Une monnaie unique, pourquoi faire

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Une monnaie unique, pourquoi faire
Une monnaie unique, pourquoi faire ?
Introduction : La monnaie et « la paix des peuples » (Victor Hugo)
I) Pourquoi une monnaie unique ?
1 L’échec du système monétaire international
2 Les avantages économiques de la monnaie unique
3 Les contraintes de la monnaie unique
II) Comment fonctionne la monnaie unique ?
1 La Banque centrale européenne
2 Comment se fixe la valeur de l’euro ?
3 L’euro fort et l’euro faible
Conclusion : Euro : le bal des Tartuffes
Introduction : la monnaie et la paix des peuples
Dans sa « Lettre aux membres du Congrès de la Paix », Lugano, 20
Septembre 1872, Victor Hugo écrivait : « nous aurons…le budget sans le
parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière… ».
Il aurait sans doute pu ajouter « la monnaie sans la guerre », tant l’idée
d’unité monétaire est indissociable de l’idée de paix.
A-t-on en effet déjà vu des peuples ayant la même monnaie se faire la
guerre ? C’est, sur le plan strictement technique, totalement impossible.
Ceci nous ramène au contexte dans lequel est né l’Euro : la réunification
allemande et les inquiétudes qu’elle a suscitées.
Car reconnaissons le : sur le plan strictement économique, l’Allemagne
n’avait pas grand-chose à gagner avec l’euro, dans la mesure où elle détenait
déjà la monnaie la plus stable et la plus solide de tous les pays de l’Union
européenne.
C’est elle d’ailleurs qui imposa la plupart des conditions de passage à l’Euro.
Mais l’acceptation de l’Euro fut le prix qu’elle dut payer pour montrer son
attachement et son ancrage à l’Europe, même si l’abandon du Mark,
symbole de sa renaissance démocratique fut un déchirement beaucoup plus
grand que pour nous l’abandon du Franc.
Le passage à l’Euro n’est donc pas simplement un acte économique, même
si c’est cela qui nous intéresse aujourd’hui. Il s’agit également de rendre la
paix irréversible sur le continent européen.
Il s’agit également de faire naître au sein de l’Union européenne cette
« solidarité de fait » dont parlait Jean Monnet lors de la signature du Traité
de Rome en 1957.
Cette solidarité de fait aide à faire naître un sentiment de destin commun et
un sentiment d’appartenance commune à un même ensemble politique.
On dit souvent que la monnaie était « le miroir des Rois » (expression de
Jean-Marie Albertini). Elle est sans doute devenue aujourd’hui le miroir des
peuples européens.
I) Pourquoi une monnaie unique ?
1 L’échec du système monétaire international
C’est parce que le SMI issu des accords de Bretton Woods de Juillet 1944
s’est avéré incapable d’assurer la stabilité monétaire que l’idée d’une
monnaie européenne stable, facilitant les échanges entre les pays
européens s’est progressivement imposée.
Rappelons les principaux faits :
- les accords de Bretton Woods consacrent la suprématie du dollar.
Celui-ci devient le pivot du système : il est seul à être convertible en or
au cours de 35 dollars pour une once d’or, et toutes les autres monnaies
vont se rattacher au dollar, sans pouvoir s’écarter de leur parité par
rapport au dollar de +/- 1%. C’est ce que l’on appelle les changes
fixes
- ce système suppose qu’il existe une certaine correspondance entre le
stock d’or et le stock de dollar, puisqu’à tout moment on pouvait
demander à convertir le dollar en or
- il supposait donc de la part des autorités monétaires américaines
une assez grande rigueur de gestion.
Jusqu’au début des années soixante ce système fonctionne à peu près bien :
tout le monde a besoin de dollar pour assurer sa reconstruction et
intensifier les échanges : la valeur du dollar est stable.
Mais les Etats-Unis pratiquent la « négligence bienveillante » : leur balance
des paiements devient déficitaire, et les Etats-Unis financent ce déficit par la
création monétaire. Les banques non américaines prennent également
l’habitude de prêter en dollar, ce qui augmente encore cette quantité : il n’y
a plus alors d’équivalence entre le stock d’or et le stock de dollar.
Le dollar n’est alors plus capable d’assurer la stabilité du système, et Nixon
décrète en 1971 la fin de la convertibilité or du dollar ce qui ne fait que
renforcer l’instabilité du système.
