Responsabilité civile des administrateurs et membres du comité de
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Responsabilité civile des administrateurs et membres du comité de
1 www.vdelegal.be Responsabilité civile des administrateurs et membres du comité de direction des sociétés anonymes : état des lieux Bruxelles, le 24 février 2004 Johan VANDEN EYNDE Avocat Vanden Eynde Legal Avenue de la Toison d'Or, 77 1060 Bruxelles Tél : + 32 / (0)2.290.04.00 Fax : +32 / (0)2.290.04.10 contact : [email protected] Web site : www.vdelegal.be 2 I. L’ADMINISTRATION DE LA SOCIETE ANONYME I. Introduction : Il faut tout d’abord souligner que les présentes notes ne constituent qu’un résumé servant de support à l’exposé oral du cours. La première hypothèse qui préside à l’élaboration des présentes notes est que le syllabus s’adresse à des lecteurs ayant déjà acquis la maîtrise d’une part, du droit des sociétés et d’autre part, des règles principales de droit civil relatives au droit des sociétés. La deuxième hypothèse posée est qu’eu égard à l’ampleur du sujet relatif à la responsabilité des administrateurs, les présentes notes ont volontairement pris comme objet, pour cette année 2003-2004, uniquement la responsabilité civile des administrateurs et membres des comités de direction dans le cadre d’une société anonyme. Un très important champ d’investigation a dès lors été volontairement laissé de côté à savoir la responsabilité pénale et, aussi, sauf exceptions directement illustratives du propos, les responsabilités civiles particulières déposées dans des lois spécifiques ou découlant de l’enseignement prétorien, qui ont été volontairement laissées dans l’ombre. Il est ici notamment fait référence à la jurisprudence qui se développe en matière de responsabilité pour le non paiement des cotisations sociales, des précomptes professionnels ou de la TVA, etc… Enfin, il faut attirer l’attention du lecteur sur le fait que les membres des conseils de direction n’existent légalement que depuis la loi du 2 août 2002 et que dès lors, aucune jurisprudence n’est disponible, au jour de la rédaction des présentes notes, pour apprécier de manière pratique, la portée de leur responsabilité. Mais il faut cependant rappeler au lecteur l’existence de la loi du 22 mars 1993 relative aux établissements de crédit, et plus particulièrement l’article 26 de cette loi et les protocoles sur l’autonomie de la fonction bancaire, édités par la Commission Bancaire et Financière dans le cadre de son contrôle prudentiel qui, déjà organisaient le rôle des membres du comité de direction (ci-dessous MCD). II. Le mandat dans le Code civil : 1. Définition : Le mandat est un contrat par lequel une personne, appelée mandant, en charge une autre, appelée mandataire et qui accepte, d’accomplir un acte juridique pour elle et en son nom 3 (articles 1984 et suivants du Code civil et Cassation, 27 mars 1968, Pasicrise, 1968, II, p. 916 ; Cassation, 29 avril 1988, Pasicrisie, 1988, I, p. 1033). La notion de mandat ne concerne pas l’accomplissement d’actes matériels ; dès que quelqu’un accomplit un tel acte matériel à la demande d’un autre, la relation se situe dans le cadre d’un contrat d’ouvrage (contrat d’entreprise). La notion de « représentation commerciale » (au sens large) ne correspond dès lors pas à la définition de la représentation juridique imposée par un contrat de mandat. L’analyse des contrats rencontrés dans le monde des affaires révèle ainsi souvent la coexistence d’un mandat et d’un louage d’ouvrage. 2. Caractéristique : Dans un contrat de mandat, la représentation qui en découle implique que les droits et obligations passent directement au mandant qui devient directement créancier ou débiteur du tiers contractant avec le mandataire, sans nécessité de ratification. 3. Caractère consensuel : Le mandat se forme par la seule rencontre des consentements du mandant et du mandataire. Un écrit n’est donc pas indispensable pour sa formation. Ce caractère consensuel se rencontre au moins partiellement dans tous les types de contrats d’agence commerciaux. Si le contrat est qualifié de civil, ce seront les règles de preuve du droit civil qui s’appliqueront ; si le mandat est commercial, ce sera le système de preuve du droit commercial qui s’appliquera. 4. Portée de l’objet du mandat : L’article 1987 du Code civil précise qu’il faut distinguer les mandats spéciaux relatifs à une ou plusieurs affaires déterminées et les mandats généraux relatifs à toutes les affaires du mandant. L’article 1988 du Code civil précise en effet que le mandat reçu en des termes généraux ne s’applique qu’aux actes d’administration. Cependant, la Cour de Cassation (2 avril 1981, J.T., 1982, p. 10) a souligné qu’un mandat spécial peut être conçu en des termes généraux et ne pas constituer dès lors nécessairement un mandat express. Il y a dès lors lieu de bien vérifier toujours les pouvoirs du mandataire dans la mesure où un certain nombre de situations juridiques doivent nécessairement être régies par un mandat express (par exemple, en matière immobilière). 4 5. La ratification à posteori : Une personne « représentée » peut, s’il n’existait pas initialement un mandat quelconque, décider de ratifier l’opération, approuvant ainsi l’initiative prise par celui qui s’est institué mandataire. Les effets de la ratification sont identiques à ceux d’un mandat initialement donné, même à l’égard des tiers. Elle intervient avec effet rétroactif. La ratification peut être expresse ou tacite. 6. Exécution du mandat : 6.1 Le mandataire doit remplir sa mission conformément aux instructions reçues et, à défaut en bon père de famille (de manière prudente et diligente). 6.2. La responsabilité du mandataire sera appréciée de manière différente si son mandat est gratuit ou rémunéré. 6.3. Le mandat ne contient pas par nature une clause de ducroire, c’est-à-dire que le mandataire ne garantit pas la bonne exécution du tiers. 6.4. La possibilité de substitution d’un « sous-mandataire » est de la nature du contrat de mandat mais le mandataire porte seul la responsabilité de la personne désignée pour réaliser l’exécution du mandat sauf clause contraire expresse. 6.5. En aucun cas, sauf accord express du mandant, le mandataire ne peut se porter lui-même contrepartie. 6.6. Lorsque le mandat est salarié, la Cour de Cassation a décidé (6 mars 1980, Pasicrisie, I , p. 832 – confirmé par un arrêt récent de l’année 2001) que le juge pouvait réduire le salaire convenu pour l’exécution d’un mandat s’il constate que ce salaire est hors de proportion avec l’importance des services rendus. L’arrêt précise que le principe vaut même si les mandats constituent un acte de commerce dans le chef du mandataire. Il s’agit d’une caractéristique exorbitante du droit commun régie par la « loi-convention » entre les parties. 6.7. La fin du contrat de mandat est régie par des clauses de droit commun ou par des clauses spécifiques. 5 Les clauses d’extinction découlant du droit commun s’appliquent au mandat telles que l’échéance du terme prévu, la survenance d’une condition résolutoire expresse, l’inexécution fautive, etc… Les clauses spécifiques d’extinction du mandat prévues à l’article 2003 du Code civil découlent du caractère intuitu persona de ce contrat ; il s’agit du décès du mandant ou du mandataire, de la faillite ou de l’interdiction du mandant ou du mandataire, mais surtout, la révocation par suite de changement de volonté du mandant ou du mandataire. Ainsi, par nature, le contrat de mandat est révocable ad nutum. Il peut cependant être dérogé aux principes déposés dans l’article 2003 du Code civil (cependant, à contrario, en matière de droit des sociétés, en principe, rien ne peut faite obstacle à la révocation ad nutum). En outre, l’article 2007 du Code civil permet également au mandataire de renoncer à sa mission. S’il peut être mis fin unilatéralement au contrat de mandat, il n’empêche que la révocation ou la renonciation devra être analysée à la lumière des principes généraux du droit et notamment, de l’exécution de bonne foi des conventions. C’est ainsi qu’une renonciation ne pourrait être « intempestive ». III. La théorie de l’organe : 1. Base légale : L’article 61 du Code des sociétés (ci-dessous C.S.) dispose que : « Les sociétés agissent par leurs organes, dont les pouvoirs sont déterminés par le présent Code, l’objet social et les clauses statutaires. Les membres de ces organes ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux engagements de la société ». 2. Portée de l’article 61 du C.S. : A première lecture, cette disposition crée une immunité à l’égard des tiers au bénéfice de l’organe (administrateur ou MCD) lorsque ceux-ci prennent des engagements contractuels ou non, et pour compte de la société et n’entendent pas, de ce fait, prendre d’engagements personnels. En d’autres termes, une lecture extrêmement formelle de cet article aboutirait à la disparition d’une bonne partie des présentes notes. Cependant, même si la Cour de Cassation, dans deux arrêts extrêmement importants (7 novembre 1997, RCJB, 1999, p. 730 et 16 février 2001, RDC, 2002, p. 698) a défini très 6 clairement, de manière limitative, la portée de la responsabilité des administrateurs et des MCD à l’égard des tiers, le débat n’en est pas clos pour autant. Ainsi, l’arrêt de 1997 précise : « Attendu que lorsqu’une partie contractante agit par un organe, un préposé ou un agent pour l’exécution de son obligation contractuelle, celui-ci ne peut être déclaré responsable sur le plan extra-contractuel que si la faute mise à sa charge constitue un manquement non à une obligation contractuelle mais à l’obligation générale de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat ; Attendu que s’il considère que la faute du demandeur ne s’identifie pas avec la faute contractuelle commise par la SPRL …, dont il est le gérant, l’arrêt ne précise pas la dommage, autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat, qu’aurait subi la défenderesse en raison de cette faute (…) ». Il faut analyser le rôle du conseil d’administration comme celui d’un organe chargé par la personne morale d’exécuter tout ou partie de ses obligations envers ses co-contractants, et qui, dans ce cadre, est protégé d’une action en responsabilité intentée par le co-contractant de la personne morale. Les administrateurs qui, éventuellement, commettraient un manquement dans l’exécution d’un contrat entre la société qu’ils représentent et un tiers, ne seront passibles de dommages et intérêts à l’égard du tiers concerné que si ce dernier établit que les administrateurs ont commis, concomitamment une faute de nature extra-contractuelle. Ce qui supposerait, comme nous l’analyserons infra, qu’il faudrait éventuellement analyser les mêmes faits sous un double angle de faute contractuelle et de faute extra-contractuelle et, par ailleurs, que la définition du dommage engendré par les mêmes faits éventuellement fautifs, pourrait aboutir à des dommages différents et à des liens de causalité spécifiques. En ce qui concerne la relation contractuelle entre l’administrateur ou le MCD et la société, celle-ci se situe, dans le cadre du mandat tel que défini par les articles 1984 et suivants du Code civil et des dispositions particulières du C.S. Ainsi, l’article 527 du C.S. pose que : « Les administrateurs sont, vis-à-vis de la société : (…) responsables conformément au droit commun de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu et des fautes commises dans leur gestion ». Ce régime sera examiné de manière plus approfondie ci-après mais il faut déjà souligner que dès lors, la responsabilité de l’administrateur ou du MCD à l’égard de la société s’appréciera dans le cadre de l’article 1995 du Code civil ou, comme le rappelle l’article 528 du C.S., en application de dispositions particulières comme l’irrespect des procédures lorsqu’un administrateur a un intérêt opposé à celui de la société (article 523 du C.S.) ou l’irrespect d’obligations visées par le C.S. telles que, par exemple, l’article 633 qui impose de convoquer les actionnaires quand l’actif est devenu inférieur à la moitié du capital et de présenter un plan de continuation des activités. 7 3. La collégialité des organes (conseil d’administration et comité de direction) : En application de l’article 518 § 1 du C.S., les administrateurs doivent être au nombre de 3 sauf si la société ne compte que deux actionnaires ; dans ce cas, seuls deux administrateurs doivent être désignés. Le conseil d’administration ou le comité de direction est un organe collégial (article 521 du C.S.) , dans la mesure où, en principe, les administrateurs, sauf délégation particulière illimitée, ne disposent d’aucun pouvoir individuel de décision. Ce principe général a pour conséquence que lorsqu’une décision d’un conseil d’administration ou d’un comité de direction est jugée fautive, cette faute doit être considérée comme commune à l’ensemble des membres du conseil ou du comité. A cet égard, il faut rappeler la jurisprudence de la Cour de Cassation (24 juin 1995, Pasicrisie, 1955, p. 1151 et Cassation, 15 février 1974, RCJB, 1975, p. 229 avec note de J.L. Fagnart) qui définit la faute commune comme étant celle par laquelle plusieurs personnes ont contribué sciemment à produire le fait dommageable. Le principe de collégialité entraîne donc une éventuelle faute du conseil d’administration et est imputable à l’ensemble des administrateurs qui seront solidairement tenus. Ce principe déroge à la règle générale selon laquelle chacun n’est responsable que de sa propre faute individuelle et du dommage que celle-ci occasionne. Par ailleurs, comme nous le verrons infra, l’article 528 du C.S. permet à des administrateurs de se dégager de cette solidarité pour autant qu’ils dénoncent, selon la procédure visée par le C.S., la faute à la plus prochaine assemblée générale : « Ils ne seront déchargés de cette responsabilité, quant aux infractions auxquelles ils n’ont pas pris part, que si aucune faute ne leur est imputable et s’ils ont dénoncé ces infractions à l’assemblée générale la plus prochaine après qu’ils en auront eu connaissance ». IV. Rappel des règles générales de la responsabilité dans le cadre d’un contrat de travail : 1. Préambule : Si beaucoup d’administrateurs de sociétés anonymes sont, peu ou prou, impliqués dans l’actionnariat de la société qu’ils administrent, beaucoup d’autres administrateurs réalisent cette mission dans le cadre d’un contrat de travail. Il apparaît dès lors important de rappeler, brièvement et dans leur généralité, les règles de la responsabilité qu’encourt un préposé dans l’exercice de ses fonctions. A cet égard, il sera fait ci-dessous, référence de manière elliptique, à « l’article 18 ». 8 2. La notion de préposé : Ce qui caractérise la relation entre un employeur et son employé est « le lien de subordination » c’est-à-dire l’exercice de l’autorité, la surveillance et le contrôle d’une autre personne (voir à cet égard Cassation, 27 février 1970, RGAR, 1971, n° 8.556 et Cassation, 24 décembre 1980, Pas., 1981, I, p. 464). Il s’agit d’une notion qui s’apprécie en fait, c’est-à-dire qu’en fonction des éléments réels de la situation, un contrat d’emploi pourrait exister même si les parties concernées n’avaient pas, au départ, voulu conclure pareille convention. C’est ce qui permet la requalification de situations réelles existantes pour les requalifier conformément à la volonté du législateur. Il s’agit ici de la problématique du « faux indépendant » qui ne sera pas discutée ici, mais qui en cas de mise en cause de la responsabilité d’un administrateur, réapparaîtra très souvent. 