1 SSSI Séminaire Régional IIDE Les Mineurs Non Accompagnés

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1 SSSI Séminaire Régional IIDE Les Mineurs Non Accompagnés
Les migrations inter-africaines : les chemins de l’espoir ou de l’exil forcé ? par C A Bamba Diaw, Enda Tiers Monde
SSSI
Séminaire Régional
IIDE
Les Mineurs Non Accompagnés : Sensibilisation et Prévention à la
migration
(Coco Beach, 8-12 décembre 2003, Mbour, Sénégal
Les Migrations inter-africaines : les chemins de l’espoir ou de l’exil
forcé ?
Auteur : Cheikh Amadou Bamba Diaw, Enda Tiers Monde, Sénégal
Sommaire
I Introduction
II Problématique
III Typologies et Trajectoires
IV Accueil et Intégration des migrants
V Piéges et Défis de la migration
VI Conclusion
Mbour, le 09 décembre 2003
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Les migrations inter-africaines : les chemins de l’espoir ou de l’exil forcé ? par C A Bamba Diaw, Enda Tiers Monde
I Introduction
En ce début de troisième millénaire, chaque jour, des millions de personnes se
déplacent autour du globe terrestre. Autant dire que le monde contemporain est
caractérisé par la mobilité dans l’espace et le temps. Cette mobilité quasi
permanente obéit à plusieurs raisons :
- elle peut être forcée (pour des raisons politiques, des conflits
armés…pour des raisons de survie…)
- elle peut être volontaire (tourisme, voyage initiatique, la recherche de
terres arables, de travail, pour des raisons personnelles)
Les enfants et jeunes occupent une part extrêmement importante dans ces
déplacements massifs. Dans l’ordre naturel des choses un enfant se déplace avec
ses parents. Seulement, aujourd’hui, des millions d’enfants errent à travers le
monde isolés de leurs familles, coupés de leur milieu naturel et ne comptant que
sur eux mêmes bien souvent pour assurer leur survie.
Les zones géographiques qui subissent le plus ce phénomène sont l’Asie et
l’Afrique et ceci pour diverses raisons.
Ce séminaire vient donc à son heure pour permettre de mieux comprendre ce
phénomène
nouveau d’enfants errants en situation de migrants non
accompagnés. Si tant il est vrai que les enfants sont les citoyens d’aujourd’hui et
de demain ; les difficultés qu’ils rencontrent compromettent la survie et le
développement de l’Afrique et constituent pour elle à terme une menace de
déstabilisation et de désocialisation avec comme corollaires l’érosion des
structures sociales et familiales.
Dés lors se justifient les thèmes du séminaire qui sont :
• comment sensibiliser pour supprimer ces difficultés ou les atténuer
• comment prévenir ces situations en vue d’assurer le plein
épanouissement des enfants africains
La communication qui vous est présentée constitue une modeste contribution à
ces assises. Elle va s’attacher à caractériser le phénomène des migrations dans un
contexte mondial en général et africain en particulier, puisqu’elle a pour thème
les migrations interafricaines.
Ensuite seront identifiées les différentes trajectoires des migrations
interafricaines, les motivations à la mobilité et une typologie élaborée.
Une partie tout aussi importante sera consacrée à l’accueil, à l’intégration et à
l’insertion des migrants dans les zones hôtes.
Enfin une dernière partie sera consacrée aux pièges et aux défis des migrations
interafricaines.
L’enfant africain mineur est l’acteur clef au cœur de ces réflexions et analyses
relatives aux migrations interafricaines.
La conclusion tentera d’ébaucher quelques pistes de réflexions et d’actions qui
seront certainement enrichies par les expériences des participants à ce séminaire.
II Problématique
Selon le rapport du FNUAP 2002 consacré à la migration internationale la
population migrante a doublé entre 1975 et 1995 pour concerner 175 millions de
personnes. Elle se répartit ainsi :
Europe : 56 mios, Asie : 50 mios, Amérique du Nord : 41 mios et le reste en
Afrique et au Moyen Orient.
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Les migrations inter-africaines : les chemins de l’espoir ou de l’exil forcé ? par C A Bamba Diaw, Enda Tiers Monde
60% des migrants sont dans les pays développés (1 personne sur 10), 40% se
retrouvent dans les pays en développement (soit 1 personne sur 70).
