LA RÉTROACTIVITÉ DES LOIS CIVILES UNE NOUVELLE FOIS

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LA RÉTROACTIVITÉ DES LOIS CIVILES UNE NOUVELLE FOIS
LA RÉTROACTIVITÉ DES LOIS CIVILES
UNE NOUVELLE FOIS SANCTIONNÉE
PAR LA COUR EUROPÉENNE SUR LE FONDEMENT
DE L’ARTICLE 1er DU PROTOCOLE N° 1
(Cour européenne des droits de l’homme,
14 février 2006, Lecarpentier et autre c. France
et 3 octobre 2006, Achache c. France)
par
Christophe PETTITI
Avocat au barreau de Paris
Secrétaire général de l’Institut des droits de l’homme
des avocats européens
Nous pourrions intituler cet article «La Cour européenne, dernier
rempart contre les lobbies ou contre les lois d’intérêt non général».
Après avoir sanctionné la France en 2005 (1) pour avoir tenté
d’écarter, dans les procédures en cours, la jurisprudence de la Cour
de cassation française sur le droit pour l’enfant né handicapé de
demander lui-même réparation du préjudice résultant de son handicap (le célèbre arrêt Perruche) (2) et la jurisprudence du Conseil
d’Etat, par une loi du 4 mars 2002 adoptée en partie sur la pression
d’un lobby médical et d’assureurs, la Cour européenne des droits de
l’homme a été saisie à l’occasion des affaires Lecarpentier et autre,
et Achache, d’une disposition législative votée dans le cadre d’un
débat parlementaire qui n’avait nullement cet objet, mais qui avait
pour intérêt de sauvegarder, selon les auteurs ou les initiateurs de
cet amendement, la pérennité du système bancaire français.
Le juge européen a, dans ces deux affaires d’intérêt national,
écarté des dispositions législatives qui avaient vocation à s’appliquer aux procédures civiles en cours qui n’avaient pas encore l’autorité de la chose jugée. Certes, la Cour européenne ne contrôle pas la
conformité au regard de la Convention des lois adoptées par le législateur français pour l’avenir («La Cour rappelle en même temps le
(1) Cour eur. dr. h., arrêt du 6 octobre 2005, Draon c. France.
(2) Cass. Ass. plén., arrêt du 17 novembre 2000, Bull. Ass. plén., n° 9, J.C.P.,
2000, II, 10438, note F. Chabas.
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rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme de la Convention.
Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique et,
ainsi que la Cour l’a affirmé à maintes reprises, se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur
les besoins et contextes locaux […]. Lorsque des questions de politique générale sont en jeu, […] il y a lieu d’accorder une importance
particulière au rôle du décideur national») (3) mais elle surveille
étroitement nos parlementaires dans l’étude d’impact des dispositions législatives qui viendraient remettre en cause des situations
acquises ou même de simples espérances légitimes. Si le dialogue
entre les juridictions suprêmes et le juge européen, initié par le Président de la Cour européenne des droits de l’homme Luzius Wildhaber, lors de la rentrée judiciaire de la Cour en 2005 (4), ne suffit pas,
la Cour européenne rappelle aux juridictions nationales et constitutionnelles, comme elle le fait dans ces affaires Lecarpentier et Achache, sa jurisprudence sur les lois rétroactives et les limites de cellesci au regard des droits fondamentaux et plus particulièrement du
droit de propriété et du droit à un procès équitable. La Cour rappelle à cet égard que la décision du juge constitutionnel français «ne
saurait suffire à établir la conformité» de la loi nationale avec les
dispositions de la Convention (5). Comme le constatait le Premier
président de la Cour de cassation française, M. Guy Canivet, «Il y
a incontestablement une perte de souveraineté des juridictions supérieures des Etats parties dès lors que leurs décisions sont, fût-ce
indirectement, soumises au contrôle a posteriori de la Cour européenne des droits de l’homme» (6).
I. – Les intérêts d’emprunts des consommateurs
et les intérêts des banques, à la lumière
du droit national
A l’origine des deux arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme Lecarpentier et autre c. France et Achache c. France, des
(3) Cour eur. dr. h., arrêt du 6 octobre 2005, Draon c. France, §108; voy. également Cour eur. dr. h., arrêt du 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et
autres c. France.
(4) Dialogue entre juges, Cour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, 2005,
Conseil de l’Europe.
(5) Cour eur. dr. h., arrêt du 14 mai 2006, Lecarpentier et autre c. France, §46.
(6) G. Canivet, «Cours suprêmes nationales et Convention européenne des droits
de l’homme : nouveau rôle ou bouleversement de l’ordre juridique interne?», Dialogue
entre juges, Cour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, 2005, Conseil de
l’Europe.