3. L’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 : « En cas de dommage causé par le travailleur à l’employeur ou à des tiers dans l’exécution de son contrat, le travailleur ne répond que de son dol et de sa faute lourde. Il ne répond de sa faute légère que si celle-ci représente dans son chef un caractère habituel plutôt qu’accidentel. Sous peine de nullité, il ne peut être dérogé à la responsabilité fixée aux alinéas 1 er et 2 que par une convention collective de travail rendue obligatoire par le Roi, et ce, uniquement en ce qui concerne la responsabilité à l’égard de l’employeur (…) ». 4. Régime exceptionnel de l’article 18 : 4.1. Champ d’application : Cet article s’applique aux personnes dont l’état de subordination découle d’un contrat de travail. Il s’agit d’une notion de fait. Comme nous le verrons infra, certaines fonctions de préposé sont cumulées avec des postes d’administrateur et, parfois, comme dans le cadre de la gestion journalière ou d’un comité de direction, l’objet même du contrat est en relation directe avec l’administration de la société. Dès lors, le cumul entre un mandat d’administrateur et un contrat d’emploi génèrera souvent beaucoup de discussions. La personne qui cumule son mandat d’administrateur avec un contrat d’emploi, ou dont l’objet du contrat est la délégation journalière ou si elle fait partie du conseil de direction, pourra, dans certaines conditions, invoquer l’immunité de l’article 18 pour éluder les 9 responsabilités qui résultent du droit commun et des dispositions spécifiques du Code des sociétés. En théorie, pour ceux qui cumulent un mandat d’administrateur et un contrat d’emploi, la question devrait pouvoir normalement se résoudre facilement ; il suffirait d’examiner si l’acte dommageable est rattachable à la fonction d’employé ou à celle d’administrateur. L’immunité de l’article 18 devrait donc jouer pour les administrateurs délégués dont l’objet des contrats d’emploi est la gestion journalière et il devrait en être de même pour les membres du conseil de direction non administrateurs. 4.2.Conditions de l’immunité : Il faut qu’il y ait une absence de faute intentionnelle, lourde ou une faute légère répétée. Selon la Cour de Cassation, la faute intentionnelle est celle que l’on a commise volontairement, même si on en a pas souhaité les conséquences (Cassation, 16 février 1987, R.W., 1986/87, Col. 2577). La faute lourde est la faute non intentionnelle qui est à ce point grossière et démesurée qu’elle n’est pas excusable ou encore l’omission de mesures de prudence la plus élémentaire qui s’imposent à tout homme censé. La faute légère habituelle se définit par rapport au concept de l’homme normalement prudent mais soulignons qu’il ne s’agit pas nécessairement de la répétition d’un même acte, mais qu’un ensemble d’actes peuvent constituer un faisceau démontrant l’existence d’une faute éventuelle. La faute doit bien entendu être commise dans l’exécution du contrat de travail. Depuis l’arrêt de la Cour de Cassation du 24 décembre 1980 (Pas., 1981, I, p. 467), il est admis que l’immunité concerne les actes du préposé qui ont été accomplis pendant la durée des fonctions et qui sont, ne fut-ce qu’indirectement et occasionnellement, en relation avec celles-ci. Le dommage doit être cause soit aux tiers, soit à l’employeur. L’article 18 immunise le préposé tant à l’égard des tiers qu’à l’égard de son employeur. Cet aspect de cette disposition en matière de contrat de travail a bien entendu des répercussions très importantes dans l’analyse de la responsabilité des administrateurs à l’égard des tiers lorsqu’ils agissent dans le cadre d’un contrat de travail (lire à cet égard « La responsabilité des préposés de sociétés » par Christine Dalcq dans R.C.J.B., 1991, p. 111 et sv.). Cette immunité combinée avec les règles de cumul des responsabilités telles que nous les analyserons infra, rendra la mise en cause civile d’un préposé exerçant les fonctions d’un administrateur-délégué et/ou de membres du comité de direction, extrêmement difficile. 10 5. L’abus de fonction : L’abus de fonction est un acte qui ne constitue pas en soi une mauvaise exécution des fonctions mais qui est commis à l’occasion de celles-ci, de telle manière que d’une part, il n’engage normalement pas la responsabilité de l’employeur et que d’autre part, l’immunité de l’article 18 ne pourrait pas être soulevée ni à l’égard de la société ni à l’égard des tiers préjudiciés. Il s’agit là cependant d’une appréciation de fait et, à tout le moins la preuve que le préposé agissait en-dehors de ses fonctions doit être apportée (Cassation, 26 octobre 1989, Pas., I, 1990, p. 241 : « Que si cet acte résulte d’un abus de fonction, le commettant ne s’exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à celles-ci »). Cependant, le simple fait de démontrer que le préposé a agi en-dehors de ses fonctions ne saurait mettre la société à l’abri de sa responsabilité, puisque la Cour ajoute : « Que le principe de la responsabilité édicté par l’article 1384 alinéa 3 du Code civil subsiste nonobstant les considérations personnelles qui ont pu déterminer les actes de la victime, réserve faite cependant des conséquences d’une faute éventuelle de sa part ; Que cette faute peut résulter de la connaissance que la victime avait ou devait avoir de l’abus de fonction du préposé, si, d’après les circonstances, elle n’avait cru ou pu croire que la personne à laquelle elle s’était adressée, agissait comme préposé et dans le cadre de ses fonctions ». En d’autres termes, la notion d’abus de fonction ne pourra être une cause d’immunisation pour la société que pour autant que d’une part, le préposé a agi hors sa fonction, et que d’autre part, les tiers ne devaient pas connaître, eu égard aux circonstances de fait, le dépassement de fonction. V. Cumul d’un mandat d’administrateur et d’un contrat d’emploi : Un administrateur et/ou un administrateur délégué peut-il être employé de la société qu’il administre ? La caractéristique principale d’un contrat d’emploi est que l’employé est dans un lien de subordination à l’égard de son employeur. L’administrateur, dans l’exercice de sa fonction d’administrateur, n’est certainement pas dans un lien de subordination à l’égard du conseil d’administration puisque celui-ci agit en collège, sans distinction de compétences entre les administrateurs. Il est donc par nature impossible que l’objet d’un contrat d’emplo i soit l’exercice du mandat d’administrateur. Par ailleurs, le principe de la révocabilité ad nutum s’y opposerait également puisque, en cas de terminaison d’un contrat d’emploi, un préavis doit être payé ce qui serait, au minimum, un frein à la révocabilité immédiate de l’administrateur. 11 Cependant, si l’exécution d’un mandat d’administrateur ne peut faire l’objet d’un contrat de travail, rien n’empêche, semble-t-il, qu’un administrateur ait, par ailleurs un contrat d’emploi dont l’objet serait différent de l’exécution de son mandat et porterait sur l’exécution de missions particulières telles que une direction financière, de marketing, de ressources humaines, etc… Cependant, il faut, en cette matière, avoir égard à la jurisprudence de la Cour de Cassation qui a décidé que les fonctions de délégué à la gestion journalière peuvent quant à elles, faire l’objet, pour une personne n’ayant pas la qualité d’administrateur, d’un contrat de travail (Cassation, 22 janvier 1981, RCJB, 1981, p. 495 et note Neudelhole). Bien plus, dans son arrêt du 28 mai 1984 (Pasicrisie, 1984, I, p. 1172), la Cour a décidé qu’un administrateur peut être chargé de la gestion journalière dans le cadre d’un contrat d’emploi. En d’autres mots, si l’exécution du mandat d’administrateur ne semble pas possible dans le cadre d’un contrat d’emploi, cette impossibilité n’est pas étendue à la mission de la gestion journalière. En effet, selon la Cour, la révocabilité ad nutum du délégué à la gestion journalière n’est pas d’ordre public et l’existence d’un contrat de travail n’empêche dès lors pas, la société de mettre fin aux fonctions de délégué à la gestion journalière et notamment à celles de mandataire de la société, mais l’obligent seulement à accorder un préavis ou une indemnité de congé en cas de licenciement relatif à cette fonction particulière de délégué à la gestion journalière. C’et ainsi, semble-t-il, qu’il faut comprendre la portée de la délégation prévue par l’article 525 du C.S. VI. Administrateurs – M.C.D. – délégations : 1. L’administrateur : L’article 517 indique : « Les sociétés anonyme sont administrées par des personnes physiques ou morales, rémunérées ou non ». Le C.S. s’abstient de donner une définition de l’administrateur. Ni l’article ci-dessus, ni les articles 61 et 62 du C.S. ne définissent la fonction et/ou la personne de l’administrateur. Le C.S. est également silencieux sur ses capacités juridiques et/ou professionnelles. Si la loi n’impose aucune condition de compétence pour devenir administrateur, l’incompétence n’est en soi pas une cause d’exonération de responsabilité (Liège, 1 er décembre 1979, R.P.S., 1971, p. 280). 12 Etant posé que l’administrateur est un mandataire, celui-ci doit dès lors avoir la capacité juridique que le Code civil requiert du mandataire. Dans l’application stricte des règles du Code civil, il est admis qu’éventuellement un incapable juridique puisse être mandataire et donc, administrateur. Cependant, cette position défendue par des auteurs peu récents (notamment Fredericq, Tome V, n° 416) ne semble plus recevable, la désignation par l’assemblée générale d’un incapable semblant devoir être considérée comme une faute d’un des organes de la société à savoir en l’espèce, l’assemblée générale. En résumé, il peut être admis que pour être administrateur, il suffit d’être juridiquement capable et professionnellement apte à assumer le mandat d’administrateur. Si une définition positive est donnée par le C.S., les dispositions légales de l’A.R. n° 22 du 24 octobre 1934 établissent par contre des interdictions. Ainsi, ne peuvent exercer les fonctions d’administrateur d’une S.A. : - les faillis non réhabilités les personnes qui ont été condamnées à une peine de prison de 3 mois au moins, même conditionnellement, comme auteur ou complice de certaines infractions ou tentatives d’infractions graves (fausse monnaie, contrefaçon ou falsification d’effets publics, actions, obligations, coupons, billets de banque, sceaux, timbres, poinçons et marques, faux et usage de faux en écritures, corruption de fonctionnaire, vol, extorsion, détournement, abus de confiance, escroquerie, recel, banqueroute, cavalerie d’actes de commerce, chèques sans provision, etc…). La loi du 4 août 1978 a également permis au Tribunal, d’interdire à un ancien administrateur, démissionnaire depuis moins d’un an d’une société mise en faillite, s’il est établi qu’une faute grave et caractérisée qui a contribué à la faillite peut lui être imputée, d’occuper de nouvelles fonctions d’administrateur. Soulignons que dans tous les cas ci-dessus, l’interdiction ne porte pas seulement sur l’exercice des fonctions mais aussi sur la faculté d’accomplir des actes de gestion (Bruxelles, 6 juin 1974, R.P.S., 1975). Enfin, il faut souligner qu’il existe, dans des dispositions spécifiques, des incompatibilités pour certaines personnes d’accepter un mandat d’administrateur. Il en est par exemple ainsi pour les membres de l’Institut des réviseurs d’entreprises, de l’Institut des experts comptables, des agents de l’Etat, des notaires, des militaires, des magistrats, etc… 2. Membres du comité de direction : La loi du 2 août 2002 modifiant le Code des sociétés a institué le comité de direction notamment en insérant deux articles nouveaux à savoir les articles 524 bis et 524 ter et en 13 modifiant un certain nombre pour rendre applicables aux M.C.D., les dispositions applicables aux administrateurs. Il s’agit notamment des articles 527, 528, 529, 533 et 536. Le deuxième paragraphe de l’article 524 bis se lit comme suit : « (…) Le comité de direction se compose de plusieurs personnes, qu’ils soient administrateurs ou non. Les conditions de désignation des membres du comité de direction, leur révocation, leur rémunération, la durée de leur mission et le mode de fonctionnement du comité de direction, sont déterminés par les statuts ou, à défaut de clause statutaire, par le conseil d’administration ». Un M.C.D. peut donc être administrateur ou non. S’il est administrateur, les règles succintement décrites au point 1 ci -dessus lui seront applicables. En ce qui concerne la capacité pour les membres non administrateurs d’être M.C.D., les principes généraux de la capacité en droit civil s’appliqueront. Encore faut-il définir : - le contrat qui précise la relation entre le comité de direction et le conseil d’administration le contrat du MCD avec le comité de direction et/ou o le CA o la société. L’article 524 bis parle de « délégation » et les Travaux parlementaires reconnaissent qu’il est licite de prévoir que les membres du comité de direction ne sont pas révocables ad nutum. Y-a-t-il dès lors mandat ou contrat de prestation de services ou combinaison des deux ? La définition du contrat qui lie le M.C.D. à la société aura bien évidemment une énorme importance dans le cadre de la définition de sa responsabilité. Dans l’immédiat, si le M.C.D. est administrateur, sa responsabilité se situera dans le fil de celle des administrateurs chargés d’une délégation particulière. A cet égard, trois dispositions du Code des sociétés ont été modifiées en matière de responsabilité : - l’article 527 pour la faute de gestion l’article 528 en ce qui concerne les infractions au Code des sociétés ou des statuts l’article 529 relatif aux conflits d’intérêts. L’objectif est clairement de rendre les M.C.D. responsables de la même manière que les administrateurs. 14 Cela se conçoit pour les M.C.D. membres du conseil d’administration. Mais, un grand vide juridique existe pour l’instant quant à la définition de ce que pourrait être un M.C.D. qui n’est pas administrateur. A cet égard se posera la question de savoir si l’objet de la délégation peut donner lieu à un contrat de travail, ce qui aura des répercussions sur la responsabilité du M.C.D. qui à l’égard de la société, bénéficiera de la protection de l’article 18 de la loi sur le contrat de travail et, pourra également arguer de cette position à l’égard des tiers. La jurisprudence comblera probablement un certain nombre de manquements à la loi actuelle mais, le travail législatif devra être repris. 