Henry Hirsch, un collectionneur fidèle méconnu d`Emile Gallé

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Henry Hirsch, un collectionneur fidèle méconnu d`Emile Gallé
Henry Hirsch, un collectionneur fidèle méconnu d’Emile Gallé
Valérie Thomas, Conservateur du Musée de l’Ecole de Nancy
Dès le début de sa carrière, Emile Gallé dispose d’une importante clientèle locale, française
et étrangère. Cette clientèle se compose d’institutions publiques telles l’Union Centrale des
Arts Décoratifs, le Musée du Luxembourg à Paris, le Musée des Arts Décoratifs de
Hambourg, le Musée des Arts Décoratifs de Copenhague mais également d’une large
clientèle privée française et étrangère. A ces derniers s’ajoutent quelques commandes et
achats effectués par l’Etat français, pour ses cadeaux officiels. Parmi cette clientèle privée,
certaines personnalités sont de véritables collectionneurs de l’œuvre de l’artiste, tels le
fonctionnaire et critique d’art, Roger Marx, le critique d’art Henri de Fourcaud, le négociant
en vins Henry Vasnier ou le conseiller d’état Olivier Sainsère.
En 1910, lors de la préparation d’une exposition consacrée au verre au Musée Galliera à
Paris, Daigueperce, le concessionnaire de Gallé à Paris, rédige à l’intention du commissaire
de cette manifestation, une liste des plus importants collectionneurs d’œuvres de l’artiste
nancéien. Il précise dans cette liste, les 5 principaux collectionneurs à ses yeux, parmi
lesquels figure le nom d’Henry Hirsch.
Qui était Henry Hirsch ? Peu d’informations et d’archives sont actuellement disponibles sur
ce collectionneur qui a cependant joué un rôle important, en particulier à la fin de la vie de
Gallé et après son décès. En 1983, Melle Charpentier, conservatrice du Musée de l'Ecole de
Nancy avait consacré une intervention à ce collectionneur dans le cadre d’un colloque sur le
verre organisé à Nancy mais non publiée. De nombreuses œuvres dont Henry Hirsch a été
le propriétaire et même le commanditaire, sont heureusement, conservées dans divers
musées.
L’absence de fonds d’archives ne nous a pas permis d’identifier une photographie d’Henry
Hisrch. Dans cette vue du mariage de Lucile Gallé en 1902, peut-être parmi ces personnes
figure Henry Hirsch dont la tradition de la famille Gallé dit qu’il se rendait souvent à Nancy.
Henry Hirsch était magistrat, son dossier professionnel conservé aux Archives Nationales
permet de mieux connaître cette personnalité.
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Il est né à Epinal, en Lorraine, le 24 juillet 1862. Son père, Abraham Hirsch est propriétaire
d’une fabrique de papier peint dans cette ville, une industrie alors en plein essor en Europe
qui le met en contact avec l’art. Son père s’étant associé avec un de ses frères, Henry Hirsch
n’est donc pas tenu de reprendre l’affaire familiale et après 3 ans à l’armée comme engagé
volontaire, il commence des études de droit qu’il poursuit jusqu’en 1886. En 1887, il entre
comme attaché au Parquet de la Seine et va mener jusqu’en 1925, une brillante carrière de
magistrat, terminant sa carrière en tant que Conseiller à la Cour d’appel de Paris.
Muté dans le sud de la France au début de sa carrière, puis dans le nord de la France
(Douai, Lille), il n’aura de cesse d’être muté à Paris. Pour se rapprocher des grandes villes et
de la capitale, il justifiera ce souhait par son intérêt pour les activités artistiques. Son dossier
de magistrat indique en effet, dans la rubrique « occupations étrangères à ses fonctions » :
recherches artistiques et industrielles. Ce dossier renseigne aussi sur sa fortune qui est dite
« aisée », lui permettant donc de mener à bien la constitution d’une collection d’œuvres d’art.
En 1919, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.
Il décède à Paris le 4 janvier 1944.
Aucun document ne permet de connaître précisément la collection d’œuvres d’art d’Henry
Hirsch, nous ne pouvons faire que des suppositions à partir de catalogues d’exposition de
l’entre-deux guerre et des pièces actuellement conservées dans les collections publiques
françaises et étrangères.