En juin 2000 le nombre de réfugiés dans le monde dépasse 16 mios dont 12 mios
sont sous le mandat du HCR. Le plus grand nombre de ces réfugiés se retrouve
en Asie (9 mios) suivie de l’Afrique (4 mios), une proportion non moins
importante se trouve chez les palestiniens et le reste en Europe.
Entre 1995 et 2000 plus de 12 mios de personnes ont quitté les pays en
développement pour émigrer vers les pays développés.
Selon Nelly Robin (Atlas des migrations Ouest africaines vers l’Europe), les
populations migrantes à l’intérieur de la zone subsaharienne sont estimées à 40
mios dont 6 mios de réfugiés. L’Afrique de l’Ouest comprend la plus forte
concentration de migrants intra-régionaux et est en même temps la première
région de migration vers l’Europe.
Mais force est de reconnaître avec N Robin que la migration, particulièrement
intra-africaine, est encore mal connue et peu étudiée. Il n’existe pratiquement de
statistiques relatives à la proportion des mineurs dans la population migrante. Ce
qui pourrait se comprendre vu que ces enfants ne sont enregistrés nulle part,
n’étant même pas bien souvent déclarés à la naissance. Par ailleurs c’est une
migration non contrôlée avec un fort taux ce clandestinité dans les pays hôtes.
Il faut toutefois préciser que la migration internationale ou et intra-africaine est le
résultat d’un processus qui trouve son fondement dans l’exode rural vers les
centres urbains.
L’urbanisation accélérée qu’ont connu les différentes régions africaines ainsi que
son corollaire la macrocéphalie des capitales de même que les fléaux que sont la
sécheresse, l’aggravation de la pauvreté, les conflits armés, les génocides, a eu
pour conséquences des déplacements massifs de population à la recherche de la
sécurité, du travail…. Les capitales de beaucoup de pays africains ont vu ainsi
leurs populations doubler en 20 ans, avec des taux de croissance très élevés.
Le développement des médiats (radio, télévision, presse écrite…) a contribué à
donner une image idyllique des pays développés et forgé le désir de partir chez
les jeunes surtout. En même temps certains pays africains émergeaient comme
étant des Eldorados où l’on pouvait trouver facilement du travail (Gabon, Côte
d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Mauritanie, Afrique du Sud, Nigeria…) ou alors
comme étant des pays de transit privilégiés pour une destination européenne ou
américaine. Les pays africains (deuxième étape du processus après les villages et
les capitales) recevaient les migrants comme étant surtout de la main d’œuvre
facile et bon marché même si le message véhiculé était relatif à l’intégration, au
panafricanisme et à l’unité africaine.
Les migrations primaires concernaient surtout des adultes. Mais de plus en plus
un phénomène nouveau est apparu : le recours systématique à des enfants
mineurs comme main d’œuvre dans les carrières, les mines, les plantations.…
Profitant de la naïveté des parents ou de l’implosion des structures familiales liée
à des conflits civils ou militaires où à la pauvreté, notamment en Afrique de
l’ouest et du centre, des intermédiaires sans scrupules se sont livrés à une
nouvelle forme d’esclavagisme : le trafic des enfants.
Isolés, non accompagnés et à la merci des exploitants ils subissent toutes formes
d’exploitation, de sévices et de châtiments. Ils ont constitué et constituent encore
aujourd’hui une énorme masse de migrants invisibles, non répertoriés et dont
personne ne connaît le nombre exact. La mondialisation et la régionalisation ont
accentué le phénomène avec l’érosion des frontières et leur fluidité en Afrique.
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Plusieurs conventions internationales tentent de défendre les droits des migrants
aussi bien dans les pays d’origine que dans les pays d’accueil. Nous pouvons
citer la Convention de Genève de 1951 qui traite surtout de la lutte contre la
discrimination, le racisme et la xénophobie, la Convention sur les Réfugiés de
l’OUA de 1969 qui traite des persécutions collectives du fait de guerres, la
Convention plus de 2002 ou alors la Convention sur la Protection des droits de
tous les travailleurs migrants et de leurs familles qui est l’une des rares
conventions exclusivement ratifiées, aujourd’hui, par les pays en développement.
Aucun pays développé ne l’a ratifié depuis son adoption en 1990. Elle est même
quasi inconnue malgré son entrée en vigueur en juillet 2003.