3. Les administrateurs dits indépendants : La notion d’administrateur indépendant trouve, à défaut de son fondement, sa notion légale dans l’article 524 du C.S. L’article 524 § 1 alinéa 2 indique : « Le conseil d’administration de la société concernée charge trois administrateurs choisis pour leur indépendance par rapport à la décision ou à l’opération envisagée, assistés d’un expert choisi pour les mêmes raisons, de procéder à une description et à une évaluation motivée des conséquences financières pour la société concernée, de la décision ou de l’opération envisagée (…) ». C’est donc, de manière incidente, que la notion d’administrateur « indépendant » apparaît à l’occasion du règlement de la procédure des conflits internes aux sociétés cotées. Pour le surplus, le C.S. est muet à leur sujet. La désignation d’administrateur indépendant au sein des organes de gestion des sociétés qui sont cotées, est une pratique reconnue de manière générale. Elle a été, en son temps, recommandée par la Bourse de Bruxelles, notamment dans ses recommandations en matière de Corporate Gouvernance et par la Fédération des entreprises de Belgique. La Commission bancaire et financière est aussi favorable à la désignation d’administrateurs dits indépendants. Ces administrateurs sont, comme tous les autres, désignés par l’assemblée générale et ne bénéficient d’aucun régime particulier en ce qui concerne leur responsabilité mais, comme dans le cadre des sociétés cotées, ils sont censés apporter un regard « de sage » et « d’indépendance » au sein du conseil d’administration, il va de soi que leur rôle peut être éventuellement apprécié, par un Tribunal, d’une autre manière que celui des administrateurs dits ordinaires. 15 Il s’agit là d’une supputation, aucune décision judiciaire n’étant intervenue à cet égard à ce jour. Cependant, l’article 524 leur donne un rôle particulier, dans un cas particulier et pourrait dès lors être considéré comme étant un cas particulier de responsabilité. Enfin, il faut souligner qu’à défaut de définition, le nouvel article 524 § 4 du C.S. a au moins deux particularités : La première est que la nomination des candidats en tant qu’administrateurs indépendants est communiquée pour information au conseil d’entreprise pour celles qui en ont un au sens de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie. Il faut souligner le rôle particulier que ces administrateurs indépendants devraient jouer dans l’esprit du législateur. L’information de la nomination doit être communiquée préalablement à la nom ination par l’assemblée générale, ce qui semble être un tour de force puisque le résultat du vote ne peut être connu avant la nomination … La deuxième particularité est liée à l’existence d’incompatibilités, de restriction de droits ou d’interdictions, puisque les administrateurs indépendants ne peuvent, pendant une période de 2 ans avant leur nomination avoir été administrateur, gérant ou membre du comité de direction, délégué à la gestion journalière ou travailleur auprès de la société. Remarquons que cet interdit s’applique lorsque leur parent ou allié au 4 ème degré a été dans la même situation. Ils ne peuvent par ailleurs détenir aucun droit social représentant 1/10ème ou plus du capital du fonds social ou d’une catégorie particulière d’actions. Si néanmoins, ils détiennent ces droits sociaux au-delà de 10 %, de manière directe ou indirecte, les actes de disposition relatifs à ces actions ou à l’exercice des droits y afférents ne peuvent être soumis à des stipulations conventionnelles ou à des engagements unilatéraux auxquels l’administrateur indépendant a souscrit. Enfin, le 3° de l’article 524 § 4 édicte un principe général : « Ils n’entretiennent aucune relation avec une société qui est de nature à mettre en cause son indépendance ». 4. L’administrateur de fait : La notion d’administrateur de fait est une contravention évidente au principe de la spécialisation de la gestion d’une société par des organes compétents (C.A. et/ou C.D.) et dès lors, également à l’égard du principe de la collégialité. L’administrateur de fait n’est pas non plus un mandataire de la société. 16 Cette absence de place dans le dispositif légal et/ou statutaire de la société, n’empêche pas que l’administrateur de fait aura à répondre de sa responsabilité aussi bien à l’égard de la société qu’à l’égard des tiers. La jurisprudence approuvée par la doctrine, a jugé que ceux qui exercent en fait les prérogatives réservées aux administrateurs et/ou MCD, et se comportent en tant qu’ « administrateurs de fait » pouvaient être soumis aux mêmes responsabilités que les administrateurs en titre. Cette responsabilité peut, au demeurant, être combinée avec des responsabilités fondées sur d’autres bases juridiques. Il faut cependant souligner que les tribunaux restent très prudents dans leur appréciation des circonstances qui permettent éventuellement d’analyser l’intervention d’une personne comme étant équivalente à la prise en charge de l’administration de fait. Ils considèrent que ne peuvent être qualifiées d’administrateurs de fait que les personnes qui se sont réellement appropriées le pouvoir de décision des administrateurs soit, en se substituant à eux, soit en leur donnant des instructions précises. Il faut également souligner que la qualification d’administrateur de fait suppose que l’immixtion dans la gestion intervienne sans aucun fondement légal ou contractuel. Ainsi, l’exercice de missions de conseil ou de surveillance ou l’accomplissement de certains actes de gestion, lorsqu’ils interviennent en exécution d’un mandat ou d’une convention de prestation de services donnés par la société, ne suffisent pas à justifier de la qualification d’administrateur de fait. C’est ainsi que la Cour d’Appel de Bruxelles (14 septembre 1988, RDC, 1989, p. 171 et note) définit la notion de la manière suivante : « La Cour rappelle d’abord que la qualité d’administrateur de fait apparaît lorsque quelqu’un, en toute indépendance et liberté, réellement et de manière positive, a pris en main l’administration de la société par la fixation de la politique commerciale et de l’organisation du personnel, la conclusion de contrats, l’achat de matériel, la participation à l’administration technique et administrative et le fait de contracter des emprunts. Les abstentions et les négligences pas plus que les suggestions, les conseils et la surveillance légale (comme par exemple comme fournisseur de crédit ou comme caution) ne’ suffisent pas pour caractériser une administration de fait ». Ainsi, deux caractéristiques importantes définissent l’administration de fait : - l’exercice d’une activité de gestion et d’appropriation de pouvoir permettant de disposer du sort de l’entreprise ; l’exercice de cette activité en totale indépendance. En résumé, ces deux caractéristiques conduisent à une gestion réelle de la société sur base de critères et de motivations propres à l’administrateur de fait sans que celui-ci n’ait à se justifier à l’égard d’aucun autre organe de la société ou, en d’autres termes, qu’il ne fait à aucun moment ratifier sa gestion par la société concernée. 17 L’administrateur de fait est donc celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion ou de direction, contrairement, par exemple, à un expert indépendant désigné par le banquier de l’entreprise, lequel expert est chargé de surveiller les travaux du conseil d’administration et le suivi des décisions (Commerce Bruxelles, 3 avril 1984, RPS, 1984 , p. 184). C’est ce que rappelle la Cour d’Appel de Mons dans son arrêt du 13 janvier 2003 (J.L.M.B., 2004, p. 54) : « La qualification du dirigeant de fait qui est l’une des conditions nécessaires à l’intentement d’une action en comblement du passif, suppose que l’immixion dans la gestion de l’entreprise du failli intervienne sans aucun fondement légal ou contractuel. Et il faut ici, pour être dirigeant de fait, avoir accompli des actes positifs de gestion ». Soulignons, enfin, deux points importants : - - l’administrateur de fait peut être ou ne pas être un administrateur de la société. En effet, un des administrateurs de la société pourrait parfaitement s’approprier la direction effective de la société sans tenir compte des prérogatives du conseil d’administration et de l’assemblée générale ; les administrateurs en titre de la société pourraient voir leur responsabilité mise en cause s’ils acceptaient passivement d’être « désappropriés » de leur pouvoir de gestion de l’entreprise. 5. L’administrateur préposé d’une société de contrôle : 5.1. Le Code des sociétés connaît la notion de contrôle (article 5), de consortium (article 10) et de groupe (article 16). L’article 5 § 1 er indique : « Par « contrôle » d’une société, il faut entendre le pouvoir de droit ou de fait d’exercer une influence décisive sur la désignation de la majorité des administrateurs ou gérants de celle-ci ou sur l’orientation de sa gestion ». En d’autres termes, la société de contrôle a la possibilité de désigner une partie ou tous les administrateurs de la société filiale. Le législateur a prévu des conditions qui rendent ce contrôle présumé de manière irréfragable (article 5 § 2) ou pouvant être démontré éventuellement par des éléments de fait (article 5 § 3). Le consortium est quant à lui, établi lorsque de fait, un ensemble de sociétés qui ne sont pas filiales d’une autre société sont placées sous une direction unique (article 10 § 1). Ici aussi, le législateur a prévu l’existence d’un consortium lorsque les conditions prévues à l’article 10 § 2 sont réunies, mais par ailleurs, le consortium peut être démontré par des éléments de fait (article 10 § 3). 18 La notion de groupe est quant à elle abordée par le biais de l’article 16 du Code des sociétés. 5.2. Dans ce contexte, il est également important de rappeler la notion d’intérêt social car, comme le rappelait le rapport au Roi précédant l’A.R. du 8 octobre 1976 pris en exécution de la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises : « L’entreprise n’est pas seulement un patrimoine générateur des profits ou des pertes, elle est essentiellement un agencement dynamique et durable d’hommes, de moyens techniques et de capitaux, organisé en vue de l’exercice d’une activité économique débouchant sur la réalisation d’un produit brut, permettant d’attribuer des revenus bruts ou nets à tous ceux qui ont concouru à sa réalisation », ce qui implique théoriquement, que les décisions doivent être prises dans l’intérêt de l’entreprise, ce qui peut se concevoir de manière restrictive, en tenant compte uniquement des intérêts des actionnaires (voir notamment J.M. Nelissen-Grade, « De la validité et de l’exécution de la convention de vote dans les sociétés commerciales », R.C.J.B., 1991, p. 234) ou en tenant compte d’une conception plus large incluant les actionnaires, les travailleurs, les intérêts économiques de la région où est implantée l’entreprise, etc… (voir notamment Xavier Dieux, « La responsabilité civile des associés en matière de sociétés commerciales – solutions récentes » in La responsabilité des associés, organes et préposés des sociétés, E.J.B., 1991, p. 70). Il est assez évident que l’acceptation extensive peut entrer en conflit avec la notion d’intérêt social du groupe, surtout si ce dernier est également compris de manière restrictive. 5.3. Les articles 517 à 524 du Code des sociétés ne donne aucune définition de l’indépendance d’un administrateur. Seuls les articles 523 et 524 organisent une éventuelle opposition d’intérêts. A cet égard, il est intéressant de souligner l’exclusion d’un éventuel conflit d’intérêts organisé par l’article 523 § 1 qui précise : « Le § 1 n’est pas applicable lorsque les décisions ou les opérations relevant du conseil d’administration concernant des décisions ou des opérations conclues entre sociétés dont l’une détient directement ou indirectement 95 % au moins des voix attachées à l’ensemble des titres émis par l’autre ou entre sociétés dont 95 % au moins des voix attachées à l’ensemble des titres émis par chacune d’elles sont détenus par une autre société ». Il est difficile de souligner mieux l’existence omniprésente, mais silencieuse, de l’intérêt des groupes. 5.4. Comme nous l’avons vu ci-dessus, la jurisprudence admet que la délégation journalière d’une société fasse l’objet d’un contrat de travail. 19 La jurisprudence admet également la co-existence d’un contrat de mandat d’administrateur et d’un contrat de travail pour autant que les deux fonctions puissent être définies de manière indépendante. Il faut cependant souligner que la jurisprudence s’est uniquement prononcée sur des cas où était analysée la relation entre l’administrateur/employé et la société dont il était l’administrateur. 5.5. La nouvelle loi instituant, comme nous l’avons vu ci-dessus, les conseils de direction, augmente le nombre des questions potentiellement à poser puisque, si le membre du conseil de direction n’est pas un administrateur, il ne semble pas possible d’analyser la relation contractuelle qui le lie à la société autrement qu’en un contrat de travail. Ici aussi, le législateur n’a analysé que la relation directe entre le MCD et la société. 5.6. La question de la définition de la responsabilité d’un administrateur au sein d’un groupe se pose dès lors qu’un préposé d‘une société de contrôle est nommé administrateur d’une société filiale. Souvent, dans ce cas, l’employé de la société de contrôle accepte la nomination d’administrateurs dans la société filiale dans le cadre du lien de subordination qui le lie à son employeur mais cette nomination engendre une nouvelle relation contractuelle de mandat entre l’administrateur de la filiale et cette société. Il est aisément acceptable de considérer que le régime de la protection de l’article 18 soit étendu à l’administrateur/employé dans sa relation avec la société de contrôle. Mais, qu’en est-il de la relation de l’administrateur/employé avec la société filiale puisque par définition, le contrat ici est un contrat de mandat ? En d’autres termes, éventuellement, la société filiale pourra mettre en œuvre la responsabilité de l’administrateur/employé alors que la société de contrôle, en application de l’article 18, sera dans l’incapacité de le faire. La même question se pose dans la mise en œuvre de la responsabilité de l’administrateur/employé à l’égard des tiers. Le régime de l’article 18 pourra-t-il être revendiqué par l’administrateur/employé à l’égard des tiers qui mettraient éventuellement sa responsabilité en cause ? Il y a ici clairement un conflit potentiel entre les régimes de responsabilité organisés par la loi sur le contrat de travail et celui organisé par le Code des sociétés et la jurisprudence y afférente. Il semble que si l’on admet que l’article 18 bénéficie à l’administrateur/employé, cela devrait signifier qu’un mandat d’administrateur puisse faire l’objet d’un contrat de travail mais, alors, se poserait la question de savoir où se situe le lien de subordination entre l’administrateur et son employeur. 20 Ou, en d’autres termes, si le législateur admet et organise le contrôle entre sociétés, il devrait également se pencher sur l’organisation interne de ces groupes et/ou consortiums pour apporter une réponse à la responsabilité des administrateurs par rapport, éventuellement, au régime d’immunité de l’article 18. 6. L’administrateur personne morale et son représentant permanent : En application de l’article 517 du C.S., il est possible de nommer une personne morale administrateur. La loi du 2 août 2002 a, en modifiant l’article 61 du C.S., imposé à toute personne morale nommée administrateur, de désigner un représentant, personne physique, de manière permanente. L’éventuelle absence de désignation du représentant permanent est déjà une violation du C.S., sanctionnée notamment par les articles 263, 408 et 528. C’est aussi bien la société désignée comme administrateur que la société administrée qui doivent veiller à la désignation d’un représentant permanent pour une personne morale. La responsabilité de la personne morale désignée comme administrateur est soumise aux règles générales de la responsabilité des administrateurs mais, en l’espèce, les tiers et la société trouveront un deuxième interlocuteur puisque l’article 61 § 2 du C.S. indique : « (…) Ce représentant est soumis aux mêmes conditions et encourt les mêmes responsabilités civiles et pénales que s’il exerçait cette mission en nom et pour compte propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu’il représente (…) ». En d’autres termes, le représentant permanent, sans être administrateur, encourt les mêmes responsabilités qu’un administrateur !