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14 février 2006 et 3 octobre 2006, se trouvent deux espèces quasiment similaires. Afin de financer l’achat d’un bien immobilier à
usage d’habitation, les requérants dans chaque affaire se rapprochèrent d’un établissement financier en vue de l’obtention d’un prêt
immobilier. Dans l’affaire Lecarpentier et autre, qui constitue l’arrêt
de référence de la Cour européenne, après avoir accepté l’offre de
prêt, celui-ci fut contracté par acte notarié en 1989, et les époux
Lecarpentier acquirent le bien immobilier convoité. Quelques
années plus tard, à la suite de plusieurs décisions rendues par les
juridictions françaises concernant des offres de prêts irrégulières et
sanctionnant les établissements financiers soit par la nullité du prêt,
soit par la déchéance du droit aux intérêts du prêteur, les requérants décidèrent d’assigner à leur tour leur établissement financiers
la Société financière Saint-Georges. Les époux Lecarpentier avaient
préalablement connu des difficultés financières les ayant contraint,
faute de pourvoir rembourser leur crédit, à vendre leur pavillon au
profit du prêteur. Les requérants ont donc par la suite reproché à
l’établissement financier de ne pas avoir satisfait lors de l’offre de
prêt aux exigences légales de l’article 5 de la loi n° 79-596 du
13 juillet 1979, relative aux contrats de prêts consentis pour financer un bien immobilier à usage d’habitation, codifié sous
l’article L 312-8 du Code de la consommation, et en vertu duquel
l’offre de prêt «comprend un échéancier des amortissements
détaillant pour chaque échéance la répartition du remboursement
entre le capital et les intérêts.» Les termes de cet article ne mentionnant pas expressément que le plan d’amortissement détaillant
chaque échéance de la part du capital et le montant des intérêts
devait être annexé à l’offre de crédit remise par l’établissement
financier à son client emprunteur, des interprétations diverses concernant la validité d’une offre de crédit ne comportant pas ce
tableau d’amortissement furent données. Dans une réponse ministérielle du 5 avril 1982 (7), le ministre de l’économie et des finances
avait déclaré au sujet de l’article L 312-8 du Code de la consommation qu’«il ne semble pas que l’offre du prêt doive nécessairement
détailler le montant exact de chaque échéance mensuelle ou trimestrielle. Dans ces conditions, il semble que le prêteur puisse se contenter d’indiquer, d’une part, le montant global des échéances
annuelles ainsi que le montant de la dette en capital de l’emprunteur et, d’autre part, le montant total des intérêts, frais et accessoires qui auront été payés après complet amortissement.». La première chambre civile de la Cour de cassation française a donné une
(7) Réponse ministérielle du 5 avril 1982, n° 5607.
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interprétation tout à fait différente de l’article en question (8), elle
a considéré qu’en vertu de l’article L 312-8 du Code la consommation, il était nécessaire que l’échéancier des remboursements soit
joint à l’offre de prêt et précise, pour chaque échéance, la part de
capital par rapport à celle couvrant les intérêts. La Cour de cassation sanctionna le non-respect des dispositions de l’article L 312-8
du Code de la consommation non seulement par la déchéance du
droit aux intérêts pour le prêteur mais également, dans un second
arrêt du 20 juillet 1994, par la nullité du contrat de prêt. Les arrêts
de la haute juridiction française offraient ainsi à tous les emprunteurs n’ayant pas obtenu lors de la souscription du prêt l’échéancier
détaillant le capital et les intérêts, la faculté de solliciter auprès des
tribunaux la déchéance des intérêts et le remboursement de ceux
versés, voire la nullité du prêt. Les arrêts de la Cour de cassation
ont donc été ressentis comme une vraie menace pour les organismes
financiers et les banques qui n’avaient pas respecté la totalité des
dispositions de la loi de 1979.
Si les époux Lecarpentier s’étaient préalablement trouvés en difficultés et avaient été contraints de vendre leur bien, les époux
Achache, semble-t-il en l’absence de difficultés financières particulières, avaient souhaité quant à eux, comme d’autres emprunteurs,
bénéficier de la jurisprudence de la Cour de cassation pour obtenir
la déchéance des intérêts et le remboursement des sommes versées
à ce titre et ils avaient donc assigné leur banque, la BNP, devant
le tribunal de grande instance de Nanterre. Cette différence de
situation aurait pu amener la Cour européenne à rendre une décision différente dans cette affaire Achache, au regard de sa jurisprudence antérieure, mais ce ne fut pas le cas. Dans les deux affaires,
aucun tableau d’amortissement n’avait été joint aux offres préalables de prêts consenties par les établissements financiers.
