2. Temoignage de Kamal - Amitiés Internationales André Malraux

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2. Temoignage de Kamal - Amitiés Internationales André Malraux
LA GUERRE D'INDEPENDANCE DU BANGLADESH ET MALRAUX
25 MARS – 16 DECEMBRE 1971
TEMOIGNAGE
par Dr Kamal SYED
Avant de quitter « les Indes » en 1947, les colons britanniques en ont redessiné les frontières
politiques, croyant bien faire pour satisfaire les différentes communautés « indigènes » soucieuses
de leurs intérêts, notamment hindoue et musulmane ; les conséquences humanitaires ont été
sanglantes et les braises des feux allumés jamais éteintes, d'autant que la vision religieuse défendue
par le personnage politique Mohammed Ali Jinnah n'était pas une base valide pour créer un état, ce
qu'un homme comme André Malraux, fin connaisseur des civilisations et cultures du monde, tenait
certainement pour une évidence à l'époque.
Ainsi, les deux Pakistans créés, à majorités musulmanes, un à l'ouest de l'Inde, l'autre à l'est à plus
de 2 000 km dans le delta du Gange, n'ont-ils jamais été qu'un état administratif en deux territoires
géographiquement éloignés, plus séparés encore par leurs caractéristiques culturelles propres et très
différentes, les bengalais étant par maints aspects beaucoup plus proches des indiens que des
pakistanais. Le Pakistan-Ouest n'a pas tardé à marquer son emprise sur le Pakistan-Est par son
exploitation économique et sa domination politique, religieuse et culturelle.
Le Pakistan-Est a vite compris le plan de « ré-éducation » voulu pour lui par le Pakistan-Ouest et a
commencé à défendre ses différents droits dès 1952 ; droits aux revenus équitables du commerce,
ainsi qu'identitaires et culturels, jusqu'aux événements de la guerre civile de 1971, la victoire de la
libération et l'indépendance du Pakistan-Est ou Bengale-Est, devenu l'état-nation libre du
Bangladesh.
Les raisons de l'indépendance sont vitales, essentiellement économiques,
sociologiques et culturelles : revenus du commerce, langue, alimentation,
habillement
Le commerce du jute produit au Bengale était florissant avant l'apparition des plastiques ; or le
Pakistant-Ouest s'accapara des revenus de ce commerce pour développer son territoire au détriment
du Pakistan-Est dépossédé de sa seule richesse exportable et source de devises appréciables dans un
pays pauvre ; cette injustice, cause d'appauvrissement généralisé pour les bengalais, devenait
insupportable, le partage des richesses étant par trop inique.
La langue maternelle du Bengale, le Bengali, est issue du sanscrit parlé et écrit depuis les
temps védiques (alphabet et codification écrite de la langue par les aryens entre 1500 et 1000 avant
J.C. Témoins retrouvés, des inscriptions en sanscrit datant du Vème siècle avant JC et premier
après JC. Le bengali est une langue littéraire chantée par les poètes et les écrivains depuis très
longtemps.
Le Pakistan-Ouest a pour langue l'ourdou d'origine et alphabet arabo-persan qu'il voulait imposer
au Pakistan-Est. L'ourdou, langue des camps (ordos, d'où le français horde) des premiers
conquérants turcs musulmans constitua jusqu'au 19ème siècle l'hindoustani avec le hindi (d'alphabet
sanscrit) et n'acquit de statut littéraire que tardivement, contrairement à la langue bengalie.
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Le 21 février 1952, le premier grand mouvement de défense de la langue bengalie eut lieu à Dacca.
Quatre étudiants furent fusillés en martyres par les ouest-pakistanais devant la Faculté de médecine.
Depuis 1985 chaque 21 février commémore ce Jour des Martyres (le Shaid debor) au monument
érigé à leur mémoire (le Shaid minar) et aussi la Journée de la Langue Maternelle, internationale et
reconnue par l'UNESCO.
L'Académie Bengalie a également été créée depuis ainsi que le Salon annuel du Livre.
