Quelle Communication autour des SDF ?

Transcription

Quelle Communication autour des SDF ?
La communication de l’exclusion
Juin 2008
Etat des lieux et Evolutions
Jeanne Tadeusz
Christophe Cambona
Alexandre Garcia
Samuel Sauvage
Projet collectif 2007-2008
de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris
Quelle Communication
autour des SDF ?
Rapport commandité par
Libegaf
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association loi 1901
Li b e g a f
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
Remerciements
Nous tenons à remercier MM. Jean-François Aubert et Jean-Vincent
Pfirsch pour leur soutien et leurs conseils tout au long de la
conception de ce rapport intitulé La communication de l’exclusion.
Rapport édité avec le soutien du Cabinet d’Avocats
Nos remerciements s’adressent également à
Anne-Marie Ladoues,
Emilie Rive,
Pierre Pozzo,
Pierre Abraham,
Christophe David,
Viviane Tourtet, présidente de l’association « Les bancs publics »
Marine Lamoureux, journaliste à La Croix
Aurore de Montalivet, responsable communication de « Aux Captifs,
la libération »
François Gorget, ancien journaliste régional et à Okapi, et
maraudeur dans le XVème
Hector Cardoso, responsable de la grande exclusion au Secours
Catholique
Pedro Meca, des compagnons de la nuit, fondateur de « La
moquette »,
Martin Choutet, Enfant de Don Quichotte
au collectif Antigel,
Li b e g a f
________________
Li b e g a f
________________________
est une association loi de 1901
Siren 483 386 959 – APE 9499Z
Siège social :
6 villa Logerais – 92270 BOIS-COLOMBES
Téléphone : 09 54 84 06 64 – Email :
[email protected]
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
2- Une typologie des médias
a)
Un paysage médiatique foisonnant qui engendre un
éclatement de l’information et révèle des approches
différentes du traitement du thème de l’exclusion.
SOMMAIRE
Introduction
b) La communication de l’exclusion est différente au sein de
chaque catégorie de médias :
………………………………………………. P. 6
l’exemple de la presse
La démarche et la réflexion ……………………………….. P. 14
I.
Une
médiatisation
du
B-Le traitement de l’information par les
phénomène SDF qui reste insatisfaisante au
journalistes: une multitude de facteurs pour
regard des enjeux soulevés par les associations
construire l’information
………………. P. 21
1. Les sources des journalistes
A- Une médiatisation peu optimale, qui
cache
néanmoins
des
approches
a) Les associations
b) Les enquêtes de terrain
différenciées selon les media
2- Les mécanismes de construction de l'information autour de la
grande exclusion
1- La médiatisation actuelle n’est pas satisfaisante au regard des
enjeux soulevés par le problème des personnes sans domicile
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3- La contrainte pesant sur la médiatisation
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maîtrisent pas encore les techniques de communication.
a) Des contraintes externes
b) Des contraintes internes
c) Les associations qui fondent toute leur action sur la
communication.
B- La médiatisation par Internet, un palliatif aux media
traditionnels ?
1- les différents acteurs de la communication sur
B. L’arbitrage entre communication destinée aux médias et
communication directe
internet : internet ou l’émergence d’une nouvelle
forme de journalisme ?
1- La communication destinée aux media, un outil essentiel à
2- les SDF comme possibles auteurs de cette
communication
l’épreuve de la défiance
a.
La communication destinée aux media, clef de
la communication autour du thème des SDF
II Des stratégies de communication associative diversifiées
……………………………………………….………………. P. 45
A- La typologie des
communication.
associations
selon
leur
mode
b.
Des soupçons de manipulation médiatique
2- La communication directe, un instrument traditionnel dont
de
Internet accroît la pertinence
a. Une communication directe « traditionnelle » diverse
1- L’opposition entre la communication traditionnelle et les
nouvelles formes de communication.
à l’impact surtout qualitatif
2- Les associations ne poursuivent pas les mêmes objectifs
b. Internet, nouvel instrument de communication directe
en termes de communication
pour les associations
a) Les associations qui ne cherchent pas à communiquer
b) Les associations qui veulent communiquer mais qui ne
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C-Une communication associative parfois ambitieuse mais .
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La communication de l’exclusion
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1- Une méfiance des associations vis-à-vis des autres
acteurs de la communication autour des SDF
a. entre acteurs associatifs
b. vis-à-vis des médias
c. vis-à-vis des hommes politiques
B- Les SDF, acteurs oubliés du processus : ne peuvent-ils être
que le récepteur de la communication ?
C-Les pistes d’améliorations possibles.
2- Une communication associative parfois isolée
Privilégier les partenariats entre associatifs et professionnels de la
communication
III. La communication de l’exclusion évolue et dessine des pistes
d’améliorations ……………………………………….... P. 62
Conclusion …………………………………………………… p.77
A- L’action novatrice des Don Quichotte
1- L’action novatrice des Enfants de Don Quichotte
a. Une mobilisation citoyenne pour trouver
des solutions aux problèmes des SDF
b. Un incontestable succès politique
2- Une nouveauté à relativiser
3- Une
nouvelle
répartition
des
tâches
entre
associations qui associe les méthodes des Enfants
de Don Quichotte
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Les exclus, et les associations qui les représentent, doivent
Introduction
exister dans le paysage médiatique. Or, il est possible qu’une des
principales lacunes de l’action en faveur des exclus réside dans la
« Communiquer pour exister » : une formule que reprennent
communication.
de plus en plus fréquemment les acteurs de la société civile. Un
En effet, sur le plan de l’action, l’exclusion sociale fait de
expert en communication, Xavier de Fouchéour, explique toute
plus en plus l’objet d’une réflexion visant à lui appliquer des
l’importance de son domaine de prédilection : « Dans notre société
dispositifs de lutte efficaces et à multiplier les actions de soutien aux
où le monde représenté/médiatisé prend dans nos esprits une place
plus démunis. En témoignent des mesures concrètes telles que le
de plus en plus importante, il y a une injonction à communiquer
projet de Revenu de solidarité active (RSA), qui devrait être
pour exister. Un territoire, un produit, une société, une initiative, un
généralisé à l’ensemble du pays en 2010 ; en témoigne également le
projet, de plus en plus, n’existent que par leur capacité à être
travail effectué par les associations dans le cadre de leur mission de
communiqués. La communicabilité d’un objet de communication —
soutien et d’expertise, et le travail réalisé par des organisations telles
sa capacité à impacter le récepteur selon l’estimation du
que le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et
médiatiseur— devient, comme nous l’avons vu, une valeur, si ce
l’exclusion sociale (CNLE), qui assiste de ses avis le Gouvernement.
n’est parfois, la valeur de sélection. Cette communicabilité devient
alors le critère majeur de la représentation du monde. De ce fait, des
Malgré un accent de plus en plus fort mis sur la
pans entiers de la réalité sont exclus de son champ pour la simple
communication, celle-ci reste parfois reléguée au second rang par les
raison que leur indice de communicabilité est faible. L’exigence de
acteurs
communication qu’impose le monde médiatisé devient alors facteur
d’administration de l’Agence nouvelle des solidarités actives, créée
1
d’exclusion . »
1
________________
Certes,
la
composition
du
Conseil
en janvier 2006, donne une idée particulièrement significative à la
http://www.xavierdefouchecour.com/2007/10/26/la-communication-comme-
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associatifs.
facteur-dexclusion/
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fois de la diversité des acteurs de cette mobilisation et de la présence
comme des étrangers avec enfants sans espoir, ou encore comme des
de personnes ayant un lien direct, par leur travail, avec la
individus lambda à qui la chance n’a pas souri. La construction d’un
communication au sens large : on compte ainsi, sur treize membres,
imaginaire stéréotypé du SDF est d’une part amplement subjective
deux journalistes, la Directrice de la communication de Médecins du
puisqu’elle varie beaucoup d’une personne à l’autre. D’autre part,
Monde, un Conseiller de la rédaction du magazine Alternatives
ces images de SDF-types sont solidement ancrées dans les
économiques, et trois professeurs, dont Pierre Rosanvallon.
perceptions des citoyens. A cet égard, le rôle des différents acteurs
de la communication autour du phénomène doit être posé.
Toutefois, si l’on constate une apparente intrusion du monde
de la communication et du personnel médiatique parmi les acteurs de
Comment donc se structure l’information dont nous
la lutte contre l’exclusion, la réflexion n’est pratiquement jamais
disposons sur l’exclusion ? Dans quelle mesure cette information a-
allée jusqu’à questionner les ressorts de l’information dont nous
t-elle des conséquences sur notre comportement vis-à-vis des
disposons sur le phénomène. Cela est surprenant à l’heure où
exclus ? Ces questionnements, sur lesquels nous reviendrons,
s’établit dans nos pays une société de l’information où les media
montrent toute la pertinence d’une réflexion de fond, devenue
sont partout, comme l’illustre la statistique selon laquelle la
nécessaire, sur la communication autour de l’exclusion.
télévision serait allumée quatre heures par jour dans le ménage
moyen français. Les media sont aujourd'hui une donnée dont le rôle
vis-à-vis de l’exclusion n’a pas été profondément questionné.
Pourtant, il est probable que les media aient une influence sur
l’image que nous nous faisons des SDF. Comme le montre Julien
Définition de l'exclusion
Damon (2002), les perceptions des SDF par la population sont très
variables : certains les décrivent instinctivement comme de
Il convient d’abord de clarifier les termes du sujet.
romantiques vagabonds, comme des jeunes déviants et gênants,
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La communication de l’exclusion
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Le phénomène de l’exclusion pouvant revêtir une myriade de
mais stable, de ceux qui dorment dans les hébergements qui leur sont
situations, nous avons circonscrit le champ de notre étude à la
mis à disposition, de ceux qui sont hébergés par des amis, du
« grande exclusion », c'est-à-dire l’exclusion sociale qui conduit les
phénomène des squatts (notamment en groupe), etc. ?
individus à ne pas avoir accès à un logement stable et décent.
Afin de préciser notre objet d’étude, nous pourrions nous
Cependant, cette formule peut prêter à confusion et susciter des
concentrer sur le terme plus parlant de « Sans Domicile Fixe ».
interrogations. En effet, parler de grande exclusion revient-il à
Rappelons que l’acronyme SDF a remplacé le terme de vagabond ou
hiérarchiser des formes d’exclusion ? Comme s’interroge Pedro
de clochard dans les années soixante-dix et a été diffusé par le
Meca, un ami de l’abbé Pierre habitué aux joutes de la lutte contre
SAMU social. Il s’agit donc d’une création liée à un contexte
l’exclusion : existe-t-il une petite exclusion, une moyenne exclusion,
particulier, qui aujourd'hui présente certains inconvénients majeurs.
une grande exclusion ? Il semble qu’une telle terminologie soit peu
Certes, le terme est simple d’usage. Néanmoins, n’y a-t-il pas danger
pertinente : il existe effectivement différentes exclusions : celle du
à représenter un ensemble hétéroclite d’individus sous la bannière
marché du travail, celle de la vie sociale, celle du logement… Ces
d’un sigle ? Ce sigle ne tend-il pas à déshumaniser ou à stigmatiser
exclusions peuvent se recouper ou non, et n’avoir qu’un caractère
une population ? En réalité, l’usage du terme SDF permet d’évacuer
partiel ou temporaire. Dès lors, nous tenterons de ne pas mettre les
la violence de la condition des personnes sans domicile par un
« exclus » dans des cases théoriques, alors que notre étude
acronyme rentré dans le langage courant. En effet, le terme SDF est
revendique son empirisme.
actuellement le plus utilisé dans les média pour désigner cette
Au-delà du problème terminologique rencontré par la
catégorie de personnes, et est ainsi lié à un imaginaire fort – un
« grande exclusion », il semble que l’exclusion de la sphère du
imaginaire souvent parisien et associé aux personnes vivant dans le
logement recouvre des réalités diverses : ainsi, peut-on parler de la
métro ou dans la rue, de manière visible, se distinguant ainsi
même manière des individus qui vivent sur les trottoirs depuis des
clairement du reste de la société. Le terme SDF est donc à manier
décennies, de ceux qui se sont aménagé un habitat certes précaire
avec précaution, afin de ne pas restreindre la catégorie de personnes
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qu’il englobe. Jean-Guilhem Xerri, président de l’association « Aux
domicile, y compris aucun logement précaire – nous ne traiterons
captifs, la libération », en a donné une définition dans un livre
pas ici des difficultés de logements et des personnes vivant en hôtels.
d’entretiens intitulé A la rencontre des personnes de la rue. En
Mais aussi pouvons-nous prendre acte de la généralisation
rappelant qu’à l’image traditionnelle du clochard s’est substituée
des acronymes et parler des SDF… mais aussi des ADF. « Avec
aujourd’hui celle du SDF, il précise : « Derrière ce terme [SDF], la
domicile fixe » est un sigle aujourd'hui reconnu, grâce au travail de
réalité est très hétérogène : jeunes hommes, sans emploi, personnes
nombreuses associations. Parler de SDF et d’ADF permet ainsi de
âgées, étrangers qui viennent à la ville, demandeurs ou déboutés du
stigmatiser les uns et les autres de la même manière, en montrant
droit d’asile, travailleurs pauvres (qui ont un travail mais dont le
qu’une seule lettre sépare les deux conditions.
revenu n’est pas suffisant pour acquérir un logement), femmes avec
Dans cette étude, nous parlerons autant de personnes sans
enfants. » Cette définition rappelle qu’à cette diversité des âges, des
domicile, de personnes sans abri ou de SDF selon le contexte. Nous
sexes, des nationalités, des statuts professionnels, répond une
nous attacherons ainsi à donner un sens humain à leur qualification :
diversité des liens sociaux qui peuvent exister entre eux et avec le
si nous utilisons le mot SDF, ce sera par commodité, en ayant bien
reste de la société, et donc, par voie de conséquence, une diversité
conscience des difficultés que pose la terminologie.
des réseaux de communication possibles.
Voilà pourquoi un double choix s’offre à nous : d’abord, nous
pouvons réfuter ce terme et lui préférer celui de « personnes sans
Définition de la communication.
domicile », comme le suggère M. Cardoso. Parler de personne sans
domicile permet de parler de personnes comme vous et moi, avec la
La communication est un concept difficile à définir. Il en
simple différence qu’elles n’ont pas de domicile. La barrière
existe autant de définitions qu’il y a de disciplines : anthropologie,
qu’induit le terme SDF peut alors être dépassée, en prenant garde
sociologie, sciences de l’information et de la communication,
néanmoins de cibler le phénomène des personnes qui n'ont aucun
linguistique, journalisme, psychologie, etc. L’étymologie n’est pas
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toujours un guide très sûr pour la pensée, mais ici, elle permet de
phénomène médiatique, auquel nous ferons une large part, est au
cerner un premier paradoxe, si on l’associe à l’exclusion, puisque
cœur de cette approche. La psychosociologie, elle, s’intéresse
communicare signifie « mettre en commun », « entrer en relations ».
essentiellement à la communication interpersonnelle (duelle,
Le mot « communication » a été introduit en français avec le sens
triadique ou groupale). La communication est ici considérée comme
général de « manière d’être ensemble », qui fait donc de la
un système complexe qui prend en compte tout ce qui se passe
communication un maillon du lien social.
lorsque des individus entrent en interaction, et fait intervenir à la fois
des processus cognitifs, affectifs et inconscients. Cette approche
Une première définition de la communication, assez large,
considère que différents niveaux de sens circulent simultanément. Le
pourrait être : le processus par lequel une personne ou un groupe de
rapport d’interaction qui s’établit lorsque les partenaires sont en
personnes émet un message et le transmet à une autre personne qui
présence s’analyse à trois niveaux : intrapsychique (les dimensions
le reçoit, avec une marge d’erreurs possible due, d’une part, au
de la personnalité de chacun des protagonistes), interactionnel (la
codage de la langue parlée ou écrite, langage gestuel ou autres
structure relationnelle et sa dynamique) et social (le contexte
signes et symboles, par l’émetteur, puis au décodage du message par
culturel avec ses normes, ses valeurs et ses rituels dans lequel il se
le récepteur, et d’autre part au véhicule, au réseau, au canal de
place).
communication emprunté.
Plus concrètement, dans le cadre de notre approche, nous
Cette définition générale ne prend toutefois pas en compte les
définirons donc la communication comme l'ensemble des signaux
différents axes à partir desquels l’on peut penser la communication,
émis et reçus par les différents acteurs que nous étudions ici : média,
et que nous essaierons de croiser dans notre étude. Les « sciences de
associations, SDF. Nous envisagerons ainsi les messages transmis
l’information et de la communication » proposent une approche de la
par et entre ces différents acteurs, afin de comprendre et de tenter de
communication fondée sur la transmission d’informations. Le
reconstituer les schémas de communication dont ils sont les
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produits, afin d'évaluer, dans un second temps, les conséquences
une image de lui. Ainsi peut-on se demander comment naît une
qu'ils pourraient avoir sur le public en général, mais aussi sur les
représentation des gens à la rue. Cette image et cette parole
différents récepteurs pouvant se trouver en contact avec ces
offrent-elles une vision globale de l’expérience de la rue ou au
messages.
contraire une vision fragmentaire ? C’est ce que nous avons
cherché à savoir en rencontrant parallèlement des journalistes, dont
Problématique
le travail d’information est souvent déclencheur de réactions
politiques. De quelle manière le traitement médiatique de l’exclusion
Dans le cadre de notre étude, il s’agira donc d’interroger à la
rend-il compte du phénomène ? Disposons-nous d’une information
fois la manière dont s’élabore et circule l’information sur l’exclusion
construite, cohérente, fidèle à la réalité ?
via les media, et d’étudier également comment la communication
naît en-dehors du traitement médiatique de l’exclusion. C’est dans
Autour des personnes sans domicile, une multiplicité de
ce sens que nous nous sommes posés un certain nombre de questions
communications s’établit. La plus importante est la communication
lors des rencontres « sur le terrain », entre associatifs et exclus :
médiatisée ; c’est celle qui va nous intéresser en premier chef. En
comment est-on perçu par le SDF à qui l’on parle ? Quel statut nous
effet, nos sociétés sont marquées par l’omniprésence des media.
donne-t-il ? Quel est le code commun entre le SDF et l’ADF qui
Elles sont donc sous leur emprise continue, et il est probable que la
permet à la communication de se faire jour ? Pourquoi, lorsqu’on
plupart des opinions qui se forgent soient influencées voire
l’interroge, le sans-abri nous donne-t-il certaines anecdotes et pas
déterminées par l’information disponible. Si la communication
d’autres ? Pourquoi insiste-t-il sur certains aspects particuliers de sa
directe a une importance concernant le phénomène SDF, sa
« tranche de vie » ? En somme, dans quelles circonstances sociales
médiatisation doit occuper le cœur de notre réflexion. La
le SDF se livre-t-il ? La communication est gravée dans un contexte,
médiatisation est le processus par lequel les moyens de
et fait appel à une forme de « mise en scène » où l’individu donne
communication, principalement la presse écrite, la télévision, la
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radio et Internet s’approprient des contenus informatifs pour les
de réfléchir aux objectifs qui doivent être poursuivis. Concernant les
transmettre ensuite à une audience non personnalisée. La
personnes sans domicile, il est nécessaire, selon nous, que les
médiatisation du problème des personnes sans domicile va constituer
autorités publiques adoptent une meilleure appréhension du
le cœur de notre analyse : comment les media recueillent-ils les
problème. Néanmoins, nous n'intégrerons pas dans notre analyse les
informations au sujet des SDF, et comment les transmettent-ils
actions de lobbying des acteurs associatifs auprès des acteurs
ensuite à leur audience ? Le traitement de ce sujet est-il comparable
politiques, et ce pour des raisons de cadrage du sujet. Aussi, il existe
à celui de tout autre sujet ? Quel est le poids des exigences du public
un présupposé fort qui a guidé ce choix : l’action politique est la
visé, celui des intérêts financiers ? Quel rôle joue à présent Internet ?
plupart du temps une réaction. Il n’y a mise sur l’agenda politique
Notre but est de ne négliger aucun des ressorts possibles de la
que s’il y a manifestation massive d’un besoin de la société civile,
formation d’un discours au sujet des personnes sans domicile.
s’il y a une revendication claire et structurée. Il semble qu’à cet
Il y a ensuite une communication directe. Elle a lieu entre
égard ce soient les media de masse qui donnent à ces besoins l’écho
SDF et ADF ; elle a lieu entre SDF, en sachant que les interactions
suffisant pour atteindre les acteurs politiques. La médiatisation est
visibles entre SDF ont une influence sur la manière dont les ADF les
donc conçue comme un préliminaire à l’action politique. De surcroît,
perçoivent ; elle a surtout lieu entre ADF, via les conférences et
l’information dont disposent les citoyens a une influence non
discussions qui s’ouvrent quotidiennement sur le sujet. La principale
seulement sur leur manière d’appréhender le sujet, mais également
communication entre ADF est celle réalisée par les associations.
sur la manière de se comporter vis-à-vis des personnes sans
Comment utilisent-elles les media pour faire valoir leurs intérêts et
domicile. C’est dans cette optique que nous analyserons ainsi les
valeurs ? Comment parviennent-elles à communiquer en dehors des
stratégies à adopter pour communiquer efficacement sur la grande
media ? Cette communication parvient-elle à toucher une audience
exclusion, en accordant une place particulière à ce qu’on peut
large et à « l’activer » ?
considérer comme une rupture dans ce domaine : l’action des
La réflexion sur l’efficacité d’une communication nécessite
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Enfants de Don Quichotte, fondée sur la réalisation de « coups
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La communication de l’exclusion
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médiatiques ». Dans quelle mesure cette stratégie peut-elle permettre
remplir
de mobiliser décideurs et consciences citoyennes autour du
l’amélioration de l’appréhension du phénomène SDF ?
phénomène ? Au vu de ses limites et de ses atouts, nous nous
- La communication est cependant en proie à des évolutions qui
demanderons si cette approche peut constituer à elle seule l’avenir
ouvrent des pistes d’amélioration : en quoi les enfants de Don
de la communication autour de la grande exclusion.