Sans surprise au regard des décisions antérieures rendues par la
première chambre civile de la Cour de cassation, les deux tribunaux
de grande instance saisis, constatant que les établissements financiers n’avaient pas satisfait aux exigences légales d’ordre public de
l’article L 312-8 du Code de la consommation, sanctionnèrent ces
derniers par la déchéance du droit aux intérêts et au remboursement des intérêts indûment perçus.
(8) Cass. Civ. 1ère, arrêt du 16 mars 1994, n° 92-12.239, et arrêt du 20 juillet 1994,
n° 92-19.187, voy. également Cass. Civ. 1ère, arrêt du 23 novembre 1999, Gaz. Pal.,
juillet-août 2000, p. 1458, Cass. Civ. 1ère, arrêt du 13 novembre 1997, Gaz. Pal. pan.,
1998, p. 282.
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Dans le même temps, face à l’inquiétude et au mécontentement
des établissements financiers français, le législateur décida d’intervenir afin de clarifier les obligations mises à la charge du banquier
et mettre fin à cette jurisprudence onéreuse pour les banques. Alors
que les affaires Lecarpentier et Achache étaient pendantes devant la
cour d’appel, le Parlement français vota, le 12 avril 1996, la loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, dont
l’article 87-1 modifie les dispositions du Code de la consommation
relatives aux offres de prêts, et en vertu duquel, «sous réserve des
décisions de justice passées en force de chose jugée, les offres de prêts
mentionnées à l’article L 312-7 du Code de la consommation et émises
avant le 31 décembre 1994 sont réputées régulières au regard des dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2°
de l’article L 312-8 du même code, dès lors qu’elles ont indiqué le
montant des échéances de remboursement du prêt, leur périodicité, leur
nombre ou la durée du prêt, ainsi que, le cas échéant, les modalités
de leurs variations» (9).
Les deux cours d’appel, statuant suite à cette nouvelle disposition
légale, infirmèrent alors les jugements rendus par les tribunaux de
grande instance et condamnèrent les requérants à restituer les sommes versées par les établissements financiers au titre de l’exécution
provisoire, considérant qu’«en matière civile le législateur n’est pas
lié par le principe de la non rétroactivité des lois, qu’en l’occurrence
l’article 87-1 de la loi du 12 avril 1996 tranche une difficulté d’interprétation […] qu’il résulte que l’offre préalable est réputée régulière
au regard des dispositions relatives à l’échéancier des amortissements […]» (10).
Les requérants se pourvurent alors devant la Cour de cassation
qui rejeta les pourvois, également au motif qu’il n’y avait pas eu
violation de l’article 2 du Code civil, le législateur n’étant pas lié
par le principe de non rétroactivité des lois en matière civile. En
outre, répondant aux moyens soulevés par les requérants et tirés de
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de
l’article 1er du Protocole n° 1 de la Convention, la Cour de cassation
considéra que, «d’une part, l’intervention du législateur, dans l’exercice de sa fonction normative, n’a eu pour objet que de limiter pour
l’avenir, la portée d’une interprétation jurisprudentielle et non de
trancher un litige dans lequel l’Etat aurait été partie; que, d’autre
(9) Loi n° 96-314 du 12 avril 1996 loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier.
(10) App., arrêt du 27 juin 1999, Achache c. Banque Nationale de Paris.
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part, la déchéance du droit aux intérêts est une sanction civile dont
la loi laisse à la discrétion du juge tant dans l’application que dans
la détermination du montant; que, de ce fait, l’emprunteur qui sollicite la déchéance du droit aux intérêts ne fait valoir qu’une prétention à l’issue incertaine qui n’est, dès lors, pas constitutive d’un
droit …» (11). La Cour de cassation a également considéré que
«l’article 6-1 de ladite Convention n’avait pas pour but d’interdire
au législateur national de modifier les règles du droit […]», et que
la loi de 1996 ne contrevenait pas à cette disposition dans la mesure
où elle était destinée «à régulariser des situations anciennes en vue
d’éviter, dans un souci d’intérêt général, le développement du contentieux bancaire et les inconvénients subséquents» (12). La Cour de
cassation a enfin retenu que la jurisprudence de la Cour de cassation
faisait courir «des risques considérables sur les établissements de
crédit et menaçait l’équilibre financier du système bancaire dans
son ensemble» (13). La loi de 1996 obéissait alors selon la Cour de
cassation «à d’impérieux motifs d’intérêt général […] pour aménager les effets d’une jurisprudence de nature à compromettre la
pérennité des activités bancaires dans le domaine du crédit
immobilier» (14).
