La galère des “annulés”

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La galère des “annulés”
■ACTUALITÉ
Permis de conduire
Près de 40 000 permis de conduire ont été
retirés en 2004. Pour reconduire, il faut
retourner à l’auto-école. Pas toujours facile
de récupérer le précieux carton rose.
Par Philippe Doucet
L
es auto-écoles les reconnaissent au premier coup
d’œil à quelques signes
qui ne trompent pas.
D’abord, ils ont la tête plus chenue
que la moyenne. Ensuite, ils se renseignent sur les prix, quand ils ne
l’ont pas déjà fait sur internet,
essayant de trouver le forfait « code
et conduite » le moins cher. Une
formation complète de qualité n’est
pas bon marché : au minimum
600 euros en région parisienne.
Enfin, ces clients un peu particuliers préviennent : « Vous ne me
verrez pas souvent, car moi je sais
déjà conduire ! »
L’année 2004 a vu apparaître
une nouvelle race de candidats au
permis de conduire : ceux qui doivent le... « repasser », après la perte
totale des 12 points de leur carton
rose. Selon le ministère de l’Intérieur, 39 413 permis ont été invalidés au cours de l’année 2004. soit
une augmentation de 87 % par rapport à 2003 et une multiplication
par quatre en volume depuis 1997.
Plus de 96 % étaient détenus par
des hommes. L’épidémie s’est
développée à partir de 2003, quand
les contrôles routiers se sont renforcés et que le barème de retrait de
points est devenu plus sévère. Trois
points pour un oubli de ceinture,
deux pour un téléphone tenu en
main. A ce tarif, les choses peuvent
aller très vite.
L’examen théorique est devenu
plus difficile depuis quel-ques
années. D’abord, il faut prouver
que l’on connaît le matériel automobile. Les nouvelles questions
peuvent porter sur la couleur du
témoin de feu de croisement au
tableau de bord ou celle des feux
LE FIGARO MAGAZINE
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de route. Et le niveau va encore
monter d’un cran. Dès l’année prochaine, l’examinateur pourra vous
demander où se trouve le réservoir
de liquide de lave-glace ou de frein.
Autrefois, on était interrogé sur
quatre carrousels (paniers de diapositives) de 40 questions, soit au
total un maximum de 160 questions. L’examen porte maintenant
sur un panel d’environ 1 500 questions. Certaines d’entre elles étaient
à l’origine si difficiles que les autoécoles en ont obtenu le retrait
en arguant que le conducteur
moyen ne devait pas forcément
être aussi un bon juriste.
« De 80 % à 90 % de taux de
réussite à l’examen théorique,
nous sommes brutalement descendus à 40 %. Nous avons dû
revoir notre enseignement pour
revenir à une proportion de
reçus acceptable », confie Claude
Ben Yedder, qui dirige avec Montcef, son époux, une auto-école
avenue de Versailles, à Paris. La
conduite, elle, pose moins de
souci. Mais il faut réapprendre des
gestes parfois oubliés, comme
celui, par exemple, de tourner la
tête à une intersection, pour que
l’inspecteur apprécie vos qualités
de conducteur.
Humiliant ? « Régressif », commente un autre de ces « annulés ».
Faut-il alors tenter de repasser son
permis en candidat libre, pour éviter de se retrouver avec des adolescents goguenards ? L’administration n’aime pas cette démarche
et l’exprime à sa manière : en donnant de longs délais. Et ce n’est pas
gagné. Un médecin était un jour
venu repasser son permis avec son
véhicule orné du nom de son ser-
Samedi 16 juillet 2005
P. LAPOIRIE/PHOTOPQR/NICE MATIN
La galère
des “annulés”
Fini le permis de
conduire à « vie ».
vice d’urgence. L’inspecteur ne le
lui pas accordé. La vie est aussi faite
d’injustices. Un moniteur se souvient d’une femme qui avait eu son
permis annulé pour ivresse répétée au volant. Le jour de l’examen
de conduite, elle arrive légèrement... éméchée. Peu importe, elle
a eu son carton rose.
« Le permis est pour beaucoup
un instrument de travail. Alors,
pour ceux qui sont frappés par
une annulation, nous ne faisons
pas traîner les choses », reconnaît
Montcef Ben Yedder. Même si
l’égalité reste la règle dans son
auto-école : « Pour moi, un candidat est un candidat, quel que
soit son passé de conducteur »,
affirme François Criquet, moniteur
depuis plus d’un quart de siècle.
L’avenir ne reste pas encourageant pour tous ceux qui continueront à enfreindre la loi de la
route. Après les radars fixes, désormais repérés par les systèmes de
navigation GPS embarqués, les
radars mobiles devraient réserver
quelques nouvelles petites surprises. A la demande générale de
la police et surtout de la gendarmerie, plus rurale, les conducteurs
en état d’ébriété se préparent des
jours plus difficiles. Et à partir de
mai 2006, l’épreuve de conduite
passera de vingt à trente-cinq
minutes, alors que les effectifs des
inspecteurs sont à la baisse. Pour
repasser le permis, il faudra donc
attendre encore plus longtemps. ■
2 jours pour 4 points
umière grise et ambiance morose dans cette salle louée à une congrégation
religieuse où dix-sept conducteurs ayant perdu la majorité de leurs points vont
suivre « un stage de sensibilisation à la sécurité routière ». Selon la loi, il va leur
permettre d’en regagner 4 au terme de deux jours passés avec un psychologue et
un formateur. Pour beaucoup, ce stage représente une dernière chance avant
l’annulation de leur permis. Trois grandes populations cohabitent. La plus
importante est celle de l’homme pressé et dévoreur de kilomètres, comme Michel,
entrepreneur, 80 000 kilomètres par an, permis obtenu en 1972. Deux excès de
vitesse lui ont fait perdre 7 points. L’insouciant cumulard représente la deuxième
grande catégorie. C’est celle de Christian, chef de projet, conducteur depuis dix
ans, 25 000 kilomètres par an. Deux « feux rouges » et un « portable » lui ont
coûté 10 points. Enfin, il y a les cyniques. Ceux qui aiment toujours rouler vite et
qui en paient le prix. Joaquim, hôtelier, a eu son permis en 1989 et roule
5 000 kilomètres par an. Son plaisir, c’est de rejoindre le plus vite possible son
Portugal natal pour les vacances, après avoir mis épouse et enfants dans l’avion.
Il a été contrôlé à 197 kilomètres/heure près de Tours. Jean-Claude Nasse, le
formateur, désamorce peu à peu l’agressivité en faisant participer le groupe. « En
France, on confond toujours punition et formation », estime Dominique Ducamp,
le patron de la société Allo Permis qui organise ce stage. « Les irréductibles ne
sont pas là », reprend Jean-Claude Nasse. Ils constituent une dernière catégorie
de population : celle des sans-permis. Combien sont-ils ? « Ils représentent peutPH. D.
être 5 % des conducteurs », avance un moniteur d’auto-école. ■
L