Hiver 2012

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Hiver 2012
Réalisation des sûretés, insolvabilité et réorganisations
HIVER 2012
CONTENU
TPS, TVQ ET DEMANDE FORMELLE DE PAIEMENT AVANT AVIS D’INTENTION OU FAILLITE :
LA COURONNE A GAIN DE CAUSE (COUR SUPRÊME) ……...................…………………………
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NON PUBLICATION D’UN BAIL : LA PUBLICATION NE FAIT PAS NAÎTRE LES DROITS DU
LOCATEUR NI SON TITRE DE PROPRIÉTÉ. LE BAIL EST OPPOSABLE AUX CRÉANCIERS DU
LOCATAIRE (COUR D’APPEL) ………………………………………………..………………….
4
VENTE SOUS CONTRÔLE DE JUSTICE : LA COUR REFUSE QUE LES HONORAIRES DE LA
PERSONNE DÉSIGNÉE ET LA COMMISSION DE L’AGENT IMMOBILIER SOIENT PAYÉS DÈS LA
VENTE ET AVANT L’EXPIRATION DES DÉLAIS PRÉVUS POUR LA CONTESTATION DE L’ÉTAT
DE COLLOCATION ………….............……………………………………………………………
5
LORSQU’IL Y A FAILLITE, LE PRODUIT D’UN STRATAGÈME DE « KITING » CONSTITUE-T-IL
UN BIEN DU FAILLI? ……………………………………………………………………………..
6
PROPOSITION CONCORDATAIRE : ALORS QUE LE FISC CONTRÔLE LE VOTE, LE PRÉSIDENT
DE L’ASSEMBLÉE PEUT-IL REJETER LES RÉCLAMATIONS DU FISC POUR FINS DE VOTE
COMME ÉTANT ÉVENTUELLES, NON LIQUIDÉES ET IMPOSSIBLES À ÉVALUER? ……….……..
8
LA THÉORIE DU « MARSHALLING » NE S’APPLIQUE PAS AU QUÉBEC. IL FAUT PLUTÔT
APPLIQUER LA DISTRIBUTION PROPORTIONNELLE PRÉVUE À 2754 C.C.Q. (COUR D’APPEL) ..
10
PEUT-ON PROCÉDER À LA PRÉINSCRIPTION D’UN RECOURS EN PASSATION DE TITRE FONDÉ
SUR UN DROIT DE PREMIER REFUS? …………………………………………………………….
11
ME ROBERT TESSIER, RÉDACTEUR
MILLER THOMSON POULIOT
Téléphone : 514-871-5474
Télécopieur : 514-875-4308
Courriel : [email protected]
1155, boul. René-Lévesque Ouest
ième
31
étage
Montréal (Québec) H3B 3S6
SENCRL
TPS, TVQ ET DEMANDE FORMELLE DE PAIEMENT AVANT AVIS D’INTENTION
OU FAILLITE : LA COURONNE A GAIN DE CAUSE (COUR SUPRÊME).
Lorsqu’une demande formelle de paiement à un tiers
était émise par les autorités fiscales concernant la TPS
et/ou la TVQ impayées par un débiteur, une pratique
s’était instaurée de contrer telle demande par le dépôt
d’un avis d’intention suivant la LFI ou une proposition
concordataire ou une faillite, de sorte que les banquiers
et fournisseurs de crédits d’opération ne voyaient pas les
autorités fiscales avoir préséance sur leurs droits.
d’un failli, sauf ceux qui ont été complètement
réglés par paiement au créancier ou à son
représentant, et sauf les droits d’un créancier
garanti.
Cette pratique ne peut plus avoir cours maintenant en
raison de la décision récente de la Cour suprême du
Canada donnant gain de cause aux autorités fiscales et
déterminant essentiellement que si une demande
péremptoire de paiement à un tiers est émise avant le
dépôt d’un avis d’intention, d’une proposition
concordataire ou d’une faillite, la somme indiquée dans
l’avis est confirmée comme étant devenue la propriété
de la Couronne.
Art. 317(3) LTA : Malgré les autres dispositions
de la présente partie, tout texte législatif fédéral à
l’exception de la Loi sur la faillite et
l’insolvabilité, tout texte législatif provincial et
toute règle de droit, si le ministre sait ou
soupçonne qu’une personne est ou deviendra,
dans les douze mois, débitrice d’une somme à un
débiteur fiscal, ou à un créancier garanti qui,
grâce à un droit en garantie en sa faveur, a le
droit de recevoir la somme autrement payable au
débiteur fiscal, il peut, par avis écrit, obliger la
personne à verser au receveur général tout ou
partie de cette somme, immédiatement si la somme
est alors payable, sinon dès qu’elle le devient, au
titre du montant dont le débiteur fiscal est
redevable selon la présente partie. Sur réception
par la personne de l’avis, la somme qui y est
indiquée comme devant être versée devient,
malgré tout autre droit en garantie au titre de
cette somme, la propriété de Sa Majesté du chef
du Canada, jusqu’à concurrence du montant dont
le débiteur fiscal est ainsi redevable selon la
cotisation du ministre, et doit être versée au
receveur général par priorité sur tout autre droit
en garantie au titre de cette somme.
