LE JEU DE L`HOMME ET DE LA FEMME

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LE JEU DE L`HOMME ET DE LA FEMME
LE JEU DE L'HOMME ET DE LA FEMME
Philippe Gaberan
érès | VST - Vie sociale et traitements
2002/2 - no 74
pages 44 à 45
ISSN 0396-8669
Article disponible en ligne à l'adresse:
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2002-2-page-44.htm
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------VST - Vie sociale et traitements, 2002/2 no 74, p. 44-45. DOI : 10.3917/vst.074.0044
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Gaberan Philippe , « Le jeu de l'homme et de la femme » ,
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L’IMAGE
Le jeu de l’homme
et de la femme
Dans le VST n° 72, le « Coup de gueule » de la deuxième et le troisième de
couverture présente un face à face dessiné entre un homme et une femme. En
légende, lui et elle se renvoient un « jeu de moi » interrogeant leur désir de
l’autre et leur quête d’identité. Formateur et chargé de recherche au CRF-Ceméa
de Toulouse, il m’arrive de voyager dans le train du matin avec deux étudiants
moniteurs éducateurs auxquels, entre autres suivis et études de dispositifs,
j’enseigne l’histoire et la philosophie de l’éducation. Ce matin-là, ils me
demandent de leur expliquer les dessins et leurs légendes. Le défi est intéressant
et je le relève. Je leur demande le temps du voyage, 40 minutes, pour improviser
une réponse, lue devant eux en introduction au cours de l’après-midi. Il s’agit ici
de la version écrite, à peine remaniée.
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Puisqu’il s’agit de jeu, jouons. Nous
aurions tort de nous en priver puisque
Winnicott enseigne que le jeu a toute
son importance dans la construction du
« je ».
Dans le face à face de ces deux dessins,
l’un en ouverture, la femme, et l’autre en
clôture, l’homme, il s’agit d’un jeu de
miroir qui, au pire, est une affaire de sexe
et, au mieux, une affaire de désir, mais
quoi qu’il en soit, rejoint bien l’intuition
conceptuelle de stade de miroir mise en
œuvre par Freud et prolongée par Lacan.
Pour ce dernier, le miroir est plus subtil
puisqu’il n’est pas de glace mais qu’il est
la pupille de la mère qui se penche sur
l’enfant afin de lui donner le sein
(notons, dès à présent, l’importance du
sein sur la première illustration). L’intérêt
que la pupille soit le miroir vient de ce
que ce miroir est fait de désir, car la mère
« allaitante », et donc la mère donnante,
est une mère satisfaite de désir. C’est
l’enfant qui la mange et pourtant c’est
elle qui le bouffe du regard. Histoires de
cannibalisme mis en scène par les
mythes, et jeu de « dévoration » à
l’œuvre dans la relation éducative chargée d’affection et que certains processus
modernes de formation ont voulu expurger, faisant le pari morbide de donner à
être sans aimer.
Elle, est en ouverture, et donc première
alors qu’à l’origine elle est dernière, elle
vient après, après lui. Renversement des
rôles acquis au cours du temps et au fur
et à mesure que les hommes ont abandonné les mythes pour venir dans la réalité, évolution soi-disant « naturante » qui
fait passer l’être du stade du principe de
plaisir à celui du principe de réalité. C’est
elle donc qui prend la parole en premier
et qui interpelle l’homme et le provoque… mais restons positif et respectueux, et acceptons que la femme soit
bien, comme dit le poète, l’avenir de
l’homme en dépit des apparences que
c’est bien à cause d’une pomme tendue
par elle que nous fûmes chassés de
l’Éden. Que c’est bien elle, ou son
double, c’est-à-dire le Malin, qui lui a
suggéré l’idée que le savoir pouvait être
signe de pouvoir et qu’il suffisait de goûter à « l’arbre de vie » pour obtenir la vie
éternelle. Menteries que tout cela, perfidie peut-être même, mais enfin reconnaissons que par cette chute, celle de
l’Éden, l’humanité grâce à la femme
abandonne les paradis artificiels dans lesquels le bonheur n’est dû qu’au fait de
ne rien savoir. Vous en savez quelque
chose vous qui en venant ici abandonnez
en quelque sorte des rivages d’ignorance
pour vous prêter au mirage de la
connaissance. Vous avez refusé de singer
l’animal qui se place les mains devant les
yeux, la bouche et les oreilles afin de ne
rien dire, rien voir, rien entendre et croire
ainsi accéder au bonheur. Vous saurez en
apprenant que vous ne saurez jamais
rien, mais vous saurez aussi qu’en refusant de courir le risque de ne rien savoir
en apprenant, vous refusez en même
temps le fait d’accéder à l’humanité.
Revenons aux images. Que dit-elle elle ?
« Le jeu de moi : Que veux-tu de moi,
si ce n’est ma part en toi. »
Venons-en d’abord au « jeu de moi » qui
prend tout son sens si à travers le « jeu »
en question c’est bien le « je » de l’identité qui se joue. Je l’ai dit plus haut et je
n’y reviens donc pas. Quelle est donc
cette part du « je » féminin que cet autre
masculin pourrait bien désirer (« que
veux-tu de moi ») et dont elle dit que
cette part de féminin est déjà en l’autre,
le masculin ?
Est-ce son sexe ? Lorsque dans son
poème, Ronsard (XVIe siècle) dit :
« Mignonne allons voir si la rose qui ce
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PARLE
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Le jeu de l’homme et de la femme
VST n° 74 - 2002
femme pour mieux donner leur place aux
éprouvettes.
