition exclut l’idée de mauvais capital social, qui ne serait en fait que l’absence du capital social idéal. Putnam propose, grosso modo, que la reconstruction des communautés passe par la mise en place des conditions favorables à l’engagement des citoyens dans les différentes sphères de leur vie. Selon lui, cet engagement serait la clé du rétablissement du marché, de l’État et du lien social américains. Ces conditions favorables sont la confiance et les normes de réciprocité. Elles seraient la base et le déterminant des relations d’engagement 1) civique, 2) politique, 3) religieux, 4) au travail, 5) en volontariat, 6) en don et 7) dans les réseaux informels de loisirs et de soutien. Quant aux lieux d’engagement, ils seraient les instances intermédiaires incontournables entre les individus et la société dans son ensemble. Ainsi, sans une confiance partagée entre les personnes, les groupes et les réseaux, l’engagement pour le mieux-être de la collectivité ne pourrait se concrétiser et se limiterait à des actions pour un mieux-être individuel ou du groupe d’appartenance, potentiellement sans égard à la qualité de vie des autres acteurs de la collectivité. Le manque d’engagement dans ces milieux témoigne d’une faible confiance communautaire et sociétale. En lien avec cette thèse, Putnam popularise également chez les théoriciens un cadre d’analyse des réseaux sociaux en unissant les thèses de Coleman (force des liens forts) et de Granovetter (force des liens faibles). Il distingue le bonding, un capital social qui unit les gens semblables dans des relations fortes intragroupes, du bridging, un capital social qui lie les gens dissemblables dans des relations faibles intergroupes. Putnam privilégierait les liens forts de groupes combinés avec les liens harmonieux unissant ces groupes. Ainsi, une particularité de son approche du capital social est qu’il s’en sert pour appuyer sa vision de ce qu’est « la bonne société démocratique » en décrivant l’articulation idéale des relations entre le citoyen et celle-ci. Ainsi, selon Putnam (2007), le défi central pour les communautés d’aujourd’hui, aux prises avec davantage d’individualisme et de diversité, est d’arriver à créer du capital social qui favorise le Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure développement d’un nouveau « nous » inclusif (Kazemipur, 2009). Cette idée appuyée par une approche quantitative et un chercheur renommé est incontestablement attrayante pour plusieurs acteurs et elle est vite récupérée par de nombreux gouvernements et institutions internationales. Putnam s’appuie sur plusieurs auteurs importants. Il s’inspire de Coleman, des théoriciens des réseaux sociaux ainsi que de la philosophie politique de Tocqueville pour qui, au 19e siècle, la pierre angulaire de la démocratie américaine repose sur la tendance à s’associer pour arriver à ses fins une disposition qui, selon Putnam, est stimulée par le capital social (Putnam, 1993 : 167). L’approche de Putnam se distingue toutefois de celle de Tocqueville (et de Fukuyama) du fait qu’il sépare les associations égalitaires des associations hiérarchiques (entreprises libérales et publiques), accusant les secondes d’encourager les comportements opportunistes au mépris du bien mutuel. Putnam s’inspire également de la théorie du familiarisme amoral d’Edward Banfield, basé sur l’hypothèse que ce sont les valeurs véhiculées dans la culture et intégrées par les individus qui déterminent les actions sociales et économiques au quotidien (Ponthieux, 2006). Ainsi, certaines cultures rendraient des individus incapables de relations conviviales en dehors de leur famille ou de leur cercle restreint. Cette attitude basée sur un manque de confiance intergroupe minerait la capacité de développement de la communauté (Putnam, 1993). Putnam fait donc l’hypothèse que la confiance d’abord acquise par les citoyens dans les coopératives et milieux associatifs serait l’élément premier de tout développement économique et social local. 2.3.2. Une approche controversée La méthodologie qu’emploie Putnam (1993) pour appuyer ses hypothèses n’arrive pourtant pas à convaincre l’ensemble du milieu universitaire (Ponthieux, 2006). Déjà, de nombreuses recherches infirment ou nuancent plusieurs de ses propositions. Woolcock et Narayan (2000 : 230), experts du capital social engagés par la Banque mondiale, affirment ainsi que de nombreuses recherches et observations montrent qu’il existe des communautés où la présence de plusieurs associations démocratiques et d’une forte solidarité communautaire n’est pas associée à un développement économique significatif. Theiss-Morse et Hibbings (2005), quant à eux, rapportent des résultats empiriques selon lesquels la participation aux associations démocratiques ne crée pas nécessairement de la confiance entre pairs (interpersonal trust), car les conflits et la vie démocratique n’y sont pas toujours bien gérés et finissent par restreindre l’engagement social. Toujours selon la même étude, même lorsqu’une telle confiance s’établit, il est rare qu’elle soit transférée dans les relations à l’extérieur du groupe (generalized trust), parce que les associations ont tendance à vivre une homogénéisation de leur membership, qui en vient à se différencier d’une partie ou du reste de la communauté. Ohmer et Beek (2006) remarquent le même phénomène : les personnes engagées dans une association et qui y développent un sentiment de capacité collective (collective efficacy) ont tendance à ne pas transférer cette confiance au reste de leur quartier, et tentant plutôt de déplacer la gouvernance des actions locales vers leur propre association. Ces arguments peuvent indiquer que de nouvelles nuances peuvent s’ajouter à la thèse associationniste de Putnam pour qui il n’y avait qu’un seul modèle général d’organisation démocratique et une seule conclusion à tirer de la présence d’un grand nombre d’associations sur un territoire. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure D’autres détracteurs de Putnam lui reprochent de construire des liens fictifs de causalité, d’avoir fait des choix incomplets d’indicateurs de mesure (ne prenant pas suffisamment en compte tous les lieux d’engagement comme Internet ou les groupes anonymes) et d’user d’« arguments circulaires » (Sztompka, 1999 : 196 ; Edwards et Foley, 1997 ; Misztal, 2000 : 121). Une autre critique de la thèse de Putnam est que la confiance et la réciprocité seraient à la fois les bases de l’engagement et son résultat, en plus d’être des indicateurs du capital social et de ses influences (Misztal, 2000 ; Woolcock, 1998 ; Field, 2003). Par ailleurs, la plupart des auteurs remettent en question les hypothèses de Putnam quant aux causes du déclin du capital social américain que seraient les effets pervers de la télévision et des nouvelles technologies, de l’entrée des femmes sur le marché du travail, de la nouvelle mobilité géographique ainsi que des changements démographiques (Edwards et Foley, 1997). On reproche au politologue d’écarter l’hypothèse voulant que la baisse de l’engagement des Américains puisse être un résultat du démantèlement de l’Étatprovidence. D’ailleurs, l’hypothèse du rôle de la télévision dans le rôle du déclin du capital social a été en partie infirmée par Moy, Scheufele et Holbert en 1999. La popularité de Putnam place celui-ci au centre de nombreux débats, dont celui sur le rôle de l’État dans la société américaine. Il s’agit d’un sujet qu’il tentera d’éviter en insistant sur le fait que la santé de la société dépend des groupes communautaires, tout en se défendant de soutenir le désengagement total de l’État (Ponthieux, 2006). Les références à Putnam deviendront des occasions de se prononcer en faveur ou non de l’interventionnisme de l’État dans une diversité de secteurs. Il est à noter que les propos de Putnam associés au communautarisme sont généralement critiqués par les tenants de la philosophie politique dominante aux États-Unis, le libéralisme, car cette idée d’une communauté entière partageant des normes de réciprocité fait craindre pour la liberté des individus, même si l’on inclut cette vision dans un contexte démocratique (Etzioni, Volmert et Rothschild, 2004). Malgré les nombreuses controverses qu’elle a pu soulever, la thèse de Putnam demeure simple, séduisante et culturellement résonnante : « La réciprocité généralisée vaut mieux que la méfiance » (Ponthieux, 2006 : 56). En dépit des nombreuses critiques à son égard, l’approche de Putnam a été récupérée par plusieurs institutions gouvernementales et internationales, peut-être en raison de la force de son message, d’une conjoncture propice à sa diffusion dans le contexte sociétal d’individualisation et de son utilité dans les plans de certaines organisations. 2.4. L’approche institutionnelle-synergique Avant de présenter l’approche institutionnelle-synergique, il convient de revenir sur des éléments de contexte expliquant l’intérêt croissant pour le capital social à partir des années 1990. L’engouement des institutions internationales néolibérales pour le capital social, ses outils de mesure et l’intervention en sa faveur débute officiellement avec le projet Social Capital Initiative lancé par la Banque mondiale en 1996 (Ponthieux, 2006). Malgré des résultats de recherche encore ambigus depuis les années 1990, le FMI, l’OCDE et la Banque mondiale poursuivent leurs investissements en recherche et sur le plan des interventions. Plusieurs auteurs, dont l’économiste Joseph Stiglitz, associent cet Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure engouement à une tentative des néolibéraux de nier la nécessité de changer le modèle stratégique de développement, soit la privatisation et la dérégulation, qui a des conséquences sociales « parfois dévastatrices » et des effets économiques « souvent discutables » (Ponthieux, 2006 : 77). Selon certains universitaires comme Ben Fine ou Geoffrey Bowker et Susan Star, l’approche institutionnelle ne serait pas vraiment une perspective de recherche, mais un filtre de sélection des résultats visant à justifier un nouveau type d’intervention (Ponthieux, 2006). L’approche synergique émerge parallèlement à l’approche institutionnelle et s’y associe, profitant du financement croissant des projets. Elle est caractérisée par une démarche plus scientifique qu’idéologique et plus empirique que théorique (Woolcock et Narayan, 2000). Les penseurs de l’approche synergique sont des théoriciens, des professionnels et des universitaires qui élaborent de nouvelles conceptualisations du capital social en s’inspirant des études empiriques, des débats qu’elles suscitent et des hypothèses des théoriciens du capital social (Putnam, Coleman, Granovetter, Lin, etc.). Les principaux domaines de recherche en capital social sont catégorisés ainsi par Woolcock et Narayan (2000) : 1) l’analyse des relations entre la société civile, les institutions formelles publiques et le marché sur des territoires ; 2) le développement de stratégies de création de capital social ; 3) le constat de liens entre capital social et effets désirés. En s’appuyant sur des recherches empiriques, l’approche synergique a participé à la mise à l’épreuve des modèles théoriques ainsi qu’à leur renouvellement. Son apport le plus important au capital social est sans doute sa reconceptualisation en vue de faciliter sa mesure. Une première contribution importante en ce sens est la distinction entre, d’une part, le capital social structurel, c’est-à-dire les réseaux physiques et leurs caractéristiques (ouverture, proximité [closeness], densité, conditions de membership, homogénéité, mobilité des ressources, centralité, etc.), et, d’autre part, le capital social cognitif, autrement dit les schèmes d’interprétation du social (confiance, unité, réciprocité, moyens de contrôle social, etc.) partagés dans la communauté (Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Uphoff et Wijayaratna, 2000 ; Grootaert et van Bastelaer, 2002 ; Krishna et Uphoff, 2002 ; Stimson, Western, Baum et van Gellecum, 2003). Le structurel serait ce qui facilite (ou non) les actions (Grootaert et van Bastelaer, 2002), alors que le cognitif-relationnel serait ce qui oriente les actions vers un bénéfice collectif ou individuel (Krishna et Uphoff, 2002). Une seconde contribution importante des théoriciens de l’approche synergique est le récent éclaircissement conceptuel proposé par Geys et Murdoch (2010) concernant le bridging et le bonding. Selon ces auteurs, le terme bonding fait référence aux relations entre semblables, alors que le bridging s’applique aux relations entre personnes dissemblables. De plus, ils suggèrent d’utiliser l’expression capital social interne s’il est question des relations intragroupes, et capital social externe, dans le cas de l’intergroupe. Cette distinction permet de considérer les apports des groupes homogènes, comme la solidarité et le sentiment d’appartenance, et ceux des groupes hétérogènes reconnus pour contribuer davantage au développement de la communauté au sens large, et ce, sous certaines conditions (Theiss-Morse et Hibbing, 2005). Ce renouvellement ouvre d’anciens débats : est-ce la force des liens ou la différence entre les acteurs qui fait qu’il y a plus ou moins de nouvelles relations sociales et de circulation fluide des ressources ? Il est maintenant possible de considérer qu’il existe, par exemple, des réseaux de groupes semblables ainsi Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure que des réseaux d’individus dissemblables. Auparavant, un groupe d’individus était automatiquement considéré sous l’angle de la similitude (bonding) et les relations entre groupes supposaient que ceux-ci étaient dissemblables (bridging). Un troisième apport théorique majeur concerne l’unification du concept de capital social. Une première fragmentation conceptuelle avait été faite et portait sur l’opposition entre les approches centrées sur les acteurs (micro-méso) et celles centrées sur la collectivité (mésomacro) (voir la figure 2.1). Dans la première, le capital social est défini comme l’avantage relatif d’un acteur par rapport aux autres selon la position qu’il occupe dans la structure sociale. La question du capital social se pose donc ici par rapport à la « possession » de relations stratégiques et utiles par un acteur précis qui les utilise pour atteindre ses buts (égoïstes ou altruistes) : « Quel est son capital social ? Avec qui est-il en relation et pourquoi ces relations sont-elles maintenues ? » Sous un second angle d’approche, le capital social était défini comme une ressource collective latente pouvant devenir un moteur puissant de développement local au service du bien commun lorsque son accès est rendu possible pour tous. Le capital social se rapporte alors ici à une question d’accès aux relations stratégiques et utiles, présentes dans le milieu : « Quel est le capital social du milieu ? Le système de relations est-il fragmenté ou y a-t-il un ou plusieurs éléments unissant l’ensemble du milieu et favorisant les échanges de toutes sortes ? » Ces deux écoles de pensée contribuent à la confusion lors de l’emploi du terme, limitant parfois le transfert de connaissances et l’application du concept en intervention. Figure 2.1 : Deux conceptions du capital social : bien stratégique (à gauche) ou bien commun (à droite) Source : Godechot et Mariot, 2004, p. 244. Pour résoudre cette dichotomie, Adler et Kwon (2002) proposent un capital social produit simultanément à plusieurs niveaux de la structure sociale, prenant différentes formes et pouvant être utilisé de différentes façons selon l’acteur concerné. Cette approche unificatrice accepte la coexistence de plusieurs visages d’un même capital social. Ainsi, le capital social peut être analysé à partir d’un acteur et des relations qu’il possède, tout comme il peut être analysé à partir d’un milieu et de l’enchevêtrement des relations entre les acteurs. Une seconde fragmentation conceptuelle majeure concerne les nombreuses divergences d’opinions lorsque vient le moment de distinguer le capital social de ses déterminants et effets. Ruuskanen (2001) propose alors de considérer le capital social comme une entité composée de trois dimensions : les sources du capital social, les mécanismes du capital social et les résultats du capital social (voir la figure 2.2). L’utilisation de ces dimensions limiterait la confusion dans l’utilisation du terme. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Figure 2.2 : L’articulation des dimensions du capital social selon Ruuskanen SOURCES MÉCANISMES MICRO RETOMBÉES SUBJECTIVES Cognitions, représentations, valeurs Gratification instantanée liée aux relations de confiance et de bonne communication CRÉATION DE CONFIANCE Horizontale Verticale MÉSO Normes de réciprocité Réseaux horizontaux et verticaux COMMUNICATION Quantité et diversité d'information MACRO Compréhension de l'information OBJECTIVES Collaborations facilitées Lois et justice Régulation des conflits Coordination des rôles Réduction des coûts de transaction Communication ouverte Soutien social Source : Traduction libre du modèle de Ruuskanen, 2001, p. 146. Revenons un instant à la figure 2.2 afin de bien la comprendre. Ruuskanen estime qu’il existe des sources individuelles (micro), communautaires (méso) et sociétales (macro) du capital social. S’inspirant de Putnam, il affirme que le capital social s’enracine mieux chez les individus (micro) rationnels et éclairés, qui adhèrent à un discours de solidarité et qui considèrent que leurs intérêts personnels sont compatibles avec le bien-être collectif. Sur le plan communautaire (méso), l’existence du capital social est favorisée selon Ruuskanen par la présence de normes de réciprocité, qui facilitent les relations et échanges à l’intérieur de réseaux horizontaux et verticaux déjà existants. Sur le plan sociétal (macro), ce sont les lois, la justice, les instances de régulation des conflits et la libre communication qui faciliteraient l’existence du capital social, compensant le fait que nous ne connaissons pas bien tous les acteurs, leurs normes relationnelles, leur situation et les risques à traiter avec eux. À ces sources, ces bases observables du capital social, Ruuskanen identifie deux Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure mécanismes de développement du capital social. Ce sont des éléments dynamiques qui s’entrinfluencent : la confiance et la communication ouverte. Le premier élément est associé à la prise de risque (être vulnérable, avancer des fonds, faire des transactions sans garanties, etc.), alors que le second est associé à une plus grande connaissance du milieu et des acteurs (l’obtention d’informations pour prendre des risques calculés). De ces mécanismes résulteraient de potentielles retombées pour les individus et la collectivité en général. Il y aurait des bénéfices directs pour le climat social général des collectivités et pour les individus qui apprécient les relations de confiance bidirectionnelle, les apprentissages et les communications ouvertes. Des bénéfices indirects existeraient aussi, soit la création d’un milieu propice à davantage d’échanges de capitaux, à une bonne coordination des efforts, à du soutien et de la collaboration. Ces bénéfices auraient à leur tour une influence sur les sources individuelles et collectives du capital social (voir la figure 2.2). La conceptualisation que propose Ruuskanen est clairement circulaire. Elle a, par ailleurs, l’avantage d’assumer clairement l’interdépendance des constituantes du capital social, le dépeignant plus réalistement à mi-chemin entre l’individu et le collectif. Insatisfaits malgré tout de ces clarifications, plusieurs théoriciens et praticiens préfèrent utiliser d’autres termes pour désigner les réalités. Ainsi, pour désigner les relations de confiance, de coopération et de réciprocité, les termes solidarité sociale et engagement civique sont de plus en plus employés (Claridge, 2004 ; Ball-Rokeach et Kim, 2006 ; Geys et Murdoch, 2010). Les démonstrations empiriques de l’approche synergique n’ont pas seulement servi à reconceptualiser le capital social ; elles ont aussi mis un terme aux hypothèses de plusieurs penseurs, dont Putnam et Fukuyama, selon qui le capital social ne pouvait pas être développé à court terme (Claridge, 2004 ; Stolle, Soroka et Johnston, 2008 ; Ball-Rokeach et Kim, 2006). Il ne s’agirait pas que d’une prédisposition culturelle ni d’une tendance irréversible d’un cycle amorcé il y a des lunes. Le capital social semble en fait être affecté ou inégalement réparti selon plusieurs données contextuelles : 1) l’histoire et la culture des communautés ; 2) le type de relations, égalitaire ou hiérarchique ; 3) les relations familiales ; 4) l’éducation individuelle et le niveau moyen atteint dans une communauté ; 5) l’environnement physique ; 6) la mobilité résidentielle ; 7) les inégalités économiques et sociales ; 8) les caractéristiques et forces de la société civile ; 9) les modèles de consommation ; 10) les valeurs individuelles ; 11) le type de régime politique ; 12) les politiques publiques ; 13) les normes sociales. Plusieurs impacts du capital social ont aussi été identifiés empiriquement. Selon la perspective adoptée, on y associe la hausse du produit national brut (PNB), la facilitation des transactions marchandes, la baisse du taux de criminalité, la plus grande efficacité des institutions démocratiques gouvernementales et toute une série d’améliorations en matière de réussite scolaire, de santé publique, de gouvernance communautaire, de production en entreprise, etc. (Aldridge, Halpern et Fitzpatrick, 2002 ; Claridge, 2004). Les acteurs de l’approche synergique sont nombreux et contribuent régulièrement à l’amélioration des connaissances sur le capital social. Leurs travaux seront abordés plus en détail lorsque nous arriverons aux étapes de choix théorique et méthodologique. Le tableau suivant présente une synthèse des dimensions théoriques du capital social vues jusqu’ici. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 2.1 : Dimensions du capital social selon les théoriciens Théoriciens Dimensions théoriques du capital social Hanifan Contacts entre voisins. Liens comblant les besoins sociaux. Liens offrant un potentiel d’amélioration des conditions de vie pour toute la communauté. Bourdieu Réseau durable de relations (actuelles ou virtuelles), débutant par la famille et les gens qui gravitent autour d’elle (réseaux informels). Réseaux à travers lesquels des ressources sont échangées. Réseaux qui se créent en grande partie par homophilie. Stratégies des membres des réseaux pour maintenir ou améliorer leur place dans le monde social et faire accepter leur légitimité. Culture propre à chaque réseau. Mesure du capital social Présence de contacts réguliers entre voisins (individus). Besoins sociaux des individus et façons pour eux de les combler. Contacts associés à un potentiel d’amélioration des conditions de vie dans la communauté (ambiance, sécurité, collaboration). Groupes sociaux et associations de la communauté qui sont des lieux de création de réseaux de gens semblables. Ressources (matérielles, politiques, culturelles, humaines) disponibles et distribuées dans les réseaux (groupes sociaux, associations). Éléments d’ancrage (rassembleurs) des réseaux (traits culturels, fonctions des relations, filtres au membership). Stratégies utilisées par les réseaux, groupes et associations servant à maintenir ou à améliorer leur statut social (et à être reconnus comme légitimes). Valeurs et modes relationnels prônés dans le réseau. Sentiment de la place sociale qu’occupent les membres du réseau. Grille de lecture de la réalité des réseaux. Stratégies de rétention des membres. Stratégies de communication des valeurs et modes relationnels à l’intérieur des réseaux. Moyens pris pour contribuer au développement de leurs membres. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 17 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 2.1 : Dimensions du capital social selon les théoriciens (suite) Théoriciens Coleman Granovetter Lin Burt Dimensions théoriques du capital social La force des liens forts. Mesure du capital social Groupes tissés serrés : relations de confiance, attachement, fréquence élevée des rencontres, échange de capitaux à moindre coût. La réciprocité, c’est-à-dire la croyance que les Normes et valeurs à respecter dans les groupes assurant, aux valeurs et les normes existant dans les yeux des membres, les relations désirées. collectifs seront respectées par les membres, crée la relation de confiance. Il y a des avantages à respecter les normes et Stratégies de création, de développement et de maintien de liens des conséquences indésirables à ne pas les forts. respecter. Identification des valeurs-normes du groupe/réseau/association, puis de ce qui fait qu’elles sont respectées dans le groupe. La force des liens faibles. Relations avec un moindre attachement affectif, avec moins de confiance, plus distantes, moins fréquentes, et avec une plus grande diversité des capitaux disponibles. Identification de la diversité des capitaux disponibles et effectivement échangés. Les individus et les groupes cherchent une Les différentes positions sociales des groupes (richesse position sociale avantageuse. matérielle, pouvoir, qualité de vie). Capitaux possédés par les groupes et qui pourraient profiter à d’autres, qui pourraient faire envie. Les acteurs tentent d’abord de créer des liens Liens verticaux créés dans le but d’améliorer la position sociale faibles avec des individus, groupes et (linking). instances qui se situent plus haut qu’eux dans des hiérarchies. Une fois les liens faibles créés, les acteurs Stratégies de renforcement des liens. tentent de renforcer ces liens afin d’avoir accès aux capitaux. Les trous structuraux permettent aux acteurs Trous structuraux et acteurs qui peuvent en profiter. d’améliorer leur sort individuel en devenant les Acteurs qui tirent des avantages en capitaux au détriment de médiateurs entre plusieurs acteurs. l’ensemble de la communauté. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 18 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 2.1 : Dimensions du capital social selon les théoriciens (suite) Théoriciens Dimensions théoriques du capital social Portes Le mauvais capital social, ce sont les dynamiques sociales qui nuisent au développement des participants ou de la collectivité. Putnam Mesure du capital social Pratiques qui : …réduisent la confiance générale entre certains groupes ? …divisent la communauté ? …encouragent le crime et les comportements antisociaux ? …encouragent de mauvaises habitudes de vie (réduisant l’importance du sport, de la réussite scolaire) ? …favorisent l’exclusion sociale ? … augmentent les inégalités de capitaux ? Le familiarisme amoral, c’est une culture faisant en sorte Existence d’un espace communautaire entre les cercles que les gens ne sont pas capables de faire confiance en restreints des individus (amis-familles) et leurs milieux dehors de leur cercle restreint. professionnels. Le capital social fait référence à la structure sociale Ce qui facilite la coordination et la coopération dans la composée des réseaux et des normes et à la confiance communauté pour le bien commun et ce qui semble nuire à qui facilite la coordination et la coopération pour le cette coopération. mieux-être de l’ensemble de la communauté. Premier niveau d’inclusion sociale des individus qui Associations (formelles ou non) pour tous les groupes ? s’observe par leur engagement et leur appartenance à Critères d’inclusion ou d’exclusion de ces associations un ou plusieurs groupes sociaux. faisant en sorte que certains membres du groupe social puissent se retrouver malgré tout exclus de l’association. Second niveau d’inclusion sociale des individus qui Identification des réseaux des groupes. s’observe par l’inclusion de leur groupe d’appartenance Critères d’inclusion ou d’exclusion de ces réseaux faisant dans le réseau de groupes composant la communauté. en sorte que certaines associations puissent se retrouver malgré tout exclues du réseau. Idéalement, la communauté n’est pas divisée en Existe-t-il des divisions dans la communauté faisant en plusieurs groupes opposés et non disposés à coopérer. sorte qu’il y ait une absence totale de coopération entre certains groupes ? Le défi pour les communautés est de créer un nouveau Quelles sont les stratégies utilisées pour créer un nouveau « nous » inclusif. « nous » inclusif ? L’engagement dans les différents secteurs de la Il n’est pas réaliste de tenter de mesurer le taux communauté reflète le climat général de confiance dans d’engagement des individus dans les différents domaines la communauté. de leur vie. Il faut concentrer les analyses sur les associations démocratiques. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 19 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 2.1 : Dimensions du capital social selon les théoriciens (suite et fin) Théoriciens Nahapiet, Ghoshal, Grootaert, van Bastelaer, Krishna, Uphoff, Wijayaratna, Stimson, Western, Baum et van Gellecum Dimensions théoriques du capital social Capital social structurel (ce que les gens font, ce qui est observable), c’est-à-dire les réseaux physiques et leurs caractéristiques (ouverture, densité, conditions de membership, homogénéité, mobilité des ressources). Capital social cognitif (ce que les gens ressentent et perçoivent). Ruuskanen Le capital social s’enracine plus facilement chez les individus qui considèrent que leurs désirs sont compatibles avec le bien collectif. Le capital social s’enracine plus facilement dans les communautés dotées de normes de réciprocité et de réseaux horizontaux et verticaux. Le capital social s’enracine plus facilement dans les sociétés dotées de lois et d’instances de résolution de conflits protégeant les acteurs de relations d’échange de capitaux, ainsi que dans les sociétés où il y a liberté (et possibilité) de communiquer. Mesure du capital social Ouverture des réseaux et des groupes aux influences extérieures, à l’échange d’information, au partage de capitaux, à l’inclusion de nouveaux membres. Densité des réseaux. Centralité (quels sont les points centraux ou les membres du réseau qui sont liés au plus grand nombre d’acteurs (les nœuds du réseau) ?). Proximité des acteurs (quels acteurs sont le plus près les uns des autres ?). Leadership (lié au prestige, au pouvoir, à la crainte). Cohésion, donc des cliques de semblables. Trous structuraux, soit l’absence de lien entre des nœuds ou des acteurs. Valeurs et normes centrales aux groupes et réseaux. Fonctions qu’exercent les groupes et les réseaux pour leurs membres. Niveau de confiance entre membres des réseaux. Facteurs d’inclusion, d’exclusion et de leadership des groupes et réseaux. Conception par les individus et organisation de leur lien avec la collectivité. Normes communautaires facilitant la coopération. Réseaux horizontaux et verticaux. Lois, règlements, instances qui aident ou nuisent à la coopération, à la création de réseaux et à l’échange de capitaux. Moyens de communication libres. Appréciation des relations de confiance et de communication ouverte. Bénéfices perçus de la communication pour les domaines de la collaboration, de la coordination des efforts, du soutien, et pour l’échange de capitaux. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 20 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 2.5. Bilan et prescriptions concernant l’utilisation des écrits théoriques pour la mesure Le capital social est un concept pragmatique au sens où sa définition, ses niveaux d’analyse, ses dimensions et ses indicateurs dépendent de la discipline, de l’objet étudié et de l’objectif fixé par les auteurs (Claridge, 2004). Ce constat ne signifie pas que toutes les conceptualisations s’équivalent. Cet éclectisme fait plutôt en sorte que, sur le plan du capital social, le choix théorique d’un chercheur ne peut se limiter à une adhésion complète et sans nuance à la théorie d’un seul auteur. Le choix théorique doit plutôt être un choix de concepts sélectionnés en fonction du paradigme privilégié et des objectifs précis de la recherche effectuée. Dans le cadre de la présente recension des écrits, plutôt que d’adopter une définition trop étroite du capital social, nous préférons envisager « un concept faisant référence aux institutions, relations, attitudes et valeurs qui régulent les interactions entre les gens et qui contribuent au développement économique et social » (Grootaert et van Bastelaer, 2002 : 2). Les différents théoriciens ont brossé un portrait du capital social qui, tout en demeurant imparfait, s’est affiné avec le temps. Bien que toutes les dimensions du capital social ne fassent pas l’unanimité, il est nécessaire de faire un choix, de statuer sur celles qui seront retenues, afin de pouvoir préciser les méthodes et techniques de mesure pour chacune d’entre elles. La décision n’est pas arbitraire ; de nombreux concepts développés par les fondateurs et auteurs classiques du capital social sont repris par plusieurs de leurs successeurs de l’approche synergique. Ces derniers présentent généralement leur conceptualisation en distinguant deux dimensions : 1) le structurel – composé d’éléments du capital social faisant référence aux réseaux sociaux et à leur configuration ; 2) le cognitifrelationnel – composé d’éléments du capital social faisant référence aux schèmes mentaux partagés par les acteurs qui appartiennent aux mêmes groupes ou communautés (Uphoff et Wijayaratna, 2000). Les deux tableaux suivants présentent, pour chacune de ces dimensions, les sous-dimensions qui la composent, leurs auteurs ainsi que certaines précisions permettant l’appréciation du capital social. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 21 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 2.2 : La dimension structurelle du capital social Sousdimensions 1. Composition sociale de la communauté Définitions opérationnelles Présence et répartition des groupes sociaux sur le territoire. 2. Degré d’organisation des groupes et réseaux de la communauté Actions reflétant directement ou indirectement le degré d’engagement et de solidarité des membres des groupes sociaux entre eux et envers leurs communautés d’intérêt et d’identité. 3. Structure associative de la communauté Réseaux horizontaux et verticaux. Les fonctions des réseaux et ce qui y est échangé. La cohésion et les oppositions sur le territoire. Les trous structuraux. Répartition des ressources matérielles, informationnelles et d’opportunité entre les groupes. Présence, accessibilité et consommation des outils de communication. Possibilités d’échanger sur des sujets en rapport à la communauté ou d’être exposé à de nouvelles idées. 4. Information et communication 5. Obligations et attentes officielles Lois, règlements et conditions explicites pour faire partie d’un groupe ou réseau et ayant un effet sur les actions de réciprocité. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Auteurs Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Dudwick et al., 2006. Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Putnam, 2000 ; Narayan et Cassidy, 2001 ; Dudwick et al., 2006. Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Putnam, 2000 ; Narayan et Cassidy, 2001 ; Dudwick et al., 2006 ; Grootaert, 2001 ; Stone, 2001. Ball-Rokeach et Kim, 2006 ; Matsaganis, 2010 ; TheissMorse et Hibbings, 2005 ; Dudwick et al., 2006. Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Ruuskanen, 2001. Précisions Chaque individu appartient à plusieurs groupes. Les groupes sont les « contenants physiques » des cultures présentes sur le territoire, les « couloirs » à travers lesquels passent certaines ressources et influences. Tous les groupes ne sont pas les mêmes : les structures peuvent être formelles ou non, les liens peuvent être forts ou faibles, les frontières peuvent être ouvertes ou fermées, etc. Les membres trouvent dans les groupes certaines opportunités et certains risques. Il s’agit aussi d’identifier la frange de chaque groupe qui est organisée officiellement et celle qui ne l’est pas. Il s’agit d’identifier les opportunités et difficultés auxquelles l’appartenance à ces groupes prédispose leurs membres, à travers les dynamiques intergroupes. Ces dynamiques sont propres à chaque communauté. Il s’agit d’identifier les véhicules d’information privilégiés par chaque groupe, portant sur la communauté dans son ensemble et sur les groupes sociaux en particulier. Les groupes sociaux se côtoient virtuellement à travers les informations qui circulent à leur sujet dans les médias et par le bouche-à-oreille. Il s’agit d’identifier les filtres au membership utilisés par la frange organisée des groupes sociaux. Ces filtres homogénéisent le comportement des membres inclus. Ces filtres, ou règles, créent également de la confiance. Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 2.3 : Les dimensions cognitive et relationnelle du capital social Sousdimensions 1. Langages, codes et récits partagés Définitions opérationnelles Auteurs Précisions Les connotations associées aux codes, apparences et dialectes d’autres groupes. Sens de sa propre place dans le monde social. Valeurs partagées, priorités, modes relationnels normatifs, facteurs d’exclusion, facteurs d’inclusion, caractéristiques des leaders. Préjugés favorables ou défavorables (d’intentions, de capacités et d’intégrité) envers les différents acteurs de la communauté (voisins, propriétaires, police, santé, intervenants, gens d’affaires, politiciens, associations, etc.). Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Putnam, 2000 ; BallRokeach et Kim, 2006 ; Day, 2006 et 2009. 3. Contrôle social informel (normes de réciprocité) Schèmes mentaux de prédictibilité partagés concernant les valeurs ambiantes et les éventuelles réponses du milieu qui les font respecter (avantages à les respecter, désavantages à ne pas le faire). 4. Identification Sentiment d’appartenance, sentiment d’être chez soi (dans le groupe, les réseaux, la communauté, la société). Coleman, 1988 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Putnam, 2000 ; Narayan et Cassidy, 2001 ; Stone, 2001 ; Dudwick et al., 2006 ; Harpham, 2008. Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Ball-Rokeach et Kim, 2006 ; Dudwick et al., 2006. Il s’agit d’identifier des éléments des grilles de lecture des différents groupes. Leurs membres partagent plus ou moins fortement un narratif du monde et de leur place individuelle et collective dans celui-ci. Il gère, renforce ou transforme les dynamiques relationnelles entre les membres d’un groupe et entre les membres de groupes différents. Quels sont les éléments culturels qui entrent en friction et ceux qui créent des liens ? Il s’agit d’identifier les « chemins » sociaux à travers lesquels les capitaux et influences passent facilement ou non. Les gens s’adressent pour du soutien aux personnes en qui ils ont confiance. S’adresser à un acteur en qui l’on n’a pas confiance représente « une prise de risque » qui, selon la réponse, débouchera sur une création de confiance ou de méfiance. Il s’agit d’identifier les mécanismes faisant respecter les valeurs dans les groupes et les communautés. Ce sont généralement des règles informelles de membership. Ces règles gèrent les dynamiques relationnelles intragroupes et expliquent certains conflits de valeurs intergroupes. Il s’agit ici de déterminer les auto-identifications à des groupes sociaux. L’appartenance à un groupe social n’est pas toujours consciente. L’autoidentification à un groupe crée chez l’individu une sensibilité ressentie physiquement par rapport à ce qui arrive au groupe (injustice, prestige, etc.). 2. Confiance Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Coleman, 1988 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Putnam, 2000 ; Narayan et Cassidy, 2001 ; Grootaert, 2001 ; Stone, 2001 ; Dudwick et al., 2006. Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Grâce à cet éventail de concepts, le chercheur peut se faire une idée de la structure des réseaux sur un territoire, de la cohésion de ces réseaux et des cultures qui régissent les relations. Le chercheur ou le praticien peut ainsi d’abord débusquer les couloirs de communication et d’échanges de ressources, puis identifier les éléments culturels favorisant ou non la collaboration sur le territoire. La plupart de ces éléments présentés en sous-dimensions sont des leviers sur lesquels il est possible d’intervenir pour modifier les dynamiques sociales et économiques. Le chapitre suivant porte sur la mesure des différentes composantes du capital social. Cette mesure permettra de préciser la façon dont un acteur peut apprécier les dimensions suivantes du capital social telles que nous venons de les commenter : • • • • • • • • • La composition sociale de la communauté Le degré d’organisation des groupes sociaux La structure associative de la communauté L’information et la communication Les obligations et les attentes Les langages, codes et récits partagés La confiance Les normes de réciprocité L’identification. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 3. La recension des écrits méthodologiques portant sur la mesure du capital social La méthodologie correspond à l’ensemble « des méthodes et des techniques qui orientent l’élaboration d’une recherche et qui guident la démarche scientifique » (Angers, 2000 : 10). Un grand nombre de méthodes et de techniques ont été élaborées afin de mesurer les dimensions du capital social. Ces activités de mesure ne font pas toutes l’unanimité quant à leur efficacité et à leur pertinence. Dans le cadre de cette recension, d’autres critères, la convivialité et l’économie des ressources par exemple, doivent aussi être considérés. Cette section présente une recension des écrits méthodologiques, tant quantitatifs que qualitatifs, ainsi que le choix de la méthode pouvant mener à l’élaboration d’un outil d’appréciation du capital social. Depuis la popularisation du concept de capital social par Putnam, les chercheurs universitaires assistent à la multiplication des projets de recherche financés par les États. Cette tendance est apparue d’abord aux États-Unis et dans plusieurs pays anglo-saxons, puis dans certaines organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies (ONU), la Banque mondiale et l’OCDE, pour finalement s’étendre aux autres pays occidentaux (Ponthieux, 2006). Des outils de mesure et d’analyse y sont créés et perfectionnés depuis plus de deux décennies. La recension des écrits méthodologiques occupe une place importante dans ce cahier de recherche, car son rôle est essentiel à l’élaboration d’un outil de mesure utile autant au chercheur qu’au praticien et qu’au chercheur-praticien, c’est-à-dire à la personne qui exerce les deux fonctions. 3.1. Les mesures quantitatives du capital social Les méthodes quantitatives servent à mesurer un phénomène à l’aide de données ordinales et numériques (Angers, 2000). Afin de pouvoir généraliser les résultats à l’ensemble d’une population, les chercheurs constituent un échantillon représentatif de cette population. Les analyses quantitatives portent ensuite sur des variations soit dans le temps, soit entre des groupes ou entre différentes variables. 3.1.1. Les questionnaires standardisés Les outils de mesure quantitatifs sont fréquemment utilisés dans le cas du capital social. Majoritairement, les méthodes prennent la forme de questionnaires standardisés où l’on attribue aux réponses des valeurs numériques aux fins d’analyse (Dudwick et al., 2006). Alors qu’un avantage attribué aux méthodes quantitatives est le retrait du chercheur – ce qui permet à la fois de limiter son influence et de maximiser la possibilité de reproduction de l’expérience –, la qualité du questionnaire, elle, prête souvent à discussion. Dans une étude comparative de 28 recherches quantitatives récentes en capital social et santé, De Silva (2006) conclut en la présence de faiblesses méthodologiques réelles. Tout d’abord, une dizaine de définitions différentes du capital social furent repérées, rendant difficile, voire impossible, le recoupement des résultats. Ensuite, douze des recherches ne mesuraient pas l’une ou l’autre des dimensions centrales du capital social, soit le structurel et le cognitif. Une dizaine de recherches regroupaient différents aspects du capital social en un seul score, et 24 études ne donnaient aucune information sur la validité du Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure questionnaire. De Silva n’est pas seul à en venir à cette conclusion. Plusieurs autres travaux portent sur la comparaison des différents outils en vue d’éventuellement les standardiser. Au Canada, par exemple, Sandra Franke (2005) a relevé les différents thèmes abordés par les enquêtes statistiques sur le capital social (voir le tableau 3.1). Tableau 3.1 : Dimensions pour la création d’outils quantitatifs par les grandes enquêtes Enquêtes De la Banque mondiale. De l’OCDE Du Royaume-Uni Du Canada Dimensions Composition et étendue des réseaux de coopération. Confiance dans les institutions et adhésion à leurs valeurs. Action collective. Participation sociale. Participation civique. Soutien social. Réseaux sociaux. Participation et engagement social. Contrôle et maîtrise de soi. Perceptions relatives au milieu de vie. Interactions sociales, réseaux sociaux, soutien social. Confiance, réciprocité, cohésion sociale. Structure des réseaux. Propriétés des réseaux (taille, densité). Liens qu’entretiennent les groupes et organisations. Propriété des membres (homogénéité). Propriété des relations (fréquence, type). Dynamique des réseaux. Mobilisation du réseau. Compétences relationnelles et conditions d’insertion. Normes et règles internes. Contexte. Source : Franke, 2005, p. 15-22. Il ressort du tableau précédent que les grandes enquêtes ne mettent pas toutes l’accent sur les mêmes dimensions et indicateurs. Même les dimensions semblables comportent des nuances et des mesures différentes. Trudy Harpham (2008) a fait le point sur plusieurs de ces nuances en présentant son outil quantitatif de mesure du capital social. Se basant sur une compilation de résultats empiriques et d’arguments dominants et issus de multiples débats, Harpham formule plusieurs prescriptions pour les chercheurs désireux de construire leur propre outil de recherche. Le sien est inspiré principalement de deux travaux qui sont eux-mêmes les résultats de métarecherches. Harpham considère les faiblesses méthodologiques présentées par De Silva (2006), puis base sa méthodologie sur le World Bank’s Social Capital Assessment Tool (SOCAT) ainsi que sur l’Adapted Social Capital Assessment Tool (ASCAT). Il argumente que la meilleure mesure du capital social consiste à agréger les réponses individuelles des répondants, permettant ainsi de saisir directement le capital social cognitif-relationnel. Harpham préconise le choix de mesures les plus directes possible, des questions claires pour des réponses claires à agréger et diverses prescriptions que l’on trouve au tableau suivant. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 3.2 : Prescriptions de Harpham (2008) pour l’élaboration de questionnaires Dimensions du choix théorique Capital social cognitif-relationnel Prescription et justification Poser des questions claires sur la personne et sur la communauté (qui relève aussi de la perception) permet de se faire une idée de la communauté par agrégation. Par exemple : « Do people around here tend to trust each other ? » et « Do you tend to trust people around here ? » (Harpham, 2008 : 53). La confiance Elle doit être mesurée en confiance familière (thick) plutôt qu’en confiance généralisée. Ce que dit une personne à propos de sa confiance générale face aux étrangers peut être différent de la confiance qu’il accorde réellement aux étrangers dans la communauté. Un exemple de bonne question serait : « In general, can people in this community be trusted, or only some people, or people can’t be trusted ? » Un exemple de mauvaise question serait : « Generally speaking, would you say that most people can be trusted or you cannot be too careful in dealing with people ? » (Harpham, 2008 : 58). Les normes de Les normes se mesurent par des questions faisant le lien entre un réciprocité (contrôle événement et la réponse qui y est apportée concrètement et non social informel) hypothétiquement. Capital social Afin d’apprécier les différents liens et échanges d’influences entre les structurel réseaux et groupes sociaux, le questionnaire peut porter sur les liens 1) économiques, 2) émotionnels et 3) d’information qui ont uni au cours des 12 derniers mois les individus aux réseaux informels (famille à la résidence, hors résidence, amis, collègues de travail) et formels (groupes politiques, d’éducation, d’emploi, dont les syndicats, groupes religieux, de loisirs, de bien-être, de finance et crédit, d’intérêt ou d’identité). Le sens des échanges (à qui l’on donne, à qui l’on prend) permet aussi d’apprécier les dynamiques du capital social en place. Hors réseaux Certaines relations ne passent pas par les groupes. Il est nécessaire de cibler aussi les relations entre les personnes et la communauté. Par exemple, un individu peut signer une pétition ou contacter son député et ainsi s’investir dans la communauté. Source : Harpham, 2008. D’autres façons de faire méritent d’être soulignées. Un groupe de recherche de la Banque mondiale, dont s’inspire en partie Harpham (2008), a produit deux outils de mesure complémentaires du capital social, dont un qui est basé sur des méthodes quantitatives 1. L’outil de Grootaert et al. (2004) comporte six dimensions : 1) les groupes et réseaux ; 2) la confiance et la solidarité ; 3) l’action collective et la coopération ; 4) l’information et la communication ; 5) la cohésion sociale et l’inclusion ; 6) l’empowerment et l’action politique. Cette opérationnalisation du capital social permet de mesurer indirectement celui-ci quant à ses sources, ses mécanismes et ses résultats (voir le tableau 3.3), en plus de permettre une analyse en catégories utiles à l’intervention (Grootaert et al., 2004). 1 Les deux guides, respectivement de Grootaert et al. (2004) et de Dudwick et al. (2006), ont été revus, corrigés et approuvés par un comité composé d’une dizaine de spécialistes en développement durable. Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 3.3 : Dimensions et indicateurs quantitatifs de Grootaert et al. (2004) Dimensions de leurs choix méthodologiques 1. Groupes et réseaux 2. Confiance et solidarité 3. Action collective et coopération 4. Information et communication 5. Cohésion sociale et inclusion 6. Empowerment et action politique Indicateurs et éléments du questionnaire Groupes fréquentés par l’individu (choix de 19 groupes), niveaux d’engagement (échelle allant de « leader » à « ne prend pas de décisions »), échelle de groupe priorisée dans les actions, puis les membres de la famille qui y participent aussi. Les autres questions portent sur les deux groupes les plus importants pour la personne. Vingt-trois questions suivent afin de dresser le portrait relationnel, social et culturel des groupes. Ensuite, neuf questions portent sur les réseaux sociaux informels. Les questions, de type Likert, sont les mêmes que celles proposées par Harpham (2008) relativement à la confiance et à la réciprocité. Une question sur la confiance généralisée, quatre sur la confiance et le soutien des autres de la communauté et neuf pour ce qui est des différents groupes sociaux ou institutions de la communauté (police, professeurs, touristes, etc.). Dans les 12 derniers mois, avez-vous travaillé avec d’autres pour le bienêtre de la communauté ? On demande ensuite de nommer les trois principaux projets et de spécifier si le travail était volontaire ou requis. Les cinq autres questions, de type Likert, portent sur la perception de la participation des membres de la communauté et sur les normes facilitant ou non cette coopération. Les six premières questions portent sur la fréquence de consultation de différentes sources d’information (les journaux, la radio, la télévision, le téléphone et la poste). Ensuite il s’agit de préciser les trois médias privilégiés lorsque les répondants veulent en savoir davantage sur ce que le gouvernement fait, sur la communauté, sur le marché de l’emploi, les biens et services disponibles. Il y a aussi cinq questions sur l’évolution de l’accessibilité à l’information et sa variation au cours des saisons. Neuf questions portent sur le sentiment d’appartenance à la communauté, sur le sentiment d’inclusion ou d’exclusion par rapport à certaines activités et la perception des raisons de l’exclusion s’il y a lieu. Six questions portent sur les activités sociales et de loisirs : la fréquence, le lieu ou contexte (par exemple à la maison) et avec qui (groupes ethniques ou socioéconomiques différents). Huit questions portent sur les conflits, la sécurité et la violence perçue dans la communauté. Quinze questions portent sur le sentiment de bien-être, de pouvoir et de satisfaction dans les différents domaines de sa vie. Source : Grootaert et al., 2004. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Ce groupe de recherche associé à la Banque mondiale a également produit un questionnaire plus court, où seulement 27 questions permettent de dresser le portrait du capital social à l’aide d’une méthode quantitative. Quoi qu’il en soit, la méthode par questionnaire permet d’obtenir des informations, certes, mais elle est peu axée sur l’intervention et ce type de collecte de données auprès de personnes défavorisées culturellement s’avère difficile. Dans le but de combler les lacunes du questionnaire, d’autres chercheurs de la même équipe ont produit un outil qualitatif. 