… Dans ce cas de figure, se posera bien entendu un problème majeur de concours de responsabilités et de l’étendue du recours récursoire des uns par rapport aux autres. A cet égard, il faut souligner que la loi ne définit pas quel lien contractuel doit exister entre le représentant permanent et la société administratrice. Les recours éventuels devront s’analyser sur la base de différents contrats : - employé de la société administratrice détenteur, par un préposé, d’une mission particulière contrat de prestation de services administrateur sans contrat d’emploi délégué à la gestion journalière de la société administratrice MCD avec une délégation particulière ; chacune de ces situations engendrant des analyses juridiques particulières. 21 Voir à cet égard : « Responsabilité des employés représentants permanents d’une personne morale nommée administrateur et couverture du risque lié à la fonction » (Julien Wolff et Johan Vanden Eynde). 7. L’administrateur judiciaire : Dans la pratique, il n’est pas rare, lorsqu’une situation de conflit naît au sein d’une société de telle manière à rendre impossible un fonctionnement normal de ses organes de décision (assemblée générale, conseil d’administration et MCD), qu’un administrateur soit nommé à, l’initiative d’une personne intéressée par le Tribunal de Commerce. Très souvent, cet administrateur judiciaire se voit confier la totalité ou une partie des tâches d’un des organes de la société. S’il se voit confier certains pouvoirs d’administration, l’administrateur judiciai re n’est cependant pas nommé par l’assemblée générale mais, dans le cadre de la gestion qui lui est confiée, il pourrait éventuellement commettre une faute soit à l’égard de la société, soit à l’égard des tiers. En effet, en fonction de l’analyse de la mission qui lui aura été confiée par le Tribunal l’ensemble des obligations à charge des administrateurs lui sont également imposées (soumission des comptes à l’assemblée générale, dépôt des comptes annuels, rapport spécial 633 du Code des sociétés, etc…). Il ne fait en effet aucun doute que la nomination par le Tribunal puisse constituer une immunité de quelque ordre que ce soit. Mais la question reste ouverte de savoir quel est le contrat qui le lie à l’assemblée et dans quelle mesure, sa responsabilité pourrait être mise en cause par des tiers. Il semble bien qu’étant nommé par une décision externe à la société, il puisse être admis qu’il n’y ait pas de lien contractuel entre l’administrateur judiciaire et la société. En fonction des points particuliers abordés pour définir sa fonction, il faudra faire preuve de pragmatisme. En effet, à titre d’exemple, il va de soi qu’il n’est pas révocable ad nutum par l’assemblée générale. En matière de responsabilité, seul le fondement de l’article 1382, aussi bien à l’égard de la société qu’à l’égard des tiers peut fonder une éventuelle action mais, outre le comportement normalement prudent et diligent, un certain nombre de dispositions particulières à l’exécution correcte d’un mandat d’administrateur constitueront également une faute aquilienne. A cet égard, il est intéressant de relever l’arrêt de la Cour de Cassation française du 21 juin 2000 qui consacre une vision très large de la responsabilité pénale de l’administrateur judiciaire. 22 8. Délégations de pouvoirs : A. Délégations générales : L’article 522 § 2 indique : « Les statuts peuvent donner qualité à un ou plusieurs administrateurs pour représenter la société dans les actes ou en justice, soit seuls, soit conjointement ». Comme nous l’avons déjà indiqué, la loi du 2 août 2002 a autorisé la création de comités de direction auxquels le statut d’organe a été reconnu. La même loi a également largement organisé leur responsabilité, comme nous le verrons infra. Cependant, les délégations générales visées en l’espèce par l’article 522 sont parallèles à celles visées par l’article 524 bis du Code des sociétés. Elles peuvent bien entendu donner lieu à une responsabilité dans le chef de ceux qui détiennent ces délégations. Il est d’ailleurs à noter que dans le cadre de ces délégations particulières, le principe de collégialité au sein du conseil d’administration et/ou du MCD ne s’appliquera plus puisque le processus de décision dans le cadre de l’exécution de ces délégations n’est pas réalisé au sein du CA/MCD. Il faut également souligner que le texte de l’article 522 § 2 ne concerne que la représentation externe et est étranger à la gestion, qui demeure collégiale sauf l’existence d’un CD et la délégation de la gestion quotidienne. B. Délégations particulières : Il s’agit d’octroyer un pouvoir de représentation limité dans le cadre d’un contrat de mandat ou de prestation de services. La même hypothèse peut se présenter dans le cadre d’une délégation de la compétence de gestion. Ces pratiques sont courantes dans la vie des affaires mais elles posent déjà en ellesmêmes, des problèmes de compatibilité avec des dispositions pertinentes du C.S., telles que l’article 522 § 2 qui ne vise une délégation qu’aux administrateurs et du premier paragraphe du même article qui donne la compétence résiduaire de la gestion au conseil d’administration, sauf existence d’un CD et d’une délégation à la gestion journalière. Comme nous le verrons plus loin, dans la nature et la mise en œuvre des responsabilités, il y a ici réellement une multitude de questions qui se posent sur le concours de responsabilités. 23 La délégation particulière se fait-elle dans le cadre d’un mandat ou dans le cadre d’un contrat de prestation de services ? Dès lors, dans le premier cas, les règles définies par le Code civil à propos du mandat joueront mais, éventuellement, les règles des articles 1384 et suivants concernant la responsabilité des préposés pourront également jouer notamment dans la mise en œuvre de la responsabilité du délégué ou de la société par un tiers. Nous reviendrons sur ce sujet d’autant plus que c’est ici que se situe l’analyse de la responsabilité de ce que la pratique dénomme « le contrat de management ». C. La délégation journalière : L’article 525 du C.S. autorise la gestion journalière des affaires sociales ainsi que la représentation de la société dans le cadre de cette gestion. Le gestionnaire peut être un administrateur ou n’être membre d’aucun organe (CA ou CD). Il ne faut cependant pas se tromper sur la portée de cette délégation de la gestion journalière qui, contrairement à ce qui se fait dans la pratique, est définie par la Cour de Cassation (17 septembre 1968, Pasicrisie, 1969, I ), comme étant les actes qui : « (…) en raison tant de leur peu d’importance que de la nécessité d’une prompte solution, ne justifient pas l’intervention du conseil d’administration lui-même ». S’il s’agit d’une appréciation en fait, notamment, en fonction de la taille de l’entreprise, il n’en reste pas moins qu’en application de l’article 522 § 1 du C.S., c’est le conseil d’administration qui garde l’entier pouvoir résiduaire de décision au sein de la société. En ce qui concerne la responsabilité du délégué à la gestion journalière, soulignons que l’article 525 alinéa 2, indique que les restrictions apportées à son pouvoir de représentation soit par les statuts, soit par l’organe qui l’a nommé, ne peuvent être opposées aux tiers même si elles ont été publiées. De l’économie générale du texte qui crée la possibilité d’instituer un délégué à la gestion journalière, il apparaît de manière claire qu’en termes de responsabilité, celui-ci encourt éventuellement une responsabilité particulière aussi bien à l’égard de la société qu’à l’égard des tiers. Par ailleurs, cette responsabilité devra également être appréciée de manière différente si le délégué à la gestion journalière est administrateur ou ne l’est pas. 24 VII. La nature, la mise en œuvre et la division des responsabilités : 1. Nature : La nature des responsabilités qui seront discutées ci-dessous trouve son fondement dans la loi, le contrat ou dans la faute aquilienne. Le législateur a défini certains comportements qu’ils qualifie objectivement de fautifs et qui, en fonction du cas d’espèce, peuvent avoir une qualification réfragable ou irréfragable. 2. Mise en œuvre : Lorsque la faute reprochée aux dirigeants consiste en la violation d’une obligation déterminée, qui leur est imposée par le C.S., par les statuts ou par une autre réglementation, l’appréciation de l’existence de la faute sera relativement aisée. Mais, en-dehors même de l’hypothèse de la violation d’une obligation légale ou statutaire précise, les administrateurs et/ou MCD peuvent être jugés fautifs lorsque leurs actes s’écartent de la norme de prudence et de diligence de tout mandataire social (faute de gestion) ou de la norme générale de bonne conduite qui s’impose à toute sujet de droit (faute aquilienne). Dans ces cas, la définition de la faute peut être délicate. A défaut de mieux, la doctrine et la jurisprudence choisissent de définir la faute par référence, à contrario, à un critère abstrait : le comportement de l’honnête homme normalement avisé et prudent, raisonnablement soucieux de ne pas causer du tort à autrui, le « bonus vir » (le bon père de famille), selon l’expression consacrée du droit romain. Deux principes semblent guider la jurisprudence ; le premier étant l’appréciation marginale par les tribunaux d’un comportement c’est-à-dire qu’il faut tenir compte du fait que toute personne normalement soigneuse et prudente, mise en présence d’une situation déterminée, est susceptible d’adopter diverses attitudes. Loin de pouvoir ou de vouloir substituer son appréciation à celle du dirigeant qu’on prétend fautif quant au choix de l’un ou de l’autre de ces comportements, le juge ne pourra sanctionner que l’attitude qui se situe en-dehors d’une « certaine » marge de manœuvre considérée comme déraisonnable. La seconde règle est la détermination « à priori » du comportement prétendument fautif d’un dirigeant. Il est évident qu’il y a lieu de se placer au moment où le fait a été posé, compte tenu des circonstances dont l’auteur a pu avoir connaissance à ce moment. 25 3. Division des responsabilités : 3.1. La responsabilité de l’administrateur à l’égard de la société : - La faute de gestion La violation du C.S. La violation des statuts de la société La responsabilité aquilienne sur base de l’article 1382 3.2. La responsabilité des administrateurs à l’égard des tiers : - La faute de gestion La violation du C.S. La violation des statuts La responsabilité fondée sur l’article 1382 du Code civil La responsabilité aggravée en cas de faillite 3.3. La responsabilité des détenteurs de délégations particulières : 3.3.1. A l’égard de la société : Délégation générale Délégation particulière Délégation à la gestion journalière Délégation au comité de direction - 3.3.2. A l’égard des tiers : Délégation générale Délégation particulière Délégation à la gestion journalière Délégation au comité de direction - 3.4. Les responsabilités particulières : Il s’agit d’obligations mises à charge des administrateurs à l’occasion d’opérations déterminées : - augmentation de capital transformation de la société fusion ou scission 26 - dissolution de la société défaut de convocation de l’assemblée générale lorsque les pertes atteignent un certain pourcentage du capital surévaluation manifeste de biens vendus à une société par un fondateur, un administrateur ou un associé (quasi apport) indications insuffisantes des mentions permettant aux tiers d’identifier la société ou de la qualité en vertu de laquelle les dirigeants agissent absence de justification de l’application des règles comptables de continuité en cas de perte répétée retard dans la présentation des comptes annuels de la société intérêts opposés entre l’administrateur/M.C.D. et la société (articles 523 et 524 ter). 27 II. LES RESPONSABILITES AU SEIN DE L’ADMINISTRATION DE LA SOCIETE ANONYME I. La responsabilité de l’administrateur à l’égard de la société : 1. Préambule : Dans le cadre des présentes notes, cette responsabilité, dans le présent chapitre, se situe dans le champ contractuel de la relation existant entre la société et son administrateur. Les administrateurs étant avant tout des mandataires de la société, l’analyse se fondera souvent sur les règles applicables, dans le Code civil, à ce contrat. Dans le C.S., cette responsabilité est définie par l’article 527 qui indique : « Les administrateurs et les délégués à la gestion journalière sont responsables, conformément au droit commun, de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu et des fautes commises dans leur gestion ». En application de l’article 1992 alinéa 1 du Code civil, le mandataire répond non seulement du dol mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. 2. La faute de gestion : 2.1. Faute dans l’exécution du mandat : En ce qui concerne l’administrateur lui-même, comme nous l’avons déjà signalé plus haut, sa propre impéritie peut être une faute car si effectivement aucune condition d’aptitude n’est imposée par le C.S. pour accepter un mandat, l’accepter en sachant parfaitement que l’on n’est pas apte à le remplir correctement, peut constituer une faute (Liège, 1 er décembre 1979, R.P.S., 1971, p. 280 et les commentaires de Monsieur Fagnart dans « Examen de jurisprudence », J.T., 1976, p. 591). 28 La deuxième faute traditionnelle reprochée à certains administrateurs est le peu de sérieux dans l’exercice de leurs fonctions. En d’autres termes, accepter par exemple un mandat sans pouvoir en assumer la fonction, être passif dans l’exercice de son mandat, voire même ne jamais assister aux réunions du conseil, … peuvent constituer des fautes comme le rappelle à juste titre la jurisprudence : « Il convient de stigmatiser l’attitude de l’administrateur qui s’abstient de participer aux réunions du conseil d’administration. Une telle attitude est contraire aux principes qui régissent le fonctionnement des sociétés commerciales (…) » (Mons, 12 mars 1996, R.P.S., 1996, p. 304 et note de Monsieur Lambrecht). 