PRESENTATION DU DIRECTEUR GENERAL DES AFFAIRES

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PRESENTATION DU DIRECTEUR GENERAL DES AFFAIRES
PRESENTATION DU DIRECTEUR GENERAL DES
AFFAIRES MARITIMES ET PORTUAIRES
Col. TANO KOFFI BERTIN
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La sécurisation de l’espace maritime et les
nouvelles menaces
Mars 2013, COTE D’IVOIRE
2
Introduction
La sécurisation maritime s’entend de l’ensemble des mesures réglementaires et opérationnelles
déployées pour assurer la protection de l’espace marin et le bon fonctionnement des activités
économiques maritimes, dont le transport, qui permet d’assurer annuellement le déplacement
de 4 milliards de tonnes de marchandises, soit 97% du commerce mondial. En d’autres
termes, il s’agit de prémunir l’environnement marin et l’économie maritime contre tout accident
ou tout acte illicite pouvant avoir des conséquences néfastes du point de vue écologique,
social, économique et politique.
Aujourd’hui, les nouvelles menaces contre l’industrie maritime ont pour noms :
-
les vols à main armée à l’encontre des navires/la piraterie ;
le terrorisme ;
la pollution marine par le transport de substances nocives ;
les menaces contre les ressources marines : la pêche INN ;
la destruction des câbles sous-marins de télécommunication.
Face aux risques que représentent ces menaces pour la compétitivité et le développement de
l’industrie maritime, plusieurs stratégies de sécurisation ont été mises en œuvre en vue de les
juguler. Ces stratégies ayant connu un succès relatif, il se pose avec récurrence la question de
leur efficacité.
L’analyse de cette problématique est structurée en trois (03) parties :
I.
II.
III.
L’identification des nouvelles menaces contre l’industrie maritime
Les mesures de sécurisation maritime à l’encontre de ces menaces
Les critiques et suggestions.
I-
L’IDENTIFICATION DES NOUVELLES MENACES CONTRE L’INDUSTRIE
MARITIME
Les phénomènes que nous allons passer en revue dans cette première partie ne constituent pas
tous des menaces d’un type nouveau à l’encontre de l’industrie maritime. Il s’agit souvent de vielles
menaces que l’on croyait maîtrisées et qui soudainement connaissent un regain d’activités.
1. Les vols à main armée à l’encontre des navires et la piraterie
Les vols à main armée à l’encontre des navires et la piraterie au sens de la Convention des
Nations Unies sur le Droit de la Mer, adoptée en 1982 à Montego Bay, connaissent une nette
recrudescence, en particulier dans le Golfe de Guinée. En effet, le Golfe de Guinée qui a
enregistré en 2011 38 cas de piraterie contre 32 pour le golfe d’Aden (Somalie) est sur le point de
devenir le pôle principal mondiale des vols à main armée et de la piraterie.
3
2. Le terrorisme maritime
L’un des premiers actes terroristes à l’encontre des navires marchands remonte en octobre 1985
avec l’attaque du M/V Achille Lauro par le Front de Libération de la Palestine, un groupe terroriste
militant pour une Palestine indépendante de l’Etat d’Israël.
Avec l’attaque des tours jumelles du « Trade center » aux USA le 11 septembre 2001, la menace
d’une attaque terroriste contre les différents outils du transport maritime, tels que les navires, les
installations portuaires, les marchandises dangereuses (LNG, LPG, nitrate d’ammonium,
hydrocarbures, autres produits chimiques) ou les détroits stratégiques se font plus persistants.
En effet, la prise en otage et l’explosion à l’aide d’armes nucléaires ou de destruction massive d’un
navire marchand, aura des répercussions catastrophiques pour l’humanité.
De 1980 à 2000, on dénombre 217 attaques terroristes par voie maritime, dont celle du M/V
Superferry 14 (2001) aux Philippines qui a fait 125 morts et celle du M/V USS Cole, (2000) un
navire de la marine américaine mouillant dans un port yéménite, qui a fait 17 morts1.
3. La pollution marine par les substances nocives
Les risques de pollution de l’environnement marin par le transport d’hydrocarbures et autres
substances potentiellement dangereuses, qu’elle soit opérationnelle ou accidentelle, constitue un
danger permanent pour l’environnement marin et le développement des transports maritimes. Il est
vrai qu’une étude de l’Académie des Sciences des Etats-Unis d’Amérique a démontré que la
pollution provenant des opérations des navires a baissé de 60% depuis le début des années 19802.
