Entre activité professionnelle et famille : la double vie de femme à
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Entre activité professionnelle et famille : la double vie de femme à
Entre activité professionnelle et famille : la double vie de femme à Cotonou (Bénin) Agnès ADJAMAGBO [email protected], Institut de Recherche pour le Développement, UMR 151-LPED Bénédicte GASTINEAU [email protected], Institut de Recherche pour le Développement, UMR 151-LPED Josette Bonita GNELE [email protected], IRD - CEFORP (Université d’Abomey-Calavi, Bénin) Saturnine MICHOZOUNNOU [email protected], CEFORP (Université d’Abomey-Calavi, Bénin) Résumé Avec l’arrivée massive des femmes sur le marché de l’emploi et l’apparition de nouvelles structures familiales (familles monoparentales, familles recomposées), la question de la conciliation famille-travail est devenue un enjeu autant personnel, professionnel, économique que politique. Cette préoccupation concerne encore majoritairement les femmes et en particulier les femmes résidant à Cotonou qui sont tenues de répondre aux exigences organisationnelles en même temps que satisfaire des dépendances familiales et sociales, choses qui s’avèrent de plus en plus contradictoires. La garde des enfants et autres responsabilités familiales restent pour elles un véritable défi. Mots clés : vie professionnelle, vie familiale, conciliation, Cotonou 1- Contexte scientifique de l’étude La question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est un élément important de l’égalité entre femmes et hommes. En effet, elle fait le lien entre deux domaines de l’existence fortement sexués. Elle apparaît aussi comme une des conditions d’une réduction des obstacles à l’activité professionnelle des femmes (Gazereth, 2003). Objet de préoccupation dans les pays européens, notamment en France, pour des raisons politiques et sociologiques, la conciliation travail famille est un sujet inexistant des problématiques sociales et économiques du travail en Afrique subsaharienne. Les efforts récents pour mieux appréhender la place des femmes sur le marché du travail, rendent néanmoins le sujet tout à fait pertinent pour cette région du monde. Le thème de la conciliation revient, en principe, à considérer la manière dont les individus, hommes comme femmes, organisent leur mode de vie de façon pour se rendre disponible pour exercer une activité professionnelle. Dans les faits, cela revient essentiellement à se poser la question de savoir comment les femmes mènent leur double vie tant les modèles classiques de 1 répartition des tâches domestiques et familiales restent prégnants dans les inconscients collectifs (Périvier et Silvera, 2010). Des travaux de recherche sur les budgets-temps en Afrique montrent que les activités non marchandes (corvées d’eau, préparation des repas, soins aux enfants ou aux personnes âgées) sont des tâches presque exclusivement féminines (Charmes, 2005). Les femmes assument la majorité des tâches liées à l’entretien de la maison et sont celles qui s’occupent le plus des enfants. La journée de travail des femmes est donc cernée par un nombre conséquent d'activités domestiques et de soin qui transforment leur quotidien en une véritable double journée. 2- Objectifs La présente étude propose d'étudier finement la manière dont les femmes de la ville de Cotonou au Bénin s'organisent pour faire face aux tâches domestiques et à leurs activités professionnelles. Nous décrivons les pratiques liées à la prise en charge des obligations quotidiennes en distinguant la part respective des hommes et des femmes. L'étude vise ainsi à faire lumière sur la question de l'inégalité entre hommes et femmes au sein des ménages et de vérifier la pertinence de l'image communément admise d'un recours aisé à la main d'œuvre de substitution (familiale ou non) dans les villes. Ce faisant, notre approche permet d'apprécier l’articulation entre travail et vie familiale et de repérer les éventuels obstacles à la conciliation des deux. 3- Sources des données Notre étude s'appuie sur les données du programme « Familles, genre et activités en Afrique sub-saharienne » (FAGEAC) financé par l’Agence Nationale de la Recherche 1 dont l'objectif est d'étudier la structure et le fonctionnement des ménages urbains du point de vue des revenus, des dépenses récurrentes, des tâches domestiques et des soins aux enfants. Le programme combine un volet quantitatif et qualitatif dont nous citons ici les tous premiers résultats : (1) l'enquête AEMU2 réalisée en novembre 2012 auprès de 509 ménages et de 1955 individus hommes et femmes dans la ville de Cotonou, qui recueille des informations sur le partage des tâches domestiques, des dépenses et des soins aux enfants entre les différents membres des ménages ; (2) Des entretiens individuels semi-structurés auprès d’une trentaine de femmes issues de divers secteurs d’activité à Cotonou effectués en 2011 et 2012. Le recours aux deux types de données quantitative et qualitative permet d'une part de mesurer la manière dont les hommes et les femmes se répartissent les différentes tâches et charges du ménage et d'autre part, de confronter ces situations décrites statistiquement au vécu quotidien des habitants de Cotonou à travers les témoignages. 