Quelle Communication autour des SDF ?
Transcription
Quelle Communication autour des SDF ?
La communication de l’exclusion Juin 2008 Etat des lieux et Evolutions Jeanne Tadeusz Christophe Cambona Alexandre Garcia Samuel Sauvage Projet collectif 2007-2008 de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris Quelle Communication autour des SDF ? Rapport commandité par Libegaf ________________ association loi 1901 Li b e g a f ________________ -1- La communication de l’exclusion Juin 2008 Remerciements Nous tenons à remercier MM. Jean-François Aubert et Jean-Vincent Pfirsch pour leur soutien et leurs conseils tout au long de la conception de ce rapport intitulé La communication de l’exclusion. Rapport édité avec le soutien du Cabinet d’Avocats Nos remerciements s’adressent également à Anne-Marie Ladoues, Emilie Rive, Pierre Pozzo, Pierre Abraham, Christophe David, Viviane Tourtet, présidente de l’association « Les bancs publics » Marine Lamoureux, journaliste à La Croix Aurore de Montalivet, responsable communication de « Aux Captifs, la libération » François Gorget, ancien journaliste régional et à Okapi, et maraudeur dans le XVème Hector Cardoso, responsable de la grande exclusion au Secours Catholique Pedro Meca, des compagnons de la nuit, fondateur de « La moquette », Martin Choutet, Enfant de Don Quichotte au collectif Antigel, Li b e g a f ________________ Li b e g a f ________________________ est une association loi de 1901 Siren 483 386 959 – APE 9499Z Siège social : 6 villa Logerais – 92270 BOIS-COLOMBES Téléphone : 09 54 84 06 64 – Email : [email protected] -2- La communication de l’exclusion Juin 2008 2- Une typologie des médias a) Un paysage médiatique foisonnant qui engendre un éclatement de l’information et révèle des approches différentes du traitement du thème de l’exclusion. SOMMAIRE Introduction b) La communication de l’exclusion est différente au sein de chaque catégorie de médias : ………………………………………………. P. 6 l’exemple de la presse La démarche et la réflexion ……………………………….. P. 14 I. Une médiatisation du B-Le traitement de l’information par les phénomène SDF qui reste insatisfaisante au journalistes: une multitude de facteurs pour regard des enjeux soulevés par les associations construire l’information ………………. P. 21 1. Les sources des journalistes A- Une médiatisation peu optimale, qui cache néanmoins des approches a) Les associations b) Les enquêtes de terrain différenciées selon les media 2- Les mécanismes de construction de l'information autour de la grande exclusion 1- La médiatisation actuelle n’est pas satisfaisante au regard des enjeux soulevés par le problème des personnes sans domicile Li b e g a f ________________ 3- La contrainte pesant sur la médiatisation -3- La communication de l’exclusion Juin 2008 maîtrisent pas encore les techniques de communication. a) Des contraintes externes b) Des contraintes internes c) Les associations qui fondent toute leur action sur la communication. B- La médiatisation par Internet, un palliatif aux media traditionnels ? 1- les différents acteurs de la communication sur B. L’arbitrage entre communication destinée aux médias et communication directe internet : internet ou l’émergence d’une nouvelle forme de journalisme ? 1- La communication destinée aux media, un outil essentiel à 2- les SDF comme possibles auteurs de cette communication l’épreuve de la défiance a. La communication destinée aux media, clef de la communication autour du thème des SDF II Des stratégies de communication associative diversifiées ……………………………………………….………………. P. 45 A- La typologie des communication. associations selon leur mode b. Des soupçons de manipulation médiatique 2- La communication directe, un instrument traditionnel dont de Internet accroît la pertinence a. Une communication directe « traditionnelle » diverse 1- L’opposition entre la communication traditionnelle et les nouvelles formes de communication. à l’impact surtout qualitatif 2- Les associations ne poursuivent pas les mêmes objectifs b. Internet, nouvel instrument de communication directe en termes de communication pour les associations a) Les associations qui ne cherchent pas à communiquer b) Les associations qui veulent communiquer mais qui ne Li b e g a f ________________ C-Une communication associative parfois ambitieuse mais . -4- La communication de l’exclusion Juin 2008 1- Une méfiance des associations vis-à-vis des autres acteurs de la communication autour des SDF a. entre acteurs associatifs b. vis-à-vis des médias c. vis-à-vis des hommes politiques B- Les SDF, acteurs oubliés du processus : ne peuvent-ils être que le récepteur de la communication ? C-Les pistes d’améliorations possibles. 2- Une communication associative parfois isolée Privilégier les partenariats entre associatifs et professionnels de la communication III. La communication de l’exclusion évolue et dessine des pistes d’améliorations ……………………………………….... P. 62 Conclusion …………………………………………………… p.77 A- L’action novatrice des Don Quichotte 1- L’action novatrice des Enfants de Don Quichotte a. Une mobilisation citoyenne pour trouver des solutions aux problèmes des SDF b. Un incontestable succès politique 2- Une nouveauté à relativiser 3- Une nouvelle répartition des tâches entre associations qui associe les méthodes des Enfants de Don Quichotte Li b e g a f ________________ -5- La communication de l’exclusion Juin 2008 Les exclus, et les associations qui les représentent, doivent Introduction exister dans le paysage médiatique. Or, il est possible qu’une des principales lacunes de l’action en faveur des exclus réside dans la « Communiquer pour exister » : une formule que reprennent communication. de plus en plus fréquemment les acteurs de la société civile. Un En effet, sur le plan de l’action, l’exclusion sociale fait de expert en communication, Xavier de Fouchéour, explique toute plus en plus l’objet d’une réflexion visant à lui appliquer des l’importance de son domaine de prédilection : « Dans notre société dispositifs de lutte efficaces et à multiplier les actions de soutien aux où le monde représenté/médiatisé prend dans nos esprits une place plus démunis. En témoignent des mesures concrètes telles que le de plus en plus importante, il y a une injonction à communiquer projet de Revenu de solidarité active (RSA), qui devrait être pour exister. Un territoire, un produit, une société, une initiative, un généralisé à l’ensemble du pays en 2010 ; en témoigne également le projet, de plus en plus, n’existent que par leur capacité à être travail effectué par les associations dans le cadre de leur mission de communiqués. La communicabilité d’un objet de communication — soutien et d’expertise, et le travail réalisé par des organisations telles sa capacité à impacter le récepteur selon l’estimation du que le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et médiatiseur— devient, comme nous l’avons vu, une valeur, si ce l’exclusion sociale (CNLE), qui assiste de ses avis le Gouvernement. n’est parfois, la valeur de sélection. Cette communicabilité devient alors le critère majeur de la représentation du monde. De ce fait, des Malgré un accent de plus en plus fort mis sur la pans entiers de la réalité sont exclus de son champ pour la simple communication, celle-ci reste parfois reléguée au second rang par les raison que leur indice de communicabilité est faible. L’exigence de acteurs communication qu’impose le monde médiatisé devient alors facteur d’administration de l’Agence nouvelle des solidarités actives, créée 1 d’exclusion . » 1 ________________ Certes, la composition du Conseil en janvier 2006, donne une idée particulièrement significative à la http://www.xavierdefouchecour.com/2007/10/26/la-communication-comme- Li b e g a f associatifs. facteur-dexclusion/ -6- La communication de l’exclusion Juin 2008 fois de la diversité des acteurs de cette mobilisation et de la présence comme des étrangers avec enfants sans espoir, ou encore comme des de personnes ayant un lien direct, par leur travail, avec la individus lambda à qui la chance n’a pas souri. La construction d’un communication au sens large : on compte ainsi, sur treize membres, imaginaire stéréotypé du SDF est d’une part amplement subjective deux journalistes, la Directrice de la communication de Médecins du puisqu’elle varie beaucoup d’une personne à l’autre. D’autre part, Monde, un Conseiller de la rédaction du magazine Alternatives ces images de SDF-types sont solidement ancrées dans les économiques, et trois professeurs, dont Pierre Rosanvallon. perceptions des citoyens. A cet égard, le rôle des différents acteurs de la communication autour du phénomène doit être posé. Toutefois, si l’on constate une apparente intrusion du monde de la communication et du personnel médiatique parmi les acteurs de Comment donc se structure l’information dont nous la lutte contre l’exclusion, la réflexion n’est pratiquement jamais disposons sur l’exclusion ? Dans quelle mesure cette information a- allée jusqu’à questionner les ressorts de l’information dont nous t-elle des conséquences sur notre comportement vis-à-vis des disposons sur le phénomène. Cela est surprenant à l’heure où exclus ? Ces questionnements, sur lesquels nous reviendrons, s’établit dans nos pays une société de l’information où les media montrent toute la pertinence d’une réflexion de fond, devenue sont partout, comme l’illustre la statistique selon laquelle la nécessaire, sur la communication autour de l’exclusion. télévision serait allumée quatre heures par jour dans le ménage moyen français. Les media sont aujourd'hui une donnée dont le rôle vis-à-vis de l’exclusion n’a pas été profondément questionné. Pourtant, il est probable que les media aient une influence sur l’image que nous nous faisons des SDF. Comme le montre Julien Définition de l'exclusion Damon (2002), les perceptions des SDF par la population sont très variables : certains les décrivent instinctivement comme de Il convient d’abord de clarifier les termes du sujet. romantiques vagabonds, comme des jeunes déviants et gênants, Li b e g a f ________________ -7- La communication de l’exclusion Juin 2008 Le phénomène de l’exclusion pouvant revêtir une myriade de mais stable, de ceux qui dorment dans les hébergements qui leur sont situations, nous avons circonscrit le champ de notre étude à la mis à disposition, de ceux qui sont hébergés par des amis, du « grande exclusion », c'est-à-dire l’exclusion sociale qui conduit les phénomène des squatts (notamment en groupe), etc. ? individus à ne pas avoir accès à un logement stable et décent. Afin de préciser notre objet d’étude, nous pourrions nous Cependant, cette formule peut prêter à confusion et susciter des concentrer sur le terme plus parlant de « Sans Domicile Fixe ». interrogations. En effet, parler de grande exclusion revient-il à Rappelons que l’acronyme SDF a remplacé le terme de vagabond ou hiérarchiser des formes d’exclusion ? Comme s’interroge Pedro de clochard dans les années soixante-dix et a été diffusé par le Meca, un ami de l’abbé Pierre habitué aux joutes de la lutte contre SAMU social. Il s’agit donc d’une création liée à un contexte l’exclusion : existe-t-il une petite exclusion, une moyenne exclusion, particulier, qui aujourd'hui présente certains inconvénients majeurs. une grande exclusion ? Il semble qu’une telle terminologie soit peu Certes, le terme est simple d’usage. Néanmoins, n’y a-t-il pas danger pertinente : il existe effectivement différentes exclusions : celle du à représenter un ensemble hétéroclite d’individus sous la bannière marché du travail, celle de la vie sociale, celle du logement… Ces d’un sigle ? Ce sigle ne tend-il pas à déshumaniser ou à stigmatiser exclusions peuvent se recouper ou non, et n’avoir qu’un caractère une population ? En réalité, l’usage du terme SDF permet d’évacuer partiel ou temporaire. Dès lors, nous tenterons de ne pas mettre les la violence de la condition des personnes sans domicile par un « exclus » dans des cases théoriques, alors que notre étude acronyme rentré dans le langage courant. En effet, le terme SDF est revendique son empirisme. actuellement le plus utilisé dans les média pour désigner cette Au-delà du problème terminologique rencontré par la catégorie de personnes, et est ainsi lié à un imaginaire fort – un « grande exclusion », il semble que l’exclusion de la sphère du imaginaire souvent parisien et associé aux personnes vivant dans le logement recouvre des réalités diverses : ainsi, peut-on parler de la métro ou dans la rue, de manière visible, se distinguant ainsi même manière des individus qui vivent sur les trottoirs depuis des clairement du reste de la société. Le terme SDF est donc à manier décennies, de ceux qui se sont aménagé un habitat certes précaire avec précaution, afin de ne pas restreindre la catégorie de personnes Li b e g a f ________________ -8- La communication de l’exclusion Juin 2008 qu’il englobe. Jean-Guilhem Xerri, président de l’association « Aux domicile, y compris aucun logement précaire – nous ne traiterons captifs, la libération », en a donné une définition dans un livre pas ici des difficultés de logements et des personnes vivant en hôtels. d’entretiens intitulé A la rencontre des personnes de la rue. En Mais aussi pouvons-nous prendre acte de la généralisation rappelant qu’à l’image traditionnelle du clochard s’est substituée des acronymes et parler des SDF… mais aussi des ADF. « Avec aujourd’hui celle du SDF, il précise : « Derrière ce terme [SDF], la domicile fixe » est un sigle aujourd'hui reconnu, grâce au travail de réalité est très hétérogène : jeunes hommes, sans emploi, personnes nombreuses associations. Parler de SDF et d’ADF permet ainsi de âgées, étrangers qui viennent à la ville, demandeurs ou déboutés du stigmatiser les uns et les autres de la même manière, en montrant droit d’asile, travailleurs pauvres (qui ont un travail mais dont le qu’une seule lettre sépare les deux conditions. revenu n’est pas suffisant pour acquérir un logement), femmes avec Dans cette étude, nous parlerons autant de personnes sans enfants. » Cette définition rappelle qu’à cette diversité des âges, des domicile, de personnes sans abri ou de SDF selon le contexte. Nous sexes, des nationalités, des statuts professionnels, répond une nous attacherons ainsi à donner un sens humain à leur qualification : diversité des liens sociaux qui peuvent exister entre eux et avec le si nous utilisons le mot SDF, ce sera par commodité, en ayant bien reste de la société, et donc, par voie de conséquence, une diversité conscience des difficultés que pose la terminologie. des réseaux de communication possibles. Voilà pourquoi un double choix s’offre à nous : d’abord, nous pouvons réfuter ce terme et lui préférer celui de « personnes sans Définition de la communication. domicile », comme le suggère M. Cardoso. Parler de personne sans domicile permet de parler de personnes comme vous et moi, avec la La communication est un concept difficile à définir. Il en simple différence qu’elles n’ont pas de domicile. La barrière existe autant de définitions qu’il y a de disciplines : anthropologie, qu’induit le terme SDF peut alors être dépassée, en prenant garde sociologie, sciences de l’information et de la communication, néanmoins de cibler le phénomène des personnes qui n'ont aucun linguistique, journalisme, psychologie, etc. L’étymologie n’est pas Li b e g a f ________________ -9- La communication de l’exclusion Juin 2008 toujours un guide très sûr pour la pensée, mais ici, elle permet de phénomène médiatique, auquel nous ferons une large part, est au cerner un premier paradoxe, si on l’associe à l’exclusion, puisque cœur de cette approche. La psychosociologie, elle, s’intéresse communicare signifie « mettre en commun », « entrer en relations ». essentiellement à la communication interpersonnelle (duelle, Le mot « communication » a été introduit en français avec le sens triadique ou groupale). La communication est ici considérée comme général de « manière d’être ensemble », qui fait donc de la un système complexe qui prend en compte tout ce qui se passe communication un maillon du lien social. lorsque des individus entrent en interaction, et fait intervenir à la fois des processus cognitifs, affectifs et inconscients. Cette approche Une première définition de la communication, assez large, considère que différents niveaux de sens circulent simultanément. Le pourrait être : le processus par lequel une personne ou un groupe de rapport d’interaction qui s’établit lorsque les partenaires sont en personnes émet un message et le transmet à une autre personne qui présence s’analyse à trois niveaux : intrapsychique (les dimensions le reçoit, avec une marge d’erreurs possible due, d’une part, au de la personnalité de chacun des protagonistes), interactionnel (la codage de la langue parlée ou écrite, langage gestuel ou autres structure relationnelle et sa dynamique) et social (le contexte signes et symboles, par l’émetteur, puis au décodage du message par culturel avec ses normes, ses valeurs et ses rituels dans lequel il se le récepteur, et d’autre part au véhicule, au réseau, au canal de place). communication emprunté. Plus concrètement, dans le cadre de notre approche, nous Cette définition générale ne prend toutefois pas en compte les définirons donc la communication comme l'ensemble des signaux différents axes à partir desquels l’on peut penser la communication, émis et reçus par les différents acteurs que nous étudions ici : média, et que nous essaierons de croiser dans notre étude. Les « sciences de associations, SDF. Nous envisagerons ainsi les messages transmis l’information et de la communication » proposent une approche de la par et entre ces différents acteurs, afin de comprendre et de tenter de communication fondée sur la transmission d’informations. Le reconstituer les schémas de communication dont ils sont les Li b e g a f ________________ - 10 - La communication de l’exclusion Juin 2008 produits, afin d'évaluer, dans un second temps, les conséquences une image de lui. Ainsi peut-on se demander comment naît une qu'ils pourraient avoir sur le public en général, mais aussi sur les représentation des gens à la rue. Cette image et cette parole différents récepteurs pouvant se trouver en contact avec ces offrent-elles une vision globale de l’expérience de la rue ou au messages. contraire une vision fragmentaire ? C’est ce que nous avons cherché à savoir en rencontrant parallèlement des journalistes, dont Problématique le travail d’information est souvent déclencheur de réactions politiques. De quelle manière le traitement médiatique de l’exclusion Dans le cadre de notre étude, il s’agira donc d’interroger à la rend-il compte du phénomène ? Disposons-nous d’une information fois la manière dont s’élabore et circule l’information sur l’exclusion construite, cohérente, fidèle à la réalité ? via les media, et d’étudier également comment la communication naît en-dehors du traitement médiatique de l’exclusion. C’est dans Autour des personnes sans domicile, une multiplicité de ce sens que nous nous sommes posés un certain nombre de questions communications s’établit. La plus importante est la communication lors des rencontres « sur le terrain », entre associatifs et exclus : médiatisée ; c’est celle qui va nous intéresser en premier chef. En comment est-on perçu par le SDF à qui l’on parle ? Quel statut nous effet, nos sociétés sont marquées par l’omniprésence des media. donne-t-il ? Quel est le code commun entre le SDF et l’ADF qui Elles sont donc sous leur emprise continue, et il est probable que la permet à la communication de se faire jour ? Pourquoi, lorsqu’on plupart des opinions qui se forgent soient influencées voire l’interroge, le sans-abri nous donne-t-il certaines anecdotes et pas déterminées par l’information disponible. Si la communication d’autres ? Pourquoi insiste-t-il sur certains aspects particuliers de sa directe a une importance concernant le phénomène SDF, sa « tranche de vie » ? En somme, dans quelles circonstances sociales médiatisation doit occuper le cœur de notre réflexion. La le SDF se livre-t-il ? La communication est gravée dans un contexte, médiatisation est le processus par lequel les moyens de et fait appel à une forme de « mise en scène » où l’individu donne communication, principalement la presse écrite, la télévision, la Li b e g a f ________________ - 11 - La communication de l’exclusion Juin 2008 radio et Internet s’approprient des contenus informatifs pour les de réfléchir aux objectifs qui doivent être poursuivis. Concernant les transmettre ensuite à une audience non personnalisée. La personnes sans domicile, il est nécessaire, selon nous, que les médiatisation du problème des personnes sans domicile va constituer autorités publiques adoptent une meilleure appréhension du le cœur de notre analyse : comment les media recueillent-ils les problème. Néanmoins, nous n'intégrerons pas dans notre analyse les informations au sujet des SDF, et comment les transmettent-ils actions de lobbying des acteurs associatifs auprès des acteurs ensuite à leur audience ? Le traitement de ce sujet est-il comparable politiques, et ce pour des raisons de cadrage du sujet. Aussi, il existe à celui de tout autre sujet ? Quel est le poids des exigences du public un présupposé fort qui a guidé ce choix : l’action politique est la visé, celui des intérêts financiers ? Quel rôle joue à présent Internet ? plupart du temps une réaction. Il n’y a mise sur l’agenda politique Notre but est de ne négliger aucun des ressorts possibles de la que s’il y a manifestation massive d’un besoin de la société civile, formation d’un discours au sujet des personnes sans domicile. s’il y a une revendication claire et structurée. Il semble qu’à cet Il y a ensuite une communication directe. Elle a lieu entre égard ce soient les media de masse qui donnent à ces besoins l’écho SDF et ADF ; elle a lieu entre SDF, en sachant que les interactions suffisant pour atteindre les acteurs politiques. La médiatisation est visibles entre SDF ont une influence sur la manière dont les ADF les donc conçue comme un préliminaire à l’action politique. De surcroît, perçoivent ; elle a surtout lieu entre ADF, via les conférences et l’information dont disposent les citoyens a une influence non discussions qui s’ouvrent quotidiennement sur le sujet. La principale seulement sur leur manière d’appréhender le sujet, mais également communication entre ADF est celle réalisée par les associations. sur la manière de se comporter vis-à-vis des personnes sans Comment utilisent-elles les media pour faire valoir leurs intérêts et domicile. C’est dans cette optique que nous analyserons ainsi les valeurs ? Comment parviennent-elles à communiquer en dehors des stratégies à adopter pour communiquer efficacement sur la grande media ? Cette communication parvient-elle à toucher une audience exclusion, en accordant une place particulière à ce qu’on peut large et à « l’activer » ? considérer comme une rupture dans ce domaine : l’action des La réflexion sur l’efficacité