On peut se faire confiance même si tout n`est pas

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On peut se faire confiance même si tout n`est pas
On peut se faire confiance même si tout n’est pas parfait
Paru dans Travail et santé, vol 24 no 4, déc. 2008,
Jacques Lafleur, psychologue,
Compte tenu du nombre faramineux de choses qu’on fait chaque jour, il vaut
mieux avoir confiance en soi. Autrement, on risque de passer sa vie à se remettre
en question et à critiquer tout ce qu’on dit, fait ou pense. Ce qui n’est pas
reposant…
En toute chose, il y a la surface et la profondeur. Pour voir le côté superficiel de la confiance en
soi, il suffit de regarder les «vrais» politiciens: jamais ils ne doutent d’eux-mêmes. Les critiques
même les plus acerbes ne les ébranlent pas ; au contraire, ils y trouvent prétexte à renchérir sur
ce qu’ils ont fait, confirmant une fois pour toutes qu’ils avaient raison et que leurs détracteurs
avaient tort. «Ils sont bien faits», disent ceux et celles chez qui l’autocritique est plus
dévastatrice…
En politique, c’est un jeu: on doit faire semblant d’avoir toujours raison. À un niveau plus
profond, la confiance en soi est fort différente, car elle admet sans difficulté les erreurs
commises. Mais c’est sans se remettre lui-même en question, sans se dévaloriser et surtout sans
se détester que l’individu qui a confiance en lui-même reconnaît ses limites, torts et bévues. Il
considère comme normal d’avoir des faiblesses dans certains domaines et il ne s’en formalise pas
outre mesure. Il essaie simplement de ne pas continuellement vivre confronté à ses limites,
préférant choisir une vie où il peut mettre ses forces et ses qualités de l’avant, au service de ce
qu’il considère comme des réussites.
Confiance en soi ou performance hors du commun?
Ainsi, un grand chef cuisinier à qui on demandait s’il pouvait tout réussir dans son art répliqua
immédiatement qu’il était «pourri» dans le secteur de la pâtisserie: «Ça demande trop de temps
et de précision, ce n’est pas fait pour moi». C’est une réaction assez typique chez les gens qui ont
confiance en eux: ils savent ce dans quoi ils sont bons et ce dans quoi ils le sont moins. Ils
considèrent comme normal d’être plus ou moins efficaces dans certaines choses: une lacune ou
une erreur ne les amène pas à se dévaloriser ou à se méfier d’eux-mêmes le reste de leurs jours!
La question qui se pose est essentiellement de savoir comment nous donner une vie qui nous
permettra de développer et d’utiliser nos talents, tout en nous évitant d’être constamment
embourbés dans des situations où nos limites du moment ou nos lacunes plus profondes nous
restreignent à des réalisations médiocres. Et, dans ce contexte de vie sain, on saura voir ce qu’on
réussit plutôt que de s’attarder continuellement et uniquement à ce qui aurait pu être mieux fait.
C’est ce qui fait défaut aux gens qui n’ont pas vraiment confiance en eux-mêmes. Pour eux, la
confiance en soi ne peut s’acquérir que par la réussite en toute chose car, dès qu’ils ratent quoi
que ce soit, dès que tout n’est pas parfait, leur petite voix intérieure leur confirme qu’ils ont bien
raison de douter d’eux-mêmes. Et comme on peut difficilement passer une journée sans se
fourvoyer quelque peu, la petite voix trouve mille occasions de se faire entendre. Comment alors
parvenir à croire en soi, si on se dit cent fois par jour qu’on aurait tort de le faire?
D’autant que cette petite voix est en fait une grosse voix. Et elle a absolument confiance en elle
chaque fois qu’elle nous fait savoir qu’on est un imbécile… Manque de confiance en soi et
autocritique négative vont ainsi souvent de pair.
La confiance en soi
Une attitude et non le résultat d’une performance
La confiance en soi n’est en rien la conséquence d’une performance exceptionnelle à réussir tout
ce qu’on entreprend. Toute tentative de l’augmenter en visant la perfection est donc vouée à
l’échec, car il suffira d’une seule erreur pour que tout dégringole de nouveau. En plus d’être
inefficace, cette stratégie est épuisante: on se surveille soi-même et on surveille tout, tout le
temps! Et, ce faisant, on décèle facilement la moindre erreur, et on entretient ainsi le sentiment
d’être incompétent, voire inadéquat.