Un avis d’intention de produire une proposition
par un débiteur déclenche l’application de cet
article.
Dans cette affaire, les autorités fiscales avaient procédé
à une demande de paiement en vertu des paragraphes
317(1) et (3) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) dirigée
au banquier qui, de fait, détenait des sommes
appartenant à la débitrice. Quelques jours plus tard, la
débitrice dépose un avis d’intention de faire une
proposition à ses créanciers en vertu de la LFI et, la
même journée, le syndic à l’avis d’intention émet un
avis de surseoir à l’encontre de la demande formelle de
paiement. Le banquier ne se conforme donc pas à cette
demande formelle de paiement et les autorités fiscales
répliquent en émettant un avis de cotisation directement
à l’encontre du banquier. Le litige a cours jusqu’au
jugement de la Cour suprême du 12 janvier 2012.
La question en litige est la suivante : Lorsque les
autorités fiscales transmettent une demande formelle de
paiement en vertu du paragraphe 317 (3) de la LTA
avant le dépôt d’un avis d’intention, d’une proposition
concordataire ou d’une faillite, le paragraphe 70(1) LFI
fait-il en sorte que l’avis d’intention, la proposition
concordataire ou la cession de biens du débiteur fiscal a
préséance sur la demande formelle des autorités?
[Nous soulignons]
[…]
L’article 317.3 LTA a son équivalent provincial à
l’article 15 de la Loi sur le ministère du Revenu :
art. 15 LMR : Le ministre peut, par avis signifié
ou transmis par courrier recommandé, exiger
d’une personne qui, en vertu d’une obligation
existante, est ou sera tenue de faire un paiement à
une personne qui est redevable d’un montant
exigible en vertu d’une loi fiscale, qu’elle lui verse
à l’acquit de son créancier, la totalité ou une
partie du montant qu’elle a ou aura à payer à ce
dernier et ce, au moment où ce montant devient
payable au créancier.
Les articles plus particulièrement pertinents sont les
suivants :
Art. 70(1) LFI : Toute ordonnance de faillite
rendue et toute cession faite en conformité avec la
présente loi ont priorité sur toutes saisies, saisiesarrêts certificats ayant l’effet de jugements,
jugements, certificats de jugements, hypothèques
légales résultant d’un jugement, procédures
d’exécution ou autres procédures contre les biens
[…]
-2-
Art. 15.3.1 LMR : Sur réception d’un avis du
ministre signifié ou transmis par courrier
recommandé, le montant qui y est indiqué comme
devant lui être versé devient la propriété de l’État
et doit lui être remis par priorité sur toute autre
sûreté donnée à l’égard de ce montant.
de la Cour suprême dans l’affaire de Québec (Revenu) c.
Caisse populaire Desjardins de Montmagny 2.
La Cour d’appel fédérale indique que la réponse à la
question en litige dépend du sens à donner aux mots « à
l’exception de la LFI », tels qu’ils apparaissent au
paragraphe 317(3) LTA. Selon le banquier, cette
mention fait en sorte que le paragraphe 317(3) a ses
effets malgré tout autre texte législatif, sauf la LFI.
Donc, si une disposition quelconque de la LFI a pour
effet de contrer l’opération du paragraphe 317(3), elle a
préséance, et c’est le cas en l’occurrence, prétend-t-il.
[…]
La problématique étudiée découlant de l’article
317(3) LTA doit s’analyser de façon comparative
avec l’article 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le
revenu.
Pour les autorités fiscales, cette expression a pour effet
de circonscrire l’exercice du pouvoir du ministre dans le
temps en empêchant son exercice après la mise en œuvre
de la LFI. Puisqu’en l’occurrence la demande fut
signifiée avant le dépôt de l’avis d’intention et de
surseoir, le pouvoir énoncé au paragraphe 317(3) a été
validement exercé.
Art. 224(1.2) LIR :
Nonobstant les autres
dispositions de la présente loi et nonobstant la Loi
sur la faillite, tout autre texte législatif fédéral,
tout texte législatif provincial et toute règle de
droit, s’il sait ou soupçonne qu’une personne
donnée est ou deviendra, dans les 90 jours,
débiteur d’une somme :
La Cour d’appel fédérale indique que c’est le moment
lors duquel peut s’exercer ce pouvoir dorénavant
transmissif de propriété que le législateur fédéral avait à
l’esprit lorsqu’il a prévu, dans le cas du paragraphe
224(1.2) LIR qu’il a ses effets « Malgré…la LFI » et
dans le cas du paragraphe 317(3) de la LTA, « à
l’exception de la LFI».
a) soit à un débiteur fiscal, à savoir une
personne redevable […]
b) soit à un créancier garanti […]
le ministre peut, par lettre recommandée ou
signifiée à personne, obliger la personne donnée à
payer au receveur général […]. Sur réception de
la lettre par la personne donnée, la somme qui y
est indiquée comme devant être payée devient,
nonobstant toute autre garantie au titre de cette
somme, la propriété de Sa Majesté […]
Autant le législateur souhaitait-il que les retenues à la
source impayées visées par le paragraphe 224(1.2) LIR
soient assujetties à ce pouvoir en tout temps - soit avant
ou après la faillite – autant voulait-il que le pouvoir
équivalent prévu au paragraphe 317(3) ne puisse être
exercé qu’avant la faillite.