d’une communication nécessite Li b e g a f ________________ Enfants de Don Quichotte, fondée sur la réalisation de « coups - 12 - La communication de l’exclusion Juin 2008 médiatiques ». Dans quelle mesure cette stratégie peut-elle permettre remplir de mobiliser décideurs et consciences citoyennes autour du l’amélioration de l’appréhension du phénomène SDF ? phénomène ? Au vu de ses limites et de ses atouts, nous nous - La communication est cependant en proie à des évolutions qui demanderons si cette approche peut constituer à elle seule l’avenir ouvrent des pistes d’amélioration : en quoi les enfants de Don de la communication autour de la grande exclusion. Quichotte, Internet ou la prise de parole par les SDF sont-ils ou Nous en particulier médiatique, mais aussi politique et citoyenne, du phénomène former SDF ? des SDF. les s’assignent, d’interactions entre associations, media et SDF qui concourent à autour sur qu’elles peuvent-ils devenir les éléments d’une meilleure prise en charge message interrogerons buts mécanismes un nous les A l’arrivée, la communication des media et des associations, ainsi que leurs évolutions, parviennent-elles à créer un message susceptible de potentialiser une prise en charge politique et citoyenne de la question ? Nous pourrons procéder en trois temps : - il conviendra d’abord d’évaluer la médiatisation du phénomène SDF : est-elle globalement satisfaisante au regard des enjeux soulevés par le problème ? Quelles sont les ressorts de la médiatisation, et comment Internet modifie-t-il cet état de fait ? - il y a un second niveau dans la communication autour du phénomène SDF : celle effectuée par les associations. Dans quelle mesure l’arbitrage communication médiée/communication directe procède-t-il d’un choix qui permet aux associations de Li b e g a f ________________ - 13 - La communication de l’exclusion Juin 2008 toujours plus grand. Dans une certaine mesure, cette littérature rejoint le développement, depuis les années 80, des éthiques de la responsabilité et des théories de la justice impliquant une redistribution plus forte. Ainsi, par exemple, l'idée de responsabilité LA DEMARCHE ET LA REFLEXION globale de Peter Singer, mais aussi la responsabilité négative de Michael Pogge, trouvent finalement leur échos dans cette littérature orientée vers les SDF. Les recherches bibliographiques et ouvrages publiés sur le sujet Avant de commencer notre recherche, il est apparu utile de Ainsi, de nombreux ouvrages se penchent sur la nécessité d'action, consulter les ouvrages de référence déjà parus sur le thème. De fait, au moins autant que sur le phénomène SDF en lui même. La vision le sujet a été souvent traité ces dernières années, principalement sous porte donc aussi, souvent, sur les politiques publiques et sur les les aspects sociologique et politique: il semble que la question SDF critiques que l'on peut en faire. On peut notamment citer le livre de ait pris de l'importance ces dernières années. Patrick Gaboriau et de Daniel Terrolle, SDF: critique du prêt à Depuis l'appel de l'Abbé Pierre et la création d'Emmaüs, de penser, qui est une charge contre l'inaction des pouvoirs publics sur nombreuses actions ont été menées pour améliorer le sort des plus la question des SDF, en mettant notamment en évidence les effets démunis. Mais cette question était en quelque sorte entrée dans le d'annonce et la malléabilité des chiffres qui, finalement, sont paysage urbain et se posait avec moins d'acuité, jusqu'aux premières suffisamment peu clairs pour être malléables en fonction des actions, menées il y a quelques années, par les Enfants de Don nécessités politiques. Quichotte. Plus généralement, cette littérature semble être assez symbolique de certains courants philosophiques et politiques D'autres ouvrages ont pour but principal de faire œuvre de modernes, avec un souci des autres et des responsabilités de chacun pédagogie: c'est le cas, par exemple, du livre de Véronique Mougin Li b e g a f ________________ - 14 - La communication de l’exclusion Juin 2008 simplement intitulé : les SDF. Son but, dans cet ouvrage, est de faire éléments de repères pour mieux cerner le profil des « personnes de la un portrait, ou du moins de tenter d'expliquer qui sont les SDF. La rue », revient sur l’esprit de son association, fondé sur la rencontre question qui se pose, en consultant ce type d'ouvrage, est « à mains nues », le partage et l’accompagnement. Cette approche principalement une question de l'identification et de son corollaire, est novatrice dans le paysage caritatif français, car elle tend à la différenciation: en quoi le SDF est-il différent du moi, lecteur montrer que la souffrance des personnes de la rue va bien au-delà de ADF? Quels sont ses points communs, et ses différences avec la la seule détresse économique et matérielle et renvoie plus personne que je suis? Quelles conséquences cela peut il avoir? Cela profondément à la question de la dignité de ces personnes. nous a aussi fait réfléchir sur l'importance de ce thème pour les Ces ouvrages tranchent assez largement avec d'autres, lecteurs, et sur l'idée, de plus en plus répandue dans la société, que beaucoup plus sociologiques et plus anciens, que nous avons aussi chacun peut être touché par la précarité, à tout moment ou presque, eu l'occasion de consulter: un bon exemple pourrait être le livre Les et que les SDF sont finalement des gens qui étaient « comme nous », Affranchis (étiquetés SDF, drogués, marginaux: ils s'en sont sortis!) mais qui « n'ont pas eu de chance ». Dans une démarche encore plus qui à première vue effectue un amalgame entre les différentes formes descriptive et humaine, J’habite juste en bas de chez vous est un de difficultés sociales : exclusion sociale, absence de logement, ouvrage écrit par Brigitte, une ex-SDF qui raconte son passage à la problème de drogue, en se concentrant sur les personnes ayant des rue de façon simple et passionnante. Cette prise de parole par une problèmes et difficultés multiples, allant souvent au-delà de ce qui se ex-SDF constitue une forme exemplaire de communication de rencontre habituellement dans la rue (nous pensons notamment au l’exclusion, même si elle tend à montrer qu’on en parle surtout témoignage d'une femme, devenue SDF après avoir été toxicomane, quand on en sort. Enfin, les éditions Nouvelle Cité ont récemment battue publié un livre d’entretiens avec Jean-Guilhem Xerri, président de relationnelles importantes). Surtout, certains ouvrages sont devenus l’association « Aux Captifs, la libération », intitulé A la rencontre des ouvrages de référence par leur rigueur sociologique : ainsi, des personnes de la rue. Jean-Guilhem Xerri, après avoir donné des Julien Damon, dans La question SDF, critique d’une action publique Li b e g a f ________________ - 15 - par son compagnon et connaissant des difficultés La communication de l’exclusion Juin 2008 propose une grille de lecture permettant de saisir la diversité des concentrée, du moins pour la première partie de notre recherche, sur propriétés, des croyances et des appréciations relatives à la question la communication médiatique. Nous avons envisagé la question des SDF. D'une part, il analyse la logique de "ciblage" qui caractérise la médias de manière assez large: il nous a ainsi semblé intéressant prise en charge des SDF et, d'autre part, les pratiques de "bricolage" d'étudier, dans un premier temps, une communication plus directe, développées à la fois par les bénéficiaires et par les acteurs de cette par le biais des nouvelles technologies, avant d'étudier les journaux prise en charge. plus classiques. Ces deux types de médias présentaient néanmoins un point commun : celui de représenter tous deux des médias écrits, permettant une analyse textuelle et un détachement du contexte plus Réflexion méthodologique aisé, ainsi que des relectures et références plus fréquentes. L’étude des messages émis par les différents acteurs de la communication étant assez large, nous nous sommes concentrés sur Nous avons voulu aborder notre sujet en suivant plusieurs étapes des messages écrits et des témoignages directs afin de refléter le plus distinctes. A la suite de notre première réunion, nous avons eu à nous fidèlement possible les positions et idées de chacun de ces acteurs. documenter sur notre sujet : La Communication de l’Exclusion. Les La communication de l'exclusion, telle que nous l'avons étudiée, a différents ouvrages que nous avons consultés nous ont permis de ainsi la nous faire une idée de l’étendue de notre projet. Nous nous sommes communication des journalistes et les traces écrites que leurs travaux rendu compte que la majorité des documents parus sur ce sujet ne représentent. Au-delà de cette communication des journalistes vis-à- traitait que de la partie « exclusion » et que peu d’écrits existaient vis de leurs lecteurs et du public qu'ils touchent, nous avons voulu sur la médiatisation de ce phénomène. A cela s’ajoute le fait que les mettre l’accent sur l’interaction entre les acteurs, par le biais de travaux sur le sujet n’ont pas dans leur ensemble intégré discussions et d'interviews sur les différents aspects de l’exclusion. l’avènement de nouveaux moyens de communication tels qu’Internet été une Notre communication réflexion Li b e g a f ________________ principalement méthodologique s'est écrite – principalement ou encore les blogs. - 16 - La communication de l’exclusion Juin 2008 Les questions qui furent formulées dans les deux guides d’entretien C’est en ce sens que nous nous sommes référés à ce qui s’écrit de nous ont permis à chacun d’avoir un support lors des interviews nos jours sur l’exclusion, en particulier sur la « toile ». Nous avons qu’il nous a été donné de faire. Nous n’avons certes pas toujours pu, grâce à nos recherches Internet, nous faire une idée de la façon repris mot pour mot les questions déjà formulées dans ces guides dont la question de l’exclusion et par extension de la grande mais nous nous en sommes largement inspiré afin que nos interviews exclusion est abordée par les média contemporains. Internet a été suivent une logique cohérente. En effet, nous nous sommes tous pour nous une banque d’informations importante car il permet de rendus compte que le seul fait d’entamer une discussion avec nos stocker les diverses formes de communication qu’utilisent les média interlocuteurs sur notre sujet pouvait par exemple susciter le besoin contemporains : articles de presse, journaux télévisés…etc. chez ces derniers de parler d’un sujet annexe (comme par exemple la précarité chez les jeunes). Il était donc essentiel de laisser notre Ces média se distinguent réellement par la liberté de paroles qui est interlocuteur s’exprimer librement sur le sujet, mais de rythmer réservée tant aux journalistes, qu’à d’autres acteurs tels que les l’entretien par des questions neutres, ouvertes. C’est pourquoi ces blogueurs. On s’est tout particulièrement attaché à l’étude des blogs guides se sont révélés très utiles dans la mesure où ils nous ont car ceux-ci apparaissent comme des « sources d’information permis de recadrer bon nombre d’entretiens. citoyennes » où les intéressés peuvent faire part de leur opinion sans restriction et de façon « spontanée ». Mais dans l’ensemble, le Par ailleurs, la rédaction de tels guides a constitué une nouveauté recensement des documents récents relatifs à notre sujet nous a pour nous. Ce qui impliqua souvent la modification de certaines permis d’ébaucher deux guides d’entretien : l’un destiné aux acteurs tournures ou de certaines questions selon les interlocuteurs que nous du monde associatif ; l’autre destiné aux journalistes et aux avions en face de nous. L’ensemble des personnes que nous avons personnes qui ont déjà communiqué sur le thème de l’exclusion. pu interroger a répondu assez ouvertement à toutes nos questions et Li b e g a f ________________ - 17 - La communication de l’exclusion Juin 2008 nous a permis à partir de leurs analyses de forger notre propre communication sur le sujet de l’exclusion ; mais il vise aussi à opinion sur un sujet, qui quelques mois auparavant nous paraissait proposer des pistes d’amélioration en termes de méthodes de flou ou complexe. Le contenu de ces guides fut ainsi enrichi de communication. Et ce, de sorte que les citoyens français soient l’ensemble des expériences racontées par les acteurs de la beaucoup plus sensibilisés à la question de l’exclusion. Notre communication que sont les journalistes et les associatifs. rapport tend ainsi, humblement, à avoir une portée sociale. Nous avons également pu participer à des événements A cela s’ajoute le fait que certains membres de notre groupe organisés par des associations d’aide aux SDF (à l’exemple de la ont pu se rendre sur place, dans la rue, et participer aux maraudes Nuit Solidaire pour le Logement organisée le 21 février 2008). Ces organisées par le collectif paroissial Antigel dirigé par Monsieur actions citoyennes de solidarité envers les sans-abris nous ont permis Pierre Abraham. Ce fut une expérience très enrichissante dans la de voir l’importance que peut avoir la couverture médiatique de mesure où cela nous a d’abord permis de nous rendre compte de la telles manifestations. Nous avons constaté que la sensibilisation dure réalité à laquelle sont confrontés les SDF. Donner un sens massive de la population française passait principalement par le concret et humain au phénomène SDF était essentiel et a constitué recours à des média tels que la télévision ou internet. Ces l’une des bases empiriques indispensables à notre étude. D’autre manifestations furent pour nous l’occasion de confirmer des part, ces maraudes nous ont fait prendre conscience de la portée de hypothèses et de vaincre quelques présupposés. En effet, ces notre travail de réflexion sur la communication de l’exclusion. Nous manifestations nous ont permis de nous rendre compte de l’urgence ne voulons pas en effet que notre travail reste lettre morte et vienne des situations des personnes souffrant de l’exclusion. Par ailleurs, la s’accumuler à la longue pile des travaux qui ont été faits sur forte implication des médias et les méthodes adoptées par les l’exclusion. Le rapport que nous avons entrepris vise certes à faire le organisateurs que l’on a pu observer, reflétaient les interactions entre constat de ce qui a déjà été fait et de ce qui se fait en matière de les acteurs de la communication de l’exclusion. Elles nous ont Li b e g a f ________________ - 18 - La communication de l’exclusion Juin 2008 une connection permanente à ces media. également permis de réfléchir aux moyens possibles pour améliorer les formes de communication adoptées par le monde associatif. Ainsi, conscients qu'il serait restrictif de se limiter à un seul média, et, plutôt que de se concentrer exclusivement sur des medias et des types de communication traditionnels, nous nous sommes aussi interrogés sur l'impact des nouvelles technologies sur la La méthodologie des recherches Internet communication de l'exclusion. Pour analyser la communication de l'exclusion, il fallait De fait, il nous a semblé que certains mouvements de lutte définir le périmètre de cette communication. Il est assez vite apparu contre l'exclusion étaient jeunes, et se proposaient de nouveaux que la presse écrite était un média particulièrement intéressant à moyens d'action (on peut notamment penser aux Enfants de Don analyser : elle touche un public relativement large et permet ainsi de Quichotte). Il semblait donc logique de se demander s'ils n'utilisaient réfléchir à la communication de l'exclusion en termes de média de pas de nouveaux moyens de communication, notamment Internet. masse. Elle présente un double aspect de réactivité à l'actualité, mais Mais principalement, les nouvelles technologies nous ont aussi d'analyse : il nous a été en effet possible de lire aussi bien des semblé être un nouveau moyen de communication pour les exclus brèves sur les points d'actualité relatifs aux SDF, que des articles de eux mêmes. La révolution Internet, selon la doxa, est une révolution fonds, de recherche ou de reportage, sur la question des SDF, que ce de l'information avec la possibilité pour tous de communiquer et de soit dans une perspective sociologique ou via une interrogation sur donner son avis ; dans ses conditions, nous nous sommes demandés les revendications des associations. si les SDF, et plus généralement les exclus, avaient accès à ces La presse audiovisuelle, en revanche, n’a pas pu être nouvelles formes d'expression. Plus précisément, nous nous sommes analysée avec précision pour des raisons pratiques. En effet, mesurer concentrés sur l'existence de blogs SDF. Existent-ils, quelles formes en temps réel l’information liée à la grande exclusion aurait supposé prennent-ils? Et plus généralement, comment s’effectue la Li b e g a f ________________ - 19 - La communication de l’exclusion Juin 2008 communication des exclus sur la blogosphère ? Nous avons donc récepteurs du message ainsi envoyé : la communication implique de également envisagé la parole des associations, en tant que relais des fait que le message soit reçu. Pour tenter d'évaluer cette question, idées, des volontés, des paroles des exclus. Cependant, nous nous nous avons consulté les messages envoyés sur les sites, livres d'or et sommes concentrés sur la parole de ces derniers, avec une limite commentaires. claire liée à l'anonymat de ce type de média, et à l'absence de Enfin, la dernière question était celle de la création, ou non, contrôle de la véracité des informations publiées : nous nous d'une communauté Internet sur le sujet, ou du moins du lien entre les sommes ainsi focalisés sur l'information qui nous semblait la plus différents sites et blogs, et de leurs connexions avec l'extérieur. Pour crédible, mais sans a priori, en analysant toutes les sources trouvées répondre à cette question, nous avons analysé les liens proposés par dans nos recherches. les sites, et nous nous sommes demandés ce que ces liens pouvaient Concrètement, celles ci se sont déroulées de manière nous apprendre sur la volonté, ou les objectifs de l'auteur du blog ou classique, en utilisant des mots clés dans les principaux moteurs de recherches, notamment « blog », « SDF », « exclusion », du site. et « Logement ». L'utilisation de ce type de moteurs de recherches permet de plus une évaluation sommaire de l'audience de ces sites, l'ordre d'apparition pendant la recherche se faisant en effet selon le nombre de visiteurs de la page. Bien que très limité, cela permet de donner au moins une idée du type de site recherché et consulté par les personnes intéressées par notre problématique, ou du moins de se rendre compte, par la suite, de l'audience des sites trouvés. Ainsi, cela permettait partiellement de répondre à la question des Li b e g a f ________________ - 20 - La communication de l’exclusion Juin 2008 souvent superficiel, de l’avis des associatifs. Tout d’abord, il se I Une médiatisation du phénomène SDF qui reste insatisfaisante caractérise par l’existence de nombreuses brèves, des petits textes au regard des enjeux soulevés par les associations uniquement factuels, lesquels relataient la plupart du temps la mort d’une de ces personnes. Ainsi, ces évènements trouvent un A-Une médiatisation peu optimale, qui cache néanmoins des traitement comparable à celui des accidents de voiture, ce qui s'avère approches différenciées selon les media insupportable pour les acteurs associatifs. Selon Pedro Meca, « informer sur la mort d’un SDF, ce n’est pas informer. S’est-on 1- La médiatisation actuelle n’est pas satisfaisante au regard des intéressé à l’individu, à son âge, ses particularités ? ». Les brèves enjeux soulevés par le problème des personnes sans domicile sont le traitement par excellence de la partie visible de la grande exclusion, de ses symptômes. Selon l’opinion générale des acteurs associatifs, la médiatisation du problème des personnes sans domicile présente des Ensuite, le traitement de l’information n’est pas seulement lacunes. Elle est ici présentée sous la forme d’un constat général, jugé comme superficiel lorsqu’il se caractérise par des brèves. Les sans nuance selon le type de structure qui médiatise. Ces lacunes articles plus longs sont également critiqués pour leur focalisation sur sont de deux ordres : le traitement du sujet est d’une part superficiel les symptômes de l’exclusion (conditions de vie, difficultés et d’autre part saisonnier. Ces lacunes doivent être mises en relief quotidiennes…). De plus, il reste des articles qui traitent du sujet de avec la médiatisation que l’on souhaiterait. manière émotionnelle ou compassionnelle. Or, faire pleurer dans les chaumières n’est pas, selon nous, une manière optimale d’informer sur les personnes sans domicile. Selon H. Cardoso, la presse manque Un traitement « superficiel » parfois de recul pour traiter ces sujets délicats. Il donne un exemple : la proposition de N. Sarkozy de faire « adopter » par un enfant de Le traitement par les journalistes des thèmes liés aux SDF est Li b e g a f ________________ - 21 - La communication de l’exclusion Juin 2008 primaire une des victimes de la Shoah a fait couler énormément Il s’agit d’une opinion qui semble répandue chez les d’encre. Le même jour, des policiers ont expulsé violemment une associatifs. Précisons néanmoins qu’elle n’oublie pas la part des famille d’étrangers dans le XIIIème arrondissement. Cet événement journalistes qui réalisent un travail de fond sur le sujet, qui s’y n’a eu droit qu’à un petit encart dans les journaux. Or, selon lui, « la intéressent, et vont sur le terrain. E. Rive, de l’Humanité, en fait un presse a un devoir d’analyse et de confrontation. Dans ce cas acte de militance devant l’injustice de la situation des personnes sans d’espèce, les deux évènements étaient à rapprocher car ils domicile. Selon elle, nombreux sont les journalistes qui ont construit représentaient d’une part la lutte contre l’inacceptable et d’autre part une vraie déontologie de l’information et qui tentent de donner l’inacceptable. » matière à informer et sensibiliser via leurs articles. Enfin, selon Martin Choutet, le traitement du thème par les media est simplement insuffisant quantitativement et La saisonnalité qualitativement. Les media ne parlent que dans l’urgence de Il est cependant une seconde lacune à la médiatisation problèmes insupportables, car ils interrogent la société dans son actuelle des thèmes liés aux SDF : la saisonnalité. Elle peut ensemble. Selon lui, le fait qu’on laisse des gens dans le plus grand d’ailleurs être vue comme un symptôme du caractère superficiel du dénuement, avec une espérance de vie de 45 ans, devrait être plus traitement de l’information lié aux SDF, dans la mesure où une présent dans les media, « car c’est simplement dramatique ». information saisonnière verse dans l’émotionnel et non dans Néanmoins, il note une évolution positive ces dernières années. Il y l’explication profonde des tenants et aboutissants de la grande a eu un réel effort de pédagogie