Quichotte, Internet ou la prise de parole par les SDF sont-ils ou
Nous
en
particulier
médiatique, mais aussi politique et citoyenne, du phénomène
former
SDF ?
des
SDF.
les
s’assignent,
d’interactions entre associations, media et SDF qui concourent à
autour
sur
qu’elles
peuvent-ils devenir les éléments d’une meilleure prise en charge
message
interrogerons
buts
mécanismes
un
nous
les
A
l’arrivée,
la
communication des media et des associations, ainsi que leurs
évolutions, parviennent-elles à créer un message susceptible de
potentialiser une prise en charge politique et citoyenne de la
question ? Nous pourrons procéder en trois temps :
- il conviendra d’abord d’évaluer la médiatisation du
phénomène SDF : est-elle globalement satisfaisante au regard
des enjeux soulevés par le problème ? Quelles sont les ressorts de
la médiatisation, et comment Internet modifie-t-il cet état de
fait ?
- il y a un second niveau dans la communication autour du
phénomène SDF : celle effectuée par les associations. Dans quelle
mesure
l’arbitrage
communication
médiée/communication
directe procède-t-il d’un choix qui permet aux associations de
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La communication de l’exclusion
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toujours plus grand. Dans une certaine mesure, cette littérature
rejoint le développement, depuis les années 80, des éthiques de la
responsabilité et des théories de la justice impliquant une
redistribution plus forte. Ainsi, par exemple, l'idée de responsabilité
LA DEMARCHE ET LA REFLEXION
globale de Peter Singer, mais aussi la responsabilité négative de
Michael Pogge, trouvent finalement leur échos dans cette littérature
orientée vers les SDF.
Les recherches bibliographiques et ouvrages publiés sur le sujet
Avant de commencer notre recherche, il est apparu utile de
Ainsi, de nombreux ouvrages se penchent sur la nécessité d'action,
consulter les ouvrages de référence déjà parus sur le thème. De fait,
au moins autant que sur le phénomène SDF en lui même. La vision
le sujet a été souvent traité ces dernières années, principalement sous
porte donc aussi, souvent, sur les politiques publiques et sur les
les aspects sociologique et politique: il semble que la question SDF
critiques que l'on peut en faire. On peut notamment citer le livre de
ait pris de l'importance ces dernières années.
Patrick Gaboriau et de Daniel Terrolle, SDF: critique du prêt à
Depuis l'appel de l'Abbé Pierre et la création d'Emmaüs, de
penser, qui est une charge contre l'inaction des pouvoirs publics sur
nombreuses actions ont été menées pour améliorer le sort des plus
la question des SDF, en mettant notamment en évidence les effets
démunis. Mais cette question était en quelque sorte entrée dans le
d'annonce et la malléabilité des chiffres qui, finalement, sont
paysage urbain et se posait avec moins d'acuité, jusqu'aux premières
suffisamment peu clairs pour être malléables en fonction des
actions, menées il y a quelques années, par les Enfants de Don
nécessités politiques.
Quichotte. Plus généralement, cette littérature semble être assez
symbolique de certains courants philosophiques et politiques
D'autres ouvrages ont pour but principal de faire œuvre de
modernes, avec un souci des autres et des responsabilités de chacun
pédagogie: c'est le cas, par exemple, du livre de Véronique Mougin
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La communication de l’exclusion
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simplement intitulé : les SDF. Son but, dans cet ouvrage, est de faire
éléments de repères pour mieux cerner le profil des « personnes de la
un portrait, ou du moins de tenter d'expliquer qui sont les SDF. La
rue », revient sur l’esprit de son association, fondé sur la rencontre
question qui se pose, en consultant ce type d'ouvrage, est
« à mains nues », le partage et l’accompagnement. Cette approche
principalement une question de l'identification et de son corollaire,
est novatrice dans le paysage caritatif français, car elle tend à
la différenciation: en quoi le SDF est-il différent du moi, lecteur
montrer que la souffrance des personnes de la rue va bien au-delà de
ADF? Quels sont ses points communs, et ses différences avec la
la seule détresse économique et matérielle et renvoie plus
personne que je suis? Quelles conséquences cela peut il avoir? Cela
profondément à la question de la dignité de ces personnes.
nous a aussi fait réfléchir sur l'importance de ce thème pour les
Ces ouvrages tranchent assez largement avec d'autres,
lecteurs, et sur l'idée, de plus en plus répandue dans la société, que
beaucoup plus sociologiques et plus anciens, que nous avons aussi
chacun peut être touché par la précarité, à tout moment ou presque,
eu l'occasion de consulter: un bon exemple pourrait être le livre Les
et que les SDF sont finalement des gens qui étaient « comme nous »,
Affranchis (étiquetés SDF, drogués, marginaux: ils s'en sont sortis!)
mais qui « n'ont pas eu de chance ». Dans une démarche encore plus
qui à première vue effectue un amalgame entre les différentes formes
descriptive et humaine, J’habite juste en bas de chez vous est un
de difficultés sociales : exclusion sociale, absence de logement,
ouvrage écrit par Brigitte, une ex-SDF qui raconte son passage à la
problème de drogue, en se concentrant sur les personnes ayant des
rue de façon simple et passionnante. Cette prise de parole par une
problèmes et difficultés multiples, allant souvent au-delà de ce qui se
ex-SDF constitue une forme exemplaire de communication de
rencontre habituellement dans la rue (nous pensons notamment au
l’exclusion, même si elle tend à montrer qu’on en parle surtout
témoignage d'une femme, devenue SDF après avoir été toxicomane,
quand on en sort. Enfin, les éditions Nouvelle Cité ont récemment
battue
publié un livre d’entretiens avec Jean-Guilhem Xerri, président de
relationnelles importantes). Surtout, certains ouvrages sont devenus
l’association « Aux Captifs, la libération », intitulé A la rencontre
des ouvrages de référence par leur rigueur sociologique : ainsi,
des personnes de la rue. Jean-Guilhem Xerri, après avoir donné des
Julien Damon, dans La question SDF, critique d’une action publique
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par
son
compagnon
et
connaissant
des
difficultés
La communication de l’exclusion
Juin 2008
propose une grille de lecture permettant de saisir la diversité des
concentrée, du moins pour la première partie de notre recherche, sur
propriétés, des croyances et des appréciations relatives à la question
la communication médiatique. Nous avons envisagé la question des
SDF. D'une part, il analyse la logique de "ciblage" qui caractérise la
médias de manière assez large: il nous a ainsi semblé intéressant
prise en charge des SDF et, d'autre part, les pratiques de "bricolage"
d'étudier, dans un premier temps, une communication plus directe,
développées à la fois par les bénéficiaires et par les acteurs de cette
par le biais des nouvelles technologies, avant d'étudier les journaux
prise en charge.
plus classiques. Ces deux types de médias présentaient néanmoins
un point commun : celui de représenter tous deux des médias écrits,
permettant une analyse textuelle et un détachement du contexte plus
Réflexion méthodologique
aisé, ainsi que des relectures et références plus fréquentes.
L’étude des messages émis par les différents acteurs de la
communication étant assez large, nous nous sommes concentrés sur
Nous avons voulu aborder notre sujet en suivant plusieurs étapes
des messages écrits et des témoignages directs afin de refléter le plus
distinctes. A la suite de notre première réunion, nous avons eu à nous
fidèlement possible les positions et idées de chacun de ces acteurs.
documenter sur notre sujet : La Communication de l’Exclusion. Les
La communication de l'exclusion, telle que nous l'avons étudiée, a
différents ouvrages que nous avons consultés nous ont permis de
ainsi
la
nous faire une idée de l’étendue de notre projet. Nous nous sommes
communication des journalistes et les traces écrites que leurs travaux
rendu compte que la majorité des documents parus sur ce sujet ne
représentent. Au-delà de cette communication des journalistes vis-à-
traitait que de la partie « exclusion » et que peu d’écrits existaient
vis de leurs lecteurs et du public qu'ils touchent, nous avons voulu
sur la médiatisation de ce phénomène. A cela s’ajoute le fait que les
mettre l’accent sur l’interaction entre les acteurs, par le biais de
travaux sur le sujet n’ont pas dans leur ensemble intégré
discussions et d'interviews sur les différents aspects de l’exclusion.
l’avènement de nouveaux moyens de communication tels qu’Internet
été
une
Notre
communication
réflexion
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principalement
méthodologique
s'est
écrite
–
principalement
ou encore les blogs.
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
Les questions qui furent formulées dans les deux guides d’entretien
C’est en ce sens que nous nous sommes référés à ce qui s’écrit de
nous ont permis à chacun d’avoir un support lors des interviews
nos jours sur l’exclusion, en particulier sur la « toile ». Nous avons
qu’il nous a été donné de faire. Nous n’avons certes pas toujours
pu, grâce à nos recherches Internet, nous faire une idée de la façon
repris mot pour mot les questions déjà formulées dans ces guides
dont la question de l’exclusion et par extension de la grande
mais nous nous en sommes largement inspiré afin que nos interviews
exclusion est abordée par les média contemporains. Internet a été
suivent une logique cohérente. En effet, nous nous sommes tous
pour nous une banque d’informations importante car il permet de
rendus compte que le seul fait d’entamer une discussion avec nos
stocker les diverses formes de communication qu’utilisent les média
interlocuteurs sur notre sujet pouvait par exemple susciter le besoin
contemporains : articles de presse, journaux télévisés…etc.
chez ces derniers de parler d’un sujet annexe (comme par exemple la
précarité chez les jeunes). Il était donc essentiel de laisser notre
Ces média se distinguent réellement par la liberté de paroles qui est
interlocuteur s’exprimer librement sur le sujet, mais de rythmer
réservée tant aux journalistes, qu’à d’autres acteurs tels que les
l’entretien par des questions neutres, ouvertes. C’est pourquoi ces
blogueurs. On s’est tout particulièrement attaché à l’étude des blogs
guides se sont révélés très utiles dans la mesure où ils nous ont
car ceux-ci apparaissent comme des « sources d’information
permis de recadrer bon nombre d’entretiens.
citoyennes » où les intéressés peuvent faire part de leur opinion sans
restriction et de façon « spontanée ». Mais dans l’ensemble, le
Par ailleurs, la rédaction de tels guides a constitué une nouveauté
recensement des documents récents relatifs à notre sujet nous a
pour nous. Ce qui impliqua souvent la modification de certaines
permis d’ébaucher deux guides d’entretien : l’un destiné aux acteurs
tournures ou de certaines questions selon les interlocuteurs que nous
du monde associatif ; l’autre destiné aux journalistes et aux
avions en face de nous. L’ensemble des personnes que nous avons
personnes qui ont déjà communiqué sur le thème de l’exclusion.
pu interroger a répondu assez ouvertement à toutes nos questions et
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
nous a permis à partir de leurs analyses de forger notre propre
communication sur le sujet de l’exclusion ; mais il vise aussi à
opinion sur un sujet, qui quelques mois auparavant nous paraissait
proposer des pistes d’amélioration en termes de méthodes de
flou ou complexe. Le contenu de ces guides fut ainsi enrichi de
communication. Et ce, de sorte que les citoyens français soient
l’ensemble des expériences racontées par les acteurs de la
beaucoup plus sensibilisés à la question de l’exclusion. Notre
communication que sont les journalistes et les associatifs.
rapport tend ainsi, humblement, à avoir une portée sociale.
Nous avons également pu participer à des événements
A cela s’ajoute le fait que certains membres de notre groupe
organisés par des associations d’aide aux SDF (à l’exemple de la
ont pu se rendre sur place, dans la rue, et participer aux maraudes
Nuit Solidaire pour le Logement organisée le 21 février 2008). Ces
organisées par le collectif paroissial Antigel dirigé par Monsieur
actions citoyennes de solidarité envers les sans-abris nous ont permis
Pierre Abraham. Ce fut une expérience très enrichissante dans la
de voir l’importance que peut avoir la couverture médiatique de
mesure où cela nous a d’abord permis de nous rendre compte de la
telles manifestations. Nous avons constaté que la sensibilisation
dure réalité à laquelle sont confrontés les SDF. Donner un sens
massive de la population française passait principalement par le
concret et humain au phénomène SDF était essentiel et a constitué
recours à des média tels que la télévision ou internet. Ces
l’une des bases empiriques indispensables à notre étude. D’autre
manifestations furent pour nous l’occasion de confirmer des
part, ces maraudes nous ont fait prendre conscience de la portée de
hypothèses et de vaincre quelques présupposés. En effet, ces
notre travail de réflexion sur la communication de l’exclusion. Nous
manifestations nous ont permis de nous rendre compte de l’urgence
ne voulons pas en effet que notre travail reste lettre morte et vienne
des situations des personnes souffrant de l’exclusion. Par ailleurs, la
s’accumuler à la longue pile des travaux qui ont été faits sur
forte implication des médias et les méthodes adoptées par les
l’exclusion. Le rapport que nous avons entrepris vise certes à faire le
organisateurs que l’on a pu observer, reflétaient les interactions entre
constat de ce qui a déjà été fait et de ce qui se fait en matière de
les acteurs de la communication de l’exclusion. Elles nous ont
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La communication de l’exclusion
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une connection permanente à ces media.
également permis de réfléchir aux moyens possibles pour améliorer
les formes de communication adoptées par le monde associatif.
Ainsi, conscients qu'il serait restrictif de se limiter à un seul
média, et, plutôt que de se concentrer exclusivement sur des medias
et des types de communication traditionnels, nous nous sommes
aussi interrogés sur l'impact des nouvelles technologies sur la
La méthodologie des recherches Internet
communication de l'exclusion.
Pour analyser la communication de l'exclusion, il fallait
De fait, il nous a semblé que certains mouvements de lutte
définir le périmètre de cette communication. Il est assez vite apparu
contre l'exclusion étaient jeunes, et se proposaient de nouveaux
que la presse écrite était un média particulièrement intéressant à
moyens d'action (on peut notamment penser aux Enfants de Don
analyser : elle touche un public relativement large et permet ainsi de
Quichotte). Il semblait donc logique de se demander s'ils n'utilisaient
réfléchir à la communication de l'exclusion en termes de média de
pas de nouveaux moyens de communication, notamment Internet.
masse. Elle présente un double aspect de réactivité à l'actualité, mais
Mais principalement, les nouvelles technologies nous ont
aussi d'analyse : il nous a été en effet possible de lire aussi bien des
semblé être un nouveau moyen de communication pour les exclus
brèves sur les points d'actualité relatifs aux SDF, que des articles de
eux mêmes. La révolution Internet, selon la doxa, est une révolution
fonds, de recherche ou de reportage, sur la question des SDF, que ce
de l'information avec la possibilité pour tous de communiquer et de
soit dans une perspective sociologique ou via une interrogation sur
donner son avis ; dans ses conditions, nous nous sommes demandés
les revendications des associations.
si les SDF, et plus généralement les exclus, avaient accès à ces
La presse audiovisuelle, en revanche, n’a pas pu être
nouvelles formes d'expression. Plus précisément, nous nous sommes
analysée avec précision pour des raisons pratiques. En effet, mesurer
concentrés sur l'existence de blogs SDF. Existent-ils, quelles formes
en temps réel l’information liée à la grande exclusion aurait supposé
prennent-ils? Et plus généralement, comment s’effectue la
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La communication de l’exclusion
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communication des exclus sur la blogosphère ? Nous avons donc
récepteurs du message ainsi envoyé : la communication implique de
également envisagé la parole des associations, en tant que relais des
fait que le message soit reçu. Pour tenter d'évaluer cette question,
idées, des volontés, des paroles des exclus. Cependant, nous nous
nous avons consulté les messages envoyés sur les sites, livres d'or et
sommes concentrés sur la parole de ces derniers, avec une limite
commentaires.
claire liée à l'anonymat de ce type de média, et à l'absence de
Enfin, la dernière question était celle de la création, ou non,
contrôle de la véracité des informations publiées : nous nous
d'une communauté Internet sur le sujet, ou du moins du lien entre les
sommes ainsi focalisés sur l'information qui nous semblait la plus
différents sites et blogs, et de leurs connexions avec l'extérieur. Pour
crédible, mais sans a priori, en analysant toutes les sources trouvées
répondre à cette question, nous avons analysé les liens proposés par
dans nos recherches.
les sites, et nous nous sommes demandés ce que ces liens pouvaient
Concrètement, celles ci se sont déroulées de manière
nous apprendre sur la volonté, ou les objectifs de l'auteur du blog ou
classique, en utilisant des mots clés dans les principaux moteurs de
recherches,
notamment
« blog »,
« SDF »,
« exclusion »,
du site.
et
« Logement ».
L'utilisation de ce type de moteurs de recherches permet de
plus une évaluation sommaire de l'audience de ces sites, l'ordre
d'apparition pendant la recherche se faisant en effet selon le nombre
de visiteurs de la page. Bien que très limité, cela permet de donner
au moins une idée du type de site recherché et consulté par les
personnes intéressées par notre problématique, ou du moins de se
rendre compte, par la suite, de l'audience des sites trouvés. Ainsi,
cela permettait partiellement de répondre à la question des
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La communication de l’exclusion
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souvent superficiel, de l’avis des associatifs. Tout d’abord, il se
I Une médiatisation du phénomène SDF qui reste insatisfaisante
caractérise par l’existence de nombreuses brèves, des petits textes
au regard des enjeux soulevés par les associations
uniquement factuels, lesquels relataient la plupart du temps la mort
d’une de ces personnes. Ainsi, ces évènements trouvent un
A-Une médiatisation peu optimale, qui cache néanmoins des
traitement comparable à celui des accidents de voiture, ce qui s'avère
approches différenciées selon les media
insupportable pour les acteurs associatifs. Selon Pedro Meca,
« informer sur la mort d’un SDF, ce n’est pas informer. S’est-on
1- La médiatisation actuelle n’est pas satisfaisante au regard des
intéressé à l’individu, à son âge, ses particularités ? ». Les brèves
enjeux soulevés par le problème des personnes sans domicile
sont le traitement par excellence de la partie visible de la grande
exclusion, de ses symptômes.
Selon
l’opinion
générale
des
acteurs
associatifs,
la
médiatisation du problème des personnes sans domicile présente des
Ensuite, le traitement de l’information n’est pas seulement
lacunes. Elle est ici présentée sous la forme d’un constat général,
jugé comme superficiel lorsqu’il se caractérise par des brèves. Les
sans nuance selon le type de structure qui médiatise. Ces lacunes
articles plus longs sont également critiqués pour leur focalisation sur
sont de deux ordres : le traitement du sujet est d’une part superficiel
les symptômes de l’exclusion (conditions de vie, difficultés
et d’autre part saisonnier. Ces lacunes doivent être mises en relief
quotidiennes…). De plus, il reste des articles qui traitent du sujet de
avec la médiatisation que l’on souhaiterait.
manière émotionnelle ou compassionnelle. Or, faire pleurer dans les
chaumières n’est pas, selon nous, une manière optimale d’informer
sur les personnes sans domicile. Selon H. Cardoso, la presse manque
Un traitement « superficiel »
parfois de recul pour traiter ces sujets délicats. Il donne un exemple :
la proposition de N. Sarkozy de faire « adopter » par un enfant de
Le traitement par les journalistes des thèmes liés aux SDF est
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La communication de l’exclusion
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primaire une des victimes de la Shoah a fait couler énormément
Il s’agit d’une opinion qui semble répandue chez les
d’encre. Le même jour, des policiers ont expulsé violemment une
associatifs. Précisons néanmoins qu’elle n’oublie pas la part des
famille d’étrangers dans le XIIIème arrondissement. Cet événement
journalistes qui réalisent un travail de fond sur le sujet, qui s’y
n’a eu droit qu’à un petit encart dans les journaux. Or, selon lui, « la
intéressent, et vont sur le terrain. E. Rive, de l’Humanité, en fait un
presse a un devoir d’analyse et de confrontation. Dans ce cas
acte de militance devant l’injustice de la situation des personnes sans
d’espèce, les deux évènements étaient à rapprocher car ils
domicile. Selon elle, nombreux sont les journalistes qui ont construit
représentaient d’une part la lutte contre l’inacceptable et d’autre part
une vraie déontologie de l’information et qui tentent de donner
l’inacceptable. »
matière à informer et sensibiliser via leurs articles.
Enfin, selon Martin Choutet, le traitement du thème par les
media
est
simplement
insuffisant
quantitativement
et
La saisonnalité
qualitativement. Les media ne parlent que dans l’urgence de
Il est cependant une seconde lacune à la médiatisation
problèmes insupportables, car ils interrogent la société dans son
actuelle des thèmes liés aux SDF : la saisonnalité. Elle peut
ensemble. Selon lui, le fait qu’on laisse des gens dans le plus grand
d’ailleurs être vue comme un symptôme du caractère superficiel du
dénuement, avec une espérance de vie de 45 ans, devrait être plus
traitement de l’information lié aux SDF, dans la mesure où une
présent dans les media, « car c’est simplement dramatique ».
information saisonnière verse dans l’émotionnel et non dans
Néanmoins, il note une évolution positive ces dernières années. Il y
l’explication profonde des tenants et aboutissants de la grande
a eu un réel effort de pédagogie de la part des acteurs impliqués,
exclusion. Alors que les SDF cherchent à survivre toute l’année,
ainsi que des évènements fédérateurs qui ont su mobiliser les
l’information les concernant se concentre sur les mois d’hiver, en
journalistes et les hommes politiques autour du sujet. Les Français
particulier dans la période avant Noël. Nos analyses des principaux
ont aujourd'hui davantage conscience du problème qu’auparavant.
quotidiens prouvent une quasi-absence d’articles liés aux SDF
pendant le printemps et l’été. Or, selon M. Abraham, « l’été est
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La communication de l’exclusion
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souvent la période la plus dure, dans la mesure où beaucoup de SDF
plus que sur l’exigence de refléter la réalité.
souffrent d’hypothermie [les médecins spécialistes du domaine, tel
Xavier Emmanuelli, insistent sur ces risques particuliers de la
En outre, une idée semble répandue : le sans-abrisme en été
rue]. D’ailleurs les corps des indigents sont souvent enterrés en été
est parfaitement supportable. Or, rappellent les associations, ce sont
sans aucune information quant à leur identité ». Notons cependant
les conditions liées à la rue, et non le froid, qui tuent le plus : la
qu’il existe des exceptions, et que certains media parlent tout de
malnutrition, l’inconfort, l’alcool, l’insalubrité, la violence… C’est
même des personnes sans abri durant l’été. Certains journaux,
tout le sens du slogan qui a été abondamment relayé par les
comme La Croix, en ont même fait un principe.
associations de tous bords : « c’est la rue qui tue ». Alors qu’il était
porté par les associations d’une seule voix, ce slogan n’a pas pris.