Le Conseil constitutionnel français, qui avait également été préalablement saisi de la conformité de la loi de 1996 à la Constitution,
avait considéré, dans sa décision en date du 4 avril 1996, «[…] qu’en
disposant que seront réputées régulières au regard des dispositions
relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de
l’article L. 312-8 du code de la consommation, les offres de prêts
mentionnées à l’article L. 312-7 du même code dès lors qu’ont été
respectées un ensemble de conditions concernant les échéances de
remboursement, le législateur a expressément fait réserve des décisions passées en force de chose jugée; […] [c]onsidérant que le I de
l’article 87 n’a ni pour objet, ni pour effet de permettre aux autorités judiciaires compétentes d’infliger des sanctions nouvelles à raison d’agissements antérieurs à la publication de la loi; qu’ainsi le
moyen tiré d’une atteinte au principe de non rétroactivité des sanc(11) Cass. Civ. 1ère, arrêt du 20 juin 2000, Achache. c. Banque Nationale de Paris.
La Cour a rendu plusieurs arrêts dans le même sens à cette même date : Cass. Civ.
1ère, arrêt du 20 juin 2000, Banque Crédit Lyonnais c. Epoux Saint Adam, Gaz. Pal.,
Rec. Sem., septembre-octobre 2000, p. 2165; App. Paris, 15ème Ch. B, arrêt du
4 décembre 1998, Gaz. Pal., 1999, somm. p. 75.
(12) Cass. Civ. 1ère, arrêt du 13 novembre 2002, n° 00-11415, Achache c. Banque
Nationale de Paris.
(13) Cass. Civ. 1ère, arrêt du 9 juillet 2003, n° 99-12031.
(14) Cass. Civ. 1ère, arrêt du 29 avril 2003, Gaz. Pal., Rec., mai-juin 2003, p. 1962.
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tions pénales et des sanctions ayant le caractère d’une punition
manque en fait; [c]onsidérant par ailleurs qu’en déclarant régulières
les offres de prêts ayant méconnu les dispositions relatives à
l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de l’article L. 3128 du code de la consommation, le législateur a entendu éviter un
développement des contentieux d’une ampleur telle qu’il aurait
entraîné des risques considérables pour l’équilibre financier du système bancaire dans son ensemble et, partant, pour l’activité économique générale […]» (15). Le Conseil constitutionnel rappelait à
cette occasion, conformément à sa jurisprudence constante, qu’il ne
peut examiner la conformité de la loi aux stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme.
Pour le juge national constitutionnel et judiciaire, le législateur
français ne s’était donc pas trompé en accordant aux établissements
financiers un avantage décisif dans les litiges judiciaires en cours, en
permettant à ces derniers d’exciper d’une loi nouvelle interprétative
et rétroactive à l’encontre des consommateurs. Mais ce lobby d’intérêt national pour la sauvegarde du système bancaire français étaitil suffisant lorsque les époux Lecarpentier et Achache se tournèrent
finalement vers la Cour de Strasbourg en invoquant la violation de
l’article 1er du Protocole n° 1, et l’article 6, paragraphe 1er de la
Convention, du fait de l’application rétroactive de la loi du 12 juillet
1996 par les juridictions internes?
II. – L’intérêt de la protection internationale
des droits de l’homme et les intérêts
des consommateurs
La Cour européenne est venue sauvegarder les intérêts des consommateurs, et voilà un nouveau domaine pour le champ d’intervention du juge de Strasbourg : le droit de la consommation. Sans
procédure de class action, mais par un arrêt que l’on pourrait qualifier de «pilote» dans la mesure où la Cour dans l’affaire Achache,
se réfère à son arrêt précédent Lecarpentier et autre, la Cour européenne constate la violation de l’article 1er du Protocole n° 1 : «[L]a
Cour rappelle qu’elle a jugé dans l’affaire Lecarpentier, dont les circonstances de fait étaient analogues […], que les requérants pouvaient se prévaloir de l’existence d’un intérêt patrimonial qui constituait, sinon une créance à l’égard de leur adversaire, du moins une
(15) Conseil constitutionnel, décision du 9 avril 1996, n° 96-375.
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‘espérance légitime’, de pouvoir obtenir le remboursement de la
somme litigieuse, qui avait le caractère d’un ‘bien’» (§28). L’arrêt
Lecarpentier et autre est également suffisamment clair pour permettre aux juridictions nationales d’écarter la loi nouvelle dans les procédures qui avaient été engagées avant l’adoption de celle-ci. Dans
les deux affaires, la Cour estime inutile au regard de la solution
retenue sur le fondement de l’article 1er du Protocole n° 1 d’examiner distinctement la violation de l’article 6, paragraphe 1er (16).