Je rends hommage à ma langue maternelle bengalie dans mon 2ème recueil de poèmes
« Kobitai ponder madhurjo » (Charmes des rimes en poésie) publié à Dacca en 2013.
L'alimentation de base est un autre facteur de différence :
Au Bengale la nourriture de base est le riz (vat), céréale de climat asiatique,
Au Pakistan c'est le blé (ruti) en pain ou en galettes.
Enfin, les coutumes vestimentaires sont adaptées au climat :
Au Bengale, les hommes portent le longhi, jupe asiatique et les femmes le sari de coton, soie etc.
Au Pakistan les hommes portent le pyjama (pantalon) et le penjabi (chemise longue) ; les femmes
portent le sawal (pantalon) et le kamiz (tunique longue et écharpe).
Les prémices de la révolution contre le Pakistan-ouest, exploiteur et oppresseur,
commencent en 1969, sous la présidence du Général Hayuf Khan, par une manifestation réprimée
où le leader Asad est tué. Le monument Asad Gate à Dacca témoignagne de la mort de cet autre
martyre (chowid) ; le premier de mes poèmes patriotiques est dédié à « ASAD CHOWID »
dans le premier recueil de poésie intitulé « Babonar vela » (Pensées flottantes) publié en
2012 à l'occasion du 40ème anniversaire de l'indépendance de mon pays.
Les événements qui suivent sont également inscrits dans d'autres textes poétiques que je citerai au
passage.
De nombreux mouvements populaires continuent de se dérouler pour réclamer la démocratie après
les dix ans de pouvoir du Général Hayuf Khan poussé à démissionner et remplacé par le Général
Yayha Khan ; celui-ci promet la remise du pouvoir par des élections générales démocratiques dans
les deux pakistans mais il instaure la loi martiale.
Cette période est évoquée dans mon poème « VERS L'INDÉPENDANCE »
En août 1970, ces élections, en nombre de sièges, donnent la majorité au parti de Mujibur Rahman
au Pakistan-Est où la population est plus nombreuse, contre le parti d'Ali Bhutto au Pakistan-Ouest
qui ne veut pas accepter qu'un bengalais, le Sheik Mujibur Rahman puisse devenir le premier
ministre des deux pakistans. Les négociations entre les deux hommes et partis du 13 au 21 mars 71
sont sans issue. De sourdes intrigues ont été menées entre quelques bengalais pro-pakistanais et
l'armée ouest-pakistanaise.
Le 25 mars après minuit, l'armée pakistanaise sort des casernes et lance son attaque contre les civils.
La résistance des combattants bengalais pour la liberté commence dès les 26
et 27 mars 1971 (freedom fighters) après les atrocités commises par l'armée pakistanaise sur la
population dont de nombreux intellectuels
Le 26 mars c'est le couvre-feu et le Cheik Mujibur Rahman est arrêté et emmené en prison au
Pakistan-Ouest.
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L'indépendance est proclamée en son nom par l'officier rebelle Zia Rahman (président en1975).
Le 27 mars l'armée pakistanaise s'est déployée partout et combat la résistance de la population qui
s'enfuit vers l'Inde.
En mai et juin les hindous sont aussi pourchassés et massacrés par l'armée ouest-pakistanaise.
En juillet je suis amené à participer au sauvetage de cette population persécutée et éliminée.
La résistance individuelle (mukti bhani) et en réseau (mukti jutha) lutte ainsi pendant neuf mois
avec l'aide de l'armée indienne, entrée dans le conflit après les attaques aériennes du Pakistan-ouest
pour avoir laissé sa frontière-est ouverte aux réfugiés bengalais qu'il voulait exterminer.
Mon poème « BARBARIE » évoque l'exécution sommaire de deux pères devant leur femme et
enfant. Enlevé dans sa maison, un avocat est fusillé devant son fils Tapon et son corps est jeté dans
la rivière. Le père de la jeune Tipika, postier, est tué devant sa femme que sa fille retrouvera
évanouie à la maison.
