Victoire R. - Centre de formation saint michel

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Victoire R. - Centre de formation saint michel
Promotion Bac Pro SAPAT cursus allégé 2015-2016
IFAS du Centre de formation Saint Michel de Malestroit
Module 5
1
« Situation de communication centrée sur le patient et son entourage »
par Victoire Rozé
Introduction
Actuellement en formation d’aide-soignante « Cursus Allégé » à l’Institut de Formation d’Aide-Soignant Saint Michel de
Malestroit, j’aborde au cours de mon année quatre modules théoriques alternés de trois stages.
Dans le cadre du module 5 « Etablir une relation-communication adaptée à la personne et à son entourage », il m’est
demandé de relater une situation relationnelle de stage vécue en terme de facilité ou de difficulté qui m’a interpellée.
La situation que je choisis d’évoquer se déroule en novembre 2015, lors de mon premier stage au sein de l’Hôpital A
Domicile Saint Sauveur situé à Angers (49). Une semaine était passée, et ce lundi-là, j’effectue des soins de confort
auprès d’une patiente alitée non communicante. La situation se passe entre Mme L. une patiente en fin vie et moi, élève
aide-soignante.
Grâce à l’équipe soignante et en collaboration avec l’infirmière1, j’essaie d’acquérir les savoirs nécessaires à la bonne
prise en charge de la patiente.
Dans un premier temps, je présenterai la structure et l'unité de soins, ainsi que la situation que j'ai vécue avec Mme L.
Dans un second temps, j’en ferai l’analyse.
Présentation du service
L’HAD2 est un établissement de santé assurant au domicile du patient des soins complexes continus et coordonnés.
L’HAD s’adresse à des patients malades de tous âges, atteints de pathologies graves aiguës ou chroniques, évolutives
et/ou instables qui, en l'absence de prise en charge par une structure d'HAD, seraient hospitalisés3 en établissement de
santé avec hébergement.
L’HAD Saint Sauveur fonctionne avec une équipe pluridisciplinaire. Celui-ci est divisé en trois unités et peut intervenir
sur 180 communes dans le Maine et Loire.
1
Arrêté du 22/10/2005. Collaboration IDE/AS. Référentiel DEAS
Parcours du patient et coordination en HAD
3
Charte du patient hospitalisé
2
Présentation de la personne
L’évènement se déroule au début de ma deuxième semaine de stage. La personne soignée avec laquelle je partage ce
moment est une dame en fin de vie de 74 ans qui est entrée à l’HAD depuis le 21 décembre 2014. Elle vit chez elle, avec
son mari en plein cœur de la ville d’Angers. Par souci de confidentialité et par respect du secret professionnel, je vais
l’appeler Madame L. Elle a 6 enfants qui sont très présents, 9 petits-enfants et 2 arrières petits-enfants. Elle est atteinte
d’une Paralysie Supranucléaire Progressive4 (PSP) appelé aussi maladie de Steele Richardson.
Mme L. ne se déplace
plus, et reste alitée. Elle ne bouge plus, ne communique plus et est totalement dépendante pour les soins. Elle est
incontinente urinaire et fécale. Elle porte une sonde urinaire et est alimentée par nutrition entérale via une
gastrostomie. Elle dispose d’une pompe à PCA (morphine) et est sous Scopolamine 6mg/jour.
2
Présentation de la situation
Ce jour-là, je travaille de 8H à 20H. Je suis en binôme avec une aide-soignante. En arrivant à l’HAD, je prends
connaissance des transmissions et de la tournée de ma journée. Il est 9H30 environ. Nous arrivons chez Mme L. Nous
frappons à la porte et entrons. Nous sommes en plein cœur d’Angers, dans un grand appartement situé au sixième
étage d’un immeuble avec ascenseur. Malgré l’agitation de centre-ville qu’il y a dehors, je n’entends aucun bruit,
l’environnement de la pièce est serein. Mr L. nous accueille chaleureusement comme à son habitude, avec un large
sourire. Mr L. est un homme grand et mince. Il a une voix qui porte énormément.
Il nous dit : « Comment vont mes petites reines aujourd’hui ? »
C’est comme cela que Mr L. surnomme les soignantes de l’HAD. Nous lui demandons comment s’est passée la nuit pour
Madame. Mr L. nous dit qu’elle a beaucoup gémi cette nuit et qu’il a l’impression qu’elle est de plus en plus encombrée.
L’aide-soignante qui m’encadre lui dit que nous allons la voir pour lui faire sa toilette et aspirer les sécrétions si besoin.
Mr L. nous répond qu’il nous fait confiance et qu’il nous laisse aller commencer les soins. J’entends Mme L. gémir. Je lui
prends délicatement la main et lui dit : « Bonjour Mme L., c’est Victoire. Je suis avec l’aide-soignante de l’HAD. Nous
venons faire votre toilette. »
Son visage est bouffi, ses poings sont crispés, sa respiration encombrée ; j’entends un graillonnement important venant
du fond de sa gorge.
