Le réalisme en peinture

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Le réalisme en peinture
Parcours de visite
Le réalisme en peinture
Scène de cuisine, Anonyme lombard ou napolitain du XVIIe siècle
Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Service éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts
Les mots « réalisme », « réaliste », « réalité » caractérisent une manière de peindre
qui consiste à reproduire exactement la nature, sans chercher à l’embellir. C’est ainsi que,
dès le XVe siècle et le début de la Renaissance, quelques peintres ont déjà pu être
qualifiés de réalistes. Plus précisément, ces qualificatifs s’appliquent aux peintres du XVIIe
siècle, comme Caravage, qui se sont attachés à peindre des thèmes humbles et ont choisi
leurs modèles dans les classes populaires, bien qu’historiquement, le « réalisme » soit un
mouvement littéraire et artistique essentiellement français, qui naît dans les années 18201830 et se prolonge sous des formes officielles jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Durant le parcours, nous allons voir comment, du Moyen Age à l’ère de la ContreRéforme, la peinture s’est faite de plus en plus réaliste.
Peintures des Primitifs (second étage) :
Les thèmes abordés par les Primitifs sont, comme durant tout le Moyen âge où
l’Église est la première puissance politique et financière, des thèmes religieux. Les
peintures, essentiellement réalisées sur commande, sont destinées à orner les édifices
religieux. Pour l’artiste médiéval, la maison de Dieu doit être une sorte de Paradis ; le
fidèle doit y sentir de toute son âme l’omniprésence de la divinité (fleurs, couleurs,
éblouissements d’or).
A ce moment de l’histoire de l’art, l’important n’est donc pas de représenter les choses ou
les personnages en étant fidèle au réel, mais comme le clergé et le peuple doivent les voir
: divins et puissants. Le caractère très figé des personnages procède de ces principes :
s’ils sont aussi hiératiques c’est pour mieux mettre de la distance entre eux et le monde
des Hommes. Il en est de même pour le fond d’or qui, loin de représenter un paysage
clairement identifiable, place les personnages dans un espace-temps original censé
figurer le monde de Dieu, en opposition aux monde des Hommes, auquel appartient le
spectateur.
Les images jouent un rôle extrêmement important au Moyen Age d’autant que la majorité
des gens ne sachant pas lire, c’est aux représentations picturales de les instruire et de les
aider à méditer. Les personnages devaient donc être facilement identifiables. Pour les
distinguer, on avait pris l’habitude de les représenter avec des symboles, généralement
des objets, liés à leur histoire ou à leur rôle. Ces symboles prennent le nom d’ «attributs ».
Triptyque de Rimini, Francesco da Rimini
Cette suite de panneaux fonctionne comme une bande dessinée, bien qu’elle soit
vieille de près de sept cents ans, et est à ce titre très originale. Il s’agit d’un triptyque qui
raconte en trois images les moments importants de la vie de Jésus : sa naissance, sa
crucifixion, sa résurrection. Ces trois panneaux ne présentent cependant que l’essentiel :
les personnages et l’action ; rien ne détourne l’œil du spectateur du sujet que l’on veut
montrer. La taille des personnages peut sembler assez surprenante dans la mesure où
tous les personnages sont tous au même niveau ; elle procède en fait d’une réelle volonté
de l’artiste. En effet, au Moyen Age, il s’agit moins de représenter la réalité telle qu’elle est
que de représenter les choses et les personnages tels qu’on se les imagine ; en fait, plus
les personnages sont grands, plus cela signifie qu’ils possèdent autorité et pouvoir, ce qui
est évidemment faux dans la réalité terrestre.
La peinture révèle ainsi à quel point la société médiévale était hiérarchisée, l’Église étant
située au sommet de la pyramide.