C’est dans ce contexte que le rapport Werner préconise pour l’Europe
l’adoption d’une monnaie unique. La 1° concrétisation de ce rapport sera la
naissance du serpent monétaire européen.
Dans ce serpent, les monnaies européennes sont liées entre elles par une
marge de fluctuation de +/- 1% et liées au dollar par une marge de +/6
2,25%
Ce système ne va pas survivre à la crise pétrolière de 1973. Les accords de
Kingston (1976) marquent la fin du SMI de Bretton Woods : les monnaies
peuvent désormais flotter librement entre elles et leur valeur est fixée par
les marchés financiers au gré de l’offre et de la demande. L’or est exclu des
statuts du Fonds Monétaire International (FMI).
Cette fluctuation ne fait pas l’affaire des européens qui sont en train de bâtir
un marché unique : monnaies fluctuantes et échanges ne font pas bon
ménage. Les européens (principalement MM Valéry Giscard d’Estaing et
Helmut Schmidt) décident de créer un système monétaire européen (SME)
qui lient les monnaies européennes entre elles au travers d’une unité de
compte commune : l’ECU
Cet ECU est un panier des diverses monnaies européennes, le poids de
chaque monnaie reflétant la puissance économique du pays dans l’Europe :
par exemple, il y avait 17% de Franc dans l’ECU
2 Les avantages économiques de la monnaie unique
Au-delà de son symbole politique, l’Euro présente beaucoup d’avantages :
- il évite les frais de change entre les différents pays
- il évite les incertitudes liées aux risques de change à l’occasion des
exportations et des importations
- l’Euro facilite donc les échanges intra-européen
- il évite à certains pays d’avoir à défendre leur monnaie par une
hausse des taux d’intérêts préjudiciable à la croissance économique,
et il rend les pays européens moins dépendants des chocs
monétaires extérieurs (que l’on songe aux multiples dévaluations du
Franc !!)
- il devient une monnaie de référence internationale (ce que n’était
plus le Franc) qui sert de plus en plus dans les échanges
internationaux et de monnaie de réserve internationale : l’Euro est
donc un concurrent du dollar et limite le pouvoir de celui-ci.
3 Les contraintes économiques liées à l’Euro
La principale contrainte est l’abandon de la souveraineté monétaire,
souveraineté qui pouvait aider un pays à mener la politique économique
qu’il souhaitait.
Mais on ne peut pas avoir à la fois l’indépendance monétaire, la stabilité des
changes et la libre circulation des capitaux.
C’est l’économiste canadien Robert Mundell (né en 1932, prix « Nobel »
en 1999)qui a mis en avant cette incompatibilité dans un triangle : le triangle
des incompatibilités monétaires.
Mundell est considéré comme le théoricien de la naissance de l’Euro et la
définition des zones monétaires optimales, dont il estime que l’Union
européenne fournit un bon modèle.
Fixité des changes
3
Liberté de
circulation des
capitaux
1
2
Dans la situation 1 on veut que les changes restent
fixes et être indépendants sur le plan de la politique
monétaire. Il faut alors limiter strictement la liberté de
circulation des capitaux, ce que l’on appelle le contrôle
des changes : c’était le système de Bretton Woods. On
ne pouvait quitter le territoire qu’avec une somme
limitée
Politique monétaire indépendante
Dans la situation 2 on souhaite que les capitaux circulent
librement (pour des raisons spéculatives ou
d’investissement), mais on veut aussi que la politique
monétaire reste indépendante. Il faut alors accepter le
risque que les capitaux se « baladent » d’un pays à l’autre,
en fonction de leurs intérêts. C’était la situation à la fin de
Bretton Woods (années 1970), et c’est le cas entre les
principales monnaies mondiales aujourd’hui.
Dans la situation 3, les pays veulent cette fois que les changes restent fixes
(pour pouvoir échanger entre eux), mais également que les capitaux
circulent librement. Ils ne peuvent pas alors avoir une politique monétaire
indépendante, puisque celle-ci risquerait de faire fuir les capitaux et
déprécierait donc la monnaie. Il faut accepter une autorité monétaire supra
nationale : c’est la situation de l’Euro.