Le jugement de la Cour suprême est unanime et n’est
que de quelques lignes seulement, endossant en totalité
les motifs de la Cour d’appel fédérale, sans aucune
réserve.
C’est ainsi que les mots « Malgré…la LFI » d’une part,
et « à l’exception de la LFI » d’autre part, doivent être
compris. Si l’on se reporte en 1990, les fiducies
réputées entourant les retenues à la source ainsi que
celles entourant la TPS avaient le même effet sans égard
à leur objet. Toutes deux prenaient effet à compter de
l’omission et survivaient à la faillite, de sorte que les
sommes assujetties à ces fiducies ne pouvaient, en aucun
moment, faire partie du patrimoine du débiteur fiscal.
Ce n’est que suite à la réforme de 1992 que cet état de
fait a changé et que la fiducie réputée portant sur la TPS
et la TVQ impayées a cessé d’avoir ses effets à compter
de la faillite, comme le dit l’arrêt de la Cour suprême du
Canada dans Caisse populaire Desjardins de
Montmagny. Dans ce contexte, on ne peut conclure que
les mots « à l’exception de la LFI » ont été insérés dans
le paragraphe 317(3) dans le but de donner préséance à
la LFI en cas de conflit puisqu’aucun conflit ne pouvait
être envisagé. Il semble plutôt, gardant à l’esprit le
principe selon lequel le législateur ne parle pas pour rien
En Cour fédérale, le banquier avait principalement fait
des représentations en fonction des mots suivants
contenus à l’article 317(3) : « à l’exception de la Loi
sur la faillite et l’insolvabilité » plaidant que la
survenance d’un avis d’intention ou de faillite faisait en
sorte qu’il y avait conflit entre la LFI et les dispositions
de la LTA en raison du paragraphe 70(1) de la LFI. Le
banquier s’inspirait des décisions rendues dans des
affaires québécoises et principalement la décision de la
Cour d’appel du Québec Sous-ministre du Revenu du
Québec c. De Courval 1. La Cour d’appel fédérale
écarte totalement cette voie d’argumentation,
l’interprétation que le banquier veut présenter, la
jurisprudence québécoise à ce sujet ainsi que
l’interprétation proposée par le banquier de la décision
1
2
[2009] R.J.Q. 597.
-3-
[2009] CSC 49.
dire, que la strophe avait pour but d’empêcher
l’utilisation du pouvoir prévu au paragraphe 317(3)
après la faillite.
propriétaire de la somme demandée avant que
n’intervienne l’avis d’intention, et que donc, cette
somme ne faisait pas partie du patrimoine du débiteur
fiscal lors de l’avis d’intention ou de sa faillite.
Par ailleurs, les pouvoirs prévus aux paragraphes 317(3)
LTA et 224(1.2) LIR lorsqu’exercés validement ont tous
deux le même effet, soit de transmettre à la Couronne la
propriété des sommes visées par la demande formelle de
paiement dès sa réception par le tiers-saisi.
Le banquier avait donc l’obligation de payer le montant
demandé et, ayant omis de le faire,
il est
personnellement responsable de son paiement.
La demande formelle de paiement ayant été reçue par le
banquier avant le dépôt de l’avis d’intention et de
surseoir, c’est à bon droit que le juge de première
instance a conclu que la Couronne était devenue
Banque Toronto-Dominion et Sa Majesté la Reine, Cour
suprême du Canada, No. 33878, jugement du 12 janvier
2012, Juges LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein,
Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
NON PUBLICATION D’UN BAIL : LA PUBLICATION NE FAIT PAS NAÎTRE
LES DROITS DU LOCATEUR NI SON TITRE DE PROPRIÉTÉ. LE BAIL EST
OPPOSABLE AUX CRÉANCIERS DU LOCATAIRE (COUR D’APPEL).
La Cour devait déterminer si un créancier chirographaire
peut faire saisir avant jugement les biens d’une locatrice
en la possession d’un locataire, débiteur du créancier, au
motif que le bail d’une durée de plus d’un an n’a pas été
publié contrairement à l’article 1852 C.c.Q.
précarité de sa détention du bien.
L’absence de
publication suivant l’article 1852 C.c.Q. ne fait donc que
confirmer au tiers de bonne foi qui transige avec une
personne qui semble avoir la pleine possession d’un bien
mobilier qu’il peut présumer que cette dernière en a la
propriété, même si en réalité elle en est que le détenteur.
