Riffs HiFi 28.05.2011

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Riffs HiFi 28.05.2011
SAMEDI 28 MAI 2011 LE JOURNAL DU JURA
RIFFS HIFI 19
GÉNÉALOGIE Asia, Yes et tous les autres: une partouze musicale
Les inventeurs du rock
consanguin sont de retour
LAURENT KLEISL
Asia. Une machine à hits, l’enfant de MTV et des radios FM,
du rock calibré grand public limite musique de supermarché
et des disques vendus par millions – six pour le premier album éponyme – au début des
«eighties». Et le trait est à peine
forcé. A l’époque déjà, la composition d’origine du groupe avait
tout du génial coup marketing:
Carl Palmer (ELP) devant les
fûts, Steve Howe (Yes) à la
gratte, Goeff Downes (Yes, Buggles) aux claviers et John Wetton
(King Crimson, UK) à la basse et
au chant. Des gars qui, durant
les années 70, n’avaient souvent
fait que se croiser, délivrant leur
virtosité avérée dans des escouades généralement concurrentes.
Mais en 1985, après quatre ans
d’existence et trois albums, Asia
splitait. Enfin, presque...
L’autre Asia
Parce qu’Asia et son rock FM
faisandé ont plusieurs vies. Et ça
en devient dramatique... En
2006, dans un élan de créativité
exacerbée, les quatre bonshommes du groupe d’origine, les cheveux gris en plus, se sont retrouvés comme si de rien n’était. D’où
problème. Entre 1985 et 2006,
un certain John Payne, toujours
accompagné du fidèle Goeff
Downes, a tenu le groupe en vie,
alignant les disques fades – à l’exception d’«Arena» (1996) et
d’«Aura» (2001) –, mais occupant le terrain. Comme ils sont
sympas, chez Asia, le quatuor de
base a, en 2006, contractuellement autorisé le chanteur intérimaire à se produire sous le doux
nom de «Asia featuring John
Payne»! Sur le site de ce pseudo
groupe, la discographie d’Asia est
épurée des productions sorties
hors de sa juridiction. A l’inverse,
Toujours aussi belle, l’autoroute vers l’enfer!
Il y a décidément quelque chose de bipolaire dans la galaxie rock.
Alors qu’on exige de certains gangs qu’ils évoluent perpétuellement,
on attend au contraire d’autres combos qu’ils demeurent littéralement
figés. AC/DC appartient à cette dernière catégorie. On en a une
démonstration ébouriffante sur le tout frais DVD «Live at river plate»
(distribution Sony Music), filmé en 2009 à Buenos Aires devant
200 000 accros. Sur la durée, c’est un peu du bödele. Mais quel plaisir
d’éructer «Hells bells» et «Highway to hell». Et tant pis si les mômiers
et les créationnistes s’agitent: nous irons de toute façon tous au
Paradis. D’ailleurs, avec AC/DC, on y est déjà. [ PABR
URIAH HEEP
Encore des vieux qui tiennent la route
Les nostalgiques des premiers albums, c’est sûr, se rueront au Chant
du Gros pour acclamer les Deep Purple du pauvre. Savent-ils que le
groupe vient de sortir «Into the wild» (distribution Musicvertrieb), un
disque qui tient plutôt bien la route? Certes, la folie des premières
créations a un peu faibli. Et le guitariste Mick Box demeure le seul
membre originel du combo. Mais quand on a atteint tant de sommets,
il est difficile de monter plus haut, hein? [ PABR
IAN GILLAN, TOMMY IOMMI & FRIENDS
Désormais, ils roulent pour l’Arménie
Les membres d’Asia (de gauche à droite): Carl Palmer, John Wetton, Steve Howe et Goeff Downes. Ils sont
vieux, plus vraiment très beaux, mais ils ne manquent pas d’idées pour se remplir les poches. LDD
les pages web d’«originalasia.com» omettent sciemment la
période 1990-2006. De la pure
manipulation.
Un nom, deux groupes, et ce
n’est pas une nouveauté dans le
milieu du rock FM des années 80. En 1983, c’est un demiYes, sans Rick Wakeman (il boudait) ni Steve Howe (il comptait
les billets avec Asia), qui avait
écoulé six millions de «90125»,
album porté par le hit interplanétaire «Owner of a lonely
heart». Au point qu’en 1989,
deux versions de Yes coexistaient. La première, emmenée
par Trevor Rabin, l’homme de
«Owner», tapait dans la chansonnette facile. L’autre, le canal
historique, voguait dans une direction artistique diamétralement opposée, revisitant le Yes
progressif des «seventies» sous
le nom de «Anderson Bruford
Wakeman Howe» – No avait un
temps été imaginé... L’unique
sortie de «ABWH» s’écoulera
tout de même à un demi-million
d’exemplaires. Point commun
entre ces deux moutures de Yes?
