I- La modeste place du doctorat en France

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I- La modeste place du doctorat en France
I- La modeste place du doctorat en France
par Henri Audier
« La compétitivité des pays dépend en grande partie de leurs ressources financières et humaines
en R&D et innovation, notamment des titulaires de doctorat », comme le souligne le rapport du
Commissariat général à la stratégie et à la prospective, intitulé « Les difficultés d’insertion
professionnelle des docteurs, les raisons d’une exception française » (1). Effectivement, la très
modeste croissance du nombre de docteurs formés depuis 10 ans en France est en parfaite
cohérence avec la stagnation de l’effort de recherche, public et privé (2).
Avertissement
Pour cet article, nous nous sommes appuyés sur quatre sources de données statistiques (3-7) qui, du
moins dans les années récentes, demeurent du même ordre de grandeur (Tableau 1). Nous avons
privilégié les séries de permettant les comparaisons internationales (4,6,7). D’une manière étonnante,
la référence (5) donne un nombre de doctorats soutenus bien supérieur aux autres autour de l’an 2000.
Tableau 1 : Nombre de docteurs formés en France suivant les sources
2008
DEPP
OST
MESR
NSF
2011
DEPP
OST
MESR
10678
11309
11389
11309
11448
11450
12084
1- Le trop faible nombre de doctorats soutenus en France
Le nombre de doctorats soutenus en France est faible au regard des autres pays européens. La première
comparaison disponible, celle de l’OST (4), ne concerne que 5 pays de l’UE en 2011 (Tableau 2). Avec
ses 11500 docteurs/an, la France fait, au regard de sa population, plus mal que l’Italie et l’Espagne. De
plus, elle se situe très, très loin derrière le Royaume-Uni (20000) et l’Allemagne (27500). En
cohérence, les docteurs ne représentent (4) que 1,44 % de la tranche d’âge des 25-34 ans en France,
moins qu’en Italie et beaucoup moins qu’en Allemagne (2,79 %) ou au Royaume-Uni (2,44 %).
Tableau 2 : Comparaisons entre 5 pays de l’UE, OST, 2011(4)
Allemagne
Royaume-Uni
France
Italie
Espagne
Population
(millions)
Nombre
Docteurs
Evolution
2000-2011
% de
Femmes
81,8
62,7
65,2
60,7
46,1
27354
20076
11450
11270
8747
+ 6,1 %
+ 73,8 %
+ 15,6 %
+ 236 %
+ 45,6 %
45,0 %
45,2 %
43,6 %
53,2 %
47,4 %
Les données de la NSF (6) sont beaucoup plus larges, mais un peu moins récentes (2008).
- Elles permettent d’abord d’avoir un point de vue européen plus large, dans une entité politique dans
laquelle le doctorat devient LA référence pour les cadres. Au-delà des 5 pays étudiés par l’OST,
plusieurs pays de population modeste ont une production impressionnante de docteurs : le Portugal, la
Suisse, la Suède, la Finlande, l’Autriche, la Norvège ou le Danemark (Tableau 3).
- Dans le monde, la position française est moins négative, même si l’Australie, les Etats-Unis, Israël ou
la Corée font légèrement mieux que nous. Clairement, parmi les pays développés, rares sont ceux qui
font nettement plus mal que la France : le Canada, la Pologne ou le Japon.