de la part des acteurs impliqués, exclusion. Alors que les SDF cherchent à survivre toute l’année, ainsi que des évènements fédérateurs qui ont su mobiliser les l’information les concernant se concentre sur les mois d’hiver, en journalistes et les hommes politiques autour du sujet. Les Français particulier dans la période avant Noël. Nos analyses des principaux ont aujourd'hui davantage conscience du problème qu’auparavant. quotidiens prouvent une quasi-absence d’articles liés aux SDF pendant le printemps et l’été. Or, selon M. Abraham, « l’été est Li b e g a f ________________ - 22 - La communication de l’exclusion Juin 2008 souvent la période la plus dure, dans la mesure où beaucoup de SDF plus que sur l’exigence de refléter la réalité. souffrent d’hypothermie [les médecins spécialistes du domaine, tel Xavier Emmanuelli, insistent sur ces risques particuliers de la En outre, une idée semble répandue : le sans-abrisme en été rue]. D’ailleurs les corps des indigents sont souvent enterrés en été est parfaitement supportable. Or, rappellent les associations, ce sont sans aucune information quant à leur identité ». Notons cependant les conditions liées à la rue, et non le froid, qui tuent le plus : la qu’il existe des exceptions, et que certains media parlent tout de malnutrition, l’inconfort, l’alcool, l’insalubrité, la violence… C’est même des personnes sans abri durant l’été. Certains journaux, tout le sens du slogan qui a été abondamment relayé par les comme La Croix, en ont même fait un principe. associations de tous bords : « c’est la rue qui tue ». Alors qu’il était porté par les associations d’une seule voix, ce slogan n’a pas pris. En réalité, le thème des SDF est devenu pour les journalistes Les acteurs associatifs n’ont pas compris pourquoi, mais il a été très un marronnier caractéristique de la période qui précède Noël. Il est peu utilisé par les media. Ainsi, il semble qu’une « certaine intéressant de se demander pourquoi les journalistes n’informent saisonnalité » du traitement de l’information sur les SDF soit qu’à un moment précis sur un sujet qui existe sans interruption. inéluctable, d’après H. Cardoso. D’après M. Abraham, « on ne parle des SDF que lorsqu’il fait froid, car les gens sont alors plus sensibles. Mais il faut savoir que les SDF L’existence d’une saisonnalité dans le traitement de la grande souffrent toute l’année ». Cette sensibilité constitue une clef exclusion n’est pas contestable. Néanmoins, ce thème mérite de se explicative du phénomène, dans la mesure où les media s’adressent poser la question de la pertinence de cette situation : et si informer alors à une audience réceptive et demandeuse. A l’inverse, on peut lorsque les gens sont les plus sensibles était une bonne chose ? En supposer qu’un article sur les SDF en plein été, alors que les effet, cette information massive en hiver permet de sensibiliser les Français sont à la plage, serait moins bien reçu: on peut penser que lecteurs, alors qu’un article paraissant lorsqu’ils sont peu réceptifs les media relayent l’information selon les modalités de réception pourrait au contraire susciter du rejet. Néanmoins, il apparaît que le Li b e g a f ________________ - 23 - La communication de l’exclusion Juin 2008 phénomène de la saisonnalité est regretté à la fois par les journalistes médiatisation » et par les associations, et ce pour différentes raisons. D’abord, parce qu’elle pratique une distorsion de la réalité. Il est ensuite probable La médiatisation de la grande exclusion présente donc des que les SDF se sentent encore plus oubliés en été, bien que nous lacunes. Mais des lacunes par rapport à quoi ? Quelle médiatisation n’ayons pas pu étayer cette information par des enquêtes. De plus, serait optimale ? Tous les sujets ne font-ils pas l’objet d’un parler des sans-abri en hiver, c’est tomber plus facilement dans le traitement biaisé ? Quelle médiatisation serait souhaitable ? compassionnel facile, dans l’évènementiel, ce qui revient à oublier le caractère structurel du problème. Pour M. Louis, « le problème du D’abord, il est important de signaler que les SDF ne sont pas caractère saisonnier des reportages médiatiques est qu’ils sont aussi un sujet comme les autres, car l’extrême pauvreté reflète la faits pour donner bonne conscience mais ne vont pas au-delà ». La cohérence d’une société avec les valeurs affichées. Comme le saisonnalité mène à oublier qu’il s’agit d’une responsabilité rappelle M. Choutet, la France peut être championne du monde à collective, celle de ne pas oublier que les SDF sont le reflet d’une l’heure de reprocher des abus au Tchad ou à l’Iran, mais elle ne société qui ne sait pas se regarder. Selon lui, on peut connaître une parvient pas à respecter ces droits sur son territoire. L’extrême société à travers ses éléments les plus pauvres. Une société qui ne pauvreté interroge la société dans son ensemble : quelle dignité sait pas parler correctement de ses exclus toute l’année présenterait accorde-t-elle aux plus démunis ? Le thème des personnes sans ainsi un problème ontologique déplorable. Pour autant, il ne s’agit domicile permet de jauger le lien social, et pour cette raison la pas de parler moins des SDF pendant l’hiver, mais simplement ne médiatisation du sujet se doit d’être à la hauteur. pas les oublier pendant l’été, alors que leurs conditions de vie restent précaires. Qu’entend-on par une médiatisation « à la hauteur » ? Il apparaît qu’elle serait bonne si elle parvenait à remplir l’objectif Une situation insatisfaisante par rapport à ce que serait une « bonne Li b e g a f ________________ suivant : que les media parviennent à montrer qu’il s’agit d’un enjeu - 24 - La communication de l’exclusion Juin 2008 sociétal qui interroge chacun des membres du pacte social. Pour ce davantage de profondeur les ressorts de la construction de cette faire, deux idées forces sont à mettre en exergue : information, afin de pouvoir avancer des solutions plus adéquates et - d’après H. Cardoso, il est important de ne pas présenter les nuancées. La première exigence est la suivante : éviter les SDF comme des personnes différentes du reste de la société. généralisations entre les types de media. Pour cela, il semble En mettant en lumière une différence, les media incitent à ne indispensable d’effectuer une typologie des media. pas regarder le problème de façon globale. - La description de la complexité de la réalité du monde SDF, 2- Une typologie des médias afin de s’éloigner des préjugés et du prêt-à-penser. Pour ce faire, selon M. Choutet, « une approche dans le temps [et non Il est impossible, pour comprendre la manière dont le thème de la saisonnière] serait souhaitable, avec une explication profonde grande exclusion est traité par les médias, de ne pas procéder en des causes de l’exclusion, des mécanismes qui mènent à elle, premier lieu à leur typologie. Celle-ci joue à deux niveaux. Le et des solutions qui sont possibles. Par exemple, il y a eu premier beaucoup d’articles sur nos actions [NLDR : des enfants de (principalement la télévision, la presse écrite, la radio, et Internet, Don Quichotte], je pense notamment à Politis, mais très peu média sur lequel nous reviendrons plus en détail à la fin de la sur les actions envisageables pour solutionner le problème du première partie), pour cerner les approches de chacun d’entre eux, logement ». en fonction de leur mode de transmission et de communication. Le fera une distinction entre les différents média second niveau de la typologie est un affinage du premier. Il s’agira Des solutions plus globales seront esquissées en fin d’analyse. de voir quelles peuvent être les différences au sein d’une catégorie Cependant, ce bref constat ne fait que cadrer la situation actuelle, où de médias, et les raisons pour lesquelles l’information dont nous il semble que la médiatisation de la grande exclusion n’est pas disposons sur la grande exclusion n’est pas délivrée de la même optimale. Tout travail sérieux doit cependant analyser avec façon. Li b e g a f ________________ - 25 - La communication de l’exclusion Juin 2008 pour le journal de France 2. Ce média de masse utilise l’image pour a) Un paysage médiatique foisonnant qui engendre un éclatement de support, et c’est principalement sur ce point que se cristallisent les l’information et révèle des approches différentes du traitement du critiques qui lui sont adressées de la part des associatifs. thème de l’exclusion. Notre société se caractérise par la multiplication des supports Néanmoins, ce jugement négatif concernant le traitement de d’information et de communication. Nous prendrons en compte, la question de l’exclusion par la télévision rejoint des critiques plus dans notre analyse, quatre principaux média : la télévision, la radio, généralement adressées à ce média : analyses superficielles, la presse et Internet, (dans la mesure où ils représentent à l’heure partialité des propos des journalistes, caractère spectaculaire du actuelle les instruments de communication les plus utilisés). traitement de l’information. Ce sont les travers de la télévision Chacune de ces catégories de médias possède un rapport singulier à qu’Aurore de Montalivet, responsable de la communication de l’information, qu’il s’agira d’étudier pour mieux en montrer les l’association Aux captifs, la libération, choisit de souligner quand on caractéristiques. Si les médias sont globalement jugés de manière lui demande son avis sur la médiatisation de l’exclusion. Ainsi négative par les acteurs associatifs de la lutte contre l’exclusion, tous raconte-t-elle une anecdote révélatrice des procédés de sélection de n’ont pas la même approche de cette thématique. l’information par certains journalistes de télévision : « Pour le repas La télévision semble, de l’avis de nos interlocuteurs, être le média le de Noël des Captifs, nous avions invité Christine Boutin. Elle est plus insatisfaisant en termes de qualité de l’information. Et pourtant, venue, mais il est vrai que les SDF ne lui ont pas parlé. Ils ne lui ont quelques statistiques sont révélatrices du poids de ce média pas parlé, mais ne lui ont rien reproché non plus. On sentait même traditionnel dans la vie quotidienne des Français. Objet-clé de la chez eux de la reconnaissance. Des journalistes de télévision qui culture populaire devenu l’un des principaux médias d’information, étaient au courant du déplacement de Christine Boutin sont arrivés et la télévision, que 94 % de Français possèdent, est allumée environ ont voulu interviewer les SDF en leur demandant avec insistance ce 3h30 par jour (4h15 le dimanche). Le journal de 20 heures est suivi qu’ils pensaient des mesures du gouvernement. En fait, les SDF qui chaque soir sur TF1 par 10 millions de personnes, contre 6 millions Li b e g a f ________________ - 26 - La communication de l’exclusion Juin 2008 étaient là avaient surtout envie de profiter de l’ambiance chaleureuse déplorent que trop d’articles de presse sur le sujet de l’exclusion ne et bon-enfant de la soirée, mais face à l’insistance des journalistes, soient que de « l’actu », sous forme de brèves. l’un d’entre eux s’est lâché, a tenu le discours contestataire que les journalistes voulaient entendre, et naturellement, c’est cet épisode C’est ce qu’ils reprochent également à la radio, mais dans qui a été sélectionné pour le journal télévisé. » La télévision, plus une moindre mesure, compte tenu de son audience jugée faible par que d’autres médias, fait signe vers l’ « extra-ordinaire », le rapport aux autres média. Les journalistes de France Info que nous sensationnel, ou se contente de « faire de l’actu », comme le disent avons contactés ont reconnu qu’ils ne parlaient de l’exclusion que les acteurs du monde associatif. Ces reproches concernent moins, de lorsqu’un événement d’actualité s’y rattachait. Le paradoxe se situe manière générale, la radio ou la presse, considérés comme des dans le fait que ces journalistes veulent donner une image fidèle de médias plus profonds. Aurore de Montalivet, pour nuancer le la réalité en se contentant de relater l’événement, et qu’au contraire, jugement globalement négatif qu’elle porte sur la médiatisation de c’est une vision très fragmentaire, et donc très superficielle, qu’ils l’exclusion, reconnaît qu’il existe des « articles de fond dans certains offrent aux auditeurs. journaux ». La presse est en effet davantage épargnée par ces reproches, d’une part parce que les associatifs travaillent davantage Internet enfin, qui prend une place de plus en plus importante en collaboration avec des journalistes de presse écrite qu’avec des dans le paysage médiatique, se caractérise par un éclatement de journalistes d’autres médias, et d’autre part parce que certains l’information et par une multiplicité de supports. Ce média utilise en journaux ont une ligne éditoriale qui consacre une large part aux effet l’image (design du site, photographies, logos, animations, etc.), questions sociétales et traitent plus que d’autres la problématique de le son (musiques, vidéos) et le texte. Il reprend les caractéristiques l’exclusion (tels La Croix ou L’Humanité) – ce qui n’est pas le cas propres à chaque autre catégorie de média. Internet permet ainsi de d’une chaîne de télévision ou de radio. En revanche, les associatifs communiquer de manière plus originale, fait appel à la créativité et peut ainsi être plus percutant. Nous en étudierons l’impact plus loin. Li b e g a f ________________ - 27 - La communication de l’exclusion Juin 2008 L’inconvénient d’Internet cependant réside dans son « étoilement ». Comme nous l’avons esquissé plus haut, il existe plusieurs Cet étoilement est dû à la diversité des émetteurs. Concernant la types de presse. Certains journaux parlent plus de la grande communication de l’exclusion, ceux-ci peuvent être de différentes exclusion en raison d’une ligne éditoriale fondée sur les natures : Internet problématiques sociales. Dans ces journaux, il existe des journalistes différemment en fonction des objectifs qu’elles poursuivent. Cf. spécialisés dans les questions d’exclusion, ce qui n’est pas le cas des deuxième partie), mais aussi tous les autres média (télévision, radio, journaux plus « généralistes » comme Le Monde ou Le Figaro. presse) qui ont leurs propres sites, sur lesquels on retrouve D’autre part, un journal comme La Croix essaie d’éviter le travers de l’information qu’ils délivrent à travers leur support initial. Enfin, les la saisonnalité en proposant des articles sur l’exclusion tout au long blogs écrits par des individus lambda sont aussi une source de l’année. L’un d’eux portait justement sur cette question de la d’information sur l’exclusion. La communication de l’exclusion à permanence des difficultés rencontrées par les SDF, et sur les travers Internet est donc encore plus difficile à cerner que dans les conditions de vie en été, période que l’on croit moins rude que autres médias, car il est difficile de lui trouver une unité, à cause de l’hiver, mais qui l’est en réalité davantage. Marine Lamoureux, qui son éparpillement. fut longtemps responsable des questions relatives à l’exclusion à La associations principalement (qui utilisent Croix, souligne la volonté très affirmée du journal de ne pas se b) La communication de l’exclusion est différente au sein de contenter de simples brèves sur le sujet. Elle nous a également fait chaque catégorie de médias : l’exemple de la presse. part de sa frustration lorsqu’elle dut créer un jour une rubrique rapportant des témoignages de sans-abris. « J’ai travaillé avec des Si les approches sont différentes entre chaque catégorie de associations afin de rencontrer les exclus eux-mêmes, mais à cause médias, elles le sont aussi à l’intérieure même de chacune de ces de contraintes de temps, je n’ai pas pu faire une rubrique catégories. suffisamment travaillée, informée. J’étais extrêmement frustrée car Li b e g a f ________________ - 28 - La communication de l’exclusion Juin 2008 a) Les associations je mettais un point d’honneur à éviter de faire quelque chose de trop superficiel, de trop anecdotique. » Lors de l’élaboration de leurs articles et lors de leur travail de recherche sur le sujet de l’exclusion, les journalistes font face à la Cependant, le champ de la presse est plus large encore, question des sources d’information. Celles-ci s’avèrent très puisqu’il faut également faire un sort à la presse locale (Le Parisien, importantes dans la mesure où il s’agit pour eux de rendre la réalité Ouest France, L’Est républicain, etc.), qui essaie de rester proche des faits de la façon la plus précise possible. Pour ce faire, le recours des préoccupations quotidiennes de son lectorat et publie davantage aux témoignages de membres d’associations d’aide aux sans abris que les grands journaux nationaux des articles sur l’exclusion à constitue une garantie de fiabilité sur des sujets ayant un lien avec la partir de faits divers. Enfin, il existe toute une presse marginale, grande exclusion. Ces associations sont certes diverses et ne prenant la forme de « journaux citoyens » ou de « journaux de rue ». délivrent pas le même message, mais elles constituent une source Ils sont en général diffusés chaque mois, et vendus par des personnes d’information unique et riche - en raison de leur très grande de la rue. Avec un nombre de pages modeste (entre 16 et 20 pages), proximité au problème de la grande exclusion. La perception des ces journaux proposent des témoignages, des récits, des conseils journalistes par les associations est parfois mêlée de méfiance, car pratiques de vie à la rue, des jeux…Les plus connus sont Sans-abri les reportages réalisés par les médias les déçoivent souvent. Par et Macadam, et sont aidés par des associations d’aide aux plus conséquent, lorsque des journalistes proposent de faire des démunis. reportages sur l’action de certaines associations, ils se voient parfois refuser cette requête. Mais lorsque les associatifs leur permettent, B-Le traitement de l’information par les journalistes: une par exemple, d’intégrer des équipes de maraudes, cela permet aux multitude de facteurs pour construire l’information articles des journalistes de rendre compte de la réalité de la précarité dans la rue, car ils ont pu partager le quotidien des bénévoles. 1. Les sources des journalistes Certains journalistes sont avant tout des reporters, et tentent de Li b e g a f ________________ - 29 - La communication de l’exclusion Juin 2008 retranscrire dans leur calepin toutes les impressions qu’ils ont eues lors des maraudes, mais ce réflexe disparaît au fur et à mesure que b) Les enquêtes de terrain l’expérience associative des journalistes se prolonge. C’est d’ailleurs La rencontre d’associatifs s’avère souvent essentielle pour les ce que déclare Madame Rive2: « Au début, je prenais pas mal de journalistes afin de mieux cerner des sujets comme la grande notes, j’avais toujours mon petit crayon à la main. Mais après, j’ai exclusion. Mais ce qui apporte une réelle valeur ajoutée à leurs abandonné le crayon et je n’écrivais quelque chose qu’après être reportages et à leurs écrits est l’approche pratique, c'est-à-dire rentrée chez moi. » Le travail aux côtés de personnes régulièrement l’enquête de terrain. Celle-ci peut se faire de façon autonome : le en contact avec les SDF traduit aussi une volonté de ne pas se limiter journaliste interroge directement des sans abris sur leur situation, au à une information trop succincte, ce qui peut notamment être le cas risque d'être perçu comme étant motivé uniquement par l'écriture des brèves. d'un article qui sera sans suite. Mais ce travail de recherche en partenariat avec des L’autre solution s’inscrit dans la continuité du travail de fond associatifs ne se concentre pas uniquement sur la question des sans avec les associatifs, et consiste à suivre ces derniers et à intégrer abris. Les journalistes peuvent certes se spécialiser sur une question leurs équipes, ce qui évite d'être taxé d'opportunisme et permet d'être précise de l’actualité, à l’exemple du DALO ou des actions menées au courant de la situation des SDF avant d’entamer une discussion par l’association Les Enfants de Don Quichotte, mais en matière avec eux. Ce type d’enquêtes est un travail de longue haleine et d’exclusion, ils se constituent un carnet d’adresses d’associatifs le demande une très forte implication du journaliste tant sur le plan plus large possible car comme le rappelle Madame Rive « le terme physique qu’émotionnel. En effet, les situations auxquelles les ‘exclusion’ touche différentes catégories de personnes et ces journalistes font face sont réelles et vécues. L’objectivisation de la catégories ont elles-mêmes changé depuis trente ans. » 3 2 3 situation disparaît alors et le journaliste se projette dans ce qu’il voit. Ce fut notamment le cas de Monsieur Pozzo4. Celui-ci devait en Emile Rive est journaliste au journal L’Humanité. Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14 avril 2008. Li b e g a f ________________ 4 - 30 - Monsieur Etienne Pozzo est le responsable de la société de production La communication de l’exclusion Juin 2008 effet tourner un reportage pour le compte de l’organisme public participé de façon régulière à des maraudes organisées par Emmaüs ADOMA dont l’un des secteurs d’activité est la construction de Paris. Mais cette expérience n’empêche pas les phénomènes de centres pour personnes étrangères et pour sans abris. C’est dans ce transfert, et même s’il s’agit parfois simplement de suivre une cadre qu’il a dû se rendre dans quelques quartiers de Paris - Avenue équipe de maraudeurs, les journalistes sont sensibles à la misère d’Ivry ou quartier des Olympiades - afin de rendre compte de humaine qu’ils ont sous leurs yeux. l’urgence de la situation de nombreux SDF. Le dénuement dans lequel ils vivaient, l’insalubrité de leurs abris de fortune, le manque Le fait d’avoir recours à des enquêtes de terrain permet d’initiatives prises en leur faveur, tous ces facteurs firent que ce également aux journalistes de se rendre compte du regard des autres journaliste sente qu’il devait s’impliquer dans son travail afin de posé sur les SDF. Celui-ci oscille entre compassion et indifférence, changer cet ordre des choses: « ce film a été marquant. Je me et seule une enquête de terrain leur permet de se confronter à ce que souviens que parfois je pleurais une fois rentré chez moi. J’ai pu vivent les SDF au quotidien. Ce constat fut aussi fait par Mr Pozzo. voir des enfants roumains de deux ans tuberculosés et sans rien à Celui-ci fut d’ailleurs étonné de la réaction des SDF face à la caméra manger et dont les parents ne parlaient même pas français. Ce sont de son équipe de tournage. En effet, les SDF ne l’ont pas rejetée en des personnes sans identité et totalement abandonnées.» 