3.1.2. Les démarches statistiques avec des données secondaires La particularité des démarches statistiques par rapport à celles qui utilisent un questionnaire standardisé est qu’elles se servent de résultats déjà existants. Un grand nombre d’auteurs et de groupes de recherche développent des outils de plus en plus élaborés et complexes leur permettant de mesurer précisément le capital social de cette façon. Robert Putnam (2000) a développé un outil de mesure permettant d’apprécier le capital social à l’aide d’un minimum d’indicateurs assez simples et disponibles dans plusieurs banques de données statistiques, comme le montre le tableau suivant. Tableau 3.4 : Indicateurs du capital social communautaire selon Putnam Dimensions de son choix méthodologique Vie organisationnelle Engagement dans les affaires publiques Volontariat Vie sociale informelle Confiance sociale Indicateurs Pourcentage des individus impliqués dans une association locale durant l’année. Pourcentage des individus occupant un poste dans un club ou une association durant l’année. Organisations civiques et sociales par mille habitants. Nombre moyen de présences aux réunions de clubs. Nombre moyen de membres dans les associations. Participation aux élections et vote. Pourcentage d’individus ayant participé à des assemblées locales. Nombre d’organismes à but non lucratif (OBNL) par mille habitants. Moyenne de temps travaillé sur un projet communautaire dans l’année. Moyenne de temps de bénévolat au cours de l’année. Pourcentage d’individus qui disent passer beaucoup de temps avec des amis. Moyenne de temps de loisir passé à la maison. Pourcentage des individus en accord avec le fait que les gens sont dignes de confiance. Pourcentage des individus en accord avec le fait que les gens sont honnêtes. Source : Putnam, 2000. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » Recension des écrits sur le capital social et sa mesure L’outil de Putnam permet d’apprécier le capital social grâce à une démarche beaucoup plus conviviale que ne l’est l’utilisation de questionnaires standardisés ou de logiciels d’analyse des réseaux sociaux. Cependant, il faut avoir accès aux résultats de sondages et aux recensements nationaux qui, aux États-Unis, touchent actuellement à tous ces indicateurs. Au Québec, ces informations sont en partie disponibles par l’entremise de Statistique Canada, de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), des centres de bénévoles, du Répertoire des ressources communautaires de la Capitale-Nationale et ChaudièreAppalaches (Service 211), des agences de la santé et des services sociaux (ASSS), des études indépendantes de regroupements d’organismes, etc. Ces données permettent d’évaluer la présence relative du capital social dans une communauté, en faisant des comparaisons dans le temps et avec d’autres territoires. Ce type de données ne permet toutefois pas de statuer sur la répartition du capital social dans la communauté, ni d’identifier des leviers d’action pouvant servir à l’intervention. Cet outil ne répond donc pas, à lui seul, aux critères de la présente recherche. 3.2. Les mesures qualitatives du capital social Alors qu’un grand nombre d’outils quantitatifs de mesure du capital social ont été produits, Dudwick et ses collaborateurs (2006) sont d’avis que le concept de capital social renvoie à une réalité sociale nécessitant, en raison de sa complexité, l’ajout de méthodes qualitatives et participatives pour bien saisir les processus, les nuances et les contextes. Étant donné que la collecte de données demande habituellement plus de temps avec les méthodes qualitatives, le nombre de personnes interrogées sera généralement moindre qu’en recherche quantitative. Les problèmes auxquels doivent alors faire face les chercheurs sont de déterminer qui doit être entendu, de quelle façon et quels propos doivent être retenus. Peu de recherches qualitatives ont été recensées pour la mesure du capital social et ses dimensions (Dudwick et al., 2006). La grande majorité de ces recherches sont des recherches participatives, dont celles de Narayan (1995), de Kumar et Chambers (2002) et de plusieurs organisations de développement local en pays anglo-saxons. Les outils Rapid Rural Appraisal (RRA) et Participatory Poverty Assessment (PPA) sont généralement les références de base. Ils permettent à la fois de faire avancer les connaissances, de créer du capital social et de favoriser l’empowerment. Utiles avec les personnes illettrées et dans les cas de différences de culture, plusieurs exercices permettent aux gens de s’exprimer, de développer leur pensée et de co-construire en groupe une vision de la réalité. On utilise alors l’histoire orale, les jeux de rôles, les discussions en petits groupes, les supports visuels, les dessins de la communauté, les promenades transsectorielles, l’expérience de la lettre perdue 1, etc. Le tableau 3.5 donne des détails sur de tels outils de mesure pour différentes dimensions du capital social. L’important pour que la formule fonctionne, selon Dudwick et al. (2006), est que le travail du chercheur modérateur soit planifié et de qualité. Aussi, les auteurs recommandent que les groupes soient représentatifs de la communauté, ce qui implique que l’on ait déjà un portrait de la composition de celle-ci. 1 Une lettre est laissée dans la rue et on vérifie si les gens la mettent à la poste. Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 3.5 : Dimensions et outils de mesure qualitatifs de Dudwick et al. (2006) Dimensions de leur choix méthodologique Groupes et réseaux Confiance et solidarité Action collective et coopération Information et communication Cohésion sociale et inclusion Empowerment et action politique Outils de mesure Transect Walk : promenade planifiée dans la communauté, à l’aide d’une carte qui est précisée par les observations (groupes sociaux, lieux importants). Le chercheur peut être seul ou guidé par un acteur clé. Historical Matrix : exercice de groupe qui consiste à situer sur une ligne du temps l’évolution de certains changements de la composition du tissu social (ethnies, jeunes, crimes, religions, etc.) et des échanges de services et biens. Key Leaders Interviews : entrevue de chefs de file de la communauté portant sur le sentiment de confiance entre citoyens, organisations et institutions. Groupes de discussion : discussions de groupe sur un thème. Resources Exchange Matrix : activité de groupe précisant qui donne (ou prend) quoi (biens et services) et à qui, dans la communauté. Il s’agit de partir du groupe et de tracer le portrait des relations de ses membres avec les autres groupes sociaux. Ranking : activité de groupe permettant la hiérarchisation des problèmes et valeurs de la communauté. Media Analysis : recension des médias présents dans la communauté et catégorisation du contenu. On peut repérer les situations de conflits, de stigmatisation, etc. Institutional Analysis : on dresse un tableau montrant les différentes organisations et institutions (police, hôpitaux, église, banque, soupe populaire, coopérative X) et on demande aux participants de noter la confiance qu’elles inspirent, la pertinence de ce qu’elles offrent, leur efficacité lorsqu’elles agissent et le pouvoir qu’ont les gens dans leurs prises de décision. Venn Diagram : il s’agit de faire, avec des participants, un dessin représentant les groupes au pouvoir dans la communauté. Il faut d’abord dessiner un grand cercle pour la communauté et, à l’intérieur de ce cercle, d’autres cercles représentant les groupes ou organisations qui ont le plus de pouvoir et ceux qui ont le plus de contacts. Ensuite, des cercles à l’extérieur de la communauté (représentant aussi des organismes de pouvoir) sont dessinés et liés aux cercles à l’intérieur. Enfin, il s’agit de placer les citoyens en relation avec ces cercles, d’identifier les médiateurs entre les citoyens et les pouvoirs (conseil d’administration d’une entreprise, le vote, etc.). Cause and Effect Diagram : on prend une situation quotidienne difficile pour les gens du groupe (la pauvreté, par exemple) et on dresse une liste des causes et effets en termes de liens (avec une entreprise, un amoureux, un emploi, la communauté, les larcins, etc.). Source : Dudwick et al., 2006. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 31 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 3.3. Les méthodes mixtes : l’analyse des réseaux Pour analyser le capital social structurel, en particulier, on emploie généralement des méthodes d’analyse des réseaux sociaux. Les recherches dans ce domaine portent soit sur les réseaux sociaux personnels où un acteur est au centre de la démarche, soit sur les réseaux présents à l’intérieur d’une structure (classe d’école, organisation, etc.) (Stokman, 2001). Le second type de recherche, l’étude des réseaux dans une structure, est privilégié dans la littérature sur le sujet, car il permet davantage de contrôle sur les variations contextuelles. En outre, dans le premier type de démarche, une personne (ou un groupe) ne peut être consciente de toutes les influences qui la touchent et donner toute l’information nécessaire sur son propre réseau. Ces méthodes de recherche combinent souvent des questionnaires standardisés avec des entrevues et des observations. Les questionnaires permettent de connaître la culture (l’équivalent du capital social cognitif-relationnel), les caractéristiques des membres ainsi que les liens qu’ils entretiennent les uns avec les autres (Stokman, 2001). Dans le cadre de l’étude de structure, des questions portent sur la relation qu’entretient chaque membre avec les autres ainsi que la combinaison des réponses permettent aux chercheurs de créer notamment un diagramme des relations. Par ailleurs, grâce à l’observation, on peut repérer des éléments susceptibles d’échapper à la perception des répondants. Quant aux entrevues avec les personnes concernées, elles ajoutent des éléments d’observation et d’interprétation qui ont pu échapper aux observations du chercheur. Comme dans un sociogramme (ou génogramme), les liens sont notés et illustrés par des traits unissant les acteurs (Stokman, 2001). Le diagramme ainsi créé peut être comparé à une toile d’araignée. Les paramètres structurels étudiés sont multiples : la densité du réseau, son ouverture ou celle des sousgroupes qui le composent, les trous structuraux, la force des différents liens, la verticalité ou l’égalité des échanges, la fonction ou la nature des liens, la centralité des acteurs, la centralité d’un réseau, etc. Plusieurs diagrammes peuvent être créés selon la dimension à observer. Dans de nombreux cas, la complexité des études nécessite l’utilisation d’un logiciel professionnel comme le Social Network Analysis. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 32 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 4. Les méthodes de mesure et d’analyse à privilégier Puisque même les recherches les plus imposantes ne peuvent prétendre mesurer l’intégralité du capital social d’un territoire, et considérant notre souci de sa convivialité, la méthode présentée ici ne permet pas non plus d’en dresser un portrait complet. Quatre critères ont guidé le choix des activités de mesure : l’efficacité, l’utilité, l’objectivation et l’économie de ressources. Le premier critère à considérer, l’efficacité, conduit à recueillir des données probantes. Pour y arriver, il est important de miser sur la combinaison de plusieurs activités de mesure pertinentes pour chaque dimension. Le second critère, l’utilité, peut être respecté notamment par le choix d’activités de mesure pouvant être transférées par l’acteur à différents contextes et pour divers groupes. L’objet mesuré étant sujet à des changements constants, le document de consignation des résultats doit pouvoir rester ouvert et modifiable afin que les intervenants sociaux puissent s’en servir pour guider leur action dans un milieu en évolution. Sur le plan de l’intervention, l’utilité peut également se traduire par des activités de mesure amenant les acteurs locaux à participer à la réflexion sur le capital social. Quant au critère d’objectivation, il implique un choix d’activités de mesure permettant la production de documents visuels (cartes, matrices, dessins, graphiques, figures, etc.) qui facilitent le transfert de connaissances et la réflexion critique sur les résultats. De plus, la poursuite de l’objectivation repose sur la comparaison entre territoires, organisations ou situations semblables. Afin de faciliter les comparaisons entre territoires, le choix des activités de collecte des données statistiques doit considérer la possibilité d’utiliser les mêmes sources de données dans tous les territoires du Québec. Finalement, afin de s’assurer de maximiser les chances qu’un outil de mesure soit utilisé et serve à comparer et à intervenir, le critère d’économie des ressources (temps, énergie, argent) doit impérativement être pris en compte. Alors que neuf dimensions théoriques ont été choisies, les dimensions retenues pour la méthodologie sont au nombre de cinq. Elles incluent en fait les neuf dimensions abordées précédemment, les regroupant différemment de manière à faciliter leur mesure. Ces cinq dimensions sont 1) la composition sociale de la communauté, 2) le degré d’organisation des groupes sociaux, 3) la structure associative de la communauté, 4) l’information et la communication et 5) le cognitif-relationnel (les grilles de lecture du monde social, le contrôle social informel et la confiance). Ainsi, dans l’ordre, on suggère ici de conserver telles quelles les trois composantes de la dimension structurelle, de traiter séparément la dimension information et communication, puis de fusionner quatre des cinq composantes de la dimension cognitive-relationnelle. 4.1. La composition sociale de la communauté L’analyse de la communauté locale est une étape bien connue et commune à toutes les interventions communautaires (Lamoureux, Lavoie, Mayer et Panet-Raymond, 2008). Elle vise généralement à comprendre plusieurs facettes d’un milieu, allant de ses caractéristiques physiques au portrait économique, en passant par les valeurs culturelles dominantes. L’angle d’approche de cette dimension du capital social structurel s’avère particulier, puisque ce sont les perceptions et les rapports entre ces groupes qu’il privilégie. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 33 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Le tableau suivant fait état des façons de faire retenues pour mesurer la composition sociale de la communauté dans la perspective du capital social. Tableau 4.1 : Moyens pour rendre compte de la composition sociale de la communauté Méthodes Identification des principaux groupes sociaux par les acteurs du milieu. Recension statistique et documentaire des groupes sociaux de la communauté. Production de cartes sociales du territoire. Outils et sources de données Entrevues individuelles et de groupe. Statistiques obtenues de Statistique Canada (SC), de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et de documentaires divers (médias). Transect Walk. Observations. Traitements des données Les noms des groupes identifiés sont consignés dans une base de données, où ils sont classés et numérotés. Il est possible d’y associer d’autres informations ultérieurement. Il s’agit d’une identification objective des groupes sociaux. Les statistiques permettent d’apprécier le poids démographique des groupes identifiés. Les informations peuvent être consignées dans la base de données. On produit des cartes du territoire illustrant les enclaves sociales et les lieux significatifs pour les groupes sociaux. Les entrevues et analyses des médias peuvent être mises à contribution. L’élaboration d’une base de données des groupes sociaux représente une tentative de « déconstruction de [la] population globale, abstraite, par la mise en évidence des grandes caractéristiques des groupes sociaux en présence [et] constitue un préalable nécessaire à l’examen des relations inter-[groupes] » (Toubon et Messamah, 1990 : 236). Il est également possible de créer une classification des groupes à partir de la conjoncture particulière de la communauté. Par exemple, dans son analyse du quartier Saint-Roch, en plus de la base de données, Martin-Caron (2012) classe les groupes selon qu’il les perçoit comme étant 1) à grande visibilité, 2) invisibles, isolés ou fermés sur eux-mêmes, 3) secondaires ou transversaux comme les groupes de loisirs. 4.2. Les degrés d’organisation des groupes sociaux Une fois les principaux groupes sociaux identifiés et situés, il est temps de s’attarder à leur degré d’organisation. Selon la théorie du capital social, la communauté développe son dynamisme d’abord à travers celui des réseaux existants. Par analogie avec un système électrique, les groupes et réseaux désorganisés d’une communauté peuvent être comparés à des fils coupés ne distribuant pas l’énergie transmise. Ainsi, ce ne sont pas tous les groupes sociaux qui ont une association formelle les représentant, qui font des rassemblements festifs ou qui s’engagent sur le terrain de l’action sociale. Certains groupes sociaux ont des membres qui ne réalisent pas qu’ils sont semblables. D’autres groupes Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 34 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure sociaux ont des membres qui réalisent qu’il y en a d’autres comme eux, sans pour autant que cela génère de la solidarité ou un rassemblement. Plusieurs groupes sociaux peuvent être morcelés, leurs membres isolés pour maintes raisons ou, encore, les conditions d’inclusion peuvent y être très restrictives. Tout acteur peut se faire une idée du degré d’organisation général des groupes sociaux sur le territoire à l’aide de quatre activités de mesure simples (voir le tableau 4.2). Tableau 4.2 : Moyens pour rendre compte du degré d’organisation des groupes sociaux Méthodes Recension des organisations en lien avec les groupes sociaux. Recension des rassemblements festifs en lien avec les groupes sociaux. Recension des luttes sociales de la communauté en lien avec les groupes sociaux. Outils et sources de données Table régionale des organismes communautaires (TROC), Service 211, Internet, répertoires. Appels au centre communautaire, aux médias, réseaux de contacts, etc. Médias et rapports de recherche. Traitement des données Il s’agit de lier, dans la base de données, les groupes avec les associations formelles existantes, qu’ils contrôlent ou qui leur sont destinées. Ceux qui n’ont pas d’association ont-ils une organisation différente ou y a-t-il totale absence de liens entre les individus ? Il s’agit de relier, dans la base de données, les groupes sociaux aux rassemblements festifs. Parfois, sans appartenir à des associations formelles, des groupes se retrouvent dans des événements. Il s’agit de lier, dans la base de données, les groupes aux actions politiques. Cela témoigne à la fois du degré d’empowerment des groupes sociaux et de la cohésion sur le territoire. 