La migration à l’échelle continentale africaine revêt de multiples formes et
emprunte plusieurs voies non prises réellement en compte ou alors partiellement
par les différentes conventions citées ci dessus.
III Typologies et Trajectoires
Plusieurs causes ayant abouti à plusieurs types de migration ont pu être
identifiées dans les rares recherches effectuées dans ce domaine.
Selon Isabelle Bardem (thèse de doctorat) les migrations interafricaines des
jeunes sont liées à des situations de précarité dues au processus
d’individualisation lié à des éléments constitutifs de la modernité urbaine
africaine.
« Les raisons économiques ne sont pas premières dans l’amorce des parcours
migratoires ; ces migrants cherchent avant tout à s’émanciper des contraintes
sociales et culturelles de leur milieu d’origine », tel le cas de ce jeune sénégalais
dont elle a recueilli le récit de vie à Ouagadougou qui, pour échapper à un
mariage forcé arrangé par sa famille, a préféré partir à l’étranger.
Le refus de la liberté individuelle par les structures sociales traditionnelles figées
constitue un facteur important de migration. Il en est ainsi pour les femmes
divorcées qui refusent d’être prisonnières dans des ménages où elles sont
malheureuses, souvent battues et violentées.
La migration peut être liée à des raisons spirituelles et religieuses. Il est de
tradition au Sénégal, au Niger, au Mali et dans d’autres pays africains que les
almodou, talibés, disciples…(cf le document d’enda jeunesse action sur les
talibés, en cours de publication) aillent de contrée en contrée et de pays en pays
en quête du savoir. Cependant le phénomène des déplacements des daaras (écoles
coraniques) des villages vers les villes au Sénégal méritent d’être attentivement
étudié. Car il recèle pas mal d’abus, d’exploitation économique et de maltraitance
des petits talibés (élèves). Tout le monde se souvient au Sénégal du cas de ces 14
talibés accompagnés de leur marabout arrêtés dans le train express en destination
du Mali. Ce qui laisse présupposer des déplacements transfrontaliers des daaras
bien qu’en principe ils se déplaçaient exclusivement à l’intérieur du territoire. La
présence de plus en plus remarquée d’enfants bissau-guinéens et maliens parmi
les groupes d’ « enfants de la rue » ayant fugué de daaras au Sénégal est un
indice à explorer.
Les données d’expériences, empiriques, vécues par les acteurs de terrain qui sont
auprès des enfants montrent que les principales raisons des fugues (y compris les
fugues transfrontalières) sont liées à des aspects socioculturels relatifs à leurs
familles et à leurs communautés d’origine (violences, divorce des parents, rites
traditionnels, abus…).
Les enfants peuvent aussi accompagner leurs parents (père ou mère) lorsque ceux
ci décident de se déplacer.
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Le confiage d’enfants à des parents existe toujours en Afrique avec des abus tels
que par ex la mise au travail forcé et de plus en plus de parents exploitent eux
mêmes leurs enfants en les transformant en sources de revenus. Les us et
coutumes aidant, il n’est pas rare d’entendre dire que l’enfant est la caisse de
sécurité sociale de ses parents en Afrique.
Beaucoup de jeunes africains préfèrent aussi aujourd’hui aller poursuivre leurs
études en Europe pour diverses raisons (qualité de l’enseignement, débouchés,
spécialisation…).
La quête de l’aventure, les voyages initiatiques etc. constituent aussi des facteurs
de migration.
A côté de ces raisons socioculturelles d’autres tels que les conflits armés peuvent
pousser les populations à se déplacer.
Les chiffres avancés sont souvent contradictoires selon la perspective où l’on se
situe mais ils traduisent une ampleur réelle du phénomène des populations
déplacées, par ex au Rwanda, en Erythrée lors des conflits en Côte d’Ivoire,
Sénégal, Mali, Mauritanie et partout ailleurs en Afrique.
Les enfants soldats du Libéria ou de la Sierra Léone heurtent certes la
conscience, et combien d’autres errent dans les capitales africaines séparés de
leurs parents ? combien d’autres sont obligés de fuir leurs pays, orphelins, sans
famille, porteurs du virus du Sida ?