En réalité, le thème des SDF est devenu pour les journalistes
Les acteurs associatifs n’ont pas compris pourquoi, mais il a été très
un marronnier caractéristique de la période qui précède Noël. Il est
peu utilisé par les media. Ainsi, il semble qu’une « certaine
intéressant de se demander pourquoi les journalistes n’informent
saisonnalité » du traitement de l’information sur les SDF soit
qu’à un moment précis sur un sujet qui existe sans interruption.
inéluctable, d’après H. Cardoso.
D’après M. Abraham, « on ne parle des SDF que lorsqu’il fait froid,
car les gens sont alors plus sensibles. Mais il faut savoir que les SDF
L’existence d’une saisonnalité dans le traitement de la grande
souffrent toute l’année ». Cette sensibilité constitue une clef
exclusion n’est pas contestable. Néanmoins, ce thème mérite de se
explicative du phénomène, dans la mesure où les media s’adressent
poser la question de la pertinence de cette situation : et si informer
alors à une audience réceptive et demandeuse. A l’inverse, on peut
lorsque les gens sont les plus sensibles était une bonne chose ? En
supposer qu’un article sur les SDF en plein été, alors que les
effet, cette information massive en hiver permet de sensibiliser les
Français sont à la plage, serait moins bien reçu: on peut penser que
lecteurs, alors qu’un article paraissant lorsqu’ils sont peu réceptifs
les media relayent l’information selon les modalités de réception
pourrait au contraire susciter du rejet. Néanmoins, il apparaît que le
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La communication de l’exclusion
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phénomène de la saisonnalité est regretté à la fois par les journalistes
médiatisation »
et par les associations, et ce pour différentes raisons. D’abord, parce
qu’elle pratique une distorsion de la réalité. Il est ensuite probable
La médiatisation de la grande exclusion présente donc des
que les SDF se sentent encore plus oubliés en été, bien que nous
lacunes. Mais des lacunes par rapport à quoi ? Quelle médiatisation
n’ayons pas pu étayer cette information par des enquêtes. De plus,
serait optimale ? Tous les sujets ne font-ils pas l’objet d’un
parler des sans-abri en hiver, c’est tomber plus facilement dans le
traitement biaisé ? Quelle médiatisation serait souhaitable ?
compassionnel facile, dans l’évènementiel, ce qui revient à oublier le
caractère structurel du problème. Pour M. Louis, « le problème du
D’abord, il est important de signaler que les SDF ne sont pas
caractère saisonnier des reportages médiatiques est qu’ils sont aussi
un sujet comme les autres, car l’extrême pauvreté reflète la
faits pour donner bonne conscience mais ne vont pas au-delà ». La
cohérence d’une société avec les valeurs affichées. Comme le
saisonnalité mène à oublier qu’il s’agit d’une responsabilité
rappelle M. Choutet, la France peut être championne du monde à
collective, celle de ne pas oublier que les SDF sont le reflet d’une
l’heure de reprocher des abus au Tchad ou à l’Iran, mais elle ne
société qui ne sait pas se regarder. Selon lui, on peut connaître une
parvient pas à respecter ces droits sur son territoire. L’extrême
société à travers ses éléments les plus pauvres. Une société qui ne
pauvreté interroge la société dans son ensemble : quelle dignité
sait pas parler correctement de ses exclus toute l’année présenterait
accorde-t-elle aux plus démunis ? Le thème des personnes sans
ainsi un problème ontologique déplorable. Pour autant, il ne s’agit
domicile permet de jauger le lien social, et pour cette raison la
pas de parler moins des SDF pendant l’hiver, mais simplement ne
médiatisation du sujet se doit d’être à la hauteur.
pas les oublier pendant l’été, alors que leurs conditions de vie restent
précaires.
Qu’entend-on par une médiatisation « à la hauteur » ? Il
apparaît qu’elle serait bonne si elle parvenait à remplir l’objectif
Une situation insatisfaisante par rapport à ce que serait une « bonne
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suivant : que les media parviennent à montrer qu’il s’agit d’un enjeu
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La communication de l’exclusion
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sociétal qui interroge chacun des membres du pacte social. Pour ce
davantage de profondeur les ressorts de la construction de cette
faire, deux idées forces sont à mettre en exergue :
information, afin de pouvoir avancer des solutions plus adéquates et
-
d’après H. Cardoso, il est important de ne pas présenter les
nuancées. La première exigence est la suivante : éviter les
SDF comme des personnes différentes du reste de la société.
généralisations entre les types de media. Pour cela, il semble
En mettant en lumière une différence, les media incitent à ne
indispensable d’effectuer une typologie des media.
pas regarder le problème de façon globale.
-
La description de la complexité de la réalité du monde SDF,
2- Une typologie des médias
afin de s’éloigner des préjugés et du prêt-à-penser. Pour ce
faire, selon M. Choutet, « une approche dans le temps [et non
Il est impossible, pour comprendre la manière dont le thème de la
saisonnière] serait souhaitable, avec une explication profonde
grande exclusion est traité par les médias, de ne pas procéder en
des causes de l’exclusion, des mécanismes qui mènent à elle,
premier lieu à leur typologie. Celle-ci joue à deux niveaux. Le
et des solutions qui sont possibles. Par exemple, il y a eu
premier
beaucoup d’articles sur nos actions [NLDR : des enfants de
(principalement la télévision, la presse écrite, la radio, et Internet,
Don Quichotte], je pense notamment à Politis, mais très peu
média sur lequel nous reviendrons plus en détail à la fin de la
sur les actions envisageables pour solutionner le problème du
première partie), pour cerner les approches de chacun d’entre eux,
logement ».
en fonction de leur mode de transmission et de communication. Le
fera
une
distinction
entre
les
différents
média
second niveau de la typologie est un affinage du premier. Il s’agira
Des solutions plus globales seront esquissées en fin d’analyse.
de voir quelles peuvent être les différences au sein d’une catégorie
Cependant, ce bref constat ne fait que cadrer la situation actuelle, où
de médias, et les raisons pour lesquelles l’information dont nous
il semble que la médiatisation de la grande exclusion n’est pas
disposons sur la grande exclusion n’est pas délivrée de la même
optimale. Tout travail sérieux doit cependant analyser avec
façon.
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La communication de l’exclusion
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pour le journal de France 2. Ce média de masse utilise l’image pour
a) Un paysage médiatique foisonnant qui engendre un éclatement de
support, et c’est principalement sur ce point que se cristallisent les
l’information et révèle des approches différentes du traitement du
critiques qui lui sont adressées de la part des associatifs.
thème de l’exclusion.
Notre société se caractérise par la multiplication des supports
Néanmoins, ce jugement négatif concernant le traitement de
d’information et de communication. Nous prendrons en compte,
la question de l’exclusion par la télévision rejoint des critiques plus
dans notre analyse, quatre principaux média : la télévision, la radio,
généralement adressées à ce média : analyses superficielles,
la presse et Internet, (dans la mesure où ils représentent à l’heure
partialité des propos des journalistes, caractère spectaculaire du
actuelle les instruments de communication les plus utilisés).
traitement de l’information. Ce sont les travers de la télévision
Chacune de ces catégories de médias possède un rapport singulier à
qu’Aurore de Montalivet, responsable de la communication de
l’information, qu’il s’agira d’étudier pour mieux en montrer les
l’association Aux captifs, la libération, choisit de souligner quand on
caractéristiques. Si les médias sont globalement jugés de manière
lui demande son avis sur la médiatisation de l’exclusion. Ainsi
négative par les acteurs associatifs de la lutte contre l’exclusion, tous
raconte-t-elle une anecdote révélatrice des procédés de sélection de
n’ont pas la même approche de cette thématique.
l’information par certains journalistes de télévision : « Pour le repas
La télévision semble, de l’avis de nos interlocuteurs, être le média le
de Noël des Captifs, nous avions invité Christine Boutin. Elle est
plus insatisfaisant en termes de qualité de l’information. Et pourtant,
venue, mais il est vrai que les SDF ne lui ont pas parlé. Ils ne lui ont
quelques statistiques sont révélatrices du poids de ce média
pas parlé, mais ne lui ont rien reproché non plus. On sentait même
traditionnel dans la vie quotidienne des Français. Objet-clé de la
chez eux de la reconnaissance. Des journalistes de télévision qui
culture populaire devenu l’un des principaux médias d’information,
étaient au courant du déplacement de Christine Boutin sont arrivés et
la télévision, que 94 % de Français possèdent, est allumée environ
ont voulu interviewer les SDF en leur demandant avec insistance ce
3h30 par jour (4h15 le dimanche). Le journal de 20 heures est suivi
qu’ils pensaient des mesures du gouvernement. En fait, les SDF qui
chaque soir sur TF1 par 10 millions de personnes, contre 6 millions
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La communication de l’exclusion
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étaient là avaient surtout envie de profiter de l’ambiance chaleureuse
déplorent que trop d’articles de presse sur le sujet de l’exclusion ne
et bon-enfant de la soirée, mais face à l’insistance des journalistes,
soient que de « l’actu », sous forme de brèves.
l’un d’entre eux s’est lâché, a tenu le discours contestataire que les
journalistes voulaient entendre, et naturellement, c’est cet épisode
C’est ce qu’ils reprochent également à la radio, mais dans
qui a été sélectionné pour le journal télévisé. » La télévision, plus
une moindre mesure, compte tenu de son audience jugée faible par
que d’autres médias, fait signe vers l’ « extra-ordinaire », le
rapport aux autres média. Les journalistes de France Info que nous
sensationnel, ou se contente de « faire de l’actu », comme le disent
avons contactés ont reconnu qu’ils ne parlaient de l’exclusion que
les acteurs du monde associatif. Ces reproches concernent moins, de
lorsqu’un événement d’actualité s’y rattachait. Le paradoxe se situe
manière générale, la radio ou la presse, considérés comme des
dans le fait que ces journalistes veulent donner une image fidèle de
médias plus profonds. Aurore de Montalivet, pour nuancer le
la réalité en se contentant de relater l’événement, et qu’au contraire,
jugement globalement négatif qu’elle porte sur la médiatisation de
c’est une vision très fragmentaire, et donc très superficielle, qu’ils
l’exclusion, reconnaît qu’il existe des « articles de fond dans certains
offrent aux auditeurs.
journaux ». La presse est en effet davantage épargnée par ces
reproches, d’une part parce que les associatifs travaillent davantage
Internet enfin, qui prend une place de plus en plus importante
en collaboration avec des journalistes de presse écrite qu’avec des
dans le paysage médiatique, se caractérise par un éclatement de
journalistes d’autres médias, et d’autre part parce que certains
l’information et par une multiplicité de supports. Ce média utilise en
journaux ont une ligne éditoriale qui consacre une large part aux
effet l’image (design du site, photographies, logos, animations, etc.),
questions sociétales et traitent plus que d’autres la problématique de
le son (musiques, vidéos) et le texte. Il reprend les caractéristiques
l’exclusion (tels La Croix ou L’Humanité) – ce qui n’est pas le cas
propres à chaque autre catégorie de média. Internet permet ainsi de
d’une chaîne de télévision ou de radio. En revanche, les associatifs
communiquer de manière plus originale, fait appel à la créativité et
peut ainsi être plus percutant. Nous en étudierons l’impact plus loin.
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La communication de l’exclusion
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L’inconvénient d’Internet cependant réside dans son « étoilement ».
Comme nous l’avons esquissé plus haut, il existe plusieurs
Cet étoilement est dû à la diversité des émetteurs. Concernant la
types de presse. Certains journaux parlent plus de la grande
communication de l’exclusion, ceux-ci peuvent être de différentes
exclusion en raison d’une ligne éditoriale fondée sur les
natures :
Internet
problématiques sociales. Dans ces journaux, il existe des journalistes
différemment en fonction des objectifs qu’elles poursuivent. Cf.
spécialisés dans les questions d’exclusion, ce qui n’est pas le cas des
deuxième partie), mais aussi tous les autres média (télévision, radio,
journaux plus « généralistes » comme Le Monde ou Le Figaro.
presse) qui ont leurs propres sites, sur lesquels on retrouve
D’autre part, un journal comme La Croix essaie d’éviter le travers de
l’information qu’ils délivrent à travers leur support initial. Enfin, les
la saisonnalité en proposant des articles sur l’exclusion tout au long
blogs écrits par des individus lambda sont aussi une source
de l’année. L’un d’eux portait justement sur cette question de la
d’information sur l’exclusion. La communication de l’exclusion à
permanence des difficultés rencontrées par les SDF, et sur les
travers Internet est donc encore plus difficile à cerner que dans les
conditions de vie en été, période que l’on croit moins rude que
autres médias, car il est difficile de lui trouver une unité, à cause de
l’hiver, mais qui l’est en réalité davantage. Marine Lamoureux, qui
son éparpillement.
fut longtemps responsable des questions relatives à l’exclusion à La
associations
principalement
(qui
utilisent
Croix, souligne la volonté très affirmée du journal de ne pas se
b) La communication de l’exclusion est différente au sein de
contenter de simples brèves sur le sujet. Elle nous a également fait
chaque catégorie de médias : l’exemple de la presse.
part de sa frustration lorsqu’elle dut créer un jour une rubrique
rapportant des témoignages de sans-abris. « J’ai travaillé avec des
Si les approches sont différentes entre chaque catégorie de
associations afin de rencontrer les exclus eux-mêmes, mais à cause
médias, elles le sont aussi à l’intérieure même de chacune de ces
de contraintes de temps, je n’ai pas pu faire une rubrique
catégories.
suffisamment travaillée, informée. J’étais extrêmement frustrée car
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a) Les associations
je mettais un point d’honneur à éviter de faire quelque chose de trop
superficiel, de trop anecdotique. »
Lors de l’élaboration de leurs articles et lors de leur travail de
recherche sur le sujet de l’exclusion, les journalistes font face à la
Cependant, le champ de la presse est plus large encore,
question des sources d’information. Celles-ci s’avèrent très
puisqu’il faut également faire un sort à la presse locale (Le Parisien,
importantes dans la mesure où il s’agit pour eux de rendre la réalité
Ouest France, L’Est républicain, etc.), qui essaie de rester proche
des faits de la façon la plus précise possible. Pour ce faire, le recours
des préoccupations quotidiennes de son lectorat et publie davantage
aux témoignages de membres d’associations d’aide aux sans abris
que les grands journaux nationaux des articles sur l’exclusion à
constitue une garantie de fiabilité sur des sujets ayant un lien avec la
partir de faits divers. Enfin, il existe toute une presse marginale,
grande exclusion. Ces associations sont certes diverses et ne
prenant la forme de « journaux citoyens » ou de « journaux de rue ».
délivrent pas le même message, mais elles constituent une source
Ils sont en général diffusés chaque mois, et vendus par des personnes
d’information unique et riche - en raison de leur très grande
de la rue. Avec un nombre de pages modeste (entre 16 et 20 pages),
proximité au problème de la grande exclusion. La perception des
ces journaux proposent des témoignages, des récits, des conseils
journalistes par les associations est parfois mêlée de méfiance, car
pratiques de vie à la rue, des jeux…Les plus connus sont Sans-abri
les reportages réalisés par les médias les déçoivent souvent. Par
et Macadam, et sont aidés par des associations d’aide aux plus
conséquent, lorsque des journalistes proposent de faire des
démunis.
reportages sur l’action de certaines associations, ils se voient parfois
refuser cette requête. Mais lorsque les associatifs leur permettent,
B-Le traitement de l’information par les journalistes: une
par exemple, d’intégrer des équipes de maraudes, cela permet aux
multitude de facteurs pour construire l’information
articles des journalistes de rendre compte de la réalité de la précarité
dans la rue, car ils ont pu partager le quotidien des bénévoles.
1. Les sources des journalistes
Certains journalistes sont avant tout des reporters, et tentent de
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La communication de l’exclusion
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retranscrire dans leur calepin toutes les impressions qu’ils ont eues
lors des maraudes, mais ce réflexe disparaît au fur et à mesure que
b) Les enquêtes de terrain
l’expérience associative des journalistes se prolonge. C’est d’ailleurs
La rencontre d’associatifs s’avère souvent essentielle pour les
ce que déclare Madame Rive2: « Au début, je prenais pas mal de
journalistes afin de mieux cerner des sujets comme la grande
notes, j’avais toujours mon petit crayon à la main. Mais après, j’ai
exclusion. Mais ce qui apporte une réelle valeur ajoutée à leurs
abandonné le crayon et je n’écrivais quelque chose qu’après être
reportages et à leurs écrits est l’approche pratique, c'est-à-dire
rentrée chez moi. » Le travail aux côtés de personnes régulièrement
l’enquête de terrain. Celle-ci peut se faire de façon autonome : le
en contact avec les SDF traduit aussi une volonté de ne pas se limiter
journaliste interroge directement des sans abris sur leur situation, au
à une information trop succincte, ce qui peut notamment être le cas
risque d'être perçu comme étant motivé uniquement par l'écriture
des brèves.
d'un article qui sera sans suite.
Mais ce travail de recherche en partenariat avec des
L’autre solution s’inscrit dans la continuité du travail de fond
associatifs ne se concentre pas uniquement sur la question des sans
avec les associatifs, et consiste à suivre ces derniers et à intégrer
abris. Les journalistes peuvent certes se spécialiser sur une question
leurs équipes, ce qui évite d'être taxé d'opportunisme et permet d'être
précise de l’actualité, à l’exemple du DALO ou des actions menées
au courant de la situation des SDF avant d’entamer une discussion
par l’association Les Enfants de Don Quichotte, mais en matière
avec eux. Ce type d’enquêtes est un travail de longue haleine et
d’exclusion, ils se constituent un carnet d’adresses d’associatifs le
demande une très forte implication du journaliste tant sur le plan
plus large possible car comme le rappelle Madame Rive « le terme
physique qu’émotionnel. En effet, les situations auxquelles les
‘exclusion’ touche différentes catégories de personnes et ces
journalistes font face sont réelles et vécues. L’objectivisation de la
catégories ont elles-mêmes changé depuis trente ans. » 3
2
3
situation disparaît alors et le journaliste se projette dans ce qu’il voit.
Ce fut notamment le cas de Monsieur Pozzo4. Celui-ci devait en
Emile Rive est journaliste au journal L’Humanité.
Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14
avril 2008.
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4
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Monsieur Etienne Pozzo est le responsable de la société de production
La communication de l’exclusion
Juin 2008
effet tourner un reportage pour le compte de l’organisme public
participé de façon régulière à des maraudes organisées par Emmaüs
ADOMA dont l’un des secteurs d’activité est la construction de
Paris. Mais cette expérience n’empêche pas les phénomènes de
centres pour personnes étrangères et pour sans abris. C’est dans ce
transfert, et même s’il s’agit parfois simplement de suivre une
cadre qu’il a dû se rendre dans quelques quartiers de Paris - Avenue
équipe de maraudeurs, les journalistes sont sensibles à la misère
d’Ivry ou quartier des Olympiades - afin de rendre compte de
humaine qu’ils ont sous leurs yeux.
l’urgence de la situation de nombreux SDF. Le dénuement dans
lequel ils vivaient, l’insalubrité de leurs abris de fortune, le manque
Le fait d’avoir recours à des enquêtes de terrain permet
d’initiatives prises en leur faveur, tous ces facteurs firent que ce
également aux journalistes de se rendre compte du regard des autres
journaliste sente qu’il devait s’impliquer dans son travail afin de
posé sur les SDF. Celui-ci oscille entre compassion et indifférence,
changer cet ordre des choses: « ce film a été marquant. Je me
et seule une enquête de terrain leur permet de se confronter à ce que
souviens que parfois je pleurais une fois rentré chez moi. J’ai pu
vivent les SDF au quotidien. Ce constat fut aussi fait par Mr Pozzo.
voir des enfants roumains de deux ans tuberculosés et sans rien à
Celui-ci fut d’ailleurs étonné de la réaction des SDF face à la caméra
manger et dont les parents ne parlaient même pas français. Ce sont
de son équipe de tournage. En effet, les SDF ne l’ont pas rejetée en
des personnes sans identité et totalement abandonnées.» 5 Il s’agit
bloc mais l’ont tout de suite acceptée. Selon Mr Pozzo « la meilleure
ici d’une expérience de la grande exclusion qui est issue d’une
façon de faire parler les sans abris est tout simplement de les filmer
démarche directe de rencontre avec les gens de la rue. Lorsque le
car trop peu de personnes leur parlent. Les gens ont trop de
journaliste entreprend cette rencontre avec l’aide d’associatifs, il est
préjugés. Je trouve que la caméra permet de briser la glace de
aidé afin de savoir, par exemple, de quelle façon aborder les sans
manière individuelle. » 6
Cette enquête leur permet enfin de comprendre pourquoi il
abris. C’est le cas de Mme Rive qui tout au long de l’année 2006 a
est si difficile de sortir des personnes de la rue, surtout si celles-ci y
5
Stances/Late Comers. Il est également professeur à l’EFAPCOM de Paris.