4.3. La structure associative de la communauté Le degré d’organisation des groupes permet d’apprécier les dynamiques entre citoyens issus de certains groupes sociaux. À la suite de ces constats, le chercheur-praticien peut dresser un portrait sommaire et utile des relations entre groupes sociaux, associations et institutions de la localité. Il lui sera possible d’identifier certaines relations reconnues et d’apprécier certaines perceptions des relations entre différents acteurs sur le territoire. Le chercheur-praticien pourra en dégager un premier plan des réseaux, en plus d’apprécier les différents facteurs à la base de ces relations. Le tableau 4.3 présente les cinq instruments de mesure. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 35 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 4.3 : Moyens pour rendre compte des structures associatives de la communauté Méthodes Recension des principaux lieux publics partagés ou contestés par les groupes sociaux. Diagramme des réseaux sociaux (sociogramme). Outils et sources de données Observations, entrevues individuelles, groupes de discussion, entrevues informelles, recherche documentaire, etc. Groupes de discussion, entrevues individuelles, médias. Diagramme de Venn. Groupes de discussion, entrevues individuelles, médias. Élaboration d’une matrice d’échanges de ressources. Groupes de discussion, entrevues individuelles, médias. Traitement des données Intégration des données recueillies dans les cartes et les matrices pertinentes. Production d’un schéma, d’un dessin, d’un diagramme ou d’une figure représentant les relations horizontales qui existent entre différents groupes sociaux. Production d’un schéma, d’un dessin, d’une matrice, d’un diagramme ou d’une figure représentant les liens verticaux, c’est-à-dire les différentes sources de pouvoir et leurs relations avec la communauté, les groupes et les citoyens. Production d’une matrice traitant de la fonction économique des relations entre groupes, organisations et institutions. 4.4. L’information et les communications Les liens horizontaux et verticaux passent également par l’information véhiculée dans les médias (Ball-Rokeach et Kim, 2006). Cette information sert autant à alimenter des sentiments d’appartenance, à stimuler les débats et à appuyer des causes qu’à diffuser des connaissances facilitant une prise de décisions éclairée. Pour que l’information médiatisée soit utile, elle doit au minimum être entendue, puis assimilée à la suite d’un processus d’appropriation. Son sens, sa pertinence et la reconnaissance de sa véracité se construisent par la réflexion, les échanges, les observations, les discussions, les vérifications, l’argumentation, la contre-argumentation, la synthèse, etc. Ce sont ces différents aspects qui veulent révéler les activités présentées dans le tableau 4.4. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 36 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 4.4 : Moyens pour rendre compte de l’information et de la communication Méthodes Identification des sources d’information. Élaboration d’une matrice de consommation des médias. Recension des principales organisations et principaux lieux permettant des échanges de points de vue et d’idées dans un climat amical entre personnes d’un même groupe social. Recension des principales organisations et des principaux lieux permettant des échanges de points de vue et d’idées dans un climat amical entre plusieurs groupes sociaux. Outils et sources de données Médias locaux, entrevues de groupe et entrevues individuelles. Groupes de discussion, entrevues individuelles et, idéalement, sondages. Groupes de discussion, entrevues individuelles, entrevues informelles, TROC, Service 211, Internet, répertoires, etc. Groupes de discussion, entrevues individuelles, entrevues informelles, TROC, Service 211, Internet, répertoires, etc. Traitement des données Inscription, dans une base de données, des noms des médias nationaux, régionaux et locaux. Inscription des médias dans une base de données, en les associant aux groupes qui les consomment. Inscription, dans une base de données, des associations diffusant de l’information et permettant aux usagers de la comprendre ou même de débattre des enjeux. Si possible, déterminer les moyens de médiation des différences mis en place par le groupe. Inscription dans la même base de données des endroits où les différents groupes sociaux se rencontrent, donnant la possibilité aux membres d’être exposés à des idées nouvelles. Ici encore, l’existence ou non de mécanismes de médiation des différences peut être consignée. 4.5. Les normes de réciprocité : contrôle social informel et confiance Les normes qui guident la réciprocité entre les personnes et les groupes se fondent sur le contrôle social et la confiance. Le contrôle social (informel) fait en sorte que des valeurs deviennent dominantes dans une société, une communauté ou un groupe social par le partage dans la population d’une anticipation des sanctions et des récompenses associées à des comportements. On cherche donc à connaître la perception des récompenses et des sanctions sociales qui font respecter la réciprocité. On peut la déceler en examinant des situations où se manifestent 1) l’apport d’aide à un inconnu membre du même groupe social, 2) l’apport d’aide à un inconnu membre d’un autre groupe, 3) la participation dans une association, 4) la participation à un projet de la communauté, 5) la participation politique, 6) la participation aux activités de loisirs (et sociales) et 7) la participation au travail. Le tableau 4.5 décrit la méthode envisagée pour étudier ce volet de la réciprocité. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 37 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 4.5 : Moyens pour rendre compte des normes de réciprocité et du contrôle social Méthode Élaboration de matrices des facteurs d’inclusion et d’exclusion des groupes organisés. Élaboration d’une matrice des valeurs communautaires perçues, des incitatifs, des contraintes, au niveau de la communauté du territoire. Sources de données Entrevues individuelles et de groupe, recherches documentaires. Groupes de discussion, entrevues individuelles, recherches documentaires. Traitement des données Production de matrices recensant ce qui fait qu’une personne est traitée en leader, qu’elle est incluse ou exclue dans chaque groupe social. Examen, chez les répondants, de leur perception de ce qui est nécessaire ou non pour être exclu, inclus ou leader dans la communauté (en général) et dans la société. Vérification des affirmations en interrogeant aussi les répondants sur leurs actions concrètes. Une agrégation des données issues des matrices des facteurs d’inclusion des groupes sociaux peut également être faite. À l’autre bout du spectre de ce qui consolide la réciprocité se trouve la confiance, soit le préjugé portant sur ce que l’Autre veut, peut et risque d’accomplir. La confiance porte sur le préjugé favorable d’intention, de compétence et d’intégrité entre citoyens, associations et institutions (Mayer, Schoorman et Davis, 2007). La confiance est une disposition mentale individuelle ou organisationnelle qui ne peut être étudiée directement à l’échelle de la communauté de manière conviviale. Il s’agit donc d’inférer la confiance sociale de la communauté à l’aide de mesures principalement indirectes (l’outil de Putnam, par exemple, dans le tableau qui suit) et d’agrégations de résultats individuels et de groupe. Tableau 4.6 : Moyens pour rendre compte des normes de réciprocité fondées sur la confiance Méthodes Inférence de la culture associative de la communauté Matrice de répartition de la confiance envers les institutions. Taux de participation aux élections. Matrice des narratifs créant confiance et méfiance. Outils et sources de données Outil de Putnam. Statistiques, perception des acteurs locaux et du chercheur-praticien. Groupes de discussion, entrevues individuelles. Statistiques (Statistique Canada). Entrevues individuelles et de groupe, médias. Traitement des données Vérification du nombre d’associations démocratiques pour mille habitants et comparaison avec d’autres communautés. Le chercheur peut également classer les groupes selon qu’ils se sentent dépendants ou indépendants des autres groupes sociaux, puis selon l’autoperception de leur importance dans la communauté. Production d’une matrice présentant le degré de confiance des citoyens envers les institutions, les associations et les autres citoyens. Taux de participation aux différents types d’élection et comparaison avec d’autres territoires. Recensement des sources de confiance et de méfiance. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 38 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 5. Le précis technique en contexte québécois Il est important de choisir une façon de procéder pour les observations, entrevues, discussions de groupe, recherches documentaires et statistiques afin que les résultats soient fiables et comparables d’une étude à l’autre. La présente section porte sur l’identification de ces techniques et sources de données à privilégier lors des activités de mesure. Nous suivons à cet effet les exigences de la démarche scientifique qui s’appuie sur « un ensemble de procédures choisies rationnellement et jugées valides et fiables » en fonction des buts poursuivis, des ressources disponibles et des méthodes expérimentées qui sont transférables (Mayer et al., 2003 : 56). 5.1. La recherche statistique en capital social Les statistiques permettent de quantifier certains aspects du capital social. Dans le cas du capital social, les statistiques visent à dresser un portrait des groupes sociaux de la communauté, du nombre d’associations démocratiques pour mille habitants et du taux de participation aux élections. Même si ces statistiques peuvent être utiles en elles-mêmes pour un praticien, nous voulons que la comparaison entre différents territoires soit possible. En effet, la possibilité de comparer les statistiques d’un territoire avec celles d’un autre permet de préciser le sens des données et de définir leurs particularités (Seiler, 2004). Sans cette possibilité de comparaison entre territoires, la valeur du présent outil serait grandement diminuée. C’est pourquoi il est essentiel que l’outil développé propose des procédés statistiques uniques et homogènes pour tous les territoires. Il s’agit donc de limiter la complexité des processus et le nombre de sources de données, puis de trouver des sources de données facilement accessibles, gratuites et pouvant servir également tous les types de territoires pour l’ensemble du Québec. 5.1.1. La recension statistique des groupes sociaux La recension statistique des groupes sociaux de la communauté constitue un critère objectif d’identification des groupes sociaux, mais elle ne dispense pas de s’adresser aux perceptions des personnes et des groupes. Il s’agit d’une première étape, car, après avoir déterminé quelle proportion de la population partage telles ou telles caractéristiques, nous pourrons approfondir les dynamiques internes et externes de ces groupes. La recherche de données statistiques sur les groupes sociaux débute par les sites internet de statistiques publiques couvrant la province en entier (Statistique Canada et Institut de la statistique du Québec). Puis, advenant que ce ne soit pas suffisant, il est envisageable d’utiliser Internet avec des mots-clés et des hyperliens afin de repérer les autres sources possibles de données. Le moteur de recherche proposé est Google 1. Voici quelques mots1 Le moteur de recherche Google fonctionne principalement par « PageRank » (Levy, 2011). Il s’agit d’un procédé qui cote automatiquement la pertinence des sites internet en fonction de la quantité d‘hyperliens qui mènent à leur site ainsi qu’en fonction de la valeur des sites qui font ces hyperliens (cette valeur étant aussi évaluée par le même procédé). Les liens internet les mieux cotés par PageRank sont les premiers à Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca 39 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure clés pouvant aider à la recherche : statistiques, chiffres, recensement, population, habitants – associés à sociale, économique, culturelle, démographique, population, habitants, puis au nom du territoire visé par l’étude. La recherche de sources de statistiques socioéconomiques des populations applicables à tous les types de territoires du Québec est jugée relativement concluante. Comme il était prévu au départ, Statistique Canada s’avère une ressource précieuse permettant d’obtenir à la fois une homogénéité des indicateurs pour tout le Québec et de l’information sur des territoires aussi petits que les municipalités (et même davantage). Pour sa part, l’Institut de la statistique du Québec ne couvre au plus petit que les régions et les municipalités régionales de comté (MRC). Par ailleurs, la Banque de données des statistiques officielles sur le Québec ne permet pas de recherche ciblée sur les territoires, et les sites du gouvernement provincial rendus accessibles par Portail Québec ne couvrent généralement pas les petits territoires. Quoi qu’il en soit, à la lumière de nos observations, ces sources gouvernementales tirent leurs données de Statistique Canada ou de l’ISQ. Les praticiens ou les chercheurs désirant obtenir des statistiques sociales de leur territoire peuvent le faire à partir de sources de données présentées dans le prochain tableau. Tableau 5.1 : Sources de données statistiques pour recenser les groupes sociaux Territoires MRC ou circonscriptions électorales fédérales Municipalité Quartier ou arrondissement Secteur de recensement Sources de données Statistique Canada, « Profil des communautés ». Statistique Canada, « Profil des communautés ». Des ressources de la Ville, le conseil d’arrondissement, le conseil de quartier, les recherches universitaires, les centres de santé et de services sociaux (CSSS), la Direction de la santé publique (DSP). Statistique Canada, « Profil des secteurs de recensement 2006 » Sites internet http://www12.statcan.ca/censusrecensement/2006/dp-pd/prof/92591/index.cfm ?Lang=F. http://www12.statcan.ca/censusrecensement/2006/dp-pd/prof/92591/index.cfm ?Lang=F. Il est recommandé de communiquer avec une des instances publiques responsables ou de faire une recherche internet sur Google ou à l’aide de moteurs de recherche d’études universitaires : http://scholar.google.ca/ ; http://www.erudit.org/. http://www12.statcan.ca/censusrecensement/2006/dp-pd/prof/92597/index.cfm ?lang=F apparaître au moment de la recherche. Cette façon d’opérer offre des avantages, comme celui d’augmenter les chances de trouver les liens internet les plus populaires ou les plus appuyés par des acteurs ayant une crédibilité, faisant d’eux des centres d’influence sur Internet. Il est donc possible de définir les enjeux locaux les plus suivis par la population sur Internet. Ce procédé désavantage cependant les liens nouveaux, marginaux, moins populaires, non appuyés par de grands médias, provenant d’acteurs moins bien réseautés, etc. Bien qu’il existe une possibilité de passer à côté d’une information pertinente, Google demeure à ce jour un moteur de recherche très efficace et utile pour ce type d’étude. Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca 40 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Il ne semble pas exister de sources de données à utilisation conviviale couvrant à la fois tout le Québec et les territoires plus petits que les municipalités. À ce niveau d’analyse, il est possible de se servir de données compilées par les villes elles-mêmes. Utiliser les données provenant des villes ou des MRC peut limiter les comparaisons à cause des différences dans les années de référence, dans les moyens de collecte de données, dans le type de données recueillies, dans le classement des données, etc. Pour le chercheur-praticien qui a plus de temps à investir et qui est à l’aise avec la recherche sur support informatique, il est possible de consulter le Profil des secteurs de recensement de Statistique Canada 1. En suivant les instructions, il pourra obtenir les données de petits ensembles circonscrits en les identifiant grâce à la carte interactive du Canada. Les secteurs de recensement ainsi identifiés peuvent être combinés les uns avec les autres pour constituer l’équivalent approximatif de quartiers historiques, de paroisses ou d’arrondissements. Il n’est toutefois pas essentiel de procéder de la sorte si une autre instance a déjà compilé des statistiques sur le sous-ensemble. La mise en pratique de ce volet de la recherche a permis de constater son niveau élevé d’exigence. Pour chaque municipalité, Statistique Canada offre plusieurs centaines de données statistiques sociales et économiques sur les individus, les familles et les ménages. Certaines données ne nécessitent pas d’interprétation, permettant aisément de saisir, par exemple, le poids relatif des groupes d’âge, des genres, des locataires et des propriétaires, des familles monoparentales, des nouveaux arrivants, des groupes ethniques, etc. Ces statistiques peuvent d’ailleurs compléter les observations faites par les répondants. En revanche, certaines statistiques nécessitent un travail d’interprétation ou d’inférence pour avoir du sens. Il va de soi que tous les intervenants ou chercheurs ne sont pas également en mesure d’effectuer de telles démarches. Malheureusement, il n’existe pas de guide unique d’interprétation et d’utilisation des statistiques à leur intention (selon un représentant de Statistique Canada joint par téléphone). La présente recherche ne peut se substituer à un tel guide, dont l’élaboration devrait être l’affaire de spécialistes statisticiens et sociologues. Il existe toutefois quelques travaux de spécialistes qui proposent des interprétations de certaines données, notamment l’Atlas du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec [http://www.msss.gouv.qc.ca/statistiques/atlas]. La carte interactive permet de circonscrire le territoire désiré, puis de s’en faire une représentation en termes de répartition de la défavorisation individuelle matérielle et sociale. La carte est divisée en aires de diffusion, c’est-à-dire des unités statistiques issues du recensement et comportant en moyenne 620 personnes (Gamache, Pampalon et Hamel, 2010 : 1). La circonscription du territoire se fait grâce aux outils de navigation « + » et « – ». On peut également saisir la carte affichée dans le but de la transférer dans un document de travail. Il est possible de constater la répartition géographique des groupes sociaux en sélectionnant les statistiques désirées en haut au centre de la page. La défavorisation, un indice composite, est accessible sous l’onglet « Indicateurs », puis « Défavorisation 2006 » (ou une date plus récente), puis par le choix de territoire de comparaison (Canada, Québec, région, municipalité, etc.). Le code de couleurs des territoires n’indique donc pas la défavorisation absolue, mais une défavorisation relative. 