Aurelio Diaz Ronda / Ana Tot

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Aurelio Diaz Ronda / Ana Tot
Ana Tot (Aurelio Diaz)
REVUE DE PRESSE
1/ à propos de Voyage en Bonhomie (Ana Tot, 2014)
2/ à propos de L’amer intérieur (Ana Tot, 2012)
3/ à propos de Traités et vanités (Ana Tot,, 2009)
4/ à propos de Mottes, mottes, mottes (Ana Tot, 2009)
5/ à propos de L’o de trous (A. Diaz Ronda, 2007, 2e éd. 2010)
6/ Extraits de la revue de presse de « Pasina & cie »
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 1/20
1/
Voyage en Bonhomie d’Ana Tot
par Guillaume Contré
L'objet est à la fois d'un élégant classicisme et fragile dans sa conception (un carnet de douze
pages, non agrafé). Pourtant, qui dit brièveté ne dit pas pauvreté de contenu, comme nous le
démontre ce Voyage en Bonhomie auquel nous invite la mystérieuse Ana Tot. Les trois poèmes
réunis ici (ou le poème en trois parties) ont quelque chose (beaucoup) de la fable, de l'univers
enfantin. Un monde de petits personnages à la tête ronde ou carrée, formes élémentaires qui
sont également celles des maisons, quand elles n'en sont pas restées au stade premier de
"trous dans la montagne". Un monde, pour tout dire, qui semble avoir été dessiné "sur les
pages à carreaux de nos cahiers d'écoliers". On pourrait croire, à lire ces vers à la narration
fluide et qui flirtent avec ce que le naïf a d'essentiel, que l'auteur nous propose une sorte de
mythologie minimale où seuls comptent de rares éléments hâtivement gribouillés, sorte de
scène primitive (ou primordiale), véritable commencement des temps ("au commencement le
bonhomme n'a pas de maison"), cosmogonie de poche plus que conte de fées. Serait-ce le
sphinx, celui qui nous dit que "le bonhomme a une ombre mouvante / aplatie à midi allongée
en soirée" ? Il s'agit en tout cas d'être "épris d'existence", dans un "bouche à bouche quasi
constant avec la vie". l'homme doit tout faire lui-même, c'est entendu, comme si rien encore
n'avait été créé. Il en trouve, par quelque geste fondateur ("dessiner sur le sol avec le trait de
son doigt"), les moyens ("et il ne reste plus au bonhomme qu'à fabriquer sa maison"). Il
ressemble par moments à une huître qui pourrait se faire couteau, et c'est comme s'il avait
trouvé son propre instrument, ce qui pourrait avoir son prix ("comme si son ombre était une
coquille dont il serait l'autre moitié / mais cette fois la moitié vide").
Guillaume Contré, in Le Matricule des anges n°161, mars 2015
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 2/20
2/
L'amer intérieur (Luca l'irascible) d'Ana Tot par Typhaine Garnier
L’ire fait écrire
N’aurait-on pas suffisamment haï la poésie, pas assez « injurié » la beauté ? La liquidation de
la poésie « inadmissible » n’est-elle pas déjà accomplie, commentée, dépassée ? Ana Tot est
de ceux qui estiment que ce geste garde aujourd’hui toute sa pertinence et qu’il importe de
maintenir l’exigence d’une « cruauté » sans compromis. Car le « désaffublement » de la
poésie a beau parfois être total, il n’est jamais définitif.
On le sait, on l’a dit, les poètes s’élèvent souvent contre la figure maternelle. Avec le fantasme
de la mère dévouée à l’abjection, la poésie va au bout de l’outrage. Obsession banale que celle
de la lubricité horrifique de la mère, et surmontée de bonne heure par l’individu social. Mais
la littérature cruelle persiste à se coltiner ce tabou, comme pour rappeler que ça ne passe pas,
qu’un reste des obsessions primaires colle toujours au fond de l’être.
Traitant ce tabou, l’écriture ne peut que régresser vers la puérilité, c’est-à-dire vers un rapport
à la langue dont l’adulte communiquant a perdu l’idée. Ceux qui s’y sont risqués savent
combien cette régression est ardue, tant est fort par ailleurs l’attrait de la sophistication et de
l’intelligence. Pour regagner le stade infantile, Ana Tot dispose d’une panoplie de procédés :
paronomase, homonymie, à-peu-près, contrepèteries, etc. Le détail importe peu, car ces jeux
de sons ressassés ne surviennent pas comme des accidents : ils sont le principe dynamique de
cette houle verbale où tout découle de tout. Le texte progresse ainsi de rebonds en rebonds,
unit par les liens du son termes abstraits et termes triviaux mal assortis (« en berne / en
bermuda ») et recompose sauvagement des familles de mots dans un mépris ironique de
l’étymologie (« résistant à son chat / à son charme / à son charnier charnu / à son charabia /
chérie arrête ton char chienne »).
Ana Tot récuse toute sophistication gratifiante, qu’elle soit positive (l’orfèvrerie minutieuse)
ou négative (les torsions « modernistes » : charcutage des syllabes, excentricités prosodiques).
Elle se maintient au degré zéro de la virtuosité : associations faciles façon chansons enfantines
et jeux de mots idiots à la Boby Lapointe (« mea culpa mes fesses », « lâche-moi les basques
et les aztèques ») s’enchaînent rapidement comme en pilotage automatique. Le lecteur est
cruellement privé de toute « délectation lecturale » (Jude Stefan).