Extrait de l’entretien entre Etienne Pozzo et Christophe Cambona réalisé le 9
avril 2008.
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6
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Idem.
La communication de l’exclusion
Juin 2008
sont depuis un certain laps de temps. Les journalistes constatent
Il arrive souvent que les journalistes aient à traiter de la
alors que l’aide aux SDF représente un véritable « travail de
mort d’un SDF. Cela a notamment été le cas dans l’article paru au
récupération ». Les propos de Mme Rive à ce sujet sont éloquents.
journal Le Monde et publié le 13 janvier 2008, dont voici un extrait :
Elle raconte par exemple : « j’ai pu rencontrer une femme qui vivait
« Un homme est mort de froid cinq jours avant Noël, sur la plus
à la rue et qui avait une fille. Cette femme a pourtant un cadre, un
belle place de la capitale. Qui était-il ? Il aurait pu s'appeler " X"
environnement familial mais elle ne supportait pas de dormir sur un
pour toujours – c'est comme ça qu'on enregistre les SDF inconnus à
lit quand elle était chez sa fille. Elle lui a même demandé de dormir
l'Institut médico-légal. Se retrouver enterré parmi tant d'autres, sous
7
par terre et d’ouvrir la fenêtre alors que c’était pendant l’hiver » .
une tombe blanche sans nom, dans l'ancien "carré des indigents" du
Cette forme d’accoutumance à la vie dans la rue est représentative
cimetière parisien de Thiais. Au mieux, il aurait été "un homme",
de phénomènes que seule une enquête de terrain aurait pu révéler et
entre " Titi", " Le Polac", "Joli Coeur de Passy", " Sans Dents " ou
analyser.
"Cahouette", sur les faire-part collectifs de la valeureuse association
Les morts de la rue. Car l'homme décédé place de la Concorde, le 20
décembre 2007, n'avait ni papiers, ni camarades d'infortune
vagabonde, ni habitudes de maraudes. » L’identification des
2. Les mécanismes de construction de l'information autour de la
grande exclusion.
personnes (comme dans l’exemple cité supra) étant rendue
La manière d’aborder la question de la grande exclusion
journalistes se fondent sur des témoignages de proches, de
et le traitement des informations collectées répondent à de nombreux
compagnons de mésaventures : il s'agit d'abord d'une information de
critères tels que la pertinence des informations et la véracité des
terrain, qui se base sur l'investigation.
impossible en raison de l’absence de papiers d’identité, les
faits.
7
Ces informations sont contextualisées lors de la rédaction
Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14
avril 2008.
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La communication de l’exclusion
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des articles. Il s’agit souvent de rapprocher les événements (comme
ce dernier donnera son autorisation ou non quant à la publication de
dans l’exemple ci-dessus la mort d’un SDF en hiver) aux enjeux
tel ou tel article.
politiques du moment (comme l’instauration du Droit Au Logement
Opposable). Selon la ligne éditoriale, cette contextualisation sera
•
plus ou moins polémique : par exemple, certains journalistes
Le public est un élément essentiel rentrant en jeu lors d’une
critiquent la lenteur des mesures gouvernementales en faveur des
sélection d’articles à paraître. En effet, les média ciblent certains
SDF tandis que d’autres font l’éloge des dispositifs déjà mis en
types de lecteurs ou de téléspectateurs, notamment en privilégiant
place.
certains sujets par rapport à d’autres. En France, l’identité des
Le public
différents media est à rapprocher de celle de leur audience. Ainsi, les
3. La contrainte pesant sur la médiatisation
journalistes travaillant dans ces media s’insèrent dans une relation
avec le public : il faut satisfaire les habituels lecteurs, au premier
Le traitement de l’information sur les SDF, comme toute
rang desquels les abonnés. Cette relation comporte une partie
autre information susceptible d’être diffusée, répond également à des
hautement financière : si un journal perd sa clientèle habituelle par
exigences intrinsèques au métier de journaliste. Parmi ces critères,
une approche de l’actualité peu conforme aux habitudes, il prend le
on trouve deux types de contraintes (externes et internes), qui sont la
risque de pertes de lecteurs. Le thème de la grande exclusion
cause d’une sélection de l’information afin de ne pas créer de
n’échappe pas à ce contexte. Ainsi, il serait décevant pour les
conflits entre les différentes parties en présence.
lecteurs de l’Humanité ou de La Croix de ne pas retrouver des
articles de fond sur les SDF. De même, le phénomène de saisonnalité
a) Des contraintes externes
décrit dans le I.A. en est illustratif : le public semble beaucoup plus
Les contraintes externes sont un ensemble de facteurs qui vont, en
sensible à la question des sans abris pendant la période hivernale car
dernier ressort, influer sur le choix du rédacteur en chef et faire que
c’est à ce moment précis, lorsque les gens ont froid, que l’on se dit
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
qu’il doit être impossible de survivre au froid en vivant dans la rue
sur la hausse du prix du pétrole. Pour ce genre de sujets, il s’agit
sans chauffage. Les lecteurs, sur la plage, n’ont par contre guère
alors pour les journalistes de préparer le sujet le plus original
envie de lire des articles sur la misère de leurs congénères.
possible afin que leur public préfère un journal à un autre ou une
chaîne de télévision plutôt qu’une autre.
•
De surcroît, le monde de la presse semble de plus en plus rongé
La concurrence de l’information avec les confrères
par le mimétisme. En conférence de presse, la sélection des brèves
journalistes
intéressantes aura surtout lieu au regard de ce que feront les autres
Une autre contrainte externe s’imposant aux journalistes est la
media. Le but devient alors moins de refléter la vérité quotidienne
concurrence. En effet, un journal vit principalement de son nombre
que d’éviter d’être distancé par ses concurrents sur des sujets précis.
de ventes ou d’abonnements papier ou Internet. Le développement
L’objectif pour une rédaction est de savoir voir et prévoir ce que
des journaux gratuits n’enlève rien à cet état de fait, dans la mesure
mettront en avant les concurrents. Ainsi, effectués à des moments
où de leur audience va dépendre les recettes liées à la publicité. A
différents, les journaux de télévision, de radio, ceux des quotidiens
l’évidence, il en va de même pour les journaux télévisés. Ceux-ci
ou des hebdomadaires s’influencent mutuellement. Il peut donc y
prennent en compte leur audimat afin de correspondre au mieux aux
avoir
attentes de leurs téléspectateurs. Cela peut aussi expliquer pourquoi
médiatique sur la grande exclusion à un moment donné (du type les
il y a relativement peu de reportages sur les sans abris (hiver exclu)
Enfants de Don Quichotte), même si ces évènements ne sont pas
pendant les périodes estivales alors que c’est justement à cette
forcément plus importants que d’autres (événement organisé en
période qu’il y a le plus de morts chez les SDF. La concurrence
commun par toutes les associations investies contre
journalistique fait donc primer des sujets qui attirent plus l’attention
début 2008). Cette dépendance vis-à-vis des concurrents est simple :
des Français, on peut citer par exemple la forte récurrence
le citoyen ne comprendra pas qu’un thème très médiatisé partout ne
actuellement d’articles et de reportages télé sur le pouvoir d’achat ou
le soit pas dans son media préféré, et pourra se tourner vers
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un
phénomène
d’emballement
de
la
communication
l’exclusion
La communication de l’exclusion
Juin 2008
d’autres ; or, ce revirement aurait potentiellement des conséquences
des promoteurs immobiliers par exemple ? De façon générale, ces
financières négatives pour le media qui chercherait à s’extraire de ce
thèmes peuvent mener à une contestation du système : or, les
« conformisme » médiatique.
annonceurs sont souvent des acteurs qui ont intérêt au maintien du
système. Dès lors, une publicité en face d’un article qui montre les
•
L’influence des annonceurs sur le contenu des reportages
problèmes du système devient contre-productive. L’influence à ce
Aborder l’influence des annonceurs sur l’information
niveau est incontestable. De là à dire que les patrons des grands
délivrée est une tâche difficile, car elle touche à la question de la
media musellent l’information qui pourrait desservir leurs opinions
liberté de la presse et du journaliste. En effet, les journaux privés
ou leurs intérêts, que les annonceurs ont un droit de regard sur les
fondent une partie essentielle de leurs recettes sur la publicité. Cette
articles, il y a un pas important que nous ne sommes pas capables de
évolution vers le financement privé était conçue comme une prise
franchir au vu de nos informations.
Par ailleurs, la réforme actuelle du financement du service
d’indépendance vis-à-vis de la tutelle de l’Etat. Or, il se trouve que
audiovisuel public entreprise à l’initiative du président de la
cette autonomisation ne signifie pas une indépendance totale.
Il est difficile, à l’évidence, d’évaluer l’impact de la publicité
République et confiée à la Commission Coppé montre une volonté
sur le contenu de l’information. Nous pouvons néanmoins supposer
de limiter les ressources publicitaires pour créer un vrai « service
certains éléments. Tout d’abord, les media ont intérêt à attirer les
public ». Aura-t-il cependant les moyens de concurrencer les chaînes
annonceurs. Ils le font en majeure partie par leur audience et le type
privées, voilà là une autre question.
d’audience qu’ils touchent. Or, une focalisation plus grande sur les
thèmes liés à la grande exclusion peut conduire à un changement
b) Des contraintes internes
d’audience, et potentiellement à une évolution dans les ressources
publicitaires. Aussi, des articles fouillés sur les problèmes de
Parallèlement à ces influences extérieures doivent être également
logement en France peuvent-ils rebuter les publicités effectuées par
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prises en compte des contraintes internes aux organes de presse et
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
audiovisuel. La question est ici de savoir dans quelle mesure le
chef, il y a des mécanismes complexes de sélection de l’information
journaliste est libre de choisir les thèmes à traiter et la façon de les
et d’autocensure qui de fait limitent la liberté du journaliste.
traiter au sein d’une structure médiatique. Mais les avis sont ici plus
En outre, il peut arriver que le travail des journalistes soit
partagés : les rédacteurs en chef peuvent être plus ou moins
influencé par des rapports du type commanditaire - exécutant. C’est
flexibles. A ce sujet, Mme Rive explique qu’ « il peut cependant y
le cas notamment de Monsieur Pozzo et de son équipe de tournage.
avoir des choix rédactionnels dans les journaux. C’est tout le
En effet, ces derniers réalisent des reportages tant pour des acteurs
problème du biais dans les médias français. Personnellement, je
privés que pour des autorités publiques. Son projet de réalisation
pense qu’il n’y a pas de pression exercée sur les journalistes. Je
actuelle est issu d’une commande passée par l’ADOMA, ancienne
n’écris que sur les sujets qui me plaisent. » 8 L’indépendance semble
SONACOTRA, qui a contacté la société de Monsieur Pozzo afin
donc réelle ; elle se base sur la nécessité de l’investigation et de la
qu’elle réalise un film documentaire sur les centres de stabilisation
liberté de choix du journaliste. Cette liberté a été revendiquée par les
et d’accueil de SDF. Ce film s’adresse tout d’abord aux élus locaux
journalistes interrogés. Il est néanmoins possible que ce constat soit
pour les convaincre des bienfaits de la construction de tels centres
à nuancer d’une part selon l’ancienneté et le caractère des
dans leur commune, dans leur département ou encore dans leur
journalistes, d’autre part selon la hiérarchie et la philosophie
région. La notion de commande est donc ici importante mais comme
inhérentes à un type de media. Ainsi, MM Cardoso et Meca ont vu à
le rappelle Mr Pozzo, son équipe et lui ne se sont pas « imposés de
plusieurs reprises des journalistes les interroger sur un sujet, puis se
cahier des charges. Sinon le film n’aurait été qu’un audit sur un
les faire refuser par leur rédaction. Le motif invoqué par les
centre de stabilisation. » 9 Ils ont simplement « essayé dans le film
rédacteurs en chef n’est pas d’ordre personnel : il se fonde sur les
de faire tomber les clichés car il y a urgence » 10 . Ainsi, même si des
attentes du public ou sur les pratiques des concurrents. S’il n’y a pas
contraintes internes existent, la façon d’aborder et de parler de la
en règle générale une censure mise en oeuvre par le rédacteur en
9
8
10
Idem.
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Extrait de l’entretien entre Etienne Pozzo et Christophe Cambona réalisé le 9
avril 2008.
Idem.
La communication de l’exclusion
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grande exclusion reste l’affaire du journaliste.
NTIC ont révolutionné la manière dont notre société envisage les
média et l'information; l'idée que celle-ci doit être libre, gratuite et
En définitive, le journaliste semble garder une marge de manoeuvre
directement accessible est aujourd'hui banal. Ainsi, on a constaté au
importante, bien qu'il subisse quelques contraintes du fait de son
même moment le développement de l'information mutualisée et
journal et des commandes ; mais cela est dû d'abord à sa condition
écrite par tous – ce que l'on appelle à la fois blogosphère (pour les
même de journaliste, qui lui impose certaines contraintes
pages personnelles) et web citoyen (pour les sites communautaires
déontologiques et pratiques dans l'exercice de son métier.
d'information).
Quoi qu’on pense de cette polémique et de ces nouveaux médias,
En tout état de cause, les journalistes ne sont plus les seuls,
leur place dans les sources d’informations et leur importance
aujourd'hui, à parler de l'exclusion et à écrire des articles sur ce sujet
croissante ne semble plus discutable aujourd’hui : des sites comme
: ainsi le développement d'Internet a marqué l'émergence d'un
Agoravox enregistrent aujourd’hui plus d’un million de connexion
nouveau type de journalisme. Quoi qu'on pense par ailleurs de
par mois, un chiffre qui est constant depuis plus d’un an. Ainsi, il
l'intérêt ou de la fiabilité de ces sources, leur importance en font un
convient de s’interroger sur la communication exercée par ce type de
acteur incontournable pour comprendre la communication de
médias, mais aussi sur ceux qui, plus personnels comme les blogs,
l'exclusion.
sont néanmoins susceptibles d’attirer une certaine audience, en
donnant un tournant plus personnel aux articles et histoires relatées.
C. La médiatisation à travers Internet : un palliatif aux médias
1-Les différents acteurs de la communication sur
traditionnels ?
internet : Internet ou l’émergence d’une nouvelle
forme de journalisme ?
C’est aujourd’hui un lieu commun que d’affirmer qu’Internet et les
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La communication de l’exclusion
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professionnels qui contrôlent l'information avant de la publier.
Les sites d’informations comme Agoravox 11 ou Rue89 12 se
positionnent comme des « médias citoyens » c'est-à-dire des « site
Si la différence en termes de nombre d'articles n'est pas significative
d’information
et
par rapport aux média traditionnels, les angles employés pour traiter
participatif », comme l'indiquent les sous-titres de ces deux sites.
de la question des SDF sont très différents: nous n'avons pas trouvé
Dans tous les cas, les articles sont rédigés par des contributeurs
pour la période retenue (d'octobre 2007 à juin 2008) d'articles qui
bénévoles et volontaires.
dressent un portrait d'un SDF en particulier, alors que les analyses
Ceux-ci ont une liberté totale quand au choix des sujets, et les sites
critiques sur les politiques sont légion, et surtout que ces sites
affirment, dans leurs chartes de bonne conduite et dans les
permettent effectivement de relayer une information qui n'est pas
conditions d'utilisation, publier tous les articles qui respectent la loi
présente dans les autres médias: ainsi, l'hiver dernier, Rue89 a publié
(notamment pour éviter les procès en diffamation), qui sont étayés
un article sur les femmes dans la rue, sur un documentaire sur les
par des références et des faits, et qui ne traitent pas de manière
SDF primé au FIGRA, sur une pièce de théâtre jouée par des SDF du
similaire un thème déjà publié. Cela laisse donc une grande liberté
canal Saint Martin, et plusieurs articles sur les sondages menés
de sujet et de mode d'écriture: la plupart des textes sont engagés, et
auprès des SDF 13 . Ces informations ne se retrouvent pas dans la
et
de
débat
sur
l’actualité,
indépendant
souvent écrits par des personnes qui connaissent visiblement bien
ces problématiques.
13
Pour étudier l'intérêt de cette source, nous nous sommes basés sur
http://www.rue89.com/2008/03/29/figra-iii-dans-la-galere-desfemmes-sdf
Sur la pièce de théâtre : http://www.rue89.com/balagan/yasminareza-et-les-enfants-de-don-quichotte
les deux grands sites que sont Agoravox et Rue89, car ils publient
tous deux un grand nombre d'articles et sont relativement fiables –
rue89, notamment, a un comité de rédaction constitué de journalistes
11
12
Sur les SDF et les morts de la rue :
http://www.rue89.com/2007/12/20/on-ne-compte-pas-les-sdf-mortsdans-la-rue
sur les sondages SDF : http://www.rue89.com/2007/12/15/les-
Http://www.agoravox.fr
Http://www.rue89.com
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Exemples :
sur le documentaire projeté au FIGRA :
- 38 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
plupart des quotidiens nationaux. Les auteurs ont donc pour but de
évite souvent de s'impliquer entièrement dans ce que l'on écrit: cela
faire passer une information précise pour mobiliser: ainsi, par
peut présenter des interrogations sur la fiabilité de l'information,
exemple, de nombreux articles ont été écrits en amont de la Nuit
mais, dans un même temps, cela permet de développer une franchise
14
afin d'inciter les personnes à se
et de lire un certain état de l'opinion que l'on ne retrouve pas
mobiliser et à venir apporter leur soutien au mouvement. De même,
nécessairement ailleurs. A notre sens, c'est d'ailleurs cet aspect qui
lors de la mise en place de la conférence de consensus en janvier
est le plus intéressant: ces articles sont rédigés par et pour des
2008, Rue89 a publié plusieurs articles proposant des pistes de
personnes qui y trouvent un intérêt suffisant pour le faire
réflexion pour la conférence15. Les acteurs de ces médias citoyens
bénévolement et de manière sérieuse, et qui ont donc un réel intérêt
sont donc fortement engagés, sinon politisés, sur ce sujet (ce qui
pour la question et la volonté de faire partager ce qu'elles
n'est d'ailleurs pas surprenant, et recoupe généralement la manière
connaissent et de mobiliser d'avantage de personnes sur la question
dont l'information est traitée dans ces médias) avec notamment de
SDF.
Blanche pour le
logement
16
nombreuses allusions critiques au gouvernement et à son action .
On retrouve d'ailleurs dans les articles une grande liberté de ton : les
personnes qui écrivent, si elles souscrivent aux principes
Cependant, l'impact de ces média reste difficile à évaluer: en effet,
journalistiques de l'information fiable, sont néanmoins des
les sites ont une audience réelle (plus d'un million de visiteurs
particuliers qui écrivent pour leur loisir, et sous un pseudonyme qui
mensuels) mais ni les associatifs interrogés, ni les média
traditionnels n'estiment que leur impact soit significatif. Pour les
derniers, il est possible de supposer qu'ils ne s'intéressent pas à de
sdf-ne-sont-pas-des-sondes-comme-les-autres
14
15
16
sur le délit de vagabondage : http://www.rue89.com/2008/01/29/le-delit-devagabondage-va-t-il-etre-retabli
http://www.rue89.com/2008/02/20/jeudi-a-paris-une-nuit-blanche-dans-desduvets-pour-le-logement
http://www.rue89.com/passage-a-lacte/une-conference-de-consensus-pour-lessans-abri
caricature
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telles sources, dans la mesure où cela représente pour eux une
concurrence. Cependant pour les premiers, il est possible de
s'interroger sur les raisons; une piste de compréhension pourrait être
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
que les associatifs que nous avons rencontrés n'étaient en général pas
sujet ou de le comprendre de manière approfondie.
ou peu actifs sur la Toile, ce qui ne les incitaient pas à connaître de
telles informations. Une autre idée pourrait être que les publics
2-Les SDF comme possibles auteurs de cette
touchés par ces média internet ne sont pas les mêmes que ceux que
communication
les associations ont l'habitude d'informer – bien qu'il n'existent pas, à
notre connaissance, de sociologie du lecteur de l'information
Notre recherche nous a conduit, dans un deuxième temps, à nous
alternative sur internet, la nécessité de rechercher l'information et le
demander s’il existait des blogs et journaux animés par des SDF :
matériel disponible laisse plutôt à penser qu'il s'agit de personnes
sur les sites participatifs en effet, les contributions sont écrites par
jeunes et relativement aisées, avec une habitude significative des
des personnes issues de milieux très divers, avec des occupations
activités intellectuelles. Cependant, il est probable que les personnes
très différentes, mais ne sont pas écrites directement par des exclus.
qui écrivent les articles et les lecteurs soient les mêmes, ou du moins
La raison peut être la difficulté d’accès à ces sites. Néanmoins, avec
fassent partie du même microcosme internet: l'impact sur le grand
la multiplication des accès internet gratuits et ouverts à tous, on peut
public est donc probablement limité, ou du moins difficile à évaluer.
se demander si certains SDF ne s’étaient pas lancés dans une
De plus, ces auteurs ont une légitimité limitée pour parler de
existence médiatique par les nouvelles technologies.
ces questions: ils ne sont pas journalistes et n'ont donc pas le statut
pour en parler, et ne sont pas non plus nécessairement en contact
z
Des SDF qui parlent peu d’eux et de leur vie…
direct avec les exclus: sur Internet, il est facile de faire passer ses
Nos recherches, à ce sujet, ont abouti à des résultats limités.
idées et opinions pour des vérités prouvées. L'écriture d'articles ou
Le seul blog SDF qui se revendiquait comme tel était le blog de
de blogs par les exclus eux mêmes serait donc probablement plus
Bellecour 17 , sur le site du Nouvel Observateur : mais celui-ci avait
pertinente pour comprendre la problématique; mais cette écriture
déclenché une polémique, car les articles n’étaient pas rédigés par
n'existe que de manière limitée, et n'a pas pour but d'informer sur le
17
Li b e g a f
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http://bellecour.blogs.nouvelobs.com/
La communication de l’exclusion
Juin 2008
des SDF eux mêmes comme le site pouvait le laisser entendre, mais
de faire passer leur message: le but est donc de passer d'un statut
par un journaliste qui y relatait les conversations qu’il avait
d'exclu à une forme d'inclusion.
quotidiennement avec un groupe de trois SDF : bien que ces derniers
z Mais qui ont un message à faire passer : message politique
aient été au courant du fait que le journaliste publiait ensuite des
et message de révolte.
notes reprenant leurs discussion, ce n’était pas pour autant un blog
SDF à proprement parler, bien que cela traite de manière assez
À cet égard, deux sites sont particulièrement intéressants pour
complète et intéressante la question, et les paroles étaient
comprendre la manière dont les SDF se définissent eux mêmes:
directement attribuées aux SDF eux-mêmes: la démarche était donc
webxclusion et le défouloir des précaires.
honnête, mais ce n'était pas, pour autant, un blog SDF au sens strict.