Il vaut mieux voir la confiance en soi comme une attitude, c’est-à-dire comme une façon
profondément ancrée de se voir soi-même et de voir le monde. La plupart des attitudes prennent
racine dans l’enfance et se développent durant l’adolescence et la vie adulte, au gré de la
personnalité, des influences et des circonstances. Une fois bien développées, elles ont cependant
une forte tendance à s’entretenir d’elles-mêmes et à persister, malgré nos efforts — parfois à
cause de nos efforts ! — pour les changer. Confiance et non-confiance en soi n’échappent pas à
cette règle.
Le sabotage se poursuit de lui-même
Bien que nous présumions juger des choses et de nous-mêmes objectivement, nous le faisons
essentiellement à partir de ce que nous croyons déjà. Nous nous servons ainsi le plus souvent des
événements pour confirmer nos idées sur nous-mêmes, sur les autres et sur la vie. C’est ce qui
explique qu’un même sondage puisse être interprété tout aussi favorablement par le
gouvernement que par l’opposition. Notre perception est ainsi fondamentalement biaisée par nos
convictions.
Supposons par exemple que vous ayez reçu des gens à un repas d’anniversaire. Tout était à point,
si ce n’est que le brocoli était trop cuit à votre goût et que l’entrée avait refroidi quelque peu
avant d’avoir été servie. Si vous vous faites habituellement confiance, vous jugerez: «Encore une
fois réussi. Attention cependant à l’entrée et aux légumes, la prochaine fois».
Si vous ne vous faites pas confiance, vous revivrez probablement les affres de certains
«insuccès» antérieurs et vous conclurez: «Comment ai-je pu prendre autant de temps pour servir
cette entrée? Et quelle tête de linotte: du brocoli trop cuit! Encore une fois raté. Je n’y arriverai
jamais». Et, si tout avait été parfait, la même attitude de non-confiance aurait mené la petite voix
intérieure à dire: «Fiou, tu as eu de la chance cette fois-ci ! Mais ne te repose pas sur tes lauriers:
rien n’est vraiment acquis pour quelqu’un comme toi...»
Comme toutes les attitudes, la confiance et non-confiance en soi ont donc une forte propension à
se maintenir d’elles-mêmes. Ce n’est pas en obtenant de meilleurs résultats qu’on augmente une
faible confiance en soi, mais bien en changeant notre façon d’interpréter nos erreurs et nos
succès. Il s’agit ici d’un changement intérieur. Les succès entretiennent et consolident la
confiance en soi, mais ils ne peuvent pas la créer si elle n’est pas déjà là.
Quelques directions pour développer sa confiance en soi
1. Plutôt que de chercher la perfection, prendre conscience de ses réussites et accepter qu’elles ne
soient pas toutes dues à la chance: on doit bien avoir du talent quelque part! Ce talent, on peut
s’y fier, même s’il ne nous mène pas toujours au succès total. Quand on évalue les choses, on se
dit: j’ai réussi ceci, cela, ceci et cela, mais j’aurais pu faire mieux avec ceci ou cela: résultat total
de 85-90%, c’est pas mal, je peux me faire confiance, tout en cherchant à corriger ce qui a moins
bien fonctionné — pour les choses qui en valent la peine, naturellement.
2. Lorsqu’elle se manifeste, prendre conscience de cette petite voix intérieure qui est toujours
prête pour la critique dévalorisante. Qui se cache derrière cette voix? Que dit-elle? Pourquoi le
dit-elle? Avec quel ton de voix le dit-elle? Comment lui inspirer un peu plus d’objectivité et de
respect? Quelqu’un me disait : «J’entends encore ma petite voix saboteuse, mais je ne l’écoute
plus», alors qu’une autre personne avait découvert que c’était la voix de sa mère, laquelle s’était
toujours montrée plutôt dévalorisante, qu’elle avait intégrée et qu’elle entendait si souvent ; cela
lui a permis de s’en dégager quelque peu. Essayer ainsi de solutionner la difficulté à l’intérieur
de soi plutôt qu’à l’extérieur.