5 Il s’agit bloc mais l’ont tout de suite acceptée. Selon Mr Pozzo « la meilleure ici d’une expérience de la grande exclusion qui est issue d’une façon de faire parler les sans abris est tout simplement de les filmer démarche directe de rencontre avec les gens de la rue. Lorsque le car trop peu de personnes leur parlent. Les gens ont trop de journaliste entreprend cette rencontre avec l’aide d’associatifs, il est préjugés. Je trouve que la caméra permet de briser la glace de aidé afin de savoir, par exemple, de quelle façon aborder les sans manière individuelle. » 6 Cette enquête leur permet enfin de comprendre pourquoi il abris. C’est le cas de Mme Rive qui tout au long de l’année 2006 a est si difficile de sortir des personnes de la rue, surtout si celles-ci y 5 Stances/Late Comers. Il est également professeur à l’EFAPCOM de Paris. Extrait de l’entretien entre Etienne Pozzo et Christophe Cambona réalisé le 9 avril 2008. Li b e g a f ________________ 6 - 31 - Idem. La communication de l’exclusion Juin 2008 sont depuis un certain laps de temps. Les journalistes constatent Il arrive souvent que les journalistes aient à traiter de la alors que l’aide aux SDF représente un véritable « travail de mort d’un SDF. Cela a notamment été le cas dans l’article paru au récupération ». Les propos de Mme Rive à ce sujet sont éloquents. journal Le Monde et publié le 13 janvier 2008, dont voici un extrait : Elle raconte par exemple : « j’ai pu rencontrer une femme qui vivait « Un homme est mort de froid cinq jours avant Noël, sur la plus à la rue et qui avait une fille. Cette femme a pourtant un cadre, un belle place de la capitale. Qui était-il ? Il aurait pu s'appeler " X" environnement familial mais elle ne supportait pas de dormir sur un pour toujours – c'est comme ça qu'on enregistre les SDF inconnus à lit quand elle était chez sa fille. Elle lui a même demandé de dormir l'Institut médico-légal. Se retrouver enterré parmi tant d'autres, sous 7 par terre et d’ouvrir la fenêtre alors que c’était pendant l’hiver » . une tombe blanche sans nom, dans l'ancien "carré des indigents" du Cette forme d’accoutumance à la vie dans la rue est représentative cimetière parisien de Thiais. Au mieux, il aurait été "un homme", de phénomènes que seule une enquête de terrain aurait pu révéler et entre " Titi", " Le Polac", "Joli Coeur de Passy", " Sans Dents " ou analyser. "Cahouette", sur les faire-part collectifs de la valeureuse association Les morts de la rue. Car l'homme décédé place de la Concorde, le 20 décembre 2007, n'avait ni papiers, ni camarades d'infortune vagabonde, ni habitudes de maraudes. » L’identification des 2. Les mécanismes de construction de l'information autour de la grande exclusion. personnes (comme dans l’exemple cité supra) étant rendue La manière d’aborder la question de la grande exclusion journalistes se fondent sur des témoignages de proches, de et le traitement des informations collectées répondent à de nombreux compagnons de mésaventures : il s'agit d'abord d'une information de critères tels que la pertinence des informations et la véracité des terrain, qui se base sur l'investigation. impossible en raison de l’absence de papiers d’identité, les faits. 7 Ces informations sont contextualisées lors de la rédaction Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14 avril 2008. Li b e g a f ________________ - 32 - La communication de l’exclusion Juin 2008 des articles. Il s’agit souvent de rapprocher les événements (comme ce dernier donnera son autorisation ou non quant à la publication de dans l’exemple ci-dessus la mort d’un SDF en hiver) aux enjeux tel ou tel article. politiques du moment (comme l’instauration du Droit Au Logement Opposable). Selon la ligne éditoriale, cette contextualisation sera • plus ou moins polémique : par exemple, certains journalistes Le public est un élément essentiel rentrant en jeu lors d’une critiquent la lenteur des mesures gouvernementales en faveur des sélection d’articles à paraître. En effet, les média ciblent certains SDF tandis que d’autres font l’éloge des dispositifs déjà mis en types de lecteurs ou de téléspectateurs, notamment en privilégiant place. certains sujets par rapport à d’autres. En France, l’identité des Le public différents media est à rapprocher de celle de leur audience. Ainsi, les 3. La contrainte pesant sur la médiatisation journalistes travaillant dans ces media s’insèrent dans une relation avec le public : il faut satisfaire les habituels lecteurs, au premier Le traitement de l’information sur les SDF, comme toute rang desquels les abonnés. Cette relation comporte une partie autre information susceptible d’être diffusée, répond également à des hautement financière : si un journal perd sa clientèle habituelle par exigences intrinsèques au métier de journaliste. Parmi ces critères, une approche de l’actualité peu conforme aux habitudes, il prend le on trouve deux types de contraintes (externes et internes), qui sont la risque de pertes de lecteurs. Le thème de la grande exclusion cause d’une sélection de l’information afin de ne pas créer de n’échappe pas à ce contexte. Ainsi, il serait décevant pour les conflits entre les différentes parties en présence. lecteurs de l’Humanité ou de La Croix de ne pas retrouver des articles de fond sur les SDF. De même, le phénomène de saisonnalité a) Des contraintes externes décrit dans le I.A. en est illustratif : le public semble beaucoup plus Les contraintes externes sont un ensemble de facteurs qui vont, en sensible à la question des sans abris pendant la période hivernale car dernier ressort, influer sur le choix du rédacteur en chef et faire que c’est à ce moment précis, lorsque les gens ont froid, que l’on se dit Li b e g a f ________________ - 33 - La communication de l’exclusion Juin 2008 qu’il doit être impossible de survivre au froid en vivant dans la rue sur la hausse du prix du pétrole. Pour ce genre de sujets, il s’agit sans chauffage. Les lecteurs, sur la plage, n’ont par contre guère alors pour les journalistes de préparer le sujet le plus original envie de lire des articles sur la misère de leurs congénères. possible afin que leur public préfère un journal à un autre ou une chaîne de télévision plutôt qu’une autre. • De surcroît, le monde de la presse semble de plus en plus rongé La concurrence de l’information avec les confrères par le mimétisme. En conférence de presse, la sélection des brèves journalistes intéressantes aura surtout lieu au regard de ce que feront les autres Une autre contrainte externe s’imposant aux journalistes est la media. Le but devient alors moins de refléter la vérité quotidienne concurrence. En effet, un journal vit principalement de son nombre que d’éviter d’être distancé par ses concurrents sur des sujets précis. de ventes ou d’abonnements papier ou Internet. Le développement L’objectif pour une rédaction est de savoir voir et prévoir ce que des journaux gratuits n’enlève rien à cet état de fait, dans la mesure mettront en avant les concurrents. Ainsi, effectués à des moments où de leur audience va dépendre les recettes liées à la publicité. A différents, les journaux de télévision, de radio, ceux des quotidiens l’évidence, il en va de même pour les journaux télévisés. Ceux-ci ou des hebdomadaires s’influencent mutuellement. Il peut donc y prennent en compte leur audimat afin de correspondre au mieux aux avoir attentes de leurs téléspectateurs. Cela peut aussi expliquer pourquoi médiatique sur la grande exclusion à un moment donné (du type les il y a relativement peu de reportages sur les sans abris (hiver exclu) Enfants de Don Quichotte), même si ces évènements ne sont pas pendant les périodes estivales alors que c’est justement à cette forcément plus importants que d’autres (événement organisé en période qu’il y a le plus de morts chez les SDF. La concurrence commun par toutes les associations investies contre journalistique fait donc primer des sujets qui attirent plus l’attention début 2008). Cette dépendance vis-à-vis des concurrents est simple : des Français, on peut citer par exemple la forte récurrence le citoyen ne comprendra pas qu’un thème très médiatisé partout ne actuellement d’articles et de reportages télé sur le pouvoir d’achat ou le soit pas dans son media préféré, et pourra se tourner vers Li b e g a f ________________ - 34 - un phénomène d’emballement de la communication l’exclusion La communication de l’exclusion Juin 2008 d’autres ; or, ce revirement aurait potentiellement des conséquences des promoteurs immobiliers par exemple ? De façon générale, ces financières négatives pour le media qui chercherait à s’extraire de ce thèmes peuvent mener à une contestation du système : or, les « conformisme » médiatique. annonceurs sont souvent des acteurs qui ont intérêt au maintien du système. Dès lors, une publicité en face d’un article qui montre les • L’influence des annonceurs sur le contenu des reportages problèmes du système devient contre-productive. L’influence à ce Aborder l’influence des annonceurs sur l’information niveau est incontestable. De là à dire que les patrons des grands délivrée est une tâche difficile, car elle touche à la question de la media musellent l’information qui pourrait desservir leurs opinions liberté de la presse et du journaliste. En effet, les journaux privés ou leurs intérêts, que les annonceurs ont un droit de regard sur les fondent une partie essentielle de leurs recettes sur la publicité. Cette articles, il y a un pas important que nous ne sommes pas capables de évolution vers le financement privé était conçue comme une prise franchir au vu de nos informations. Par ailleurs, la réforme actuelle du financement du service d’indépendance vis-à-vis de la tutelle de l’Etat. Or, il se trouve que audiovisuel public entreprise à l’initiative du président de la cette autonomisation ne signifie pas une indépendance totale. Il est difficile, à l’évidence, d’évaluer l’impact de la publicité République et confiée à la Commission Coppé montre une volonté sur le contenu de l’information. Nous pouvons néanmoins supposer de limiter les ressources publicitaires pour créer un vrai « service certains éléments. Tout d’abord, les media ont intérêt à attirer les public ». Aura-t-il cependant les moyens de concurrencer les chaînes annonceurs. Ils le font en majeure partie par leur audience et le type privées, voilà là une autre question. d’audience qu’ils touchent. Or, une focalisation plus grande sur les thèmes liés à la grande exclusion peut conduire à un changement b) Des contraintes internes d’audience, et potentiellement à une évolution dans les ressources publicitaires. Aussi, des articles fouillés sur les problèmes de Parallèlement à ces influences extérieures doivent être également logement en France peuvent-ils rebuter les publicités effectuées par Li b e g a f ________________ prises en compte des contraintes internes aux organes de presse et - 35 - La communication de l’exclusion Juin 2008 audiovisuel. La question est ici de savoir dans quelle mesure le chef, il y a des mécanismes complexes de sélection de l’information journaliste est libre de choisir les thèmes à traiter et la façon de les et d’autocensure qui de fait limitent la liberté du journaliste. traiter au sein d’une structure médiatique. Mais les avis sont ici plus En outre, il peut arriver que le travail des journalistes soit partagés : les rédacteurs en chef peuvent être plus ou moins influencé par des rapports du type commanditaire - exécutant. C’est flexibles. A ce sujet, Mme Rive explique qu’ « il peut cependant y le cas notamment de Monsieur Pozzo et de son équipe de tournage. avoir des choix rédactionnels dans les journaux. C’est tout le En effet, ces derniers réalisent des reportages tant pour des acteurs problème du biais dans les médias français. Personnellement, je privés que pour des autorités publiques. Son projet de réalisation pense qu’il n’y a pas de pression exercée sur les journalistes. Je actuelle est issu d’une commande passée par l’ADOMA, ancienne n’écris que sur les sujets qui me plaisent. » 8 L’indépendance semble SONACOTRA, qui a contacté la société de Monsieur Pozzo afin donc réelle ; elle se base sur la nécessité de l’investigation et de la qu’elle réalise un film documentaire sur les centres de stabilisation liberté de choix du journaliste. Cette liberté a été revendiquée par les et d’accueil de SDF. Ce film s’adresse tout d’abord aux élus locaux journalistes interrogés. Il est néanmoins possible que ce constat soit pour les convaincre des bienfaits de la construction de tels centres à nuancer d’une part selon l’ancienneté et le caractère des dans leur commune, dans leur département ou encore dans leur journalistes, d’autre part selon la hiérarchie et la philosophie région. La notion de commande est donc ici importante mais comme inhérentes à un type de media. Ainsi, MM Cardoso et Meca ont vu à le rappelle Mr Pozzo, son équipe et lui ne se sont pas « imposés de plusieurs reprises des journalistes les interroger sur un sujet, puis se cahier des charges. Sinon le film n’aurait été qu’un audit sur un les faire refuser par leur rédaction. Le motif invoqué par les centre de stabilisation. » 9 Ils ont simplement « essayé dans le film rédacteurs en chef n’est pas d’ordre personnel : il se fonde sur les de faire tomber les clichés car il y a urgence » 10 . Ainsi, même si des attentes du public ou sur les pratiques des concurrents. S’il n’y a pas contraintes internes existent, la façon d’aborder et de parler de la en règle générale une censure mise en oeuvre par le rédacteur en 9 8 10 Idem. Li b e g a f ________________ - 36 - Extrait de l’entretien entre Etienne Pozzo et Christophe Cambona réalisé le 9 avril 2008. Idem. La communication de l’exclusion Juin 2008 grande exclusion reste l’affaire du journaliste. NTIC ont révolutionné la manière dont notre société envisage les média et l'information; l'idée que celle-ci doit être libre, gratuite et En définitive, le journaliste semble garder une marge de manoeuvre directement accessible est aujourd'hui banal. Ainsi, on a constaté au importante, bien qu'il subisse quelques contraintes du fait de son même moment le développement de l'information mutualisée et journal et des commandes ; mais cela est dû d'abord à sa condition écrite par tous – ce que l'on appelle à la fois blogosphère (pour les même de journaliste, qui lui impose certaines contraintes pages personnelles) et web citoyen (pour les sites communautaires déontologiques et pratiques dans l'exercice de son métier. d'information). Quoi qu’on pense de cette polémique et de ces nouveaux médias, En tout état de cause, les journalistes ne sont plus les seuls, leur place dans les sources d’informations et leur importance aujourd'hui, à parler de l'exclusion et à écrire des articles sur ce sujet croissante ne semble plus discutable aujourd’hui : des sites comme : ainsi le développement d'Internet a marqué l'émergence d'un Agoravox enregistrent aujourd’hui plus d’un million de connexion nouveau type de journalisme. Quoi qu'on pense par ailleurs de par mois, un chiffre qui est constant depuis plus d’un an. Ainsi, il l'intérêt ou de la fiabilité de ces sources, leur importance en font un convient de s’interroger sur la communication exercée par ce type de acteur incontournable pour comprendre la communication de médias, mais aussi sur ceux qui, plus personnels comme les blogs, l'exclusion. sont néanmoins susceptibles d’attirer une certaine audience, en donnant un tournant plus personnel aux articles et histoires relatées. C. La médiatisation à travers Internet : un palliatif aux médias 1-Les différents acteurs de la communication sur traditionnels ? internet : Internet ou l’émergence d’une nouvelle forme de journalisme ? C’est aujourd’hui un lieu commun que d’affirmer qu’Internet et les Li b e g a f ________________ - 37 - La communication de l’exclusion Juin 2008 professionnels qui contrôlent l'information avant de la publier. Les sites d’informations comme Agoravox 11 ou Rue89 12 se positionnent comme des « médias citoyens » c'est-à-dire des « site Si la différence en termes de nombre d'articles n'est pas significative d’information et par rapport aux média traditionnels, les angles employés pour traiter participatif », comme l'indiquent les sous-titres de ces deux sites. de la question des SDF sont très différents: nous n'avons pas trouvé Dans tous les cas, les articles sont rédigés par des contributeurs pour la période retenue (d'octobre 2007 à juin 2008) d'articles qui bénévoles et volontaires. dressent un portrait d'un SDF en particulier, alors que les analyses Ceux-ci ont une liberté totale quand au choix des sujets, et les sites critiques sur les politiques sont légion, et surtout que ces sites affirment, dans leurs chartes de bonne conduite et dans les permettent effectivement de relayer une information qui n'est pas conditions d'utilisation, publier tous les articles qui respectent la loi présente dans les autres médias: ainsi, l'hiver dernier, Rue89 a publié (notamment pour éviter les procès en diffamation), qui sont étayés un article sur les femmes dans la rue, sur un documentaire sur les par des références et des faits, et qui ne traitent pas de manière SDF primé au FIGRA, sur une pièce de théâtre jouée par des SDF du similaire un thème déjà publié. Cela laisse donc une grande liberté canal Saint Martin, et plusieurs articles sur les sondages menés de sujet et de mode d'écriture: la plupart des textes sont engagés, et auprès des SDF 13 . Ces informations ne se retrouvent pas dans la et de débat sur l’actualité, indépendant souvent écrits par des personnes qui connaissent visiblement bien ces problématiques. 13 Pour étudier l'intérêt de cette source, nous nous sommes basés sur http://www.rue89.com/2008/03/29/figra-iii-dans-la-galere-desfemmes-sdf Sur la pièce de théâtre : http://www.rue89.com/balagan/yasminareza-et-les-enfants-de-don-quichotte les deux grands sites que sont Agoravox et Rue89, car ils publient tous deux un grand nombre d'articles et sont relativement fiables – rue89, notamment, a un comité de rédaction constitué de journalistes 11 12 Sur les SDF et les morts de la rue : http://www.rue89.com/2007/12/20/on-ne-compte-pas-les-sdf-mortsdans-la-rue sur les sondages SDF : http://www.rue89.com/2007/12/15/les- Http://www.agoravox.fr Http://www.rue89.com Li b e g a f ________________ Exemples : sur le documentaire projeté au FIGRA : - 38 - La communication de l’exclusion Juin 2008 plupart des quotidiens nationaux. Les auteurs ont donc pour but de évite souvent de s'impliquer entièrement dans ce que l'on écrit: cela faire passer une information précise pour mobiliser: ainsi, par peut présenter des interrogations sur la fiabilité de l'information, exemple, de nombreux articles ont été écrits en amont de la Nuit mais, dans un même temps, cela permet de développer une franchise 14 afin d'inciter les personnes à se et de lire un certain état de l'opinion que l'on ne retrouve pas mobiliser et à venir apporter leur soutien au mouvement. De même, nécessairement ailleurs. A notre sens, c'est d'ailleurs cet aspect qui lors de la mise en place de la conférence de consensus en janvier est le plus intéressant: ces articles sont rédigés par et pour des 2008, Rue89 a publié plusieurs articles proposant des pistes de personnes qui y trouvent un intérêt suffisant pour le faire réflexion pour la conférence15. Les acteurs de ces médias citoyens bénévolement et de manière sérieuse, et qui ont donc un réel intérêt sont donc fortement engagés, sinon politisés, sur ce sujet (ce qui pour la question et la volonté de faire partager ce qu'elles n'est d'ailleurs pas surprenant, et recoupe généralement la manière connaissent et de mobiliser d'avantage de personnes sur la question dont l'information est traitée dans ces médias) avec notamment de SDF. Blanche pour le logement 16 nombreuses allusions critiques au gouvernement et à son action . On retrouve d'ailleurs dans les articles une grande liberté de ton : les personnes qui écrivent, si elles souscrivent aux principes Cependant, l'impact de ces média reste difficile à évaluer: en effet, journalistiques de l'information fiable, sont néanmoins des les sites ont une audience réelle (plus d'un million de visiteurs particuliers qui écrivent pour leur loisir, et sous un pseudonyme qui mensuels) mais ni les associatifs interrogés, ni les média traditionnels n'estiment que leur impact soit significatif. Pour les derniers, il est possible de supposer qu'ils ne s'intéressent pas à de sdf-ne-sont-pas-des-sondes-comme-les-autres 14 15 16 sur le délit de vagabondage : http://www.rue89.com/2008/01/29/le-delit-devagabondage-va-t-il-etre-retabli http://www.rue89.com/2008/02/20/jeudi-a-paris-une-nuit-blanche-dans-desduvets-pour-le-logement http://www.rue89.com/passage-a-lacte/une-conference-de-consensus-pour-lessans-abri caricature Li b e g a f ________________ telles sources, dans la mesure où cela représente pour eux une concurrence. Cependant pour les premiers, il est possible de s'interroger sur les raisons; une piste de compréhension pourrait être - 39 - La communication de l’exclusion Juin 2008 que les associatifs que nous avons rencontrés n'étaient en général pas sujet ou de le comprendre de manière approfondie. ou peu actifs sur la Toile, ce qui ne les incitaient pas à connaître de telles informations. Une autre idée pourrait être que les publics 2-Les SDF comme possibles auteurs de cette touchés par ces média internet ne sont pas les mêmes que ceux que communication les associations ont l'habitude d'informer – bien qu'il n'existent pas, à notre connaissance, de sociologie du lecteur de l'information Notre recherche nous a conduit, dans un deuxième temps, à nous alternative sur internet, la nécessité de rechercher l'information et le demander s’il existait des blogs et journaux animés par des SDF : matériel disponible laisse plutôt à penser qu'il s'agit de personnes sur les sites participatifs en effet, les contributions sont écrites par jeunes et relativement aisées, avec une habitude significative des des personnes issues de milieux très divers, avec des occupations activités intellectuelles. Cependant, il est probable que les personnes très différentes, mais ne sont pas écrites directement par des exclus. qui écrivent les articles et les lecteurs soient les mêmes, ou du moins La raison peut être la difficulté d’accès à ces sites. Néanmoins, avec fassent partie du même microcosme internet: l'impact sur le grand la multiplication des accès internet gratuits et ouverts à tous, on peut public est donc probablement limité, ou du moins difficile à évaluer. se demander si certains SDF ne s’étaient pas lancés dans une De plus, ces auteurs ont une légitimité limitée pour parler de existence médiatique par les nouvelles technologies. ces questions: ils ne sont pas journalistes et n'ont donc pas le statut pour en parler, et ne sont pas non plus nécessairement en contact z Des SDF qui parlent peu d’eux et de leur vie… direct avec les exclus: sur Internet, il est facile de faire passer ses Nos recherches, à ce sujet, ont abouti à des résultats limités. idées et opinions pour des vérités prouvées. L'écriture d'articles ou Le seul blog SDF qui se revendiquait comme tel était le blog de de blogs par les exclus eux mêmes serait donc probablement plus