La publication de nouveaux articles a d'ailleurs été interrompue à la
Le premier site 19 se présente comme étant animé par un ancien SDF,
suite d'une polémique sur le bien fondé de la démarche, bien que
informaticien de profession, actuellement en logement de réinsertion
plusieurs associations soutinssent le Nouvel Observateur 18 .
mais sur le point de retourner à la rue (le site n'ayant d'ailleurs pas
Mais les sites qui se revendiquent comme des blogs animés par des
été actualisé depuis début 2007, il est à craindre que cela se soit
SDF sont quasi-inexistants. Pour autant, certains SDF sont présents
produit).
sur des sites internet (voir par exemple www.sdf75.com), mais ils
Le site frappe d'abord par son cynisme et par la noirceur de son
sont relativement peu nombreux, et surtout, ils ne cherchent pas tant
humour : il annonce que son but est de « faire découvrir tous les
à raconter leur histoire qu'à faire passer leur message : à cet égard, il
avantages » du fait d'être SDF, afin de réussir une carrière dans ce
convient mieux de parler d'exclus que de SDF, tant parce que c'est
domaine. Sont ainsi successivement abordés les thèmes des foyers,
comme cela qu'ils se définissent que parce que leur message est
des éducateurs, de la nourriture et des distributions, de la police, de
d'abord une volonté de faire partie de la société, de se faire entendre,
la prison et des juges, etc.
18
http://www.fusina.net/news/newsTrois_SDF_Lyonnais_investissent_la_blogosphere-247.html
Li b e g a f
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19
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http://webxclusion.ifrance.com/
La communication de l’exclusion
Juin 2008
frappante que par les représentations que l'on trouve habituellement
« Sans domicile fixe, prison, asile de nuit, foyer d'hébergement, soupe
populaire, petits boulots, solitude, aide médicale gratuite, éducateur
spécialisé, fin de droit, revenu minimum d'insertion... tous ces mots qui te
font rêver feront bientôt partie de ton quotidien et n'auront plus de secret pour
toi. »
dans les médias.
http://webxclusion.ifrance.com/ , sur la page d'accueil du site
Pour chacune de ces catégories transparaît à chaque fois une critique
« 24 heures dans la peau d'un SDF
du système, qui empêche de donner une vie honorable aux SDF: par
Il en fait quoi, de sa journée, le clochard ? N'importe quel Café des Sports te
fournira la réponse : rien, les clodos n'en branlent pas une, y z'attendent que les
autres bossent pour eux, et que si c'était moi, etc, etc...
exemple, il est tout à fait possible de manger gratuitement tous les
jours, mais impossible de se procurer autre chose que des sandwichs
Laisse-les donc à leurs 51 et occupe toi plutôt de tes affaires. La journée démarre
de bonne heure, la grasse matinée sous un porche ou dans un parking ce n'est pas
le pied. Et il vaut mieux dégager vite fait de son coin pour ne pas se faire
repérer. De plus il y a toujours un coup de frais juste avant le lever du jour. La
rosée, c'est romantique si tu la découvres après avoir passé une bonne nuit au
chaud et t'être enfilé un solide p'tit déj'.
au paté ou à la vache qui rit : ainsi, les SDF ont les dents qui
s’abîment au bout de quelques mois, pas seulement à cause du
manque d'hygiène, mais aussi suite aux carences entrainées par la
En guise de café/croissant, un coup de rouge fera tout aussi bien l'affaire si tu es
fauché. Pas de ta faute si le petit noir coûte aussi cher qu'un litre et demi de
Villageoise. D'ailleurs tu peux prendre la direction de l'épicerie la plus proche
pour refaire le ballast.
mauvaise alimentation. Les soins dentaires n'étant en général pas
remboursés, il est rare de voir un SDF avec des dents en bon état.
C'est un ensemble de faits comme celui-ci qui rend le site
Selon la ville où tu crèches, il faut organiser ta tournée pour les casse-croûtes.
On commence enfin à voir des distributions très tôt le matin mais c'est encore
rare. Si tu as des démarches à faire dans les bureaux, il faut absolument les faire
dès l'ouverture. Ce n'est pas croyable le nombre de démarche que tu dois faire !
Certes il est très facile de constituer un dossier pour obtenir le RMI, mais cela
signifie qu'il y aura le fameux suivi. Ce suivi consiste en fait à te demander sans
arrêt un autre papier à aller chercher à l'autre bout de la ville. Ou alors à devoir
te présenter dans un bureau pour prendre un rendez-vous afin de rencontrer
quelqu'un qui t'orientera vers le service qui saura à qui t'envoyer pour que tu
puisses espérer avoir une aide exceptionnelle de 50 balles qu'il te faudra retirer à
une caisse qui a de fortes chances de ne pas être dans le même bâtiment. De
particulièrement intéressant, car il montre une vision du problème
qu'il est difficile de trouver ailleurs, à moins de discuter avec les
exclus eux mêmes – avec toutes les difficultés que cela représente. À
ce titre donc, l'Internet permet de trouver des informations peut-être
plus anecdotiques, mais qui concernent notre question et qui permet
de présenter l'exclusion d'une manière beaucoup plus concrète et
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- 42 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
toute façon, quand tu finiras par la trouver, cette bon dieu de caisse, tu seras
forcément en dehors des horaires. Il n'est pas non plus impossible que quelqu'un
dans le lot ait oublié de te donner le bon papier. Et pendant que tu somnoles dans
la moitié des salles d'attente de la ville ou que tu te perds dans les étages, tu rates
les distributions de casse-croûte.
Ce message, selon les sites, peut être politique ou social; il présente
SDF, ce n'est pas un métier facile. Dire qu'il y en a encore qui croient qu'on
s'amuse... » 20
situation: ils ont ainsi l'impression de ne pas exister, que leurs
cependant la constante d'exprimer un sentiment que les médias
traditionnels et les politiques ne prennent pas en compte leur
problèmes ne sont pas abordés, mais surtout que les journalistes et
les gouvernants n'ont même pas conscience de leurs problèmes ou
simplement de leur existence.
Ainsi, le défouloir des précaires 21 se revendique comme un site
auquel tous peuvent participer pour exprimer son ras-le-bol face aux
institutions et à leur incompréhension, mais aussi face aux
journalistes
(notamment
contre
ceux
qui
recherchent
des
témoignages pour des reportages au titres parfois provocateurs, du
type « chômeur heureux » ou « je vis dans la rue parce que je l'ai
choisi »).
Mais cela n'est pas le but premier de ce site: il a au contraire en
une insistance sur un message revendicatif à faire passer.
Comme mes pairs sur le Net, je ne donne aucune suite à vos demandes parce que
vous ne lisez rien du contenu de nos sites, parce que vous exploitez la déchéance
pour assurer vos carrières, parce que vous donnez systématiquement une image
dépréciée du chômeur, parce que vous servez l'ordure gouvernementale et sa
politique d'exclusion et de débilisation de l'exclu. La caricature du rmiste parasite
aux cernes d'ivrognes, un cheveux sur la langue et les autres en pétard, le QI dans
les cartons et les restaus du cœur à portée de misère, ça suffit !
Source: (http://precaires.free.fr/)
20
21
commun avec d'autres sites animés par des précaires (il est en effet
difficile de dire qui est précaire, qui est SDF? Nous avons donc
entendu le terme au sens large pour les besoins de cette recherche)
http://webxclusion.ifrance.com/ rubrique Sans Domicile Fixe
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Http://precaires.free.fr :
La communication de l’exclusion
Juin 2008
Cependant, une limite importante a apporter est l'absence de données
les internautes directement à leurs problèmes, ou du moins pas tant
sur l'impact de cette communication, qui n'est d'ailleurs pas
qu'on se concentre sur une problématique unique, telle que le droit
évaluable (pas de trackbacks ni de compteurs sur les sites et
au logement par exemple : en effet, pour les plus précaires présents
référencement insuffisant sur les grands moteurs de recherche). De
sur internet, la Toile permet d'exprimer une forme de ras-le-bol,
plus, ces sites sont souvent hébergés gratuitement, et la qualité
fréquemment politisée, mais qui ne recoupe pas une idée de blog ou
visuelle et le contenu s'en ressentent, avec une interactivité limitée,
de récit de vie : contrairement au développement général de
des graphismes archaïques et surtout une présence de la publicité qui
l'Internet privé, avec notamment les jounaux sur internet (et d'abord
peut devenir rapidement agaçante: on est bien loin des sites des
des skyblogs) les précaires sur internet ne souhaitent pas se raconter,
médias traditionnels ou même des grands sites d'information
mais exprimer un mal être.
interactifs. Cela indique probablement un manque de fréquentation
Cela leur permet d'extérioriser ce qui n'est pas présent dans la
de ces sites, qui fonctionnent avec des moyens très limités – trop
médiatisation habituelle de l'exclusion : ainsi, internet est une source
limités pour avoir une audience importante.
de communication plus directe pour l'ensemble du monde de
l'exclusion.
Plus largement que les exclus eux mêmes, les
Cette question de l'audience reste cependant essentielle : la
associations prennent aussi de plus en plus de pouvoir sur internet et
médiatisation par les grands média traditionnels est déterminante
développent ainsi une forme de communication directe.
pour comprendre notre sujet, mais elle n'est pas la seule à traiter de
la question : ainsi, avec l'émergence notamment des nouveaux
médias sur la toile, certains sites d'informations interactifs
commencent à se développer et avoir un rôle dans la
conscientisation du problème.
Mais Internet ne permet pas pour autant aux exclus de sensibiliser
Li b e g a f
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
méfiance à l’égard des médias traditionnels, elle utilise néanmoins le
II. Des stratégies de communication associative diversifiées
support Internet, davantage comme une « vitrine » informative de
son action ou comme une carte de visite, que comme un outil qui
A. La typologie des associations selon leur mode de
communication
viserait à avoir un impact plus fort sur le destinataire de
l’information.
1. L’opposition entre la communication traditionnelle et les
La communication traditionnelle passe aussi par les
nouvelles formes de communication.
journaux ou magazines publiés au sein de l’association. Ces
publications
Les associations ont toutes des rapports très différents à
traditionnelle
et
les
nouvelles
formes
des
récits,
des
aux personnes aidées par l’association et aux bénévoles. Elles sont
donc circonscrites à un noyau de personnes relativement petit. Cela
La communication traditionnelle est encore le modèle
dit, il faut bien garder à l’esprit que toutes les associations ne
prédominant dans le monde associatif. Elle essaie d’éviter une trop
disposent pas des mêmes moyens, et ne publient pas toutes un
grande coopération avec les médias tels que la télévision, la radio ou
magazine ou un journal interne. Seules les associations de grande
même la presse. Elle peut passer par l’organisation de conférences,
taille ou de taille moyenne peuvent le faire.
d’annonces dans les églises, de repas associatifs, de grands
D’autre part, certaines associations utilisent également
rassemblements, qui permettent d’une part la communication autour
les moyens de communication traditionnels non pas à des buts
des actions de l’association, et une communication interpersonnelle
informatifs mais politiques, bien que cela semble plus marginal.
avec les exclus eux-mêmes. En revanche, si cette communication
C’est notamment le cas de l’association SDF (Solidarité des
traditionnelle se caractérise, du moins pour les associations de taille
Français), clairement rattachée au Front National, qui publie chaque
modeste et qui travaillent à l’échelle locale, par une certaine
________________
témoignages,
organise, sur les dates à retenir, etc… Elles sont destinées à la fois
de
communication, qui permettent de classer les associations.
Li b e g a f
des
informations sur la vie de l’association, sur les événements qu’elle
la communication. On peut en distinguer deux grands types : la
communication
contiennent
- 45 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
mois un petit magazine de rue, distribué aux personnes sans
en forme de cœur. L’association a par la suite fait un choix de
domicile qui fréquentent l’association, afin d’en rappeler les
communication cohérent en créant un site Internet dont la couleur
fondements idéologiques.
En réaction à cette politisation, de
principale est le rose, et dont la page d’accueil s’ouvre sur
nombreuses associations se sont regroupées pour adopter une Charte
« l’appel » de Coluche. Mais surtout, la nouveauté en termes de
Ethique et Maraude ( www.espace-ethique.org ).
communication réside dans l’organisation de concerts rassemblant
toutes les grandes figures de la chanson française, dont le nom de
A côté de cette communication traditionnelle se développent
groupe est devenu célèbre : « Les Enfoirés ».
de nouvelles formes de communication, plus originales, visant à
L’autre grande innovation de communication associative est
toucher un public beaucoup plus large et à frapper les esprits. Cette
celle qui a été opérée par l’association Les Enfants de Don
communication s’appuie en grande partie sur les médias. Elle est
Quichotte, sur laquelle nous ne nous attarderons pas ici, puisqu’elle
fondée sur l’image et bien souvent aussi sur le spectaculaire, au sens
fait l’objet d’une étude dans la suite de notre rapport. Les Don
littéral du terme. Cette forme nouvelle de communication a émergé
Quichotte ont pleinement joué la carte médiatique, en essayant, à
avec le projet des Restos du Cœur, lancé par Coluche dans
travers les grands médias, de faire passer un message politique et,
l’émission Y en aura pour tout le monde, qu’il animait sur Europe 1
selon Aurore
au milieu des années 1980. Ainsi Coluche avait-il dit à l’antenne :
« d’interroger le rôle de l’Etat ». Pour cela, le leader de
« J'ai une petite idée comme ça, si des fois y a des marques qui
l’association, Augustin Legrand, n’a pas hésité à se mettre en scène,
m'entendent, je ferai un peu de pub tous les jours. Si y a des gens qui
dans de courtes séquences filmées, diffusées sur Internet et qui ont
sont intéressés pour sponsorer une cantine gratuite qu'on pourrait
connu un réel écho médiatique. La dernière action à large portée
commencer par faire à Paris. » On connaît le succès que
médiatique fut la réalisation du documentaire Poudre aux yeux, de
l’association a remporté depuis. Les Restos du Cœur ont d’abord
Mathieu Kassovitz, réalisé pour Les Enfants de Don Quichotte et
réussi à imposer un logo, facilement identifiable : une assiette rose
diffusé en exclusivité sur le site Dailymotion. Ce film a accompagné
Li b e g a f
________________
- 46 -
de
Montalivet
(Aux
captifs,
la
libération),
La communication de l’exclusion
Juin 2008
n’est pas nécessairement un objectif en soi pour elles.
un appel à la mobilisation pour l’événement « Nuit solidaire pour le
logement », et son lancement a été largement propagé par les médias
a) Les associations qui ne cherchent pas à communiquer.
traditionnels (journaux télévisés et radiophoniques, articles de
presse). Ces méthodes de communication sont radicalement
Il existe des associations d’aide aux plus démunis qui veulent rester
nouvelles, et ouvrent peut-être des perspectives intéressantes à
dans la sphère de la confidentialité, et qui cultivent une grande
l’ensemble du monde associatif.
méfiance à l’égard des médias. Ce sont le plus souvent de petites
associations.
Le clivage « communication traditionnelle » / « nouvelle
communication » fait donc apparaître une pluralité de postures de la
b) Les associations qui veulent communiquer mais qui ne
part des associations. Il convient donc d’interroger plus précisément
maîtrisent pas encore les techniques de communication.
les objectifs des associations en termes de communication.
D’autres associations – la majeure partie – veulent communiquer
2. Les associations ne poursuivent pas les mêmes objectifs en termes
mais n’ont pas encore bien défini leurs stratégies de communication,
de communication.
souvent parce que les objectifs qu’elles leur assignent ne sont pas
très clairs. Beaucoup d’associatifs rencontrés sur le terrain nous ont
Toutes les associations n’en sont pas au même point de maturité
dit que l’objectif de la communication (la leur et celle des médias en
dans leur approche de la communication. Il existe deux raisons
général) devait être de faire changer le regard des gens. En réalité,
principales à cette situation : ou bien, d’une part, certaines
cet objectif reste extrêmement vague, et ne permet pas de lui
associations
de
appliquer des méthodes efficaces de communication. D’autre part,
communication, qui demeurent pour elles des outils qu’elles ne
ces associations ont toutes des sites Internet, mais elles n’en font
savent pas utiliser. Ou bien, d’autre part, certaines associations ne
qu’un usage de carte de visite. Elles ne disposent pas d’une large
tiennent tout simplement pas à communiquer. La communication
visibilité.
ne
maîtrisent
Li b e g a f
________________
pas
encore
les
techniques
- 47 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
essentiel à l’épreuve de la défiance
c) Les associations qui fondent toute leur action sur la
a. La communication destinée aux media, une
communication.
clef de la communication autour du thème
C’est le cas des plus grandes associations, telles Les Enfants de Don
des SDF
Quichotte ou Les Restos du Cœur, qui ont mis au point des
La médiatisation que nous avons décrite en première partie
techniques de communication novatrices. Leur objectif est beaucoup
est en partie le fruit de la communication réalisée par les
plus précis, et il est inclut expressément des revendications de nature
associations auprès des media. En effet, les journalistes réagissent
politique.
souvent aux invitations envoyées par les acteurs associatifs. S’ils ne
s’y rendent pas toujours, cette forme de communication semble être
un rouage important de la communication qui s’effectue autour du
B. L’arbitrage entre communication destinée aux médias et
communication directe
thème de la grande exclusion. Ces invitations peuvent concerner un
événement organisé par l’association ou encore un « appel » à la
Il s’agit ici d’analyser deux alternatives qui s’offrent aux
prise de conscience sur tel ou tel sujet.
associations dans leur communication : mobiliser les media – action
Si d’un côté les media ont besoin des associations pour être
essentielle et présentant un potentiel important (1a), bien que limitée
les premiers informés de ce qui se déroule dans le domaine de
en pratique par une relative méfiance entre acteurs associatifs et
l’exclusion et pour pouvoir informer en retour (« mes principales
médiatiques (1b) – et la communication directe, très diversifiée, à
sources sont les associations », dixit Mme Rive, journaliste à
travers la communication directe traditionnelle (2a) rendue
l’Humanité), il faut noter que la médiatisation est indispensable pour
aujoud’hui plus simple et efficace par l’utilisation de la « toile »
les associations. En effet, les media permettent de donner de la
(2b).
visibilité à leurs évènements et à leurs combats : un grand nombre de
personnes peut ainsi avoir connaissance de l’information ou se
1- La communication destinée aux media, un outil
Li b e g a f
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- 48 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
rendre sur le lieu de l’événement. M. Choutet insiste sur cet
« conscientisation » des citoyens des problèmes qui sont chers aux
élément : « Il y a un côté magique avec les media de masse. Avec un
associations, et une plus probable prise en charge politique de la
20h on va toucher des millions de personnes, avec un article dans le
question.
Monde on va toucher beaucoup de décideurs. La priorité doit donc
De plus, il est évident que cette visibilité peut permettre
être donnée aux media. L’action de terrain est aussi positive, mais
non seulement aux associations d’atteindre un nombre important de
au niveau de l’efficacité c’est peu. Informer dans la rue, c’est aussi
citoyens, mais, de façon corollaire, de récolter davantage de fonds.
beaucoup de moyens ».
En effet, ces personnes informées sont des donateurs potentiels ou,
L’une des clefs de la communication autour de la grande
de
façon
plus
indirecte,
permettent
de
donner
davantage
exclusion doit donc être cette communication des associations aux
d’importance à l’association qui pourra alors recueillir plus
media. En effet, l’information délivrée par l’association vise à être
facilement des subventions. Nous ne sommes pas capables de dire
directement exploitable par le journaliste, et relayée : les
laquelle de ces nécessités tend à être prioritaire pour les
communiqués transmis aux media sont donc les plus pédagogiques
associations : il ne fait cependant aucun doute qu’elles sont liées.
possible. Ainsi, ceux réalisés par les enfants de Don Quichotte
informent non seulement des évènements à venir, mais se
concentrent aussi sur un argumentaire, en intégrant par exemple des
chiffres liés au logement (nombre et types de logements
effectivement construits) : ainsi, ces papiers peuvent devenir une
aubaine pour le journaliste. Pour autant, ce dernier s’attache à varier
les sources, de façon à ne pas relayer la probable partialité de
certaines communications associatives.
Deux
effets
sont
Li b e g a f
________________
alors
à
attendre :
une
plus
grande
- 49 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
déformations ou instrumentalisations effectuées par les media.
La « pipolisation » de la communication associative
L’attention des media peut être activée par des moyens qui
diffèrent du simple communiqué de presse. Ces dernières années
ont notamment vu affluer les exemples de « pipolisation » de
l’action associative. A la suite des Restos du Cœur, basés non
seulement sur la popularité de Coluche mais aussi sur la
participation des chanteurs les plus connus lors des spectacles des
Enfoirés, d’autres associations ont attiré l’attention par des stars.