Saint François d’Assise et saint Etienne, Francesco de Tatti
Représenté sous les traits d’un jeune homme en habit de diacre, avec la dalmatique
(= vêtement de chœur en forme de croix avec des manches courtes, la dalmatique se
décline selon les couleurs du temps liturgique) rouge et l’étole en bandoulière, saint
Étienne peut porter la tonsure monacale, en particulier dans les représentations
médiévales. Ses attributs sont les pierres avec lesquelles il fut lapidé, auxquelles on peut
ajouter la palme du martyre et le livre. Saint Étienne est considéré comme le premier des
martyrs. Probablement juif d’origine hellénique, c’est-à-dire grecque, saint Étienne, après
s’être converti au christianisme, devint diacre. Il était chargé de la distribution quotidienne
de la nourriture à la communauté chrétienne, en particulier aux veuves. Étienne avait une
grande connaissance des Écritures, ce qui lui permit de soutenir une longue dispute
devant le Sanhédrin (=assemblée législative traditionnelle du peuple juif qui siège
normalement à Jérusalem), après avoir été accusé de blasphème contre Moïse et Dieu.
Ceux qui avaient les yeux fixés sur lui purent voir que son visage était comme celui d’un
ange cependant qu’il démontrait, en se fondant sur les Écritures, que les Juifs résistaient
encore à l’Esprit saint et ne voulaient pas reconnaître le Messie. Les prêtres qui devaient
le juger, se jetèrent alors sur lui, et, comme Étienne disait voir dans le ciel la gloire de
Dieu, ils le menèrent hors de la ville et le lapidèrent (=tuèrent à coups de pierre).
Dans cette représentation, les objets ayant servi au martyre, les pierres, semblent flotter
autour de la tête de saint Étienne, ce qui n’a, bien sûr, rien de réaliste. L’important ici est,
non pas la reproduction de la réalité, mais la caractérisation des personnages, qui permet
de les reconnaître immédiatement.
Au Moyen Age, les représentations sont souvent simples mais efficaces ; rien ne doit
pouvoir détourner l’attention du spectateur du but fixé, à savoir : montrer le caractère divin
et la puissance des personnages, leur supériorité sur les Hommes.
Toutefois, chez les Primitifs, peintres actifs en Italie du XIIe au XVe siècle qui peignent sur
des panneaux de bois et n’ont pas encore intégré la perspective, des éléments de
réalisme commencent à poindre, dans la mesure où ces peintres inaugurent la peinture de
la Renaissance. Appelés « primitifs» par leurs détracteurs, en raison de leur style que l’on
pense alors mal dégrossi, les Primitifs sont en fait à cheval entre l’art très raide du Moyen
Age et celui, plus humanisant, de la Renaissance, comme nous pouvons le voir avec le
Cosme Tura (Vierge à l’Enfant entre saint Jérôme et une sainte inconnue), dans lequel
sont déjà perceptibles les progrès de l’anatomie (poitrine de la Vierge).
Peintures de la Renaissance (second étage) :
C’est cependant à partir de la Renaissance que le réalisme en peinture commence
à véritablement s’imposer.
La Renaissance naît et se développe à Florence au XVe siècle, notamment sous
l’influence de la famille Médicis. Alors qu’au Moyen Age tout était subordonné à la religion,
la Renaissance se présente comme l’appropriation du monde par l’Homme. La
Renaissance c’est un état d’esprit mais c’est aussi une doctrine : l’humanisme où l’Homme
se découvre capable d’agir sur son environnement. L’Homme devient le centre de toutes
les attentions, de toutes les préoccupations et de toutes les réflexions. On redécouvre les
textes de l’Antiquité considérée comme l’âge d’or de l’humanité. La Renaissance artistique
fait suite à la Renaissance philosophique, notamment par le biais de l’architecture, la
révolution de la peinture n’intervenant qu’après, grâce à des évolutions techniques comme
la perfectionnement de la peinture à l’huile vers 1470 (frères Van Eyck). Elle permet aux
artistes de s’améliorer dans le rendu des matières (les tissus, la peau, les cheveux, la
lumière puis l’ombre à partir de Masaccio) et de peindre sur un support différent : la toile
(sur laquelle ne pouvait tenir la peinture a tempera), moins lourde que le bois et moins
longue à préparer. Tous ces facteurs techniques et le contexte historique font évoluer la
manière de représenter. Les artistes cherchent de plus en plus à donner l’illusion du réel ;
la peinture se met à la dimension de l’Homme et perd de son aspect surnaturel d’autant
que la médecine, notamment par le biais de l’anatomie, fait d’incroyables progrès.