La démocratie est bien souvent un leurre agité pour pêcher des fonds, des
capitaux et ne saurait faire oublier les arrestations arbitraires, les tortures, les
assassinats bref le règne de la terreur dans beaucoup de contrées africaines. Et
dés lors, s’ouvrent les chemins de l’exil ou tout simplement de la fuite pour la
survie.
Et l’exil politique des enfants dont les parents sont assassinés, kidnappés ou
emprisonnés ?
Cependant une grande partie de ceux qui migrent aujourd’hui le font pour des
raisons économiques. Les pôles attractifs ou supposés comme tels agissent
comme des aimants sur les populations. Certains pays et certaines capitales
africaines deviennent le creuset de métissage de plusieurs ethnies et de plusieurs
cultures africaines.
Au Burkina, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria, au Togo, au
Bénin, en Afrique du Sud, au Gabon, en Guinée…, le Wolof se mélange au
Malinké, à l’Ashanti, au Baoulé, au Moré, au Haoussa….
A Dakar, Sénégal presque toutes les langues locales de la sous région sont
parlées en plus du français, de l’anglais et de l’arabe. De fortes colonies existent
telles que celles des Ivoiriens, des Béninois, des Mauritaniens, des Maliens, des
Nigérians…. Dakar a été la capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF)
pendant la période coloniale.
Les frontières actuelles de l’Afrique relevaient des besoins de l’administration
coloniale comme l’ont souligné A Martel (1965), Saïd Sayegh (1982) et bien
d’autres auteurs. Frontières largement contestées aujourd’hui par les Etats
politiquement « souverains ».
La conférence de Berlin de 1885 avait fait consacrer par Bismarck la répartition
des colonies mais aujourd’hui l’affaiblissement des protections et des préférences
historiques s’effectuent sous la pression de la croissance de la compétition
internationale et de la libéralisation des marchés (Jean Coussy).
Les migrants constituent donc une masse non négligeable de main d’œuvre à bon
marché.
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Les migrations inter-africaines s’effectuent selon plusieurs étapes :
Villages>>>villes>>>villes>>>>pays limitrophes>>>régions>>>Europe
Pour en revenir à l’exemple du sénégalais du Burkina, il a commencé par partir
du Sud du Sénégal pour Dakar, ensuite pour les autres pays limitrophes et enfin
au Burkina d’où il compte repartir vers l’Europe.
A.B : A B est un jeune d’origine guinéenne installé au Sénégal. Il a perdu très tôt
son père. Et dans le village où il vivait avec sa mère, il n’a pu aller à l’école.
C’est un village où beaucoup de jeunes sont partis chercher fortune à l’étranger.
Vivant dans des conditions extrêmement difficiles, sa mère a décidé de l’envoyer
dés l’âge de 07 ans à Dakar chez un oncle qui y était établi. Arrivé là bas il a
trouvé beaucoup de jeunes et quelques enfants qui vivaient dans la concession.
Ils se levaient tôt le matin et partaient exercer diverses activités génératrices de
revenus dans le secteur de l’économie populaire urbaine.
Son oncle lui a dit qu’il pouvait lui assurer un repas par jour mais qu’il devait
débrouiller comme les autres pour gagner sa vie. C’est ainsi que des camarades
l’ont amené dans les marchés de Kermel et de Sandaga. Et ils lui ont enseigné
une activité : « le porter madame ». C’est ainsi qu’il a commencé à exercer
l’activité de porteur de marché en tenant les paniers des ménagères qui venaient
faire leurs courses au marché.
Il remettait une partie de ces gains à son oncle comme contribution aux frais de la
concession (loyer, nourriture…) et aussi pour qu’il puisse envoyer un peu
d’argent à sa mère rester au village. Et il gardait un peu d’argent auprès d’un
commerçant qu’il connaissait au marché de Kermel. Après quelques années
d’activités, il avait pu épargner un peu d’argent. Les jeunes voulaient tous aller
en Europe et aux Etats Unis dans des pays ou on pouvait gagner beaucoup
d’argent et facilement. Après avoir recueilli des renseignements (il avait 14 ans,
mais déclarait qu’il avait 20 ans) il a décidé de partir en Mauritanie où paraît-il
on pouvait aisément joindre l’Espagne. Il est parti à Nouadhibou sans avertir son
oncle.