Cependant, la mer et ses ressources restent toujours menacées par les accidents de pollution
marine de grande ampleur comme ceux du TORREY CANYON en 1967, du OLYMPIC BRAVERY
en 1976, du AMOCO CADIZ en 1978, du TANYO en 1980 et du EXXON VALDEZ en 1989 et tout
récemment en 2011 du RENA, un porte-conteneur qui a déversé près de 1700 tonnes de fioul au
large des côtes de la Nouvelle Zélande.
4. Les menaces contre les ressources marines : la pêche INN
La Pêche Illicite, Non déclarée et Non réglementée (Pêche INN)3 qui s’est développée ces 20
dernières années est l'un des principaux obstacles à la gestion durable des pêches.
1
Les groupes terroristes suspectés d’avoir une forte capacité maritime sont : Al Qaeda, Liberation Tigers of Tamil Eelam
(LTTE) et Abu Sayaaf.
2
Boisson Philippe, op. cit., pp.506-507.
3
Définition :
- La pêche est illicite lorsqu’elle est effectuée sans autorisation ou de manière à contrevenir à la réglementation
nationale et internationale dans les eaux sous juridiction d’un Etat côtier ;
- La pêche non déclarée signifie que les activités de pêche n'ont pas été déclarées, ou l'ont été de façon fallacieuse, à
l'autorité nationale compétente, ou à l’organisation régionale des pêches compétente, contrevenant ainsi aux lois et
règlements nationaux ou régionales ;
- La pêche est non réglementée lorsqu’elle est menée dans la zone de compétence d'une organisation régionale de
gestion des pêches compétente par des navires sans nationalité, ou par des navires battant pavillon d'un État non
partie à cette organisation, ou par une entité de pêche, d'une façon non conforme ou contraire aux mesures de
conservation et de gestion de cette organisation. Source : FAO, plan d’action international visant à prévenir,
contrecarrer et éliminer la pêche INN, Rome, 2001, pp.2-3.
4
Estimée entre 4 et 9 milliards d’USD par année, la pêche INN constitue un enchevêtrement
complexe d’actions et d’organes ne se limitant pas à la pêche illicite, mais également au fret, à la
transformation, au débarquement, à la vente et à la distribution de poissons et de produits
halieutiques. Elle a pour conséquence :
- la perte importante de revenus, notamment pour des pays parmi les plus pauvres au
monde, où la dépendance à l'égard de la pêche pour l'alimentation, les moyens de
subsistance et les revenus est élevée.
- l'épuisement des stocks de poissons dans le monde entier et la destruction des habitats
marins ;
- la menace de la survie des communautés côtières dans les pays en développement;
- les problèmes de sécurité alimentaire et de subsistance des communautés défavorisées des
pays en développement ;
- la remise en cause des efforts visant à sécuriser et reconstruire les stocks pour l'avenir.
5. La destruction des câbles sous-marins de télécommunication
Les activités de pose de câbles sous marins, nécessaires pour la télécommunication
transocéanique sont constamment menacées par des causes humaine et naturelle, telles que
certains procédés de pêche, les opérations de transport maritime et les phénomènes naturelles
marins.
En effet, les arts traînant des navires de pêche, les opérations de mouillage des ancres des navires
et les phénomènes naturels (tsunamis, vagues et courants, ouragans et activités volcaniques)
endommagent dans bien des cas les câbles sous marins, entraînant ainsi des perturbations des
activités de télécommunication transocéanique.
Nous avons tenté, par l’évocation des cinq points ci-dessus, de montrer les nouvelles menaces qui
minent l’industrie maritime de nos jours. Quelles sont les mesures prises pour les combattre ?
II-
LES MESURES DE LUTTE CONTRE CES MENACES
En vue de faire face à ces nouvelles menaces et assurer la promotion de l’industrie maritime, la
Etats maritimes réunis au sein des Nations Unies ainsi que de ses organes spécialisés sur les
questions maritimes et de pêche, à savoir l’Organisation Maritime Internationale (OMI) et le Fonds
des Nations Unies pour l’Alimentation (FAO), ont adopté un ensemble de mesures d’ordre
réglementaire et opérationnel dans un cadre de coopération multilatéral.
1. Les accords internationaux
Aujourd’hui, la communauté maritime internationale dispose de règles uniformes, sous forme de
conventions ou de recommandations, qui posent des normes et standards visant à prévenir et
gérer les nouvelles menaces évoquées plus haut. Les plus pertinents d’entre ces accords sont :
- la convention des Nations Unies sur le droit de la Mer de 1982 ;
- la convention MARPOL 73/78 ;
- la convention OPRC 1990 ;
5
- la convention SAR, 1979
- le Code ISPS, 2002 ;
- la Résolution A. 922 (22) du 22 janvier 2002 de l’OMI portant code d’investigation des cas
de piraterie et de vols à main armée;
- la convention SUA 1988 et son protocole de 2005 sur les plateformes off shore ;
- les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies relatives à la lutte contre la
piraterie dans le Golf d’Aden ;
- le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO ;
- le Plan d’action visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche INN.
