Le doute est-il une force ou une faiblesse ? Corrigé

Transcription

Le doute est-il une force ou une faiblesse ? Corrigé
Le doute est-il une force ou une faiblesse ?
Corrigé
Introduction
Si je me perds dans une forêt et n’ai aucune connaissance des lieux, j’aurai du mal à choisir
un chemin plutôt qu’un autre. Le doute (ici sur le chemin à prendre) renvoie donc à un état
d’indécision, à l’incapacité à formuler un jugement, affirmatif ou négatif, sur une situation
donnée (ce chemin est le bon, celui-ci est mauvais). Comme suspension du jugement, il révèle
une ignorance et interdit l’action. Il est la marque de mon impuissance.
Toutefois, le doute n’est pas nécessairement subi : il m’arrive de le susciter volontairement,
comme lorsque je doute de la légitimité d’une opinion, d’une conviction fragile ou mal
fondée ; lorsque je refuse d’y adhérer. En ce sens, le doute est au contraire l’instrument
privilégié de la réflexion, une attitude d’esprit par laquelle je m’arrache à l’inertie et au
confort intellectuel que représentent les préjugés.
D’où le problème : le doute est-il une faiblesse intellectuelle et morale, le signe de mon
ignorance et de mon impuissance, ou bien au contraire réside-t-il essentiellement dans le
pouvoir de réformer ses pensées ? Est-il une force de résistance à l’égard de l’erreur dont il
préserve la manifestation de la liberté de l’esprit ?
1. Le doute est une faiblesse, tant sur le plan de la connaissance que sur celui de la
moralité, le plan de l’action
A. Il est le produit de l’ignorance
Le doute s’immisce lorsque j’ai oublié le nom d’un lieu, n’ai pas pris la peine de m’informer
sur un point donné de l’actualité ou ne maîtrise pas assez une langue pour la parler sans
hésiter.
Le doute est, comme tel, le produit de l’ignorance et de l’oubli. Il est révélateur d’un défaut et
d’une imperfection.
La connaissance et l’affirmation de la vérité nous libèrent au contraire du doute : en effet, le
doute témoigne d’une faiblesse intellectuelle ou culturelle, voire d’une faiblesse constitutive.
Ainsi ignore-t-on ce que l’on devrait savoir ou ce qu’en tant qu’être imparfait, susceptible
d’erreurs, on ne saura jamais.
B. Le doute paralyse l’action
Le doute n’est pas seulement un état d’esprit contraire à l’affirmation de la vérité, il entrave
également l’action et la paralyse.
Comme le montre Sartre dans L’Être et le Néant, devant le franchissement d’une montagne, il
ne faut pas douter. En ce sens, le doute peut prendre la forme de l’indécision, de l’irrésolution
– celle de la faute morale. De ce point de vue il résulte d’un défaut dans l’usage que nous
faisons de notre libre arbitre – de notre faculté de choix par conséquent. C’est ce que montre
le cas hypothétique de « l’âne de Buridan » : un âne placé devant une ration d’eau et une
ration d’avoine mourra à la fois de faim et de soif, faute de se déterminer à choisir l’un ou
© Hatier 2002-2003
l’autre. De cet exemple, Descartes conclut que la « liberté d’indifférence » est « plutôt un
défaut de la connaissance qu’une perfection de la volonté » : il s’agit moins, en d’autres
termes, de n’être déterminé par rien à choisir que de savoir se déterminer en faveur d’une
possibilité plutôt que d’une autre, en vertu d’un motif, soit de la représentation consciente
d’un but à atteindre. Ce motif sera d’autant plus libre qu’il sera plus pensé, qu’il résultera
d’une réflexion. Bref, le doute révèle l’absence d’un motif pour agir.
Pour cette raison, Descartes affirme que la « liberté d’indifférence est le plus bas degré de la
liberté ».
Conclusion et transition
D’une part, le doute est accidentel, il est dû à un défaut objectif de savoir. D’autre part, sur le
plan de l’action, il prend la forme de la faute, il témoigne d’une faiblesse de la volonté, voire
d’une paralysie pathologique du libre arbitre.