Bellecour 17 , sur le site du Nouvel Observateur : mais celui-ci avait pertinente pour comprendre la problématique; mais cette écriture déclenché une polémique, car les articles n’étaient pas rédigés par n'existe que de manière limitée, et n'a pas pour but d'informer sur le 17 Li b e g a f ________________ - 40 - http://bellecour.blogs.nouvelobs.com/ La communication de l’exclusion Juin 2008 des SDF eux mêmes comme le site pouvait le laisser entendre, mais de faire passer leur message: le but est donc de passer d'un statut par un journaliste qui y relatait les conversations qu’il avait d'exclu à une forme d'inclusion. quotidiennement avec un groupe de trois SDF : bien que ces derniers z Mais qui ont un message à faire passer : message politique aient été au courant du fait que le journaliste publiait ensuite des et message de révolte. notes reprenant leurs discussion, ce n’était pas pour autant un blog SDF à proprement parler, bien que cela traite de manière assez À cet égard, deux sites sont particulièrement intéressants pour complète et intéressante la question, et les paroles étaient comprendre la manière dont les SDF se définissent eux mêmes: directement attribuées aux SDF eux-mêmes: la démarche était donc webxclusion et le défouloir des précaires. honnête, mais ce n'était pas, pour autant, un blog SDF au sens strict. La publication de nouveaux articles a d'ailleurs été interrompue à la Le premier site 19 se présente comme étant animé par un ancien SDF, suite d'une polémique sur le bien fondé de la démarche, bien que informaticien de profession, actuellement en logement de réinsertion plusieurs associations soutinssent le Nouvel Observateur 18 . mais sur le point de retourner à la rue (le site n'ayant d'ailleurs pas Mais les sites qui se revendiquent comme des blogs animés par des été actualisé depuis début 2007, il est à craindre que cela se soit SDF sont quasi-inexistants. Pour autant, certains SDF sont présents produit). sur des sites internet (voir par exemple www.sdf75.com), mais ils Le site frappe d'abord par son cynisme et par la noirceur de son sont relativement peu nombreux, et surtout, ils ne cherchent pas tant humour : il annonce que son but est de « faire découvrir tous les à raconter leur histoire qu'à faire passer leur message : à cet égard, il avantages » du fait d'être SDF, afin de réussir une carrière dans ce convient mieux de parler d'exclus que de SDF, tant parce que c'est domaine. Sont ainsi successivement abordés les thèmes des foyers, comme cela qu'ils se définissent que parce que leur message est des éducateurs, de la nourriture et des distributions, de la police, de d'abord une volonté de faire partie de la société, de se faire entendre, la prison et des juges, etc. 18 http://www.fusina.net/news/newsTrois_SDF_Lyonnais_investissent_la_blogosphere-247.html Li b e g a f ________________ 19 - 41 - http://webxclusion.ifrance.com/ La communication de l’exclusion Juin 2008 frappante que par les représentations que l'on trouve habituellement « Sans domicile fixe, prison, asile de nuit, foyer d'hébergement, soupe populaire, petits boulots, solitude, aide médicale gratuite, éducateur spécialisé, fin de droit, revenu minimum d'insertion... tous ces mots qui te font rêver feront bientôt partie de ton quotidien et n'auront plus de secret pour toi. » dans les médias. http://webxclusion.ifrance.com/ , sur la page d'accueil du site Pour chacune de ces catégories transparaît à chaque fois une critique « 24 heures dans la peau d'un SDF du système, qui empêche de donner une vie honorable aux SDF: par Il en fait quoi, de sa journée, le clochard ? N'importe quel Café des Sports te fournira la réponse : rien, les clodos n'en branlent pas une, y z'attendent que les autres bossent pour eux, et que si c'était moi, etc, etc... exemple, il est tout à fait possible de manger gratuitement tous les jours, mais impossible de se procurer autre chose que des sandwichs Laisse-les donc à leurs 51 et occupe toi plutôt de tes affaires. La journée démarre de bonne heure, la grasse matinée sous un porche ou dans un parking ce n'est pas le pied. Et il vaut mieux dégager vite fait de son coin pour ne pas se faire repérer. De plus il y a toujours un coup de frais juste avant le lever du jour. La rosée, c'est romantique si tu la découvres après avoir passé une bonne nuit au chaud et t'être enfilé un solide p'tit déj'. au paté ou à la vache qui rit : ainsi, les SDF ont les dents qui s’abîment au bout de quelques mois, pas seulement à cause du manque d'hygiène, mais aussi suite aux carences entrainées par la En guise de café/croissant, un coup de rouge fera tout aussi bien l'affaire si tu es fauché. Pas de ta faute si le petit noir coûte aussi cher qu'un litre et demi de Villageoise. D'ailleurs tu peux prendre la direction de l'épicerie la plus proche pour refaire le ballast. mauvaise alimentation. Les soins dentaires n'étant en général pas remboursés, il est rare de voir un SDF avec des dents en bon état. C'est un ensemble de faits comme celui-ci qui rend le site Selon la ville où tu crèches, il faut organiser ta tournée pour les casse-croûtes. On commence enfin à voir des distributions très tôt le matin mais c'est encore rare. Si tu as des démarches à faire dans les bureaux, il faut absolument les faire dès l'ouverture. Ce n'est pas croyable le nombre de démarche que tu dois faire ! Certes il est très facile de constituer un dossier pour obtenir le RMI, mais cela signifie qu'il y aura le fameux suivi. Ce suivi consiste en fait à te demander sans arrêt un autre papier à aller chercher à l'autre bout de la ville. Ou alors à devoir te présenter dans un bureau pour prendre un rendez-vous afin de rencontrer quelqu'un qui t'orientera vers le service qui saura à qui t'envoyer pour que tu puisses espérer avoir une aide exceptionnelle de 50 balles qu'il te faudra retirer à une caisse qui a de fortes chances de ne pas être dans le même bâtiment. De particulièrement intéressant, car il montre une vision du problème qu'il est difficile de trouver ailleurs, à moins de discuter avec les exclus eux mêmes – avec toutes les difficultés que cela représente. À ce titre donc, l'Internet permet de trouver des informations peut-être plus anecdotiques, mais qui concernent notre question et qui permet de présenter l'exclusion d'une manière beaucoup plus concrète et Li b e g a f ________________ - 42 - La communication de l’exclusion Juin 2008 toute façon, quand tu finiras par la trouver, cette bon dieu de caisse, tu seras forcément en dehors des horaires. Il n'est pas non plus impossible que quelqu'un dans le lot ait oublié de te donner le bon papier. Et pendant que tu somnoles dans la moitié des salles d'attente de la ville ou que tu te perds dans les étages, tu rates les distributions de casse-croûte. Ce message, selon les sites, peut être politique ou social; il présente SDF, ce n'est pas un métier facile. Dire qu'il y en a encore qui croient qu'on s'amuse... » 20 situation: ils ont ainsi l'impression de ne pas exister, que leurs cependant la constante d'exprimer un sentiment que les médias traditionnels et les politiques ne prennent pas en compte leur problèmes ne sont pas abordés, mais surtout que les journalistes et les gouvernants n'ont même pas conscience de leurs problèmes ou simplement de leur existence. Ainsi, le défouloir des précaires 21 se revendique comme un site auquel tous peuvent participer pour exprimer son ras-le-bol face aux institutions et à leur incompréhension, mais aussi face aux journalistes (notamment contre ceux qui recherchent des témoignages pour des reportages au titres parfois provocateurs, du type « chômeur heureux » ou « je vis dans la rue parce que je l'ai choisi »). Mais cela n'est pas le but premier de ce site: il a au contraire en une insistance sur un message revendicatif à faire passer. Comme mes pairs sur le Net, je ne donne aucune suite à vos demandes parce que vous ne lisez rien du contenu de nos sites, parce que vous exploitez la déchéance pour assurer vos carrières, parce que vous donnez systématiquement une image dépréciée du chômeur, parce que vous servez l'ordure gouvernementale et sa politique d'exclusion et de débilisation de l'exclu. La caricature du rmiste parasite aux cernes d'ivrognes, un cheveux sur la langue et les autres en pétard, le QI dans les cartons et les restaus du cœur à portée de misère, ça suffit ! Source: (http://precaires.free.fr/) 20 21 commun avec d'autres sites animés par des précaires (il est en effet difficile de dire qui est précaire, qui est SDF? Nous avons donc entendu le terme au sens large pour les besoins de cette recherche) http://webxclusion.ifrance.com/ rubrique Sans Domicile Fixe Li b e g a f ________________ - 43 - Http://precaires.free.fr : La communication de l’exclusion Juin 2008 Cependant, une limite importante a apporter est l'absence de données les internautes directement à leurs problèmes, ou du moins pas tant sur l'impact de cette communication, qui n'est d'ailleurs pas qu'on se concentre sur une problématique unique, telle que le droit évaluable (pas de trackbacks ni de compteurs sur les sites et au logement par exemple : en effet, pour les plus précaires présents référencement insuffisant sur les grands moteurs de recherche). De sur internet, la Toile permet d'exprimer une forme de ras-le-bol, plus, ces sites sont souvent hébergés gratuitement, et la qualité fréquemment politisée, mais qui ne recoupe pas une idée de blog ou visuelle et le contenu s'en ressentent, avec une interactivité limitée, de récit de vie : contrairement au développement général de des graphismes archaïques et surtout une présence de la publicité qui l'Internet privé, avec notamment les jounaux sur internet (et d'abord peut devenir rapidement agaçante: on est bien loin des sites des des skyblogs) les précaires sur internet ne souhaitent pas se raconter, médias traditionnels ou même des grands sites d'information mais exprimer un mal être. interactifs. Cela indique probablement un manque de fréquentation Cela leur permet d'extérioriser ce qui n'est pas présent dans la de ces sites, qui fonctionnent avec des moyens très limités – trop médiatisation habituelle de l'exclusion : ainsi, internet est une source limités pour avoir une audience importante. de communication plus directe pour l'ensemble du monde de l'exclusion. Plus largement que les exclus eux mêmes, les Cette question de l'audience reste cependant essentielle : la associations prennent aussi de plus en plus de pouvoir sur internet et médiatisation par les grands média traditionnels est déterminante développent ainsi une forme de communication directe. pour comprendre notre sujet, mais elle n'est pas la seule à traiter de la question : ainsi, avec l'émergence notamment des nouveaux médias sur la toile, certains sites d'informations interactifs commencent à se développer et avoir un rôle dans la conscientisation du problème. Mais Internet ne permet pas pour autant aux exclus de sensibiliser Li b e g a f ________________ - 44 - La communication de l’exclusion Juin 2008 méfiance à l’égard des médias traditionnels, elle utilise néanmoins le II. Des stratégies de communication associative diversifiées support Internet, davantage comme une « vitrine » informative de son action ou comme une carte de visite, que comme un outil qui A. La typologie des associations selon leur mode de communication viserait à avoir un impact plus fort sur le destinataire de l’information. 1. L’opposition entre la communication traditionnelle et les La communication traditionnelle passe aussi par les nouvelles formes de communication. journaux ou magazines publiés au sein de l’association. Ces publications Les associations ont toutes des rapports très différents à traditionnelle et les nouvelles formes des récits, des aux personnes aidées par l’association et aux bénévoles. Elles sont donc circonscrites à un noyau de personnes relativement petit. Cela La communication traditionnelle est encore le modèle dit, il faut bien garder à l’esprit que toutes les associations ne prédominant dans le monde associatif. Elle essaie d’éviter une trop disposent pas des mêmes moyens, et ne publient pas toutes un grande coopération avec les médias tels que la télévision, la radio ou magazine ou un journal interne. Seules les associations de grande même la presse. Elle peut passer par l’organisation de conférences, taille ou de taille moyenne peuvent le faire. d’annonces dans les églises, de repas associatifs, de grands D’autre part, certaines associations utilisent également rassemblements, qui permettent d’une part la communication autour les moyens de communication traditionnels non pas à des buts des actions de l’association, et une communication interpersonnelle informatifs mais politiques, bien que cela semble plus marginal. avec les exclus eux-mêmes. En revanche, si cette communication C’est notamment le cas de l’association SDF (Solidarité des traditionnelle se caractérise, du moins pour les associations de taille Français), clairement rattachée au Front National, qui publie chaque modeste et qui travaillent à l’échelle locale, par une certaine ________________ témoignages, organise, sur les dates à retenir, etc… Elles sont destinées à la fois de communication, qui permettent de classer les associations. Li b e g a f des informations sur la vie de l’association, sur les événements qu’elle la communication. On peut en distinguer deux grands types : la communication contiennent - 45 - La communication de l’exclusion Juin 2008 mois un petit magazine de rue, distribué aux personnes sans en forme de cœur. L’association a par la suite fait un choix de domicile qui fréquentent l’association, afin d’en rappeler les communication cohérent en créant un site Internet dont la couleur fondements idéologiques. En réaction à cette politisation, de principale est le rose, et dont la page d’accueil s’ouvre sur nombreuses associations se sont regroupées pour adopter une Charte « l’appel » de Coluche. Mais surtout, la nouveauté en termes de Ethique et Maraude ( www.espace-ethique.org ). communication réside dans l’organisation de concerts rassemblant toutes les grandes figures de la chanson française, dont le nom de A côté de cette communication traditionnelle se développent groupe est devenu célèbre : « Les Enfoirés ». de nouvelles formes de communication, plus originales, visant à L’autre grande innovation de communication associative est toucher un public beaucoup plus large et à frapper les esprits. Cette celle qui a été opérée par l’association Les Enfants de Don communication s’appuie en grande partie sur les médias. Elle est Quichotte, sur laquelle nous ne nous attarderons pas ici, puisqu’elle fondée sur l’image et bien souvent aussi sur le spectaculaire, au sens fait l’objet d’une étude dans la suite de notre rapport. Les Don littéral du terme. Cette forme nouvelle de communication a émergé Quichotte ont pleinement joué la carte médiatique, en essayant, à avec le projet des Restos du Cœur, lancé par Coluche dans travers les grands médias, de faire passer un message politique et, l’émission Y en aura pour tout le monde, qu’il animait sur Europe 1 selon Aurore au milieu des années 1980. Ainsi Coluche avait-il dit à l’antenne : « d’interroger le rôle de l’Etat ». Pour cela, le leader de « J'ai une petite idée comme ça, si des fois y a des marques qui l’association, Augustin Legrand, n’a pas hésité à se mettre en scène, m'entendent, je ferai un peu de pub tous les jours. Si y a des gens qui dans de courtes séquences filmées, diffusées sur Internet et qui ont sont intéressés pour sponsorer une cantine gratuite qu'on pourrait connu un réel écho médiatique. La dernière action à large portée commencer par faire à Paris. » On connaît le succès que médiatique fut la réalisation du documentaire Poudre aux yeux, de l’association a remporté depuis. Les Restos du Cœur ont d’abord Mathieu Kassovitz, réalisé pour Les Enfants de Don Quichotte et réussi à imposer un logo, facilement identifiable : une assiette rose diffusé en exclusivité sur le site Dailymotion. Ce film a accompagné Li b e g a f ________________ - 46 - de Montalivet (Aux captifs, la libération), La communication de l’exclusion Juin 2008 n’est pas nécessairement un objectif en soi pour elles. un appel à la mobilisation pour l’événement « Nuit solidaire pour le logement », et son lancement a été largement propagé par les médias a) Les associations qui ne cherchent pas à communiquer. traditionnels (journaux télévisés et radiophoniques, articles de presse). Ces méthodes de communication sont radicalement Il existe des associations d’aide aux plus démunis qui veulent rester nouvelles, et ouvrent peut-être des perspectives intéressantes à dans la sphère de la confidentialité, et qui cultivent une grande l’ensemble du monde associatif. méfiance à l’égard des médias. Ce sont le plus souvent de petites associations. Le clivage « communication traditionnelle » / « nouvelle communication » fait donc apparaître une pluralité de postures de la b) Les associations qui veulent communiquer mais qui ne part des associations. Il convient donc d’interroger plus précisément maîtrisent pas encore les techniques de communication. les objectifs des associations en termes de communication. D’autres associations – la majeure partie – veulent communiquer 2. Les associations ne poursuivent pas les mêmes objectifs en termes mais n’ont pas encore bien défini leurs stratégies de communication, de communication. souvent parce que les objectifs qu’elles leur assignent ne sont pas très clairs. Beaucoup d’associatifs rencontrés sur le terrain nous ont Toutes les associations n’en sont pas au même point de maturité dit que l’objectif de la communication (la leur et celle des médias en dans leur approche de la communication. Il existe deux raisons général) devait être de faire changer le regard des gens. En réalité, principales à cette situation : ou bien, d’une part, certaines cet objectif reste extrêmement vague, et ne permet pas de lui associations de appliquer des méthodes efficaces de communication. D’autre part, communication, qui demeurent pour elles des outils qu’elles ne ces associations ont toutes des sites Internet, mais elles n’en font savent pas utiliser. Ou bien, d’autre part, certaines associations ne qu’un usage de carte de visite. Elles ne disposent pas d’une large tiennent tout simplement pas à communiquer. La communication visibilité. ne maîtrisent Li b e g a f ________________ pas encore les techniques - 47 - La communication de l’exclusion Juin 2008 essentiel à l’épreuve de la défiance c) Les associations qui fondent toute leur action sur la a. La communication destinée aux media, une communication. clef de la communication autour du thème C’est le cas des plus grandes associations, telles Les Enfants de Don des SDF Quichotte ou Les Restos du Cœur, qui ont mis au point des La médiatisation que nous avons décrite en première partie techniques de communication novatrices. Leur objectif est beaucoup est en partie le fruit de la communication réalisée par les plus précis, et il est inclut expressément des revendications de nature associations auprès des media. En effet, les journalistes réagissent politique. souvent aux invitations envoyées par les acteurs associatifs. S’ils ne s’y rendent pas toujours, cette forme de communication semble être un rouage important de la communication qui s’effectue autour du B. L’arbitrage entre communication destinée aux médias et communication directe thème de la grande exclusion. Ces invitations peuvent concerner un événement organisé par l’association ou encore un « appel » à la Il s’agit ici d’analyser deux alternatives qui s’offrent aux prise de conscience sur tel ou tel sujet. associations dans leur communication : mobiliser les media – action Si d’un côté les media ont besoin des associations pour être essentielle et présentant un potentiel important (1a), bien que limitée les premiers informés de ce qui se déroule dans le domaine de en pratique par une relative méfiance entre acteurs associatifs et l’exclusion et pour pouvoir informer en retour (« mes principales médiatiques (1b) – et la communication directe, très diversifiée, à sources sont les associations », dixit Mme Rive, journaliste à travers la communication directe traditionnelle (2a) rendue l’Humanité), il faut noter que la médiatisation est indispensable pour aujoud’hui plus simple et efficace par l’utilisation de la « toile » les associations. En effet, les media permettent de donner de la (2b). visibilité à leurs évènements et à leurs combats : un grand nombre de personnes peut ainsi avoir connaissance de l’information ou se 1- La communication destinée aux media, un outil Li b e g a f ________________ - 48 - La communication de l’exclusion Juin 2008 rendre sur le lieu de l’événement. M. Choutet insiste sur cet « conscientisation » des citoyens des problèmes qui sont chers aux élément : « Il y a un côté magique avec les media de masse. Avec un associations, et une plus probable prise en charge politique de la 20h on va toucher des millions de personnes, avec un article dans le question. Monde on va toucher beaucoup de décideurs. La priorité doit donc De plus, il est évident que cette visibilité peut permettre être donnée aux media. L’action de terrain est aussi positive, mais non seulement aux associations d’atteindre un nombre important de au niveau de l’efficacité c’est peu. Informer dans la rue, c’est aussi citoyens, mais, de façon corollaire, de récolter davantage de fonds. beaucoup de moyens ». En effet, ces personnes informées sont des donateurs potentiels ou, L’une des clefs de la communication autour de la grande de façon plus indirecte, permettent de donner davantage exclusion doit donc être cette communication des associations aux d’importance à l’association qui pourra alors recueillir plus media. En effet, l’information délivrée par l’association vise à être facilement des subventions. Nous ne sommes pas capables de dire directement exploitable par le journaliste, et relayée : les laquelle de ces nécessités tend à être prioritaire pour les communiqués transmis aux media sont donc les plus pédagogiques associations : il ne fait cependant aucun doute qu’elles sont liées. possible. Ainsi, ceux réalisés par les enfants de Don Quichotte informent non seulement des évènements à venir, mais se concentrent aussi sur un argumentaire, en intégrant par exemple des chiffres liés au logement (nombre et types de logements effectivement construits) : ainsi, ces papiers peuvent devenir une aubaine pour le journaliste. Pour autant, ce dernier s’attache à varier les sources, de façon à ne pas relayer la probable partialité de certaines communications associatives. Deux effets sont Li b e g a f ________________ alors à attendre : une plus grande - 49 - La communication de l’exclusion Juin 2008 déformations ou instrumentalisations effectuées par les media. La « pipolisation » de la communication associative L’attention des media peut être activée par des moyens qui diffèrent du simple communiqué de presse. Ces