2. Les mesures opérationnelles
En vue de juguler les nouvelles menaces à l’encontre de l’industrie maritime, les Etats appliquent
un dispositif de contrôle et de surveillance à trois niveaux, des eaux placées sous leur juridiction. Il
s’agit essentiellement :
a. des mesures du ressort de l’Etat du pavillon :
- la délivrance des certificats de sécurité du navire, y compris les certificats de prévention de
la pollution par les navires ;
- la délivrance des certificats de conformité au Code ISPS (navires, compagnies, ports) ;
- les inspections périodiques des navires (sécurité, sûreté, prévention de la pollution, travail
maritime) ;
- les contrôles des navires battant pavillon de l’Etat pour s’assurer qu’ils ne s’adonnent pas à
la pêche INN.
b.
-
des mesures du ressort de l’Etat du port :
les inspections de sécurité et de sûreté des navires faisant escale au port ;
les inspections des navires de pêche accostant au port ;
les interdictions d’accoster aux navires présentant un risque de sûreté maritime ;
les interdictions d’accoster aux navires sérieusement suspectés de s’adonner à la pêche
INN.
c. des mesures du ressort de l’Etat côtier.
- la surveillance des navires naviguant dans les eaux sous juridiction nationale par des
moyens audio et visuels ;
- la répression de tout passage non inoffensif (atteinte à la sûreté de l’Etat, pollution, pêche
illicite).
6
3. La coopération multilatérale
Les organisations économiques régionales ou certaines organisations spécialisées régionales ont
développé une approche intégrée de mise en œuvre des conventions maritimes internationales et
des opérations visant à éradiquer ces nouvelles menaces. On peut citer en Afrique :
- le Mémorandum d’Entente d’Abuja pour le contrôle des navires par l’Etat du port ;
- le Mémorandum d’Entente de Dakar pour le réseau sous-régional intégré de gardes-côtes
pour les Etats d’Afrique de l’Ouest et du Centre;
- la convention d’Abidjan (en matière de lutte antipollution) ;
- l’Accord multilatéral sur la coordination de la recherche et du sauvetage maritimes (en
matière SAR)
- les initiatives en matière de sécurité, de sûreté maritime, SAR et de lutte anti-pollution de
l’UEMOA et la CEDEAO, etc. ;
- les programmes de lutte anti-piraterie de la Commission du Golfe de Guinée ;
- les initiatives multilatérales de lutte contre la piraterie dans le Golfe d’Aden sous les
auspices du Conseil de sécurité de l’ONU (opérations Atalanta de l’UE, Africom des USA,
Alycom de la France, etc.).
L’application de l’ensemble de ces mesures a permis de réduire l’ampleur des menaces contre
l’industrie maritime. Mais, la persistance des menaces, dites nouvelles, particulièrement dans
certains espaces géographiques amène à s’interroger sur la réelle efficacité desdites mesures.
III-
LES CRITIQUES ET SUGGESTIONS
1. Critiques
Comme on peut le constater, plusieurs mesures d’ordre réglementaire et opérationnelle ont été
adoptées et mises en œuvre selon une approche multilatérale afin d’assurer une lutte efficace
contre ces nouvelles menaces. La question est par conséquent de savoir si l’industrie maritime estelle aujourd’hui plus sécurisée et plus sûre qu’elle n’a jamais été ?
Selon Lord Carvers, « la mer statistiquement parlant serait un lieu plus sûr »4. En effet, au début
du 21ème siècle, on enregistre entre 200 et 300 navires perdus en mer pour des raisons diverses
contre 2000 navires en 1821. De plus, une étude du GESAMP publiée en 1993 a relevé une baisse
des accidents de pollution marine depuis trois décennies ; ces accidents ne constituent aujourd’hui
que 5% des causes de pollution de l’environnement marin par les hydrocarbures. Enfin, les
statistiques de transport d’hydrocarbures montrent que 99% des 1.9 milliards de tonnes
d’hydrocarbures transportées annuellement arrivent à destination.