Mais revenons à lui et à l’éternelle frustration de l’homme de ne pas pouvoir
passer de l’autre côté du miroir pour ce
qui concerne cette capacité à donner la
vie. Immense privilège de l’être féminin
que de pouvoir se situer d’emblée du
côté de la « fécondité ». En dehors de
cela, que peut-il rester à l’homme sinon
des illusions de pouvoir.
Passons alors à lui, car c’est bien ce qu’il
lui demande à elle quand il dit : « Le jeu
de toi : « Je te dois ce qui est toi, pour
te retrouver en moi. »
Qu’est-ce que lui, qui a tout en apparence, le sexe, on l’a dit, le pouvoir, l’antériorité de la création, puisqu’il lui
donne même une côte pour qu’elle
puisse advenir, qui a la force, la priorité
du masculin sur le féminin (c’est tellement inscrit que, vous élève femme, vous
vous décrivez devenant moniteur éducateur, comme si cela faisait plus sérieux
que de devenir monitrice éducatrice),
qu’est-ce que lui qui a tout a besoin
d’elle ?
Trop souvent « fait con », le mâle aimerait
bien devenir « fécond ». Il ne le peut,
devenir fécond, que par la femme qui à
ce titre est bien son avenir. C’est-à-dire
qu’il faut d’abord que lui admette que la
supériorité de l’être n’est pas dans la
capacité à dominer, à maîtriser, à détruire
l’autre, mais dans la capacité de donner
la vie. Que ce pouvoir là, n’est pas une
faiblesse qui caractérise le sexe appelé,
du coup, faible, mais la seule et unique
force de l’être.
Dès lors le mâle est-il condamné à l’impuissance faute de pouvoir donner la vie
autrement qu’en jetant sa semence aux
quatre ventres ? Peut-être pas, et ce
PHILIPPE GABERAN
CRF-Ceméa (31)
Pour aller plus loin :
Élisabeth Badinter, L’Un est l’autre ; L’Amour
maternel.
Sigmund Freud, Totem et Tabou. Théorie sur la
sexualité.
Winnicott, Jeu et réalité.
Paul Fustier, Le lien d’accompagnement.
Michel Foucault, Histoire d’Herculine Barbin.
Loisel, Peter Pan (BD, 5 vol. parus).
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matin était éclose… », nous savons tous
que ce n’est pas d’une fleur qu’il s’agit
mais d’un tout autre bouton dont la
caresse révèle des parfums aux ivresses
éternelles. Ce n’est pas ce sexe là qui est
désiré sauf pour en jouir et à moins de
souhaiter changer de sexe, possibilité
offerte et désirée que par une toute
petite minorité de gente masculine dite,
pour
l’occasion,
transexuelle. En
revanche, chaque mâle est en capacité
de développer le fantasme à se laisser
posséder, pénétrer, prendre, autant de
perspectives plus naturellement offertes
à la rose qu’au cul de l’être.
Ce que l’autre masculin peut vouloir du
féminin est l’image de la mère. Il y a en
tout être, et surtout chez le mâle, la nostalgie d’un temps précieux où il était
spontanément protégé, enserré, porté
dans le sein, confondu au chaud sans
qu’il n’ait à rougir ni à devoir montrer sa
dignité de mec. Ce temps d’un idéal
perdu est toujours logé quelque part en
lui et peut même guider le refus de grandir qui, chez Peter Pan (et je vous renvoie
à Loisel) pousse les enfants vers l’île imaginaire (voyez la BD, les fées et les sirènes
aux avantages plantureux à l’instar de ce
dessin digne de Picasso).
Enfin, ce que l’autre, le masculin, peut
désirer du féminin, c’est le pouvoir de
donner la vie, d’accéder à cette maternité exclusivement réservée à la part dite
« faible » de l’humanité. Elle montre ses
fesses. Picasso copie l’art primitif qui fait
du postérieur le signe visible de la fécondité. Autrefois, il n’y avait de vraie
femme que celle qui avait un bassin large
capable de porter des enfants. Aujourd’hui, on fabrique des mannequins ou
des Lolita à la pelle dans des normes de
minceur qui enlèvent son corps à la
serait alors le sens de la pomme tendue,
s’il place sa fécondité dans la création, et
notamment dans la création intellectuelle. Freud, encore lui, a bien senti la
nécessité de ce passage puisqu’il parle,
afin de pouvoir grandir, de la nécessité
de sublimer la pulsion sexuelle en soif de
connaissance. En gros, croque la pomme
pour ne pas me croquer moi. Mais nous
voyons bien, si nous retournons à
l’image, que cette perspective là l’ennuie. Regardez l’expression du visage
donnée par le dessin. Elle est loin de
refléter l’extase exprimée par le penseur
de Rodin. Si jouir est forcément heureux,
penser n’est pas toujours gai. Et alors,
ultime curiosité féminine, de celle qui
m’a mise au défi de vous expliquer les
phrases inscrites sous ces dessins, vient à
l’homme cette protubérance qu’il a sur la
tête. C’est un sexe, un sexe mental.
Celui-ci est petit certes, mais comme dit
B., l’un d’entre vous connu autant pour
son rire que pour sa peau noire, il ne sert
à rien d’en avoir un très grand si c’est
pour en laisser la moitié à l’extérieur.
Mais à quoi donc peut bien servir ce
second sexe sinon à marquer dans le
corps du mâle son passage de l’être animal à l’être humain, à passer de la jouissance génitale à la jouissance mentale, y
compris, et si nécessaire, par le biais
d’une masturbation intellectuelle.
Mon explication n’a ni queue ni tête… Je
vous avais prévenu : intellectuel je suis,
intellectuel je reste. Exhibitionniste, j’ai
joui devant vous de mon savoir.