Ainsi, le défaut de publication ne permet pas au locataire
de refuser de remettre le bien loué au locateur à la fin du
bail sous prétexte que son titre de propriété est inexistant
parce que non publié. Dans l’arrêt Lefebvre, la Cour
suprême a reconnu au locateur le droit de revendiquer du
syndic le bien loué dont il a pris possession à la suite de la
faillite du locataire, car le syndic est la continuation de ce
dernier et non un tiers face au locateur. En l’espèce, le
saisissant est un tiers face à l’opposante. Par contre, ce
tiers n’a acquis aucun intérêt dans le bien loué dans le
cadre d’une transaction avec le locataire, le saisi.
En première instance, le Juge avait reconnu l’existence
d’un bail entre l’opposante et le débiteur saisi portant sur
deux camions. Cependant, puisqu’il n’y a pas eu
publication de ce bail malgré l’article 1852 C.c.Q., le Juge
de première instance a conclu que le bail n’est pas
opposable à la saisissante et il rejette l’opposition. Le
jugement de première instance a donc pour effet de
permettre à un créancier ordinaire de bénéficier de la
possibilité de faire vendre les biens d’une tierce partie
pour satisfaire les dettes de son débiteur au motif qu’il en
avait la possession en vertu d’un bail non publié. Bref, le
défaut de faire publier le bail par l’opposante en a fait une
sorte de caution réelle des dettes de ce locataire.
En conséquence, puisque la publication du bail ne fait pas
naître le titre de propriété ni les droits du locateur, le Juge
de première instance devait accueillir l’opposition afin de
soustraire les biens loués de la saisie.
La Cour d’appel n’est pas d’accord.
Elle souligne que la publication du bail ne fait pas naître
les droits du locateur ni son titre de propriété, en rappelant
les enseignements de la Cour suprême dans l’affaire de
Lefebvre 1. Elle ne fait que rendre le bail opposable aux
tiers. En d’autres mots, la publicité du bail signale aux
tiers le défaut de titre de propriété du locataire ou la
1
9089-3777 Québec Inc. c. Fischer, C.A. 500-09-021974118, jugement du 11 janvier 2012, Juges Benoît Morin,
Pierre J. Dalphond et Jacques A. Léger.
Lefebre (syndic de) [2003] R.J.Q. 819
-4-
VENTE SOUS CONTRÔLE DE JUSTICE : LA COUR REFUSE QUE LES
HONORAIRES DE LA PERSONNE DÉSIGNÉE ET LA COMMISSION DE L’AGENT
IMMOBILIER SOIENT PAYÉS DÈS LA VENTE ET AVANT L’EXPIRATION DES
DÉLAIS PRÉVUS POUR LA CONTESTATION DE L’ÉTAT DE COLLOCATION.
Un créancier hypothécaire demandait au Tribunal de
modifier les conditions de vente sous contrôle de justice
pour y inclure les dispositions suivantes :
et rappelle que dans un jugement datant de 2001, la Cour
statuait que cet article était d’ordre public 2.
Le Tribunal est d’avis que cette disposition de l’article
910.3 C.p.c. justifie le rejet de la demande. Cependant, le
Tribunal souligne également les dispositions de l’article
1341 C.c.Q. :
« ORDONNER que les honoraires et déboursés de
l’officier et la commission de l’agent immobilier
soient retenus et payés prioritairement à même le
prix de vente, et ce, avant l’expiration des délais
prévus au Code de procédure civile pour la
contestation de l’état de collocation ; »
Art. 1341 C.c.Q. L’administrateur peut déposer les
sommes d’argent dont il est saisi dans une banque,
une caisse d’épargne et de crédit ou un autre
établissement financier, si le dépôt est remboursable
à vue ou sur un avis d’au plus 30 jours.
Le créancier demandait donc de permettre, dès la vente, le
paiement des frais judiciaires de l’officier chargé de la
vente et la commission de l’agent immobilier.
Il peut aussi les déposer pour un terme plus long si
le remboursement du dépôt est pleinement garanti
par l’Autorité des marchés financiers ; autrement, il
ne le peut qu’avec l’autorisation du tribunal, aux
conditions que celui-ci détermine.
La Cour place cette demande dans le contexte théorique
de la vente sous contrôle de justice suivant lequel le
Tribunal fixe les conditions dans lesquelles la vente doit
s’effectuer pour qu’ensuite le produit de la vente soit
distribué conformément aux dispositions applicables en
matière de vente par le Shérif 1.
Le Tribunal refuse donc la demande du créancier
hypothécaire.
La Cour rappelle les dispositions de l’article 910.3 C.p.c. :
Art 910.3 C.p.c. Si, 30 jours après la notification
du projet d’état de collocation, il n’y a pas eu de
contestation, la personne qui a dressé le projet doit
distribuer le produit de la vente comme il est prévu
au projet.