Arrivé là bas, il a vécu un vrai calvaire, rencontrant d’énormes difficultés. A un
moment donné, il vivait même dans la rue en se livrant à de petits chapardages
pour survivre. Se sentant en danger et menacé il est revenu au Sénégal. Il est
reparti chez son oncle lui présenter ses excuses d’être part sans prévenir. Il lui a
pardonné et lui a conseillé de rester patient et qu’au moment venu il l’aidera à
aller en Europe, s’il le désire.
IV Accueil et Intégration des Migrants
Dans le récit de A B, deux déterminants peuvent être identifiés concernant
l’accueil :
- une certaine forme de solidarité, au Sénégal
- l’isolation, en Mauritanie
Le premier peut être caractérisé comme étant un redéploiement des structures
familiales dans un cadre de deterritorialisation.
Dans leurs stratégies de survie des communautés se reconstituent à l’étranger,
inventent ou colonisent de nouveaux terroirs.
Ce qui permet d’augmenter les richesses des communautés et aussi quelque part
de préserver un certain ordre établi et ainsi de pouvoir contrôler leurs membres
qui migrent.
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C’est ainsi que quand quelqu’un arrive quelque part, il a un parent qu’il peut
contacter pour son hébergement, sa nourriture et qui va lui faciliter son insertion
sociale et professionnelle.
Dans le deuxième cas de figure, si les traditions d’accueil et de respect de
l’étranger ne jouent plus, le migrant se retrouve dans une situation de
marginalisation, de discrimination et même de xénophobie. Si elles demeurent
encore valables, il existe une gratuité relative, puisqu’il s’agit d’un prêt social.
Un capital social basé sur la confiance, la pitié…est investi au niveau de
l’étranger comme c’est le cas de migrants rencontrés par I Bardem à
Ouagadougou. Et, si la situation du migrant se stabilise, il se sent en devoir de
compenser en faisant des dons, en contribuant aux frais du ménage et de la
communauté qui l’ont accueilli, une manière donc de rembourser le capital social
et parfois monétaire investi en lui. Il peut aussi parfois s’autonomiser et louer sa
propre chambre tout en gardant des relations avec la famille et la communauté
d’accueil.
Le mineur non accompagné peut être pris en charge par l’imam de la mosquée, le
prêtre de l’église, une famille ou par une structure d’aide à l’enfance déshéritée
ou par la rue. Il y trouve d’autres enfants en rupture souvent organisés en bande
et il s’intègre selon des rites et des processus clairement définis.
D’autres sont tout de suite dans des situations d’exploitation comme les enfants
trafiqués et vivent souvent dans des conditions inhumaines, comme des esclaves.
Généralement privés de ressources, ils n’ont pas accès aux services sociaux de
base et voient leur santé et leur morale rudement mises à l’épreuve. Tout est fait
pour couper les liens avec les communautés et les familles d’origine mais aussi
avec les communautés qui les accueillent. Les enfants n’ont comme opportunité
que de vivre cachés et développent une psychose de la méfiance envers la société
d’accueil. Les adultes qui les approchent cherchent souvent à tirer profit d’eux et
à leur inculquer la peur des services qui seraient susceptibles de les aider.
Les services d’accueil qui existent pour les émigrés sont presque toujours prévus
pour les jeunes et les adultes. Ils apparaissent souvent inadaptés, voire
inaccessibles pour les enfants. Rares sont les pays africains où existent des
services publics ayant pour objet la prise en charge des enfants mineurs migrants
non accompagnés, à part les postes de police, de douane ou les prisons. Et donc à
terme le rapatriement ou l’emprisonnement sans assistance judiciaire.
Et pourtant l’Etat dans certains pays, les populations, des Ongs et des institutions
internationales développent des programmes en leur faveur : l’Oit, Enda, Unicef,
Antislavery, SSI, IDE, WAO Afrique, Plan International, HCR, OIM, etc. pour
ne citer que quelques unes qui s’efforcent de les identifier, de les toucher à
travers divers programmes de lutte contre le trafic, la violation des droits ou tout
simplement pour dispenser des appui à l’amélioration des conditions de vie de
ces malheureux. Les services offerts sont :
- le rapatriement et le rétablissement des liens avec la famille
- l’assistance et la prise en charge psychologique
- l’appui pour le démarrage d’AGR
- l’assistance juridique
- l’assistance médico-sanitaire
- l’organisation de loisirs
La liste n’est pas exhaustive et varie d’une structure à une autre et selon les cas
spécifiques rencontrés.