C’est notamment le cas de la Croix-Rouge, avec Adriana
Karembeu. Cette pratique permet sans aucun doute de décupler
l’attention portée sur l’association. La question est toutefois la
suivante : dans quelle mesure les projecteurs sont-ils portés sur la
star et sur le caractère sympathique de son engagement, ou sur la
nécessité de soutenir l’action de l’association ? Selon F. Gorget,
cette pratique est une « tentative d’instauration d’un jeu gagnantgagnant dont les résultats sont hasardeux ». Si le phénomène est
à coup sûr positif b.
en Une
termes
d’image des
people », il semble
déformation
de« l’information
par les
également qu’il le soit pour les associations, dans la mesure où
media ?
les dons récoltés lors de ces soirées people à forte audience sont
en règle générale importants.
Les
associatifs
témoignent
de
nombreux
rapports
décevants, ou d’affrontements, avec les media. Ces déceptions se
déclinent à la fois sur le terrain et ensuite lors de la parution de
l’article.
Sur le terrain, il faut noter que la collaboration entre journalistes et
associatifs
est
en
général
fructueuse
et
comporte
peu
d’achoppements. Pour autant, il est des cas où des logiques
différentes s’affrontent. H. Cardoso, du Secours Catholique,
raconte : « une fois, une chaîne de télévision était présente avec le
Secours (TF1). Un gars était mal, notamment parce qu’il avait bu. Il
était vraiment très mal. J’ai eu une discussion tendue avec le
journaliste, qui voulait prendre une image trop dégradante. Notre
discussion portait sur les moyens de l’information. Selon moi, le
Secours ne pouvait pas se permettre d’aider à diffuser une telle
image. Finalement, l’image n’a pas été diffusée. La presse est
comme un mal nécessaire, pour les associations. Mais pour la
Les associations sont parfois rétives à l’utilisation intensive
presse, montrer ce type d’image sert à sensibiliser. » Il ajoute qu’il y
des media. Cette méfiance, que nous allons analyser plus tard en
a des fois où la relation achoppe totalement : « lors d’un tournoi de
profondeur,
foot que nous avions aidé à organiser, un journaliste est venu
se
base
fondamentalement
sur
les
possibles
m’interroger et il me poussait littéralement à dire certaines choses !
Li b e g a f
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- 50 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
C’est simplement insupportable ». Le jugement des associations
mesure du travail des journalistes. Ce travail pouvant en effet servir
d’aide aux SDF vis-à-vis de la télévision est très négatif, notamment
la cause des associatifs en leur donnant une tribune médiatique.
à cause de la difficulté à utiliser l’image pour révéler des situations
C’est pourquoi les journalistes font preuve d’une grande précaution
qui questionnent la dignité des personnes filmées. A l’inverse, la
lorsqu’ils doivent travailler en collaboration avec des associatifs. Il
méfiance vis-à-vis de la presse écrite, et a fortiori des mensuels, est
leur faut en effet gagner la confiance de ces derniers pour après
beaucoup moins importante.
gagner celles des personnes sur lesquelles ils vont faire leurs
Ensuite, une fois l’article paru ou le reportage réalisé, les
reportages : les SDF. Cette volonté de briser l’image du journaliste –
déceptions des acteurs associatifs semblent fréquentes. Selon P.
opportuniste anime des journalistes comme Mme Rive qui déclare
Meca, c’est inévitable, « car chacun insiste sur les points qui lui
que lors du reportage sur le terrain « il y a une précaution nécessaire
paraissent importants, et parfois ce ne sont pas ceux que je
à avoir car le média agresse. Il faut prendre du temps et il faut
considère importants ». Pour autant, ces décalages ne relèvent que
travailler avec les gens en qui les sans abris ont confiance. Je me
de la subjectivité humaine. Il semble que la peur de voir son discours
présentais à chaque fois comme une journaliste car je pense que
déformé ou, pire, instrumentalisé par les journalistes soit à la racine
pour faire un travail correct sur ce sujet, il faut respecter les gens, la
de la méfiance des acteurs associatifs vis-à-vis des media, mais cette
confiance est nécessaire. » 22 Cette relation de confiance est donc
peur recouvre selon nous une réalité marginale : les exemples de
primordiale si un journaliste veut dépeindre la réalité de la grande
déformation de l’information ne sont pas fréquents.
exclusion et s’il veut pouvoir obtenir le témoignage des principaux
intéressés.
Les journalistes prennent de plus en plus conscience de
ce phénomène de rejet qui peut se manifester à leur encontre. Ce
2- La communication directe, un instrument traditionnel
dernier peut se manifester de deux façons : soit les associatifs sont
réfractaires aux journalistes et attendent de ces derniers des solutions
22
concrètes face à la grande exclusion ; soit ils ne prennent pas la
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- 51 -
Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14
avril 2008.
La communication de l’exclusion
Juin 2008
dont Internet accroît la pertinence
s’effectue à travers des conférences, des forums ou évènements
divers, ainsi que par ce que nous pouvons appeler « la force du
Il convient d’abord de préciser que nous entendons par
quotidien ». Ainsi, les sorties de nuit effectuées par les bénévoles
communication directe la communication non médiée, c'est-à-dire
sont un message à part entière adressé aux citoyens-passants.
celle qui se déroule au jour le jour dans les évènements ou
Comme le souligne M. Choutet, l’effet de cette communication est
conférences où les associations sont présentes et celle qui s’opère à
« qualitatif » car il montre que l’action directe et humaine est
travers des media propres (journaux associatifs, site Internet). La
possible et accessible à tout un chacun. Cette communication
communication directe permet à l’association de ne pas dépendre
incidente est sans nul doute la moins biaisée. Elle peut aussi être très
des media et d’éviter les éventuelles désillusions du traitement
efficace : pour P. Meca, le succès de la « moquette » mis en place par
médiatique de leurs actions.
des compagnons de la nuit (lieu ouvert de rencontre entre SDF et
ADF) ne tient qu’à la force du « bouche à oreilles », et nullement à
a- Une
communication
directe
une quelconque action des media.
« traditionnelle » diverse à l’impact surtout
qualitatif
Les associations sont aussi auteurs de communications plus
médiées. D’abord, les newsletter ou autres rapports d’activité sont
La communication que les associatifs effectuent dans la rue
nécessaires pour rendre compte aux donateurs des actions de
n’est pas à négliger mais s’avère difficilement évaluable. Notons
l’association. Ensuite, les plus grandes associations peuvent tenir un
simplement
cette
vrai journal : plus qu’un compte-rendu, il s’agit ici d’apporter un
communication semble être à la racine du lien social, dans la mesure
autre point de vue sur l’actualité. Par exemple, le journal
où les personnes engagées aux côtés des personnes sans domicile
« messages » du Secours Catholique est rédigé par des journalistes
font partager leurs convictions aux autres citoyens. Ce travail
professionnels, spécialisés dans les domaines où agit l’association. Il
quelques
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________________
aspects
significatifs.
D’abord,
- 52 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
se double de publications locales, diffusées par les différentes
s’attache souvent à « prêcher des convertis », c'est-à-dire aux
délégations du Secours. Si des abonnements sont accessibles à tout
donateurs ou aux personnes proches des milieux associatifs. De ce
un chacun, il convient de noter que ces journaux s’adressent
fait, elle ne semble pas parvenir à étendre son influence au-delà de
particulièrement aux donateurs, bénévoles et autres proches de
ces sphères. Comme le dit H. Cardoso, la diffusion de l’information
l’association. Enfin, les publications (souvent annuelles) permettent
par les associations aboutit au résultat suivant : « en France, il y a de
une information approfondie qui donne une envergure à cette
la très bonne information. Mais il faut aller la chercher ».
communication non médiée.
b- Internet,
Il semble qu’une communication directe variée soit
nouvel
instrument
de
communication directe pour les associations
nécessaire pour toucher les citoyens d’une autre façon que par les
media de masse. D’abord, parce qu’elle est un moyen efficace
Depuis la dernière décennie, les portails Internet se sont
d’attirer des dons ; or, ceux-ci sont indispensables à l’indépendance
développés, jusqu’à devenir un élément obligatoire de la constitution
des associations. Aussi, l’ensemble des acteurs interrogés pensent
d’une association. Ainsi, il semble aujourd'hui difficile pour une
que la communication directe est utile car il s’agit d’agir à tous
association de se passer de cet outil, d’autant qu’il se dresse en outre
niveaux. P. Meca en fait même une question d’éthique : « il est aussi
en tant que média citoyen permettant une très grande interactivité.
important pour moi de parler à un jeune dans la rue qu’à un
En effet, les discussions qui peuvent avoir lieu sur les blogs seraient
journaliste reconnu, bien que l’impact soit différent ».
l’occasion pour les associatifs de répondre aux questions des
Cet impact est justement difficile à mesurer. En effet, il est
citoyens lambda concernant leurs activités et leurs objectifs. Cette
difficile de déterminer dans quelle mesure l’impact qualitatif peut
communication
compenser l’impact quantitatif permis par les media de masse. Il
multifonctionnelle. En effet, on trouve sur les sites des grandes
semblerait cependant que la communication directe des associations
associations des éléments d’information générale, des comptes-
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- 53 -
qui
a
une
vocation
universelle
semble
La communication de l’exclusion
Juin 2008
rendus d’action de l’association, des communiqués de presse, mais
certains propos peuvent ternir l’image de l’association qui tient
également des éléments plus « commerciaux » comme les appels à
lesdits blogs.
dons, le recrutement de bénévoles ou encore la vente de
D’autre part, l’utilité d’Internet est à nuancer parce que même au
publications. Des associations comme les Enfants de Don Quichotte
sein des grandes associations, la conception du site peut modifier
permettent même aux internautes de faire part de leurs opinions sur
son audience. Ainsi, les sites du Secours Catholique ou du DAL ont
le blog présent sur leur site. Le portail Internet devient ainsi
une présentation facile et offrent beaucoup de possibilités, alors que
l’identité virtuelle de l’association, à travers laquelle s’effectuent
ceux du SAMU social ou des Restos du cœur ont une présentation
nombre d’actions indispensables à son fonctionnement. Par exemple,
qui semble moins attractive et interactive pour les lecteurs.
Internet est devenu le principal outil de signature des pétitions.
En outre, Internet permet de développer un moyen de
Notons que ce constat est à nuancer selon les
communication rapide et efficace : les newsletters. Leur coût est
associations. D’une part, parce que les sites sont d’autant plus
faible et il est très facile pour tout citoyen de s’abonner via un
étoffés et régulièrement mis à jour que l’association est de taille.
simple clic. De plus, elles comportent certes un compte-rendu des
Certaines associations ne disposent pas de sites Internet car elles ne
actions menées par l’association, mais s’accompagnent souvent de
veulent pas faire de l’ « effet vitrine » 23 . Elles préfèrent concentrer
mini-articles plus généraux sur « l’actualité sociale ». Elles
leur logistique sur des actions concrètes et de proximité. Il en va de
présentent cependant l’inconvénient d’exclure une part significative
même pour les blogs : certaines associations pensent que ceux-ci
des citoyens, celle qui n'a pas d'accès Internet personnel et/ou ne sait
sont un moyen de communication intéressant mais qu’ils n’évoluent
pas se servir d'un ordinateur.
pas. A cela s’ajoute le fait que les blogs laissant la parole libre aux
internautes, tout un chacun peut dans ce cas écrire ce qu’il veut et
23
Enfin, les chaînes de mails sont de plus en plus utiles aux
associations,
Extrait de l’entretien entre Christophe Louis et Christophe Cambona réalisé le
2 avril 2008.
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- 54 -
et
permettent
de
contacter
directement
et
La communication de l’exclusion
Juin 2008
instantanément des milliers de personnes. Ainsi, les enfants de Don
C. Une communication associative
Quichotte ont une mailing list de plus de 4000 personnes, lesquelles
font rapidement circuler autour d’elles afin d’atteindre une
1- Une méfiance des associations vis-à-vis des autres
acteurs de la communication autour des SDF
population non seulement massive mais a priori réceptive. Outils
extrêmement efficaces pour informer rapidement, les newsletter et
Le milieu associatif étant le premier à être en contact avec la réalité
mails qui circulent peuvent néanmoins avoir un potentiel limité :
de la grande exclusion, il est alors logique de penser que les
dans les boîtes mail, il est probable qu’à un moment donné, « trop
associations veulent communiquer sur ce sujet afin de sensibiliser
d’informations tue l’information », dans le sens où la multiplication
l’opinion publique à leur combat. Or, cette communication n’est pas
des courriers réduit l’attention qu’on leur porte.
unique, elle n’est pas le fruit de consensus entre toutes les
associations et les collectifs d’aide aux SDF. Les associations
Il semble que la communication directe soit ainsi stimulée
tiennent en effet à garder leur identité propre et développent donc
par Internet. Permettant d’atteindre des publics plus ciblés,
une certaine méfiance vis-à-vis d’éléments extérieurs. Cette
potentiellement plus impliqués, et d’éviter les pièges de la
méfiance se manifeste envers trois types d’acteurs : les associations
médiatisation de masse, elle est un composant essentiel de la
elles-mêmes, les médias et les politiques.
communication associative. Cependant, selon nous, elle ne doit pas
•
être vue comme une alternative à un recours aux media de masse :
Le manque de consensus entre associations
ceux-ci présentent des avantages tellement considérables qu’il est
indispensable de potentialiser la confiance entre ces acteurs. Mais la
La lutte contre la grande exclusion et la précarité fait
dispersion des acteurs associatifs peut aussi être un facteur
intervenir de nombreux acteurs. Certes, ils concourent tous à
d’inefficience de la communication associative.
l’amélioration des conditions de vie des SDF et tentent de mobiliser
le plus de forces vives possibles afin que leurs actions soient prises
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- 55 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
en compte par les autorités publiques et soient suivies de retombées
travail de terrain plutôt que de chercher la médiatisation à tout prix.
politiques, mais les associations n’ont pas toutes la même
Toutefois, les associatifs et les journalistes tendent à
philosophie, elles n’ont pas toutes les mêmes méthodes de travail et
penser que cette méfiance réciproque s’efface de plus en plus, et ce
les mêmes moyens d’intervention. C’est cette différence primaire
grâce à l’influence de l’association Les Enfants de Don Quichotte25.
entre les objectifs des associations qui est à l’origine de la méfiance
Cette dernière a su depuis près de trois ans amorcer un mouvement
latente entre elles. Cette méfiance peut se manifester de diverses
fédérateur des associations d’aide aux sans abris. Les membres de
façons. L’une d’entre elles est d’abord la critique de l’action menée
cette association, et plus précisément leur président Augustin
24
par les autres associations. Selon Monsieur Louis , « certaines
Legrand, ont su mobiliser les médias autour de la grande exclusion,
associations ont le monopole de la pauvreté en France, alors
tout en ayant recours au soutien d’autres associatifs. Cette
qu’elles ne se cantonnent qu’à la distribution de nourriture. Les
coopération s’est notamment vérifiée lors de l’organisation de la
Restos du Cœur par exemple sont souvent une vitrine ou l’occasion
Nuit Solidaire pour le Logement26 le jeudi 21 février 2008 à la
d’un retour en grâce de chanteurs en quête de ventes. Les petites
Place de la République à Paris. Cet événement suscita un réel
structures sont quant à elles plus libres et plus efficaces. Les grosses
engouement : près de 27 associations (parmi lesquelles ATD Quart
doivent par contre accepter la conformité imposée par l’Etat. L’Etat
Monde, Les Petits Frères des Pauvres ou encore le Secours
leur donnant la plus grande partie de leur financement. ». Cette
Catholique) avaient décidé d’organiser conjointement cette soirée
suspicion entre associatifs se cristallise ainsi par une distinction
dont l’objectif était de faire part aux puissances publiques la
entre grandes associations qui disposent de moyens financiers
première de leurs revendications : des logements décents pour les
importants et qui souvent jouent les premiers rôles au niveau
25
médiatique, et les petites associations, qui estiment que leurs actions
sont plus « efficaces », car elles se concentrent avant tout sur le
Et ce bien que certains associatifs aient critiqué les Enfants de Don Quichotte
pour leur prétendu opportunisme.
26
La Nuit solidaire avait aussi son blog. Ce dernier est accessible à partir
du site des Enfants de Don Quichotte au
24
http://www.lesenfantsdedonquichotte.com/v4/index.html
Mr Christophe Louis est Président de l’association Les Enfants du Canal et
Président du collectif Les Morts de la Rue.
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- 56 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
personnes sans abris. Cette soirée a été l’occasion d’une réelle
division du travail entre les associations. En effet, dès le 20 février la
publicité de cette soirée avait été assurée par Augustin Legrand et
Mathieu Kassowitz sur le plateau de l’émission de télévision Le
Grand Journal diffusée sur Canal +. Cependant la logistique était
assurée
par
des
associations
telles
qu’Emmaüs
(sécurité,
stands…etc.) et les conférences de presse improvisées avec les
nombreux journalistes présents étaient principalement assurées par
Augustin Legrand.
Nuit Solidaire pour le Logement du 21 février 2008
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- 57 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
véhiculent une image positive des associations, ces dernières ne sont
pas aussi enclines à leur faire confiance. Ainsi, il nous a semblé que
l’utilisation des media par les associations n’est pas aussi poussée
qu’elle pourrait l’être, et au cours de nos entretiens, une certaine
méfiance a pu être mise en avant par les associations. Ce phénomène
est à analyser car il peut être la cause d’une communication non
optimale. En effet, il en résulterait que le potentiel de
communication des associations ne serait pas exploité.
Il convient d’analyser les différents facteurs qui peuvent
mener à la méfiance. Il est à ce titre nécessaire de rappeler que les
associations et les journalistes appartiennent à deux mondes et à
deux logiques différentes. Il y a donc une part de méfiance qui est
naturelle, liée aux objectifs de ces deux catégories d’acteurs,
simplifiés comme suit :
Nuit solidaire pour le logement du 21 février 2008 : Un logement
(maison) témoin dans lequel on trouvait tout le nécessaire, à savoir
de nombreux meubles, un réfrigérateur, de nombreux sièges, un
évier, des tapis. Il s’agit ici de la représentation concrète de ce que
voudraient obtenir les associations d’aide aux sans logis.
•
avoir de l’audience, pour les journalistes
•
aider les plus démunis pour les associatifs.
Si le clivage est à relativiser des deux côtés, la presse « reste un
produit marchand » (F. Gorget). Les media font partie du système,
•
système que beaucoup d’associatifs jugent injuste pour les plus
La méfiance des associations vis-à-vis des médias
défavorisés.
Si les média, d’après les journalistes et associatifs interrogés,
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- 58 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
média » 27 . Il résuma d’ailleurs ses propos par la phrase suivante :
« Il faut que les médias puissent faire comprendre aux Français une
Ainsi, l’un des freins à la communication autour du combat des
chose : « comment la France peut accepter d’avoir des pauvres sur
associatifs contre la grande exclusion réside dans la méfiance de
son territoire ? » 28 Ainsi, la conscientisation faite par les médias est
certains acteurs du milieu associatif envers les médias. Cette
vue comme un élément de départ essentiel, mais le but est de
méfiance s’ancre dans le sentiment qu’ont certains associatifs que la
provoquer une réaction chez les Français afin qu’ils ne soient plus
couverture faite par les journalistes de la question de la grande
seulement passifs face à la grande exclusion. Selon les associatifs, il
exclusion est trop simplificatrice et trop réductrice. Leurs actions sur
faudrait que les reportages télé et les articles de journaux soient faits
le terrain méritent, selon eux, un traitement plus approfondi et plus
de telle façon qu’ils puissent convaincre leur public et les pousser à
recherché. Certes, il existe des contraintes, comme la limite
s’investir dans cette lutte contre l’exclusion des SDF.
temporelle imposée aux reportages télévisuels lors du journal de 20
heures, mais les associatifs estiment que des reportages d’une plus
Il est toutefois probable que l’amélioration de la communication
grande longueur devraient leur être consacrés. En effet, ils estiment
autour des personnes sans domicile passe en une meilleure
que leur travail est source d’innovation sociale et qu’en tant que tel,
collaboration entre associations et media, et par conséquent par la
il doit faire l’objet d’une plus grande attention. C’est d’ailleurs ce
construction de rapports de confiance.
que pense M. Christophe Louis. Celui-ci déclare en effet : « si les
•
média sont juste un spot, cela ne représente pour nous aucun intérêt.
Ce qui serait positif serait de favoriser des reportages qui vont plus
La méfiance des associatifs à l’égard des politiques.
Enfin, le dernier type de méfiance que peuvent éprouver les
au fond des choses pour que des associations comme la nôtre se
associations est celui qui se manifeste à l’égard des personnes
fassent entendre. Le problème des reportages médiatiques est qu’ils
sont aussi faits pour donner bonne conscience mais ne vont pas au27
delà. Le SDF est un problème de société, il faut aller au-delà du
28
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- 59 -
Extrait de l’entretien entre Christophe Louis et Christophe Cambona réalisé le
2 avril 2008.
Idem.