Naturellement, indigence technique et indigence intellectuelle vont de pair. Le minimalisme
anti-poétique fait entendre la basse fondamentalement obscène de la langue (« boîte à bite à
femmes affamées de sous »). Ici la puérilité retrouvée ne rime donc pas vraiment avec
légèreté ni candeur. « On fête le mauvais mot », c’est-à-dire le mot trivial, obscène, mais aussi
le mot inapproprié, le mot sans rapport. Dans cette langue exutoire, c’est bien l’ire qui est
première et qu’il faut alimenter de matériaux verbaux :
« crois-moi t’en auras de l’amour oral
de l’humeur hormonale
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 3/20
de l’amour à trois mats
de la morale à deux balles
des nouvelles de l’oural
de la mortadelle italienne
de la moutarde mortelle »
Ainsi le « tout dire » bascule dans le grotesque, « Luca » patauge lamentablement dans l’ire.
Difficile, face à ce dénuement obscène et cet effondrement comique du sens, de ne pas
éprouver un certain malaise. Le texte d’Ana Tot rappelle l’affirmation de Charles Pennequin :
« écrire c’est en avoir gros sur la patate » (Pamphlet contre la mort). Et il suggère que la
poésie, pour être en forme, doit être plus bête que la moyenne.
Typhaine Garnier (article publié sur le site Sitaudis.fr le 5 mai 2013)
http://www.sitaudis.fr/Parutions/l-amer-interieur-luca-l-irascible-d-ana-tot.php
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 4/20
L'amer intérieur (Luca l'irascible) d'Ana Tot par Isabelle Dalbe
Ana Tot : une voix à la façon qui surprend, désarçonne, ce qui n'est pas sans séduire.
Dans une irruption de mots à tiroir et une nervosité du rythme, '' L'AMER INTÉRIEUR Luca
l'irascible '' déroule le déroutant tournant d'évènements identitaires, fourrés d'émotions
intimes, emportés par une implacable humeur massacrante nouée à l'ire.
Isabelle Dalbe (sur le blog Où va écrire ? Janvier 2013)
http://isabelledalbe.blogspot.fr/2013/01/ana-tot-lamer-interieur-luca-lirascible.html
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 5/20
3/
Ana Tot, Traités et Vanités
Connaissance par les gouffres
par Romain Verger
D’Ana Tot dont je découvre l’écriture par ce recueil des plus singuliers, présenté comme le
premier volet d’une série de trois livres réunissant la plupart de ses écrits poétiques, on sait
peu de choses, sinon qu’elle a participé au Tournevisme dans les pages de la revue Hélice de
1992 à 1994.
Plus que tout autre genre littéraire, la poésie est rétive au commentaire et à toute tentative
d’élucidation. Mais pour stimulant qu'il soit, l’exercice se complique lorsqu'elle emprunte des
chemins déroutants et qu’elle se joue ouvertement de la raison pour la mettre en échec. À
l’orée de ses Chants de Maldoror, Lautréamont invitait son lecteur à se prémunir de la
désorientation en faisant preuve d’une « logique rigoureuse » et d’une « tension d’esprit
égale au moins à sa défiance ». Il convient sans doute à l’inverse d’entrer dans ce recueil en
abandonnant toute certitude, en faisant abstraction des principes de base grâce auxquels le
monde, le corps et les objets s’organisent à nos yeux et interagissent. On traverse le livre
comme si l’on empruntait un escalier perpétuel de Penrose, et qu’on se retrouvait enfermé, tel
Sigismond de la fameuse pièce de Calderon de la Barca, dans une prison dessinée par Escher.
Heureux lecteur captif d’une architecture poétique où les réminiscences philosophiques
(présocratiques, taoïstes, phénoménologiques, voire existentialistes), la physique et la
mécanique des corps se nourrissent habilement pour ériger un système qui donne le tournis,
ou le Tournevisme, pour reprendre ce concept déployé dans la première partie du recueil,
défini comme « — le muscle de la mécanique émotive — l’art de révéler la structure en
spirale du destin spirituel ». L’écriture d’Ana Tot met la raison à l’épreuve, fait vaciller nos
certitudes et principes fondamentaux d’adhésion au monde.
En déployant aphorismes et maximes dans un recueil qui tient du traité et du manifeste,
l’auteure jalonne le parcours de présupposés auxquels on aimerait croire et s’accrocher, pour
se laisser conduire vers une autre réalité et un tout autre système de valeurs et de lois
physiques et organiques, mais ce n’est jamais que provisoire, car tout se qui se construit se
déconstruit presque aussitôt sous nos yeux, en quelques vers ou poèmes. L’unique principe
qui court d’un bout à l’autre du recueil est celui de la non contradiction : « La pensée ne fait
pas jouir le monde. / Si le monde veut jouir, il doit être pensé. ». L’hélice en est la forme
emblématique : « droite qui s’enroule », synthèse de l’idée et du rêve.
