France : Bas débit
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France : Bas débit
France Bas débit Malgré les soutiens à la demande (bas prix du pétrole, cours de l’euro favorable, conditions financières accommodantes), la reprise manque de dynamisme. Cette situation s’explique largement par la faiblesse de la croissance potentielle, qui est aujourd’hui estimée autour de 1% par les principales institutions internationales. Le sous-investissement dans les secteurs recélant les gains de productivité les plus importants est particulièrement problématique. Il s’explique par la faiblesse des marges dans l’industrie qui, au-delà du poids des charges, renvoie à la question de la faible concurrence dans les secteurs abrités, ainsi qu’à la qualification de la main d’œuvre. Dans ces deux domaines, des marges de progression existent. Depuis les deux trimestres consécutifs de contraction du PIB début 2014, la reprise française manque singulièrement d’élan. Après 0,2% en 2014, nous prévoyons une croissance de l’activité de 1,1% cette année. En dépit des facteurs qui soutiennent la demande (bas prix du pétrole, cours de l’euro favorable et conditions financières très accommodantes), l’économie française peine à décoller. Elle devrait se renforcer quelque peu à l’avenir, sans toutefois marquer d’accélération véritable. Nous attendons une croissance de 1,4% en 2016 et 1,6% en 2017. La langueur de l’économie française s’explique en grande partie par les contraintes d’offre qui limitent la croissance potentielle. D’après l’OCDE, cette dernière est passée de 1,8% en moyenne en 20002009 à 1,1% depuis 2010. Elle avait déjà ralenti de 2,5% à 2% entre les années 1980 et la décennie 1990. Le tassement de la croissance potentielle n‘est pas propre à la France. Le ralentissement du progrès technique et le vieillissement démographique, auxquels s’ajoutent dernièrement les effets prolongés de la crise financière de 2008-2009 sur le capital physique et humain, concernent presque tous les pays avancés. Toutefois certains points faibles de l’économie française, comme la rentabilité insuffisante des entreprises ou les rigidités du marché du travail, des biens et des services ont pu accentuer la tendance. Leur amélioration constitue à l’inverse des possibilités d’élever le potentiel de croissance. ■ Productivité et investissement La croissance potentielle dépend de la mobilisation du facteur travail et des gains tendanciels de productivité. Ces derniers sont fonction de l’intensité capitalistique (stock de capital par travailleur) et de la productivité globale des facteurs (PGF). La PGF est généralement assimilée au progrès technique, mais elle renvoie plus largement à l’ensemble des améliorations qui augmentent l’efficacité du processus de production, qu’elles soient d’ordre technologique ou organisationnel. La France connaît un ralentissement des gains de productivité depuis les années 1970. La croissance de la productivité du travail par tête, qui dépassait 3% par an entre 1970 et 1979, plafonne à 0,7% en moyenne depuis 2000. Et encore, depuis la crise de 2008 cette dernière n’atteint que 0,3%. La raison première de cette faiblesse est à voir du côté de la PGF qui stagne depuis une dizaine d’années (voir graphique). L’intensité capitalistique a également faibli depuis le début de la crise financière. Dans un cas comme dans l’autre, le déficit d’investissement joue un rôle important. economic-research.bnpparibas.com 1- Synthèse des prévisions Variations annuelles, % 2014 2015 e 2016 e PIB GDPYY 0,2 1,1 1,4 Consommation priv ée PRCONYY0,6 1,8 1,4 Inv estissement GFCFYY-1,2 -0,8 0,8 Ex portations EXPYY 2,4 6,0 4,1 Indice des prix à la consommation (IPCH) HCPIYY 0,6 0,1 0,9 IPCH hors alimentation et énergie HCPICOREYY 1,0 0,7 0,7 Taux de chômage (%) URATE 10,3 10,3 10,2 Balance courante (% PIB) CURBAL% -0,9 0,1 -0,1 Solde des Adm. Publiques (% PIB) GGOVBAL% -4,0 -3,8 -3,4 Dette publique (% PIB) GGOVDEBT% 95,6 97,1 98,0 e: estimations et prévisions BNP Paribas Recherche économique Groupe L’investissement permet en effet d’élever le stock de capital par travailleur, ce qui accroît, en théorie, la productivité du travail. Il s’agit également d’un moyen de stimuler la PGF en favorisant la diffusion du progrès technique dans l’économie. En fait de déficit d’investissement, c’est avant tout en termes qualitatifs que le problème se pose. Si le niveau d’investissement des entreprises françaises est relativement élevé, la proportion destinée au capital susceptible de générer des gains de productivité est insuffisante. Ainsi l’investissement dans la construction ou les transports apparaît relativement important en regard de celui consacré à la recherche et au développement (R&D), ainsi qu’aux technologies avancées. Par exemple, le degré de robotisation en France est bien inférieur à celui observé en Allemagne et en Italie. ■ Investissement et compétitivité Un des facteurs qui expliquent ce « mal-investissement », en particulier en termes de R&D, est la place réduite qu’occupe l’industrie manufacturière en France, secteur qui concentre traditionnellement l’investissement productif. Mais l’effet de structure ne fait pas tout. Même au sein de l’industrie, les enquêtes révèlent la prédominance de l’investissement de renouvellement par rapport à l’expansion des capacités existantes 1. Cette situation trouve en partie son origine dans la faiblesse des marges bénéficiaires de l’industrie manufacturière, passées de 32% au début des années 2000 à 22% en 2013. Du fait d’un niveau de gamme insuffisant, les entreprises françaises ne sont pas en mesure de répercuter la hausse de leurs coûts de production sur les prix de vente. En L’investissement de renouvellement peut également générer des gains de PGF dès lors qu’il incorpore du progrès technique. Toutefois l’effet sur la productivité est généralement moindre que pour l’investissement d’expansion notamment car, contrairement à ce dernier, l’investissement de renouvellement laisse le stock de capital inchangé. 