Les assistantes sociales à FT_G.Djebril_sept09

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Les assistantes sociales à FT_G.Djebril_sept09
France Telecom-Orange : un Service Social du Travail de moins en
moins intégré, dans une gestion des ressources humaines qui se
déshumanise de plus en plus.
La fin des réseaux des assistants sociaux de France Télécom
Depuis 1991, date de la séparation des PTT en deux exploitants : La Poste et France
Telecom, le Service Social du Travail de France Telecom n’est plus organisé
techniquement au niveau national et régional. Chaque Assistant(e) Social (e) est
rattaché (e) à une Direction, voire à une entité infra –Direction. Suite à une directive
nationale de 1998, des réseaux d’assistants(tes) sociaux(ales) réunissant chacun
une trentaine de professionnel(le)s, se sont constitués au niveau de chacune des 5
grandes régions du territoire.
Leur fonctionnement est resté très inégal. Le dernier, celui du SUD Est s’est
maintenu jusqu’à la création des Directions Territoriales, en 2006. Mais à ce jour, ces
réseaux techniques ont tous disparu, privant les assistants(tes) sociaux(ales) d'une
ressource qui n'a pas été compensée. De plus, le recours à la sous-traitance à des
services sociaux interentreprises, ou à des assistantes sociales libérales, accentue
l'éclatement du service social du travail.
Révolution de l’organisation des ressources humaines
La gestion des ressources humaines a, parallèlement, fortement évolué :
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D'un « bureau d'ordre » de proximité avec une « correspondante sociale », à
une gestion de plus en plus centralisée, puis délocalisée en pôles nationaux
d’expertise sur des processus de ressources humaines.
De contacts oraux ou téléphoniques aux « clic-rh », numéros verts, hotline et
auto-saisie par applications internes tant pour poser des congés que pour les
remboursements de frais professionnels, ou solliciter du matériel ou des
outils...
La relation « entre collègues » s'est transformée en une relation client/fournisseur,
évacuant de plus en plus les relations personnalisées, par la standardisation des
modes de communication. Le salarié est de plus en plus renvoyé à lui-même ainsi
qu’à l’auto surveillance, à travers l'auto-saisie dans les applications de gestion du
personnel, sans qu’il puisse avoir un interlocuteur, qu'il soit de la ligne managériale
ou RH.
Impacts des restructurations globales sur l’activité des assistantes
sociales
Dans ce contexte, où le Service Social du Travail apparaît comme le dernier bastion
d'une certaine humanisation des relations, palliant notamment aux défaillances de la
régulation de proximité, il est lui-même confronté à un paradoxe :
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Le partenariat, avec le réseau des Ressources Humaines comme avec les 11
Centres de gestion des ressources humaines, (CSRH) s'étiole au fil des
réorganisations de ce service, et de celui du reste de l'entreprise :
Depuis juillet 2008, plus aucun « signalement systématique »1 n'émane des CSRH,
et le Service Social du Travail n'a plus d'entrées privilégiées dans ces services, dont
il ignore la nouvelle organisation. Il se trouve donc réduit à « limiter les dégâts », en
essayant de suivre le dossier du salarié qui le sollicite. Certains salariés sont déjà
suivis, d’autres ont la ressource de solliciter le service, enfin, parfois, une ou
plusieurs personnes dans l’environnement du salarié, sont amenés à alerter le
Service social.
Pour les autres, l'absence de signalements systématiques (par exemple, en cas de
demande d’Autorisation Spéciale d’Absence décès, arrêt de travail prolongé,
opposition sur le salaire, demandes répétées d'acomptes sur le salaire, mutation
géographique ou professionnelle...) ne permet plus le travail « pro-actif », donc
préventif, du Service Social du Travail.
C’est au hasard des informations glanées lors d’entretiens avec d’autres salariés, ou
transmises par quelques rares DRH d’établissements (Business Parter Ressources
Humaines), que le Service Social du Travail peut contacter quelques salariés, pour
se mettre à leur disposition.