Meurtres de parents, amis, voisins, l'écho de la brutalité sanguinaire de tant de crimes barbares
commis sur des innocents sans défense parvient enfin aux oreilles de quelques
personnalités occidentales dont les voix ne portent hélàs pas assez haut pour agir en urgence.
Seul, le célèbre écrivain français André Malraux que nous ne connaissions pas alors, interviendra
en notre faveur en alertant le monde sur notre situation ; il sera le vrai porte-parole efficace de notre
cause et convaincra les politiques européens de nous venir en aide ; qu'il soit encore remercié de son
intervention efficace le 17 septembre 1971 pour avoir appelé à notre secours, pour être venu sur
place, en témoin historique et surtout en tant que combattant déterminé et prêt à donner sa vie dans
nos rangs, avec nous les «combattants aux mains nues », comme il nous a justement appelés parce
que c'était vrai, nous étions sans armes pour nous défendre. Pour cet homme de tous les combats
contre le mal, notre cause était grande et noble, c'était celle de la Justice et de la Liberté, idéal
partagé et porté en phare par la France dont Malraux était le porte-flamme.
Le plus étrange c'est que, deux siècles plus tôt, la France était déjà présente aux côtés des Bengalais
pour défendre leur indépendance et leur culture face aux colonisateurs anglais.
Je rappelle notamment le rôle en 1757 d'un certain Francis, français qui avait participé avec les
bengalais à la guerre de Polachi contre les anglais sous le règne du Nabab Shirajodullah régnant
alors sur les états du Bangla (Bengale), Bihar et Orissa. Francis, installé au Bengale et parlant le
bengali s'était montré précurseur dans la défense des droits de l'homme et du territoire.
La France aurait d'ailleurs pu jouer un grand rôle en cette région du monde, après le travail de
conquête de Dupleix, alors gouverneur de l'Inde, si Louis XV ne l'avait pas sacrifié à la jalousie
anglaise lors du traité de Paris de 1763 ; par ce généreux traité le vaste sous-continent indien tomba
dans l'escarcelle de l'Angleterre et devint anglophone quand il aurait pu être francophone comme
les cinq comptoirs que la France conservait sur les côtes.
Les Français ayant de la fascination et de l'attrait pour les mystères de cette Inde aux grandes
civilisations anciennes, d'où sont issues les langues indo-européennes, on peut se laisser aller à
l'imagination...
André Malraux était de la même veine que ces prédécesseurs, sachant reconnaître la justice d'une
cause, prendre la défense de ses partisans, faire valoir ses droits par le combat si nécessaire, puis la
négociation pour le respect des droits fondamentaux et la paix. Or la paix se prépare souvent par la
lutte et la guerre contre l'agresseur opprimant. Malraux l'avait compris, vécu et assumé jusqu'à la fin
de sa vie.
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La révolution et la guerre civile de 1971 au Bengale s'achèvent par la victoire
de la résistance réunie en 'mukti bahni', parti d'union nationale de toutes les
catégories sociales, et la déclaration de l'indépendance du pays le 17
décembre 1971 sous le nom de Bangladesh.
L'armée indienne annonce le cessez-le-feu le 16 décembre ; cependant, avant cette victoire, le 14
décembre, les ouest-pakistanais, sentant le Bengale leur échapper, finissent le « travail » en
massacrant tous les intellectuels qui n'étaient pas déjà morts ; ceux-ci étaient en effet répertoriés,
recherchés et éliminés pour ne laisser aucune chance au Bengale de se relever de cette destruction
massive.
Ce 16 décembre, on entend encore des tirs d'éléments isolés de l'armée pakistanaise ; ils se
poursuivent un peu partout et des cadavres de militaires pakistanais jonchent le sol.
Leurs exactions ont fait 3 millions de morts, combattants, hommes, enfants et femmes qui ont payé
un lourd tribu de souffrances entre les viols et les exécutions.
L'exode des réfugiés hindous et musulmans comptait de 9 à 10 millions de personnes selon A.
Malraux, une effroyable catastrophe humanitaire dans les pires conditions.