1 France 4ème trimestre 2015 10 conséquence leur capacité d’autofinancement s’érode, ce qui limite l’investissement dans les technologies avancées et accentue le problème de qualité-prix, donc de marge. Le problème de la compétitivité-prix n’est pas seulement lié aux coûts unitaires du travail dans l’industrie manufacturière qui, à l’inverse de l’évolution constatée pour l’ensemble de l’économie, n’ont que très peu progressé depuis le début des années 2000. Il renvoie aux coûts des consommations intermédiaires (dont importations) qui représentent plus de la moitié de la valeur des exportations (CAE, 2014). Ils ont fortement augmenté depuis dix ans du fait, notamment, d’une concurrence insuffisante dans les services aux entreprises et dans les activités de réseau (transports, énergie). Ainsi, la faiblesse des marges dans l’industrie manufacturière renvoie à celles trop élevées dans les secteurs situés en amont de la chaîne de production. Ce différentiel de rentabilité a également pour effet d’encourager l’allocation des facteurs de production vers les secteurs abrités, renforçant l’effet de structure mentionné plus haut. En outre, un faible degré de concurrence tend à protéger les technologies existantes, parfois dépassées, ce qui décourage l’effort d’innovation. ■ Investissement, formation et emploi La force de travail dépend du nombre de personnes en âge de travailler2, de leur participation au marché du travail (taux d’activité) et du taux de chômage structurel. Contrairement à celle de nombreux pays avancés, la population française en âge de travailler ne devrait pas subir de contraction dans les dix à vingt prochaines années. Cette dernière devrait néanmoins cesser de croître et se stabiliser 3 légèrement au-dessus de 40 millions de personnes. La modeste contribution du facteur travail à la croissance potentielle vient plutôt du faible taux d’activité des jeunes (moins de 25 ans) et des seniors (55-64 ans) et du niveau élevé de chômage structurel. De multiples facteurs expliquent ces faiblesses. La dualité du marché du travail - avec d’un côté les insiders (les salariés avec un contrat à durée indéterminée par exemple) et de l’autre les outsiders (les chômeurs ou les salariés avec un contrat temporaire) rend, par exemple, plus difficile l’insertion professionnelle. D’après l’OCDE, en France, 55% des jeunes employés sont en contrat à durée déterminée avec un faible taux de conversion en emploi permanent. Ces emplois sont particulièrement exposés lors des mauvaises conjonctures ce qui fait reposer les ajustements du marché du travail sur les plus fragiles. La rigidité des salaires, liée notamment à la prévalence des accords de branche sur ceux d’entreprise ou au mode de fixation du salaire minimum, mais aussi à la mauvaise qualité du dialogue social 4 , limite les capacités d’adaptation du secteur productif aux évolutions de la demande et pénalise l’emploi. Le manque de qualification de la main d’œuvre accentue ces difficultés (France Stratégie 2014). Les enquêtes PIAAC5 de l’OCDE 2 Personnes âgées de 15 à 64 ans En pourcentage de la population totale elle devrait néanmoins baisser, reflétant le vieillissement démographique 4 Voir par exemple le rapport de J.D Combrexelle, « La négociation collective, le travail et l’emploi », septembre 2015 5 Les enquêtes PIAAC mesurent les compétences d’adultes âgés de 16 à 65 ans et leur utilisation dans un cadre professionnel 3 economic-research.bnpparibas.com 2- Evolution de la productivité globale des facteurs 2010=100 - - - - Observée ▬ Tendance (HP,= 100) 110 100 90 80 70 60 50 1965 1975 1985 Sources : AMECO, BNP Paribas 1995 2005 2015 sur les compétences de la population active place la France à un niveau médiocre. L’insuffisance de la formation continue est patente Le problème est préoccupant pour les seniors dont les difficultés à adopter les nouvelles techniques de production peuvent limiter l’employabilité. Inversement, l’insuffisante qualification de la main d’œuvre décourage les entreprises à investir dans les technologies avancées, ce qui peut freiner les gains de productivité et, in fine, accroître le chômage. Rappelons que si productivité et emploi sont souvent opposés (du moins à court terme, micro économiquement), ils évoluent dans le même sens sur longue période. L’élévation des gains de productivité est indispensable pour faire baisser le chômage structurel et soutenir durablement la croissance. *** L’affaiblissement de la croissance potentielle française est incontestable mais la situation n’est pas dénuée d’espoir : les marges de progrès apparaissent également importantes. La France dispose de réserves de croissance qui, libérées, permettraient d’élever significativement le potentiel. La relance de l’investissement productif apparaît clé aussi bien pour la productivité que pour l’emploi. Naturellement, les perspectives de demande sont déterminantes en la matière. La conjoncture européenne reste peu porteuse, et les risques sur la croissance mondiale ont augmenté récemment avec le ralentissement des pays émergents. Cela étant, l’investissement français est aussi retenu par des contraintes d’offre qui doivent être levées. Les réformes introduites ces dernières années s’attaquent en partie au problème de l’offre. Les différentes mesures en faveur de la compétitivité des entreprises (CICE, pacte de responsabilité) libèreront des marges de manœuvre pour l’investissement. Les taux de marges se redressent déjà. Ces efforts mériteraient d’être accompagnés par l’introduction de davantage de concurrence dans les services, au-delà des dispositions de la loi Macron. En outre, la qualification de la main d’œuvre doit être relevée, ce qui passe par l’éducation mais aussi la formation continue. Thibault Mercier [email protected] France 4ème trimestre 2015 11