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Le Mouvement Africain des Enfants et Jeunes Travailleurs : Le Mouvement
Africain des Enfants et Jeunes Travailleurs (MAEJT) a été crée il y’a 09 ans de
cela à Bouaké en Côte d’Ivoire. Il a été mis sur pied par des enfants et jeunes
travailleurs (employées de maison, apprentis, chargeurs de briquets, cireurs de
chaussures, porteurs de marché, coxeurs des gares routières…). Sa stratégie de
travail repose sur la concrétisation de 12 droits qui ont été identifiés sur la base
des vécus des enfants travailleurs (thèmes : santé, éducation, formation, loisirs,
respect, retour au village, droit à s’organiser, droit à être écouté,. travaux légers et
limités, sécurité, justice équitable, repos). Il est composé d’Associations
d’Enfants et de Jeunes Travailleurs (AEJT) présentes de 25 pays. C’est un
mouvement très actif dans la protection des enfants au travail et lutte contre
l’exploitation, les mauvaises conditions de travail et le trafic des enfants. Il a été
et est toujours protagoniste dans les grandes rencontres internationales relatives
au travail des enfants, ainsi que dans l’élaboration des plans d’action nationaux
relatifs à l’élimination de l’exploitation des enfants et au travail et à leur trafic,
notamment en étant associé aux programmes Ipec et Unicef. Récemment il a
envoyé des délégués qui ont participé à tout le processus de l’UNGASS et 13 de
ses propositions ont été intégrées dans le document final, « un monde digne des
enfants ». Il vient de clôturer un séminaire sur le trafic des enfants qui s’est tenu
à Ouagadougou au mois de décembre 2003, à l’issue duquel une déclaration
finale a été adoptée et des actions à mener identifiées relatives notamment à la
sensibilisation des enfants, de leurs familles, des journalistes et de pouvoirs
publics.
Malgré toutes ces actions des populations, des associations et des pouvoirs
publics le phénomène de la migration et particulièrement celle des mineurs non
accompagnés n’a cessé de connaître une croissance exponentielle.
Les dimensions urbaines, interafricaines et monétaires de l’errance migratoire des
enfants ne sont pas encore totalement et clairement identifiées. Elle demeurent
toujours dans un flou artistiquement entretenu. Dans tous les cas, de nombreux
défis restent encore à relever.
V Pièges et Défis de la Migration
Comme nous l’avons vu ci dessus, les migrants (enfants et jeunes) n’ont pas une
palette de choix large pour leur survie. Ils se lancent dans des activités de
débrouillardise et se retrouvent souvent dans le secteur de l’économie populaire
urbaine, appelé quelquefois secteur informel ou économie populaire, sociale et
solidaire. Ils sont :
Porteurs de marché, vidéomégons, apprentis, cultivateurs, orpailleurs, casseurs de
pierre, laveurs de voiture, gardiens de parking, cireurs de chaussures, talibés
mendiants, mais aussi et malheureusement travailleurs du sexe, enfants soldats,
trafiquants de drogue etc.
La frontière est très mince entre ces différentes activités pour des enfants obligés
de se battre pour ne pas se laisser abattre.
Les enfants sont plus vulnérables que les jeunes. A la merci d’adultes sans
scrupules, ceux ci leur font se livrer à toutes sortes d’activités.
Les jeunes aussi par souci de gagner plus rapidement de l’argent et d’avoir une
promotion sociale accélérée se livrent à des activités délictuelles.
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Traités d’« encombrement humain », pourchassés, traqués par les autorités
policières, dans certains pays africains, quand ils se livrent au commerce
ambulant, accusés de vols, ils sont exploités, abusés, arnaqués et jetés derrière
des barreaux et parfois les mineurs partagent les cellules des prisons avec des
adultes avec tout ce qu’on peut imaginer comme conséquences.
De revendeurs de drogue, certains deviennent des drogués sans possibilité de
cure de désintoxication ou de prise en charge thérapeutique.
Leur niveau faible d’instruction, leur analphabétisme, leur manque de formation
professionnelle et l’ignorance des textes de loi et de leurs droits en font de
parfaites victimes.