Tantôt, on s’oriente vers un univers de pure abstraction où le signifié se libère du signifiant en
quête d’une émotion toute métaphysique, tantôt l’organisme prolifère jusqu’à engloutir la
pensée dans ses plis et replis. En émerge un nouvel homme, prototype d’humanoïde poétique
dont l’anatomie est redessinée par mutilations successives et redistribution anarchique de ses
parties :
« on a commencé à assembler les morceaux
j’ignore si on choisissait ceux qu’on allait mettre ensemble
ou bien si on avançait sans réfléchir
un pied devant un coude suivi d’un pied suivi d’un tronc
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 6/20
deux jambes faites de morceaux de jambes diverses
collées l’une après l’autre
avec un pied à chaque extrémité
un bras et son épaule la main coupée
une cuisse avec sa hanche
flanquée de cinq tétons aux aréoles diverses
deux moitiés de torse-bêche sans cou ni tête
une poitrine entière
garnie d’une multitude de membres
pattes avant et arrière tout confondu »
Emportés dans le torrent verbal d’Ana Tot, dans cette langue devenue folle, les corps
s’agglutinent, se fractionnent et ne s’exposent plus qu’en surfaces impénétrables, qui se
heurtent dans le vide pour tenter de se connaître. Pourquoi dès lors l’intestin ne deviendrait-il
pas l’organe de la connaissance et l’homme ne se verrait-il pas affublé de deux estomacs, de
quatre yeux et quarante doigts dont vingt orteils, et privé d’anus tant qu’à faire? Et si les trois
états de la matière étaient d’être emporté, disloqué ou traversé ? Et si, à l’occasion d’un
dérèglement du temps, « se matérialis[ai]ent dans l’espace du même instant tous ceux que tu
as été dans tous les lieux où tu as été. Tu ressemblerais alors à une longue limace de chair
enchevêtrée sur elle-même, superposée ou plutôt interpénétrée d’elle-même, cette suite
ininterrompue d’états de toi-même. » Autant de situations farfelues qui ne sont pas sans
rappeler ces poèmes de Michaux qui déroulent jusqu’à leurs conséquences ultimes des séries
d’hypothèses plus cocasses les unes que les autres. Les poèmes se jouent des structures
récursives, des emboîtements infinis. Ainsi des sens possédant leur propre faculté sensorielle :
« Il y a un toucher correspondant à chaque faculté sensorielle : le toucher de l’ouïe, le
toucher de l’odorat… et même le toucher du toucher. ». Tels des corps renonçant à n’être que
surface, emplis d’autres corps, indéfiniment ; ou bien encore de la nuit qui « comme une
tombe tomberait sur la nuit »…
Tantôt s’affirme un irréductible hiatus entre l’homme et le monde, tantôt ils s’interpénètrent et
fusionnent : « Tu es tout / Tu est l’intérieur du monde / Le monde coule en toi / Rien ne peut
s’échapper donc rien ne t’échappe / Le dehors n’est rien que le dedans des choses ». Mais en
dépit de cette alternance de flux contradictoires, alternant au rythme de cette écriture
boustrophédon, affleure continument un sentiment profond de vanité existentielle. Entre une
mémoire et une connaissance qui s’effondrent tout en s’édifiant, nous dérivons, atomes de
solitudes ballottées dans la seule « évidence de l’insoluble » :
« Compile toutes les étoiles
mets-y les formes que tu voudras
Tu peux même tout photographier
les kilomètres de vaisseaux sanguins
les kilomètres de boyaux contenus dans tous les animaux
les odeurs les prénoms les idées
Si tu finis par finir un jour tout ne sera jamais qu’un peu
et si tu ne finis pas c’est que tout n’y sera pas »
Romain Verger (article paru sur le site L’anagnoste le 27 janvier 2014)
http://anagnoste.blogspot.fr/2014/01/ana-tot-traites-et-vanites.html
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Dans le magma de l’embouchure
par Eric Clémens
Poésie et philosophie coulent de la même source : la langue, les langues et les langages,
qu’elles traitent chacune à leur façon, d’évidence. Mais que se passe-t-il quand elles se
rejoignent à l’embouchure ? Quand elles se rejoignent, elles se mélangent : pour donner
quoi ?
Traités et vanités, d’Ana Tot ! C’est dire un livre hybride, paradoxal, déconcertant. Juste. Un
de ces livres qui d’emblée nous interloque : interrompt notre élocution, la désarticule et du
même coup nous donne envie. Envie de lire avant tout, tout en perdant nos repères disjonctifs,
la chanson ou la raison, l’image ou le concept, sans les perdre en même temps !
Démonstration, premières lignes :
« Fleur d’hélice
Or il n’est rien comme le naturel – lorsqu’il se mêle
à l’humain – pour toucher une âme comme la
mienne qui sinon fleurirait.
Ildefonso S., L’âme-tubercule
Hélicoïde est la courbe enfantée suite à l’accouplement de la ligne droite et du cercle
un cercle qui avance
une droite qui s’enroule
telle est l’hélice »
Faut-il souligner ? le titre qui naturalise un objet mécanique ou l’inverse ? la citation qui se
contredit aussitôt : le naturel envahissant l’âme pour empêcher sa floraison ? la définition
d’une figure géométrique paradoxale immédiatement mise en mouvements opposés ?
Que tout ceci se rattache à « MANIFESTES – contribution au tournevisme » ne surprend pas
et peut dès lors s’entendre de façons multiples. Délices de tourner vie ? Sans doute, mais
surtout mise en jeu des tensions du sujet, des sujets que nous sommes, de nos histoires et de
l’histoire – cette spirale. Derniers mots ‘manifestés’ : « L’émotion abstraite a désormais son
organe. »
La suite poétique accentue cette logique des contraires. Nouvelle démonstration : puisque
nous sommes faits pour moitié « de ce que nous ne sommes pas » - et que « Tout ce qui n’est
pas nous/nous est même opposé/c’est pourquoi nous sommes faits pour moitié/du contraire de
ce que nous sommes » - mais que « Nous ne sommes pas déchirés pour autant/car le contraire
de ce que nous sommes est nôtre/non l’inverse » - eh bien « Ce que nous sommes est
mélangé/à la personne que nous ne sommes pas ». Ainsi, sans déchirement, sans division
obsédée de son manque, il ne s‘agit que d’exister dans la mobilisation de nos asymétries.