Société Canadienne d’hypothèques et de logement c.
Caron, C.S. 500-17-061734-102, jugement du 12 janvier
2012, Greffier spécial, Me François Leblanc.
Jusqu’à la distribution, le produit de la vente doit
être conservé de la manière prévue à l’article 1341
du Code civil.
2
1
Bombardier Capital Ltée c. Raoul Simard Sport Inc.,
J.E. 2001-2023 (C.S.).
Article 2791 C.c.Q. et articles 910.1 et 712 à 723 C.p.c.
-5-
LORSQU’IL Y A FAILLITE, LE PRODUIT D’UN STRATAGÈME
DE « KITING » CONSTITUE-T-IL UN BIEN DU FAILLI?
C’est la question qui se pose dans cette affaire impliquant
deux débitrices [Location Bristar Idealease Inc. et JeanMarc Brissette Inc.] (les Débitrices), des administrateurs
et des compagnies liées, un syndic, trois banquiers
[Banque Royale du Canada « BRC », Banque
Canadienne Impériale de Commerce « CIBC », Banque
Laurentienne du Canada « BLC »] et un créancier non
garanti [Financement d’Équipement G.E. Canada s.e.n.c.
« GE »].
Selon CIBC, l’approche civiliste offre un équivalent
juridique aux concepts d’équité (equity) et de fiducie par
interprétation (Constructive Trust) qui selon elle, n’ont
plus d’application depuis l’adoption de la Loi
d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil.
CIBC suggère une distribution des prorata des pertes
subies par elle et BRC. CIBC est par ailleurs d’avis que
BRC ne peut faire valoir aucun droit de propriété ou de
suite sur les fonds litigieux puisque les fonds payés par
BRC et crédités à BLC ne peuvent être identifiés parce
que l’argent déposé est un bien fongible.
Le stratagème de « kiting » a impliqué la circulation de
nombreux chèques entre BRC, CIBC et BLC et a connu
son aboutissement lorsque BLC s’en est rendue compte et
y a mis terme en se compensant des sommes qui lui
étaient dues avec celles qui se retrouvaient au compte des
Débitrices et dans lequel il demeurait, en excédent, une
somme de 804 725,00$ au crédit des Débitrices. C’est
cette dernière somme qui fait l’objet de tout le litige.
LE SYNDIC ET GE
Le syndic appuiera la position de GE mais c’est à GE
qu’incombe le rôle de démontrer que les fonds en litige
répondent à la définition de « biens du failli », ce qu’elle
prétend.
Alors que les Débitrices sont devenues faillies, des
sommes importantes sont dues à BRC et à CIBC alors
que, BLC a pu opérer compensation. GE est un créancier
non garanti important des Débitrices. BRC et CIBC, pour
des motifs juridiques et distincts, revendiquent la somme
de 804 725,00$ que détient BLC alors que GE intervient
au débat pour prétendre que cette somme doit bénéficier à
la masse des créanciers.
Selon GE, le mécanisme par lequel les créanciers doivent
faire valoir leur réclamation auprès d’un syndic de faillite
vise à empêcher les créanciers de tous ordres de s’adonner
à une course aux actifs du failli. Tous les actifs du failli,
sans distinction, sont immédiatement dévolus au syndic
lors d’une faillite et le rôle du syndic ne se borne pas à
représenter le failli, il assure aussi la gestion du
patrimoine de celui-ci. Il représente en outre les
créanciers à l’égard desquels il est responsable de la vente
forcée des actifs du failli et de la distribution ordonnée du
produit de cette liquidation et soutient que BRC ne
possède aucun droit de suite sur l’argent avancé aux
Débitrices, mais plutôt un recours de nature personnelle
qu’elle doit maintenant faire valoir par preuve de
réclamation dans la faillite.
BRC
BRC revendique les fonds, s’appuyant sur l’article 437(2)
[pouvoir de recevoir des dépôts] de la Loi sur la banques
et plaidant que la somme détenue par BLC est constituée
du produit d’une fraude commise à ses dépens. Le
produit de la fraude ne peut profiter à la masse des
créanciers puisque le syndic n’a pas plus de droits que
n’en avaient les Débitrices.
Il en est de même pour CIBC. Elle conclut que la somme
litigieuse doit être récupérée par le syndic comme étant un
bien du failli et distribuée suivant l’ordre de collocation
prévu à la LFI.
Elle prétend que le produit du « Kiting » n’est pas un bien
du failli au sens de l’article 67 LFI. À ses yeux, les fonds
détenus par BLC seraient par interprétation détenus en
fiducie pour elle, victime de la fraude. Un syndic n’a pas
de droits sur le produit d’un crime et doit y renoncer.
BRC invite le Tribunal a appliqué la règle de « Ex parte
James » issue de la common law pour conclure que le
syndic ne saurait faire valoir un droit de saisine sur le
produit d’une fraude.