Les efforts menés pour surveiller les frontières ne font pas la différence, comme
le souligne Antislavery, entre la poursuite judiciaire des trafiquants et la
protection des victimes, la traite des personnes, la migration et les droits de
l’homme et de l’enfant.
Le phénomène des migrations mondiales en général et africaines en particulier
est renforcé aujourd’hui dans un contexte de baisse des coûts et des délais de
transport et d’une réduction du rôle économique des distances. Faut-il alors
considérer avec J Coussy qu’ « il y’a volonté systématique d’éliminer les
obstacles juridiques et politiques à la mobilité de produits et du capital, mais
[que] souvent, à l’inverse[il y’a] renforcement des obstacles à la mobilité des
populations » ?
Nous sommes dans un contexte de mondialisation qui s’accompagne d’un
processus de régionalisation de l’économie internationale.
Et cette mondialisation s’inscrit dans une dynamique d’érosion et d’obsolescence
des frontières (y compris par le biais du Net). Ce qui pose évidemment la
problématique de l’insertion de l’Afrique dans les réseaux mondiaux.
Le problème de la migration des enfants mineurs non accompagnés pose la
nécessité de l’élaboration et de l’application de normes et standards
internationaux mais aussi d’une réelle volonté politique de l’Union Africaine
avec une plus grande analyse et visibilité de l’Enfance dans le NEPAD.
VI Conclusion
Comme nous le venons de le voir, le phénomène de la migration d’enfants
mineurs accompagnés dans un cadre interafricain n’est pas tellement étudié. Les
actions d’urgence et ponctuelles priment sur une analyse rationnelle et
approfondie de ce phénomène nouveau. Il est nouveau en ce sens que des
traditions sont perverties et des valeurs détournées dans un monde ou le capital
est roi et l’argent divinisé sert d’unique repère. Ce phénomène trouve ses
fondements dans des pratiques culturelles et sociales largement répandues en
Afrique qui sont le confiage d’enfants et les déplacements de populations à la
recherche de meilleures terres, du savoir ou pour des besoins du commerce de
troc. L’intensification des conflits armés, la dislocation des cadres et structures
familiaux constituent des facteurs aggravants. Il urge d’avoir des données fiables
sur ce phénomène pour mieux planifier les actions. Cependant les souffrances
que vivent les enfants, les maltraitances dont ils sont l’objet et l’absence de
politiques cohérentes à leur égard fondent la nécessité d’agir maintenant et tout
de suite. D’autres actions doivent s’inscrire dans le long terme et prendre en
compte les dynamiques internationales en cours.
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Juste quelques pistes d’action et de réflexion concernant la migration
interafricaine en général et la migration des enfants mineurs non accompagnés :
•
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•
ratification et application des conventions internationales
constitution de banques de données fiables
harmonisation des législations nationales, régionales, continentales
reconnaissance et valorisation des initiatives des enfants et jeunes
renforcement de l’accès aux services sociaux de base
répression des trafiquants d’enfants et protection et défense des droits des
victimes et de leurs familles
développement des programmes des luttes contre la pauvreté, notamment
à travers les documents de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP)
insertion de l’éducation de la paix et de l’initiation à la citoyenneté dans
les espaces d’éducation formels et non formels
développer les solidarités Sud-Sud et Nord-Sud
favoriser les échanges interculturels
développer les réseaux entre intervenants
Bibliographie
Isabelle Bardem : l’émancipation des jeunes : un facteur négligé des migrations
interafricaines, thèse doctorat
Jean Coussy : causes économiques et imaginaires économiques de la
régionalisation, in Culture et Conflit, N° 21-22, 2001
Pierre Robert Baduel : le territoire d’Etat, entre imposition et subversion,
exemples saharo-sahariens, in Culture et Conflit, N° 21-22, 2001
André Martel : les confins saharo-tripolitains de la Tunisie, PUF, Paris 1965
Saïd Sayagh : le Maghreb, les tribus frontières et la France de 1873 à 1902, thèse
de 3° cycle, Université de Provence, Aix en Provence, 1982
Nelly Robin : Atlas des migrations ouest africaines vers l’Europe (1985-1993),
IRD
Robert Brunel : Migration et errance, géographie des migrations ou l’antimonde
en crue, Forum International sur Migration et errance (7-8 juin 2000), Académie
Universelle des Cultures, Grasset, Paris 2000
www.antislavery.com
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