4
Boisson, Philippe, op.cit., p.508
7
En conséquence, si statistiquement parlant, les activités maritimes tendent à être plus sécurisées,
plus sûres et la mer plus propre, force est de reconnaître que le système mis en place en vue de
prémunir l’industrie maritime contre les menaces citées tantôt comporte des insuffisances :
- La multiplicité et la fragmentation des règles maritimes
Plusieurs entités s’octroient des compétences dans l’édiction et la mise en œuvre des normes de
sécurité, de sûreté maritimes et de protection de l’environnement et des ressources marines ; ce
qui entraîne une fragmentation desdites règles et constitue un obstacle pour leur mise en œuvre
efficace.
En effet, en Afrique, les mêmes questions de sécurité, de sûreté maritimes, de protection de
l’environnement et des ressources marines sont traités, parfois de manière confuse et dupliquée,
par l’OMI, la FAO, le PNUE (Convention d’Abidjan), l’UA, l’OMAOC, la CEDEAO et l’UEMOA. A
cela s’ajoute les conflits de compétence entre les structures nationales chargées de leur mise en
œuvre (Affaires Maritimes, Environnement, Pêche, Marine Nationale).
Par ailleurs, dans bien des cas, les normes et standards édictés par des organisations publiques
coexistent avec ceux des fédérations d’organisations privées (ICS, ITOPF, BIMCO, INTERTANKO,
INTERCARGO). On assiste ainsi dans le secteur de l’industrie maritime à une duplicité des efforts
et à une fragmentation des règles qui en diminuent l’efficacité et pèse sur la compétitivité des
activités maritimes.
- Le coût économique et financier des règles maritimes
La multiplicité et les changements incessants des règles maritimes entraînent un coût dans leur
mise en œuvre ; ce qui est difficilement supportable aussi bien par les opérateurs économiques
que par les Etats. En effet, l’introduction du Code ISM5 dans le dispositif réglementaire international
entraîne un coût annuel de 10,000 USD pour les compagnies maritimes. La formation des marins
conformément à la convention STCW entraîne un coût annuel de 150,000 USD pour les
compagnies maritimes.
En outre, l’adoption du Code ISPS, avec toutes ses exigences en terme de formation et
d’équipements de sûreté, entraîne des investissements importants que tous les Etats, surtout ceux
en voie de développement ne sont pas toujours à même d’effectuer. En Côte d’Ivoire, le coût de
mise en œuvre de toutes les exigences du Code ISPS est estimé à un total de 14, 864,000 USD.
Au final, ces surcoûts financiers sont répercutés sur le consommateur par les armateurs et les
chargeurs6.
La conséquence de cette situation est que les Etats développés appliquent dans leurs zones de
compétence un système de sécurisation maritime plus rigoureux que les pays en voie de
développement dans leurs zones respectives. En effet, le Paris MOU et les Gardes-côtes
5
6
Code International pour la gestion de la sécurité ;
Boisson, Philippe, op.cit., p.520.
8
américains sont réputés plus rigoureux dans l’application des règles de sécurité maritime que leurs
homologues des pays en voie de développement. On assiste, par conséquent, à une application à
deux vitesses des règles de sécurité et de sûreté maritimes adoptées au niveau multilatéral.
2. Suggestions
En vue d’améliorer le dispositif multilatéral adopté en vue d’une meilleure sécurisation des espaces
maritimes, il convient de prendre les mesures suivantes :
1. développer une approche globale des mesures de sécurité, de sûreté et de protection de
l’environnement marin et ses ressources, qui suppriment la duplicité des efforts et la
fragmentation subséquente des règles ;
2. rationnaliser le nombre important des inspections des navires par une plus grande
uniformisation des procédures d’inspection ;
3. développer un programme de coopération qui aident les PVD a mieux lutter contre ces
menaces, notamment par le renforcement leurs capacités opérationnelles ;
4. créer un Fonds International de Lutte contre la Piraterie et les Vols à main armée des
navires dans le Golfe de Guinée pour éviter la radicalisation de ces phénomènes.
Conclusion
L’industrie maritime joue un rôle fondamental pour l’économie internationale dans un
contexte de mondialisation. Aujourd’hui, elle est confrontée à de nouvelles menaces qui s’y
on ne prend garde, risquent de porter gravement atteinte à sa compétitivité.
En vue de la lutte contre ces menaces, les Etats ont adopté dans un cadre de coopération
multilatéral des normes et standards de sécurisation des espaces marins et de leurs
ressources.
Cette stratégie a joué un rôle important dans la maîtrise des nouveaux risques auxquels
s’expose l’industrie maritime. Malheureusement, on assiste à la multiplicité, la fragmentation
desdites règles et les difficultés de leur mise en œuvre du fait des surcoûts d’exploitation et
d’investissement qu’ils engendrent.
Il importe aujourd’hui de rationnaliser ces mesures dans un cadre de coopération plus
efficace.