L’observation de la nature et de ses détails, de l’être humain, de son corps et de ses
gestes donne envie de les reproduire fidèlement. C’est d’ailleurs à la Renaissance que le
genre en peinture apparaît. Les représentations exclusivement religieuses font peu à peu
place au portrait, au paysage, à la nature morte, à la scène de genre … Bref, à des sujets
qui concernent de près l’Homme.
Peintures vénitiennes (second étage) :
En Italie, on commence à réaliser des portraits avec des personnes identifiables à
partir du XIVe siècle.
Le portrait naît à Florence. Les personnages importants de la société florentine, dont au
premier chef les Médicis, se font représenter au sein de représentations plus vastes,
notamment religieuses. Puis, à partir du XVe siècle, le portrait devient un art à lui seul. La
personne est désormais le plus souvent représentée seule devant un décor. Les
personnalités sont le plus souvent peintes en buste, de profil, puis de trois-quarts devant
un décor en Italie, alors que dans les Flandres elles sont placées dans leur cadre
quotidien. Le portrait est un moyen pour les personnalités de l’époque de montrer leur
importance et de laisser une trace dans l’histoire. C’est pourquoi l’art du portrait, au XVIe
siècle, se transforme essentiellement en art de cour et se développe dans toute l’Europe
pour connaître son apogée au XVIIIe siècle. L’intérêt du portrait est triple : il est d’abord
une représentation réaliste et caractérisée d’une personne, mais est également une
manière de s’inscrire dans le temps, de conserver un souvenir. L’ultime but étant de
garder le meilleur souvenir qui soit, le portrait est souvent utilisé dans une optique de mise
en valeur de la personne représentée.
L’Homme au gant, Titien
Si les Florentins sont très attachés aux contours et aux lignes, les Vénitiens jouent
plus sur les contrastes entre l’ombre et la lumière, comme on peut le voir avec cette
œuvre exceptionnelle de Titien. C’est à partir de 1520 que Titien commence à travailler
pour les princes des cours italiennes et s’impose comme le portraitiste de cour par
excellence. Ses portraits présentent notamment l’originalité de refléter la psychologie, la
personnalité profonde du sujet et de mettre en valeur sa grandeur et sa majesté. Titien
met un accent particulier dans le traitement du regard et l’expression, ce qui confère au
personnage un aspect vivant et vibrant. Dans ce portrait, on a ainsi l’impression que les
yeux du jeune homme nous suivent dans nos déplacements. La manière qu’a Titien de
fondre les contours, de jouer avec la lumière, de renvoyer l’éclat du blanc de la chemise
sur le visage permet de rendre l’œuvre très présente, presque vivante. Plus qu’une simple
reproduction de l’enveloppe charnelle du personnage, Titien fait ici un véritable portrait
psychologique, franchissant une étape de plus dans l’art d’imiter la réalité, que l’on nomme
mimésis.
Peintures de la fin du XVIe siècle (second étage) :
Cette salle se fait le témoin de la diversification des genres en peinture beaucoup
plus proches des préoccupations de l’Homme.
Galerie des natures mortes (second étage) :
Au-delà de son rôle social, à savoir rappeler l’opulence de son propriétaire, la
nature morte sert à montrer tout le talent de l’artiste qui cherche à reproduire les objets de
la nature le plus fidèlement possible. Dans un souci de réalisme/naturalisme, l’artiste est
donc amené à travailler sur les couleurs, les matières, ainsi que sur la lumière et les
reflets, et le résultat est parfois assez confondant. Difficile alors de comprendre comment
la nature morte a pu pendant aussi longtemps être déconsidérée et réservée aux artistes
en apprentissage, pour « se faire la main », quand nous voyons avec quelle virtuosité les
peintres ont pu reproduire des animaux, une fleur, un tapis …
Dans la « galerie des natures mortes » du Palais Fesch, nous pouvons observer un assez
grand nombre de natures mortes du XVIIe siècle, en majorité italiennes, mais aussi
flamandes. De nombreuses écoles d’Italie sont représentées : Bologne, Naples, Rome.
Les natures mortes du Palais Fesch montrent des objets variés que l’on peut classer en
quelques groupes :
-fruits, fleurs et animaux vivants ;
-poissons et crustacés ;
-intérieurs de cuisine ;
-draperies, tapis, objets, mets divers, instruments de musique.