Etrange « éthique » au bout de cette « logique » ? Seulement si nous croyons encore au
saucissonnage de la pensée, toujours tentée par les classifications post-aristotéliciennes…
La force insolite de ces textes vient de la jointure entre une coulée poétique des mots mis en
vers et une fluidité philosophique des significations mises en doute. A nouveau, il faut
souligner le paradoxe qui anime cette jointure, le paradoxe d’une double liquéfaction appuyée
sur une double résistance : au signifié comme au signifiant. Mais une résistance qui libère
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l’invention et nous donne un étonnement aussi facétieux que perplexe, de sauts de côté en
(faux) arrêts sur image.
Il y a, chez Ana Tot, un héraclitéisme sûr, multiple rebondissant. D’où l’instabilité de ses
explorations du corps tout au long de la partie « Traités & Vanités » proprement dite (si l’on
peut dire !), dans ses moindres recoins, du cortex à l’intestin. Comme de la matière, de son
inattendue et implacable leçon de vie : « Face à la matière la matière elle-même n’a que trois
attitudes. Trois états de la matière : Trois états passifs de la matière face à la matière. Etre
emporté. Etre disloqué. Etre traversé. Trois états qui dépendent du bon vouloir aléatoire de la
matière en marche. » Mais de quelle leçon suis-je en train de parler ? Celle de notre usure
matérielle énergiquement inusable…
Sans bout du compte, si les énumérations à perte de vue et les répétitions décalées d’un
Novarina ne sont pas loin, elles gardent l’exigence de signifier sans fixer un sens et par-dessus
tout elles sensualisent ce qu’elles évoquent. Il suffit d’épingler les mots au fil de « Car nous
allons tombant » : « tombons… épongeons… chaud… gras… suant… dur chemin du
tombeau… caillasseux… caillou… trébucher… tronc… tronqué…
la sente… sans
embuche… d’une bûche… tiède… sablonneux… bue… accroupissons grinçant et crissant des
articulations… froid… pleut… irritant qui s’égoutte… dégoûte… pente… en travers
savonneux… pentu nous allonge dans la terre … sable qui se glisse… débouché…bouche …
glacé… savoureux… relevé… ». Une pensée surgit dans cette écriture de nos concrétions et
confirme, par-delà le bien faire et le mal savoir, que nous n’avons pas de pensée hors de
l’éprouvé d’un sujet, son existence - dans la langue.
Dernières pages : LZRD, à la langue lézardée, métamorphose de l’hélice.
Eric Clémens
(article publié sur le site Poezibao le 22 mars 2010)
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2010/03/traités-et-vanités-dana-tot-lecture-deric-clemens.html
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[Chronique] Ana TOT, Traités et vanités
par Fabrice Thumerel
Ana TOT, Traités et vanités, Le Grand Os, collection "Qoi", Toulouse, novembre 2009, 128
pages, 15 €, ISBN : 978-2-912528-10-0.
Après avoir collaboré à la revue Hélice (1992-1994) et publié Mottes, Mottes, Mottes (2009),
avec Traités et vanités Ana Tot (1968, Uruguay) rassemble la quasi-totalité de ses écrits
poétiques en un triptyque édité par les bons soins d’Aurelio Diaz Ronda – dont on ne peut, en
ces temps difficiles, que saluer la sagacité et la ténacité.
Si l’écriture d’Ana Tot se révèle fascinante, c’est parce qu’elle est animée d’une perpétuelle
tension entre fini et infini, dedans et dehors, matière et esprit, humain et non humain, poésie
savante et poésie enfantine… qu’elle réussit à conjuguer la légèreté critique de Prévert (cf.
"Chair à canon"), la loufoquerie de Michaux (cf. "Notes sur les hommes-sans-anus"), la
singulière immanence des objectivistes…
"Le visible ouvre sur le seul visible" (p. 49).
"nouée – la langue est engloutie
déliée – elle rejaillit" (115).
On passera rapidement sur "Nous autres, 1993-1994", qui, en une série de
répétitions/variations, propose des réflexions humophilosophiques, pour nous concentrer sur
"Manifestes (contribution au tournevisme), 1992", "Traités & vanités, 1993-2003" et "LZRD,
1998-1999".
Figures
"tout se dit dans l’hélice et par l’hélice tout est dit" (p. 9).
Le manifeste du tournevisme donne le la à l’ensemble : alliant géométrie et musique, sens et
science, géométrisme et lyrisme, le tournevisme privilégie ces figures – non pas rhétoriques
mais géométriques – que sont la spirale, voire la sphère, mais surtout l’hélice : "hélice mère
mitraillette d’où jaillit la marmaille qui creva les ventres des autres mères" (p. 9)… Au plan
ontologique, c’est elle qui reparaît en filigrane dans le préambule du poème le plus important,
"L’Être de connaissance" : "Imagine que se matérialisent dans l’espace du même instant tous
ceux que tu as été dans tous les lieux où tu as été. Tu ressemblerais alors à une longue limace
de chair enchevêtrée sur elle-même, superposée ou plutôt interpénétrée d’elle-même, cette
suite ininterrompue d’états de toi-même" (p. 32).