Tableau 3 : Nombre de nouveaux docteurs en 2008, NSF, 2008 (6)
Population
(Millions)
Doctorats
2008
Δ
2000-2008
Docteurs/
population
Allemagne
Royaume-Uni
France
Italie
Espagne
Pologne
Portugal
Suède
Pays-Bas
Autriche
Finlande
Danemark
82,1
61,4
64,1
59,8
45,6
38,1
10,6
9,2
16,4
8,4
5,3
5,5
25604
16610
11309
10188
7302
5516
4863
3625
3214
2205
1951
1102
- 0,7 %
+ 43,8 %
+ 11,4 %
+ 203 %
+ 21,6 %
+ 19 %
+ 23 %
-
312
270
176
170
160
145
459
394
196
262
368
200
Russie
Suisse
Norvège
142,7
7,7
4,8
27719
3426
1231
0%
+ 25,3%
-
195
445
256
USA
Brésil
Canada
312
201
34,5
61716
10705
4827
+ 37 %
-
198
53,3
140
Chine
Inde
Japon
Corée
1 267
1 210
128,8
49,8
43759
18730
17291
9369
+ 284 %
+ 65,8 %
+ 12,6 %
+ 52,5 %
35
16
134
188
Australie
Israël
22,8
7,7
5749
1427
-
239
185
Figure 1. Nombre de nouveaux doctorats / population (millions) en 2008
2- Un retard sur les autres pays Europe qui s’est accentué ces 10 dernières années
Sur 10 ans, le taux de croissance du nombre de doctorats en France est le plus faible d’Europe
(Tableaux 2 et 3, Figure 2), à l’exception de celui de l’Allemagne dont le nombre de doctorat/an reste
toutefois 2,5 fois celui de la France. Entre 2000 et 2011, si la France ne progresse que de 15,6 %,
l’Espagne avance de 45,6 %, le Royaume-Uni de 73,8 % et l’Italie de 236 %. Durant cette période, la
part de la France dans les doctorats soutenus dans l’Union européenne tombe de 14,5 % à 9,9 %.
Figure 2. Evolution du nombre de doctorats
3- Un chamboulement en cours des positions mondiales
Si la position française vis-à-vis des pays non européens n’est pas mauvaise dans l’absolu, l’évolution
sur 10 ans n’est pas favorable. Ainsi, si rapporté à la population, la France et la Corée sont proches en
2008, la France est sur un taux de croissance peu supérieur à 1 % par an, alors que ce taux est de 5 %
pour la Corée. Plus généralement, un chamboulement est en marche au niveau mondial (1).
« Le nombre de doctorats délivrés dans les pays de l’OCDE a atteint 213 000 en 2009, soit une
augmentation de 38 % en dix ans. (…) Les États-Unis restent le premier pays, avec une part de 16 %, et
le nombre de diplômés de doctorat y a augmenté de 37 % entre 2000 et 2008. Il est suivi par la Chine
(11 %). Ces deux pays demeurent toutefois loin des pays de l’Union européenne, qui représentent
ensemble 27 % des diplômes délivrés, dont 3 % par la France (1). »
« Le développement de grandes capacités de formation doctorale des pays émergents accélère leur
convergence en matière de recherche avec les pays développés. La Chine a ainsi multiplié le nombre de
doctorats délivrés par quatre en huit ans (44 000 en 2008). Les quatre pays BRIC délivrent aujourd’hui
un diplôme de doctorat sur quatre dans le monde (26 %), soit l’équivalent de l’UE, et dix points de plus
que les États- Unis. Dans le cas de la Chine, s’ajoutent aux diplômés au niveau national les diplômés à
l’étranger, principalement aux Etats-Unis, soit près de 4 500 de doctorats en 2008 » (1).
Prochain article : II- Doctorat : les femmes, les sciences et les étrangers
(1) http://www.strategie.gouv.fr/blog/wp-content/uploads/2013/10/DT_2013-07-Doctorants-final-22-10-valHM.pdf. « Les
difficultés d’insertion professionnelle des docteurs Les raisons d’une exception française », Commissariat Général à la
stratégie et à la prospective, M. Harfi, Octobre 2013.
(2) VRS, http://sncs.fr/spip.php?article3466 , p. 27.
(3) http://cache.media.education.gouv.fr/file/2012/36/9/DEPP-RERS-2012_223369.pdf
« Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche »
DEPP, RERS, Indicateur 8-28.
(4) http://www.obs-ost.fr/fr/frindicateur/analyses_et_indicateurs_de_reference
« Les rapports et analyses de l’Observatoire des sciences et des techniques (OST) », octobre 2013
(5) http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid72997/l-etat-de-l-emploi-scientifique-en-france.html. L’état de
l’emploi scientifique en France, MESR, 2013.
(6) http://www.nsf.gov/statistics/seind12/append/c2/at02-36.pdf
National Science Foundation, National Center for Science and Engineering Statistics
(7) OECD (2011), “New doctorate graduates”, in OECD Science, Technology and Industry Scoreboard 2011, OECD
Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/sti_scoreboard-2011-12-en