La fabuleuse histoire des petits Indiens pauvres qui devinrent

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VENDREDI 16 MARS 2012
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Guy Taillefer 16 mars 2012 Actualités internationales
Photo : Source: Sylvie Pépin
La famille Fortier: Mathieu et Agathe, avec leurs quatre filles, dans l’ordre habituel, Asia, Mira, Lila et Tara. Avec Bhugabaï, amie de la maison.
Kalkeri, Karnataka — Investi d'un beau talent d'improvisateur, ce Mathieu Fortier, et du bagou qui
vient avec lui. Improvisateur au sens où l'entend, en fait, la musique classique indienne*. Ce n'est
pas parce qu'on improvise qu'on vit sa vie — ou qu'on joue des tablas — n'importe comment.
Ici, il y a dix ans, s'est installée l'ONG québécoise Jeunes musiciens du monde (JMM): une vingtaine
de baraques bancales en bois et en pisé, au sol en terre battue, accrochées au flanc de la colline qui
jouxte le microvillage de Kalkeri, situé près de Dharwad, dans le nord de l'État du Karnataka. C'est
fort modeste en même temps qu'extraordinairement bien tenu. Le bout du monde, d'une certaine
manière, en même temps que son épicentre. On n'est qu'à cinq heures de route des plages et des
boutiques de Goa. Ça n'a rien à voir.
Mathieu est pilier de l'école. Avec Agathe. Se sont rencontrés il y a une quinzaine d'années dans le
nord de l'Inde — à Varanasi, sauf erreur. Deux adorateurs de la musique classique indienne.
A mûri chez eux l'idée de se rendre utiles en conjuguant la musique à la lutte contre ce fléau qu'est
la sous-scolarisation des enfants pauvres en Inde. Ont repéré Dharwad, petite capitale de district
réputée dans tout le pays pour sa culture musicale. Berceau de Bhimsen Joshi et de Mallikarjun
Mansur. Ils se sont liés d'amitié avec le directeur de la faculté de musique de l'université de la ville,
Hameed Khan. Agathe et Mathieu passent plusieurs mois par année à Kalkeri avec leurs quatre
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filles. Dorment comme tout le monde à même le sol, sur des nattes. Avec les puces — comme rien
n'est parfait. Zéro misérabilisme. Zéro dépendance envers l'ACDI. Zéro mentalité de caste ou de
Blanc conquérant. Rahul Gandhi, le politicien le plus en vue de toute l'Inde, y a fait un saut en août
2010. Tout juste s'il s'est annoncé. «Ça nous a rendus très populaires dans le coin», dit Mathieu.
Après avoir fondé sa première école en Inde, JMM a essaimé dans les pays riches. Le monde à
l'envers. Après Kalkeri, deux écoles axées sur le patrimoine musical québécois ont été créées, l'une
dans Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, l'autre dans la basse ville de Québec. Une autre a été
ouverte dans une communauté algonquine de la réserve faunique de La Vérendrye. Une cinquième
a vu le jour, début 2011, dans le quartier Grands-Monts de Sherbrooke.
S'arracher au carreau
Ce n'est pas qu'il y ait pénurie en Inde d'organisations d'aide à l'enfance laissée pour compte.
Concrètement, l'accès à l'éducation tient ici du privilège. Le système scolaire public est dans un état
abominable. Les parents qui en ont le moindrement les moyens envoient leurs enfants au secteur
privé. Tous les autres, c'est-à-dire la majorité, restent sur le carreau. C'est à la campagne que
l'exclusion est la plus grossière et que l'horizon est le plus bouché. JMM a fait oeuvre originale en
liant l'art de la musique à la scolarité primaire et secondaire dûment reconnue par le ministère de
l'Éducation. «Same, same but different», comme disent les Indiens. Le couple a eu de l'intuition.
S'est rendu compte qu'il n'y avait pas surabondance de professeurs de musique en Inde.
Il a commencé par tester son idée au début des années 2000, dans un bidonville de Dharwad habité
par les petits ragpickers, les enfants qui ramassent les poubelles. Il dégote un terrain près de
Kalkeri et fonde sa Kalkeri Sangeet Vidyalaya, qui accueille au départ une quarantaine d'enfants. Ils
sont aujourd'hui 160 environ. Gratuitement logés, nourris, vêtus, soignés. Ils viennent de la région.