Cependant, le doute ne résulte pas nécessairement de l’ignorance mais aussi d’une forme de
savoir, la conscience de son ignorance, le savoir que l’on ne sait pas. Comme tel, il se
présente plutôt, sur le plan de la pensée, comme une force de dissolution de l’erreur.
2. Le doute est une force quand il témoigne d’une pensée et a son origine dans une
réflexion
A. Le doute est rationnel
Loin d’être ignorant, le doute est conduit par la raison : il résulte d’une démarche rationnelle,
d’une réflexion, laquelle consiste à substituer le doute au préjugé – la suspension du jugement
au jugement prévenu et précipité.
Tout d’abord, un préjugé est un jugement « prévenu » en effet, c’est-à-dire un jugement
antérieur au jugement, un jugement déjà constitué avant même d’avoir fait l’expérience ou la
connaissance de la chose. Juger d’une chose, c’est lui attribuer des qualités ou des propriétés.
Ainsi suis-je prévenu contre une chose, une personne ou une situation si, avant même d’en
avoir fait la connaissance et en dépit de l’expérience que j’en aurai, je juge par avance de ce
qu’elle est, en vertu d’une crainte ou d’un désir.
Ensuite, le préjugé désigne un jugement précipité, c’est-à-dire un jugement constitué à la hâte,
faute de réflexion et de recul critique.
Le doute représente donc la force que la raison et la volonté opposent à celle de la
précipitation et de la prévention, à la tentation d’émettre un jugement, en l’absence de
connaissances suffisantes.
B. Le doute témoigne du pouvoir de la conscience
De ce fait, le doute me libère de mes sensations premières et de mes idées reçues : il est la
marque du pouvoir de la conscience, pouvoir de nier, de mettre à distance son objet. Ainsi
Descartes, en l’absence de toute certitude, décide-t-il volontairement de « tenir pour faux le
vraisemblable » – de douter de toute vérité qui ne serait que probable. Seule la vérité qui
résistera à ce doute hyperbolique, tactique, provisoire, sera tenue pour absolument certaine.
Or c’est au sein même du doute que se rencontre une première vérité : je peux bien douter de
l’existence même des choses, je ne saurais douter que moi, qui doute, je sois quelque chose,
un être pensant, une conscience.
© Hatier 2002-2003
Le doute est donc la force par laquelle l’homme se révèle à lui-même comme conscience,
comme être distinct de l’animal.
C. Le doute est une attitude de l’esprit relative au pouvoir critique
Cela dit, le doute n’est pas seulement une étape provisoire dans la recherche de la vérité, il
désigne également une attitude permanente de l’esprit, attitude de suspicion et d’interrogation
propre au pouvoir critique.
En ce sens, il représente une force de dissolution de l’erreur et conduit moins à la possession
d’une vérité « définitive » ou « positive » qu’au dévoilement des illusions. Pour cette raison,
Socrate est comparé dans le Ménon à une torpille : comme le poisson du même nom qui pique
et paralyse son adversaire, il inhibe en effet par ses questions la réflexion de son interlocuteur.
Empêché d’adhérer à ses anciennes certitudes, celui-ci est, comme Ménon, plongé dans le
doute – du moins n’est-il plus dans l’état où, ignorant la vérité, il croyait la connaître. Ainsi la
maïeutique de Socrate le fait-elle passer de l’ignorance qu’il ne sait pas au savoir qu’il ignore.
Conclusion
En un sens, le doute est l’effet d’une démarche rationnelle et volontaire, une étape dans la
recherche de la vérité.
Cependant, inhérent à la démarche philosophique, il est aussi et surtout la marque d’un esprit
capable de se déprendre à tout moment de ses convictions ou intérêts immédiats.
Ouvertures
Lectures
– Platon, Ménon, Hatier, coll. « Les classiques de la philosophie ».
– Descartes, Méditations métaphysiques, Hatier, coll. « Les classiques de la philosophie ».
© Hatier 2002-2003