En 1950, son fils Claude Hirsch propose à la Ville de Nancy, l’achat d’une partie de la
collection de verreries d’Emile Gallé. L’acquisition de 18 verreries d’Emile Gallé s’effectue 5
ans plus tard en 1955. Cet ensemble s’avère extrêmement intéressant par la qualité des
pièces mais également par leur diversité puisque des œuvres des années 1880 à 1904 sont
présentes, avec des techniques et des thèmes décoratifs variées. Il s’agit d’un bel
échantillon de la production verrière d’Emile Gallé.
Je vous les présente rapidement dans un ordre chronologique m’arrêtant sur certaines
pièces qui témoignent d’un lien particulier entre leur propriétaire et leur auteur :
- Vase Escargot des vignes, 1884, réalisé en collaboration avec Victor Prouvé
Signé en creux sous la pièce E (croix de lorraine) G Emile Gallé Nanceis comp. Et fecit
1884 V Prouvé delt
- Grand vase émaillé au scarabée, vers 1884-1889
- Vase à bague médiane, 1889
Signé sous le fond Emile Gallé fecit Nancy, E (croix de Lorraine) G
- Vase Seulette suis, 1889- réédition 1900
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Modèle conçu en 1889 lors Exposition Universelle de Paris puis réédité en 1900 pour
l’Exposition Universelle
Inscription finement gravée en relief sur la face postérieure : Seulette/suis/seulette veut être
- Vase cornet Libellules, vers 1890
- Coupe Les éphémères, vers 1890-1900
- Vase Les anémones de pâques, 1892
Signé et dédicacé en creux sous le pied : Emile Gallé/fecit/A mon ami/Henry
Hirsch/Pâques/1/8/9/2
Il s’agit de la première pièce mentionnant clairement l’amitié entre les deux hommes et peutêtre d’un cadeau d’Emile Gallé à Henry Hirsch.
Le décor est composé d'une frise d'anémones en bouton et fleuries qui évoque les
différentes étapes de la floraison de cette plante. Le choix de cette fleur n'est pas
anecdotique. L'arrivée de l'anémone annonce le réveil de la nature au printemps. Devenue
un symbole de cette période de l’année, elle peut ici avoir été choisie pour évoquer la fête de
Pâques, l'exode d'Egypte et être ainsi une allusion à la religion juive, confession d’Henry
Hirsch.
- Vase Moonwort, 1893 et son coffret de présentation
Signé et dédicacé sous la base Ad HH.Amicissime E Gallé
- Coupe feuilles et chatons, 1894
- Vase bouteille nénuphar, 1897-1900
- Calice Le figuier, 1899-1900
Signé en creux à la base E (croix de Lorraine) Gallé/exposit/1900
Inscription en creux au double trait sur le pied : Car tous les hommes sont les fils d’un même
père, Ils sont la même larme et sortent du même œil. Victor Hugo
Cette œuvre est une claire allusion à l’Affaire Dreyfus, la citation et les nombreux symboles
du christ (le calice, le sang, les larmes …) évoquent son sacrifice et propose un parallèle
avec le capitaine Dreyfus qui a été lui aussi « sacrifié » à la raison d’état.
Or en raison de l’affaire, Henry Hirsch devait être à cette époque, dans une position très
délicate puisque fonctionnaire, appartenant de plus au ministère de la Justice qui était l’un
des principaux acteurs du jugement et de la condamnation du capitaine Dreyfus, il était tenu
à un devoir de réserve. Devoir d’autant plus difficile à suivre en raison de son appartenance
comme le capitaine Dreyfus à la religion juive et au climat antisémite déclenché par l’affaire
en France, durant ces années.
Il n’est donc pas surprenant de trouver dans sa collection, une pièce faisant allusion à cette
affaire et témoignant de l’engagement précoce d’Emile Gallé auprès du capitaine Dreyfus et
de ses co-religionaires.
- Vase nul souci de plaire, vers 1899-1900
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- Vase Berce des près ou Heracleum, 1900
Cette pièce est également considérée comme faisant allusion à l’affaire Dreyfus.
- Coupe Henry Hirsch ou « Il faut aimer … », 1903
Signée en creux dans le décor : Emile Gallé / ad Henry Hirsch/ amicissime/1903
Inscription gravée sur le pied : Il faut aimer pourtant ! Que faire de son cœur ? Marceline
Desbordes-Valmore
- Coupe Les Pins de Ravenne, 1903
Inscription en creux autour du piédouche : Sous les pins de Ravenne, aux bruissantes
cigales, ils écoutaient leurs cœurs vibrant à l’unisson. EG
Ces deux pièces font allusion au mariage d’Henry Hirsch en 1903 avec Marie-Andrée Kahn.
