Le flic poète et le prince rouge
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Le flic poète et le prince rouge
loisirs lire I 13 DIMANCHE 16 MARS 2014 Notre sélection Garde-fou Roman noir. Pour jouer avec les nerfs du lecteur, le thème de l’enfermement psychiatrique est un bon sujet. Marie Hermanson a bien travaillé son scénario initial : un frère jumeau compatissant prend la place de son cinglé de frangin dans une clinique suisse accueillante. Mais ce qui se présentait comme une maison de repos est en fait un palace pour psychopathes endurcis, où se trament de terrifiantes expériences. Brrr… (L. G.) La foule solitaire Christine Angot. La romancière délaisse l’autofiction pour une observation quasi clinique et pourtant intimiste de l’humain ★★★★ « Zone B », de Marie Hermanson, traduit du suédois par Johanna Chatellard-Schapira, éd. Actes Sud, 400 p., 23 €. Le couloir de la poisse Nouvelles noires. Un recueil qui rassemble des nouvelles écrites entre 1983 et 1987. Rien pour nous rajeunir, sauf la certitude que cette petite note bleue est intemporelle. « La nuit est sur nous. » Elle tombe avec l’arrivée d’un pote synonyme d’embrouilles. Parfois, c’est une impasse de Bastille à Nation, où les « détenus » déambulent et courtisent un carré de ciel bleu improbable. Chez Villard, il n’y a jamais loin de l’aube au crépuscule. (L. G.) ★★★★ « Retour à Magenta », de Marc Villard, éd. Rivages, 155 p., 7,65 €. Guillaume Guéraud. PHOTO DR « Fuir, là-bas fuir » Roman noir. L’histoire est mince et vieille comme l’amour. Arnaud aime Estelle qui ne l’aime plus. Dernière virée au Cap-Ferret avec leur fils et intrusion de l’oncle Max, le marginal. C’est un récit qui baigne dans quelque chose d’irréparable, une tristesse infinie, la perte de l’innocence pour le gamin et le désespoir à peine camouflé de l’oncle en fuite. Le Cap, décor de rêve soudain rendu à la brutalité des vagues. (L. G.) ★★★★ « Baignade surveillée », de Guillaume Guéraud, éd. du Rouergue, 128 p., 13,80 €. ISABELLE BUNISSET ette femme libre a écrit un ouvrage libre qui, comme les précédents, suscitera probablement, si ce n’est la polémique, des controverses. De « L’Inceste » (Stock, 1999) où elle racontait par le menu l’apprentissage névrotique d’une sexualité à « Une semaine de vacances » (Flammarion, 2011), en passant par « Les Petits », qui lui vaudra un détour au tribunal pour atteinte à la vie privée, l’auteur crée le scandale. La réponse se trouve peut-être dans ce dernier livre, réponse littéraire à sanction judiciaire. « La Petite Foule » s’inscrit dans un autre registre : l’autofiction s’est changée en une observation quasi clinique et pourtant intimiste du genre humain. De là l’exergue emprunté à La Bruyère : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage : il est juste que, l’ayant achevé avec toute l’attention pour la vérité dont je suis capable, et qu’il mérite de moi, je lui en fasse la restitution. » Le sujet est simple : livrer une série de portraits d’« individus sans importance collective » (1) ; mais l’entreprise périlleuse : trouver une dynamique et une continuité qui assureraient la cohérence de l’ensemble. C’est une autre Christine Angot qui transparaît ici, dans la distance comme « Christine Angot ne dansl’empaElle aclivre pas combat. Ne thie. compagne dénonce aucune tare. ses « person» jusC’est là son mérite » nages que dans leurs douleurs tues : « du cristal à travers lequel passe une lumière pure ». Elle s’intéresse au dessin d’une ride, aux gestes, aux vêtements, aux mots, tous ces signes extérieurs qui révèlent les typologies C Christine Angot dépeint une série de personnages qu’elle accompagne jusque dans leurs douleurs tues. PHOTO G. BONNAUD / « SOD » sociales. Autrement dit, le composé humain façonné par l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle : « La retraitée du textile », « Le chauffeur de taxi », « Le banquier ». Des brisures étonnantes Un livre âpre, dur et concentré, où l’écriture concourt aussi à l’effet de surprise provoqué par la franchise d’expression de la pensée. Celle-ci ne recule devant aucun détail. Ainsi de cette esthéticienne qui parle de ses « clientes sales ». Attention âmes sensibles ! Ne cachons pas qu’il y a aussi des brisures étonnantes, des trouées de bleu, notamment à travers ces silhouettes féminines parées de détresse. Une mère rédige un journal intime après avoir abandonné son enfant. Un homme déchire la photo de son mariage. C’est cette manière de sang-froid observé par la romancière devant ces individus et les faits relatés qui séduira ou agacera. Certains y verront de l’audace et du non-confor- misme, avec des expressions qui font balle, dans une phrase scandée, brisée, se prêtant à des raccourcis saisissants. D’autres trouveront que cette réunion publique ne peut s’apparenter à de la littérature et que les pages n’ont aucune saveur. C’est le prix à payer pour Christine Angot, qui confiait déjà à la sortie de « L’Inceste » : « Le lecteur a toujours le pouvoir de fermer le livre ! Il n’est pas obligé de me suivre. » Les observations, les réflexions peuvent choquer, mais elles sont incorporées dans la trame textuelle, tout comme dans l’homme cohabitent le beau et l’exécrable. Christine Angot ne livre pas combat. Ne dénonce aucune tare. C’est là son mérite. Elle raconte. Et elle raconte de telle façon que son récit peut être interprété comme une sorte de réquisitoire contre les déterminismes et les idées constitutives de notre société. À LIRE ★★★★ « La Petite Foule », de Christine Angot, éd. Flammarion, 256 p., 17 €. (1) Expression de Louis-Ferdinand Céline. Le flic poète et le prince rouge Qiu Xiaolong. L’inspecteur Chen entrevoit les secrets d’un récent scandale chinois Qiu Xiaolong. PHOTO DR Quand, sur la ligne 2 du métro de Shanghai, on s’arrête au croisement de la rue de Tianjin et de la rue de Henan, on n’est plus qu’à quelques minutes à pied du meilleur restaurant de nouilles de la ville. Huile d’échalote, beurre de cacahuète et crevettes grillées, l’évocation déclenche un émoi secret des papilles. Montalbán ou Camilleri nous ont habitués à cet étrange bonheur de lecture qu’on éprouve aujourd’hui avec Qiu Xiaolong. Après avoir soutenu une thèse sur le poète T. S. Eliot, l’écrivain chinois né à Shanghai s’est replié aux ÉtatsUnis, pour échapper aux persécutionsdelarévolutionculturelle.C’est à travers une série policière qu’il s’exprime désormais sur la situation politique de son pays. L’inspecteur Chen,hérosderomansnoirsvendus à plus de 1 million d’exemplaires dans le monde, emprunte à son créateur un goût immodéré pour la poésie et les bonnes tables. Si le roman noir s’est développé avec l’émergence d’une civilisation urbaine et la transformation du capitalisme patriarcal en sociétés anonymes pratiquant parfois une violence proche de celle des organisations criminelles, on devine que la Chine contemporaine constitue désormais son théâtre d’excellence. chinois, de se retrouverenprison.En rupturedecarrièreofficielle,l’inspecteur Chen, incorruptible et cultivé, enquête sur les « ernai », maîtresses des riches Taïwanais venus faire du business sur le continent à l’époque deDengXiaoping,et«secondesfemmes » des cadres du Parti, luxueusement entretenues. Un excellent roman d’atmosphère où le flic poète a toutàcraindredes«princesrouges». Les secondes femmes Qiu Xiaolong raconte une histoire de corruption et de luttes pour le pouvoir, celle à peine déguisée qui valutàBoXilai,membreéminentdu comitécentralduParticommuniste LIONEL GERMAIN ★★★★ « Dragon bleu, tigre blanc », de Qiu Xiaolong, traduit de l’anglais par Adélaïde Pralon, éd. Liana Levi, 304 p., 19 €.