2.2. Marginale toetsing Lorsqu’un reproche est formulé à l’égard d’un administrateur dont la gestion serait fautive, le critère d’appréciation est celui du « bonus vir » (bon père de famille). Le Tribunal devra dès lors apprécier les faits reprochés d’après les circonstances du moment et des faits connus à ce moment. L’appréciation de la faute éventuelle doit être une appréciation à priori, le juge ne pouvant bien entendu pas substituer sa propre appréciation, en tenant compte, éventuellement, d’événements à postériori. Deux principes doivent être pris en compte par le Tribunal ; d’une part, l’erreur humaine est possible et d’autre part, les faits doivent être remis dans leur chronologie exacte (Mons, 6 février 1979, R.P.S. , 1979, p. 75 avec note de Monsieur Coppens). Il apparaît ainsi que le pouvoir d’appréciation du magistrat n’est pas absolu, qu’il se fait à la marge et qu’il ne condamnera que si le comportement est manifestement injustifié (J. Ronse, « Marginale toetsing in het privaatrecht », T.P.R., 1977, p. 207 et Cassation, 13 avril 1989, R.C.J.B. , 1991, p. 237). Ce sont cette doctrine et cette jurisprudence que rappelle le Tribunal de Commerce de Bruxelles (Commerce Bruxelles, 29 mars 1995, V. & F., 1998, p. 282 à 285). « Le juge ne peut apprécier la légitimité de la manière de faire de ces personnes suivant sa propre vision, mais peut seulement l’apprécier de manière prudente. Il doit respecter la liberté d’action si celle-ci est maintenue dans la marge dans laquelle des personnes raisonnables peuvent exprimer une opinion différente » (Traduction libre). En d’autres termes, toute erreur n’est pas nécessairement une faute, l’erreur ne deviendra fautive que pour autant qu’elle ait un caractère accentué et déraisonnable. 2.3. Exemples de fautes de gestion : Les erreurs de gestion que l’on relève dans la jurisprudence (Revue de jurisprudence sur le droit des sociétés dans Tijdschrift voor privaatrecht ; T.P.R. ,1986 (jurisprudence de 1978 à 29 1985), p. 859 à 1023 et 231 à 1459 ; T.P.R., 1993 (jurisprudence de 1986 à 1991), p. 933 à 1197) ; T.P.R., 2000, (jurisprudence de 1992 à 1998), p. 99 à 538) sont : A. accepter une traite pour le compte de la société en sachant que les marchandises ne sont pas conformes à la commande et qu’elles ont été renvoyées à l’expéditeur (Commerce Courtrai, 29 juin 1984, R.P.S., 1985, p. 309) ; B. la poursuite d’une exploitation manifestement déficitaire et sans espoir (Liège, 1 er décembre 1969, R.P.S., 1971, p. 280 et Commerce Charleroi, 12 octobre 1976, R.P.S., 1976, p. 143) ; C. le recours à un mode de financement trop onéreux (Commerce Charleroi, 12 octobre 1976, R.P.S., 1976, p. 143) ; D. le défaut de surveillance du délégué à la gestion journalière (Commerce Termonde, 6 décembre 1999, T.R.V., 2000, p. 40 et note) ; E. le défaut d’inscription d’une créance à l’égard d’un administrateur sur le comptecourant de la société (Gand, 25 juin 1999, V & F, 2000, p. 230) ; Et dans la doctrine (notamment responsabilité civile des administrateurs face aux modifications de la loi sur le Corporate Governance ; Eric Pottier et Arnaud Coibion in Séminaire Vanham & Vanham : Questions de responsabilité civile et pénale des dirigeants d’entreprises et de leurs conseillers, 13 février 2003) ; A. B. C. D. E. F. G. le fait d’avoir commis des erreurs dans le calcul des devis ; le fait de consentir à un tiers des avantages sans contrepartie ; le fait d’engager des dépenses publicitaires excessives ; l’absentéisme systématique aux réunions du conseil d’administration ; une mauvaise utilisation des fonds sociaux ; un manque d’information à l’assemblée générale ; une violation de l’intérêt social. 2.4. Fautes individuelles et fautes communes des administrateurs : En application de la théorie de l’organe et surtout, du principe de collégialité, rarement la faute sera clairement imputable à un seul administrateur. Se posera alors la question de la faute commune. L’arrêt de Cassation du 15 février 1974 (Op. cit.), précise à cet égard : « Attendu que pour pouvoir justifier, en matière contractuelle, une condamnation à réparer la totalité du dommage, il n’est pas requis que les fautes distinctes, commises par chacune des parties mises en cause, constituent la violation d’une obligation résultant d’un même engagement contractuel ; Attendu qu’une faute commune c’est-à-dire une faute par laquelle plusieurs personnes ont contribué sciemment à produire le fait dommageable, donne naissance à une responsabilité solidaire, mais n’est pas requise pour pouvoir justifier une condamnation de plusieurs personnes à réparer la totalité du dommage ; 30 Qu’il n’est pas davantage requis que soit constatée l’impossibilité de déterminer la mesure dans laquelle la faute de chacune des parties mises en cause a contribué au dommage ». Ainsi, si le dommage subi par la société est le résultat d’une faute qui est commune à plusieurs ou à tous les administrateurs, qu’il se révèle ainsi imputable en totalité à plusieurs ou à tous les administrateurs, et qu’il est impossible à déterminer dans quelle mesure chacun y a participé, le juge pourra condamner tous les administrateurs, ou certains d’entre eux in solidum pour le tout (Cassation, 24 juin 1955, R.P.S., 1956, p. 89). Cela implique que le principe de collégialité déposé dans l’article 518 § 1 du Code des sociétés primera ici, dans le cas d’une faute commune sur l’article 1995 du Code civil qui indique : « Quand il y a plusieurs fondés de pouvoir ou mandataires établis par le même acte, il n’y a de solidarité entre eux qu’autant qu’elle est exprimée ». En d’autres termes, il peut être admis que l’article 518 § 1 organise la solidarité visée cidessus. Par ailleurs, il y a lieu de distinguer la faute commune des fautes concurrentes c’est-à-dire des fautes différentes commises par plusieurs administrateurs mais qui ont toutes contribué à créer le préjudice, de sorte que sans l’une de ces fautes, le dommage ne se serait pas produit (Henri Olivier, Vademecum de l’administrateur de société anonyme, édition 1996, p. 299). Dans ce cas, le juge peut retenir une responsabilité in solidum mais, il faut démontrer que chaque faute a contribué à provoquer la totalité du dommage (P. Van Ommeslaghe, R.C.J.B., 1981, p. 391). 2.5. Mandat à titre gratuit et/ou onéreux : En application de l’article 1992 alinéa 2, la responsabilité d’un mandataire, ici l’administrateur, devrait être moins rigoureusement appréciée dans le cas d’un mandat gratuit. Cependant, dans l’analyse de la jurisprudence, il ressort que les auteurs s’accordent pour reconnaître une importance limitée à cette disposition ce qui est parfaitement compréhensible eu égard au fait que l’acceptation d’un mandat d’administrateur comme discuté ci-dessus, ne peut se faire à la légère et que par ailleurs, comme nous le verrons cidessous, la protection des tiers doit également être assurée. 31 3. La violation des règles du Code des sociétés : 3.1. Les dispositions pénales du Code des sociétés : 3.1.1. Les dispositions pénales communes à toutes les sociétés : Les articles 126 à 129 du Code des sociétés instaurent un certain nombre de dispositions pénales. L’article 126 instaure comme infractions : A. via un renvoi à l’article 92 § 1 alinéa 2, l’absence d’approbation des comptes annuels dans les 6 mois de la clôture de l’exercice ; B. les dispositions visant les administrateurs qui, sciemment, contreviennent aux dispositions de l’approbation des comptes dans le délai de 6 mois ainsi qu’au respect des A.R. d’exécution visés par les articles 122 et 123 du Code des sociétés ; C. l’irrespect sciemment organisé des articles 108 à 121 réglant les comptes consolidés, le rapport de gestion et les formalités de publicité. L’article 126 § 2 rend les sociétés civilement responsables des condamnations mises à charge des administrateurs. L’article 127 quant à lui établit l’infraction spécifique de faux dans les comptes annuels, soit par fausse signature, soit par contrefaçon ou altération d’écritures ou de signature, soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharge ou par leur insertion après coup dans les comptes annuels ou encore, par addition ou altération de clauses, de déclarations ou des fait que ces actes ont pour objet de recevoir et de constater. Le même article crée une disposition particulière pour l’usage des faux ci-dessus. L’article 128 instaure une infraction à charge des administrateurs ainsi que des personnes chargées de la gestion d’un établissement en Belgique, qui contreviendrait aux articles 81 à 85 qui régissent les sociétés étrangères disposant en Belgique, d’une succursale notamment pour leurs formalités de publicité. Ce même article crée également une infraction pénale relative à : A. l’article 95 qui vise l’établissement d’un rapport de gestion lors de la remise des comptes annuels à l’assemblée générale ; B. l’article 96 qui vise le contenu du même rapport ; C. l’obligation créée par l’article 98 du dépôt dans les 30 jours de l’approbation des comptes auprès de la BNB ; D. le dépôt concomitant avec les comptes annuels, des documents requis par l’article 100 du Code des sociétés. 32 Enfin, l’article 129 du Code des sociétés crée, en application de l’article 106 du même Code, une infraction spécifique sur la diffusion d’informations, mais cet article ne vise pas spécifiquement les administrateurs et est dès lors cité pour mémoire. 3.1.2. Les dispositions pénales relatives aux comptes annuels et consolidés : L’article 170 instaure une infraction à charge des administrateurs qui contreviennent à l’article 134 c‘est-à-dire aux dispositions régissant les rémunérations (directes ou indirectes) allouées aux commissaires. Le même article érige également en infraction le refus d’informer ou la fourniture de renseignements inexacts. Cette disposition vise toutes les personnes au sein de l’entreprise et donc également, les administrateurs. L’article 171 est la disposition générale visant les administrateurs qui contreviendraient aux dispositions relatives au contrôle des comptes annuels et consolidés. 3.1.3. Dispositions relatives à la liquidation de la société : L’article 196 érige en infraction spécifique pour les administrateurs, le fait de ne pa s présenter le rapport ad hoc nécessaire en vue du vote par l’assemblée générale de la liquidation de la société. 3.1.4. Dispositions pénales relatives aux sociétés anonymes : Les articles 647 à 653 du Code des sociétés définissent, pour les sociétés a nonymes, un certain nombre de dispositions pénales. Il est évident que si le législateur a considéré que les articles du Code des sociétés visés par ces dispositions pénales pouvaient donner lieu à des poursuites devant les Tribunaux correctionnels, l’irrespect de ces dispositions par les administrateurs peut donner naissance à une responsabilité civile à l’égard de la société. A cet égard, l’article 528 indique : « Les administrateurs sont solidairement responsables, soit envers la société (…) de tous dommages et intérêts résultant de l’infraction (…) ». Les présentes notes n’analyseront pas ces dispositions du point de vue strict du droit pénal, mais uniquement du point de vue du droit civil dans le cadre contractuel du mandat d’administrateur. L’article 647 établit les infractions suivantes : 33 1. les administrateurs et les commissaires qui auront négligé de convoquer l’assemblée générale des actionnaires ou des obligataires dans les 3 semaines de la réquisition qui leur en aura été faite ; 2. les administrateurs qui n’auront pas soumis à l’AG les acquisitions visées à l’article 447 étant l’acquisition dans les 2 ans de la constitution de la société, d’un bien appartenant à un des constituants de la société ou en cas de constitution par souscription publique, d’un administrateur ou d’un actionnaire ; 3. ceux qui n’auront pas établi les énonciations requises par les articles : a. 451 (constitution de la société au moyen de souscriptions) b. 453 (disposition garantissant la publicité des mentions obligatoires mentionnées à l’article) c. 588 (les mentions relatives à l’augmentation de capital) d. 589 (les mentions relatives à une augmentation de capital qui n’est pas réalisée concomitamment à la décision d’augmenter le capital) e. 590 (lorsque le capital est augmenté au moyen de souscriptions publiques, l’acte constatant la réalisation de l’augmentation du capital doit répondre au prescrit de l’article) 4. l’absence de production de rapports visés aux articles a. 444 (apport en nature) b. 447 (rapport en cas de quasi-apport) c. 582 (rapport en cas d’augmentation de capital avec émission d’actions sous le pair comptable) d. 602 (augmentation de capital en nature). L’article 648 établit les infractions suivantes : 1. les administrateurs qui en l’absence d’inventaire ou de comptes annuels, malgré les inventaires ou les comptes annuels, au moyen d’inventaires ou de comptes annuels frauduleux ont distribué des dividendes en contravention avec l’article 617 qui prévoit que l’actif net pourrait être réduit, de par la distribution, à un montant en-dessous du capital libéré ou si ce montant est supérieur, du capital appelé, augmenté de toutes les réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer ; 2. l’article 618 qui autorise l’attribution d’un acompte sur le dividende futur ; 3. les administrateurs ou commissaires qui ont contrevenu aux articles 620 à 623 étant les dispositions visant l’acquisition de titres propres par la société elle-même ; 4. l’article 438 alinéas 1 à 3 définissant le statut de société ayant fait appel à l’épargne publique ; 5. tous ceux qui, comme administrateurs ou commissaires, ont fait, par un usage quelconque aux frais de la société, des versements sur les actions ou admis comme ayant fait des versements qui ne se sont pas effectués réellement de la manière et aux époques prescrites ; 6. l’article 442 sur la souscription par la société de l’émission d’actions nouvelles, parts ou certificats ; 7. qui vise les dispositions de l’article 629 du Code des sociétés sur le financement par une société anonyme de l’acquisition de ses titres par un tiers. L’article 649 ne vise pas exclusivement les administrateurs mais ceux qui ont provoqué soit des souscriptions ou des versements, soit des achats d’actions, d’obligations ou d’autres titres de sociétés : 34 1. par simulation de souscriptions ou de versements à une société 2. par la publication de souscriptions ou de versements qu’ils savent ne pas exister 3. par la publication de nom de personnes désignés comme étant ou devant être attachées à la société à un titre quelconque alors qu’ils savent ces désign ations contraires à la vérité ; 4. par la publication de tout autre fait qu’ils savent être faux. Quant à l’article 650, il vise les administrateurs ayant donné, frauduleusement, des indications inexactes sur l’état des obligations en circulation tel que défini à l’article 573. Quant à l’article 651, il ne vise pas expressément les administrateurs. L’article 652 vise les administrateurs qui : 1. dans une société ayant fait appel à l’épargne publique, créent des obligations convertibles sans avoir transmis à la Commission bancaire et financière, le rapport visé par l’article 583 alinéa 3 et/ou 5 ; 2. ceux (donc aussi les administrateurs) qui transmettent sciemment à la Commission bancaire et financière des renseignements inexacts ou incomplets dans le dossier visé à l’article 583 alinéa 3. L’article 653 ne vise pas spécifiquement les administrateurs mais ceux qui reçoivent ou qui se font promettre une commission ou tentent d’obtenir une rémunération ou un avantage quelconque à l’occasion de l’admission à la cote de la Bourse. Il est évident que dans le cadre des violations décrites ci-dessus, la responsabilité des administrateurs peut être engagée par la société mais éventuellement, également par des tiers et par le Parquet. Le fondement de l’action se trouve alors dans le délit ou le quasi-délit commis par l’administrateur. Dès que la violation de la loi est établie, la faute existe. 3.1.5. Dispositions du Code pénal : On rappellera à toutes fins utiles, l’existence des infractions de droit commun : faux, escroquerie, abus de confiance, etc.. reprises dans le Code pénal. Enfin, de manière plus spécifique, il faut bien entendu se référer également à l’article 422 bis du Code pénal consistant pour les administrateurs, à faire, frauduleusement et à des fins personnelles, un usage préjudiciable des biens ou du crédit de la société. 