La communication de l’exclusion
Juin 2008
politiques. Les associatifs ont parfois des soupçons vis-à-vis de
Néanmoins, les associatifs remarquent souvent que les
l’intérêt que peuvent porter les politiques à leurs actions. Ces
politiques ne s’évertuent à trouver des solutions à la grande
soupçons sont d’ailleurs partagés par les principaux intéressés de
exclusion que lorsque sont menées des actions « coup de poing »
l’action associative : les SDF eux-mêmes. En effet, ces derniers sont
comme celles des Enfants de Don Quichotte. Ils dénoncent ainsi une
souvent blasés par les discours politiques à leur sujet. Comme le
politique toujours réactive plutôt qu’active envers les SDF. Les
rappelle M. Louis, les SDF « ne croient plus aux promesses des
membres d’associations se rendent également compte que l’action
ministres, notamment celui du logement. La vie politique leur parait
des hommes politiques se base également sur d’autres critères, tels
29
Les SDF se sentent en effet exclus du
que les périodes électorales. C’est ce que souligne M. Louis en
fonctionnement de la société bien que paradoxalement on observe
déclarant que « les associations comme la nôtre ne sont pas bien
chez eux un très grand intérêt pour l’actualité. Les démarches
vues pendant les élections. Ce n’est qu’après cette période que nous
récentes entreprises en leur faveur, notamment le Droit au Logement
sommes bien vus. Les élus veulent alors montrer leur générosité et
Opposable suscitent l’enthousiasme chez certains. Les associatifs
dire qu’ils s’occupent des pauvres. Un exemple : on a demandé à la
estiment également qu’il s’agit là d’une évolution importante dans
mairie un lieu communal à Paris et on nous a fait comprendre
leur lutte afin de sortir les SDF de la rue. Mais pour des associatifs
« vous n’en parlez pas avant les élections », et ce pour en pas
comme M. Louis, « les SDF qui en sont les premiers bénéficiaires ne
heurter l’électorat. La politique ne se fait pas selon les besoins mais
se l’ont pas encore accaparée. Ils ne se sentent pas interpellés car
plutôt selon les intérêts. » 31
souvent uniforme. »
souvent ils sont rebelles à tout. » 30 C’est alors aux associatifs de les
Il y a enfin l’idée chez les associatifs que le travail qu’ils
remotiver et d’aider les SDF à faire les démarches nécessaires afin
réalisent est un palliatif aux lacunes de l’Etat. Ainsi, le but de P.
de pouvoir bénéficier des nouvelles mesures prises en leur faveur de
Meca est que ses diverses associations disparaissent. En effet, cela
la part des politiques.
signifiera soit que le problème a disparu, soit qu’il a été pris en
29
30
Ibidem.
Ibidem.
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31
- 60 -
Ibidem.
La communication de l’exclusion
Juin 2008
charge politiquement. P. Meca raconte une anecdote. Lors d’un
sur l’importance de la quête. J’annonce aussi les réunions
match de football réalisé avec des SDF, M. Borloo est venu. Il a
d’information et de recrutement. Nous distribuons aussi les fiches
salué Augustin Legrand, mais a oublié de saluer Pedro Meca. Celui-
d’inscription après la messe. » 32 Ce genre de communication à très
ci l’interpelle, et M. Borloo s’excuse et le félicite : « c’est
petite échelle peut sembler très isolé mais il suffit selon Mr
formidable ce que vous faites ». Mais P. Meca lui a répondu : « Moi
Abraham, qui estime que, comme les maraudes organisées par son
je ne vous félicite pas. Ce qu’on fait, c’est vous qui devriez le
collectif se cantonnent à certains quartiers du 15è arrondissement de
faire ».
Paris, il n’y a nul besoin de communiquer à une plus grande échelle.
A contrario, les associations de taille nationale rivalisent de moyens
2- Une communication associative parfois isolée
pour financer des campagnes de communication afin de sensibiliser
La communication faite par les associatifs peut en outre
l’ensemble des Français à leurs combats. On peut ici se référer aux
parfois paraître trop ciblée. Cela vaut notamment pour les petites
très grandes affiches diffusées par le Secours Catholique ou encore
structures, qui elles visent tout d’abord un public plus local, et ce par
aux concerts organisés par les Restos du Cœur, qui bénéficient du
le truchement de prospectus ou de journaux diffusés et distribués à
soutien de personnalités et qui suscitent un engouement populaire
très petite échelle (comme l’arrondissement où se trouve le siège de
tous les ans. Cependant, pour ces grandes campagnes, nous devons
l’association). Les petites associations se distinguent également par
souligner l’absence de campagnes communes d’ampleur entre les
l’originalité de leur communication. C’est notamment le cas des
grandes associations. La communication est certes variée, mais
collectifs paroissiaux venant en aide aux personnes sans abris de leur
totalement parcellisée.
quartier. Le collectif paroissial Antigel en fait partie. Antigel
regroupe ainsi 50 paroissiens bénévoles. Son responsable, Monsieur
Abraham, décrit ses efforts de communication de la sorte : « La
communication de nos actions dans l’Eglise se fait lors de prises de
32
paroles une fois par an pendant la messe. J’attire alors l’attention
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- 61 -
Extrait de l’entretien entre Pierre Abraham et Christophe Cambona réalisé le
14 mars 2008.
La communication de l’exclusion
Juin 2008
III. La communication autour des SDF évolue et dessine des
pistes d’améliorations.
a. Une mobilisation citoyenne pour trouver
des solutions aux problèmes des SDF
La communication autour des SDF, qu’elle soit médiatisée ou
directement effectuée par les associations, est en proie à des
Les enfants de Don Quichotte se revendiquent comme un
évolutions. Celles-ci sont instructives et permettent de dessiner des
mouvement citoyen. Il part d’un simple sentiment de révolte vis-à-
pistes d’évolution dans lesquelles la communication potentialiserait
vis de la condition des SDF. Augustin Legrand assure que cette
davantage une bonne appréhension citoyenne et politique du
action a été mue par le constat suivant : il y a des gens à la rue qu’on
problème. D’abord, ces dernières années ont vu émerger un nouvel
croise tous les jours qui vivent dans des conditions infrahumaines.
acteur que nous devons analyser en profondeur : les enfants de Don
Or, il y a des solutions au problème du logement, les citoyens
Quichotte (A). En donnant la parole aux SDF, ces derniers
doivent donc se mobiliser pour les mettre en oeuvre sans délai.
permettent de dessiner une première évolution, laquelle serait, sans
Aujourd'hui, les enfants de Don Quichotte reste une association qui
nul doute, bénéfique pour la cause des SDF : la communication
se réunit occasionnellement, qui effectue une « veille » sur le thème
effectuée par les SDF eux-mêmes est une perspective souhaitable
et envisage de renouveler des actions si la situation le requiert. Ils
(B). Enfin, d’autres pistes qui permettent une plus étroite
insistent sur leur identité citoyenne et non partisane. Ainsi,
collaboration entre les associations et les médias sont à souligner
« quiconque peut se revendiquer enfant de Don Quichotte ».
(C).
La première action, et sans doute la plus retentissante, fut celle
des « enfants du Canal ». Augustin Legrand a l’idée d’aller passer
A. L’action novatrice des Don Quichotte
des nuits dehors avec les SDF, avec des personnes engagées autour
de la question, à la mi-décembre 2006. Le but est alors de permettre
1- L’action novatrice des enfants de Don Quichotte
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- 62 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
aux Parisiens de pouvoir passer une nuit dehors et de partager le
Après quelques semaines, un dilemme se pose aux enfants de
quotidien de leurs concitoyens à la rue. Dans la nuit du 15 au 16
Don Quichotte : faut-il continuer le mouvement jusqu’au bout, pour
décembre 2006, elle installe un village de quelque 200 tentes rouges
arriver à des résultats concrets, au risque de s’exposer à des dérives
sur les berges du Canal Saint-Martin à Paris. L'association crée
violentes qui décrédibiliseraient le mouvement ? La plupart des
également un site sur lequel elle met en ligne la "Charte du Canal
associations leur conseillent alors de se retirer : l’action a fait son
Saint Martin", signée le 25 décembre 2006. Les nuits s’enchaînent et
temps, elle a servi à remettre le logement au cœur de l’actualité, il ne
le nombre de participants ne cesse de croître (on dénombre plus de
faut pas trop en faire. Pourtant, les enfants décident de continuer la
300 tentes le long du Canal), rencontrant un écho médiatique
mobilisation jusqu’à l’obtention de résultats politiques.
considérable. Des campements se montent à Nantes, Strasbourg,
Lille, Grenoble ou Bordeaux. Les associations parisiennes d’aide
Les enfants de Don Quichotte effectuent ensuite d’autres actions.
aux sans-abri se joignent au mouvement. Pendant plusieurs
Fin 2007, constatant que le DALO, mis en oeuvre dans les textes, ne
semaines, le collectif qui s’improvise « enfants de Don Quichotte »
pourrait accomplir toutes ses promesses par un manque de crédits
doit alors formuler un message autre que celui de « sensibiliser » et
(promesse de construction de 117 000 logements, seulement 100 000
de « faire partager le quotidien des SDF aux Parisiens ».
en projet), ils entreprennent une nouvelle action. Elle est menée dans
la confidentialité. Ils contactent les journalistes et les préviennent
Il y a alors la récupération de l’une des plus vieilles
d’une action gare du Nord. Les journalistes se pressent donc sur les
revendications des associations d’aide aux SDF : celle du droit au
lieux, de même que les forces de l’ordre. Or, il s’agissait d’une
logement opposable (DALO). La manifestation, massive, a alors un
diversion, dans la mesure où les enfants de Don Quichotte montent
message clair : il est possible de remédier à cette misère par la mise
un campement sur le parvis de Notre-Dame. Ils disposent alors de
en œuvre du DALO. Les témoignages des SDF qui ont accompagné
quelques minutes avant que les journalistes et surtout les forces de
A. Legrand soutiennent l’argumentation.
l’ordre n’arrivent. C’est à cette occasion qu’un des enfants de Don
Li b e g a f
________________
- 63 -
La communication de l’exclusion
Juin 2008
mobilisations. »
Quichotte tombe à l’eau, légèrement bousculé par un policier.
Ainsi, l’objectif de faire partager les nuits à la rue des SDF
n’a été que partiellement rempli. Cependant, M. Choutet se défend :
b. Un incontestable succès politique
« Malgré tout, trois ou quatre cent tentes sur le Canal, c’est quelque
Le succès de l’action des Don Quichotte est un sujet qui mérite
chose. Bien-sûr que ç’aurait été mieux d’en avoir quatre mille. Mais
des développements. S’ils n’ont pas rempli leur objectif initial, ils
l’important, c’est d’avoir offert la possibilité aux Parisiens de le
ont ensuite eu des résultats politiques remarquables.
faire. Ensuite, qu’ils l’aient fait ou pas... ». Ensuite, l’objectif de
Ce passage de notre entretien avec P. Meca révèle que l’action des
trouver un logement aux SDF a été en grande partie rempli, avec
Don Quichotte est contestable et qu’il faut l’analyser avec recul.
toutefois un bémol : l’injustice que certains SDF du Canal trouvent
« Quel jugement sur la communication des Enfants de Don
un logement avant des personnes qui l’avaient demandé depuis
Quichotte ? il n’y avait rien de nouveau !
longtemps. Il semble également que certains SDF ont été déçus des
Il semblait qu’il y avait un nouvel élan… Dans une certaine
résultats de cette action. Enfin, le dernier objectif des enfants de Don
mesure, oui, mais pour quoi faire ? Je connais bien Augustin
Quichotte, celui de créer un électrochoc sur la société pour qu’elle
Legrand. Je lui ai dit : tu te rends compte que c’est d’abord un
prenne conscience du drame vécu par les personnes sans domicile, a
échec, les Enfants de Don Quichotte ? Car le but était d’inciter les
sans nul doute été atteint. En effet, leur action a été massivement
gens à dormir dans la rue. A ce niveau c’est un échec, malgré
relayée par les media et a suscité un réel intérêt de la part de la
quelques personnes qui sont venues. Mais même après : qu’est-ce
population. Certes, la frontière entre la simple curiosité et la réelle
qu’on sait des personnes qui étaient là aux cotés des enfants de Don
prise de conscience est ténue, mais il semble néanmoins que la
Quichotte ? de ceux qui se sont éventuellement fait doubler ? Je
question ait été au centre des débats pendant au moins un mois. En
crois dans les actions ponctuelles, mais pas n’importe lesquelles. Il
plein hiver, comme par hasard.
faut
faire
attention
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________________
dans
notre
manière
d’analyser
les
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La communication de l’exclusion
Juin 2008
médiatisation de ces sujets pour qu’il y ait une action politique ?
Par leur action le long du Canal, les enfants ont obtenu des
résultats politiques incontestables. Ils sont invités à Matignon pour
- Malheureusement, je dirais que oui. J’étais convaincu avant le
négocier. Ils se font notamment accompagner par des SDF, afin de
canal que l’on pouvait convaincre les politiques par la raison, par
donner du corps à leur argumentation, et reprennent l’argumentaire
un bon dossier. Mais les faits ont montré que les politiques ne
sur le DALO. Dans la première semaine de janvier, le gouvernement
bougent que par la pression. Après le plan Borloo, nous avons tiré
annonce un projet de loi sur le droit au logement opposable, examiné
la sonnette, attention les objectifs ne seront pas tenus. Nous sommes
en conseil des ministres le 17 janvier 2007. Cependant, l'association
allés voir les parlementaires, etc. Et rien ne s’est passé, on a fait une
des Enfants de Don Quichotte choisit de ne pas de retirer le
conf’ de presse, on a été reçu par M. Fillon, mais rien n’a bougé.
campement du quai de Jemmapes. La loi n° 2007-290 du 5 mars
Alors, nous avons décidé de faire l’action sur le parvis de Notre
2007 instituant le DALO et portant diverses mesures en faveur de la
Dame. Un mois après, nous avons été reçus par M. Fillon et là, cette
cohésion sociale est publiée au Journal officiel le 6 mars 2007.
fois, il a débloqué 250 millions d’euros. Sans cette action, ça
n’aurait pas eu lieu. Il y a besoin des medias pour faire changer les
choses. M. Borloo expliquait cela dans un bouquin récemment :
Les enfants de Don Quichotte, en quelques semaines, ont ainsi
ce que des dizaines d’associations désiraient depuis
« allez voir un politique, il va vous recevoir, il va vous taper dans le
longtemps. Le collectif « alerte » avait été créé pour fédérer les
dos, merci mon ami ». Mais si vous allez le voir et vous le menacez
associations autour de cette revendication. Or, ce collectif avait peu
de tout bloquer, vous verrez que ça va bouger. Avec le temps, et pour
de visibilité, les enfants de Don Quichotte ne le connaissaient pas.
nuancer ce que je viens de dire, j’arrive à penser que l’idéal c’est
La revendication structurée, n’avait jamais obtenu une mise à
quand même d’arriver à convaincre les politiques, il faut être béton
l’agenda politique. M. Choutet montre que cela ne suffit pas pour
sur le fond, avec des bonnes approches, des demandes précises, et
engendrer l’action politique :
ensuite, être capable de mettre la pression.
réussi
- Le Dalo ayant vu le jour grâce à vous, peut-on dire qu’il faut une
Cette victoire politique est encore soumise à caution. En
Li b e g a f
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La communication de l’exclusion
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effet, une loi votée doit ensuite être mise en oeuvre. Or, comme il a
ensemble. Aux yeux des enfants, ce statut permet d’être plus audible.
été dit précédemment, la construction de logements s’est avérée
Cependant, cela n’empêche pas la collaboration avec les associations
inférieure à ce qui était nécessaire pour correctement mettre en place
spécialisées.
le DALO. Selon H. Cardoso, « les budgets n’ont pas suivi, il s’agit
donc d’une avancée concrète avec des résultats décevants ». Et de
L’élément le plus marquant dans ces mouvements citoyens
qualifier ce choix politique de « criminel ». Les luttes ont donc dû
réside sans doute dans le « coup médiatique » qu’ils occasionnent.
continuer avec leur action sur le parvis de Notre-Dame, dont les
Cette approche par électrochocs suscite le traitement retentissant de
effets politiques sont moins nets que ceux de leur première action.
l’action par les media. Pour eux, en effet, il s’avère plus simple de
parler d’un événement ponctuel, massif et clair, plutôt que d’un
2-Une nouveauté à relativiser
travail de longue durée pour une cause complexe. C’est ainsi que ces
coups médiatiques suscitent un traitement massif de la part de
Le mouvement des Don Quichotte est-il nouveau, au point de
l’ensemble des media et permettent ainsi de toucher un nombre
constituer un tournant dans l’action pour les sans domicile ? Le
considérable de citoyens. Ces derniers sont même entrés en
mouvement semble avoir innové par ses méthodes, mais en
concurrence pour avoir les meilleures informations à ce sujet. C’est
reprenant certains aspects de la communication exercée par l’Abbé
alors qu’au-delà du « coup », une personne comme Augustin
Pierre.
Legrand s’est attachée à expliquer plus profondément l’action et ses
objectifs.
L’action des enfants des enfants de Don Quichotte présente
d’abord la particularité d’être une action citoyenne. L’objectif est de
Le « coup » médiatique est efficace s’il s’accompagne d’une
montrer que la mobilisation ne s’inscrit pas dans la stratégie de telle
personne fédératrice, d’un leader. Les enfants l’ont trouvé en la
ou telle association, mais qu’elle interpelle le corps social dans son
personne d’Augustin Legrand : cet acteur sait parler clairement aux
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La communication de l’exclusion
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media et a une « bonne gueule ». Les media se sont ainsi attachés à
gratuitement sur le net, sont des initiatives originales et parlantes. Il
ce personnage « authentique ». Ce leadership permet la formulation
est ensuite plus aisé pour les journalistes de transmettre le message
d’un message clair et visible. De plus, il s’est doublé du soutien de
ou pour les citoyens d’en parler autour d’eux.
quelques personnes de renommée – Jean Rochefort notamment -, ce
qui a multiplié la visibilité médiatique du sujet.
Ces ingrédients de la réussite de l’action des enfants de Don
Quichotte ne sont pas nécessairement nouveaux, mais il est évident
En troisième lieu, les enfants de Don Quichotte ont, dans leur
qu’ils ont constitué un cocktail efficace pour communiquer autour de
action, accru l’utilisation des media qui était faite auparavant. Tous
la question des SDF. Aussi ne faut-il pas oublier que ces initiatives
les jours, pendant l’opération du Canal, des interventions étaient
fonctionnent si le « contexte » politique et socio-économique est
prévues. Des communiqués n’ont cessé d’informer les media. Il y a
favorable.
également eu une fidélisation des journalistes au thème, dans la
mesure où certains d’entre eux ont été incités à partager de longues
Pour autant, le mouvement initié par l’Abbé Pierre à l’hiver
heures avec les militants. Cette pratique visait à mieux former les
1954 avait suscité un élan considérable, rythmé de lancinants « plus
journalistes pour rendre compte du phénomène. Néanmoins, cela
jamais ça ». La présence d’une personnalité fédératrice et attachante,
venait souvent de l’initiative même des journalistes, désireux de
d’appels tels que « l’appel de l’Abbé Pierre » et leur originalité
comprendre le mieux possible le mouvement et, sans doute, de se
avaient également suscité un fort écho médiatique. La réalisation du
montrer solidaires à titre individuel.
film « les chiffonniers d’Emmaüs » s’inscrivait dans la même
logique. Le look de l’Abbé Pierre fait également partie du succès. En
Enfin, une telle médiatisation est facilitée par l’organisation
outre, l’abbé Pierre croyait en la capacité des media à faire évoluer
d’un événement original. Autant le campement au Canal St Martin,
les choses. Ainsi, il déclara une fois : "Si vous revenez demander à
le vrai faux campement à Notre-Dame, ou le court-métrage diffusé
ces travailleurs un permis de construire impossible avec leur faible
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La communication de l’exclusion
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salaire, je vous avertis, je convoque la presse, la radio, le cinéma, je
Cette évolution provoquée par les enfants de Don Quichotte peut
mets mon écharpe de député, mon étole de curé par dessus, et puis je
prends un pot de peinture, j'affiche leurs actes de naissance, et j'écris
aboutir à une division du travail dans le domaine de l’exclusion qui
dessus "PERMIS DE VIVRE". Ainsi les enfants de Don Quichotte
peut être efficace.
Il y a une interdépendance entre les enfants de Don Quichotte et
ont pu s’inspirer de certains procédés utilisés par l’Abbé. Ils ne sont
pas les seuls : la réussite d’associations comme
les autres associations. En effet, il convient d’abord de montrer que
les « restos du
les enfants n’auraient pas rencontré un tel succès si le tissu associatif
cœur » tient de mécanismes médiatiques similaires.
ne s’était pas joint à ses mouvements. Surtout, les associations,
Toutefois, dans le domaine des personnes sans domicile, il y
« techniciennes » du sujet, avaient formulé depuis des années une
avait longtemps que de telles actions n’avaient pas été menées pour
revendication claire, solide et argumentée (le DALO), qui a pu être
réveiller l’opinion. Ces dernières années, Emmaüs, le Secours
reprise avec aplomb par les Don Quichotte. La médiatisation
Catholique ou encore le Samu social, pour ne citer qu’eux, n’avaient
s’accompagnait ainsi d’une revendication formulée, ce qui a permis
pas réussi à ce qu’on parle autant des sans-abri. A ce titre, et bien
une « mise à l’agenda politique » où, là encore, l’expertise des
que cela reprenne certains aspects classiques de la communication
associations a été cruciale. Cependant, ces résultats n’ont été obtenus
associative, l’action des enfants de Don Quichotte peut être
qu’à la suite de la mobilisation de masse initiée par les Don
considérée comme une évolution marquante dans la communication
Quichotte.
autour des SDF.