Le XVIIe siècle est le siècle d’or des natures mortes. Éléments de décor des palais, elles
sont aussi pour le peintre une manière de montrer tout son talent. L’aspect esthétique de
la nature morte prime désormais sur le message qu’elle veut faire passer. Les symboles
se font de plus en plus rares. En outre, il convient de souligner toute la difficulté de donner
une signification aux éléments d’un tableau, dans la mesure où la peinture n’est pas une
science exacte et que chaque élément peut avoir une signification différente, suivant la
personne qui a réalisé l’œuvre. Il faut donc savoir être modeste et s’en tenir à des
suppositions. La nature morte doit être regardée pour ce qu’elle est : une imitation brillante
de la nature, destinée à orner les plus beaux palais des princes, un élément de décoration
en soi.
Nature morte au tapis turc, Il Maltese
Cette nature morte excelle dans l’imitation de la réalité, ne serait-ce que par la fine
reproduction d’un tapis oriental (technique de l’empâtement), mais aussi parce qu’elle
nous rappelle les cinq sens de l’Homme, ce qui ancre encore plus la représentation dans
la réalité :
-le toucher avec le tapis, la tenture et le coussin ;
-le goût avec les fruits sur l’assiette ;
-l’odorat avec les fleurs ;
-l’ouïe avec la partition sur laquelle est déposé un violon ;
-la vue étant figurée par l’ensemble du tableau.
L'ouïe
L'odorat
Le goût
Le toucher
La vue
Peintures caravagesques 1 (second étage) :
On a tendance à considérer deux périodes distinctes dans la Renaissance. Si la
première partie de la Renaissance, qui court de 1453 à 1563, se veut comme le triomphe
de l’Homme, la prise de conscience de sa place au centre du monde et, donc, se traduit
par un certain recul de la religion, les crises du début du XVIe siècle (Savonarole, sac de
Rome, crises scientifiques), notamment l’avènement du protestantisme : Martin Luther, un
moine allemand, remet en cause la religion chrétienne et surtout le rôle de l’Église, sa
richesse, ainsi que l’autorité du Pape, ont comme conséquence le retour en force de
l’Église. Dans une Europe déchirée par les guerres de religion, on craint en effet d’être allé
trop loin dans la modernité et l’innovation, et on se tourne donc vers des valeurs plus
traditionnelles et plus rassurantes. C’est la Renaissance « tardive ».
Les personnes éminentes de l’Église catholique se réunissent lors du Concile de Trente
(1545-1563) pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés par l’Église et tenter de
ramener les fidèles en son sein. L’art est imaginé comme l’une de ces solutions. Nous
l’avons vu, l’art a souvent été vu comme un moyen puissant d’instruction et
d’enseignement, et les autorités ecclésiastiques pensent nécessaire de créer des images
fortes, symboles de la puissance de l’Église. Les sujets religieux font leur grand retour
dans la peinture grâce au style baroque, avec le souci constant d’être le plus fidèle
possible aux Écritures.
La peinture baroque est porteuse de sensations, elle doit interpeller, éblouir, émouvoir
celui qui la regarde. C’est un peu comme de la « pub ». Pour cela, le cadrage des images
change, des scènes sont « zoomées » sur des personnages en action. Cela ressemble à
du cinéma, et celui qui regarde a l’impression de participer à l’action qui se déroule. L’art
baroque correspond au monde mouvementé qui l’a fait naître ; il est constitué de courbes
et de contre-courbes, d’ombres et de lumières, il fait appel à des techniques qui créent
l’illusion, particulièrement le trompe-l’œil. Les tableaux sont souvent très grands, avec des
mises en scènes extraordinaires, où tout est fait pour communiquer l’émotion, la passion
et le drame. Caravage fait partie des premiers artistes de la Contre-Réforme ; il est l’un
des précurseurs du style baroque. Très vite, le napolitain qui s’illustre par le réalisme
frappant de ses tableaux, reçoit des commandes du clergé afin de réaliser des œuvres qui
susciteront à coup sûr l’intérêt des fidèles. Avec la technique du clair-obscur, Caravage
donne une tension dramatique à ses représentations, et la beauté de ces tableaux naît de
leur brutalité. Tout est fait pour frapper l’imagination et provoquer mimésis et compassion.