Ces jours historiques sont évoqués dans mes poèmes intitulés « INDÉPENDANCE » et
« MÉMOIRE DU JOUR DE LA VICTOIRE » ainsi que « BANGO BANDHU » en hommage
au Sheik Mujibur Rahman, père de la nation et futur président.
André Malraux, très concerné par la création de notre nouvel état libre et soutenant nos initiatives,
répondra à l'invitation du Sheik à Dacca en 1973 ; il sera ovationné par le public bengali
l'accueillant, reconnaissant de l'action humanitaire bienveillante et réelle de l'écrivain en faveur de
notre pays encore vagissant. 'Seule libération à son sens avec celle de l’Inde qui ne s’achèvait pas par un
totalitarisme', « elle a tenté d’unir le langage du Bengale éternel à celui de notre Révolution ».
A cette période je suis en France pour faire mon doctorat, mais dans ce public qui acclame André
Malraux à la sortie de sa rencontre avec le Sheik, se trouve mon cousin Siddique Sayeed Syed ; féru
de littérature et ému, il voit le grand homme qui a embrassé le Bangladesh sur le visage d'un enfant
bengalais. C'est pour lui, aujourd'hui encore, un souvenir inoubliable et porteur de tous les espoirs.
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Malraux exhorta le peuple bengali à prendre son destin en main par ces paroles célèbres :
« Il fallait obtenir la Victoire. Mais aujourd’hui le Bangladesh veut la paix. La paix avec TOUS.
Et vous devez travailler pour la seconde victoire, qui est de créer l’Etat. [...]
Il faut que quand on dira plus tard : ‘‘Ils ont combattu avec leurs mains nues’’, on puisse ajouter :
‘‘Le Bangladesh libre a fait mieux en dix ans que le Bangladesh asservi en vingt-cinq ans.’’
Les combattants de la guerre ont commencé ici. Que commence ici le combat pour la paix ».
Ainsi la France a t-elle laissé cette belle empreinte et caution une nouvelle fois en Inde avec le
baiser de Malraux et ses encouragements.
En quarante ans, le Bangladesh s'est installé et émancipé dans sa nouvelle liberté, préservant ses
valeurs démocratiques malgré quelques soubresauts inévitables, modernisant le développement de
son économie bien que freiné par le climat, la surpopulation et les intrigues politiques intestines.
Il a trouvé sa force et son rythme dans le libre épanouissement de sa culture, le respect de ses droits
et la maîtrise de sa destinée.
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André Malraux et Mujibur Rahman en 1973
L'Inde de Malraux
Le Bangladesh de Malraux
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La sensibilité d' André Malraux aux
blessures des hommes et la
compassion partagée au cœur de son
humanisme
André Malraux réconfortant un blessé de guerre,
Dacca, 1973
Sa foi en l'homme
et son espoir de visionnaire
"J'embrasse le Bangladesh sur un seul
visage, celui d'un enfant", Dacca, 1973
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Au Bangladesh, le Musée de la guerre de la Libération, créé en 1996 à Dacca (au 5 Segun
Bagicha road) conserve en bonne place le souvenir d' André Malraux avec ces photos,
vidéos, et sa biographie en anglais. Website : www.liberationwarmuseum.org
On peut trouver sur ce site du musée toutes les informations relatives à cette période
capitale de l'histoire du pays, ainsi que des hommages écrits en l'honneur d'André
Malraux par des Bangladeshis (exemples ci-après, où Malraux est souvent transcrit
« Malro »).
• Mohamed Sarwar il y a 4 mois
Thanks to Mr Malro's for his support for Bangladesh in 1971 .
•
sadwan123 il y a 5 ans
Dear sir/madam,
i dont know who you are. I am a citizen of bangladeh and i will never forget the speech given by
french leader in this video. Thank you for presenting this video.
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hakkotharmoncho il y a 5 ans
I must thank lw71 for posting this grt footage. Malro's message is so powerful. May Allah place
his soul in heaven.
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hakkotharmoncho il y a 5 ans
A great human being ! This proves principled and reasonable men are there everywhere
irrespective of time and space. Tribute to the great man!
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