Or, ces sollicitations « pro-actives » sont particulièrement importantes, voire
décisives, pour permettre à un salarié de s'adresser au Service Social du Travail :
répondre à une sollicitation au sujet d'une difficulté déjà énoncée (deuil, difficultés
financières...) rend la démarche beaucoup plus facile. Ainsi, par l’entremise du
Service Social du Travail, il peut se mettre en place un lien entre le travail et la vie
privée, dès lors qu’elle impacte la vie professionnelle ou la situation administrative.
Ce lien social que l'entreprise entretient avec son salarié, est mis en évidence,
puisque le Service Social du Travail informe de la source du signalement « votre
CSRH, votre RH, votre responsable, un de vos collègues, votre syndicat...m'a
informé(e) de votre arrêt de travail.... »
Affaiblissement du lien social au travail
Cette marque d'intérêt de l'Entreprise peut constituer un réconfort important pour les
personnes éloignées du service. Elle peut avoir un impact qui dépasse celui de la
personne concernée, quand celle-ci en parle positivement dans son environnement
professionnel (en particulier pour les arrêts maladie). Les collègues peuvent alors
être rassurés, assurés qu'il sera de même pour eux, s'ils avaient un souci. Ils en sont
« reconnaissants » non seulement au Service Social du Travail, mais à l'Entreprise.
Or il s’agit d’un bénéfice que l'Entreprise a perdu, en ne donnant plus les moyens, à
son Service Social, d'assurer sa mission de prévention.
1
Information par un tiers, susceptible de générer une intervention du Service Social du Travail
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Le rôle essentiel des rapports entre genres
Cela peut être mis, par exemple, en relation avec les situations tragiques de suicides
d’agents, parfois sur leur lieu de travail, dont le phénomène prend une ampleur
inquiétante, en particulier dans les services techniques masculins.
En effet, ces « agents des lignes », travailleurs souvent nomades et isolés dans leur
activité, ont perdu, au sein de celle-ci, les occasions de côtoyer d’autres collègues,
en particulier féminins. Ils remarquent, dans leur environnement de travail, la
disparition quasi complète de la gente féminine, à l'exception de quelques cadres : le
« BO », (Bureau d’Ordres : service de ressources humaines de proximité), comme
les secrétariats techniques, exclusivement féminins dans une population masculine,
qui avaient une fonction régulatrice importante. Les stéréotypes de genre, dans
lesquels nous baignons tous, font qu’il est plus facile à un homme, de se confier à
une femme, qu’à un autre homme. La disparition progressive de ces services
féminisés dans un environnement masculin, a fermé de multiples possibilités de
rompre l’isolement, surtout en cas de difficultés. Elle a fait aussi disparaître les relais
que le Service Social du Travail utilisait pour une activité pro-active. Celle-ci s’avère
d’autant plus nécessaire dans les milieux très masculinisés, car ceux-ci sollicitent
plus difficilement d’eux-même le Service Social du Travail : cette démarche est
considérée comme un constat d'échec personnel à se débrouiller seul, plutôt que
comme une capacité à exploiter les ressources de son environnement.
…Souffrance
vécue au travail par les assistantes sociales
Ainsi, le Service Social du Travail, soumis à son éthique et sa déontologie spécifique
(secret professionnel, respect des choix de vie…) est à même d’intervenir aussi bien
dans la sphère professionnelle que dans la sphère privée, afin d’apporter des
réponses globales aux difficultés des salariés ; cette approche globale est un atout
en terme de prévention. Les risques psycho-sociaux peuvent être démultipliés,
potentialisés, ou au contraire réduits, selon que les facteurs professionnels et
personnels inter-agissent favorablement ou défavorablement. La place privilégiée du
Service Social du Travail en interface privé et professionnel pourrait faire de ce
service un incontournable en matière de prévention des risques psycho-sociaux. La
réalité actuelle est que le Service Social du Travail assure de plus en plus
difficilement ce travail de prévention, car son action préventive et régulatrice
n’a pas été prise en compte lors des diverses réorganisations de l’entreprise,
et que cela génère, chez les assistants(es) sociaux(les), une souffrance au
travail assez généralisée.
Gabrièle Djebril – septembre 2009
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