Cette situation est inévitable, mais pose une question cruciale : que peut
faire un pays confronté à une crise économique de grande ampleur c’est ce
que l’on appelle un choc asymétrique), et que peut faire l’Union européenne
si elle était soumise dans son ensemble à une crise économique (choc
symétrique), puisque la Banque centrale européenne décide seule ?
L’Euro pose également le problème du taux de change de cette monnaie
par rapport aux autres monnaies : l’Union européenne semble être
aujourd’hui le seul espace politique à ne pas pouvoir (ou savoir ou vouloir)
utiliser l’arme monétaire à des fins commerciales. Ceci peu finir par
déstabiliser les économies de certains pays
II) Comment fonctionne la monnaie unique ?
1 La Banque centrale européenne
Le débat sur l’indépendance des Banques centrales est déjà ancien : il date
du XVIII°
A cette époque, naissent à la fois le billet de banque et la crainte d’une
inflation par création monétaire.
Deux écoles vont s’affronter :
- ceux qui estiment que la monnaie est un instrument de politique
économique comme les autres, et qui doit donc être soumis aux choix des
dirigeants politiques. Ce fut pendant longtemps la position française.
- ceux qui pensent que la monnaie est une chose trop sérieuse pour
être confiée aux dirigeants politiques, qui voudraient toujours l’utiliser. C’est
la position habituelle des libéraux anglo-saxons et de l’Allemagne.
C’est cette position qui a prévalu lors de la création de la Banque centrale
européenne en 1998. Comment fonctionne-t-elle ?
L’organisation de la Banque Centrale Européenne (BCE)
Le Système européen des banques centrales : le SEBC
Les États
membres
nomment
Le Directoire
- Le Président de la BCE :
M Jean-Claude Trichet
- 2 Vice-présidents
- 3 directeurs
Le Conseil
général : les 27
+ Président et
Vice-présidents
Avis
Le Conseil des Gouverneurs
Nommés par les États
membres du SEBC pour 8
ans non renouvelables
+
Les 13 gouverneurs des
banques centrales des États
membres du SEBC (dont le
gouverneur de la Banque
de France : Christian
Noyer)
Détermine la politique monétaire de la Zone Euro dans le
respect des traités de Maastricht et d’ Amsterdam : priorité
à la lutte contre l’inflation : objectif : 2%
2 Comment se fixe la valeur de l’Euro ?
Depuis les accords de la Jamaïque, la valeur des monnaies ne peut plus être
fixée par référence à un équivalent métallique, or ou argent.
Les monnaies peuvent donc flotter librement, et leur valeur dépend de deux
variables principales :
- l’opinion des marchés : ceux-ci sont très attachés à deux variables :
-La rentabilité des placements dans une monnaie. Cette rentabilité est
déterminée par le niveau des taux d’intérêts. Plus ils sont élevés et plus la
monnaie est demandée, donc plus sa valeur augmente.
Les taux d’intérêts à court terme sont déterminés par les banques centrales,
les taux à long terme dépendent des marchés financiers
- La sécurité des placements : il s’agit de la garantie d’être remboursé des
prêts consentis, en particulier aux Etats mais aussi de la sécurité
« physique » des actifs achetés : les immeubles, les entreprises, les biens
culturels, les terrains…
-le rôle des pouvoirs publics :
A l’image des Etats-Unis, les pouvoirs publics peuvent décider
d’affaiblir la valeur de leur monnaie en incitant leur Banque centrale à
baisser leurs taux d’intérêts, ou en augmentant leurs déficits publics qui
seront financés par la création monétaire.
En suscitant la méfiance autour de leur monnaie les Etats-Unis contribuent
à sa faiblesse par rapport à l’Euro, ce qui permet, à priori, de favoriser les
exportations américaines.
Les autorités chinoises ont le pouvoir d’agir directement sur la Banque
centrale de Chine pour qu’elle maintienne des taux d’intérêts peu
rémunérateurs, ce qui explique la faiblesse relative du Yuan.
Et comme la Chine dispose d’excédents extérieurs massifs, elle n’a pas à
craindre que cette politique conduise à l’effondrement de sa monnaie.