1 Selon Statistique Canada, les secteurs de recensement comptent de 2 500 à 8 000 habitants et sont situés à l’intérieur de grands centres urbains de 50 000 habitants et plus. Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca 41 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 5.2 : Indicateurs de défavorisation de l’Atlas du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) Défavorisation matérielle 1. La proportion de personnes de 15 ans et plus sans certificat ou diplôme d’études secondaires. 2. Le ratio emploi/population chez les 15 ans et plus. 3. Le revenu moyen des personnes de 15 ans et plus. Défavorisation sociale 1. La proportion de personnes de 15 ans et plus vivant seules dans leur domicile. 2. La proportion de personnes de 15 ans et plus séparées, divorcées ou veuves. 3. La proportion de familles monoparentales. Source : Gamache, Pampalon et Hamel, 2010. À l’aide des indicateurs mentionnés dans le tableau 5.2, chaque aire de diffusion reçoit une note factorielle sur 4 ou 5 (selon le territoire comparatif), 1 étant le plus favorisé. Les chercheurs responsables de l’Atlas font un travail que les praticiens ne peuvent effectuer. Le chercheur-praticien peut se servir de ces cartes pour se préparer aux observations et entrevues, en plus de pouvoir croiser ces informations avec les données récoltées au cours de la démarche de recherche. 5.1.2. La recension statistique des associations La recension statistique des associations sur le territoire (pour mille habitants) permet, en comptant le ratio avec d’autres communautés, d’avoir une idée de la présence de la culture d’association spontanée telle que théorisée par Tocqueville, Putnam (2000) et plusieurs autres penseurs du capital social. Il s’agit d’associations « démocratiques » sur la base de deux présupposés. Le premier est que les gens, libres d’entrer et de sortir des associations, coopèrent pour atteindre des buts communs ou complémentaires. Leur action est censée être fondée sur une conviction partagée : « ensemble c’est possible ». Le second postulat, qui s’apparente au premier, repose sur un jugement moral et prescriptif : il existe du mauvais capital social (Portes, 1998) susceptible de nuire à la paix sociale, au développement économique ou à la diffusion des valeurs souhaitées. Il est donc sousentendu ici que les associations véhiculent des valeurs en accord avec la vision occidentale de la démocratie. Il existe au Québec plusieurs types d’associations enregistrées légalement : 1) les coopératives non financières enregistrées au Québec ; 2) les coopératives non financières enregistrées au Canada ; 3) les organismes à but non lucratif enregistrés au Québec ; 4) les organismes à but non lucratif enregistrés au Canada ; 5) les mutuelles et coopératives financières. Il a d’abord été prévu de faire la recherche de sources de données à partir d’Internet en débutant par les sites internet de statistiques publiques couvrant la province en entier (registres des entreprises du Québec et du Canada, Direction des coopératives du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE) [devenu depuis le ministère des Finances et de l’Économie]), puis, advenant que ce ne soit pas suffisant, de chercher à l’aide de mots-clés et d’hyperliens afin de trouver les autres Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 42 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure sources possibles de données de ce type. Le moteur de recherche choisi était Google. Les mots-clés prévus au départ étaient les suivants : coopérative, organisme sans but lucratif, organisme à but non lucratif, OBNL, OSBL, associations, coop – associés à registre, liste, répertoire, recension, inventaire, recensement, puis au territoire visé par l’étude. 5.1.2.1. Les coopératives non financières enregistrées au Québec La liste des coopératives non financières enregistrées au Québec, par territoire, par secteur et par catégorie, est disponible sur le site internet de la Direction du développement des coopératives, dans le Répertoire des coopératives du Québec. Ce répertoire a l’avantage de regrouper en un seul endroit l’information détenue par les CDR et les fédérations de coopératives. Les territoires couverts par le répertoire sont 1) les régions administratives, 2) les MRC, 3) les villes et 4) les circonscriptions électorales provinciales. Une majorité des municipalités, 92,5 %, peut bénéficier de l’information pour leur territoire, c’est-àdire celles de moins de 10 000 résidents (ISQ, 2010). Il est possible d’obtenir des informations sur le nombre de coopératives enregistrées au Québec pour des territoires à l’intérieur des municipalités (quartiers, arrondissements, paroisses) par l’entremise de certaines organisations, telles qu’une coopérative de développement régional (CDR), un centre local de développement (CLD), une ville, une société d’aide au développement des collectivités (SADC), un centre de santé et de services sociaux (CSSS), etc. Cette possibilité n’est certainement pas la même pour tous les territoires. Avant même d’avoir exploré les autres répertoires d’associations, il apparaît clairement qu’il est quasi impossible de comparer tous les territoires sur cette base. Rappelons que le répertoire de la Direction du développement des coopératives permet de connaître le nombre de coopératives enregistrées au Québec pour les territoires des circonscriptions électorales provinciales. Pour les grandes villes couvrant plusieurs circonscriptions électorales, il donne la possibilité d’obtenir des informations sur des territoires se trouvant à l’intérieur de leurs frontières. Des compromis doivent pourtant être faits, puisque ces circonscriptions couvrent souvent plusieurs quartiers historiques ou portions de quartiers. Il est possible de connaître les limites des circonscriptions en se rendant sur le site du Directeur général des élections du Québec (http://www.electionsquebec.qc.ca/francais/provincial/carte-electorale/cartesdescirconscriptions-electorales-par-region.php 1. On peut alors trouver les données sociodémographiques du territoire à l’aide de l’onglet « Dossiers socioéconomiques ». Ces données permettront, entre autres, d’obtenir le nombre d’habitants servant à définir le ratio associatif selon l’outil de Putnam (nombre d’associations ou coopératives pour mille habitants). Ce même exercice peut être fait pour les petites localités qui obtiennent, grâce au ministère des Finances et de l’Économie (MFE), le nombre de coopératives pour leur municipalité. Il est alors possible de connaître la population des municipalités en consultant le répertoire des municipalités sur le site du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT), au www.mamrot.gouv.qc.ca/repertoire-desmunicipalites. 1 Il est aussi possible de trouver la circonscription électorale à l’aide d’un code postal : http://www.electionsquebec.qc.ca/francais/provincial/carte-electorale/trouvez-votre-circonscription.php. Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca 43 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Pour l’instant, il n’existe pas de répertoire aussi complet couvrant l’ensemble du Québec et permettant d’avoir ces mêmes informations pour les plus petits ensembles géographiques qui sont généralement les objets d’étude et d’intervention des organisateurs communautaires : les paroisses, arrondissements, quartiers, secteurs de recensement et aires de diffusion. Cette affirmation a été confirmée par la CDR Québec-Appalaches, la Fédération des CDR, la Corporation de développement économique communautaire (CDÉC) de Québec, le CLD de Québec ainsi que par la Direction des coopératives du MDEIE. Selon la personne consultée à cette direction, aucun projet ne vise actuellement à mettre le répertoire à jour. 5.1.2.2. Les organismes à but non lucratif (OBNL) enregistrés au Québec Les organismes à but non lucratif (OBNL), aussi appelés organismes sans but lucratif (OSBL) ou associations, selon l’Office de la langue française, sont des entreprises enregistrées sous la troisième partie de la Loi sur les compagnies du Québec. Au-delà de leur appellation légale, les OBNL peuvent également être appelés « organismes communautaires », « organismes communautaires autonomes » ou parfois « entreprises d’économie sociale ». Il existe plusieurs répertoires de ces organisations, mais aucun n’est à la fois gratuit, accessible à tous et exhaustif pour tous les territoires du Québec. Cette affirmation a été confirmée par Revenu Québec (Registraire des entreprises du Québec), le MAMROT (Division de l’économie sociale), le CLD de Québec, l’Association des CLD du Québec, la CDÉC de Québec, le réseau des SADC et des centres d’aide aux entreprises (CAE) du Québec, le MDEIE (Direction des coopératives), le Chantier de l’économie sociale, le MESS (Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales), l’organisme Québec dans le monde, le regroupement des organismes communautaires de Québec (ROC-03), le Centre de santé et de services sociaux de Québec-Nord (CSSSQN), la Coalition des tables régionales d’organismes communautaires autonomes (CTROC), la Caisse d’économie solidaire Desjardins et le Service 211 de la Ville de Québec. Il est possible de recevoir une liste des OBNL enregistrés au Québec sur un territoire précis en adressant au Registraire des entreprises du Québec [http://www.registreentreprises.gouv.qc.calfr/services_ligne/demande-deservices/S00433.aspx] une demande d’obtention de regroupement d’informations. Il est à noter que ce service est payant. En 2011, il en coûtait 103 $ pour les 500 premiers dossiers, puis 0,20 $ pour chaque dossier supplémentaire. Il est possible d’obtenir les informations par municipalité, mais le nombre d’associations risque d’être élevé pour certaines grandes villes. Par ailleurs, la difficulté de trouver les associations œuvrant sur tel ou tel territoire précis (à l’intérieur de la municipalité) persiste. Une demande similaire est possible auprès de l’organisme Québec dans le monde qui tient des répertoires sur ce type d’organisation. Là également, la consultation a un coût et elle peut être faite à partir d’une carte interactive pour la localisation. Les autres sources de données sur les OBNL ont toutes leurs propres critères et méthodes de sélection, de constitution de répertoires et de communication de l’information, ce qui amène dans certains cas une perte de données et une hétérogénéité dans la qualité et la Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 44 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure quantité des données disponibles par territoire 1. Certaines organisations ne répertorient que les organismes qui sont en lien avec leur mission. Par exemple, dans le secteur de la santé, les organismes communautaires répertoriés ne comprennent que ceux reconnus par le MSSS comme appartenant au secteur de la santé. Le ministère de la Famille et des Aînés (MFA) fait de même, selon sa mission, et il en résulte que certaines associations se retrouvent dans les deux répertoires, alors que d’autres ne figurent dans aucun. D’autres organisations qui produisent des répertoires fonctionnent par un mécanisme alliant inscription volontaire des associations et acceptation conditionnelle, ce qui limite l’exhaustivité de leur répertoire. C’est le cas du Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS), des tables régionales d’organismes communautaires, du ROC-03, des villes, d’Index Santé, du Collectif de recherche sur l’autonomie collective, du Chantier de l’économie sociale et des pôles régionaux d’économie sociale. Certaines organisations tiennent des registres de leurs associations membres, mais ne désirent pas communiquer de renseignements sur celles-ci. Ce fut le cas à Québec du CLD, de la CDÉC, du ROC-03, de la Table régionale et du SACAIS. Un autre cas de figure est que plusieurs répertoires ne permettent pas d’obtenir des informations groupées (par exemple le MFA), ne le font que pour de grands territoires (par exemple Économie sociale Québec, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale) ou ne comportent pas de listes dotées de cartes interactives (par exemple l’Atlas de la santé et des services sociaux du Québec). Au bout du compte, il est peut-être plus simple de se fier aux registres tenus par les villes, les quartiers ou les arrondissements. Ces listes peuvent servir de base pour le décompte de Putnam, mais elles doivent être considérées comme potentiellement incomplètes. 5.1.2.3. Les OBNL et les organismes de bienfaisance enregistrés au Canada Il est possible d’enregistrer légalement une association au fédéral sous la forme d’un OBNL selon la loi canadienne sur les organisations à but non lucratif (partie II de la Loi sur les corporations canadiennes) ou d’un organisme de bienfaisance selon la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada. L’Agence du revenu du Canada (ARC) rend disponible une liste exhaustive des organismes de bienfaisance enregistrés, selon la ville, au www.cra-arc.gc.ca/chrts-gvng/lstngs/menufra.html. Il s’agit d’une liste exhaustive qui comprend plusieurs types d’organisations, y compris les églises. Trois problèmes se posent quant à l’utilisation de ce répertoire pour la mise en œuvre de l’outil de Putnam : 1) l’absence d’information sur la vitalité démocratique de certaines organisations enregistrées (œuvres publics et privées notamment), puisque les organismes de bienfaisance ne sont pas soumis aux lois sur les OBNL dont certaines dispositions encadrent le fonctionnement associatif ; 2) le manque d’information pour les territoires dans les villes ; 3) le double enregistrement des organisations (provincial et fédéral), qui oblige à une vérification pour éviter les doublons et la double comptabilisation. Selon Imagine Canada, la ressource en ligne pour les OBNL et organismes de charité du Canada, seulement un peu plus de 56 % des OBNL canadiens sont également des organismes de bienfaisance enregistrés. 1 Les exemples cités dans ce paragraphe ont fait l’objet de confirmation par les acteurs concernés. Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca 45 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Les OBNL canadiens sont enregistrés au Répertoire des entreprises d’Industrie Canada. Le moteur de recherche ne permet que les demandes individuelles, soit une entreprise à la fois, pour laquelle le demandeur doit connaître la dénomination sociale et le numéro de société ou d’entreprise. Il est impossible de faire une recherche groupée. Imagine Canada publie des statistiques sur les OBNL canadiens seulement au niveau provincial. Aucun autre répertoire des OBNL canadiens n’existe, selon Industrie Canada et Imagine Canada. 5.1.2.4. Les coopératives enregistrées au Canada Les coopératives canadiennes sont enregistrées sous la Loi canadienne sur les coopératives et peuvent traiter avec le Secrétariat aux coopératives du gouvernement du Canada. Le Secrétariat ne tient pas de registre public des coopératives. Les coopératives canadiennes sont enregistrées dans le Répertoire des entreprises du Canada tenu par Industrie Canada. Ce registre ne permet toutefois que des recherches individuelles. Par ailleurs, les coopératives canadiennes sont regroupées à l’intérieur de l’Association des coopératives du Canada (ACC) ainsi que dans le Conseil canadien de la coopération et de la mutualité (CCCM), associations qui ne tiennent pas davantage de registres. Il n’est pas possible, actuellement, d’obtenir les informations désirées sur les coopératives canadiennes. C’est ce que nous ont confirmé le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) et la Direction des coopératives. Celle-ci ajoute que le nombre de coopératives au Québec qui sont enregistrées au fédéral est négligeable : il n’y en aurait qu’une vingtaine. Cette faible représentation diminue les conséquences de ne pas recenser au Québec les coopératives enregistrées selon la loi canadienne. 5.1.2.5. Les coopératives financières et les mutuelles Les coopératives financières correspondent aux caisses d’épargne et de crédit Desjardins que régit une loi du Québec. Les mutuelles (Promutuel, SSQ Assurances, etc.) sont constituées, quant à elles, en vertu de la Loi sur les assurances du Québec. Les coopératives financières et les mutuelles d’assurance sont également soumises à l’Autorité des marchés financiers. Bien qu’il soit possible de repérer les caisses Desjardins sur Internet (www.desjardins.com/fr/votre_caisse/index.jsp), leur répartition relativement homogène au Québec ainsi que leur nombre assez restreint font en sorte qu’elles ne contribuent pas vraiment à différencier les territoires. Les mutuelles d’assurance (www.lautorite.qc.calfr/registre-entreprise-individu-fr-conso.html), de prévention (www.csst.qc.calasp!ListeDesMutuelles/Mutuelle.asp) et de formation (http://emploiquebec.net/entreprises/formationlloi-competences/mutuelles-reconnues.asp) ne font partie d’aucun répertoire structuré de manière à les situer facilement. Pour toutes ces raisons, les coopératives financières et mutuelles ne seront pas considérées dans la recension des associations. 