Revoyant toute la situation, le Tribunal détermine les
questions qu’il a à régler :
A)
L’article 437 de la Loi sur les banques est-il
constitutif d’un droit de suite ?
B)
Est-il toujours possible d’appliquer au Québec les
principes de fiducie par interprétation
(Constructive Trust) et de traçabilité ?
C)
Le fondement d’equity qui sous-tend le précédent
de common law rendu dans « Ex parte James »
trouve-t-il application en l’instance ?
CIBC
CIBC plaide que les fonds détenus par BLC sont le
résultat d’opérations illégitimes de la part des Débitrices
et les droits du syndic ne sont pas plus élevés que ceux
des Débitrices.
-6-
D)
Trouve-t-on en droit québécois l’équivalent de la
règle d’equity ?
E)
Comment qualifier la somme détenue par BLC ?
F)
Quels sont les droits que peuvent faire valoir
RBC et CIBC ?
G)
Les fonds en litige répondent-ils à la définition de
« biens du failli » au sens de l’article 67 LFI ?
H)
Le syndic respecte-t-il les principes de bonne foi,
d’équité et de moralité commerciale en exerçant
sa saisine sur le produit du kiting ?
E)
Quelle est donc la qualification de la somme
détenue par BLC ? Considérant que BLC a opéré
compensation entre des sommes qui étaient dans le
compte des Débitrices et qui résultaient du stratagème de
« kiting » et sa propre créance et que cela n’a pas été
contesté à l’audience, il faut conclure que le système
bancaire reconnaît que le bénéficiaire du « kiting » est un
créancier malgré la fraude. Après revue, le Juge en vient
à la conclusion que la somme de 804 725,00$ au crédit
des Débitrices a fait l’objet d’une preuve de réclamation
par BRC dans la faillite, à la hauteur de sa perte.
F)
Les droits que peuvent faire valoir BRC et CIBC
sont, en ce qui concerne la faillite et les Débitrices, des
droits de nature strictement personnelle.
et le Tribunal répond ainsi qu’il suit à ces questions :
G)
En l’instance, la somme en litige constitue une
créance faisant partie des actifs des Débitrices à la date de
la faillite. Exclure le produit de « kiting » aurait pour
effet d’accorder aux banques un statut de créancier
prioritaire que la loi ne leur confère pas. Ni BLC ni les
Débitrices ne peuvent être considérées comme un
fiduciaire de la somme qui fait l’objet du contentieux
entre les parties. Les Débitrices, à la date de la faillite,
détenaient une créance envers BLC et cette créance est un
bien du failli au sens de l’article 67 LFI.
A)
L’article 437 de la Loi sur les banques n’est pas
constitutif d’un droit de suite et ne fait pas échec à l’article
70(1) LFI lorsqu’intervient la faillite. Cet article ne
confère aucun droit dans la chose ni droit de suite. Aux
termes de l’article 70(1) LFI, la faillite a préséance sur les
procédures judiciaires introduites par BRC contre les
débitrices faillies.
B)
La fiducie d’interprétation (Constructive Trust)
n’est pas un concept reconnu par notre droit civil.
Cependant, le principe de traçabilité lui, s’applique en
matière de revendication. Toutefois, en l’instance, le
principe de traçabilité ne s’applique pas en raison du
caractère fongible du bien revendiqué (argent).
H)
L’exercice de la discrétion judiciaire doit céder le
pas à l’application des dispositions d’une loi (LFI),
lorsque celle-ci a comme objet même de régler les
situations d’insolvabilité comme celle qui prévaut en
l’instance. L’enrichissement de la masse des créanciers
est pleinement justifié par l’application de la LFI.
C)
Le fondement d’equity qui sous-tend le précédent
de common law que constitue « Ex parte James » ne peut
trouver application en l’instance, plus particulièrement
compte tenu que l’article 183(1)b) LFI qui attribuait aux
cours de justice siégeant en matière de faillite une
compétence en droit et en équité a été abrogé et remplacé
par l’article 183(1.1) LFI qui fait abstraction des mots « at
law and in equity ». Suivant les règles d’interprétation
fédérales, lorsqu’il est nécessaire de recourir à des règles,
principes ou notions de droit civil, il faut avoir recours
aux règles, principes et notions en vigueur dans chaque
province. L’equity law ne fait pas partie du droit civil du
Québec.
Le Juge conclut donc que le produit du stratagème de
« kiting » mis en œuvre par les Débitrices constituent un
bien du failli dont le syndic a la saisine.
Dans l’affaire de la faillite de Location Bristar Idealease
Inc. et Jean-Marc Brissette Inc., C.S. 500-11-040494-110
et 500-17-064825-113, jugement du 26 janvier 2012, Juge
Jean-Yves Lalonde.
D)
On trouve toutefois en droit québécois
l’équivalent de la règle d’equity dans la notion de bonne
foi et son inclusion et consécration aux articles 6 et 1375
C.c.Q. Le Tribunal indique donc que notre droit civil
permet une équivalence aux principes de l’arrêt « Ex parte
James ».