Dans l’affaire initiale Lecarpentier et autre, le Gouvernement considérait, dans son argumentation en défense, que les requérants ne
pouvaient se prévaloir de l’existence d’un bien puisque dès lors
qu’un appel d’un jugement de 1ère instance avait été interjeté, ce
jugement n’était pas définitif et n’avait par conséquent pas autorité
de chose jugée, condition pourtant nécessaire pour qu’une créance
soit certaine et exigible et donc protégée. De plus, le Gouvernement
avançait que, dans l’hypothèse où la Cour considèrerait que les
requérants étaient titulaires d’un droit, l’ingérence qu’ils auraient
subie dans ce droit au respect de leurs biens ne serait pas contraire
aux dispositions de l’article 1er du Protocole n° 1 puisque justifiée
par un motif d’intérêt général, à savoir sauvegarder l’équilibre
financier du système bancaire et ne pas mettre en péril l’activité
économique en général.
La Cour considéra au contraire que « les requérants bénéficiaient
d’un intérêt patrimonial qui constituait, sinon une créance à
l’égard de leur adversaire, du moins une ‘espérance légitime’, de
pouvoir obtenir le remboursement de la somme litigieuse, qui
avait le caractère d’un ‘bien’ au sens de la première phrase de
l’article 1er du Protocole n° 1 » (§ 37). La Cour a estimé que la loi
du 12 avril 1996 a entraîné « une ingérence dans l’exercice des
droits que les requérants pouvaient faire valoir en vertu de la loi
et de la jurisprudence en vigueur et, partant de leur droit au respect de leurs biens » (§ 39), « […] laquelle ingérence s’analyse en une
privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention » (§ 40). De
plus, « [l]a Cour rappelle également qu’en principe un motif financier ne permet pas à lui seul à justifier une telle intervention législative […]. En tout état de cause, dans les faits de l’espèce, aucun
élément ne vient étayer l’argument selon lequel l’impact aurait été
(16) Sur l’application de l’article 6, paragraphe 1er, voy. E. Mella, «Les validations législatives au regard du droit à un procès équitable», Rev. trim. dr. h., 2000,
pp. 787 et s.
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d’une telle importance que l’équilibre du secteur bancaire et l’activité économique en général aurait été mis en péril » (§ 47). Le juge
européen a donc estimé, dans les deux espèces, que l’intervention
législative concrétisée par la loi du 12 juillet 1996 n’était pas justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général, ainsi que l’exige,
notamment, le principe de prééminence du droit. Pour la Cour,
cette modification législative « a fait peser sur les requérants ‘une
charge anormale et exorbitante’ sur les requérants […] et
l’atteinte portée à leurs biens a revêtu un caractère disproportionné, rompant le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des
droits fondamentaux des individus » (§ 52).
On peut souligner que la Cour a conclu à l’unanimité à la violation de l’article 1er du Protocole n° 1. La décision de la Cour s’inscrit
dans la continuité de sa jurisprudence. Les requérants bénéficiaient
d’un «bien» au sens de l’article 1er du Protocole n° 1, cette notion
étant, d’une manière générale, entendue dans le sens le plus large
par la Cour européenne des droits de l’homme, puisqu’elle recouvre
tous les biens corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers (17). Plus encore : la Cour a jugé qu’une simple «espérance
légitime» pouvait être regardée comme un bien protégé au sens de
l’article 1er du Premier Protocole additionnel (18). Dans l’affaire des
Raffineries Grecques, la Cour a estimé qu’en réduisant à néant, par
une loi rétroactive, une sentence arbitrale qui avait reconnu aux
requérants un droit de créance contre l’Etat grec, ce dernier avait
porté arbitrairement atteinte à un bien, alors même que la sentence
arbitrale en cause n’était pas définitive et était susceptible d’être
annulée par la Cour de Cassation devant laquelle un pourvoi avait
été formé. «Au moment de la promulgation de la loi n° 1701/1987,
la sentence arbitrale du 27 février 1984 conférait donc aux requérants un droit aux sommes accordées. Ce droit était certes révocable, puisque la sentence pouvait se voir annuler mais les juridictions
civiles avaient déjà jugé à deux reprises [...] qu’il n’y avait pas lieu
de procéder à une annulation. C’est pourquoi la Cour considère que
ce droit constitue un ‘bien’ au sens de l’article 1 du Protocole
(17) Par exemple, à propos d’une clientèle : Cour eur. dr. h., arrêt du 26 juin 1986,
Van Marle et autres c. Pays-Bas, Cour plénière, §41; à propos d’une créance : Cour
eur. dr. h., arrêt du 23 novembre 1983, Van der Mussele c. Belgique, Cour plénière,
n° 70; voy. également Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, arrêt du
29 novembre 1991, n° 222.