3.1.6. Dispositions relatives à la fraude fiscale et au blanchiment : 35 La loi du 4 septembre 2002 a introduit aux articles 265, 409 et 530 une présomption de faute grave, à charge, notamment des administrateurs, en cas de fraude fiscale grave organisée et d’infraction à l’article 3 § 2 de la loi du 11 janvier 1993 sur l’utilisation du système bancaire pour le blanchiment d’argent. 3.2. Les dispositions civiles du Code des sociétés : A. Règle générale : Outre l’article 527, déjà cité, plus particulièrement en ce qui concerne le point traité dans le présent chapitre, l’article 528 dispose en son alinéa 1 : « Les administrateurs sont solidairement responsables, soit envers la société, soit envers les tiers, de tous dommages et intérêts résultant d’infractions ou dispositions du présent Code ou des statuts sociaux (…) ». Il s’agit là de la règle générale. Il faut également rappeler ici la règle de l’article 528 in fine qui permet à un administrateur de se décharger de sa responsabilité dans certains cas (voir supra : la collégialité). B. Dispositions particulières : B.1. L’article 65 - solidarité: L’article 65 impose une solidarité entre les administrateurs et la société, lorsque, en cours de vie, la société change sa dénomination sociale et que celle-ci viendrait à être identique ou ressemblante, au point de pouvoir induire en erreur, tout intéressé commerçant avec la société. En application de l’article 65 § 2, la société et les administrateurs sont donc tenus solidairement à l’égard des tiers mais cela implique, bien entendu, qu’en application des règles générales sur la solidarité, un éventuel recours récursoire de la société à l’égard de ses administrateurs est possible ou, en d’autres termes, pour ce cas spécifique, le mauvais choix du nom, de la dénomination sociale ou de l’enseigne pourrait être une responsabilité spécifique des administrateurs. B.2. L’article 80 - respect des indications dans les actes visés par le C.S. : L’article 80 vise toute personne qui intervient pour une société, notamment dans un acte visé par l’article 78 (identification des factures, annonce, publication, lettre, note de commande et autres documents etc…). 36 Cette personne pourra être déclarée personnellement responsable des engagements qui sont pris par la société si les mentions obligatoires ne figurent pas sur les documents utilisés pour la relation commerciale de la société. L’article 80 établit un principe général tempéré par le texte qui prévoit : « (…) suivant les circonstances (…) » B.3. L’article 92 - présentation des comptes annuels : L’article 92 du C.S. établit : « § 1. Chaque année, les gérants ou les administrateurs dressent un inventaire suivant les critères d’évaluation fixés par le Roi et établissent les comptes annuels dont la forme et le contenu sont déterminés par le Roi. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte des résultats ainsi que l’annexe et forment un tout. Les comptes annuels doivent être soumis à l’approbation de l’assemblée générale dans les 6 mois de la clôture de l’exercice. Si les comptes n’ont pas été soumis à l’assemblée générale dans ce délai, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission ». Cet article établit : E. qu’il appartient aux administrateurs de dresser l’inventaire et les comptes annuels ; F. qu’il leur appartient de faire approuver, dans le délai de 6 mois, ces comptes par l’assemblée générale ; G. qu’une présomption de faute est établie si ces comptes n’ont pas été établis dans le délai légal. Il est évident que ces dispositions tendent à protéger les tiers mais si la société est mise en cause, la même disposition donnera un fondement contractuel à la mise en cause personnelle des administrateurs. Cette obligation de présenter des comptes, rédigée avec correction, en application des lois comptables, s’étend particulièrement loin, l’administrateur ne pouvant, à cet égard, pas aisément se retrancher d’autres intervenants tels que des experts comptables ou des réviseurs d’entreprises. Ainsi, la Cour d’Appel de Bruxelles a décidé le 21 novembre 2002 (J.L.M.B., 2003, p. 1271 et sv.) : « La circonstance que des experts comptables et réviseurs ont éventuellement commis une faute et considéré que les comptes étaient correctement présentés, ne constitue pas une cause étrangère libératoire (…) ». Cet arrêt est très certainement à marquer d’une pierre blanche car il précise très exactement la portée de l’obligation des administrateurs de rédiger en vue de leur approbation par l’assemblée générale, des comptes annuels corrects. 37 A cet égard, il faut rappeler que les comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultats ainsi que l’annexe et forment un tout (article 92 C.S.). Par contre, il serait erroné pour les réviseurs d’entreprises et experts comptables, d’analyser l’arrêt ci-dessus comme étant une exemption à leur responsabilité. A cet égard, il est intéressant de rappeler l’arrêt de la Cour d’Appel de Bruxelles du 28 octobre 2003 (inédit) qui condamne une société de réviseur d’entreprises à garantir leurs clients des condamnations mises à leur charge pour une mauvaise application, suite à leurs conseils, de la loi fiscale et d’une présentation, dès lors erronée, des comptes a nnuels. B.4. L’article 98 – dépôt des comptes annuels : L’article 98 stipule que ces comptes sont déposés par les administrateurs et à défaut de le faire dans les 30 jours de leur approbation, tel que défini par la loi, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission. Cet article met expressément à charge des administrateurs, une obligation et une présomption, il est vrai réfragable, de responsabilité pour la société, c’est-à-dire dans la relation entre l’administrateur et la société, la possibilité d’une action récursoire. B.5. L’article 138 – découverte de faits graves et concordants : Cet article impose à l’organe de gestion, donc aux administrateurs, de délibérer et de prendre les mesures qui s’imposent pour assurer la continuité de l’entreprise lorsque les commissaires constatent au cours de leur contrôle, des faits graves et concordants susceptibles de compromettre la continuité de l’entreprise. Si l’organe de gestion n’a pas pris les mesures adéquates, selon les vœux du commissaire, dans le mois, ceux-ci peuvent communiquer leurs constatations au Président du Tribunal de Commerce. Il s’agit d’une disposition spécifique qui oblige les administrateurs à délibérer dans un cas précis et l’abstention pourrait entraîner très clairement une responsabilité commune. S’il n’existe pas de commissaire, la même obligation existe à charge de l’organe de gestion dès qu’il a connaissance de faits graves et concordants qui sont susceptibles de compromettre la continuité de l’entreprise. B.6. L’article 181 – responsabilité de l’organe de gestion en cas de liquidation : La proposition de liquidation doit être présentée dans un rapport justificatif établi par le conseil d’administration et annoncé dans l’ordre du jour de l’assemblée générale appelée à statuer. 38 Il s’agit d’une obligation spécifique du conseil d’administration qui est sanctionnée par l’article 181 § 3 qui précise que la décision de l’assemblée générale prise en l’absence, notamment de ce rapport, est frappée de nullité. L’article 196 érige par ailleurs l’obligation de présenter ce rapport en infraction pénale. B.7. L’article 458 – surévaluation : L’article 458 précise que les administrateurs sont tenus solidairement envers les intéressés, malgré toute stipulation contraire, de la réparation du préjudice qui est une suite immédiate et directe de la surévaluation manifeste du bien acquis dans les conditions énoncées à l’article 445 c’est-à-dire : « Tout bien appartenant à une personne qui a signé ou au nom de qui a été signé l’acte constitutif ou, en cas de constitution par souscription publique, le projet d’acte constitutif à un administrateur ou à un actionnaire, que la société se propose d’acquérir dans un délai de 2 ans à compter de sa constitution, le cas échéant, en application de l’article 60, pour une contre-valeur au moins égale à 1/10ème du capital souscrit, fait l’objet d’un rapport établi soit par le commissaire, soit pour la société qui n’en a pas, un réviseur d’entreprise désigné par le conseil d’administration. L’alinéa 1er est applicable à la cession faite par une personne agissant en son nom propre mais pour compte d’une personne visée à l’alinéa 1 er ». Pour rappel, l’article 60 vise la ratification des actes posés pour une société à constituer, laquelle peut, si elle souhaite, ratifier les engagements pris en son nom pendant les 2 années précédant sa constitution. B.8. L’article 523 – opposition d’intérêts : Cet article met expressément à charge d’un administrateur qui a directement ou indirectement un intérêt opposé de nature patrimoniale à une décision ou à une opération relevant du conseil d’administration, une obligation de communiquer cette opposition d’intérêts. L’article 523 § 3 indique que cette obligation, reprise au § 1, n’est pas applicable lorsque les décisions ou les opérations relevant du conseil d’administration, concernent des décisions ou des opérations conclues entre sociétés dont l’une détient directement ou indirectement 95 % au moins des voix attachées à l’ensemble des titres émis par l’autre ou entre sociétés dont 95 % au moins des voix attachées à l’ensemble des titres émis par chacune d’elles sont détenus par une autre société. Le conflit d’intérêts se règle de manière différente si la société est cotée (article 524) ou non (523 § 1 et 2). B.9. L’article 530 – responsabilité aggravée en cas de faillite : 39 - L’article 530 met à charge des administrateurs, une responsabilité particulière si : « En cas de faillite de la société et d’insuffisance de l’actif et s’il est établi qu’une faute grave et caractérisée dans leur chef, a contribué à la faillite, tout administrateur ou ancien administrateur, ainsi que toute autre personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société, peuvent être déclarés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, de tout ou partie des dettes sociales à concurrence de l’insuffisance d’actif ». - On remarquera que la loi du 2 août 2002 n’a pas élargi expressément le champ d’application aux MCD. - L’application de cet article requiert que trois conditions soient réunies : 1. Il faut que la société ait été déclarée en faillite et que l’actif soit insuffisant. L’insuffisance de l’actif en cas de faillite est en règle générale, avérée. L’événement qui permet dès lors de mettre, pratiquement, en cause éventuellement la responsabilité d’un administrateur est la déclaration de faillite ; 2. Il faut une faute grave et caractérisée. La faute sera caractérisée lorsqu’elle présentera un caractère manifeste, évident, flagrant, extrême, indiscutable aux yeux du Tribunal qui, rappelons-le, doit apprécier toutes ses décisions et comportements à la marge et à priori. Ceci étant, la jurisprudence considère que la faute grave et caractérisée est la faute impardonnable qui heurte les normes essentielles de la vie en société (Commerce Charleroi, 8 septembre 1992, R.P.S., 1993, p. 329). Sont ainsi visés l’absence totale de comptabilité, des détournements d’actifs, des dépenses de prestige sans rapport avec l’état de la société, etc… La Cour d’Appel de Liège quant à elle (4 avril 2000, J.L.M.B., 2002, p. 820) considère qu’une faute grave est celle qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société. Elle doit être caractérisée, c’est-à-dire qu’elle doit apparaître nettement l’homme moyen. 3. La faute doit avoir contribué à la faillite. Il s’agit ici d’une application de la règle classique du lien de causalité. Ce sujet sera approfondi ci-dessous dans le cadre des responsabilité particulières. Soulignons toutefois que la Cour d’Appel de Gand dans son arrêt du 31 mars 1994 (R.D.C., 1995, p, ?) précise qu’il suffit qu’une série de fautes caractérisées aient été commises sans lesquelles le dommage n’aurait pas été existé et que ces fautes soient à l’origine du dommage, pour décider de la responsabilité des dirigeants, même si ces fautes ne sont vraisemblablement pas les seules et uniques causes du dommage. 40 B.10. L’article 529 - opérations avec contrariété d’intérêts : L’article 529 qui, d’une part, renvoie au principe général de l’article 528 en ce qui concerne la responsabilité, et d’autre part, renvoie à l’article 523 sur l’organisation des décisions à prendre en cas d’éventuel conflit d’intérêts entre l’administrateur et la société, établit une responsabilité particulière si : « (…) la décision ou l’opération leur a procuré ou a procuré à l’un d’eux, un avantage financier abusif au détriment de la société ». Cette responsabilité sera également approf ondie dans le cadre de la discussion ci-dessous sur les responsabilités particulières. B.11. L’article 610 - Responsabilité en cas de manquement dans la promesse de souscription d’augmentation de capital : L’article 610 met à charge des administrateurs une responsabilité particulière si : 1. Le capital minimum visé à l’article 439 n’est pas souscrit ou si toute autre partie du capital n’est pas valablement souscrite. L’administrateur est alors réputé souscripteur de plein droit. En d’autres termes, si en cas de souscription d’une augmentation de capital, l’administrateur est présent et ne vérifie pas la condition légale de souscription, il sera tenu pour responsable, ce qui semble pouvoir être logiquement accepté. Par ailleurs, il l’est également si la souscription du capital minimum n’est pas réalisée, alors que, par définition, en principe, il n’est pas actionnaire souscripteur au jour de la constitution de la société. A cet égard, il y a lieu de citer l’arrêt de Cassation du 21 juin 2001, en ma tière d’augmentation de capital autorisé (site de la Cour de Cassation, RC 016L3) 2. Les administrateurs sont également tenus jusqu’à concurrence d’un quart de la libération effective des actions souscrites. Cette libération doit se faire dans un délai de 5 ans. Les administrateurs sont également tenus de la libération effective du capital minimum de la société anonyme. 41 3. Ils sont également responsables en cas de souscription par la société de ses propres actions, certificats ou autres titres et ceci, directement ou par une société filiale interposée. 