La forme hélicoïdale, associée à la spirale pour constituer la machinerie héloï-spiralique, régit
la dynamique même du texte. C’est en effet ce mouvement cinétique qui sous-tend une
logique du paradoxe selon laquelle se perpétue l’oscillation entre fini et infini, dedans et
dehors, vide et plein, présence et absence, même et différence, solide et fluide, permanent et
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fugace, sens et non-sens… Double également le mouvement de saturation/manifestation,
d’exténuation/exposition ou encore d’évidement/dévoilement, qui anime les Agencements
Répétitifs Sériels (ARS) : par/en séries, les phonèmes, les termes comme les énoncés se
combinent et se recombinent à l’envi comme à l’infini. D’où les effets visuels liés à la
typographie, le retour des leitmotive, les assonances et allitérations, les
anaphores/anadiploses/épanadiploses/épanodes/polyptotes/symétries ou chiasmes…
Si émotion il y a, elle est toute abstraite : nous ne sommes pas très éloignés du lyrisme sec
propre à Philippe Beck.
Surfaces
"On ne sait des choses que leur surface.
On ne devine des êtres que leur reflet" (p. 33).
L’art poétique d’Ana TOT s’oppose explicitement à celui de Henri Michaux. Pour elle, point
de connaissance par les gouffres, cette exploration paradoxale de l’angoisse et de l’aliénation
facilitée par les drogues (comment connaître par l’expérience brute ?) ; point de profondeurs,
de vie dans les plis : "S’engouffrer dans la matière c’est en multiplier la surface / En aucun
cas c’est la pénétrer" (33). Aux abîmes, elle préfère les crêtes et les aspérités, et aux replis les
déplis : "Quelqu’un a dit : la connaissance par les gouffres. / Il faudrait ajouter : et par les
villosités. / Les pics, les creux, les bosses" (33). Il ne s’agit donc pas de "surprendre des
mystères ailleurs cachés" (Connaissance par les gouffres, 1961), mais de pratiquer une
connaissance et une langue surfaciales. La langue, il convient de la délier, de la déplier.
(Impossible ici de ne pas songer à ces poètes surfaciaux que sont, chacun à sa manière,
Tarkos, Espitallier, Pennequin, etc.).
LéZaRD
"liez votre langue à la langue du serpent
à la langue aveugle du lézard sans bouche
à la bouche sans langue du lézard le fils" (p. 107).
Dans LZRD, la poésie objective-énumérative d’Ana Tot, par ses effets de ritournelle mêmes,
va jusqu’à faire sortir de ses gonds la langue métaphorique-symbolique chère à Ponge – de
sorte que se dégage cette vérité nue : "rien ni personne ne sait lire aucune pierre / le secret se
dérobe la formule est brisée" (106). Plus précisément, le litanhypothétique "Si le LéZaRD"
ouvre la brèche pour lézarder la langue, déposer un lézard dans le SENS. Telle en son temps
la suppression des E pour la revue TXT, le geste d’amputer le mot "lézard" de ses voyelles est
loin d’être anodin : c’est par la fêlure du mur de la langue qu’advient le poétique… et dès que
consonnent les consonnes, c’est-à-dire se frottent comme des pierres, achoppe le sens et
adviennent les sens. On comprend dès lors la portée de ces zébrures qui déchirent le texte de
bout en bout : les tirets.
Fabrice Thumerel
(article publié sur le site Libr-critique.com le 23 décembre 2009)
http://www.t-pas-net.com/libr-critique/index.php?s=traites+et+vanites
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[Chronique Images de la poésie]
par Laurent Albarracin
Ana Tot
Traités et vanités
Éditions Le Grand Os, 2009
Mottes, mottes, mottes
Éditions Le Grand Os, 2009
On pourrait attacher la poésie d'Ana Tot à une source présocratique encore active chez
certains poètes d'aujourd'hui, qui pensent le monde à la manière de philosophes bruts ou de
métaphysiciens primitifs. Je songe à des poètes comme Valère Novarina, Jean-Luc Parant ou
Christophe Tarkos. Il ne s'agit pas pour eux ni pour elle d'écrire de la poésie en philosophes
mais bien plutôt et bien mieux de philosopher en poètes. Ils sont en quête d'un logos qu'il ne
faut pas dégager mais enfouir davantage pour le mêler au monde, logos d'autant plus ressenti
comme agissant dans le monde qu'il y est inextricablement enraciné.
Traités et vanités rassemble des poèmes divers mais qui généralement tentent d'explorer le
monde en tant qu'il est un principe, un archétype, une force à laquelle rien n'échappe. Les
premières figures évoquées de ce principe sont celles de l'hélice, de la spirale, de
l'enroulement. Elles lui servent à désigner – sous le terme et la notion de « tournevisme » dont
les premiers poèmes du recueil se présentent ici comme les manifestes – l'emportement et on
dirait l'enrôlement qui lui semblent à l'œuvre au cœur même du réel. Si son écriture est
souvent spéculative, discursive, conceptuelle, ce n'est jamais pour soutirer des essences ou des
catégories à son observation des choses, mais bien au contraire pour épouser la courbe
naturelle et secrète qu'elle y voit, la pente dévorante qui s'y manifeste. On trouvera dans ce
livre nombre de notations sur le corps, sur l'anatomie digestive, sur les circonvolutions de la
matière qui montrent une fascination pour l'avalement et le retournement, comme si le corps
était pensé non pas dans sa finitude mais comme un processus touchant au monde entier, qu'il
était inscrit dans un trajet métaphysique toujours ouvert au possible et au renversement. C'est
que l'homme est jeté dans un infini. L'espèce humaine est vue à travers sa faculté de penser et
donc de se lier au sens et au destin de l'univers :
« L'être de connaissance ressemblera à une cervelle géante dénudée ou à un intestin capable
de digérer l'univers.