dernières années ont notamment vu affluer les exemples de « pipolisation » de l’action associative. A la suite des Restos du Cœur, basés non seulement sur la popularité de Coluche mais aussi sur la participation des chanteurs les plus connus lors des spectacles des Enfoirés, d’autres associations ont attiré l’attention par des stars. C’est notamment le cas de la Croix-Rouge, avec Adriana Karembeu. Cette pratique permet sans aucun doute de décupler l’attention portée sur l’association. La question est toutefois la suivante : dans quelle mesure les projecteurs sont-ils portés sur la star et sur le caractère sympathique de son engagement, ou sur la nécessité de soutenir l’action de l’association ? Selon F. Gorget, cette pratique est une « tentative d’instauration d’un jeu gagnantgagnant dont les résultats sont hasardeux ». Si le phénomène est à coup sûr positif b. en Une termes d’image des people », il semble déformation de« l’information par les également qu’il le soit pour les associations, dans la mesure où media ? les dons récoltés lors de ces soirées people à forte audience sont en règle générale importants. Les associatifs témoignent de nombreux rapports décevants, ou d’affrontements, avec les media. Ces déceptions se déclinent à la fois sur le terrain et ensuite lors de la parution de l’article. Sur le terrain, il faut noter que la collaboration entre journalistes et associatifs est en général fructueuse et comporte peu d’achoppements. Pour autant, il est des cas où des logiques différentes s’affrontent. H. Cardoso, du Secours Catholique, raconte : « une fois, une chaîne de télévision était présente avec le Secours (TF1). Un gars était mal, notamment parce qu’il avait bu. Il était vraiment très mal. J’ai eu une discussion tendue avec le journaliste, qui voulait prendre une image trop dégradante. Notre discussion portait sur les moyens de l’information. Selon moi, le Secours ne pouvait pas se permettre d’aider à diffuser une telle image. Finalement, l’image n’a pas été diffusée. La presse est comme un mal nécessaire, pour les associations. Mais pour la Les associations sont parfois rétives à l’utilisation intensive presse, montrer ce type d’image sert à sensibiliser. » Il ajoute qu’il y des media. Cette méfiance, que nous allons analyser plus tard en a des fois où la relation achoppe totalement : « lors d’un tournoi de profondeur, foot que nous avions aidé à organiser, un journaliste est venu se base fondamentalement sur les possibles m’interroger et il me poussait littéralement à dire certaines choses ! Li b e g a f ________________ - 50 - La communication de l’exclusion Juin 2008 C’est simplement insupportable ». Le jugement des associations mesure du travail des journalistes. Ce travail pouvant en effet servir d’aide aux SDF vis-à-vis de la télévision est très négatif, notamment la cause des associatifs en leur donnant une tribune médiatique. à cause de la difficulté à utiliser l’image pour révéler des situations C’est pourquoi les journalistes font preuve d’une grande précaution qui questionnent la dignité des personnes filmées. A l’inverse, la lorsqu’ils doivent travailler en collaboration avec des associatifs. Il méfiance vis-à-vis de la presse écrite, et a fortiori des mensuels, est leur faut en effet gagner la confiance de ces derniers pour après beaucoup moins importante. gagner celles des personnes sur lesquelles ils vont faire leurs Ensuite, une fois l’article paru ou le reportage réalisé, les reportages : les SDF. Cette volonté de briser l’image du journaliste – déceptions des acteurs associatifs semblent fréquentes. Selon P. opportuniste anime des journalistes comme Mme Rive qui déclare Meca, c’est inévitable, « car chacun insiste sur les points qui lui que lors du reportage sur le terrain « il y a une précaution nécessaire paraissent importants, et parfois ce ne sont pas ceux que je à avoir car le média agresse. Il faut prendre du temps et il faut considère importants ». Pour autant, ces décalages ne relèvent que travailler avec les gens en qui les sans abris ont confiance. Je me de la subjectivité humaine. Il semble que la peur de voir son discours présentais à chaque fois comme une journaliste car je pense que déformé ou, pire, instrumentalisé par les journalistes soit à la racine pour faire un travail correct sur ce sujet, il faut respecter les gens, la de la méfiance des acteurs associatifs vis-à-vis des media, mais cette confiance est nécessaire. » 22 Cette relation de confiance est donc peur recouvre selon nous une réalité marginale : les exemples de primordiale si un journaliste veut dépeindre la réalité de la grande déformation de l’information ne sont pas fréquents. exclusion et s’il veut pouvoir obtenir le témoignage des principaux intéressés. Les journalistes prennent de plus en plus conscience de ce phénomène de rejet qui peut se manifester à leur encontre. Ce 2- La communication directe, un instrument traditionnel dernier peut se manifester de deux façons : soit les associatifs sont réfractaires aux journalistes et attendent de ces derniers des solutions 22 concrètes face à la grande exclusion ; soit ils ne prennent pas la Li b e g a f ________________ - 51 - Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14 avril 2008. La communication de l’exclusion Juin 2008 dont Internet accroît la pertinence s’effectue à travers des conférences, des forums ou évènements divers, ainsi que par ce que nous pouvons appeler « la force du Il convient d’abord de préciser que nous entendons par quotidien ». Ainsi, les sorties de nuit effectuées par les bénévoles communication directe la communication non médiée, c'est-à-dire sont un message à part entière adressé aux citoyens-passants. celle qui se déroule au jour le jour dans les évènements ou Comme le souligne M. Choutet, l’effet de cette communication est conférences où les associations sont présentes et celle qui s’opère à « qualitatif » car il montre que l’action directe et humaine est travers des media propres (journaux associatifs, site Internet). La possible et accessible à tout un chacun. Cette communication communication directe permet à l’association de ne pas dépendre incidente est sans nul doute la moins biaisée. Elle peut aussi être très des media et d’éviter les éventuelles désillusions du traitement efficace : pour P. Meca, le succès de la « moquette » mis en place par médiatique de leurs actions. des compagnons de la nuit (lieu ouvert de rencontre entre SDF et ADF) ne tient qu’à la force du « bouche à oreilles », et nullement à a- Une communication directe une quelconque action des media. « traditionnelle » diverse à l’impact surtout qualitatif Les associations sont aussi auteurs de communications plus médiées. D’abord, les newsletter ou autres rapports d’activité sont La communication que les associatifs effectuent dans la rue nécessaires pour rendre compte aux donateurs des actions de n’est pas à négliger mais s’avère difficilement évaluable. Notons l’association. Ensuite, les plus grandes associations peuvent tenir un simplement cette vrai journal : plus qu’un compte-rendu, il s’agit ici d’apporter un communication semble être à la racine du lien social, dans la mesure autre point de vue sur l’actualité. Par exemple, le journal où les personnes engagées aux côtés des personnes sans domicile « messages » du Secours Catholique est rédigé par des journalistes font partager leurs convictions aux autres citoyens. Ce travail professionnels, spécialisés dans les domaines où agit l’association. Il quelques Li b e g a f ________________ aspects significatifs. D’abord, - 52 - La communication de l’exclusion Juin 2008 se double de publications locales, diffusées par les différentes s’attache souvent à « prêcher des convertis », c'est-à-dire aux délégations du Secours. Si des abonnements sont accessibles à tout donateurs ou aux personnes proches des milieux associatifs. De ce un chacun, il convient de noter que ces journaux s’adressent fait, elle ne semble pas parvenir à étendre son influence au-delà de particulièrement aux donateurs, bénévoles et autres proches de ces sphères. Comme le dit H. Cardoso, la diffusion de l’information l’association. Enfin, les publications (souvent annuelles) permettent par les associations aboutit au résultat suivant : « en France, il y a de une information approfondie qui donne une envergure à cette la très bonne information. Mais il faut aller la chercher ». communication non médiée. b- Internet, Il semble qu’une communication directe variée soit nouvel instrument de communication directe pour les associations nécessaire pour toucher les citoyens d’une autre façon que par les media de masse. D’abord, parce qu’elle est un moyen efficace Depuis la dernière décennie, les portails Internet se sont d’attirer des dons ; or, ceux-ci sont indispensables à l’indépendance développés, jusqu’à devenir un élément obligatoire de la constitution des associations. Aussi, l’ensemble des acteurs interrogés pensent d’une association. Ainsi, il semble aujourd'hui difficile pour une que la communication directe est utile car il s’agit d’agir à tous association de se passer de cet outil, d’autant qu’il se dresse en outre niveaux. P. Meca en fait même une question d’éthique : « il est aussi en tant que média citoyen permettant une très grande interactivité. important pour moi de parler à un jeune dans la rue qu’à un En effet, les discussions qui peuvent avoir lieu sur les blogs seraient journaliste reconnu, bien que l’impact soit différent ». l’occasion pour les associatifs de répondre aux questions des Cet impact est justement difficile à mesurer. En effet, il est citoyens lambda concernant leurs activités et leurs objectifs. Cette difficile de déterminer dans quelle mesure l’impact qualitatif peut communication compenser l’impact quantitatif permis par les media de masse. Il multifonctionnelle. En effet, on trouve sur les sites des grandes semblerait cependant que la communication directe des associations associations des éléments d’information générale, des comptes- Li b e g a f ________________ - 53 - qui a une vocation universelle semble La communication de l’exclusion Juin 2008 rendus d’action de l’association, des communiqués de presse, mais certains propos peuvent ternir l’image de l’association qui tient également des éléments plus « commerciaux » comme les appels à lesdits blogs. dons, le recrutement de bénévoles ou encore la vente de D’autre part, l’utilité d’Internet est à nuancer parce que même au publications. Des associations comme les Enfants de Don Quichotte sein des grandes associations, la conception du site peut modifier permettent même aux internautes de faire part de leurs opinions sur son audience. Ainsi, les sites du Secours Catholique ou du DAL ont le blog présent sur leur site. Le portail Internet devient ainsi une présentation facile et offrent beaucoup de possibilités, alors que l’identité virtuelle de l’association, à travers laquelle s’effectuent ceux du SAMU social ou des Restos du cœur ont une présentation nombre d’actions indispensables à son fonctionnement. Par exemple, qui semble moins attractive et interactive pour les lecteurs. Internet est devenu le principal outil de signature des pétitions. En outre, Internet permet de développer un moyen de Notons que ce constat est à nuancer selon les communication rapide et efficace : les newsletters. Leur coût est associations. D’une part, parce que les sites sont d’autant plus faible et il est très facile pour tout citoyen de s’abonner via un étoffés et régulièrement mis à jour que l’association est de taille. simple clic. De plus, elles comportent certes un compte-rendu des Certaines associations ne disposent pas de sites Internet car elles ne actions menées par l’association, mais s’accompagnent souvent de veulent pas faire de l’ « effet vitrine » 23 . Elles préfèrent concentrer mini-articles plus généraux sur « l’actualité sociale ». Elles leur logistique sur des actions concrètes et de proximité. Il en va de présentent cependant l’inconvénient d’exclure une part significative même pour les blogs : certaines associations pensent que ceux-ci des citoyens, celle qui n'a pas d'accès Internet personnel et/ou ne sait sont un moyen de communication intéressant mais qu’ils n’évoluent pas se servir d'un ordinateur. pas. A cela s’ajoute le fait que les blogs laissant la parole libre aux internautes, tout un chacun peut dans ce cas écrire ce qu’il veut et 23 Enfin, les chaînes de mails sont de plus en plus utiles aux associations, Extrait de l’entretien entre Christophe Louis et Christophe Cambona réalisé le 2 avril 2008. Li b e g a f ________________ - 54 - et permettent de contacter directement et La communication de l’exclusion Juin 2008 instantanément des milliers de personnes. Ainsi, les enfants de Don C. Une communication associative Quichotte ont une mailing list de plus de 4000 personnes, lesquelles font rapidement circuler autour d’elles afin d’atteindre une 1- Une méfiance des associations vis-à-vis des autres acteurs de la communication autour des SDF population non seulement massive mais a priori réceptive. Outils extrêmement efficaces pour informer rapidement, les newsletter et Le milieu associatif étant le premier à être en contact avec la réalité mails qui circulent peuvent néanmoins avoir un potentiel limité : de la grande exclusion, il est alors logique de penser que les dans les boîtes mail, il est probable qu’à un moment donné, « trop associations veulent communiquer sur ce sujet afin de sensibiliser d’informations tue l’information », dans le sens où la multiplication l’opinion publique à leur combat. Or, cette communication n’est pas des courriers réduit l’attention qu’on leur porte. unique, elle n’est pas le fruit de consensus entre toutes les associations et les collectifs d’aide aux SDF. Les associations Il semble que la communication directe soit ainsi stimulée tiennent en effet à garder leur identité propre et développent donc par Internet. Permettant d’atteindre des publics plus ciblés, une certaine méfiance vis-à-vis d’éléments extérieurs. Cette potentiellement plus impliqués, et d’éviter les pièges de la méfiance se manifeste envers trois types d’acteurs : les associations médiatisation de masse, elle est un composant essentiel de la elles-mêmes, les médias et les politiques. communication associative. Cependant, selon nous, elle ne doit pas • être vue comme une alternative à un recours aux media de masse : Le manque de consensus entre associations ceux-ci présentent des avantages tellement considérables qu’il est indispensable de potentialiser la confiance entre ces acteurs. Mais la La lutte contre la grande exclusion et la précarité fait dispersion des acteurs associatifs peut aussi être un facteur intervenir de nombreux acteurs. Certes, ils concourent tous à d’inefficience de la communication associative. l’amélioration des conditions de vie des SDF et tentent de mobiliser le plus de forces vives possibles afin que leurs actions soient prises Li b e g a f ________________ - 55 - La communication de l’exclusion Juin 2008 en compte par les autorités publiques et soient suivies de retombées travail de terrain plutôt que de chercher la médiatisation à tout prix. politiques, mais les associations n’ont pas toutes la même Toutefois, les associatifs et les journalistes tendent à philosophie, elles n’ont pas toutes les mêmes méthodes de travail et penser que cette méfiance réciproque s’efface de plus en plus, et ce les mêmes moyens d’intervention. C’est cette différence primaire grâce à l’influence de l’association Les Enfants de Don Quichotte25. entre les objectifs des associations qui est à l’origine de la méfiance Cette dernière a su depuis près de trois ans amorcer un mouvement latente entre elles. Cette méfiance peut se manifester de diverses fédérateur des associations d’aide aux sans abris. Les membres de façons. L’une d’entre elles est d’abord la critique de l’action menée cette association, et plus précisément leur président Augustin 24 par les autres associations. Selon Monsieur Louis , « certaines Legrand, ont su mobiliser les médias autour de la grande exclusion, associations ont le monopole de la pauvreté en France, alors tout en ayant recours au soutien d’autres associatifs. Cette qu’elles ne se cantonnent qu’à la distribution de nourriture. Les coopération s’est notamment vérifiée lors de l’organisation de la Restos du Cœur par exemple sont souvent une vitrine ou l’occasion Nuit Solidaire pour le Logement26 le jeudi 21 février 2008 à la d’un retour en grâce de chanteurs en quête de ventes. Les petites Place de la République à Paris. Cet événement suscita un réel structures sont quant à elles plus libres et plus efficaces. Les grosses engouement : près de 27 associations (parmi lesquelles ATD Quart doivent par contre accepter la conformité imposée par l’Etat. L’Etat Monde, Les Petits Frères des Pauvres ou encore le Secours leur donnant la plus grande partie de leur financement. ». Cette Catholique) avaient décidé d’organiser conjointement cette soirée suspicion entre associatifs se cristallise ainsi par une distinction dont l’objectif était de faire part aux puissances publiques la entre grandes associations qui disposent de moyens financiers première de leurs revendications : des logements décents pour les importants et qui souvent jouent les premiers rôles au niveau 25 médiatique, et les petites associations, qui estiment que leurs actions sont plus « efficaces », car elles se concentrent avant tout sur le Et ce bien que certains associatifs aient critiqué les Enfants de Don Quichotte pour leur prétendu opportunisme. 26 La Nuit solidaire avait aussi son blog. Ce dernier est accessible à partir du site des Enfants de Don Quichotte au 24 http://www.lesenfantsdedonquichotte.com/v4/index.html Mr Christophe Louis est Président de l’association Les Enfants du Canal et Président du collectif Les Morts de la Rue. Li b e g a f ________________ - 56 - La communication de l’exclusion Juin 2008 personnes sans abris. Cette soirée a été l’occasion d’une réelle division du travail entre les associations. En effet, dès le 20 février la publicité de cette soirée avait été assurée par Augustin Legrand et Mathieu Kassowitz sur le plateau de l’émission de télévision Le Grand Journal diffusée sur Canal +. Cependant la logistique était assurée par des associations telles qu’Emmaüs (sécurité, stands…etc.) et les conférences de presse improvisées avec les nombreux journalistes présents étaient principalement assurées par Augustin Legrand. Nuit Solidaire pour le Logement du 21 février 2008 Li b e g a f ________________ - 57 - La communication de l’exclusion Juin 2008 véhiculent une image positive des associations, ces dernières ne sont pas aussi enclines à leur faire confiance. Ainsi, il nous a semblé que l’utilisation des media par les associations n’est pas aussi poussée qu’elle pourrait l’être, et au cours de nos entretiens, une certaine méfiance a pu être mise en avant par les associations. Ce phénomène est à analyser car il peut être la cause d’une communication non optimale. En effet, il en résulterait que le potentiel de communication des associations ne serait pas exploité. Il convient d’analyser les différents facteurs qui peuvent mener à la méfiance. Il est à ce titre nécessaire de rappeler que les associations et les journalistes appartiennent à deux mondes et à deux logiques différentes. Il y a donc une part de méfiance qui est naturelle, liée aux objectifs de ces deux catégories d’acteurs, simplifiés comme suit : Nuit solidaire pour le logement du 21 février 2008 : Un logement (maison) témoin dans lequel on trouvait tout le nécessaire, à savoir de nombreux meubles, un réfrigérateur, de nombreux sièges, un évier, des tapis. Il s’agit ici de la représentation concrète de ce que voudraient obtenir les associations d’aide aux sans logis. • avoir de l’audience, pour les journalistes • aider les plus démunis pour les associatifs. Si le clivage est à relativiser des deux côtés, la presse « reste un produit marchand » (F. Gorget). Les media font partie du système, • système que beaucoup d’associatifs jugent injuste pour les plus La méfiance des associations vis-à-vis des médias défavorisés. Si les média, d’après les journalistes et associatifs interrogés, Li b e g a f ________________ - 58 - La communication de l’exclusion Juin 2008 média » 27 . Il résuma d’ailleurs ses propos par la phrase suivante : « Il faut que les médias puissent faire comprendre aux Français une Ainsi, l’un des freins à la communication autour du combat des chose : « comment la France peut accepter d’avoir des pauvres sur associatifs contre la grande exclusion réside dans la méfiance de son territoire ? » 28 Ainsi, la conscientisation faite par les médias est certains acteurs du milieu associatif envers les médias. Cette vue comme un élément de départ essentiel, mais le but est de méfiance s’ancre dans le sentiment qu’ont certains associatifs que la provoquer une réaction chez les Français afin qu’ils ne soient plus couverture faite par les journalistes de la question de la grande seulement passifs face à la grande exclusion. Selon les associatifs, il exclusion est trop simplificatrice et trop réductrice. Leurs actions sur faudrait que les reportages télé et les articles de journaux soient faits le terrain méritent, selon eux, un traitement plus approfondi et plus de telle façon qu’ils puissent convaincre leur public et les pousser à recherché. Certes, il existe des contraintes, comme la limite s’investir dans cette lutte contre l’exclusion des SDF. temporelle imposée aux reportages télévisuels lors du journal de 20 heures, mais les associatifs estiment que des reportages d’une plus Il est toutefois probable que l’amélioration de la communication grande longueur devraient leur être consacrés. En effet, ils estiment autour des personnes sans domicile passe en une meilleure que leur travail est source d’innovation sociale et qu’en tant que tel, collaboration entre associations et media, et par conséquent par la il doit faire l’objet d’une plus grande attention. C’est d’ailleurs ce construction de rapports de confiance. que pense M. Christophe Louis. Celui-ci déclare en effet : « si les • média sont juste un spot, cela ne représente pour nous aucun intérêt. Ce qui serait positif serait de favoriser des reportages qui vont plus La méfiance des associatifs à l’égard des politiques. Enfin, le dernier type de méfiance que peuvent éprouver les au fond des choses pour que des associations comme la nôtre se associations est celui qui se manifeste à l’égard des personnes fassent entendre. Le problème des reportages médiatiques est qu’ils sont aussi faits pour donner bonne conscience mais ne vont pas au27 delà. Le SDF est un problème de société, il faut aller au-delà du 28 Li b e g a f ________________ - 59 - Extrait de l’entretien entre Christophe Louis et Christophe Cambona réalisé le 2 avril 2008. Idem. La communication de l’exclusion Juin 2008 politiques. Les associatifs ont parfois des soupçons vis-à-vis de Néanmoins, les