-7-
PROPOSITION CONCORDATAIRE : ALORS QUE LE FISC CONTRÔLE LE VOTE, LE
PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE PEUT-IL REJETER LES RÉCLAMATIONS DU FISC POUR FINS
DE VOTE COMME ÉTANT ÉVENTUELLES, NON LIQUIDÉES ET IMPOSSIBLES À ÉVALUER?
La débitrice opère une entreprise qui agit comme courtier
dans l’achat et la vente de produits de haute technologie.
Art. 108 LFI
(1) Le président de l’assemblée a le pouvoir, pour
les fins de la votation, d’admettre ou de rejeter une
preuve de réclamation ; sa décision est susceptible
d’appel devant le tribunal.
Elle n’a que peu de dettes, mais elle reçoit des cotisations
du fisc provincial et fédéral totalisant 30 000 000$,
cotisations qu’elle conteste vigoureusement. Comme
c’est le cas en matière fiscale, la débitrice, malgré sa
contestation des cotisations, est tenue de verser
immédiatement à l’État les sommes visées par les avis de
cotisation. Devant l’ampleur des montants en jeu, la
débitrice est dans une situation impossible et ne voit que
le dépôt d’un avis d’intention comme solution, outre une
faillite pure et simple qu’elle ne considère pas.
(2) Par dérogation aux autres dispositions de la
présente loi, le président peut, aux fins de la
votation, accepter une lettre ou un imprimé transmis
par tout moyen de télécommunication comme
preuve de réclamation d’un créancier.
(3) Lorsque le président doute que la preuve d’une
réclamation doive être admise ou rejetée, il note la
preuve comme contestée et permet aux créanciers
de voter, sous réserve d’invalidation du vote, au cas
où la contestation serait maintenue.
Lorsque la débitrice dépose son avis d’intention, le syndic
est au courant de la situation, il connaît la nature des
opérations de la débitrice, il est informé de la teneur des
avis de cotisation et il est familier avec les motifs à
l’appui des contestations des cotisations. Il est conscient
de la raison d’être de l’avis d’intention et il sait que la
débitrice veut continuer en affaires et ne pas déclarer
faillite purement et simplement.
(Nous soulignons.)
Il a été mis en preuve que la débitrice collabore
pleinement avec le fisc pour faire la lumière sur les
événements à l’origine des cotisations et il est évident au
dossier que si les cotisations sont écartées, la débitrice
n’est plus insolvable au sens de la LFI.
La débitrice dépose une proposition singulière. Elle ne
vise que la suspension du processus prévu à la LFI dans
l’attente du dénouement du litige fiscal qui l’oppose au
fisc. La position du fisc est connue : il va voter contre la
proposition. Si le fisc vote, la débitrice sera en faillite, et
ce, avant même de faire valoir ses arguments dans
l’instance fiscale pendante.
La proposition de la débitrice prévoit par ailleurs son
consentement à ce que le syndic agisse comme séquestre
intérimaire dans le but de protéger les éléments d’actif,
pour la durée de la proposition.
Le fisc, quant à lui, soutient que ses preuves de
réclamation sont admissibles en totalité et ne constituent
pas des réclamations éventuelles, non liquidées ou non
prouvables. Il les estime conformes aux exigences de la
LFI et valables pour fins de vote. Il insiste sur le fait que
les cotisations à l’origine de ces preuves de réclamation
jouissent d’une présomption de validité en vertu de la loi
et que ni le syndic ni la Cour supérieure ne peuvent se
substituer aux autorités compétentes pour remettre en
question la validité de ces avis de cotisation.
Lors de l’assemblée pour considérer la proposition, le
syndic déclare les réclamations du fisc inadmissibles pour
fins de vote puisque les réclamations sont éventuelles et
non liquidées, mais également impossibles à évaluer
compte tenu du litige fiscal pendant. Le fisc en appelle de
la décision du Président d’assemblée de déclarer ses
réclamations inadmissibles pour fins de vote.
La question qui se pose au tribunal est donc de savoir si,
aux termes de l’article 108(1) LFI, le syndic pouvait
considérer qu’en fait, les créances fiscales du fisc étaient
pour le moment éventuelles, non liquidées et impossibles
à évaluer, et donc inadmissibles pour fins de vote, ou
était-il plutôt lié en droit par la présomption de validité
qui s’applique à ces créances composées de sommes
prétendument dues en vertu d’avis de cotisation émis
selon la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la taxe de
vente du Québec.