La première pièce est en raison de la signature, surement un cadeau, un présent de mariage
d’Emile Gallé aux époux.
- Vase Lis de mer, vers 1903
Inscription sur l’autre face : la Mer la vaste mer console nos labeurs/Baudelaire
- Vase Fourcaud, 1904
Signé, daté et dédicacé en creux sous le piédouche : A/ Louis de Bousses de Fourcaud/ en
toute affection d’esprit/ et de cœur/1904 Em Gallé
Cette pièce est un cadeau d’Emile Gallé à Louis de Fourcaud, journaliste et critique d’art qui
venait de publier en 1904, la première monographie consacrée à l’artiste-verrier. Après la
mort de Fourcaud, elle fut mise en vente par ses descendants en 1914 et acquise par Henry
Hirsch. Elle illustre l’intérêt toujours constant du magistrat pour les pièces d’Emile Gallé, 10
ans après son décès, confirmé par sa participation la même année aux enchères de la vente
de la collection de Roger Marx.
- Abat-jour de lampe aux primevères roses, 1904
Cinq ans après l’achat de la collection de verreries, la Ville de Nancy acquit en 1960,
toujours auprès de Claude Hirsch, un meuble célèbre d’Emile Gallé provenant de la
collection d’Henry Hirsch. Il s’agit du lit Aube et Crépuscule, une des dernières créations
d’ébénisterie de Gallé avant son décès, commandé en 1903 par Henry Hirsch à l’occasion
de son mariage.
- Lit Aube et crépuscule, 1903-1904
Signé et daté en relief sur la tête du lit : Emile Gallé, 1904
Ce lit était destiné à la chambre à coucher d’Henry Hirsch et y était associé dans son
appartement parisien, à une armoire Faune et flore exotiques et à une commode Nocturne.
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D’autres œuvres d’Emile Gallé ayant appartenu à Henry Hirsch nous sont connues. Une des
plus célèbres est la vitrine aux Libellules, acquise en 1982 par le Musée d’Orsay de Paris qui
avait été commandée par le magistrat pour orner le salon de son appartement à Paris.
Cette vitrine aurait été parmi les premiers meubles commandés par Hirsch dès 1897 même
si réalisée beaucoup plus tard puisqu’elle porte la signature de 1904. Sa destination était
évidente : présenter la collection de verreries réunie par ce dernier. La mise en valeur de
cette collection était accentuée par la présence d’un miroir dans le fond, permettant de voir
l’envers des pièces.
Le magistrat possédait d’autres œuvres de Gallé qui ont pu être identifiées : 2 verreries
appartenant au Kunstmuseum de Dusseldorf : il s’agit du vase Urne d’Ariel, daté de 1890 et
d’un vase colchiques ou veilleuse, daté vers 1895-1897.
La collection d’Henry Hirsch ne semble avoir comporté que 2 faïences de Gallé dont l’une
d’entre elles a été identifiée. Sa rencontre tardive avec l’artiste à l’Exposition Universelle de
1889 peut expliquer ce désintérêt pour cette technique puisque dès cette époque, Gallé luimême décide de délaisser la céramique pour se consacrer à la verrerie et à l’ébénisterie.
Mais une autre source nous permet de mieux cerner la collection du magistrat, ce sont les
archives et les catalogues des expositions réalisées après le décès d’Emile Gallé. Peu de
manifestations sont consacrées dans la première moitié du XXe siècle, à l’Art nouveau, à
l’Ecole de Nancy, en cette période de forte désaffection pour ce mouvement artistique.
Mais à chacune de ces expositions, Henry Hirsch accepte de prêter plusieurs pièces et donc
de rendre hommage à son ami.
En 1904, lors de l’exposition Ecole de Nancy organisée aux Galeries Poirel de Nancy, le
stand d’Emile Gallé était dominé par la présentation de la collection d’Henry Hirsch puisque y
figuraient le lit Aube et Crépuscule, la vitrine aux Libellules mais également l’armoire et la
commode ainsi qu’une partie de sa collection de verreries appartenant à sa collection
personnelle.
Il est intéressant de signaler que dès cette époque, Henry Hirsch accepte de se séparer de
plusieurs de ses œuvres pour une manifestation temporaire. L’exposition se situant quelques
jours après le décès du chef de file de l’Ecole de Nancy, elles participèrent pleinement à
l’hommage rendu à Emile Gallé.