(18) Cour eur. dr. h., arrêt du 29 novembre 1991, Pine Valley Developments Ltd
et autres c. Irlande, n° 122, §51.
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n° 1» (19). Dans l’affaire Pressos Compania Naviera s.a., la Cour a
été amenée à préciser sa jurisprudence (20). Elle a considéré que des
créances en responsabilité alléguées par les requérants contre l’Etat,
sur le fondement d’un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation belge, devaient être considérées, selon le droit belge, comme
nées le jour même des accidents de pilotage, cause des sinistres dont
il était demandé réparation. Ces créances constituaient donc un bien
pour les requérants, et ce même si ces créances n’avaient pas fait
l’objet de décisions de justice passées en force de chose jugée lors de
l’entrée en vigueur de la disposition rétroactive adoptée par le législateur. Les requérants pouvaient prétendre avoir une «espérance
légitime de voir concrétiser leurs créances quant aux accidents en
cause» (§31). «Une créance de ce genre ‘s’analysait en une valeur
patrimoniale’ et avait donc le caractère d’un bien au sens de la première phrase de l’article 1er ». Dans les affaires Draon et Maurice c.
France relatives à la loi mettant fin à la jurisprudence Perruche, la
Cour a estimé qu’une jurisprudence bien établie pouvait créer une
espérance légitime, alors même que la jurisprudence en l’espèce était
récente.
C’est cette même analyse qui est retenue par la Cour dans les
affaires Lecarpentier et autre : la Cour observe d’une part, que
l’action des requérants était basée sur l’article L 312-8 du code de
la consommation dans son ancienne rédaction, d’autre part que le
jugement du tribunal de grande instance avait donné raison aux
requérants, et enfin que la Cour de cassation avait préalablement
sanctionné le défaut de communication du tableau d’amortissement par la déchéance des intérêts. Les requérants disposaient
donc bien d’un intérêt patrimonial qui était constitué soit d’une
créance à l’égard de la banque, soit, à tout le moins, d’une espérance légitime.
Dès lors que les époux Lecarpentier et Achache pouvaient se
prévaloir d’un bien au sens du Protocole n° 1, la Cour devait analyser si l’ingérence résultant de la loi de 1996 poursuivait une
cause d’utilité publique. La Cour européenne considère que le
législateur n’est pas en principe empêché d’intervenir, en matière
civile, pour modifier l’état du droit par une loi immédiatement
(19) Cour eur. dr. h., arrêt du 9 décembre 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, §62.
(20) Cour eur. dr. h., arrêt du 20 novembre 1995, Pressos Compania Naviera s.a.
et autres c. Belgique, n° 332, voy. également S. Depre et M. Verdussen, «Le dénouement européen de l’affaire du pilotage des bâtiments de mer dans l’estuaire de
l’Escaut», Rev. trim. dr. h., 1996, p. 557.
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applicable (21). La Cour sanctionne les Etats lorsqu’ils adoptent
des lois applicables aux instances en cours en matière civile, en
raison généralement d’une disproportion entre la sauvegarde du
droit de propriété reconnu au requérant et l’intérêt national poursuivi par le législateur ; par exemple, « en intervenant après l’adoption d’un arrêt définitif de la Cour des comptes pour déclarer prescrites les prétentions des requérants, le législateur a rompu le juste
équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété
et les exigences de l’intérêts général » (22). Dans les affaires commentées ici, on peut constater une violation du Protocole n° 1 à
un niveau supérieur, dès lors que la Cour juge tout simplement
qu’il n’existe pas d’impérieux motifs d’utilité publique permettant
de justifier l’application de cette loi aux instances en cours :
« [a]ucun élément ne vient étayer l’argument selon lequel l’impact
aurait été d’une telle importance que l’équilibre du secteur bancaire et l’activité économique en général aurait été mis en péril »
(§ 47). La Cour précise également pour conforter sa décision que la
loi de 1996 « a fait peser une ‘charge anormale et exorbitante’ sur
les requérants » (§ 52). A l’inverse, dans les affaires Draon et Maurice concernant la loi sur la réparation du préjudice des enfants
nés handicapés, la Cour avait retenu qu’il existait un motif d’utilité public à intervenir dans les procédures en cours : la Cour « n’a
pas de raisons de douter que la volonté du législateur français de
mettre un terme à une jurisprudence qu’il désapprouvait et de
modifier l’état du droit en matière de responsabilité médicale,
même en rendant les nouvelles règles applicables aux situations en
cours, servait une ‘cause d’utilité publique’ » (23). La Cour a condamné la France dans ces deux dernières affaires sur le terrain du
juste équilibre à préserver entre les intérêts des familles et l’intérêt général.