associatifs remarquent souvent que les l’intérêt que peuvent porter les politiques à leurs actions. Ces politiques ne s’évertuent à trouver des solutions à la grande soupçons sont d’ailleurs partagés par les principaux intéressés de exclusion que lorsque sont menées des actions « coup de poing » l’action associative : les SDF eux-mêmes. En effet, ces derniers sont comme celles des Enfants de Don Quichotte. Ils dénoncent ainsi une souvent blasés par les discours politiques à leur sujet. Comme le politique toujours réactive plutôt qu’active envers les SDF. Les rappelle M. Louis, les SDF « ne croient plus aux promesses des membres d’associations se rendent également compte que l’action ministres, notamment celui du logement. La vie politique leur parait des hommes politiques se base également sur d’autres critères, tels 29 Les SDF se sentent en effet exclus du que les périodes électorales. C’est ce que souligne M. Louis en fonctionnement de la société bien que paradoxalement on observe déclarant que « les associations comme la nôtre ne sont pas bien chez eux un très grand intérêt pour l’actualité. Les démarches vues pendant les élections. Ce n’est qu’après cette période que nous récentes entreprises en leur faveur, notamment le Droit au Logement sommes bien vus. Les élus veulent alors montrer leur générosité et Opposable suscitent l’enthousiasme chez certains. Les associatifs dire qu’ils s’occupent des pauvres. Un exemple : on a demandé à la estiment également qu’il s’agit là d’une évolution importante dans mairie un lieu communal à Paris et on nous a fait comprendre leur lutte afin de sortir les SDF de la rue. Mais pour des associatifs « vous n’en parlez pas avant les élections », et ce pour en pas comme M. Louis, « les SDF qui en sont les premiers bénéficiaires ne heurter l’électorat. La politique ne se fait pas selon les besoins mais se l’ont pas encore accaparée. Ils ne se sentent pas interpellés car plutôt selon les intérêts. » 31 souvent uniforme. » souvent ils sont rebelles à tout. » 30 C’est alors aux associatifs de les Il y a enfin l’idée chez les associatifs que le travail qu’ils remotiver et d’aider les SDF à faire les démarches nécessaires afin réalisent est un palliatif aux lacunes de l’Etat. Ainsi, le but de P. de pouvoir bénéficier des nouvelles mesures prises en leur faveur de Meca est que ses diverses associations disparaissent. En effet, cela la part des politiques. signifiera soit que le problème a disparu, soit qu’il a été pris en 29 30 Ibidem. Ibidem. Li b e g a f ________________ 31 - 60 - Ibidem. La communication de l’exclusion Juin 2008 charge politiquement. P. Meca raconte une anecdote. Lors d’un sur l’importance de la quête. J’annonce aussi les réunions match de football réalisé avec des SDF, M. Borloo est venu. Il a d’information et de recrutement. Nous distribuons aussi les fiches salué Augustin Legrand, mais a oublié de saluer Pedro Meca. Celui- d’inscription après la messe. » 32 Ce genre de communication à très ci l’interpelle, et M. Borloo s’excuse et le félicite : « c’est petite échelle peut sembler très isolé mais il suffit selon Mr formidable ce que vous faites ». Mais P. Meca lui a répondu : « Moi Abraham, qui estime que, comme les maraudes organisées par son je ne vous félicite pas. Ce qu’on fait, c’est vous qui devriez le collectif se cantonnent à certains quartiers du 15è arrondissement de faire ». Paris, il n’y a nul besoin de communiquer à une plus grande échelle. A contrario, les associations de taille nationale rivalisent de moyens 2- Une communication associative parfois isolée pour financer des campagnes de communication afin de sensibiliser La communication faite par les associatifs peut en outre l’ensemble des Français à leurs combats. On peut ici se référer aux parfois paraître trop ciblée. Cela vaut notamment pour les petites très grandes affiches diffusées par le Secours Catholique ou encore structures, qui elles visent tout d’abord un public plus local, et ce par aux concerts organisés par les Restos du Cœur, qui bénéficient du le truchement de prospectus ou de journaux diffusés et distribués à soutien de personnalités et qui suscitent un engouement populaire très petite échelle (comme l’arrondissement où se trouve le siège de tous les ans. Cependant, pour ces grandes campagnes, nous devons l’association). Les petites associations se distinguent également par souligner l’absence de campagnes communes d’ampleur entre les l’originalité de leur communication. C’est notamment le cas des grandes associations. La communication est certes variée, mais collectifs paroissiaux venant en aide aux personnes sans abris de leur totalement parcellisée. quartier. Le collectif paroissial Antigel en fait partie. Antigel regroupe ainsi 50 paroissiens bénévoles. Son responsable, Monsieur Abraham, décrit ses efforts de communication de la sorte : « La communication de nos actions dans l’Eglise se fait lors de prises de 32 paroles une fois par an pendant la messe. J’attire alors l’attention Li b e g a f ________________ - 61 - Extrait de l’entretien entre Pierre Abraham et Christophe Cambona réalisé le 14 mars 2008. La communication de l’exclusion Juin 2008 III. La communication autour des SDF évolue et dessine des pistes d’améliorations. a. Une mobilisation citoyenne pour trouver des solutions aux problèmes des SDF La communication autour des SDF, qu’elle soit médiatisée ou directement effectuée par les associations, est en proie à des Les enfants de Don Quichotte se revendiquent comme un évolutions. Celles-ci sont instructives et permettent de dessiner des mouvement citoyen. Il part d’un simple sentiment de révolte vis-à- pistes d’évolution dans lesquelles la communication potentialiserait vis de la condition des SDF. Augustin Legrand assure que cette davantage une bonne appréhension citoyenne et politique du action a été mue par le constat suivant : il y a des gens à la rue qu’on problème. D’abord, ces dernières années ont vu émerger un nouvel croise tous les jours qui vivent dans des conditions infrahumaines. acteur que nous devons analyser en profondeur : les enfants de Don Or, il y a des solutions au problème du logement, les citoyens Quichotte (A). En donnant la parole aux SDF, ces derniers doivent donc se mobiliser pour les mettre en oeuvre sans délai. permettent de dessiner une première évolution, laquelle serait, sans Aujourd'hui, les enfants de Don Quichotte reste une association qui nul doute, bénéfique pour la cause des SDF : la communication se réunit occasionnellement, qui effectue une « veille » sur le thème effectuée par les SDF eux-mêmes est une perspective souhaitable et envisage de renouveler des actions si la situation le requiert. Ils (B). Enfin, d’autres pistes qui permettent une plus étroite insistent sur leur identité citoyenne et non partisane. Ainsi, collaboration entre les associations et les médias sont à souligner « quiconque peut se revendiquer enfant de Don Quichotte ». (C). La première action, et sans doute la plus retentissante, fut celle des « enfants du Canal ». Augustin Legrand a l’idée d’aller passer A. L’action novatrice des Don Quichotte des nuits dehors avec les SDF, avec des personnes engagées autour de la question, à la mi-décembre 2006. Le but est alors de permettre 1- L’action novatrice des enfants de Don Quichotte Li b e g a f ________________ - 62 - La communication de l’exclusion Juin 2008 aux Parisiens de pouvoir passer une nuit dehors et de partager le Après quelques semaines, un dilemme se pose aux enfants de quotidien de leurs concitoyens à la rue. Dans la nuit du 15 au 16 Don Quichotte : faut-il continuer le mouvement jusqu’au bout, pour décembre 2006, elle installe un village de quelque 200 tentes rouges arriver à des résultats concrets, au risque de s’exposer à des dérives sur les berges du Canal Saint-Martin à Paris. L'association crée violentes qui décrédibiliseraient le mouvement ? La plupart des également un site sur lequel elle met en ligne la "Charte du Canal associations leur conseillent alors de se retirer : l’action a fait son Saint Martin", signée le 25 décembre 2006. Les nuits s’enchaînent et temps, elle a servi à remettre le logement au cœur de l’actualité, il ne le nombre de participants ne cesse de croître (on dénombre plus de faut pas trop en faire. Pourtant, les enfants décident de continuer la 300 tentes le long du Canal), rencontrant un écho médiatique mobilisation jusqu’à l’obtention de résultats politiques. considérable. Des campements se montent à Nantes, Strasbourg, Lille, Grenoble ou Bordeaux. Les associations parisiennes d’aide Les enfants de Don Quichotte effectuent ensuite d’autres actions. aux sans-abri se joignent au mouvement. Pendant plusieurs Fin 2007, constatant que le DALO, mis en oeuvre dans les textes, ne semaines, le collectif qui s’improvise « enfants de Don Quichotte » pourrait accomplir toutes ses promesses par un manque de crédits doit alors formuler un message autre que celui de « sensibiliser » et (promesse de construction de 117 000 logements, seulement 100 000 de « faire partager le quotidien des SDF aux Parisiens ». en projet), ils entreprennent une nouvelle action. Elle est menée dans la confidentialité. Ils contactent les journalistes et les préviennent Il y a alors la récupération de l’une des plus vieilles d’une action gare du Nord. Les journalistes se pressent donc sur les revendications des associations d’aide aux SDF : celle du droit au lieux, de même que les forces de l’ordre. Or, il s’agissait d’une logement opposable (DALO). La manifestation, massive, a alors un diversion, dans la mesure où les enfants de Don Quichotte montent message clair : il est possible de remédier à cette misère par la mise un campement sur le parvis de Notre-Dame. Ils disposent alors de en œuvre du DALO. Les témoignages des SDF qui ont accompagné quelques minutes avant que les journalistes et surtout les forces de A. Legrand soutiennent l’argumentation. l’ordre n’arrivent. C’est à cette occasion qu’un des enfants de Don Li b e g a f ________________ - 63 - La communication de l’exclusion Juin 2008 mobilisations. » Quichotte tombe à l’eau, légèrement bousculé par un policier. Ainsi, l’objectif de faire partager les nuits à la rue des SDF n’a été que partiellement rempli. Cependant, M. Choutet se défend : b. Un incontestable succès politique « Malgré tout, trois ou quatre cent tentes sur le Canal, c’est quelque Le succès de l’action des Don Quichotte est un sujet qui mérite chose. Bien-sûr que ç’aurait été mieux d’en avoir quatre mille. Mais des développements. S’ils n’ont pas rempli leur objectif initial, ils l’important, c’est d’avoir offert la possibilité aux Parisiens de le ont ensuite eu des résultats politiques remarquables. faire. Ensuite, qu’ils l’aient fait ou pas... ». Ensuite, l’objectif de Ce passage de notre entretien avec P. Meca révèle que l’action des trouver un logement aux SDF a été en grande partie rempli, avec Don Quichotte est contestable et qu’il faut l’analyser avec recul. toutefois un bémol : l’injustice que certains SDF du Canal trouvent « Quel jugement sur la communication des Enfants de Don un logement avant des personnes qui l’avaient demandé depuis Quichotte ? il n’y avait rien de nouveau ! longtemps. Il semble également que certains SDF ont été déçus des Il semblait qu’il y avait un nouvel élan… Dans une certaine résultats de cette action. Enfin, le dernier objectif des enfants de Don mesure, oui, mais pour quoi faire ? Je connais bien Augustin Quichotte, celui de créer un électrochoc sur la société pour qu’elle Legrand. Je lui ai dit : tu te rends compte que c’est d’abord un prenne conscience du drame vécu par les personnes sans domicile, a échec, les Enfants de Don Quichotte ? Car le but était d’inciter les sans nul doute été atteint. En effet, leur action a été massivement gens à dormir dans la rue. A ce niveau c’est un échec, malgré relayée par les media et a suscité un réel intérêt de la part de la quelques personnes qui sont venues. Mais même après : qu’est-ce population. Certes, la frontière entre la simple curiosité et la réelle qu’on sait des personnes qui étaient là aux cotés des enfants de Don prise de conscience est ténue, mais il semble néanmoins que la Quichotte ? de ceux qui se sont éventuellement fait doubler ? Je question ait été au centre des débats pendant au moins un mois. En crois dans les actions ponctuelles, mais pas n’importe lesquelles. Il plein hiver, comme par hasard. faut faire attention Li b e g a f ________________ dans notre manière d’analyser les - 64 - La communication de l’exclusion Juin 2008 médiatisation de ces sujets pour qu’il y ait une action politique ? Par leur action le long du Canal, les enfants ont obtenu des résultats politiques incontestables. Ils sont invités à Matignon pour - Malheureusement, je dirais que oui. J’étais convaincu avant le négocier. Ils se font notamment accompagner par des SDF, afin de canal que l’on pouvait convaincre les politiques par la raison, par donner du corps à leur argumentation, et reprennent l’argumentaire un bon dossier. Mais les faits ont montré que les politiques ne sur le DALO. Dans la première semaine de janvier, le gouvernement bougent que par la pression. Après le plan Borloo, nous avons tiré annonce un projet de loi sur le droit au logement opposable, examiné la sonnette, attention les objectifs ne seront pas tenus. Nous sommes en conseil des ministres le 17 janvier 2007. Cependant, l'association allés voir les parlementaires, etc. Et rien ne s’est passé, on a fait une des Enfants de Don Quichotte choisit de ne pas de retirer le conf’ de presse, on a été reçu par M. Fillon, mais rien n’a bougé. campement du quai de Jemmapes. La loi n° 2007-290 du 5 mars Alors, nous avons décidé de faire l’action sur le parvis de Notre 2007 instituant le DALO et portant diverses mesures en faveur de la Dame. Un mois après, nous avons été reçus par M. Fillon et là, cette cohésion sociale est publiée au Journal officiel le 6 mars 2007. fois, il a débloqué 250 millions d’euros. Sans cette action, ça n’aurait pas eu lieu. Il y a besoin des medias pour faire changer les choses. M. Borloo expliquait cela dans un bouquin récemment : Les enfants de Don Quichotte, en quelques semaines, ont ainsi ce que des dizaines d’associations désiraient depuis « allez voir un politique, il va vous recevoir, il va vous taper dans le longtemps. Le collectif « alerte » avait été créé pour fédérer les dos, merci mon ami ». Mais si vous allez le voir et vous le menacez associations autour de cette revendication. Or, ce collectif avait peu de tout bloquer, vous verrez que ça va bouger. Avec le temps, et pour de visibilité, les enfants de Don Quichotte ne le connaissaient pas. nuancer ce que je viens de dire, j’arrive à penser que l’idéal c’est La revendication structurée, n’avait jamais obtenu une mise à quand même d’arriver à convaincre les politiques, il faut être béton l’agenda politique. M. Choutet montre que cela ne suffit pas pour sur le fond, avec des bonnes approches, des demandes précises, et engendrer l’action politique : ensuite, être capable de mettre la pression. réussi - Le Dalo ayant vu le jour grâce à vous, peut-on dire qu’il faut une Cette victoire politique est encore soumise à caution. En Li b e g a f ________________ - 65 - La communication de l’exclusion Juin 2008 effet, une loi votée doit ensuite être mise en oeuvre. Or, comme il a ensemble. Aux yeux des enfants, ce statut permet d’être plus audible. été dit précédemment, la construction de logements s’est avérée Cependant, cela n’empêche pas la collaboration avec les associations inférieure à ce qui était nécessaire pour correctement mettre en place spécialisées. le DALO. Selon H. Cardoso, « les budgets n’ont pas suivi, il s’agit donc d’une avancée concrète avec des résultats décevants ». Et de L’élément le plus marquant dans ces mouvements citoyens qualifier ce choix politique de « criminel ». Les luttes ont donc dû réside sans doute dans le « coup médiatique » qu’ils occasionnent. continuer avec leur action sur le parvis de Notre-Dame, dont les Cette approche par électrochocs suscite le traitement retentissant de effets politiques sont moins nets que ceux de leur première action. l’action par les media. Pour eux, en effet, il s’avère plus simple de parler d’un événement ponctuel, massif et clair, plutôt que d’un 2-Une nouveauté à relativiser travail de longue durée pour une cause complexe. C’est ainsi que ces coups médiatiques suscitent un traitement massif de la part de Le mouvement des Don Quichotte est-il nouveau, au point de l’ensemble des media et permettent ainsi de toucher un nombre constituer un tournant dans l’action pour les sans domicile ? Le considérable de citoyens. Ces derniers sont même entrés en mouvement semble avoir innové par ses méthodes, mais en concurrence pour avoir les meilleures informations à ce sujet. C’est reprenant certains aspects de la communication exercée par l’Abbé alors qu’au-delà du « coup », une personne comme Augustin Pierre. Legrand s’est attachée à expliquer plus profondément l’action et ses objectifs. L’action des enfants des enfants de Don Quichotte présente d’abord la particularité d’être une action citoyenne. L’objectif est de Le « coup » médiatique est efficace s’il s’accompagne d’une montrer que la mobilisation ne s’inscrit pas dans la stratégie de telle personne fédératrice, d’un leader. Les enfants l’ont trouvé en la ou telle association, mais qu’elle interpelle le corps social dans son personne d’Augustin Legrand : cet acteur sait parler clairement aux Li b e g a f ________________ - 66 - La communication de l’exclusion Juin 2008 media et a une « bonne gueule ». Les media se sont ainsi attachés à gratuitement sur le net, sont des initiatives originales et parlantes. Il ce personnage « authentique ». Ce leadership permet la formulation est ensuite plus aisé pour les journalistes de transmettre le message d’un message clair et visible. De plus, il s’est doublé du soutien de ou pour les citoyens d’en parler autour d’eux. quelques personnes de renommée – Jean Rochefort notamment -, ce qui a multiplié la visibilité médiatique du sujet. Ces ingrédients de la réussite de l’action des enfants de Don Quichotte ne sont pas nécessairement nouveaux, mais il est évident En troisième lieu, les enfants de Don Quichotte ont, dans leur qu’ils ont constitué un cocktail efficace pour communiquer autour de action, accru l’utilisation des media qui était faite auparavant. Tous la question des SDF. Aussi ne faut-il pas oublier que ces initiatives les jours, pendant l’opération du Canal, des interventions étaient fonctionnent si le « contexte » politique et socio-économique est prévues. Des communiqués n’ont cessé d’informer les media. Il y a favorable. également eu une fidélisation des journalistes au thème, dans la mesure où certains d’entre eux ont été incités à partager de longues Pour autant, le mouvement initié par l’Abbé Pierre à l’hiver heures avec les militants. Cette pratique visait à mieux former les 1954 avait suscité un élan considérable, rythmé de lancinants « plus journalistes pour rendre compte du phénomène. Néanmoins, cela jamais ça ». La présence d’une personnalité fédératrice et attachante, venait souvent de l’initiative même des journalistes, désireux de d’appels tels que « l’appel de l’Abbé Pierre » et leur originalité comprendre le mieux possible le mouvement et, sans doute, de se avaient également suscité un fort écho médiatique. La réalisation du montrer solidaires à titre individuel. film « les chiffonniers d’Emmaüs » s’inscrivait dans la même logique. Le look de l’Abbé Pierre fait également partie du succès. En Enfin, une telle médiatisation est facilitée par l’organisation outre, l’abbé Pierre croyait en la capacité des media à faire évoluer d’un événement original. Autant le campement au Canal St Martin, les choses. Ainsi, il déclara une fois : "Si vous revenez demander à le vrai faux campement à Notre-Dame, ou le court-métrage diffusé ces travailleurs un permis de construire impossible avec leur faible Li b e g a f ________________ - 67 - La communication de l’exclusion Juin 2008 salaire, je vous avertis, je convoque la presse, la radio, le cinéma, je Cette évolution provoquée par les enfants de Don Quichotte peut mets mon écharpe de député, mon étole de curé par dessus, et puis je prends un pot de peinture, j'affiche leurs actes de naissance, et j'écris aboutir à une division du travail dans le domaine de l’exclusion qui dessus "PERMIS DE VIVRE". Ainsi les enfants de Don Quichotte peut être efficace. Il y a une interdépendance entre les enfants de Don Quichotte et ont pu s’inspirer de certains procédés utilisés par l’Abbé. Ils ne sont pas les seuls : la réussite d’associations comme les autres associations. En effet, il convient d’abord de montrer que les « restos du les enfants n’auraient pas rencontré un tel succès si le tissu associatif cœur » tient de mécanismes médiatiques similaires. ne s’était pas joint à ses mouvements. Surtout, les associations, Toutefois, dans le domaine des personnes sans domicile, il y « techniciennes » du sujet, avaient formulé depuis des années une avait longtemps que de telles actions n’avaient pas été menées pour revendication claire, solide et argumentée (le DALO), qui a pu être réveiller l’opinion. Ces dernières années, Emmaüs, le Secours reprise avec aplomb par les Don Quichotte. La médiatisation Catholique ou encore le Samu social, pour ne citer qu’eux, n’avaient s’accompagnait ainsi d’une revendication formulée, ce qui a permis pas réussi à ce qu’on parle autant des sans-abri. A ce titre, et bien une « mise à l’agenda politique » où, là encore, l’expertise des que cela reprenne certains aspects classiques de la communication associations a été cruciale. Cependant, ces résultats n’ont été obtenus associative, l’action des enfants de Don Quichotte peut être qu’à la suite de la mobilisation de masse initiée par les Don considérée comme une évolution marquante dans la communication Quichotte. autour des SDF. Cette division du travail peut continuer à régir 3-Une nouvelle répartition des tâches entre l’action en faveur des SDF. En effet, il semble que ces dernières associations qui associe les méthodes des enfants de années la communication exercée par les associations n’a pas été Don Quichotte à même de provoquer des avancées majeures. Si les enfants de Li b e g a f ________________ - 68 - La communication de l’exclusion Juin 2008 communication par les SDF Don Quichotte peuvent rester dans un rôle de catalyseur médiatique, sans s’approprier les succès ou même revendiquer la Le besoin de communiquer et d'écouter les SDF est paternité de réformes comme le DALO (ce qui serait une erreur aujourd'hui reconnu comme étant une base fondamentale de l'aide et qui constitue une crainte de nombreuses associations), alors il qu'on peut leur apporter. Selon H. Cardoso, c’est même « la clé ». se peut que les associations aient intérêt à se fédérer autour Mais lorsque la communication se fait sans eux, sur eux mais en d’eux lors de la réalisation de « chocs médiatiques ». Selon H. dehors de leur champ d'action et de réflexion, peut-on vraiment Cardoso, ces « chocs », « le Secours Catholique ne peut pas les mener une politique d'aide efficace sans l'intervention directe des réaliser, car n’étant pas ‘citoyen’, il a un rapport différent avec avis des principaux concernés ? les autorités ». Comme le résume M. Choutet, « il y a clairement En effet, la communication SDF est quasi-inexistante, à une complementarité entres les enfants de Don Quichotte et les quelques exceptions près: en effet, que ce soit dans les média autres acteurs associatifs, si nous sommes présents dans les traditionnels ou sur Internet, ou dans les publications des media, si nous donnons envie aux gens de comprendre, sans nous associations, les SDF ont rarement la parole et, s'ils l'ont, c'est de poser en experts ». manière limitée et uniquement pour parler de leur parcours d'exclus. Ainsi, dans sa communication, le SDF est limité à ce qu'il n'est pas par rapport aux autres membres de la société: il n'est jamais B- Les SDF, acteurs oubliés du processus : ne peuvent- considéré comme un citoyen à part entière. Si ce phénomène se ils être que le récepteur ou le sujet de la retrouve pour d’autres catégories d’individus (les journalistes communication ? interrogent certaines personnes par rapport à ce qu’elles connaissent le mieux : dans le cas des SDF, il s’agit de la précarité), il montre que les SDF subissent la communication autour de la grande a- Une communication/médiatisation paternaliste, ou la faiblesse de la Li b e g a f ________________ exclusion plutôt qu’ils n’agissent dessus. Or, qui mieux que les - 69 - La communication de l’exclusion Juin 2008 principaux intéressés peut prétendre incarner un discours et une z Le SDF peut-il être autre chose qu'un exclu? L'absence de communication cause ? sur les autres caractéristiques des personnes. C'est d'ailleurs probablement l'une des raisons pour lesquelles la candidature de Jean-Marc Restoux, candidat SDF à la C'est en effet cette dichotomie insérés/exclus qui est la mairie du sixième arrondissement de Paris, a fait tant de bruit : un plus présente dans l'image que l'on donne habituellement des SDF, et exclu a, par ce biais, réinvesti la scène médiatique en se basant sur c'est aussi celle qu'il s'agit de briser pour lutter contre la autre chose que son statut d'exclu : il n'était alors plus seulement stigmatisation. En effet, considérer les SDF comme des citoyens à considéré, comme le veut le stéréotype, comme un SDF indolent, part entière, et non comme des citoyens de seconde classe ou des incapable d'action et de réflexion, mais comme un citoyen à part charges pour le reste de la société, est une étape essentielle pour entière, avec des droits et des devoirs – et un accès possible à une permettre une meilleure compréhension et une meilleure intégration fonction élective. Il a pu ainsi notamment affirmer que "En montant des exclus, en les prenant en compte comme des citoyens à part des listes, on va montrer aux gens que les gars de la rue ne sont pas entière. que des abrutis. Ils ont des idées et ont le droit de participer au Cette dénonciation d'une vision du SDF comme d'un être débat comme tout le monde" 33 . Bien qu'il n'ait pas remporté de siège qui serait limité à sa condition d'exclu peut aussi se retrouver dans au conseil municipal, sa candidature et la poursuite d'une campagne l'absence de médiatisation de ce qu'Augustin Legrand (par exemple) pendant toute la période ont été des succès en eux mêmes, en a appelé les sondages de SDF: en effet, les grands instituts de montrant que les SDF pouvaient eux aussi être maîtres de leur sondages réalisent aussi des enquêtes sur qui sont et ce que propre communication et agir sur la scène publique comme tout demandent les SDF. Mais ces enquêtes sont totalement absentes des citoyen. grands médias traditionnels. L'idée même de faire des SDF des acteurs politiques, ayant des droits et des exigences, est 33 généralement absente des débats : ainsi, les politiques consultent les http://www.lepost.fr/article/2008/01/04/1077404_elections-municipales-unsdf-candidat-a-la-mairie-du-6e.html Li b e g a f ________________ - 70 - La communication de l’exclusion Juin 2008 associations mais pas les personnes sans domicile, car leur langage intéressés par les images et sur ce qu'on dit d'eux en tant que est plus formaté et accessible : il semblerait qu'ils doivent se personne plus que par le contenu des articles en lui même. Le paternalisme peut sembler dans une certaine mesure satisfaire de ce qui est bon pour eux, et donc d'une vision très nécessaire dans les conditions actuelles, mais in fine fait des SDF paternaliste de l'aide. des acteurs médiés de la communication, ainsi que des récepteurs. Si z Le paternalisme est déjà très présent dans le traitement les exclus ne sont pas intéressés par la communication sur médiatique de l'exclusion, et il faut prendre garde à ce que l'exclusion, ce qui est compréhensible dans la mesure où ils la vivent celui-ci ne se répète pas lorsqu'on incite les SDF à eux mêmes tous les jours, il ne faut pas en conclure qu'ils ne sont pas communiquer. intéressés par les médias et les politiques : comme vu Mais la question qui reste à poser, dans ces conditions, précédemment, ils sont généralement assez au courant de l'actualité est aussi celle de la volonté des exclus eux mêmes: s’il nous semble (par les journaux, les gratuits, la radio) et ont parfois des opinions judicieux de développer une communication des SDF eux mêmes, politiques réelles (encore une fois, il est difficile de généraliser) : celle-ci découle notamment de l'aspect paternaliste de la mais la communication des exclus sur des sujets de société ou des communication qui existe actuellement sur le sujet. Il conviendrait sujets politiques plus vastes peut sembler judicieuse pour mieux donc de ne pas répéter le même type d'erreurs et d'obliger les exclus intégrer les exclus aux paysages médiatiques. à réaliser une communication qui irait dans un sens donné, dans le Ainsi, le but serait principalement de changer l'image sens qui arrangerait le plus les journalistes. médiatique sur les exclus eux mêmes : le mouvement commencé En effet, certaines associations proposent des revues avec Jean-Marc Restoux, qui développe l'idée de sans-abris qui sont mensuelles ou trimestrielles dans lesquelles elles parlent directement malgré tout des citoyens comme les autres, pourrait ainsi se des sans-abris avec lesquels elles ont des contacts réguliers; mais il développer. L'image du SDF qui boit, qui n'a jamais travaillé et qui semble que les SDF qui sont liés à ces associations sont plus n'est qu'une charge pour la société doit être combattue, et elle le Li b e g a f ________________ - 71 - La communication de l’exclusion Juin 2008 serait idéalement par l'exemple, avec des SDF qui investissent plus construite. Les associations peuvent ainsi jouer un rôle, du l'espace médiatique avec des interventions construites. moins dans un premier temps, en aidant les exclus à écrire des articles et des brèves traitant des sujets qui les intéressent le plus. Il y a par la suite de bonnes chances pour que, si cette communication b- Comment donner la parole aux exclus dans les médias? fonctionne, elle soit reprise par les médias plus traditionnels ; les buzz Internet et l'information virale sont en effet de plus en plus Comment changer la situation ? Donner une parole plus repris par les journaux et télévisions. Pour cela, les nouveaux médias directe et plus efficace aux SDF semble essentiel pour transformer peuvent représenter une solution pertinente et peut-être plus réaliste cet état des choses. Pour cela, il s’agit de surmonter les obstacles à la que l'intégration dans la presse traditionnelle par exemple : la communication par les SDF : la peur de l’instrumentalisation de la simplicité des ressources exigées, et surtout le faible nombre de misère, celle de la médiatisation de discours peu construits, voire des barrières à l'entrée, permet dans une large mesure de publier ses effets contre-productifs de certains discours de SDF. Déjà, les articles, et d'être reconnu selon la qualité du travail réalisé. Cela réformes qui ont permis aux exclus de se faire domicilier auprès pourrait être une première porte d'entrée vers une communication d'une association, et donc grâce à une adresse, d'avoir la possibilité médiatique par les exclus. de voter, et de toucher des aides sociales, ainsi que d'avoir des papiers d'identité (la carte d'identité étant ainsi devenue gratuite car Donner la parole politique directement aux SDF, quelle efficacité ? considérée comme un droit) permettent notamment une inclusion plus grande des exclus. L’action des Enfants de Don Quichotte, qui ont pris D'autres évolutions sont cependant à envisager. On peut l’initiative de faire venir avec eux des exclus lors de leurs notamment penser à la possibilité offerte par Internet d'écrire des discussions avec les politiques, offre une nouvelle voie pour une articles, de se faire connaître, de présenter ses opinions de manière communication renforcée des exclus et aussi à une conscientisation Li b e g a f ________________ - 72 - La communication de l’exclusion Juin 2008 du problème par les politiques. En effet, l’idée des Don Quichotte a semblé efficace aux différentes parties présentes. Ainsi, les c- Une communication des SDF pourtant hautement qualitative politiques, en traitant directement avec les exclus, peuvent réaliser la diversité de situations dans lesquelles ceux-ci se trouvent, et envisager ainsi le problème dans sa globalité. De même, pour les Il est essentiel, à ce niveau de la réflexion, de traiter un exclus, cela permet de limiter le nombre d’intermédiaires, et donc de paradoxe. Certes, la communication médiée par les SDF est voir leurs revendications mieux prises en compte : malgré toute la largement inexistante, pourtant, la communication qu’ils effectuent bonne volonté des associations, certaines ont des sensibilités au jour le jour est sans doute la plus qualitative de toutes. Nous particulières qui peuvent les pousser à prendre en compte un donnons ici quelques pistes de réflexion à ce sujet qui, selon nous, problème plutôt qu’un autre. Cependant, il s’agit également d’éviter pourrait être traité plus longuement. de faire venir un ou deux SDF choisis au hasard pour donner plus de Il est probable que l’opinion que se forgent les citoyens poids ou de légitimité aux revendications, car le risque existe que les au sujet des personnes sans domicile soit davantage influencée par le exclus soient finalement exhibés, et montrés comme « bêtes de contact qu’ils ont eu avec eux, et non de ce qu’ils lisent ou voient à foire ». Au contraire, l’enjeu est de permettre de les montrer comme la télévision, bien que cette dernière influence soit également des citoyens à part entière, et capables de discussion : ainsi, une importante. En effet, il faut considérer le moindre comportement des communication des SDF avec les politiques est souhaitable, mais SDF comme des actes de communication, dans la mesure où, étant doit être organisée de telle sorte qu’elle soit exploitable ensuite par sans-abri, ils sont des personnages publics. Dès lors, leur façon de se les politiques. Une solution concrète pourrait être la création de réveiller, de socialiser, de demander sont autant d’actes qui groupements de SDF en collaboration étroite avec la FNARS par construisent une représentation de l’identité SDF. En outre, il exemple. Cela permettrait de coordonner l’action avec les différentes convient de ne pas sous-estimer la force communicatrice de l’impact actions sans prendre le risque d’être soupçonné de « paternalisme ». sensoriel produit par les SDF : par exemple, l’odeur dégagée est un Li b e g a f ________________ - 73 - La communication de l’exclusion Juin 2008 message qui peut avoir davantage d’influence qu’un long discours extrême en lieux publics, dans le sens où ils constituent des dans Le Monde, car il renvoie à un des codes principaux de la vie en messages qui, à l’arrivée, rendent l’action en leur faveur plus société : l’hygiène. De même, le discours proposé pour demander difficile car moins consensuelle. quelques pièces est une composante essentielle de la communication A l’évidence, cet effort n’est pas alternatif de l’effort de SDF : elle renvoie à la nécessité de manger chaud, de pouvoir médiatisation par les SDF que nous avons évoqué précédemment : prendre une douche, suite à une série d’évènements qui les ont ils sont deux facettes de la nécessaire communication SDF, qu’on conduit dans cette situation. Cette communication, dans les métros peut regrouper sous les adjectifs simplificateurs de « quantitative » par exemple, répétée à longueur de journée, peut même recouvrir un et « qualitative ». effet massif comparable à celui des médias. Cet effet est doublé d’un impact direct humain. Toutefois, il s’agit également de considérer C. Les pistes d’améliorations possibles l’effet contre-productif que peut occasionner la répétition de ces discours sur les citoyens qui, eux aussi, connaissent des souffrances Privilégier les partenariats entre associatifs et professionnels de la communication au quotidien et sont excédés par les plaintes. Leur hostilité sera d’autant plus grande qu’ils ont entendu des discours – répandus – sur la prétendue richesse de certains SDF, sur leur fainéantise, sur le La communication de l’exclusion apparaît donc imparfaite sous bien caractère choisi de leur situation, etc. des angles. Une absence flagrante de fond dans la majorité des Notre propos est ici de redonner toute sa place à cette enquêtes faites sur les SDF prive les téléspectateurs ou les lecteurs communication quotidienne hautement qualitative. Il est important français d’informations leur permettant de prendre réellement la de faire prendre conscience de l’importance de cette communication, mesure de l’état de pauvreté dans lequel vivent les sans abris. Une plus ou moins involontaire, par les grands exclus. Selon nous, les des solutions à ce manque d’implication de la part des journalistes associations gagneraient à s’attacher à prévenir l’ivresse ou la saleté Li b e g a f ________________ peut être la création de partenariats entre journalistes et associatifs. - 74 - La communication de l’exclusion Juin 2008 Ce type d’initiatives a déjà vu le jour. En effet, en 2007 l’association De même la participation de journalistes à des maraudes de sorte à ATD Quart Monde demanda à des journalistes du journal pouvoir se rendre compte des difficultés auxquelles sont confrontés L’Humanité de participer à la rédaction conjointe d’un journal les sans abris et les personnes qui leur viennent en aide, peut intitulé « Résistance ». Les personnes sans abris aidées par constituer une piste d’amélioration de la communication de l’association ATD pouvaient également participer à l’élaboration de l’exclusion. Emilie Rive et François Gorget font donc figure de ce journal. Des journées d’études étaient d’ailleurs organisées dans porteurs d’innovation sociale car en adoptant l’identité de les locaux de cette association et étaient consacrées justement à la « journalistes – maraudeurs », ils garantissent à leur rédaction question de la vision qu’ont les médias des sans abris. La journaliste respective une information de qualité et empreinte de vécu. Emilie Rive put prendre part à ces journées. Elle put proposer de nombreux sujets pour les sessions de travail de novembre 2007. Elle Il est d’autres pistes à suivre pour permettre une déclara à ce sujet : « j’ai ainsi proposé de rédiger un article avec meilleure communication autour de la grande exclusion. une militante vivant de près l’exclusion. On a donc réalisé des Selon F. Gorget, une des solutions au manque de interviews en commun et ça a marché. On est parti par exemple à profondeur dans l’approche journalistique serait la promotion des Chambéry pour une interview. Cette femme s’est vraiment engagée portraits. Ceux-ci permettent en effet de mieux s’identifier et de dans ce qu’on faisait. Ce fut pour moi une expérience originale et saisir toute la complexité de l’identité SDF. Des partenariats peuvent 34 L’idée d’impliquer plus grandement les associatifs encore être réalisés à cet égard, par exemple la parution d’un portrait au monde des médias s’avère être une innovation dans la mesure où par semaine dans certains journaux. Selon F. Gorget, ces portraits ces derniers ne servent plus seulement de sources d’informations peuvent être encore plus bénéfiques à l’échelle locale, car ils mais participent activement à la délivrance d’une information qui traiteraient de personnes plus proches mais toujours méconnues. enrichissante. » décrit le plus fidèlement possible la situation des SDF. 34 Aussi, Internet est un outil, comme nous l’avons vu dans cette étude, qui offre de multiples possibilités. A cet égard, il semble Extrait de l’entretien entre Emilie Rive et Christophe Cambona réalisé le 14 avril 2008. Li b e g a f ________________ - 75 - La communication de l’exclusion Juin 2008 indispensable de rompre avec la parcellisation de la communication qui s’exerce sur Internet. Il est important que l’ensemble des associations y aient recours de façon intelligente et attirante pour le citoyen. Surtout, un portail Internet, organisé pour permettre un réel référencement des ressources présentes (et non un simple catalogue de liens) rassemblant l’ensemble des blogs SDF et autres sites du même genre, donnerait une visibilité beaucoup plus grande au phénomène, et permettrait une meilleure appropriation du sujet par le citoyen… et indirectement par le politique. Li b e g a f ________________ - 76 - La communication de l’exclusion Juin 2008 communication sont d’ailleurs bien résumées par Etienne Pozzo Conclusion lorsqu’il décrit le contenu de son film sur les centres de stabilisation Ainsi, au terme de ce rapport, il ressort que la communication faite pour SDF : « notre film comportera forcément des ellipses. C’est un autour de la grande exclusion est en mutation. Les acteurs de cette sujet délicat car il s’agit d’histoires d’êtres humains. C’est comme communication, à savoir les journalistes et les associatifs tendent à pour les maraudes : il ne faut pas projeter ton bien-être ou son bien- changer leurs pratiques. Certes, des critiques peuvent être faites être. » 35 quant à la façon dont ces acteurs émettent et transmettent leurs Mais la communication passe également par les principaux messages. En effet, on peut reprocher d’un côté aux journalistes de intéressés : les SDF. Les impliquer plus dans les écrits et les ne pas véritablement s’impliquer dans leurs reportages sur les SDF reportages qui sont faits à leur sujet serait également un moyen ou de ne traiter de l’exclusion que pendant l’hiver. d’éviter qu’ils soient exclus de l’élaboration de l’information les D’un autre côté, on peut estimer que les associations, notamment concernant personnellement. Cette forme de collaboration entre celles qui ont une petite structure, ne déploient pas beaucoup communicants et sans abris est d’ailleurs de plus en plus utilisée, et d’efforts afin de faire connaître leurs actions auprès du grand public, ce par la figure du journaliste – maraudeur. Ce dernier, bien que et manquent parfois de tolérance envers les acteurs qui traitent de professionnel de la diffusion d’informations s’appuie sur des l'exclusion comme d'un sujet comme un autre. enquêtes de terrain menées de longue haleine afin de produire un Cependant, il nous faut admettre que la communication de message qui dépeint le dénuement et la détresse dans lesquels vivent l’exclusion est un processus particulièrement difficile, les intérêts et les SDF. Cette communication n'est cependant pas sans danger, avec préoccupations des différents acteurs étant divergents et ne se un risque d'instrumentaliser les SDF pour entrer dans le recoupant pas nécessairement, mais aussi parce que les visions de la compassionnel. De même, il s’agit pour le journaliste de ne pas se question et de l'angle d'approche sont différentes selon le métier et la projeter dans la situation des sans abris: il doit pouvoir rester sensibilité des personnes. Les difficultés posées par ce type de 35 Li b e g a f ________________ - 77 - Extrait de l’entretien entre Etienne Pozzo et Christophe Cambona réalisé le 9 avril 2008. La communication de l’exclusion Juin 2008 objectif tout en décrivant ce qu’il voit de la façon la plus précise consacrer à la question de la médiatisation de la situation des SDF possible afin qu’une fois transmise, l’information produite ait un réel nous permit de voir comment il fallait aborder les personnes sans impact sur le public visé, qu’il s’agisse de lecteurs, d’auditeurs ou de abris et quelles pistes proposer afin de susciter une prise de téléspectateurs. conscience dans la population française à leur sujet. A travers nos Nous avons choisi ce projet collectif pour différentes raisons. discussions avec les associatifs, les journalistes et les SDF, nous Chacun des membres du groupe était passé par une phase de pûmes nous rendre compte que le cliché de la personne qui devient réflexion avant de se dire prêt à traiter un tel sujet. En effet avant SDF par choix personnel ou par volonté d’exclusion est totalement notre première réunion avec nos coordinateurs, nous avions pu voir erroné. C’est à des personnes marquées par la vie auxquelles nous ce projet comme la continuation de notre engagement associatif ou fîmes face. Ce sont des personnes qui ont rencontré des difficultés comme celui de notre formation intellectuelle. Mais la réflexion et tant familiales que de santé que l’on a rencontrées. l’analyse de la Communication de l’exclusion furent pour nous une Nous sortîmes grandis de cette expérience même si elle fut courte. expérience très enrichissante. Nous avions certes quelques La rédaction de notre rapport nous a également permis de redonner appréhensions. En effet, ce fut la première fois que nous allions être une autre dimension à nos engagements associatifs en nous faisant en contact direct avec des personnes sans abris. L’expérience que comprendre furent les maraudes et les rencontres avec les associations d’aide aux communication de l’exclusion s’avère en effet primordiale afin que SDF changèrent véritablement notre regard sur les sans-abris. Bien l’opinion publique se rende compte de la détresse et des besoins sûr, notre groupe n’a pas pu rencontrer beaucoup de sans-logis mais urgents de cette « autre France » qui est là devant elle et qu’elle tend ceux que nous avons rencontrés ne demandaient qu’à discuter et à la plupart du temps à ignorer en raison de la banalisation des images être écouté. Ce sont des personnes qui ont eu une vie normale et qui montrant la précarité dans laquelle vivent les exclus. du jour au lendemain se sont retrouvées à la rue en raison souvent d’un engrenage « Chômage-Divorce-Alcool-Rue ». Le fait de se Li b e g a f ________________ - 78 - l’importance des initiatives citoyennes. La