3 L’Euro fort et l’Euro faible
En théorie, la valeur d’une monnaie par rapport à une autre dépend de deux
éléments :
- le pouvoir d’achat propre à chaque pays : il faut calculer ce que les
habitants de chaque pays peuvent acquérir avec une quantité de monnaie:
Par exemple, pour acquérir la même quantité de biens et services il faut
aujourd’hui 110€ à un Français et 100 $ à un américain (source : OMC)
On peut donc dire que 110€ = 100$
- on ajoute (ou on retranche) à cela la productivité comparée des
pays : l’Europe étant plus productive que les États-Unis la valeur de l’Euro
peut être supérieure, en proportion, à celle du $
Compte tenu de tous ces éléments, la valeur « juste » de l’euro est estimée
aujourd’hui entre 1,15$ et 1,20
L’Euro semble donc effectivement sur évalué par rapport à sa valeur réelle
Entre son cours d’introduction (1,17$) et son plus bas niveau en Octobre
2000 (0, 8252), l’Euro avait perdu 29,5% de sa valeur. Il était donc
clairement sous évalué.
Entre son plus bas niveau et son plus haut le 07/11/07 (1,4722), il a gagné
78,4% !! Il est donc sur évalué.
A court terme, les inconvénients d’un Euro fort sont connus :
- le prix des exportations augmente, donc on risque d’exporter
moins ce qui n’est bon ni pour la croissance ni (surtout) pour l’emploi
- le prix des importations diminue, ce qui n’est pas bon pour
l’emploi national.
L’euro fort est également « mauvais » pour l’équilibre des échanges
extérieurs : moins d’exportations, plus d’importations.
Mais à long terme, la leçon de l’histoire économique : ce sont toujours les
pays à monnaie forte qui ont le plus de prospérité économique : il nous
suffit de comparer l’histoire économique de la France et de l’Allemagne
On peut ajouter à cette comparaison la comparaison entre la livre sterling et
le Franc français, entre le dollar (pendant longtemps) et la puissance
américaine, on peut évoquer la prospérité de la Suisse et du Luxembourg…
Une monnaie forte est source de prospérité, pourquoi ?
- d’une part parce qu’elle permet de s’enrichir « sans rien faire »
puisque le pays vend plus cher et achète ce dont il a besoin moins cher (à
l’exemple du pétrole : le baril vaut aujourd’hui 61€. Si l’euro était à 0,82$, il
vaudrait 109€ !!
- il évite au pays de bénéficier d’une compétitivité artificielle due à la
baisse de valeur de sa monnaie : au contraire il oblige le pays à monnaie
forte à se battre sur la qualité, l’innovation, le service après vente…tout ce
que l’on appelle la compétitivité structurelle
- il évite l’inflation et permet donc les placements productifs à long
terme, ce qui permet au pays de développer ses infrastructures
- il est source de dialogue social, puisqu’on ne peut pas compter sur
la faiblesse de la monnaie pour régler les difficultés.
En résumé une monnaie faible invite à la facilité et à l’avantage facilement
acquis.
Une monnaie forte au contraire invite à la rigueur, à l’effort compétitif, à
l’invention, à l’innovation..
N’est ce pas pour cela que nous ne l’aimons pas ?
Conclusion : le bal des Tartuffes
Un Tartuffe, c’est un imposteur qui à force d’hypocrisie, de fausses vérités,
de demi mensonges finit par faire croire tout et son contraire.
On peut être pour ou contre l’Euro, pour un Euro fort ou contre.
Mais les Tartuffes ce sont tous ceux qui « pleuraient » sur le sort de ce
« pauvre Euro » quand il était au plus bas et qui expliquait cela par la
faiblesse de l’union européenne, et qui se lamentent aujourd’hui sur la
« force » de cet Euro, et qui l’expliquent…..par la faiblesse de l4union
européenne.
En d’autres termes, que l’Euro soit fort ou faible, c’est toujours la faute à
l’Europe, aux américains, aux chinois….comme hier la faiblesse du Franc
était due aux « méchants allemands » qui produisaient décidément trop et
trop bien.
Tartuffe doit probablement être français, car bien peu de monde en Europe
ou ailleurs à l’air de se plaindre du niveau actuel de l’Euro, même si cela
n’empêche pas de souhaiter que le cours de l’Euro revienne à des niveaux
plus raisonnables.
Mais les plus qualifiés pour exprimer ce souhait ne sont certainement pas ni
les hommes politiques français, ni leurs « économistes ».

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