L’affaire Achache n’a pas été distinguée par la Cour de l’affaire
Lecarpentier, la Cour considérant que les «circonstances de fait
étaient analogues». Pourtant, il aurait pu être observé que les
époux Achache n’avaient pas connu de difficultés pour assurer le
(21) Cour eur. dr. h., arrêt du 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal & Gonzalez et
autres c. France, §57.
(22) Cour eur. dr. h, arrêt du 14 décembre 1999, Antonakopoulos Vortsela et Antonakopoulos c. Grèce.
(23) Cour eur. dr. h., arrêt du 6 octobre 2005, Draon c. France, §77; voy. également F. Bellivier, «Le contentieux de la naissance avec un handicap congénital
non décelé par suite d’une erreur de diagnostic au risque de la convention
européenne : sous la technique, l’éthique», Rev. trim. dr. h., 1006, p. 667.
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remboursement de leur emprunt auprès de la banque, et avaient
saisi le tribunal de grande instance dans le seul but de diminuer
leurs charges financières. Ils avaient donc dans une certaine mesure
voulu «profiter» de la jurisprudence de la Cour de Cassation de
1994. La Cour n’opère pas cette distinction, alors que l’on peut
trouver une situation voisine dans l’affaire Ogis-Institut Stanislas,
Ogec St. Pie X et Blanche de Castille et autres c. France du 27 mai
2004 (24). Dans cette affaire des associations gérant les établissements scolaires sous contrat avec l’Etat (appelées O.G.E.C) sollicitaient auprès de l’Etat le remboursement de cotisations sociales en
s’appuyant sur une décision du Conseil d’Etat qui avait fixé ce
taux à 1,5%. Les associations avaient saisi les juridictions nationales, et le législateur français était intervenu pour fixer ce taux à
0,062% en rendant applicable la nouvelle disposition aux procédures en cours. La Cour européenne a rejeté la violation de l’article
6, paragraphe 1er et de l’article 1er du Premier Protocole en considérant que le législateur était intervenu avec «le souci de rétablir
et de réaffirmer son intention initiale, à laquelle avait fait obstacle
la carence du pouvoir réglementaire […]. De fait, un intérêt général
évident et impérieux commande de veiller à ce que des organismes
privés ne bénéficient pas d’avantages exorbitants en cas de changement de régime en matière de cotisations sociales» (§85).
«L’intérêt général qu’il y avait à dissiper toute incertitude quant
à la proportion du remboursement des cotisations nécessaires […]
doit être tenu pour impérieux et comme primant les intérêts que
les requérants défendaient en sollicitant le remboursement intégral
des cotisations versées, cherchant à profiter de la carence du pouvoir réglementaire» (§87). La Cour avait considéré qu’elle ne modifiait pas sa jurisprudence antérieure car elle se trouvait dans une
situation voisine à celle rencontrée dans l’affaire National Building
Society (25). Le législateur s’était borné à faire disparaître un vide
juridique. Un commentateur a considéré que la Cour européenne
clarifiait «ainsi une ligne de jurisprudence subtile mais
cohérente» (26). Les critères sont parfois incertains, et on peut considérer que la Cour attache un poids prépondérant à la justification
de l’existence de motifs impérieux d’intérêt général. Dans les affai(24) Cour eur. dr. h., arrêt du 27 mai 2004, Ogis-Institut Stanislas, Ogec St. Pie X
et Blanche de Castille et autres c. France.
(25) Cour eur. dr. h., arrêt du 23 octobre 1997, National Building Society c.
Royaume-Uni.
(26) J.P. Dubois, «L’enseignement privé et légalité des situations des
enseignants», La France et la Cour européenne des droits de l’homme, la jurisprudence
en 2004, Bruylant, 2005, collection du CREDHO, dir. P. Tavernier.
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res des O.G.E.C, (il y avait plus de 300 associations requérantes
devant la Cour) l’intérêt du litige pour l’Etat était de plus de 800
millions de francs (122 millions d’euros). La Cour dans l’affaire
Achache n’estime donc pas devoir examiner si les requérants
n’avaient pas simplement cherché à profiter d’une carence des banques, la Cour retenant que l’intervention législative n’était pas justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général.
Sur le terrain de la réparation du préjudice, la Cour se montre
assez généreuse. Dans l’affaire Lecarpentier, elle accorde au titre de
l’ensemble des préjudices (hors frais et dépens) une somme supérieure au montant des intérêts (20.000 euros) et dans l’affaire Achache elle alloue près des trois quarts des intérêts (135.000 euros). La
Cour a appliqué ainsi sa jurisprudence sur les conditions d’évaluation des préjudices au regard de l’article 41 de la Convention (27).