4. Du dommage direct lié à l’absence ou à la fausseté des énonciations prescrites à l’article 590 du Code des sociétés, lequel article 590 indique : « Lorsque le capital est augmenté au moyen de souscriptions publiques, l’acte constatant la réalisation de l’augmentation du capital indique le nombre d’actions nouvelles créées en représentation de l’augmentation du capital et contient le relevé des souscriptions, certifiées par le commissaire. Les souscriptions doivent être faites en double et indiquer : 1° le capital social et le nombre d’actions 2° le versement sur chaque action d’un quart au moins du montant de la souscription ou l’engagement de faire ce versement au plus tard lors de l’augmentation définitive du capital ». L’article 610, 4° termine en visant la surévaluation manifeste des apports en nature livrés comme souscription d’une éventuelle augmentation de capital. B.12. L’article 633 - perte de plus de la moitié du capital social et la réduction du capital endessous du quart du capital social : Ni le texte de l’article 633 ni celui de l’article 634 qui se réfère à la réduction de l’actif net edessous du montant minimum du capital, n’instaurent expressément une responsabilité des administrateurs ou du conseil mais néanmoins, imposent au conseil d’administration de déposer un rapport spécial auprès de l’assemblée générale pour justifier d’une éventuelle continuation d’activité. Il peut s’en déduire, implicitement, que le législateur a vo ulu mettre une responsabilité particulière à charge des administrateurs dans ce type de situation et qu’il leur appartient d’éclairer l’assemblée générale dans les délais prescrits, des possibilités de continuation de l’entreprise et des conditions que celle-ci devra réunir. B.13. L’article 687 - fusion et/ou scission : L’article 687 du C.S. indique : « Les associés de la société dissoute peuvent exercer contre les administrateurs ou gérants de cette société, une action en responsabilité pour obtenir la réparation du préjudice qu’ils auraient subi par suite d’une faute commise lors de la préparation et de la réalisation de la fusion ou de la scission (…) ». 42 B.14. L’article 785 – responsabilité lors d’une transformation : C’est ainsi qu’en dépit de toute clause contraire des statuts ou de l’acte de transformation, les administrateurs sont solidairement tenus envers les actionnaires, les tiers ou la société pour : A. différence éventuelle entre l’actif net de la société après transformation et le capital social minimum requis par le Code pour le type de société choisi ; B. la surévaluation de l’actif net dans l’état de la situation active et passive de la société, état ratifié par l’AG avant la transformation ; C. la réparation du préjudice qui est une suite immédiate et directe soit de la nullité de la transformation dérivant de l’inobservation de certaines dispositions légales, soit de l’absence ou de la fausseté de ces énonciations. Les articles visés pour la société anonyme sont 404, 453, 783. 4. La responsabilité aquilienne sur base de l’article 1382 : Dans le cadre de la relation entre la société et l’administrateur, il peut, sur le plan théorique, être envisagé que la responsabilité des administrateurs et/ou MCD ne soit pas recherchée par la société sur le fondement contractuel que constitue le mandat ou la délégation mais, en application des règles de droit commun, à savoir la responsabilité aquilienne. Dans ce cas, d’une part, les conditions requises pour le concours de responsabilité (voir supra) devront être réunies et, d’autre part, la faute invoquée devra nécessairement constituer une faute indépendante du mandat qui lie les administrateurs et/ou MCD à la société. La jurisprudence récente est muette sur l’identification d’une faute aquilienne indépendante de l’objet du mandat ou de la délégation reçu par l’administrateur. La doctrine cite souvent comme exemple l’introduction de cette action sur base de l’article 1382 après la constatation d’une faute éventuellement couverte par une décharge. L’exemple est peu convaincant. D’une part, la décharge ne porte que sur les faits connus et dès lors, si des faits postérieurs à la décharge peuvent donner lieu à l’introduction d’une action en responsabilité contractuelle, la décharge ne constituera pas un obstacle à l’intentement. D’autre part, si les faits fautifs sont connus et ont donné lieu à décharge, il y a ratification du comportement du mandataire par le mandant et toute action semble dès lors illusoire. 43 Il est vrai que se pose la question de savoir si éventuellement pareille faute aquilienne existait, si l’actionnaire minoritaire qui n’a pas voté la décharge pourrait quant à lui, introduire lui-même l’action en responsabilité. Deux chemins théoriques lui seraient alors ouverts : d’une part, l’action oblique au nom et pour compte de la société en soutenant que la décharge devait être refusée et l’action introduite au nom de la société, mais on imagine les difficultés pratiques d’un tel cheminement théorique. Le second serait de démontrer qu’outre le dommage éventuellement encouru par la société, l’actionnaire minoritaire a un dommage autonome de celui de la société. 5. La décharge : Voir infra. II. La responsabilité de l’administrateur à l’égard des tiers : 1. La faute de gestion : 1.1. Principe général : Celui qui, dans l’exercice d’une tâche qui lui est dévolue contractuellement, commet une faute, engage ou pourrait engager, outre sa responsabilité contractuelle à l’égard de son cocontractant (ici dans le cadre du mandat entre la société et l’administrateur), sa responsabilité à l’égard de tiers. Eventuellement, cette même faute pourrait être génératrice de responsabilité aquilienne à l’égard des tiers au contrat principal (ici le mandat). En d’autres termes, la question se pose de savoir si une faute contractuelle peut être invoquée par des tiers au titre de faute aquilienne susceptible de fonder une responsabilité sur base de l’article 1382 du Code civil. 1.2. Gravité de la faute : L’arrêt de la Cour de Cassation du 22 septembre 1988 (arrêt de Cassation 1988 – 89, p. 91) enseigne, en conformité avec la doctrine et la jurisprudence, que la faute qui, éventuellement pourrait fonder la responsabilité de l’administrateur, peut être légère ou grave. Donc, tout comportement fautif peut générer une responsabilité. 44 1.3 Autonomie de la faute aquilienne et de la faute contractuelle : Les tiers, en application de l’article 1165 du Code civil, ne peuvent se fonder sur une faute contractuelle pour éventuellement mettre en cause la responsabilité d’un des cocontractants, ici, l’administrateur dans le cadre de son mandat avec la société. Cette règle est d’ailleurs rappelée par l’article 61 du Code des sociétés qui dispose que : « Les membres de ses organes ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux engagements de la société ». Dans le cadre précis de la faute de gestion, l’enseignement de la Cour de Cassation et le texte du Code des sociétés crée une sorte d’immunité à l’égard des tiers au bénéfice des administrateurs. Un tiers qui se prétendrait lésé par le contrat conclu avec la société ne pourrait, en règle, rechercher parallèlement la responsabilité contractuelle de l’administrateur lui-même. C’est ce qu’enseigne l’arrêt de la Cour de Cassation du 29 juin 1989 (R.P.S., 1989, p. 175) : la Cour admet qu’une faute aquilienne peut être légalement déduite des circonstances de la cause lorsqu’il apparaît que des administrateurs ont également violé une obligation qui s’impose à tous, en l’espèce, le devoir de prudence, à l’égard des tiers, en exécution de son mandat et que dès lors : « L’imprévoyance des administrateurs (…), leur inertie coupable, leur indifférence envers les devoirs de leur fonction, leur mépris envers les intérêts des créanciers dont ils avaient sollicité la collaboration pour le festival, forment un ensemble de comportements que n’aurait pas adoptés une personne prudente, avisée, soucieuse de tenir compte des éventualités malheureuses qui peuvent résulter, pour autrui, de sa conduite ». Cet arrêt fait suite à un autre du 21 janvier 1988 (Arrêts de Cassation 1987-1988, p. 641) qui indique que lorsqu’une personne manque à une obligation contractuelle envers l’autre, cette faute peut engager sa responsabilité extra-contractuelle envers un tiers si elle constitue aussi un manquement à l’obligation générale de prudence et cause à ce tiers un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat. 1.4. Autonomie des dommages : En application des arrêts de Cassation prérappelés, le tiers qui, éventuellement pourrait établir une faute aquilienne dans le chef d’un administrateur, devra également établir l’existence d’un dommage autre qu’un éventuel dommage contractuel subi suite à une éventuelle faute de gestion de l’administrateur. A cet égard, l’arrêt de la Cour de Cassation du 25 octobre 1990 (Arrêts de cassation, 19901991, p. 237) indique : « Attendu que la circonstance que la violation de l’obligation de prudence qui s’impose à toute personne, constitue aussi un manquement à une obligation contractuelle, n’exclut pas 45 que l’auteur de ce manquement (…) encourt une responsabilité extra -contractuelle pour le dommage ainsi qu’aux tiers avec lesquels il n’a pas été contracté ; que n’étant pas parties au contrat, ceux-ci, de même qu’ils ne pourront invoquer directement la violation d’une obligation contractuelle, ne peuvent se prévaloir directement du dommage résultant de la mauvaise exécution du contrat ». Toute l’ambiguïté ici est de définir clairement de quel « contrat » il s’agit. En effet, la « mauvaise gestion » est une faute dans le contrat qui lie l’administrateur à la société mais le même comportement peut d’une part, générer une faute à l’égard des tiers et d’autre part, un dommage différent, c’est-à-dire non pas le dommage subi par la société, ni non plus le dommage résultant d’un contrat entre la société et le tiers mais bien un dommage autre que celui subi dans le cadre de relations contractuelles entre le tiers et la société. En effet, la réparation d’une éventuelle faute contractuelle est à la charge de la société dans le cadre de la théorie de l’organe, la faute quasi-délictuelle éventuelle d’un administrateur lui est personnelle et doit avoir également généré un dommage propre. Voir également à cet égard l’arrêt cité ci-dessus du 21 janvier 1988 (in fine 1.3). 1.5. Illicéité de la faute de gestion : Des tiers peuvent invoquer la responsabilité personnelle des administrateurs chaque fois que ces derniers, dans le cadre d’une faute de gestion, ont violé une loi pénalement sanctionnée, sauf si ces administrateurs démontrent qu’ils ont commis une erreur invincible (Cassation, 17 décembre 1980 et Cassation, 13 mai 1982, R.C.J.B, 1984, p. 30 et note de R.O. Dalcq). De façon plus générale, les tiers pourront toujours se prévaloir de tout acte illicite. A cet égard, il ne faut pas négliger l’importance de la responsabilité pénale qui peut fonder les recours contre les administrateurs, notamment pour violation des dispositions pénalement sanctionnées en matière fiscale (faux bilan par exemple), social (défaut de paiement de rémunérations), comme l’indique de manière claire l’arrêt de la Cour de Cassation du 1 er février 1993 (Pasicrisie, 1993, I, p. 125). 1.6. Cas particulier de la poursuite des activités déficitaires : Il semble pouvoir être tenu pour acquis que la poursuite d’une activité déficitaire est, d’une part, une situation qui peut entraîner une condamnation pénale de banqueroute et, d’autre part, un comportement peu prudent aussi bien à l’égard de la société qu’à l’égard des tiers qui traitent avec elle. L’article 9 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites impose à tout administrateur de faire aveu de faillite dans le mois de la cessation des paiements et d’ébranlement du crédit. Cette obligation, en cas d’irrespect, entraîne éventuellement la condamnation à une banqueroute simple ou frauduleuse. 46 Dès lors, le cumul de l’obligation civile et pénale, dans le droit fil des principes tracés cidessus, pouvait entraîner une responsabilité des administrateurs à l’égard des tiers car la faute de gestion était avérée de par le dépôt tardif de l’aveu de faillite et en plus, sanctionnée pénalement. En conséquence, certaines décisions reprenaient ipso facto la responsabilité des administrateurs si une activité déficitaire avait été poursuivie alors que la société était en état de cessation de paiement. La Cour de Cassation a dès lors rendu deux arrêts le 18 mai 1990 et le 7 septembre 1990, il est vrai, avant la loi de 1997 sur les faillites mais dont l’enseignement peut être repris (Arrêts de Cassation 1989-1990, p. 1196 et T.R.V., 1991, p. 86). Le premier arrêt indique que le Juge qui considère qu’il n’est pas établi qu’un administrateur de société avait ou devait avoir conscience, au moment d’un achat de marchandises, que cette société avait cessé ses paiements et que son crédit était ébranlé, décide légalement que cet administrateur n’est pas personnellement responsable du préjudice causé au vendeur par le défaut de paiement des marchandises achetées. Le deuxième arrêt indique : « Attendu que, pour le surplus, il ressort de l’arrêt que la demanderesse considère comme étant une faute dans le chef des administrateurs de la société en faillite, le fait de n’avoir pas fait l’aveu de la cessation des paiements prescrits, dans le délai prévu à l’article 440 de la loi sur les faillites, banqueroutes et sursis ; Attendu que les administrateurs d’une société peuvent être déclarés pénalement et civilement responsables s’ils n’ont pas, dans le délai prescrit, fait l’aveu prévu à l’article 440 de la loi sur les faillites, banqueroutes et sursis ; Qu’à cette fin, il doit être prouvé que l’omission de faire l’aveu leur est imputable ; Que cette preuve ne ressort pas du simple fait qu’ils n’ont pas fait l’aveu de la cessation des paiements dans les 3 jours suivant l’époque à laquelle, suivant le jugement du Tribunal de Commerce déterminant cette époque, la société en faillite a cessé ses paiements ; Qu’en décidant en fait, par les motifs reproduits dans le moyen que la demanderesse n’apporte pas la preuve que les administrateurs de la société en faillite pouvaient et devaient avoir constaté que la société était en état de faillite, l’arrêt justifie légalement la décision de débouter la demanderesse de sa demande (…) ». Il ne saurait mieux être écrit que la simple constatation de l’existence d’une infraction pénale entraîne, nécessairement et irrévocablement, la responsabilité de l’administrateur puisque, il semble bien que même si d’un point de vue de la « technique pénale », l’infraction est établie, encore faudrait-il, même si la législation pénale ne requiert pas un dol particulier, apporter la preuve que l’administrateur de la société, dont la responsabilité est mise en cause, savait ou devait savoir, au moment où il contractait ou prenait les décisions éventuellement fautives, qu’il commettait sciemment une infraction. Dans le même sens, voir arrêt de Cassation du 22 septembre 1988 (Arrêts de cassation, 1988-1989, p. 91). 47 1.7. Conclusion : La question de savoir si un administrateur, dans le cadre d’ une faute civile de gestion, encourt réellement une responsabilité à l’égard des tiers, peut être posée si on cumule les conditions des arrêts de la Cour de Cassation du 7 septembre 1990 et du 7 novembre 1997. Les conditions mises à la constatation d’une éventuelle faute semblent, dans la rigueur de l’enseignement de la Cour de Cassation, rendre le recours d’un tiers quasiment illusoire. 