5.1.2.6. Le repérage des associations dans un quartier Plusieurs municipalités sont constituées de quartiers, d’arrondissements, de communautés, etc. Dans ces cas précis, il est fort possible que la recension des associations démocratiques à l’échelle de la ville ne reflète pas la culture associative ou la situation particulière des petites unités géographiques qui la composent. Les intervenants qui ont le Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 46 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure temps, l’énergie et la motivation nécessaires peuvent affiner eux-mêmes la recherche dans les répertoires des associations démocratiques en utilisant les codes postaux. Les codes postaux ne permettent pas toujours de trouver un quartier particulier, mais il est possible de recenser les associations dans un territoire plus petit que le grand ensemble. La démarche pour y arriver se fait en deux étapes : 1) chercher les codes postaux du territoire visé ; 2) repérer les associations du quartier en fonction du code postal des associations de la municipalité. Les trois premiers caractères des codes postaux correspondent à la région de tri d’acheminement ou RTA. Il est possible de trouver la RTA en faisant une recherche sur le site internet de Postes Canada (postescanada.ca). Le repérage de RTA fonctionne principalement par l’utilisation de cartes géographiques de Postes Canada. Des statistiques populationnelles de ces territoires sont également disponibles sur le site. 5.1.2.7. Conclusion sur la recension des associations L’expérimentation montre que les sources de données statistiques couvrant le Québec ne permettent pas d’appliquer l’outil de Putnam comme prévu initialement. Plutôt que de rassembler toutes les associations en un seul indicateur, il est préférable de les séparer en catégories pouvant être recensées : 1) coopératives enregistrées au Québec ; 2) organismes de bienfaisance enregistrés au Canada ; 3) organismes communautaires et d’économie sociale reconnus dans leur milieu ; 4) organismes à but non lucratif enregistrés au Québec. 5.1.3. Le taux de participation aux élections Les taux de participation aux élections permettent d’émettre des hypothèses sur les relations de confiance existant entre, d’une part, les individus d’un territoire et, d’autre part, avec les instances et les personnes qui les représentent. Au Québec, pour un territoire, tout citoyen peut voter aux élections 1) fédérales, 2) provinciales, 3) municipales et 4) scolaires. Il faut savoir que les territoires électoraux couvrent rarement les territoires plus restreints – comme un quartier –, mais les statistiques peuvent donner un aperçu du territoire dont fait partie la communauté étudiée. Le prochain tableau donne les indications pour connaître les taux de participation aux différentes élections. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 47 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Tableau 5.3 : Sources de données sur la participation aux différentes élections au Québec Élections Sources Fédérales Élections Canada Provincial es Directeur général des élections MRC* MAMROT Municipal es MAMROT Scolaires Fédération des commission s scolaires du Québec Sites internet http://www.elections.ca/script s/ovr2011/defaultf.html On a fait le calcul du taux : le nombre total de votes divisé par le nombre total d’électeurs inscrits, multiplié par 100. http://www.electionsquebec.q c.ca/francais/provincial/result ats-electoraux/electionsgenerales.php ?e=3&s=1#s http://www.electionsmunicipal es.gouv.qc.ca/resultats/result ats-2009/resultats-pour-leposte-de-prefet-dune-mrc/ http://www.electionsmunicipal es.gouv.qc.ca/resultats/result ats-2009/resultats-pour-lespostes-de-maire-et-deconseiller/ Note – Les résultats pour les districts électoraux sont parfois disponibles sur les sites internet des villes concernées. http://www.fcsq.qc.ca/Dossier s/ElectionsScolaires/pdf/Participationelections2007-2003.pdf Pour trouver le nom du territoire électoral http://www.elections.ca/content.aspx ?section=res&dir=cir/maps/quebec& document=index&lang=f Les circonscriptions électorales provinciales par code postal ou carte géographique : http://www.electionsquebec.qc.ca/fra ncais/provincial/ http://www.mamrot.gouv.qc.ca/organ isationmunicipale/cartotheque/cartesregionales/ Cartes des districts électoraux des municipalités de plus de 20 000 habitants : http://www.electionsquebec.qc.ca/fra ncais/municipal/carteelectorale/cartes-municipalites-endistrict.php Par code postal : http://www.electionsquebec.qc.ca/fra ncais/scolaire/carteelectorale/trouvez-votre-commissionscolaire.php Par carte géographique : http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/ electionsScolaires/index.asp ?page= cartes Ou simplement à l’aide de Google. * Une partie seulement des MRC font élire le préfet au suffrage universel. En ce qui concerne l’interprétation d’un taux de participation à une élection, il est important de comprendre que la participation est un phénomène qui dépend de plusieurs facteurs et qu’en aucun cas elle ne peut être réduite à un seul (Duval, 2005). Cela étant dit, plusieurs auteurs (dont Paxton, 1999 ; Putman, 2001 ; Perret, 2002) sont d’avis que le taux de Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 48 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure participation aux élections « révèle une prise de conscience face aux enjeux qui touchent la communauté et démontre le désir d’agir des citoyens » (Gagnon, Simard, Tellier et Gagnon, 2008 : 7). Cette hypothèse est en partie confirmée par les résultats de l’enquête de Gélineau et Morin-Chassé (2009) faisant suite aux élections provinciales de 2008. On y indique que le sens du devoir est une motivation importante pour les votants québécois et que les électeurs veulent « faire partie de ». Sans être en mesure de le vérifier directement, les auteurs expliquent que ce sens du devoir est le résultat d’une socialisation, d’un lien construit et entretenu avec la communauté et même d’une pression sociale lorsqu’il s’agit des plus jeunes. Abordée ainsi, l’action individuelle de voter serait, du moins en partie, le résultat de l’appartenance et de l’intégration d’une culture valorisant le geste. En outre, Gélineau et Morin-Chassé (2009) affirment que le sentiment d’intérêt jouerait en faveur de l’action de voter, tandis que le cynisme serait lié au fait de ne pas voter. La participation au scrutin est influencée par plusieurs autres facteurs 1. L’étude de Gélineau et Morin-Chassé (2009) indique que le niveau de scolarité serait corrélé positivement avec l’intérêt et négativement avec le cynisme. De plus, il semble y avoir proportionnellement moins de votants parmi les jeunes, parmi les électeurs arrivés au Québec depuis moins de dix ans ainsi que parmi les personnes ayant un plus faible revenu (Gélineau et MorinChassé, 2009). Il y aurait donc des différences entre les territoires selon la scolarisation de la population, le niveau de revenu et l’âge médian. Pour ces raisons, il est suggéré de comparer des territoires ayant une population semblable. Dans le même ordre d’idées, pour ce qui est de la participation aux élections municipales au Québec, il est déjà reconnu que le taux de participation est plus fort dans les milieux ruraux et les petites municipalités (Champagne et Patry, 2004). À la lumière de ces informations, il se révèle nécessaire de considérer des territoires semblables aux fins de comparaison. Les municipalités peuvent également être comparées aux taux de participation extrêmes : le plus bas est de 25 % et le plus élevé, de 86 % (Champagne et Patry, 2004 : 3) 2. Évidemment, comme le soulignent Gagnon et ses collègues (2008), il existe d’autres lieux, comme les associations, où les citoyens peuvent pratiquer la démocratie délibérative et influencer leur communauté. Il apparaît donc utile de comparer les statistiques de la participation électorale avec les statistiques sur les associations afin de donner un sens aux données. 5.2. La recherche documentaire Le volet recherche documentaire fait référence à deux activités : 1) une recension des médias accessibles sur le territoire et 2) une analyse du contenu de la presse écrite afin d’identifier les principaux acteurs, lieux, événements et relations entre acteurs sur le territoire. 1 À ce sujet, la revue de littérature de Duval (2005) offre un bel aperçu des facteurs influençant la participation ainsi que des auteurs traitant spécifiquement de chacun d’eux. 2 Il s’agit de moyennes calculées à partir du résultat le plus faible et du résultat le plus élevé pour chaque année, de 1996 à 2001 (soit sept ans). Chaire de recherche Cahiers de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Collection « Théories et approches » www.culturephilanthropique.ulaval.ca 49 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 5.2.1. La recension des médias accessibles sur le territoire Le gouvernement du Québec a développé un outil de recherche pour trouver les médias locaux : Portail Québec : En région http://www.gouv.qc.ca/portail/quebec/pgs/commun/portailsregionaux ?lang=fr. Une fois à cette adresse, il s’agit de choisir une région administrative puis, à gauche, en retrait, sous le titre « Répertoires », de cliquer sur « Médias ». En cliquant pour obtenir le répertoire complet, on trouve tous les médias (écrits et électroniques) régionaux et locaux, accompagnés d’une brève description et d’un lien internet. Il est évidemment possible que tous les médias ne soient pas répertoriés ou qu’il y ait des erreurs sur le site internet. Une fois répertoriés, les médias peuvent être associés aux groupes qui les utilisent, soit pour recevoir ou pour diffuser de l’information. 5.2.2. L’analyse de contenu des médias L’analyse du contenu des médias du territoire permet au chercheur-praticien de se familiariser avec les principaux événements ayant marqué les lieux et plusieurs résidents. Même si les médias ne peuvent pas couvrir tous les faits de manière à refléter la réalité de tous, ils représentent aujourd’hui la principale histoire racontée aux habitants sur leurs voisins et le milieu qu’ils habitent (Ball-Rokeach et Kim, 2006). Même si le chercheurpraticien connaît déjà les médias locaux et ce qui y est dit sur la localité, il lui sera utile d’objectiver ses connaissances de façon systématique en les notant dans un tableau ou une matrice, puis en comparant ses informations avec les perceptions des répondants. Il existe plusieurs outils sur Internet pour retrouver les faits d’actualité qui concernent une communauté. Le plus rapide est de se connecter à Google [www.google.ca/] et 1) d’y inscrire le nom de la localité (municipalité, quartier ou autre territoire), puis 2) de cliquer sur le lien « Actualités » de la barre de recherche. Si la recherche contient plusieurs mots, il faut les mettre entre guillemets (« ») afin que le moteur de recherche les traite dans l’ordre exact où ils sont écrits. Pour obtenir plus de résultats, d’autres liens internet permettent de trouver les actualités locales classées par média. Des hyperliens vers plusieurs médias sont disponibles au www.gouv.qc.ca/portail/quebec/pgs/communlportailsregionaux ?lang=fr. Afin de repérer facilement les principales actualités classées par médias, il est aussi possible de suivre ce lien : www.toile.com/quebec/Actualite_et_medias/Actualite, puis « Régionale » ou « Journaux », deux voies qui mènent à des journaux locaux. Une autre option est le site de Quebecor Média, www.reseauhebdos.canoe.ca, qui donne accès à ses journaux locaux classés par région, par ville ou par territoire de diffusion. D’autres faits d’actualité sont disponibles sur le site internet lapresse.ca, qui diffuse les nouvelles des journaux La Presse (Montréal), Le Soleil (Québec), La Tribune (Sherbrooke), Le Droit (Gatineau/Ottawa), Le Nouvelliste (Trois-Rivières), La Voix de l’Est (Granby) et Le Quotidien (Saguenay–LacSaint-Jean). Des recherches d’actualités par territoire sont également possibles sur ce site. Quant aux nouvelles du journal Le Devoir, elles sont disponibles au www.ledevoir.com/politique/villes-et-regions. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 50 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure L’analyse des médias peut être avantageusement complétée par les entrevues individuelles et de groupe qui permettent un retour sur ces informations afin de les nuancer ou de rectifier les interprétations. Par ce processus de construction et de co-construction, le chercheurpraticien adopte et encourage une attitude rationnelle où l’acteur écoute et juge les informations supplémentaires lui permettant de s’approcher de la réalité (Popper, 1966 : 255). Il n’y a pas de limite à la quantité d’articles ou d’informations à recueillir pour cette activité de recherche. L’impression de redondance des informations est un indice indiquant au chercheur-praticien qu’il peut arrêter l’exploration d’un sujet ou d’un média. Ainsi, pour analyser la composition sociale du quartier Saint-Roch, une trentaine d’articles de journaux ont été traités et l’impression de redondance des informations est survenue à la moitié environ du processus (Martin-Caron, 2012). Karl Popper propose une limite du processus basée sur le jugement de l’utilité des données pour les besoins du moment (Popper et al., 1959). Le processus peut donc reprendre, advenant le cas où les besoins changent ou lorsque de nouvelles données surviennent. À titre indicatif, les informations recueillies sont utiles du fait qu’elles permettent aux acteurs de formuler des hypothèses et des théories portant sur le fonctionnement de la communauté. Autrement dit, un processus scientifique prend fin lorsque les acteurs concernés le jugent suffisamment solide et utile, comme le propose de façon imagée la citation suivante. The empirical basis of objective science has [...] nothing ‘absolute’ about it. Science does not rest upon solid bedrock. The bold structure of its theories rises, as it were, above a swamp. It is like a building erected on piles. The piles are driven down from above into the swamp, but not down to any natural or ‘given’ base; and if we stop driving the piles deeper, it is not because we have reached firm ground. We simply stop when we are satisfied that the piles are firm enough to carry the structure, at least for the time being (Popper, Freed et Freed, 1959 : 111). 5.3. Les observations L’observation est une technique de collecte de données au même titre que l’entrevue, le sondage ou la recherche documentaire (Canter Kohn et Nègre, 2003 : 111). Il existe plusieurs formes d’observation, précisent De Robertis et Pascal (1987) : l’observation directe libre, l’observation directe méthodique, l’observation clinique et l’observation participante. Les chercheurs du capital social utilisent plus particulièrement la technique du Transect Walk, un processus consistant en une promenade planifiée sur le territoire à l’aide d’une carte géographique (Dudwick et al., 2006 : 15). Pour reprendre la terminologie de De Robertis et Pascal (1987), il s’agit d’une forme hybride d’observation de 1) la forme directe libre (non participante) qui permet de découvrir naïvement un milieu et 2) de la forme directe méthodique (non participante) où l’acteur a recours à une grille d’observation. L’utilisation d’une grille d’observation ne demande pas de quantifier les éléments observés, mais simplement de situer géographiquement et de noter les phénomènes attribuables au capital social. La grille d’observation peut évoluer au cours de la recherche. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 51 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Dans le cas présent, l’observation n’est pas le moyen unique de collecte de données et elle entre en complémentarité avec les autres activités pour enrichir, nuancer, voire compléter les données recueillies. Elle consiste en une simple liste d’éléments à observer et à situer dans l’espace et le temps. La liste des éléments à observer s’inspire du cadre conceptuel et concerne : • les caractéristiques physiques et matérielles des gens observés ; • les actions des personnes observées ; • les relations entre les personnes observées ; • la diversité de gens (en apparence) dans les lieux visités ; • les actions et relations observées dans les lieux visités ; • la localisation des groupes sociaux et des lieux qu’ils fréquentent. L’observation pratiquée avant toute autre collecte de données permet au chercheur de se donner une impression personnelle du milieu. L’observation effectuée après les entrevues ou les lectures permet de visualiser ce qui a été entendu ou lu. Afin de faciliter l’analyse et de donner de la crédibilité des données recueillies, l’observation doit être méthodique. Ainsi, les notes font la différence entre ce qui est observé et l’interprétation que l’on en fait. En outre, autant que faire se peut, l’observateur contextualise les informations (Mayer et al., 2003 ; Simard, 2004). Une grille de consignation des données formatée en fonction des éléments à observer peut faciliter la prise de notes. Pour éviter d’être submergé par une trop grande quantité d’informations, il faut inscrire les données dès que possible dans les tableaux, les matrices et les diagrammes. Le chercheur-praticien peut également utiliser l’observation participante, une technique qui implique son immersion totale dans le terrain social d’investigation (Bastien, 2008). Nous avons utilisé cette technique dans les associations où se sont déroulés les groupes de discussion. Nous voulions palier le fait que certains participants n’arrivaient pas à communiquer verbalement les informations demandées à cause de leur difficulté à saisir les concepts, d’un blocage à l’expression d’une idée, de la gêne, de la crainte de vexer ou de se tromper. Dans ces circonstances, le chercheur peut saisir des éléments du capital social en côtoyant les personnes de l’association. Il est alors fort possible que les liens ainsi créés favorisent une meilleure participation aux groupes de discussion et une plus grande honnêteté des réponses. Connaître à l’avance les participants contribue également à mieux préparer le chercheur-praticien aux groupes de discussion. La liste des éléments à observer dans l’association touche : • les caractéristiques physiques et matérielles des personnes ; • les actions qu’elles portent ; • les relations entre elles ; • leur diversité apparente ; • leur culture, c’est-à-dire les normes relationnelles, les signes distinctifs, la fonction des liens, la représentation d’elles-mêmes et du monde social les entourant, etc. ; • les modes relationnels : entre les personnes, avec l’extérieur, avec les étrangers, ce qui cause le rejet ou l’admiration, etc. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 52 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 5.4. Les groupes de discussion Le groupe de discussion sert à récolter des informations et il peut parfois être initiateur d’une action. Pour réaliser cette activité de mesure, quatre éléments à planifier sont jugés particulièrement importants par Mayer et ses collègues (2003 : 277) : le recrutement, l’animation, la grille d’entrevue et la synthèse des résultats. 5.4.1. Le recrutement Les participants aux groupes de discussion peuvent être recrutés par l’intermédiaire des associations qui leur sont destinées ou à l’aide de moyens rejoignant les citoyens de la communauté (affichage, effet boule de neige, publicité). Avant de recruter directement dans ces associations locales, Turcotte et Lindsay (2008 : 80) recommandent qu’on s’assure d’obtenir le soutien officiel et moral des responsables de l’organisme. Le travail auprès de leaders de groupes, salariés ou non, est une stratégie gagnante pour attirer des participants, car ces personnes ont déjà le respect ou la confiance des membres de leur groupe (Kitzinger, Marková et Kalampalikis, 2004 ; Diani et McAdam, 2003). Avant de communiquer avec un organisme ou une association, une recherche préalable doit être faite afin de bien saisir la mission, la nature des activités et les caractéristiques des membres. Une fois la permission obtenue de la part des responsables des associations, le chercheurpraticien peut tenter de prendre contact avec les membres afin de les recruter pour les groupes de discussion. Généralement, les dirigeants des associations peuvent aider le chercheur à s’intégrer. Ils connaissent la culture interne et peuvent conseiller le chercheurpraticien sur les techniques à employer, par exemple le face à face individuel, la fréquentation de l’organisme lors d’activités de loisir ou régulièrement pendant un certain temps, une présentation orale, de l’affichage, des courriels, le niveau de langage à utiliser, les intérêts des membres, la promesse d’un repas, d’une collation, de surprises, que le groupe conduise à des actions, etc. Pour que les groupes de discussion soient efficaces, Mayer et ses collègues (2003 : 277) proposent qu’ils soient composés de six à douze personnes réunies pour une durée de deux heures. Kitzinger et al. (2004 : 240) réduisent quant à eux la taille des groupes entre quatre et huit afin de faciliter le suivi des échanges. Plutôt que de proposer une formule statique, Turcotte et Lindsay (2008) suggèrent aux chercheurs et aux praticiens de s’interroger sur la taille et la durée qui favoriseront la meilleure participation des personnes (quantité et qualité des interventions) en considérant l’état d’esprit des participants (influence du passé des membres, de leurs perceptions, de la culture, etc.), les conditions matérielles (fatigue, confort, nombre de personnes présentes, etc.) et la relation entre les participants (confiance, statuts sociaux, maturité du groupe, etc.). Ces éléments structurels influencent le climat et la dynamique du groupe. En ce qui concerne le groupe de discussion, six personnes se sont présentées à chaque groupe de discussion, soit les deux tiers des personnes qui s’étaient engagées verbalement. Parmi les éléments structurels qui influencent les discussions et qu’il faut considérer dans le nombre de personnes à recruter, l’homogénéité des participants peut faciliter la cohésion, la communication et la participation dans le groupe (Mayer et al., 2003 ; Turcotte et Lindsay, 2008 ; Kitzinger et al., 2004). Un groupe homogène permet de saisir la diversité des idées Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 53 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure sur un sujet chez les individus partageant des caractéristiques comme l’âge, l’ethnie, la pratique d’une religion, etc. En pratique, l’homogénéité n’est pas facilement acquise. Par exemple, Martin-Caron (2012) fait remarquer qu’un groupe composé de personnes partageant le souci de contribuer au mieux-être de la communauté lui a paru plus homogène sur le plan des opinions et des perceptions qu’un groupe composé de personnes vivant dans des situations socioéconomiques semblables. 5.4.2. Le guide d’animation Il est recommandé que la structure du guide d’animation suive les recommandations usuelles (Mayer et al., 2003 : 125) : 1) la diversification des questions (un rythme alternant questions de faits et questions d’opinions, par exemple) ; 2) le retour sur les thèmes avec des questions et des termes différents ; 3) la considération du contexte culturel (avec une liste de synonymes) ; 4) des questions claires, neutres et concises ; 5) des questions qui s’adressent à l’expertise des gens. Des questions peuvent être ajoutées au guide d’animation des groupes de discussion dans le but d’approfondir certaines particularités découvertes dans d’autres sources de données. 5.4.3. L’animation Pour la tenue d’un groupe de discussion, Mayer et ses collègues (2003) suggèrent la présence de deux personnes, un animateur et un secrétaire pour la prise de notes. Par ailleurs, on envisage la coanimation dans le cas où le chercheur-praticien connaîtrait peu le contexte. Le coanimateur peut, par exemple, venir de l’organisme et servir de médiateur et inspirer confiance aux participants (Turcotte et Lindsay, 2008). L’expérience de MartinCaron (2012) confirme l’atout que représente un coanimateur facilitant la prise de notes, la reformulation, et qui favorise la participation en contribuant à décentraliser les échanges. Il conclut également que la disposition des participants en rond plutôt qu’en assemblée face au chercheur-praticien stimule la participation et les échanges entre participants (plutôt que directement vers l’animateur). Mayer et al. (2003) proposent également de : • ne pas faire d’interventions modifiant ce qui est dit par les participants ; • confirmer par son attitude l’importance des propos des gens ; • aider les répondants à aller au bout de leurs idées (demandes d’exemples, de définitions, de contre-exemples, de reformulation, de synthèse) ; • contribuer à réduire les distances entre les participants ; • reconnaître l’expertise des répondants ; • tenter de comprendre les points de vue des gens et montrer de l’empathie ; • accepter inconditionnellement et accueillir les gens comme ils sont. Turcotte et Lindsay (2008) ajoutent l’importance 1) de respecter également tous les participants, peu importe leurs caractéristiques, 2) d’avoir des aptitudes à résoudre des problèmes (souvent entre participants), 3) de la souplesse en cas d’imprévus, 4) de savoir partager le pouvoir et de respecter le rôle de chacun mis préalablement au clair dans le cas d’une coanimation. Il est recommandé de donner en priorité la parole à ceux qui participent moins et de freiner ceux qui parlent souvent ou longtemps ou qui lancent un grand nombre d’idées en une seule intervention. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 54 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure La séquence d’animation peut suivre le processus proposé pour la phase de début d’un petit groupe (Turcotte et Lindsay, 2008) : 1) présentation des membres et des réalités individuelles (attentes et intérêts) ; 2) spécification des objectifs du groupe (passer du bon temps et obtenir des informations); 3) présentation de l’organisme et du chercheur-praticien (buts et rôle) ; 4) établissement des bases et règles du fonctionnement du groupe et de la structuration des échanges (une idée par intervention et une personne à la fois, exemple et contre-exemple, courte intervention, reformulation, demande de parole si nécessaire et respect) ; 5) stimulation de l’espoir et de la motivation (paroles réconfortantes et valorisantes) ; 6) formalisation du contrat et signature des formulaires de consentement. On engage ensuite la discussion proprement dite et on clôture avec un retour sur celle-ci. Sur le plan de la qualité des informations, Martin-Caron (2012) fait remarquer que la fréquentation de l’association pendant plusieurs semaines lui a permis de déceler une certaine incohérence entre les informations données en atelier et celles exprimées quotidiennement. Cette situation a motivé le chercheur à approfondir certains sujets en continuant de fréquenter l’organisme durant deux semaines supplémentaires. 5.5. Les entrevues individuelles Les participants aux entrevues individuelles sont généralement des personnes qui exercent une fonction de coordination, d’intervention ou de représentation dans les associations. Ces personnes sont à la fois des pôles de réception et de diffusion d’informations (Diani et McAdam, 2003). Leurs opinions sont donc très importantes à considérer, puisqu’ils peuvent transmettre la vision des groupes sociaux auxquels ils sont liés. La sélection des répondants peut être faite en fonction de deux critères : 1) la diversité de points de vue, avec une variété d’associations sur le plan des caractéristiques de leurs membres, et 2) l’ouverture de la personne à traiter du capital social. En général, les entrevues peuvent se dérouler selon les préférences des répondants, tantôt dans un endroit public, tantôt dans leur association. Le format à privilégier est celui d’une discussion informelle et amicale à partir d’un guide d’entrevue et appuyée par un formulaire garantissant le fait que les informations transmises ne pourront pas être reliées aux participants. Bien qu’il n’y ait pas d’information sensible à communiquer, Martin-Caron (2012) fait remarquer que plusieurs participants ont affirmé ne pas vouloir être associés aux généralisations que l’exercice nécessitait et qui pouvaient être mal perçues (fait de caractériser la situation de tel ou tel groupe). Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 55 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure 6. Conclusion Cette recension est née de l’intérêt d’outiller chercheurs et praticiens désirant apprécier les communautés géographiques sous l’angle du capital social. Notre contribution à l’évaluation du capital social des communautés géographiques s’est faite jusqu’à présent sur trois plans : le regroupement des connaissances par la recension des écrits théoriques et méthodologiques ; la prescription d’une méthodologie adaptée à différents contextes et disciplines : l’identification de sources de données et de techniques s’adressant aux différentes activités de mesure retenues. La recension des écrits a d’abord permis de connaître les différentes facettes de cette notion et les évolutions multiples que celle-ci a connues. L’apparente polysémie de la notion de capital social a ensuite été dépassée, croyons-nous, par l’identification de concepts transcendant la plupart des définitions. Puis la recension s’est étendue aux écrits méthodologiques permettant de définir les différentes méthodes d’appréciation du capital social en général et des concepts constituants. Pour l’essentiel, la recension des écrits théoriques indique que le capital social est un métaconcept né au 20e siècle. Il est constitué d’un assemblage de concepts, dont plusieurs ont déjà été abordés par les fondateurs des sciences sociales : réseaux, groupes sociaux, normes et valeurs partagées... Nous avons vu que la première mention et définition du capital social a été faite par Hanifan (1916). Celui-ci propose que le terme soit associé à l’accumulation par les individus de relations sociales de collaboration par lesquelles sont échangées des ressources (matérielles ou non) contribuant à l’amélioration des conditions de vie à la fois des personnes directement concernées et de la collectivité en général. À cette conception aux accents fonctionnalistes viendra s’opposer une conception issue du paradigme conflictuel plaçant le capital social au centre de la lutte des classes. Cette approche développée par Pierre Bourdieu (1979 et 1980) introduit des idées néomarxistes : 1) tous les capitaux passent nécessairement par les réseaux sociaux qui sont propres à chaque classe sociale ; 2) ces réseaux sociaux sont pour les individus les principaux lieux d’éducation et de renforcement des goûts et des interprétations du monde, et ils consolident ainsi la culture de chaque classe sociale ; 3) la culture de classes ainsi que les souscultures non seulement distinguent les groupes, mais elles influencent la circulation des ressources, la collaboration et les affrontements sur les plans symbolique et physique. Ces deux angles d’approche (Hanifan et Bourdieu) permettent de saisir la dynamique générale du capital social, sans toutefois proposer une conceptualisation claire pouvant mener à l’opérationnalisation nécessaire à l’élaboration d’un outil de mesure. C’est à l’aide des travaux des héritiers intellectuels de Hanifan et de Bourdieu qu’il est possible de définir et d’opérationnaliser les dimensions du capital social. Ces contributeurs viennent de différents horizons idéologiques (néolibéralisme, néomarxisme, conservatisme et communautarisme) et universitaires (sciences économiques, sciences politiques, sociologie, statistiques et philosophie, entre autres). Plusieurs dimensions du capital social semblent faire consensus, malgré les différents angles d’approche adoptés par leurs auteurs. Parmi celles-ci, la qualité des liens entre acteurs est un élément important. Ainsi, Coleman (1990) démontre les avantages des liens forts, puisqu’ils Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 56 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure permettent de développer la confiance nécessaire à la réduction du coût des transactions économiques. Granovetter (1973), de son côté, démontre la valeur des liens faibles, qui donnent accès à une grande diversité de ressources. D’autres aspects des liens forts et des liens faibles ont été développés, notamment l’ouverture du groupe aux influences, la densité des liens, l’homogénéité des membres, les conditions de membership, la mobilité des ressources et la centralité de certains acteurs (Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Grootaert et van Bastelaer, 2002 ; Krishna et Uphoff, 2002 ; Stimson, Western, Baum et van Gellecum, 2003). La qualité des liens serait notamment tributaire de la régularité des interactions, de la familiarité des acteurs entre eux, de la nature et de la réciprocité des valeurs et des normes ainsi que des stratégies de contrôle social utilisées pour les faire respecter. La plupart des théoriciens considèrent qu’il s’agit de dimensions incontournables du capital social (Ponthieux, 2006 ; Kazemipur, 2009). La confiance est un autre élément retenu pour notre cadre conceptuel, qu’elle soit vue comme une source, un mécanisme ou un résultat du capital social. Quoi qu’il en soit, la confiance est toujours considérée comme le « lubrifiant » des relations entre acteurs. À ces éléments cognitifs-relationnels peut s’ajouter la motivation des particuliers pour entrer en interaction. Lin (1985) met l’accent sur le fait que tous veulent améliorer leur statut social et que, pour ce faire, les acteurs cherchent principalement à entrer en relation avec des acteurs plus puissants (relations verticales ou linking de Woolcock, 1999). Burt (1982) propose l’idée des trous structuraux où les acteurs stratégiques ont tendance à se positionner entre deux acteurs qui n’ont pas de liens entre eux afin de profiter du rôle de médiateur pour leurs transactions de capitaux. À ces motifs économiques pour créer des liens s’ajoute le désir de combler des besoins sociaux à travers des relations entre égaux et semblables (Hanifan, 1916 ; Bourdieu, 1979 et 1980). En partie en réaction aux idées de Lin et Burt, Portes (1996) estime qu’il existe du mauvais capital social. Certains groupes fermés sur eux-mêmes ou centrés à l’excès sur leurs propres intérêts peuvent nuire à la liberté de leurs membres, créer des dynamiques nuisant au climat social et faire interférence au développement économique de l’ensemble. Dans cette même lignée centrée sur le bien commun, Putnam (1993, 2000 et 2007) popularise le concept de bon capital social en l’associant à ce qu’il considère comme étant la force de la société américaine : l’entraide, la démocratie en contexte de liberté individuelle et les échanges économiques dans un contexte de confiance. La recension des écrits méthodologiques nécessaire à la constitution de l’outil de mesure a d’abord permis de constater que la plupart des méthodes proposées jusqu’à maintenant par les théoriciens pour mesurer le capital social sont d’ordre quantitatif. En deux décennies seulement d’études sur le capital social, on a largement écrit sur la construction de questionnaires standardisés et l’utilisation de statistiques. Des documents synthétisant les nombreux constats ont été produits pour répondre aux besoins des chercheurs. Parmi ceuxci, les travaux de Putnam (2000), Grootaert et ses collègues (2004), Franke (2005), De Silva (2006) et Harpham (2008) ont porté sur le choix des méthodes et techniques de mesure. Notre choix des éléments prescrits s’est fait à la lumière de certains critères : l’efficacité, l’utilité, l’objectivation et l’économie de ressources. Nous souhaitons que le précis sur les sources de données et les techniques propres au contexte québécois puisse permettre la comparaison des résultats d’études sur le capital social dans différents milieux. Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique www.culturephilanthropique.ulaval.ca Cahiers de recherche Collection « Théories et approches » 57 Recension des écrits sur le capital social et sa mesure Bibliographie Adam, F. et B. Roncevic (2003). Social Capital. Recent Debates and Research Trends. 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