(…)
Retourne l'intestin comme un gant et l'humanité, si elle survit, aura fait un bond en avant de
plusieurs milliards d'années. »
Dès lors la propriété physique des choses n'est plus une propriété qui les arrête à leur frontière
mais qui les lance dans la physis. Toutes les qualités de dureté, d'abrasivité sont ainsi prises
dans une fluidité qu'elles aiguisent. Le frottement et l'usure sont appréciés comme participant
à un devenir-rond du monde :
« À dureté équivalente, l'arrondi s'impose à l'angulaire. »
La matière est douée d'une continuité qui est aussi une opiniâtreté. Sa définition tautologique
par le poète ne fait donc pas que réduire à elle mais la relance comme dans son inlassable
volonté, dans son infinie procession :
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« Quelle est cette matière ? Elle est la matière. Dans quelle direction pousse-t-elle ? De
l'avant, toujours en avant, toujours elle avance, toujours elle force l'obstacle, se fraye un
chemin. La matière passe. Est-elle passée qu'elle passe encore. Il n'y a pas d'arrêt au passage
de la matière en marche. Rien n'arrête sa progression, sa progression ne s'arrête pas, la matière
n'a pas de fin, le passage de la matière est sans fin. Il y aura toujours de la matière qui passe. Il
y a bien un avant de la matière, un début de la matière, mais elle n'a ni milieu ni fin. Il peut y
avoir un avant à la matière qui pousse, il n'y a pas d'après. L'après de la matière en marche
c'est encore la matière en marche, en train de passer, ne finissant jamais de passer de pousser
de forcer de percer de s'étendre de grandir de tout traverser disloquer emporter. »
On voit qu'Ana Tot se livre à une méditation rêveuse, une rêverie de la toute-puissance où le
monde fabrique en permanence du monde, comme une machine emballée qui produirait
toujours plus d'espace à conquérir, toujours plus d'énergie dont se nourrir.
Le monde est infini parce qu'il est regardé. Penser le monde c'est constater par les yeux qu'il
est le monde, c'est en somme l'entraîner dans un cercle vertueux que nous déclenchons en
ouvrant les paupières. Par le prodige du regard s'affirme un indissoluble lien entre le fait de
regarder et le fait que le monde est le monde, entre l'émerveillement et le merveilleux, entre le
prodigieux justement de cette correspondance et la prodigalité du monde. Il se pourrait même
que le monde fût notre vision de lui continuée en lui, une sorte de permanence de la pensée en
dehors de nous :
« Qui baisse les paupières sait que le monde suit les yeux dans le noir, sait que le monde suit
la nuit dans les yeux.
Plonger les yeux ailleurs c'est toujours les plonger dans le monde.
Dormir ?
— Mais quel univers plus rond que l'univers des songes ?
Penser c'est voir et c'est encore le monde.
Ne plus rien voir et ne plus rien penser ?
— C'est être mort et c'est encore le monde. »
Outre la veine présocratique, on pressent chez Ana Tot une forte influence de Pessoa. Il
y a en effet chez elle les accents d'une mystique de la réalité nue, une métaphysique
paradoxale où l'absence d'un au-delà métaphysique lui permet d'investir le donné, les surfaces,
la réalité brute, d'un sens et d'une richesse infinis. Dans les jeux du visible et de l'invisible, du
dehors et du dedans, de la surface et de la profondeur, c'est bizarrement l'impénétrabilité qui
sera leur dénominateur commun et le ferment de leur emboîtement. Rien n'est plus que soi et,
dans ce mouvement tautologique de retrait à la conscience, tout autre que ce que l'on peut
jamais en dire. Poétique du paradoxe donc, où la clôture des choses est la sensation de leur
autonomie, de leur disponibilité au flux d'être qui les traverse. La surface et la peau sont
comme un entier déploiement de l'œil et de ses pouvoirs réfléchissants. Ramener le monde à
sa surface c'est aussi le rapporter à son indifférence, à son irréductibilité, au chatoiement de
ses virtualités propres et non assimilables. Accueillir ce qui est tel que c'est, en sa pure
apparence, semble la seule manière d'y participer un tant soit peu.
Au-delà d'une simple conformation à l'existant, cette poésie, et c'est là qu'elle atteint des
sommets, cherche à établir une esthétique neuve, non plus seulement fondée sur l'opposition
des contraires ou sur leur annulation, mais sur un maintien de la contrariété, de la discorde
entre les choses au sein d'une totalisation nouvelle, paradoxale. Qu'on en juge par cet extrait :
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 13/20
« Organon
On vient d'inventer – le nom m'échappe encore –
une sorte de couteau, de ciseau, de hache
répondant aux fonctions diamétralement contraires
à celles des couteaux, des ciseaux et des haches ordinaires
Un instrument à faire un tout à partir de parties,
à coller des morceaux qui se croyaient des entiers.
Au lieu de tomber son couperet se lève.
Au lieu de trancher il soude
et recoud des plaies jusqu'alors ignorées.
De deux moitiés de pommes on fait une pomme,
et de deux pommes, un fruit nouveau.
(…) »
Surprenante image d'une lame qui viendrait détrancher (si l'on peut oser ce néologisme) le
réel, qui viendrait l'unifier dans une absolue séparation. La scission n'est plus une borne à
franchir ou à laquelle se résoudre, mais ce qui cimente l'unité du monde et lui donne sa valeur
de loi, sa valeur de monde.
L'écriture d'Ana Tot, par un subtil dosage de questionnements, d'humour, de renvoi des
questionnements à leur vanité, parvient à une légèreté qui confine à l'ébriété. Elle provoque
chez le lecteur le vertige des évidences démolies avec l'aplomb de l'évidence.