Les parents peuvent leur rendre visite le dimanche, mais ils ne le font pas beaucoup. Histoires
attendues de pères alcooliques et de femmes abandonnées avec les enfants sur les bras. Mais, plus
généralement, de pauvreté pérennisée, sans sensationnalisme. L'un des défis, c'est de recruter
autant de filles que de garçons. On y arrive à peu près. «Elles disparaissent à partir du moment où
elles sont mariables», dit Agathe. Lire pubères.
Le matin, les cours de musique. Trois heures par jour, six jours par semaine. L'après-midi, les cours
de kannada (la langue parlée au Karnataka), d'hindi, d'anglais, de mathématiques, de géographie...
Cette année, grâce à une subvention de quelques milliers de dollars du ministère des Relations
internationales du Québec, un cours d'initiation à l'ordinateur et au web. Ô technologie! Dans une
cabane, une professeure a téléchargé dans son téléphone intelligent des «apps» de ragas, dont elle
se sert pour donner son cours de flûte.
L'école se réveille à 6 heures: les enfants font pendant une heure de l'improvisation musicale — aux
tablas, à la flûte, au sitar, au violon, au chant. La montagne en résonne. Un matin par semaine,
classe de bharatanatyam, danse classique du sud de l'Inde (VOIR LE FILM). Les enfants sont
touchants d'assiduité. Paraît qu'il n'en a pas toujours été ainsi. A donc peu à peu pris racine sur le
flanc de cette montagne, pour peu que notre séjour de deux jours nous ait permis de le constater,
une vibrante culture de l'apprentissage. Taux de réussite supérieure à 90 pour cent. «L'éducation en
Inde, c'est autoritaire et c'est beaucoup du par-coeur abrutissant, affirme Mathieu. Il n'y a pas de
secret à notre approche: estime de soi, égalité, respect de l'autre.»
Sept étudiants se sont produits récemment en concert à Bangalore, lors d'une conférence nationale
sur le thème de l'excellence en éducation. L'école a ses stars: Dullu Adolkar, l'un de ses tout
premiers élèves, arrivé en 2003. Joue du sitar. Il a 19 ans. Appartient à la communauté des Gowli
(qui sont des vachers). Il est le premier de son village à entrer à l'université. Vient de commencer
un bac en musique au Karnataka College de Dharwad. Comme aussi Sharda Lamani, 13 ans, gitane.
Elle fait du chant. Une surdouée, dit Mathieu. «Et comme elle est indigène, elle a de bonnes chances
de pouvoir décrocher un jour un poste de professeur de musique dans une université, grâce au
système des quotas réservés aux groupes défavorisés.»
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Boucler les fins de mois
Financièrement, ce sont les moyens du bord. Un budget d'à peine plus de 100 000 dollars par
année. Une quinzaine de bénévoles, du Québec et de l'Europe. Quelques-uns sont venus et ne sont
jamais repartis; ils tiennent l'école à bout de bras. D'autres piliers. «J'aimerais bien pouvoir toujours
payer les profs à temps», dit Mathieu. Le système d'approvisionnement en eau et en électricité tient
du rafistolage. Il s'en désole. Il rêve d'un site quatre fois plus grand, de bâtiments en dur, de vrais
terrains de jeu pour les enfants, d'un studio de son, de maisonnettes dignes de ce nom, mises à la
disposition de professeurs et de musiciens invités.
Il espère y remédier. En janvier, quand nous l'avons croisé, il sortait d'une conférence de quatre
jours organisée par la Deshpande Foundation for Social Entrepreneurship, une influente
organisation indienne qui a des antennes internationales... La fondation donne un coup de mains à
l'école. «On commence à faire partie de la famille.» Et puis, après avoir longuement hésité, vu tout
le mal que font à la notion de «parrainage» des ONG comme Vision mondiale, l'organisation vient de
lancer un «programme de mécénat» en espérant que cela l'aidera à voir venir.
----* La musique classique indienne repose en grande partie sur l'improvisation, en ce sens qu'elle n'est
pas jouée à partir d'une partition. Ce qui n'empêche pas qu'il y a des règles très strictes sur la
manière d'improviser, fondées sur les ragas, en particulier. Ainsi, les musiciens apprendront des
passages entiers de telle ou telle mélodie, afin de pouvoir s'en servir à dessein.
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