Le charismatique chanteur
Jon Anderson et sa voix d’ange.
Flairant le bon coup, les managements respectifs des deux entités provoquaient un regroupement des troupes, immortalisé
par l’immonde «Union» (1991)
et une tournée réunissant jusqu’à huit musiciens (et autant
d’egos) sur scène. Tout ça parce
qu’en carrière, Yes pèse plus de
30 millions de disques vendus.
Clone ou clown?
Le pire, c’est que nos stratèges
anglais ont remis ça! Dix ans
après le superbe «Magnification» – sans Rick Wakeman, qui
boudait toujours –, ils s’apprêtent à sortir «Fly from here»,
mais, crime de lèse-majesté, sans
le chanteur Jon Anderson. Affaibli dans sa santé, notre Jon a été
remplacé par un certain Benoit
David, Québécois qui poussait la
chansonnette pour Close to the
Edge, tribute-band de... Yes! Une
imitation pour remplacer l’irremplaçable, il fallait le faire. Furax de ce manque de respect
pour Anderson, le clavier Rick
Wakeman a une nouvelle fois
claqué la porte, avant d’être remplacé par... son fils Oliver! Peu à
son aise sur les notes de papa, ce
dernier a laissé sa place à Goeff
Downes. Oui, le gars d’Asia, tout
content de retrouvé son collègue
«asiatique» Steve Howe. Vous
suivez? Du coup, Rick Wakeman
et Jon Anderson ont formé un
duo acoustique, reniant ouvertement l’autre Yes.
Moralité? S’il pouvait y en
avoir une... [
+
Pour en savoir plus
«Rock progressif» (2010) d’Aymeric Leroy,
biographie historique parue aux éditions
«Le mot et le reste». «Le rock progressif
anglais 1967-1977» (2005) de Christophe
Pirenne, étude musicologique parue aux
éditions Honoré Champions.
Un escalier pour le paradis, sa voix d’or
chanteurquel’ons’arrache.Rienà
voir avec les horripilants fredonneursdelabritpopetleursibémol
coincé. Slash ne jure que par son
protégé, à tel point qu’il songe à
enregistrer un second album solo
avec lui uniquement et, parallèlement, à l’enrôler au sein de Velvet
Revolver (Mark II). Même le rugueux Lemmy fait des courbettes
devant ce chanteur discret et
humble. En 2008, lorsque Robert
Plant faisait la moue à l’idée de
monter la tournée la plus lucra-
Myles Kennedy (à gauche), avec son gang Alter Bridge. LDD
tive de tous les temps avec Led
Zep, c’est à lui que Jimmy Page a
demandé d’embarquer. Le projet
a finalement avorté, mais n’a nullement entamé la notoriété grandissante de ce gouailleur qui ne
fume, ni ne boit, ni ne frappe sa
femme. Mais ce n’est pas un franciscain pour autant.
Au micro d’Alter Bridge (le
groupe de heavy metal post-grunge né des cendres de Creed) depuis 2003, le bôôô Myles, 42 ans,
récolte enfin, après deux décennies de disette, la juste récompense du succès. En novembre
dernier, il nous confiait: «J’ai donné des leçons de guitare pendant
15 ans, simplement pour mettre
quelque chose dans mon assiette.» Une question de survie
pour ce hurleur qui dit être conscient de ses capacités vocales
hors normes: «Je prends grand
soin de ma voix et la travaille chaquejour.J’évitedetombermalade
etmelavedonclesmainstrèssou-
Le chanteur de Deep Purple et le guitariste de Black Sabbath avaient
déjà été réunis sur l’album «Born again» du Sab. Le duo récidive sur
deux morceaux pour le projet WhoCares (Phonag Records) pour
soutenir financièrement une école en Arménie. Ils sont accompagnés
par Jon Lord, Nicko McBrain et Jason Newsted, notamment. Au bout du
compte, on obtient deux pièces plutôt réussies, plus un vidéoclip, plus
un documentaire de 30 minutes expliquant le projet. Tout ça sur le
même support? Certains parleraient de miracle... [ PABR
MARCUS MILLER
Un vibrant hommage au maître Miles Davis
L’album de Miles Davis «Tutu», paru en 1986, fait partie des temps forts
de l’histoire du jazz. Le trompettiste de génie y rendait hommage à la
lutte des opposants à l’apartheid, et en particulier à Desmond Tutu,
l’archevêque lauréat du Prix Nobel de la Paix en 1984. Mais qui se