En 1910, pour l’exposition consacrée à la verrerie et la cristallerie artistique à Paris
organisée au Musée Galliera, Henry Hirsch est parmi les principaux prêteurs mais sans que
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nous connaissions le nombre exact de ses prêts et les verreries dont il accepte de se
séparer.
Quinze ans après, il figure parmi les prêteurs d’une exposition, également organisée au
Musée Galliera de Paris intitulée « Les rénovateurs de l’art appliqué : de 1890 à 1910 ».
Emile Gallé y est également bien représenté par 32 verreries dont 6 appartiennent à Henry
Hirsch. Les valeurs d’assurance fixées par le collectionneur, variant de 15 000 francs pour le
vase « Les pins de Ravenne » à 5 000 francs, attestent qu’il accorde à ces pièces une très
grande valeur, surtout si l’on compare avec les valeurs d’assurance fixées par les
Etablissements Gallé qui se situent pour des pièces de qualité identique, entre 4 500 et
1 500 francs.
Mais c’est surtout lors de l’exposition organisée par le Musée des Arts Décoratifs de Paris en
1933, consacré au « Décor de la vie sous la 3éme république » que la collection d’Henry
Hirsch va apparaître dans toute son importance et sa cohérence.
Le magistrat va prêter 27 verreries d’Emile Gallé sur les 38 exposées. Il va également prêter
la commode à décor de chrysanthèmes conçue pour sa chambre à coucher, déjà exposée
en 1904, la vitrine aux libellules du Musée d’Orsay et deux assiettes en faïence à décor de
plantes et de papillons.
C’est l’ensemble de verreries qui va évidement retenir l’attention des visiteurs car il s’agit
d’une évocation de la production verrière de Gallé, allant de 1878 à 1904, proposant des
pièces jalons de l’évolution artistique et technique du verrier nancéien.
L’année suivante, en 1934, dans une lettre adressée à Lucien Bourgogne, gendre d’Emile
Gallé, Henry Hirsch se plaindra de l’absence d’Emile Gallé dans les collections permanentes
du Musée du Luxembourg, du Musée Galliera et du Musée des Arts Décoratifs de Paris.
Si la collection d’œuvres d’Emile Gallé s’avère impressionnante par son ensemble, sa
variété mais également sa représentativité, nous savons qu’Henry Hirsch possédait des
pièces d’autres artistes Art nouveau français.
Ainsi le mobilier du salon, de la salle à manger et d’un bureau avait été, d’après un
témoignage de son fils, commandé à Eugène Gaillard vers 1910-1911, après la mort de
Gallé.
De même, le catalogue de l’exposition de 1933 nous apprend qu’il possédait une verrerie de
Léveillé-Rousseau, imitant l’agate avec un socle en bronze.
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Henry Hirsch semble avoir joué auprès d’Emile Gallé, un rôle à part autre que celle d’un
simple collectionneur.
Ainsi l’artiste a-t’il fait appel à ses connaissances juridiques, lors de la rédaction des statuts
de l’association Ecole de Nancy vers 1900.
De même, dans les dernières années de la vie de Gallé où la maladie l’empêchait de se
rendre à Paris ou de voyager, Henry Hirsch a surement été un de ses principaux
« informateurs » de la vie artistique parisienne et étrangère, lui signalant en particulier les
problèmes de copie. Quelques lettres témoignent de rôle joué par le collectionneur : en
1901, il lui signale ainsi à Milan des meubles créés par un ébéniste italien, inspirés de son
mobilier aux ombellifères.
Les archives, des photographies dédicacées et de la correspondance, illustrent les liens
d’amitié forts entre les 2 hommes.
Ainsi n’est-on presque pas surpris de découvrir dans le dossier de magistrat d’Henry Hirsch,
une lettre de Gallé datée de décembre 1903 pour le recommander pour un avancement à
ses supérieurs, en l’occurrence au Garde des sceaux. Voici ce que Gallé écrit :
« Dès ses débuts, je me suis vivement intéressé à la carrière de mon compatriote en raison
de nos mutuelles sympathies démocratiques et de sa rare culture artistique et intellectuelle
…..Je tiens Henry Hirsch pour un caractère ferme et sur, un esprit droit et éclairé, sensible
aux misères morales et sociales ».
Henry Hirsch allait après la mort de Gallé, témoigner de la réalité de leur amitié et de son
respect envers l’artiste, conservant sa collection d’œuvres Ecole de Nancy jusqu’à sa mort et
lui permettant lorsque l’occasion se présentait, d’être visible aux rares manifestations
consacrées à ce mouvement artistique.
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