L’aide-soignante commence par aspirer Mme L. et réussit à la libérer de quelques mucosités qui la gênaient. Ensuite,
l’aide-soignante me laisse préparer tout le matériel pour effectuer la toilette. Me sentant à l’aise dès les premiers jours,
elle propose de me laisser faire la toilette. Une fois tout mon matériel en place, je commence mon soin. Au moment de
pivoter pour laver le dos, Mme L. se crispe. Je ne sais pas quoi lui dire pour la rassurer. Ses membres supérieurs se
raidissent, elle gémit et son visage rougit. L’aide-soignante essaye de la rassurer, lui dit qu’on fait le plus vite possible
pour la remettre ensuite sur le dos, qu’il faut qu’elle se détende. Une fois la toilette terminée et Mme L. réinstallée, je
remarque que son visage est détendu, elle parait plus calme. Elle n’a ouvert ses yeux qu’à la fin du soin. Nous retrouvons
Mr L. dans le salon. Il nous demande comment s’est déroulé le soin. L’aide-soignante lui explique, puis lui dit : « nous
allons discuter ce tout cela ce midi lors de la réunion d’équipe avec le médecin et je vous en reparle lors de notre
passage cet après-midi. Lorsque nous sortons, Mr L. va voir son épouse, il lui parle doucement et lui caresse
délicatement la joue en lui disant « ma pepette ». Elle parait très réceptive lorsqu’il lui parle. Mr L. est conscient de la
situation. Il a établi une véritable communication avec l’équipe soignante. Je me pose beaucoup de questions. En
montant dans la voiture, je fais part de mon ressenti à l’aide-soignante. Je lui explique que je ressens un sentiment
d’impuissance face à la souffrance de Mme L., sur le fait qu’elle ne puisse pas du tout s’exprimer, dire ce qu’elle ressent.
Je lui demande : « Qu’est-ce ce qui pourrait être fait pour la détendre ? Est-elle réceptive aux massages par exemple ? »
4
Pathologie de Steele Richardson
Elle me répond que l’après-midi, elle pratique souvent des massages. Que cela peut entrainer un sentiment de calme, de
réconfort, surtout s’il est effectué dans une attitude de respect et d’écoute envers le patient. Elle me propose d’essayer
de masser Mme L. quand nous repasserons la voir tout à l’heure. Il est 15H. Nous commençons notre tournée chez Mme
L. L’aide-soignante prend un temps avec Mr L. pour parler de la réunion d’équipe. Sa femme ayant fait part de ses
directives anticipées, elle souhaite décéder à domicile.
Mr L. est donc au clair sur la situation. L’HAD propose la mise en place d’une sédation par Hypnovel. L’aide-soignante dit
à Mr L. : « Maintenant, nous allons voir votre épouse et lui faire un massage. » Nous entrons dans la chambre. Elle dort
et elle respire très fort. Son visage est rosée, je ne perçois pas de signes d’encombrements. Je lui parle doucement :
« Mme L., c’est Victoire. Je suis avec l’aide-soignante. Je vais vous faire un massage des avant-bras et des mains, cela va
vous faire du bien. »
Je vais donc pratiquer ce massage, car Mme L. étant bien installée sur le dos, une mobilisation prolongée sur le côté
pourrait entrainer un épisode d’encombrements. J’ai commencé par masser les avant-bras, puis j’ai effectué un massage 3
des mains en pétrissant d’abord le dos, puis la paume. Ensuite j’ai effectué des pressions sur la face dorsale de la main.
Enfin, avec le pouce et l’index, j’ai fait un pétrissage de chaque doigt, chaque phalange. A la fin du soin, Mme L. dort
toujours, mais sa respiration est plus silencieuse. Son visage est détendu. Elle semble à ce moment apaisée.
Analyse de la situation
Si j’ai choisi d’évoquer cette situation, c’est parce que, sans m’y attendre, elle m’a poussé à me poser une multitude de
questions. Je me suis interrogée sur :
- Comment mesurer la douleur chez le patient non communicant en fin de vie ?
- Mon sentiment d’impuissance face à ses souffrances qu’elle ne peut exprimer ?
- Comment communiquer avec un malade qui ne peut plus parler ?
J’ai ensuite cherché à comprendre ce qui m’a mis en difficulté dans le contact avec cette patiente. Ce travail d’analyse
m’a permis de saisir l’importance de la communication non-verbale dans la relation soignant-soigné, à travers le regard,
l’expression faciale ainsi que le toucher relationnel.
1) La douleur
L’évaluation de la douleur passe par la maîtrise d’outils, véritables interfaces entre le ressenti du patient et notre
observation : les échelles d’évaluation de la douleur.