✩
Les arrêts Lecarpentier et Achache sont donc dans la continuité de
la jurisprudence de la Cour européenne qui vise à sanctionner des
dispositions législatives adoptées en matière civile et applicables
aux procédures en cours, lorsqu’il n’existe pas d’impérieux motifs
d’intérêt général ou lorsqu’il il n’y a pas de rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
La France est curieusement le pays qui a été le plus souvent condamné par la Cour européenne sur ce fondement (28). La Cour de
cassation française a déjà écarté cette pratique législative sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention, notamment
en matière de législation sociale (29). Le législateur français commence à en prendre conscience; ainsi dans la récente loi sur la participation et l’actionnariat salarié, une disposition avait été intégrée
pour remédier à une jurisprudence du Conseil d’Etat sur la durée du
travail dans le transport routier. La loi d’application immédiate et
validant les décomptes d’heures supplémentaires résultant d’un
(27) Voy. C. Pettiti, «La réparation des atteintes au droit de propriété : l’application de l’article 41 de la CEDH», in La protection du droit de propriété par la Cour
européenne des droits de l’homme, IDHAE, Bruylant, 2005, p. 97.
(28) La Cour européenne a, à nouveau, condamné la France dans une affaire
Chiesi s.a. c. France du 16 janvier 2007.
(29) Cass. Soc., arrêt du 24 avril 2001, n° 1937; Voy. C. Pettiti, «La loi de validation des heures d’équivalence censurée sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’homme», Juris-classeur Travail et protection sociale, n° 7, juillet
2001, p. 5. Pour une application en sens inverse : Cass. Ass. plén., arrêt du 24 janvier
2003, D., 2003, 1648, note S. Paricard-Pioux.
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texte réglementaire non conforme, a exclu les décisions de justice
passées en force de chose jugée et également les instances en cours
à la date d’entrée en vigueur de la loi (30). Malgré cette réserve, le
Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution
cette disposition en considérant «que, si le législateur peut modifier
rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif
ou de droit privé, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt
général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant
force de chose jugée que le principe de non rétroactivité des peines
et des sanctions; qu’en outre, l’acte modifié ou validé ne doit
méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général visé soit lui-même de
valeur constitutionnelle; qu’enfin, la portée de la modification ou de
la validation doit être strictement définie» (31). Le Conseil d’Etat,
par un arrêt du 8 février 2007 a considéré, par un revirement de
jurisprudence, que la responsabilité de l’Etat du fait des lois était
susceptible d’être engagée dans le cas de l’adoption d’une loi de
validation législative contraire à l’article 6, §1er de la Convention
européenne (32).
Il reste que, si le législateur et le juge national prennent en considération les enseignements de la Cour européenne sur l’application
immédiate des lois civiles aux procédures en cours, la doctrine s’est
également interrogée sur l’application des revirements de jurisprudence de la Cour de cassation aux procédures en cours (33). Ainsi,
à titre d’exemple, la Cour de cassation a considéré que l’application
de sa jurisprudence sur l’exigence d’une contrepartie pécuniaire aux
clauses de non concurrence s’appliquait aux contrats de travail en
cours, sans que cela constitue une violation de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention européenne : «l’exigence d’une contrepartie
financière à la clause de non concurrence répond à l’impérieuse
nécessité d’assurer la sauvegarde et l’effectivité de la liberté fondamentale d’exercer une activité professionnelle» (34). La haute juridiction française évolue également sur cette question. On peut souligner un arrêt très récent de l’Assemblée plénière du 21 décembre
(30) Loi n° 2006-0770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique
et social.
(31) Conseil constitutionnel, décision du 28 décembre 2006, n° 2006-545.
(32) C.E., 1e section, 8 février 2007, no 279.522.
(33) Voy. N. Molfessis, «Les revirements de jurisprudence», rapport remis au
Premier Président de la Cour de cassation du 30 novembre 2004, Litec – Juris-classeur (Lexis Nexis).
(34) Cass., Soc., arrêt du 17 décembre 2004, n° 03-40008.
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2006, aux termes duquel la Cour de cassation a décidé qu’une nouvelle jurisprudence de la Cour sur les délais de prescription en
matière de presse n’était pas applicable dans une affaire où l’action
de la victime avait été engagée avant l’adoption de cette nouvelle
jurisprudence : «[L]’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un
procès équitable au sens de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l’accès au juge» (35). Quelle belle leçon du
droit international des droits de l’homme dans les intérêts du
justiciable; les lobbies doivent-ils s’exercer désormais à Strasbourg?
✩
(35) Cass., Ass. plén., arrêt du 21 décembre 2006, Gaz. Pal., 10 et 11 janvier 2007,
p. 5.