Cette division du travail peut continuer à régir
3-Une nouvelle répartition des tâches entre
l’action en faveur des SDF. En effet, il semble que ces dernières
associations qui associe les méthodes des enfants de
années la communication exercée par les associations n’a pas été
Don Quichotte
à même de provoquer des avancées majeures. Si les enfants de
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La communication de l’exclusion
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communication par les SDF
Don Quichotte peuvent rester dans un rôle de catalyseur
médiatique, sans s’approprier les succès ou même revendiquer la
Le besoin de communiquer et d'écouter les SDF est
paternité de réformes comme le DALO (ce qui serait une erreur
aujourd'hui reconnu comme étant une base fondamentale de l'aide
et qui constitue une crainte de nombreuses associations), alors il
qu'on peut leur apporter. Selon H. Cardoso, c’est même « la clé ».
se peut que les associations aient intérêt à se fédérer autour
Mais lorsque la communication se fait sans eux, sur eux mais en
d’eux lors de la réalisation de « chocs médiatiques ». Selon H.
dehors de leur champ d'action et de réflexion, peut-on vraiment
Cardoso, ces « chocs », « le Secours Catholique ne peut pas les
mener une politique d'aide efficace sans l'intervention directe des
réaliser, car n’étant pas ‘citoyen’, il a un rapport différent avec
avis des principaux concernés ?
les autorités ». Comme le résume M. Choutet, « il y a clairement
En effet, la communication SDF est quasi-inexistante, à
une complementarité entres les enfants de Don Quichotte et les
quelques exceptions près: en effet, que ce soit dans les média
autres acteurs associatifs, si nous sommes présents dans les
traditionnels ou sur Internet, ou dans les publications des
media, si nous donnons envie aux gens de comprendre, sans nous
associations, les SDF ont rarement la parole et, s'ils l'ont, c'est de
poser en experts ».
manière limitée et uniquement pour parler de leur parcours d'exclus.
Ainsi, dans sa communication, le SDF est limité à ce qu'il n'est pas
par rapport aux autres membres de la société: il n'est jamais
B- Les SDF, acteurs oubliés du processus : ne peuvent-
considéré comme un citoyen à part entière. Si ce phénomène se
ils être que le récepteur ou le sujet de la
retrouve pour d’autres catégories d’individus (les journalistes
communication ?
interrogent certaines personnes par rapport à ce qu’elles connaissent
le mieux : dans le cas des SDF, il s’agit de la précarité), il montre
que les SDF subissent la communication autour de la grande
a- Une
communication/médiatisation
paternaliste, ou la faiblesse de la
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exclusion plutôt qu’ils n’agissent dessus. Or, qui mieux que les
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La communication de l’exclusion
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principaux intéressés peut prétendre incarner un discours et une
z
Le SDF peut-il être autre chose qu'un exclu? L'absence de
communication
cause ?
sur
les
autres
caractéristiques
des
personnes.
C'est d'ailleurs probablement l'une des raisons pour
lesquelles la candidature de Jean-Marc Restoux, candidat SDF à la
C'est en effet cette dichotomie insérés/exclus qui est la
mairie du sixième arrondissement de Paris, a fait tant de bruit : un
plus présente dans l'image que l'on donne habituellement des SDF, et
exclu a, par ce biais, réinvesti la scène médiatique en se basant sur
c'est aussi celle qu'il s'agit de briser pour lutter contre la
autre chose que son statut d'exclu : il n'était alors plus seulement
stigmatisation. En effet, considérer les SDF comme des citoyens à
considéré, comme le veut le stéréotype, comme un SDF indolent,
part entière, et non comme des citoyens de seconde classe ou des
incapable d'action et de réflexion, mais comme un citoyen à part
charges pour le reste de la société, est une étape essentielle pour
entière, avec des droits et des devoirs – et un accès possible à une
permettre une meilleure compréhension et une meilleure intégration
fonction élective. Il a pu ainsi notamment affirmer que "En montant
des exclus, en les prenant en compte comme des citoyens à part
des listes, on va montrer aux gens que les gars de la rue ne sont pas
entière.
que des abrutis. Ils ont des idées et ont le droit de participer au
Cette dénonciation d'une vision du SDF comme d'un être
débat comme tout le monde" 33 . Bien qu'il n'ait pas remporté de siège
qui serait limité à sa condition d'exclu peut aussi se retrouver dans
au conseil municipal, sa candidature et la poursuite d'une campagne
l'absence de médiatisation de ce qu'Augustin Legrand (par exemple)
pendant toute la période ont été des succès en eux mêmes, en
a appelé les sondages de SDF: en effet, les grands instituts de
montrant que les SDF pouvaient eux aussi être maîtres de leur
sondages réalisent aussi des enquêtes sur qui sont et ce que
propre communication et agir sur la scène publique comme tout
demandent les SDF. Mais ces enquêtes sont totalement absentes des
citoyen.
grands médias traditionnels. L'idée même de faire des SDF des
acteurs politiques, ayant des droits et des exigences, est
33
généralement absente des débats : ainsi, les politiques consultent les
http://www.lepost.fr/article/2008/01/04/1077404_elections-municipales-unsdf-candidat-a-la-mairie-du-6e.html
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associations mais pas les personnes sans domicile, car leur langage
intéressés par les images et sur ce qu'on dit d'eux en tant que
est plus formaté et accessible : il semblerait qu'ils doivent se
personne plus que par le contenu des articles en lui même.
Le paternalisme peut sembler dans une certaine mesure
satisfaire de ce qui est bon pour eux, et donc d'une vision très
nécessaire dans les conditions actuelles, mais in fine fait des SDF
paternaliste de l'aide.
des acteurs médiés de la communication, ainsi que des récepteurs. Si
z
Le paternalisme est déjà très présent dans le traitement
les exclus ne sont pas intéressés par la communication sur
médiatique de l'exclusion, et il faut prendre garde à ce que
l'exclusion, ce qui est compréhensible dans la mesure où ils la vivent
celui-ci ne se répète pas lorsqu'on incite les SDF à
eux mêmes tous les jours, il ne faut pas en conclure qu'ils ne sont pas
communiquer.
intéressés par les médias et les politiques : comme vu
Mais la question qui reste à poser, dans ces conditions,
précédemment, ils sont généralement assez au courant de l'actualité
est aussi celle de la volonté des exclus eux mêmes: s’il nous semble
(par les journaux, les gratuits, la radio) et ont parfois des opinions
judicieux de développer une communication des SDF eux mêmes,
politiques réelles (encore une fois, il est difficile de généraliser) :
celle-ci découle notamment de l'aspect paternaliste de la
mais la communication des exclus sur des sujets de société ou des
communication qui existe actuellement sur le sujet. Il conviendrait
sujets politiques plus vastes peut sembler judicieuse pour mieux
donc de ne pas répéter le même type d'erreurs et d'obliger les exclus
intégrer les exclus aux paysages médiatiques.
à réaliser une communication qui irait dans un sens donné, dans le
Ainsi, le but serait principalement de changer l'image
sens qui arrangerait le plus les journalistes.
médiatique sur les exclus eux mêmes : le mouvement commencé
En effet, certaines associations proposent des revues
avec Jean-Marc Restoux, qui développe l'idée de sans-abris qui sont
mensuelles ou trimestrielles dans lesquelles elles parlent directement
malgré tout des citoyens comme les autres, pourrait ainsi se
des sans-abris avec lesquels elles ont des contacts réguliers; mais il
développer. L'image du SDF qui boit, qui n'a jamais travaillé et qui
semble que les SDF qui sont liés à ces associations sont plus
n'est qu'une charge pour la société doit être combattue, et elle le
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La communication de l’exclusion
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serait idéalement par l'exemple, avec des SDF qui investissent
plus construite. Les associations peuvent ainsi jouer un rôle, du
l'espace médiatique avec des interventions construites.
moins dans un premier temps, en aidant les exclus à écrire des
articles et des brèves traitant des sujets qui les intéressent le plus. Il
y a par la suite de bonnes chances pour que, si cette communication
b- Comment donner la parole aux exclus dans
les médias?
fonctionne, elle soit reprise par les médias plus traditionnels ; les
buzz Internet et l'information virale sont en effet de plus en plus
Comment changer la situation ? Donner une parole plus
repris par les journaux et télévisions. Pour cela, les nouveaux médias
directe et plus efficace aux SDF semble essentiel pour transformer
peuvent représenter une solution pertinente et peut-être plus réaliste
cet état des choses. Pour cela, il s’agit de surmonter les obstacles à la
que l'intégration dans la presse traditionnelle par exemple : la
communication par les SDF : la peur de l’instrumentalisation de la
simplicité des ressources exigées, et surtout le faible nombre de
misère, celle de la médiatisation de discours peu construits, voire des
barrières à l'entrée, permet dans une large mesure de publier ses
effets contre-productifs de certains discours de SDF. Déjà, les
articles, et d'être reconnu selon la qualité du travail réalisé. Cela
réformes qui ont permis aux exclus de se faire domicilier auprès
pourrait être une première porte d'entrée vers une communication
d'une association, et donc grâce à une adresse, d'avoir la possibilité
médiatique par les exclus.
de voter, et de toucher des aides sociales, ainsi que d'avoir des
papiers d'identité (la carte d'identité étant ainsi devenue gratuite car
Donner la parole politique directement aux SDF, quelle efficacité ?
considérée comme un droit) permettent notamment une inclusion
plus grande des exclus.
L’action des Enfants de Don Quichotte, qui ont pris
D'autres évolutions sont cependant à envisager. On peut
l’initiative de faire venir avec eux des exclus lors de leurs
notamment penser à la possibilité offerte par Internet d'écrire des
discussions avec les politiques, offre une nouvelle voie pour une
articles, de se faire connaître, de présenter ses opinions de manière
communication renforcée des exclus et aussi à une conscientisation
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La communication de l’exclusion
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du problème par les politiques. En effet, l’idée des Don Quichotte a
semblé efficace aux différentes parties présentes. Ainsi, les
c- Une communication des SDF pourtant
hautement qualitative
politiques, en traitant directement avec les exclus, peuvent réaliser la
diversité de situations dans lesquelles ceux-ci se trouvent, et
envisager ainsi le problème dans sa globalité. De même, pour les
Il est essentiel, à ce niveau de la réflexion, de traiter un
exclus, cela permet de limiter le nombre d’intermédiaires, et donc de
paradoxe. Certes, la communication médiée par les SDF est
voir leurs revendications mieux prises en compte : malgré toute la
largement inexistante, pourtant, la communication qu’ils effectuent
bonne volonté des associations, certaines ont des sensibilités
au jour le jour est sans doute la plus qualitative de toutes. Nous
particulières qui peuvent les pousser à prendre en compte un
donnons ici quelques pistes de réflexion à ce sujet qui, selon nous,
problème plutôt qu’un autre. Cependant, il s’agit également d’éviter
pourrait être traité plus longuement.
de faire venir un ou deux SDF choisis au hasard pour donner plus de
Il est probable que l’opinion que se forgent les citoyens
poids ou de légitimité aux revendications, car le risque existe que les
au sujet des personnes sans domicile soit davantage influencée par le
exclus soient finalement exhibés, et montrés comme « bêtes de
contact qu’ils ont eu avec eux, et non de ce qu’ils lisent ou voient à
foire ». Au contraire, l’enjeu est de permettre de les montrer comme
la télévision, bien que cette dernière influence soit également
des citoyens à part entière, et capables de discussion : ainsi, une
importante. En effet, il faut considérer le moindre comportement des
communication des SDF avec les politiques est souhaitable, mais
SDF comme des actes de communication, dans la mesure où, étant
doit être organisée de telle sorte qu’elle soit exploitable ensuite par
sans-abri, ils sont des personnages publics. Dès lors, leur façon de se
les politiques. Une solution concrète pourrait être la création de
réveiller, de socialiser, de demander sont autant d’actes qui
groupements de SDF en collaboration étroite avec la FNARS par
construisent une représentation de l’identité SDF. En outre, il
exemple. Cela permettrait de coordonner l’action avec les différentes
convient de ne pas sous-estimer la force communicatrice de l’impact
actions sans prendre le risque d’être soupçonné de « paternalisme ».
sensoriel produit par les SDF : par exemple, l’odeur dégagée est un
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La communication de l’exclusion
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message qui peut avoir davantage d’influence qu’un long discours
extrême en lieux publics, dans le sens où ils constituent des
dans Le Monde, car il renvoie à un des codes principaux de la vie en
messages qui, à l’arrivée, rendent l’action en leur faveur plus
société : l’hygiène. De même, le discours proposé pour demander
difficile car moins consensuelle.
quelques pièces est une composante essentielle de la communication
A l’évidence, cet effort n’est pas alternatif de l’effort de
SDF : elle renvoie à la nécessité de manger chaud, de pouvoir
médiatisation par les SDF que nous avons évoqué précédemment :
prendre une douche, suite à une série d’évènements qui les ont
ils sont deux facettes de la nécessaire communication SDF, qu’on
conduit dans cette situation. Cette communication, dans les métros
peut regrouper sous les adjectifs simplificateurs de « quantitative »
par exemple, répétée à longueur de journée, peut même recouvrir un
et « qualitative ».
effet massif comparable à celui des médias. Cet effet est doublé d’un
impact direct humain. Toutefois, il s’agit également de considérer
C. Les pistes d’améliorations possibles
l’effet contre-productif que peut occasionner la répétition de ces
discours sur les citoyens qui, eux aussi, connaissent des souffrances
Privilégier les partenariats entre associatifs et professionnels de
la communication
au quotidien et sont excédés par les plaintes. Leur hostilité sera
d’autant plus grande qu’ils ont entendu des discours – répandus – sur
la prétendue richesse de certains SDF, sur leur fainéantise, sur le
La communication de l’exclusion apparaît donc imparfaite sous bien
caractère choisi de leur situation, etc.
des angles. Une absence flagrante de fond dans la majorité des
Notre propos est ici de redonner toute sa place à cette
enquêtes faites sur les SDF prive les téléspectateurs ou les lecteurs
communication quotidienne hautement qualitative. Il est important
français d’informations leur permettant de prendre réellement la
de faire prendre conscience de l’importance de cette communication,
mesure de l’état de pauvreté dans lequel vivent les sans abris. Une
plus ou moins involontaire, par les grands exclus. Selon nous, les
des solutions à ce manque d’implication de la part des journalistes
associations gagneraient à s’attacher à prévenir l’ivresse ou la saleté
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peut être la création de partenariats entre journalistes et associatifs.
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La communication de l’exclusion
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Ce type d’initiatives a déjà vu le jour. En effet, en 2007 l’association
De même la participation de journalistes à des maraudes de sorte à
ATD Quart Monde demanda à des journalistes du journal
pouvoir se rendre compte des difficultés auxquelles sont confrontés
L’Humanité de participer à la rédaction conjointe d’un journal
les sans abris et les personnes qui leur viennent en aide, peut
intitulé « Résistance ». Les personnes sans abris aidées par
constituer une piste d’amélioration de la communication de
l’association ATD pouvaient également participer à l’élaboration de
l’exclusion. Emilie Rive et François Gorget font donc figure de
ce journal. Des journées d’études étaient d’ailleurs organisées dans
porteurs d’innovation sociale car en adoptant l’identité de
les locaux de cette association et étaient consacrées justement à la
« journalistes – maraudeurs », ils garantissent à leur rédaction
question de la vision qu’ont les médias des sans abris. La journaliste
respective une information de qualité et empreinte de vécu.
Emilie Rive put prendre part à ces journées. Elle put proposer de
nombreux sujets pour les sessions de travail de novembre 2007. Elle
Il est d’autres pistes à suivre pour permettre une
déclara à ce sujet : « j’ai ainsi proposé de rédiger un article avec
meilleure communication autour de la grande exclusion.
une militante vivant de près l’exclusion. On a donc réalisé des
Selon F. Gorget, une des solutions au manque de
interviews en commun et ça a marché. On est parti par exemple à
profondeur dans l’approche journalistique serait la promotion des
Chambéry pour une interview. Cette femme s’est vraiment engagée
portraits. Ceux-ci permettent en effet de mieux s’identifier et de
dans ce qu’on faisait. Ce fut pour moi une expérience originale et
saisir toute la complexité de l’identité SDF. Des partenariats peuvent
34
L’idée d’impliquer plus grandement les associatifs
encore être réalisés à cet égard, par exemple la parution d’un portrait
au monde des médias s’avère être une innovation dans la mesure où
par semaine dans certains journaux. Selon F. Gorget, ces portraits
ces derniers ne servent plus seulement de sources d’informations
peuvent être encore plus bénéfiques à l’échelle locale, car ils
mais participent activement à la délivrance d’une information qui
traiteraient de personnes plus proches mais toujours méconnues.
enrichissante. »
décrit le plus fidèlement possible la situation des SDF.
34
Aussi, Internet est un outil, comme nous l’avons vu dans
cette étude, qui offre de multiples possibilités. A cet égard, il semble
Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14
avril 2008.
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La communication de l’exclusion
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indispensable de rompre avec la parcellisation de la communication
qui s’exerce sur Internet. Il est important que l’ensemble des
associations y aient recours de façon intelligente et attirante pour le
citoyen. Surtout, un portail Internet, organisé pour permettre un réel
référencement des ressources présentes (et non un simple catalogue
de liens) rassemblant l’ensemble des blogs SDF et autres sites du
même genre, donnerait une visibilité beaucoup plus grande au
phénomène, et permettrait une meilleure appropriation du sujet par
le citoyen… et indirectement par le politique.
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La communication de l’exclusion
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communication sont d’ailleurs bien résumées par Etienne Pozzo
Conclusion
lorsqu’il décrit le contenu de son film sur les centres de stabilisation
Ainsi, au terme de ce rapport, il ressort que la communication faite
pour SDF : « notre film comportera forcément des ellipses. C’est un
autour de la grande exclusion est en mutation. Les acteurs de cette
sujet délicat car il s’agit d’histoires d’êtres humains. C’est comme
communication, à savoir les journalistes et les associatifs tendent à
pour les maraudes : il ne faut pas projeter ton bien-être ou son bien-
changer leurs pratiques. Certes, des critiques peuvent être faites
être. » 35
quant à la façon dont ces acteurs émettent et transmettent leurs
Mais la communication passe également par les principaux
messages. En effet, on peut reprocher d’un côté aux journalistes de
intéressés : les SDF. Les impliquer plus dans les écrits et les
ne pas véritablement s’impliquer dans leurs reportages sur les SDF
reportages qui sont faits à leur sujet serait également un moyen
ou de ne traiter de l’exclusion que pendant l’hiver.
d’éviter qu’ils soient exclus de l’élaboration de l’information les
D’un autre côté, on peut estimer que les associations, notamment
concernant personnellement. Cette forme de collaboration entre
celles qui ont une petite structure, ne déploient pas beaucoup
communicants et sans abris est d’ailleurs de plus en plus utilisée, et
d’efforts afin de faire connaître leurs actions auprès du grand public,
ce par la figure du journaliste – maraudeur. Ce dernier, bien que
et manquent parfois de tolérance envers les acteurs qui traitent de
professionnel de la diffusion d’informations s’appuie sur des
l'exclusion comme d'un sujet comme un autre.
enquêtes de terrain menées de longue haleine afin de produire un
Cependant, il nous faut admettre que la communication de
message qui dépeint le dénuement et la détresse dans lesquels vivent
l’exclusion est un processus particulièrement difficile, les intérêts et
les SDF. Cette communication n'est cependant pas sans danger, avec
préoccupations des différents acteurs étant divergents et ne se
un risque d'instrumentaliser les SDF pour entrer dans le
recoupant pas nécessairement, mais aussi parce que les visions de la
compassionnel. De même, il s’agit pour le journaliste de ne pas se
question et de l'angle d'approche sont différentes selon le métier et la
projeter dans la situation des sans abris: il doit pouvoir rester
sensibilité des personnes. Les difficultés posées par ce type de
35
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Extrait de l’entretien entre Etienne Pozzo et Christophe Cambona réalisé le 9
avril 2008.
La communication de l’exclusion
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objectif tout en décrivant ce qu’il voit de la façon la plus précise
consacrer à la question de la médiatisation de la situation des SDF
possible afin qu’une fois transmise, l’information produite ait un réel
nous permit de voir comment il fallait aborder les personnes sans
impact sur le public visé, qu’il s’agisse de lecteurs, d’auditeurs ou de
abris et quelles pistes proposer afin de susciter une prise de
téléspectateurs.
conscience dans la population française à leur sujet. A travers nos
Nous avons choisi ce projet collectif pour différentes raisons.
discussions avec les associatifs, les journalistes et les SDF, nous
Chacun des membres du groupe était passé par une phase de
pûmes nous rendre compte que le cliché de la personne qui devient
réflexion avant de se dire prêt à traiter un tel sujet. En effet avant
SDF par choix personnel ou par volonté d’exclusion est totalement
notre première réunion avec nos coordinateurs, nous avions pu voir
erroné. C’est à des personnes marquées par la vie auxquelles nous
ce projet comme la continuation de notre engagement associatif ou
fîmes face. Ce sont des personnes qui ont rencontré des difficultés
comme celui de notre formation intellectuelle. Mais la réflexion et
tant familiales que de santé que l’on a rencontrées.
l’analyse de la Communication de l’exclusion furent pour nous une
Nous sortîmes grandis de cette expérience même si elle fut courte.
expérience très enrichissante. Nous avions certes quelques
La rédaction de notre rapport nous a également permis de redonner
appréhensions. En effet, ce fut la première fois que nous allions être
une autre dimension à nos engagements associatifs en nous faisant
en contact direct avec des personnes sans abris. L’expérience que
comprendre
furent les maraudes et les rencontres avec les associations d’aide aux
communication de l’exclusion s’avère en effet primordiale afin que
SDF changèrent véritablement notre regard sur les sans-abris. Bien
l’opinion publique se rende compte de la détresse et des besoins
sûr, notre groupe n’a pas pu rencontrer beaucoup de sans-logis mais
urgents de cette « autre France » qui est là devant elle et qu’elle tend
ceux que nous avons rencontrés ne demandaient qu’à discuter et à
la plupart du temps à ignorer en raison de la banalisation des images
être écouté. Ce sont des personnes qui ont eu une vie normale et qui
montrant la précarité dans laquelle vivent les exclus.
du jour au lendemain se sont retrouvées à la rue en raison souvent
d’un engrenage « Chômage-Divorce-Alcool-Rue ». Le fait de se
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l’importance
des
initiatives
citoyennes.
La