Tout d’abord, la douleur est un vécu, une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable et rattachée à une lésion
présente. Elle peut être aiguë ou chronique.
Dans le cas de Mme L., cette douleur est chronique. C’est-à-dire qu’elle se prolonge, c’est la conséquence de sa
pathologie qui est incurable.
L’évaluation de la douleur est primordiale. C’est un volet essentiel de la démarche clinique. Elle permet de quantifier au
mieux la douleur. Pour le patient, elle permet d’exprimer l’intensité de celle-ci et d’apprécier l’efficacité d’un traitement.
Madame L. ne pouvant plus s’exprimer, l’échelle qui va être utilisée est l’Echelle Comportementale pour Personnes
Agées5. Cette échelle est utilisée en gériatrie pour des personnes non communicantes présentant des troubles de la
parole, de la conscience. Cette échelle comporte huit items comprenant chacune cinq possibilités, cotées de 0 à 4.
5
L’échelle ECPA
Le score total est compris entre 0 et 32 et va d'une absence de douleur à une douleur totale. L'observation du patient
par le soignant, qui aboutira à la cotation, se réalise en plusieurs temps. La première partie a lieu cinq minutes minimum
avant le soin, la seconde a lieu après le soin. Le temps de cotation est de 1 à 5 minutes. Il est impératif de remplir la
première partie avant le soin et de ne pas le faire de mémoire à la fin du soin.
J’ai appris grâce à cette situation que savoir détecter la douleur chez un patient quel que soit son état physique, sa
pathologie et les outils ne suffisent pas à soulager. Quelle que soit sa cause, et son intensité, prévenir et traiter la
douleur sont des priorités tout au long de la maladie. Mon ressenti a été difficile face à cette patiente qui était en
incapacité de s’exprimer. En tant que futur aide-soignante, je dois observer minutieusement et régulièrement tous les
signes physiques possibles de la douleur : comportement, attitudes, réactions.
« Prendre la main d’un patient quand il souffre, c’est lui indiquer notre présence. »
2) La communication non verbale : « le langage du corps »
La communication lors d’une prise en charge soignante est un échange qui représente un des éléments essentiels de la
construction de la relation de confiance entre le patient et les intervenants de l’équipe soignante. Communiquer, c’est
entretenir des relations avec autrui ; c’est lui transmettre quelque chose (une information, des sentiments, des
impressions). C’est une suite dynamique, continue de comportements verbaux et non verbaux.
La communication non-verbale représente 80% de la communication. Elle contribue tout autant que la communication
verbale dans les soins, à donner un sens au message. Les personnes non communicantes ne peuvent exprimer
oralement leurs désirs et les besoins. Il en est de même lorsqu’il s’agit d’exprimer leurs ressentis douloureux. Dans ma
situation, Mme L. ne peut exprimer son ressenti. Je ne sais pas quoi lui dire pour la rassurer. L’équipe soignante m’a dit
qu’elle comprenait ce qu’on lui disait, mais qu’il n’y avait aucun retour, que c’était une des conséquences de la maladie.
Ne pouvant plus parler, ni déglutir, elle sentait tout de même lorsqu’un épisode d’encombrement arrivait. C’est à ce
moment-là qu’elle se crispe, son angoisse s’accroit, elle commence à émettre des grognements, la peur de s’étouffer la
terrifie. Notre corps, notre attitude, notre posture, notre gestuelle et nos mimiques parlent. Ces comportements jouent
un rôle important dans la relation aux autres. Il nous faut donc à ce moment devenir des observateurs.

Le regard
« Expression donnée par les yeux d'une personne, par sa façon de regarder »
Le regard est le premier sens qui intervient dans une relation. Regarder l’autre lui accorder de l’importance. Comme
mentionné auparavant, l’observation représente une étape importante de la pratique soignante, et cela passe par le
regard. Regarder l’autre, c’est lui porter de l’intérêt, se montrer attentif.
Chez Mme L., lorsqu’elle ne dort pas, son regard en dit long. Il est fixe, tourné vers le plafond. On perçoit qu’elle aimerait
tant s’exprimer, prononcer quelques mots à son mari et ses enfants avant de partir. Parfois, avec certaines soignantes, il
lui arrive de faire un clignement des yeux quand elles lui parlent. Mais elle est davantage réceptive quand c’est son mari
qui vient la voir et qu’ils se regardent longuement l’un et l’autre.

L’expression faciale
Le visage a une place prépondérante dans notre communication. C’est la partie du corps que nous regardons le plus
quand nous parlons avec quelqu’un. On distingue deux zones faciales :
- La zone des yeux : froncement de sourcils, clignement des paupières
- Le bas du visage : du menton au nez
Le visage permet de repérer six émotions fondamentales : la colère, la peur, la tristesse, la joie, le dégoût et la surprise.