Laurent Albarracin
(article publié sur le site A la littérature (Pierre Campion), dans la rubrique Images de la
poésie, le 10 avril 2010)
http://pierre.campion2.free.fr/albarracin_tot.htm
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 14/20
4/
[Chronique] Ana TOT, Mottes mottes mottes
par Fabrice Thumerel
Une langue dépouillée et des formes qui nous reconduisent aux poésies de l’enfance
(ritournelles avec épanodes, anaphores et épiphores, palillogies…) – Ana Tot allant jusqu’à
offrir un clin d’œil aux nostalgiques des cahiers à spirale.
Les 77 micro-poèmes d’Ana Tot rappellent essentiellement l’école de Rochefort, et
notamment Guillevic ; mais également Prévert : poésie de la diction, de l’addition et de la
répétition qui abonde en homophonies, effets de ruptures et fantaisies les plus diverses. Clin
d’œil explicite à Prévert :
"un inventaire des moments-de
un moment d’inventaire
un moment d’invention
un inventaire des inventions" (p. 60).
Même référence intertextuelle pour ce texte palillogique dont le titre est un mot-valise,
"zoopinion" :
" quoi-quoi
qu’est-ce qu’on est de plus-plus
que n’importe qui-qui
on n’est pas plus vrai-vrai
on n’est pas plus beau-beau
que dans un grand zo
o " (37).
Dans la même veine, cette comptine qui, d’anadiplose en anadiplose, nous entraîne dans une
spirale métaphysique :
"l’homme est mangé par le remord
le remord par l’oubli
l’oubli par la faim
la faim par la vie
la vie par la mort
la mort par l’ennui
l’ennui par le sport
le sport par" (31-32).
Au reste, Ana Tot se révèle maîtresse dans l’art de métaphysiquer la pomme, et même "trois
fois rien"…
Fabrice Thumerel
(article publié sur le site Libr-critique.com le 28 juin 2009)
http://www.t-pas-net.com/libr-critique/?p=1306
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 15/20
[Chronique] Ana TOT, Mottes mottes mottes
par Nicolas Tardy
Un beau petit carnet en bristol blanc, doté d'une spirale. Une couverture protège l'ensemble,
ornée d'un dessin de Valeria Pasina où des tasses et soucoupes tendent vers l'abstraction en
s'accumulant. On retrouve ce même principe d'accumulation — de mise en mottes ? — dans
les poèmes (un par page) d'Ana Tot qui constituent ce carnet. La lecture silencieuse donne
rapidement une envie d'oralisation de par le travail de répétition et de permutation de ces
poèmes découpés par la versification ou des tirets verticaux. Certains trouveront cela trop
formaliste. Moi pas. Ana Tot arrive à ne pas faire tourner la machine textuelle à vide et semble
savoir stopper ses procédés à temps.
Nicolas Tardy
(article publié dans le Cahier Critique de Poésie – CCP n°19, éditions du CIPM, avril 2010)
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 16/20
5/
[Chronique] Aurelio Diaz Ronda, L’o de trous
par Alain Helissen
L’O de trous, voilà un titre qui résonne à mes oreilles avec une connotation toute particulière
puisqu’elle renvoie à deux de mes ouvrages : les Poétrous et l’O de la Voie lactée. S’il n’a
guère de rapport avec ce dernier, excepté l’énoncé du titre, sans doute L’O de trous en
présente-t-il avec mes Poétrous. Mais allons plus loin. Les « o » investissent bien des mots.
On en trouve quelques uns dans l’intrOduction, histoire de nous mettre l’ « O » à la bouche,
mais celui qui se taille la part essentielle dans ce petit ouvrage ayant forme de cahier à
spirales, c’est L’O de trous. Placé en plein centre, on ne l’entend pas. Il n’en garde pas moins
un rôle déterminant. Sans lui, pas de trous. Oublions-le cependant pour nous intéresser à ces «
trous » en enfilade qui constituent le corps – criblé de trous ? – du texte. Remplir ensemble /
les trous qui nous reviennent / au détour de nos routes. Les « premiers trous », les « tout
derniers », les trous nous entourent, nous accompagnent, « on a ses propres trous », les trous
s’aspirent les uns les autres, « toute absence est un trou », « autour de soi / c’est tout un trou /
le trou de soi « , « tout centre d’un trou / est le centre de tout. » Aurelio D. Ronda décline trou
après trou des vers troués de toute part. J’en retrouve un figurant dans Les Poétrous : « un
point c’est trou ». Assurément, le club des Poétrous vient de s’agrandir. La poésie, j’en étais
déjà convaincu, consiste à combler des trous en en créant d’autres. Parce que les mots sortent
des trous de la langue pour y replonger. Ils dansent au bord du vide. Tiens, voilà « l’o » qui
revient ! Il est cette fois dans la « bOuche ». Il passe son oral de rattroupage, écrivais-je
encore dans Les Poétrous. Décidément, je finirai par faire la promotion de mon propre livre.
Un conseil, procurez-vous les deux, ça vaut l’trou !