1 Programme FAGEAC (ANR-10-SUDS-005-01) mis en œuvre par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD, France), le Centre de Formation et de Recherche en matière de développement (CEFORP, Bénin), l’Institut Supérieur des Sciences de la Population (ISSP, Burkina Faso) et l’Unité de Recherche en Démographie (URD, Togo). Les données présentées ici se focalisent sur la ville de Cotonou. 2 Activités Economiques, partage des ressources et prise en charge des dépenses au sein des Ménages Urbains 2 4 - Principaux résultats Les tâches domestiques : une affaire de femmes ? L'analyse des données révèle, comme on peut s'y attendre, que les hommes s’impliquent moins que les femmes dans les tâches domestiques. On note en effet une très forte discrimination au sein des ménages dans la prise en charge des tâches domestiques (repas, vaisselle, lessive, repassage, entretiens du logement). La préparation des repas s'impose comme la tâche où l'inégalité entre les hommes et les femmes est la plus forte : seuls 30% des hommes déclarent participer régulièrement à la confection des repas contre 87% des femmes (individus de plus de 6 ans). L’analyse des entretiens confirme que cette tâche une prérogative féminine et encore plus une prérogative des épouses : les femmes mariées peuvent difficilement la déléguer à une autre femme. Plus généralement, les femmes actives ou non ont peu d’aide dans leur charge de travail à la maison à Cotonou : les domestiques ou les enfants confiés pour aide domestique sont rares (moins de 10% des ménages sont concernés). Dans nos entretiens, les femmes disent d’ailleurs rencontrer de nombreuses difficultés à déléguer les tâches domestiques. Peu nombreuses sont celles qui peuvent bénéficier de l’aide d’un parent. Elles expriment aussi leur embarras pour recruter une domestique (trop chère, pas fiable, manque de confiance). La garde des enfants est particulièrement problématique et certaines jeunes mères doivent interrompre leur carrière quelques années, ce qui peut avoir un impact important sur leur trajectoire professionnelle. Les enquêtes quantitatives montrent d’ailleurs que la charge de travail domestique des femmes augmente de façon important à chaque nouvelle naissance, ce qui n’est pas vrai pour les hommes. Un résultat important de nos enquêtes quantitatives est que les femmes qui travaillent n'assument pas moins de tâches domestiques que celles qui ne travaillent pas. Ceci confirme la surcharge de travail qu'entraîne chez les femmes l'entrée dans la vie active et souligne les difficultés qu'elles rencontrent dans la conciliation travail-famille. Nos données montrent d'ailleurs très nettement que c'est aux âges du cycle de vie correspondant à l'entrée en union et à la période de procréation que les tâches pèsent le plus lourdement sur les femmes. Passée 45 ans l'étau semble de desserrer. Partage équitable une utopie ? Le regard social porté sur l'implication des hommes dans les travaux ménagers freine les initiatives innovantes. Il est en effet socialement dégradant pour un homme de s'impliquer dans des activités telles la préparation des repas, la vaisselle ou encore l'entretien de la maison. Bien des hommes y voient une raison suffisante pour justifier l'impossible équitabilité. Les femmes elles-mêmes renoncent souvent à imposer quoique ce soit à leur mari, soucieuses de préserver leur réputation de bonne épouse. Dans les entretiens, les femmes nous disent combien il est difficile de partager les tâches même pour les hommes volontaires : les couples qui voudraient partager ces tâches sont souvent découragés par les remarques de leur mère, leur belle-mère ou même leur 3 conjointe. De même une femme qui n’assure pas la totalité des activités domestiques ne serait pas une bonne épouse. Les femmes développent alors tout un ensemble de stratégies pour organiser leur travail domestique en fonction de leurs impératifs professionnels. Conclusion La conciliation entre carrière professionnelle et vie familiale semble particulièrement compliquée à Cotonou. Les femmes actives restent les principales concernées par les travaux domestiques et l'entretien des enfants. Contre toute attente, les pratiques de délégation du travail de maison sont relativement peu fréquentes. Ces résultats sont importants si l'on tient compte du fait que l’équipement des ménages (robot ménager, frigidaire, congélateur, etc.) est faible, que les services (blanchisseur, traiteur, etc.) sont coûteux et les structures d'accueil des jeunes enfants sont très peu nombreuses. 4