L’émotion est un sentiment agréable ou désagréable qui provoque des manifestations physiques.
Sans aucun doute, le visage est la partie la plus expressive de notre corps. Mais dans ses manifestations dynamiques le
visage envoie un grand nombre de signaux par l’intermédiaire des changements de la position des yeux, de la bouche,
des sourcils, des muscles faciaux et même par la couleur de la peau et la transpiration.
4
Lors de la toilette, notamment lors de la mobilisation de Mme L. sur le côté, celle-ci a commencé à émettre des
gémissements. J’ai pu observer également un léger froncement des sourcils, un pincement des lèvres et un changement
de couleur de la peau; elle rougissait. Mme L. nous faisait part de sa douleur de son inconfort et m’indiquait clairement
son angoisse.
«La chose la plus importante en communication, c'est d'entendre ce qui n'est pas dit» Peter Drucker
3) Le toucher-massage : un acte relationnel
Le verbe « toucher » signifie entrer en contact avec quelqu’un ou quelque chose, de façon légère ou violente. Le contact
fait partie intégrante du soin. Selon HALL (anthropologue) il existe 4 distances en communication : la distance intime,
l’espace privé, la distance sociale et la distance publique. La proxémie utilisée avec Mme L. est celle de la distance intime.
Cette distance est de 15-20 cm entre la patiente et moi-même.
« Ce qu’il y a de plus profond chez l’Homme, c’est la peau ». Paul Valéry
La peau peut-être définie comme l’organe du toucher. C’est la surface la plus étendue du corps, elle représente environ
60% du corps. Celle-ci est extrêmement riche en récepteurs (1 500 000), ce qui lui permet de saisir et de comprendre les
messages rapides et complexes notamment lors d’une agression douloureuse.
Le toucher est le sens qui a été le plus important lors de cette situation relationnelle avec la patiente. Pendant les soins,
il était essentiel de dire à Mme L. chaque geste que je m’apprêtais à faire, car elle ne peut plus parler et ses yeux étaient
fermés. Au début de chaque soin, Mme L. se mettait à trembler systématiquement des membres supérieurs et inférieurs.
Elle appréhendait le moment de la toilette, ce moment où nous allions la manipuler, où nous allions devoir la tourner.
Pour elle, c’était un moment supplémentaire où un épisode d’encombrements risquait d’arriver, où elle risquerait de
s’étouffer. C’est à ce moment-là, qu’elle se crispait et que tous ses membres se raidissaient. Pour essayer de soulager
Mme L. j’ai donc pratiqué un massage. C’est également pour moi, une manière d’exprimer de l’empathie envers la
patiente.
Le toucher-massage est un échange entre le malade et le soignant. Il permet un accompagnement du patient dans sa
souffrance physique et psychique, pour un meilleur confort. Il constitue aussi un autre moyen de communication pour le
patient quand il n'arrive pas à exprimer son angoisse et ses émotions par la parole. Pour que le toucher ait une
dimension de pratique de soin, il est nécessaire que le soignant soit disponible, persuadé de l’importance de ses gestes
pour entraîner un apaisement, une diminution de la douleur lors d’un soin.
« On ne peut toucher autrui sans être touché soi-même »6
Conclusion
Ce stage a été très enrichissant, tant sur le plan relationnel que professionnel.
Cette situation m’a permis de me rendre compte de l’importance de la communication non-verbale très présente auprès
de Mme L., de par son incapacité totale à parler. Notre profession de soignant est une profession où le toucher est
incontournable.
En prenant Mme L. en charge, je lui ai montrée que j’étais là pour elle, et que je pouvais prendre du temps avec elle. Ce
moment a été un moment privilégié, silencieux. J’ai ressenti une satisfaction personnelle de l’avoir accompagnée et de
lui avoir permis de se soulager quelques instants de son anxiété, de sa douleur.
6
BLANCHON Carine, Le toucher relationnel au cœur des soins, 2006, p.30, 31, 32, 34 (CDI IFAS Malestroit)
5
Ce travail d’analyse m’a permis d’enrichir mes connaissances sur cette pathologie rare et difficile et de découvrir
l’importance du toucher relationnel. Curieuse, je solliciterai des stages de formation et je transmettrai mes acquis à
l’équipe soignante ainsi qu’aux proches du malade. Ce stage confirme bien mon choix pour ce métier d’aide-soignante.
Ayant eu une expérience antérieure de plusieurs années en tant qu’ASH et faisant fonction d’aide-soignant qu’en
structure, avoir pu effectuer ce stage au sein d’un établissement comme l’HAD m’a beaucoup plu et je me verrais
pourquoi pas dans l’avenir travailler à domicile.
« Nous ne pouvons pas ne pas communiquer »
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