Nous sommes ici dans l’une des deux pièces consacrées aux œuvres caravagesques,
c’est-à-dire inspirées par l’œuvre de Caravage.
Saint Étienne, Anonyme du XVIIe siècle
Dans cette représentation, on reconnaît les palmes du martyre mais les pierres ne
sont plus visibles que dans le fond du tableau, car la Contre-Réforme a éliminé tous les
symboles / attributs qui pouvaient prêter à sourire. Or, si l’on veut reconquérir les fidèles,
les saints ne doivent en aucun cas être ridicules, ce qui jetterait un certain discrédit sur
l’Église. De plus, la peinture tend depuis le début de la Renaissance à retranscrire la
réalité le plus fidèlement possible. Or, un saint représenté avec des pierres autour de la
tête est loin d’être réaliste. L’humanisme est passé par là, les mentalités ont évolué. La
Contre-Réforme souhaite désormais s’en tenir aux textes religieux. On reconnaît donc
saint Étienne à sa dalmatique jaune. Il porte la palme du martyre et a les yeux levés vers
le Ciel. Cependant, l’absence de tension dans son corps laisse à penser que saint Étienne
accepte sa condition.
Saint Étienne, Anonyme du XVIIe siècle
Saint François et saint
Étienne, Francesco de
Tatti (début du XVIe
siècle)
Peintures caravagesques 2 (second étage) :
Le martyre de saint Pierre, Luca Giordano
Par humilité envers la Passion du Christ, saint Pierre demanda à être crucifié la tête
en bas.
Simon, appelé Pierre par la suite, était un pêcheur de Capharnaüm qui rencontra Jésus
par l’intermédiaire de son frère André. Jésus lui promit qu’il serait « pêcheur d’hommes ».
Dès lors, il fut toujours avec Jésus ; Pierre était l’un des douze apôtres (= le groupe des
Douze choisis par Jésus « pour être avec lui » et pour signifier symboliquement le peuple
de la fin des temps). Si Simon reconnut le Messie, il le renia également avant de se
repentir amèrement. Jésus changea son nom de Simon en Kèpha, mot hébraïque qui veut
dire « pierre », devenu donc Pierre, pour signifier que c’est sur lui qu’il fonderait l’Église.
Les apôtres reconnurent la primauté et l’autorité de Pierre : celui-ci fut considéré comme le
premier à avoir baptisé, opéré des miracles et organisé l’Église ; il fut le premier pape. Il
mourut sous l’empereur Néron, et, d’après la tradition, il fut crucifié. Il n’y a, cependant,
que très peu de détails concernant le crucifiement de saint Pierre. On ne sait, par
exemple, s’il a été fixé sur la croix par des clous ou par des cordes, et la liberté est laissée
aux artistes pour les représentations. La mort de saint Pierre a lieu sans témoins, il est
souvent entouré de bourreaux qui s’acharnent sur lui, et on voit parfois des anges autour
de sa tête.
Toutefois, on l’aura compris, l’intérêt premier de cette œuvre réside dans la dramatisation.
Cette toile de Luca Giordano rappelle fortement l’art de Caravage : clairs-obscurs
dramatiques, trivialité des visages de mauvais garçons des bourreaux. Une dizaine de
personnages animent le tableau et deux d’entre eux, vus de profil, encadrent la scène : le
corps dénudé et tout en tension de saint Pierre est éclairé d’une lumière violente et se
détache du fond sombre d’un brun violet. Toute la gamme chromatique tourne autour des
tons bruns, roux et violacés. Par son attitude, l’homme qui se trouve à l’extrême gauche
fait penser à un autoportrait.
Le martyre de saint Sébastien, Luca Giordano
Il existe plusieurs types de représentation de saint Sébastien mais la figuration la
plus répandue est celle de l’époque de la Renaissance, qui présente un jeune homme
attaché et percé de flèches. Les attributs de saint Sébastien sont les flèches et la palme
du martyre. Il est parfois en tenue de soldat.