souvient que les morceaux de cet album, qui mettent si bien en valeur
toute la subtilité du jeu musical de Miles Davis, avaient été écrits et
arrangés par Marcus Miller, jeune bassiste de 27 ans à l’époque? Avec
«Tutu Revisited» (Disques Office), celui-ci offre aux fans du maître un pur
moment de bonheur au travers d’un double CD live et d’un DVD. Lors de
ce concert magistral enregistré en décembre 2009 à Lyon, Miller était
accompagné de jeunes musiciens, dont le trompettiste Sean Jones. Sans
singer le maître, il offre une interprétation pleine de sensibilité. [ PHO
INFO
MYLES KENNEDY Une bien étrange histoire, mais surtout une histoire du rock
Après vingt ans de galère, un
chanteur à la voix d’or est en train
dedeveniruneétoiledanslaconstellation rock. Fans de rock pas
encore frappés par Alzheimer, retenez bien ce nom: Myles Kennedy. Aucun lien de parenté avec
la dynastie maudite. Lui serait
plutôt du genre béni. Doté dès le
berceau d’une voix qui flirte allègrement avec quatre octaves, cet
Ivan Rebroff du rock’n’roll, qui a
connu le succès sur le tard, est en
traindes’imposercommeétantle
AC/DC
vent. Avant un concert, je prends
une heure et demie pour l’échauffer. Je ne suis pas comme Ronnie
James Dio, mon modèle, qui
n’avait besoin d’aucune préparation vocale.»
Danssavie,rienn’achangé:ilvit
toujours à Spokane, WA, avec son
épouse, ses parents, ses amis, son
chien,seshabitudesetsesdisques
(Queen, Led Zep, Marvin Gaye).
Enregardantlecheminparcouru,
il avoue: «Pour arriver jusqu’ici,
ce fut un long voyage.» A l’heure
oùlesvieuxloupsdurocks’essoufflent parce que bientôt rentiers
(Ian Gillan, David Coverdale,
Brian Johnson, Bruce Dickinson,
Ozzy
Osbourne,
Charles
Aznavour), la relève est assurée.
La voix de Myles Kennedy, qui réunitenellecellesdeRobertPlant,
Chris Cornell et Jeff Buckley,
nous réserve encore bien des frissons. Et quand on frissonne, ça signifie qu’on est vivant.
[ PASCAL VUILLE
LA PLAYLIST DE...
Laurent Kleisl
[email protected]
EMERSON LAKE & PALMER Tarkus (1971)
ELP, le trio des virtuoses pestiférés du rock. Deuxième album du
premier supergroupe de l’histoire de l’humanité, «Tarkus» vaut surtout
par sa suite éponyme de 20 minutes. Un grand moment de bonheur.
Keith Emerson y agresse son orgue Hammond comme jamais. Ceux
qui n’apprécient pas le doigté aussi agité que génial du lascar
passeront leur chemin... Bien fait pour eux!
THE PINEAPPLE THIEF Someone here is missing (2010)
Savant croisement entre Radiohead, Muse et Porcupine Tree,
The Pineapple Thief sort enfin de l’anonymat malgré une discographie
longue comme un jour sans pain. Sa signature en 2008 chez Kscope,
label de post-prog, a ouvert de nouveaux horizons au guitaristechanteur-compositeur Bruce Soord. Oscillant entre pop, rock indie et
prog, «Someone here is missing» est une synthèse jouissive.
THE WHO Who’s next (1971)
Quand Pierre-Alain Brenzikofer vous tend un CD de sa collection privée
et vous dit de l’écouter, eh ben... vous l’écoutez! Après tout, c’est
quand même le rédacteur en chef adjoint. Bon, il faut bien reconnaître
que «Who’s next» est un pur joyau. «Baba O’Riley», «Behind blue
eyes», «Wont’t get fooled again»: que du lourd! Auteur et compositeur
de l’intégralité des pistes, Pete Townshend, qui préparait en fait un
nouvel opéra-rock («Lifehouse») pour succéder à «Tommy», intègre
parfaitement les synthés à sa panoplie, ouvrant une nouvelle ère de
l’histoire du rock. C’est bon, du début à la fin. Sacré «Brenz»!
R.E.M. Live at the Olympia in Dublin (2009)
Intéressante curiosité. Après l’échec critique et commercial – 2 millions
d’exemplaires vendus tout de même – de «Around the sun», R.E.M. a
directement testé en live ses composititons en chantier, celles qui
allaient former «Accelerate», agrémentant le tout de quelques vieilleries
millésimées. Du rock énergique et vitaminé. R.E.M. comme on l’aime.