2. La décharge : L’article 554 du Code des sociétés indique : « (…) Après l’approbation des comptes annuels, l’assemblée générale se prononce par un vote spécial sur la décharge des administrateurs et des commissaires. Cette décharge n’est valable que si les comptes annuels ne contiennent ni omission, ni indication fausse dissimulant la situation réelle de la société et, quant aux actes faits en-dehors des statuts ou en contravention du présent Code, que s’ils ont été spécialement indiqués dans la convocation ». Les comptes ne peuvent dès lors contenir ni omission, ni indication fausse. Il va de soi qu’un administrateur n’est pas susceptible d’établir un bilan en fournissant des informations fausses à l’assemblée générale mais, le terme « omission » vise quant à lui une situation qui pourrait naître d’un manquement non intentionnel et qui affecterait la situation réelle de la société. On imagine aisément les possibilités « d’omission » qu’un administrateur pourrait commettre dans la gestion d’entreprises particulièrement grandes et importantes. Sa responsabilité est dans ce domaine particulièrement grande. Etonnamment, la jurisprudence est pourtant fort silencieuse sur ce sujet (rappelons néanmoins l’arrêt de la Cour d’Appel de Bruxelles du 21 novembre 2002, J.L.M.B., p. 271 et sv.). Par ailleurs, il faut également se référer à l’arrêt du 12 février 1981 (Arr êts de cassation 1981, p. 662) qui permet au Juge du fond d’apprécier, en fait, si oui ou non, en fonction des circonstances, l’assemblée générale a pu être ou non trompée par les rapports des administrateurs et, en l’espèce, également des réviseurs d’entreprises. L’actuel article 554 ne peut dès lors être compris comme une responsabilité objective mais, si faute il y a, elle doit être appréciée dans son contexte. Soulignons la deuxième partie de la disposition de l’article 554 qui permet à des administrateurs ayant agi en-dehors des statuts, de régulariser la situation par leur dénonciation et approbation par l’assemblée générale. 48 La question essentielle qui se pose dans le cadre du présent chapitre est de savoir si la décharge votée par l’assemblée générale peut être opposée aux tiers. La décharge est, dans le cadre du mandat d’administrateur, soumise à la ratification de la reddition des comptes du mandataire. La décharge n’est dès lors pas opposable aux tiers (Commerce Bruxelles, 10 septembre 1985, R.D.C., 1985, p. 523). III. Responsabilité des détenteurs de délégations particulière : 1. A l’égard de la société : 1.1. Les délégations générales et particulières: La spécificité ici est que la délégation s’attache à une tâche ou à une mission déterminée. La première question qui se posera est de savoir s’il y a mandat ou contrat de prestation de services. Seule la première est envisagée ici. La deuxième question qui se posera en l’espèce sera de savoir s’il s’agit d’une obligation de résultat ou de moyen. Ensuite, il y aura lieu d’analyser le statut du délégué : a. s’il s’agit d’un préposé, l’article 18 de la loi sur le contrat de travail empêchera qu’il soit responsable des conséquences préjudiciables d’un acte fautif, sauf le cas de la faute intentionnelle, de sa faute lourde, voire d’une faute légère mais répétée et habituelle dans son chef ; b. s’il s’agit d’un administrateur ayant reçu une délégation particulière, il faudra analyser si ce sont les règles contractuelles du mandat qui s’appliqueront ou celles de la prestation de services, en fonction de l’objet de la délégation ; c. s’il s’agit d’un administrateur préposé, il faudra examiner si l’acte fautif tombe ou non dans le champ d’application du contrat de préposé ou s’il relève de la compétence de l’administrateur. Pour le surplus, les règles examinées ci-dessus s’appliquent. 49 1.2. Le délégué à la gestion journalière : A. Le délégué à la gestion journalière non administrateur : Il est vraisemblable que sa responsabilité devra être analysée soit dans le cadre d’une convention de prestation de services, soit, comme nous l’avons vu supra, s’il s’agit d’un préposé, les règles du contrat de travail s’appliqueront et plus particulièrement, celles de l’article 18 rappelées supra. B. Le délégué à la gestion journalière administrateur : Si la faute reprochée fait partie des attributions de l’administrateur, les règles générales sur la responsabilité des administrateurs s’appliqueront. Mais qu’en est-il, sur le plan théorique, si la faute reprochée relève exclusivement de la délégation à la gestion journalière, telle que définie par la Cour de Cassation ou à la délégation à la gestion journalière, telle que définie par un mandat particulier donné par le conseil d’administration. En application de ce qui a été exposé ci-dessus dans le cadre de la théorie de l’organe, il peut déjà être acquis que l’administrateur délégué à la gestion journalière répondra de sa faute à l’égard de la société et non pas particulièrement à l’égard du conseil d’administration. S’agissant d’un pouvoir général de gestion, sans détermination précise des résultats à acquérir, il peut être accepté que pèse sur les épaules du délégué à la gestion journalière, une obligation de moyen. C’est dans ce cadre qu’il faut analyser l’article 527 qui indique : « Les administrateurs, les membres du comité de direction et les délégués à la gestion journalière sont responsables, conformément au droit commun, de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu et des fautes commises dans leur gestion ». Encore faut-il qu’il y ait mandat et non pas prestation de services. A cet égard, les pouvoirs détenus par le délégué à la gestion journalière devront être analysés au cas par cas. 1.3. Membre du comité de direction : Nous renvoyons à cet égard à ce qui a été exposé supra quant au comité de direction. Le texte de l’article 527 ci-dessus a été modifié par la loi du 2 août 2002 pour inclure dans celui-ci, les membres du comité de direction. 50 Mais cette modification ne semble pas pouvoir inclure tous les cas de figure juridiques possibles. En tout état de cause, en application de l’article 524 bis, le comité de direction reçoit une délégation du conseil d’administration. Il y a donc un contrat particulier. Ce contrat est donné à un « comité ». Se poseront dès lors la question de la collégialité de ce comité et le problème des fautes concurrentes et communes, tels qu’abordés déjà ci-dessus. L’objet de la délégation ne peut être les prérogatives générales du conseil d’administration mais peut, par contre, éventuellement, inclure la gestion journalière. La définition de l’objet de la délégation sera donc particulièrement importante. Les membres du comité de direction peuvent être administrateurs ou non. Ces membres pourraient être une personne morale. Si un membre du comité de direction n’est pas une personne morale, n’est pas administrateur de la société, elle devra, plus que vraisemblablement, être nécessairement dans les liens d’un contrat de travail puisque le comité de direction sera, semble-t-il nécessairement, subordonné au conseil d’administration. Dès lors, l’article 18 de la loi sur le contrat de travail trouvera certainement à s’appliquer. Il pourrait dès lors y avoir, au sein de la « collégialité » du C.D., des responsabilités différentes en fonction de ce que le membre sera ou non, administrateur, même éventuellement, en cas de faute commune ou concurrente. Le débat à cet égard méritera d’être suivi. 2. A l’égard des tiers : 2.1. Délégations générales et particulières : A nouveau, comme au point 1.1 ci-dessus, il faudra faire la distinction en fonction du statut du délégué, administrateur, administrateur/employé, employé. Ensuite, il faudra faire l’analyse de savoir si, en l’espèce, le délégué agit dans le cadre d’un mandat ou d’un contrat de prestation de services. Dans le cadre du mandat, les principes généraux rappelés au point 2.1. (responsabilité de l’administrateur à l’égard des tiers), s’appliqueront également ici, à savoir qu’il faudra également déterminer quelles sont les fautes et dommages autonomes qui éventuellement justifieront l’action d’un tiers. 51 2.2. Le délégué à la gestion journalière : Pour ce point, il est renvoyé supra. 2.3. Membre du comité de direction : Si le MCD est un employé, les règles de l’article 18 prérappelé s’appliqueront. S’il est administrateur, les règles ci-dessus en matière de responsabilité des administrateurs trouveront également à s’appliquer. S’il y a cumul d’un mandat d’administrateur et d’un contrat d’emploi, après que la faute aura été attribuée au champ d’application d’un des deux contrats, les règles de responsabilité cidessus trouveront également à s’appliquer mutadis mutandis. 52 III. LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE DES ADMINISTRATEURS 1. Introduction : En application de l’article 19 du Code judiciaire, toute personne introduisant une action en responsabilité devra démontrer son intérêt propre à agir avant même de démontrer l’existence d’une éventuelle faute, son dommage et le lien de causalité nécessaire. C’est ainsi que les divers détenteurs d’une action ne pourront agir que pour leur intérêt propre dans le cadre strict défini supra. 2. Les détenteurs d’une action en responsabilité : 2.1. Les actionnaires : 1. Les actionnaires peuvent agir pour la protection de leur intérêt propre qui, théoriquement, est distinct de celui de la société. Sur le plan strictement théorique, il peut être envisagé que les actionnaires agissent concomitamment à la société ou séparément de celle-ci. L’intérêt de la société n’est effectivement pas nécessairement identique à celui de ses actionnaires. Il se peut également que la société ne soit éventuellement plus en état d’agir ou ne le souhaite pas par la voie de ses organes, comme, par exemple, en cas de faillite. L’intérêt à agir des actionnaires pourrait être, par exemple, celui de récupérer le capital investi en cas de faillite après une faute grave caractérisée où l’action en comblement ne viserait qu’à indemniser les créanciers de la société et à nécessairement l e dommage subi par les actionnaires. 53 2. Outre l’action des actionnaires dans leur globalité, les actionnaires majoritaires peuvent également agir dans le cadre du point 1 ci-dessus mais peuvent, bien évidemment, enjoindre dans le cadre de l’assemblée générale, la société à poursuivre une action contre ses administrateurs. Cependant, il faudra toujours faire la distinction entre l’action au profit de la société et celle au profit des actionnaires. Dans ce dernier cas, les actionnaires devront, même majoritaires, agir mutu proprio et se retrouveront, malgré un dommage éventuellement spécifique, dans une situation similaire à celle de tous les tiers agissant contre les administrateurs. 3. Une action en responsabilité peut éventuellement être intentée par les actionnaires minoritaires. Ici aussi, il faudra faire la distinction entre une action menée dans l’intérêt propre des actionnaires et une action menée, à l’initiative d’actionnaires minoritaires, dans l’intérêt de la société. L’article 562 vise cette dernière hypothèse : « Une action peut être intentée contre les administrateurs, pour le compte de la société par des actionnaires minoritaires (…) ». Cette action est mise à la disposition des actionnaires minoritaires pour autant qu’ils aient au moins 1 % des voix attachées aux titres ayant droit de vote et par ailleurs, cumulativement, pour autant qu’ils n’aient pas voté la décharge ou qu’ils soutiennent que la décharge votée n’a pas été valablement donnée. Il faut souligner que les actionnaires détenant des actions sans droit de vote peuvent également agir, pour faire respecter leurs droits ou ceux de la société dans les hypothèses où la loi leur accorde, en application de l’article 480 du Code des sociétés, le droit de vote sur les matières déterminées audit article. 2.2. La société : La société peut bien entendu décider d’agir, au travers de ses organes compétents, à l’encontre d’un administrateur. L’assemblée générale peut également décider de la nomination d’un mandataire ad hoc pour mener l’action au nom et pour compte de la société. 2.3. Un administrateur : 54 Un administrateur qui n’est pas actionnaire, détenant au moins 1 % du capital et qui est également minoritaire au sein du conseil d’administration peut-il intenter, pour compte de la société, une action civile ? Ce cas de figure n’est pas prévu par le texte de la loi. Il nous semble cependant, théoriquement, possible dans le cadre d’une action oblique et d’une contestation de décharge. La faisabilité pratique semble cependant loin d’être évidente. 2.4. Le comité de direction : Il semble évident que dans la sphère de compétences dévolue au C.D., celui-ci puisse agir pour le bénéfice de la société. Il semble aisément admissible qu’une majorité du C.D. agisse contre un de ses membres irrespectueux de la loi. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’agir contre un administrateur au sein du conseil d’administration ou contre celui-ci dans son entièreté ? Le C.D. détenant une délégation du C.A, il est vraisemblable qu’en cas d’action du C.D. contre un membre du C.A. ou contre l’entièreté de celui-ci, cette délégation serait retirée. Mais quel impact cela aurait-il sur l’action en responsabilité menée ? Il est vrai que le conseil d’administration recouvrerait l’entièreté de ses attributions et pourrait décider d’y mettre fin. 2.5. Le délégué à la gestion journalière : Celui-ci ne pourra agir que pour autant qu’il soit détenteur d’une délégation très largement plus étendue que la définition donnée à la gestion journalière par la Cour de Cassation. 2.6. Les tiers : Les tiers peuvent, éventuellement, en application de l’article 1166 du Code civil, envisager d’agir au nom et pour compte de la société dans le cadre d’une action oblique pour mettre en œuvre la responsabilité des administrateurs à l’égard de la société. Ils peuvent également agir pour leur compte propre, pour autant qu’ils démontrent leur intérêt à agir, une faute autonome de toute autre relation contractuelle avec la société et un dommage autonome qui en découlerait, comme cela a été analysé ci-dessus. 55 2.7. Le cas spécifique de la faillite : La loi du 4 septembre 2002 a introduit un nouvel alinéa 2 à l’article 530 du Code des sociétés : « L’action est recevable de la part tant des curateurs que des créanciers lésés. Le créancier lésé qui intente une action en informe le curateur. Dans ce dernier cas, le montant alloué par le Juge est limité au préjudice subi par les créanciers agissant et leur revient exclusivement, indépendamment de l’action éventuelle des curateurs dans l’intérêt de la masse. Est réputée faute grave et caractérisée, toute fraude fiscale grave et organisée au sens de l’article 3 § 2 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ». Les créanciers lésés, en cas de faillite, ont dorénavant une action directe contre les administrateurs en cas d’insuffisance d’actifs. L’ancien monopole des curateurs est ainsi mis à néant. 3. La prescription : 3.1. La prescription fondée sur une faute aquilienne : 3.1.1. L’article 198 du Code des sociétés en son § 1 er, stipule : « Sont prescrites par 5 ans : - (…) toute action contre les gérants, administrateurs, commissaires, liquidateurs pour fait de leur fonction, à partir de ces faits ou s’ils ont été célés par dol, à partir de la découverte de ces faits ». A suivre l’enseignement de la Cour de Cassation (29 mai 1980, R.C.J.B., 1980, p. 571 – Observations, Anne-Marie Stranart), les faits relatifs à la fonction doivent être compris de manière extensive. 3.1.2. Cette disposition ne vise pas les membres du comité de direction de telle sorte qu’une action dirigée contre ces derniers resterait soumise à la prescription de droit commun de 10 ans prévue par l’article 2262 bis du Code civil. 56 3.2. Action civile fondée sur un fait pénal : L’article 26 du Code d’Instruction criminelle indique : « L’action civile résultant d’une infraction se prescrit selon les règles du Code civil ou des lois particulières qui sont applicables à l’action en dommages et intérêts. Toutefois, celle-ci ne peut se prescrire avant l’action publique ».