3. Rééduquer sa voix intérieure pour qu’elle aligne sa critique sur les gestes plutôt que sur la
personne: «Attention, tu as commis cette erreur» plutôt que «espèce d’imbécile !». Il est sain
d’être capable de reconnaître ses erreurs ; il est malsain de conclure encore et toujours qu’on est
une personne mauvaise, incompétente, stupide ou «un cas désespéré». Attention aussi à lui
laisser jouer ses «cassettes» ad aeternam ; ce n’est pas parce qu’on vient d’échapper ses clés
qu’on doit nécessairement laisser sa petite voix repasser de façon méprisante envers soi nos 25
dernières «gaffes» avant de conclure une fois encore à notre profonde stupidité. Une cassette, ça
s’arrête ! Surtout si on l’a déjà entendue trop souvent…
4. Bien prendre conscience que toute décision comporte nécessairement des désavantages.
Cesser de voir l’apparition de ces désavantages comme la preuve qu’on a encore une fois pris
une mauvaise décision et se concentrer plutôt sur les bons côtés du choix qu’on a fait.
5. Lâcher prise sur le perfectionnisme. Si on place toujours la barre trop haut, on ne pourra
jamais arriver à savoir qu’on a du talent ni qu’on est une personne valable. Avoir ainsi des
attentes réalistes, ne pas s’organiser systématiquement pour être déçu de soi-même.
6. Prendre conscience d’éventuels bénéfices à ne pas se faire confiance: cela permet de se
dispenser d’accomplir certaines tâches ou de prendre certaines responsabilités ? de forcer les
compliments (Pourquoi te dénigres-tu? Ce que tu as fait est très bien!) ? de se protéger des
critiques d’autrui en se démolissant soi-même avant qu’elles ne viennent? Ou bien c’est la seule
façon qu’on a développée pour corriger ses erreurs ?
7. Il peut souvent s’avérer utile d’aller plus en profondeur et de chercher à savoir où, dans son
histoire personnelle, on a appris à ne pas se faire confiance. Par exemple, durant leur enfance,
beaucoup de gens ont appris à se «tomber dessus» lorsqu’ils commettaient certains gestes parce
qu’ils savaient qu’ils se feraient punir ou rabrouer fortement par leurs parents. On peut ainsi
intégrer la loi et la voix de ses oppresseurs pour se protéger du mal qu’ils nous font quand on ne
fait pas ce qu’ils veulent. De fréquentes comparaisons avec un frère ou une sœur préférés ou des
parents dévalorisants ou dont on décevait les attentes ont aussi pu créer un doute sur soi.
8. S’efforcer de découvrir les véritables enjeux qui se cachent sous l’apparent besoin de tout
réussir. De quoi veut-on se protéger ? De quoi a-t-on vraiment peur ?
9. Attention à vivre près de gens dont le sport préféré est de voir les erreurs des autres. À la
longue cela finit par déteindre sur nous.
10. Attention aussi aux cultures organisationnelles axées sur l’hyperperformance. Le fait de
côtoyer des gens qui vouent leur vie entière au travail peut nous amener à nous dévaloriser de ne
pas vouloir ou de ne pas être capable de faire comme eux. À chacun ses choix ! mais rappelonsnous à tout le moins qu’il n’y a pas que les gens qui se vouent entièrement au travail qui soient
des personnes valables.
L’estime de soi et la confiance en soi sont des attitudes essentielles à une vie heureuse. À cette
époque où la vie professionnelle et la vie personnelle exigent beaucoup de nous, il est vital de
développer une autocritique saine destinée à nous aider à poursuivre notre développement.
Comme les habitudes de se malmener soi-même ou de douter profondément de sa compétence ou
de sa valeur ne sont aucunement utiles en ce sens, on peut les délaisser sans crainte de devenir
médiocre. Il est souvent sain de «rénover», mais il ne sert à rien de continuellement se démolir !

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