Saint Sébastien était centurion. Converti au christianisme, il profita de cette position pour
aider ses coreligionnaires qui étaient emprisonnés, ce pourquoi l’empereur Dioclétien le
condamna à mort. Il fut condamné à être transpercé de flèches et laissé pour mort. Une
veuve, Irène, releva son corps abandonné pour l’enterrer mais s’aperçut qu’il vivait encore
et le soigna. Guéri, Sébastien se rendit au palais impérial pour se présenter de nouveau
devant Dioclétien et proclamer sa foi. Il fut flagellé, et cette fois, il ne survécut pas. Son
corps fut jeté dans l’égout de la Cloaca Maxima. En art, on distingue les deux martyres,
pourtant c’est le premier que les artistes choisissent de représenter, car il est plus
populaire, même s’il n’est pas fatal.
De l’avis des spécialistes de la peinture napolitaine, ce Saint Sébastien est un chefd’œuvre de la jeunesse de Luca Giordano. La force de cette scène, qui n’est aucunement
naturaliste, réside dans sa construction à partir d’un clair-obscur très contrasté où c’est
moins le corps qui est représenté que la manière dont il renvoie la lumière ; le fond est
noir, la lumière, violente, détache le corps blanc du personnage, donnant des aspects
argentés sur le visage. De plus, la rareté et le raffinement des couleurs, qui ne se devinent
qu’après quelques minutes d’examen (le bleu sombre du drapé, la paupière rougie ou la
branche jaune), accentuent encore la morbidité de la représentation. Le saint Sébastien
de Giordano est bien un manifeste de la peinture baroque : tout est fait pour donner une
intensité dramatique maximale au tableau.
Scène de cuisine, Anonyme lombard ou napolitain du XVIIe siècle
La scène ou peinture de genre appartient aux genres picturaux réalistes que la
Renaissance a fait naître. Comme la peinture d’histoire, la scène de genre met en scène
des hommes et des femmes et raconte leur histoire. Cependant, elle aborde des sujets
quotidiens, scènes de rue ou d’intimité, inspirées des mœurs contemporaines et qui
prêtent souvent à rire. La peinture de genre, qui reçoit cette dénomination au XVIIIe siècle
par défaut, puisqu’elle ne traite ni de l’histoire au sens noble, ni de l’allégorie, ni du
paysage, pas plus que de la nature morte, est un « genre bas », une peinture que les
critiques jugent bonne seulement à amuser le bourgeois.
Malgré tout, la scène de genre se révèle être un précieux témoin des mœurs d’une
époque et un outil historique puissant. Certes, les actions qui y sont accomplies ne sont
pas de celles qui fondent la grande Histoire, mais elles permettent de connaître les
manières de vivre propres à une époque, de connaître l’Homme enfin. Les scènes de
genre se font par exemple l’écho de l’insertion progressive de l’enfant dans la peinture.
Dès le XVIe siècle, l’enfant est de plus en plus représenté en compagnie d’adultes dans
des scènes de vie quotidienne et dans des moments intimes. L’art du portrait s’enrichit
donc d’une autre expression, plus vaste, indissociable de l’intérêt naissant pour l’enfance :
le sens de la famille. Les scènes d’intérieur se font plus fréquentes et deviennent un sujet
récurrent du genre pictural, avec un point d’orgue durant le XIXe siècle.
Ici, les enfants sont déjà bien grands : il s’agit d’adolescents qui aident leur mère à
préparer le repas. La jeune fille, coquette, porte un collier de corail, que l’on offre
généralement aux petites filles pour les protéger du mauvais œil dans les régions
méditerranéennes, ainsi qu’une paire de boucle d’oreilles, que portent habituellement les
femmes mariées.
Nous retrouvons également la dialectique du dedans/dehors, généralement associée à la
répartition des tâches entre l’homme et la femme, surtout dans les pays méditerranéens
(n'oublions pas que le tableau est l’œuvre d'un peintre italien) La scène de genre se révèle
donc être un outil ethnographique très intéressant, car fidèle à la réalité d’une époque.
Réalisation : Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Secteur éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts
Photographies : ©Palais Fesch-musée des Beaux Arts / RMN-Gérard Blot
Toutes les œuvres évoquées dans le présent parcours n'ont pas été reproduites dans le document.
Cependant, afin de préparer au mieux votre visite, elles sont consultables en ligne, sur le site du
Palais Fesch : www.musee-fesch.com.