Alain Hélissen
(article paru dans Le Mensuel littéraire et poétique n° 361, automne 2008, Bruxelles)
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 17/20
Une trouvaille
par Eric Clémens
Il semble bien que le grand os ouvre dans le réel des activités d’écriture une marque
singulière, de celles qui nous deviennent indispensables parce que inconnues… Car, pour ce
que j’en sais, outre une collection et une revue Lgo, sans parler d’un mouvement, le
tournevisme, cette maison d’édition m’a ébloui des Traités et vanités, de Ana Tot,
héraclitéenne entre poésie et philosophie, m’a intrigué des notations inclassables de Ildefonso
Sirio de Januarios - et elle m’interloque aujourd’hui de L’o de trous, de Aurelio Diaz
Ronda…
S’il se présente sous la forme de vers, ce texte manifeste une liberté insaisissable, entre jeu de
signifiants et ombre portée d’une pensée. Mais pensée de quoi ? D’une exploration en tous
sens du trou, de son vide, de ses sans-fonds et de ses ronds, de son rôle, ses bords et ses fosses
- on a compris que je le cite.
Diaz Ronda agit donc et il agite la question qui hante ses ressources : celle de l’engendrement
perpétué, énigmatique du fait de l’insignifiance de ces sons tremblés avant d’être tremblant :
tr o ou trou ! Où est l’o de trous ? où sont nos trous ? tous les trous partout ? où débouchentils ? où trouent-ils ? ou roulent-ils ? jusqu’à couper court à nos détours ? 113 pages tournent et
retournent cette force spectrale…
Que le trou touche au réel du sujet, nous pouvons le répéter après Lacan. Il faut surtout le
réinscrire, car sa fiction détient l’enjeu de notre relation au monde. Il en va des trous comme
des dedans des vases, comme des dedans des chas, comme du zéro au dedans des nombres,
peut-être comme du vide quantique, en tout cas comme du rien qui traverse l’entre deux des
sexes dont nous faisons surgir techniques, arts, connaissances ou sentiments : il sont creuséscréés par l’ingéniosité et l’imagination des langages humains, ils permettent de voir et de faire
ce qui les entoure, ils n’existent que dans les inventions qu’ils font venir au monde. Aucun
trou n’est d’abord. Mais il est de prime abord, au premier abord : désigné, toujours, délimité
par le signe de son absence qui permet une révélation de ce qu’il n’est pas.
L’écriture poétique ici, littéralement et dans tous les sens, nous y fait penser.
Eric Clémens
(article publié sur le site Sitaudis.fr en décembre 2010)
http://www.sitaudis.fr/Parutions/l-o-de-trous-de-aurelio-diaz-ronda.php
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 18/20
[Chronique] Aurelio Diaz Ronda, L’o de trous
par Fabrice Thumerel
Aurelio Diaz Ronda, L’O de trous, Le Grand Os, deuxième édition augmentée, automne 2010,
116 pages, 9 €, ISBN : 978-2-912528-12-4.
Certes, le O a déjà été foré et on a déjà fait "le tour des trous" (p. 59). Mais c’est avec brio
qu’Aurelio Diaz Ronda nous plonge dans une Histoire d’O qui est à la fois histoire du vivant
et histoire de la poésie. Entre "trop voir" et "pas voir" (96) oscille cet objet poétique
paradoxal, "objet pluriel / au singulier" (8), "circonférence visible / de l’invisible / tracé /
circulaire du vide" (9)… Ronde d’O, ode aux orifils (103), variations autour du O, hommage à
la négativité moderne, L’O de trous est encore interrogation sans fond, mais non sans
fondement : "un trou a-t-il des bords / a-t-il un bord unique / le bord est-il déjà le trou / le trou
n’est-il que bord / autour de rien / ou bien ce rien / qui a un bord / est-il le bout de tout / ou
bien le bord de rien / ou bien seulement le bout du trou" (38)… Avec sa poétique de
l’évidement, Aurelio Diaz Ronda rejoint la troubu des poetrous, "occupés à creuser des trous"
(Alain Helissen, Les Poetrous, Voix éditions, 1999) – œuvrant ainsi dans l’orbite de Christian
Prigent.
Fabrice Thumerel
(article paru sur le site Libr-critique.com le 27 décembre 2010)
http://www.t-pas-net.com/libr-critique/?p=2975
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 19/20
6/
Extraits de la revue de presse de « Pasina & cie »
« Par la suite, les danseurs de la troupe Pasina et Cie entrent en scène ou plutôt
dans la mise en en espace des textes d’Aurélio Diaz-Ronda. Les corps deviennent
une concrétion de bras, de jambes, de gestes volontairement symboliques qui
perdent finalement leur signification. Le sentiment premier est celui d’une tentative
laissant place à un constat de l’échec d’incarner. Femme-girafe, manteaux à pattes
de crabes, les danseurs semblent autant de parties du texte jetées sur le plateau et
devant acquérir une vie propre. Par l’emploi du grotesque, de l’excès, de formules
consacrées, les mots de Diaz-Ronda sont réinventés et méticuleusement
exécutés. »
Lucien-Christophe Hernandez (extrait d’un article sur le site Le clou dans la planche)
http://www.lecloudanslaplanche.com/Reserve_pages/Perforeilles.html
« Le corps fait l’expérience des mots ; les mots font l’expérience des corps. Quelque
chose d’extraordinaire qui fait éclater de rire la salle. Tout le monde est à peu près
plié, tordu, gondolé, on ne sait plus on en est, on est devant un gouffre de l’esprit.
Sont-ils sérieux ? Mais oui, ils sont sérieux, parce que justement ils ne sont pas
sérieux. On ne comprend rien, mais on sent dans son propre rire qu’on est devant
quelque chose d’important : un gouffre sur lequel on peut réfléchir, s’interroger. »
Yves Le Pestipon
Extrait d’une conférence (« La poésie éclate-t-elle du rire ? ») donnée au théâtre Le
Hangar le 7 mars 2009 dans le cadre du festival Les Perforeilles.
Ana Tot / A. Diaz — Revue de presse — 20/20