Le syndic, quant à lui, répond qu’il a correctement exercé
les pouvoirs qui sont les siens à titre de Président
d’assemblée aux termes de l’article 108(1) LFI. Il
considère qu’il a l’autorité pour déclarer une réclamation
inadmissible pour fins de vote et il a motivé sa décision
sous ce rapport et en a dûment informé le fisc. Il s’agit ici
de réclamations non seulement éventuelles et non
liquidées, mais également impossible à évaluer vu le litige
fiscal pendant qui devra faire l’objet d’une décision qui
-8-
reste déterminante pour la survie de l’entreprise. Ne pas
rejeter pour fins de vote les réclamations du fisc alors
qu’il y a une contestation sérieuse et de bonne foi
équivaut à faire fi des objectifs élémentaires de la LFI en
matière de proposition puisque le fisc voterait contre la
proposition et contrôlerait le vote, précipitant une faillite.
La Cour d’appel de Colombie-Britannique a maintenu la
décision de première instance, mais l’appel a été rejeté sur
une base autre que celle qui fait l’objet du présent débat.
Dans l’affaire sous étude, le Tribunal considère qu’il ne
doit intervenir qu’en présence d’une erreur de droit de la
part du Président d’assemblée ou d’une erreur manifeste,
palpable et déterminante sur une question de fait.
Le Tribunal est d’avis que le syndic, à titre de Président
de l’assemblée, a correctement exercé le pouvoir qui est le
sien aux termes de l’article 108(1) LFI. Il pouvait
raisonnablement conclure que les créances éventuelles et
non liquidées du fisc étaient impossibles à évaluer
correctement au stade actuel, et, partant, les rejeter pour
fins de vote. À l’opposé, souligne-t-il, la position
défendue par le fisc mène à un résultat illogique,
incompatible avec les objectifs de la LFI et inconséquent
avec les pouvoirs qu’elle accorde nommément au
Président d’assemblée.
Comme Président d’assemblée, le syndic a justement
exercé les pouvoirs que lui attribue l’article 108(1) LFI.
Le syndic pouvait conclure qu’en fait, les réclamations du
fisc se qualifiaient d’éventuelles et non liquidées et non de
réclamations prouvables en raison de l’impossibilité de
les évaluer avec quelque précision. Il n’a certes pas
commis une erreur manifeste, palpable et déterminante en
concluant de cette façon. Il n’a pas non plus fait une
erreur de droit. Le Tribunal estime que dans l’exercice du
pouvoir que lui attribue l’article 108(1), le syndic n’était
pas tenu en droit de considérer comme valides, peu
importe la situation, les avis de cotisation à la base des
preuves de réclamation en litige. Les présomptions de
validité qu’établissent les lois fiscales ne sont pas
incompatibles avec l’exercice de la compétence que la
LFI confère au syndic aux termes des articles 108, 121 ou
135 LFI. Maintenir les propositions du fisc serait de
confirmer que le fisc peut acculer à la faillite une débitrice
sur la seule foi d’un avis de cotisation présumé valide et
face auquel aucun syndic ne pourrait exercer quelque
jugement que ce soit, peu importe le caractère sérieux ou
de bonne foi d’une opposition déposée conformément à la
loi. Le Tribunal ne peut se rallier à cette position qui ne
se justifie pas.
Le Tribunal souligne que le syndic n’a pas rejeté les
réclamations du fisc suivant l’article 135 LFI. Il a
simplement exercé le pouvoir conféré au Président
d’assemblée suivant 108(1) LFI et rejeté les réclamations
pour fins de vote uniquement. De plus, il ne s’agit pas ici
d’un cas où le Président d’assemblée doute que les
preuves de réclamation doivent être admises ou rejetées
au sens où le prévoit l’article 108(3) LFI. Ainsi qu’il en a
témoigné, il est clair pour lui que les preuves de
réclamation du fisc ne peuvent être admises pour fins de
vote en raison de leur caractère éventuel, non liquidé et
impossible à évaluer dans les circonstances prévalant au
moment de l’assemblée.
Il existe au Canada une décision (et une seule) pertinente
rendue sur une question quasi identique et c’est l’affaire
de Port Chevrolet 1, où le Tribunal, en ColombieBritannique, a rejeté une requête similaire du fisc. Dans
cette affaire, le Tribunal avait estimé que quand la LFI
impose à un créancier un processus relatif à sa
réclamation, cela inclut la reconnaissance du pouvoir du
syndic de décider si la réclamation est éventuelle ou
liquidée et, partant, d’exercer les prérogatives que lui
confère l’article 108 lors d’une assemblée des créanciers.
Il souligne que suivant l’article 4.1 LFI, cette loi lie sa
Majesté du Chef du Canada ou d’une province, ce à quoi
aucune disposition de la Loi sur la taxe d’accise ne fait
d’exception.
Finalement, compte tenu du consentement de la débitrice
à la mise en place d’un séquestre pour protéger les
éléments d’actif, le Tribunal ne voit aucun préjudice à
l’égard du fisc.
Dans l’affaire de la proposition de 2713250 Canada Inc.
c. Agence du revenu du Québec, C.S. 500-11-038997108, jugement du 18 novembre 2011, Juge Clément
Gascon.
1
Dans l’affaire de proposition de Port Chevrolet
Oldsmobile Ltd, 2002 BCSC 1874 (CanLII).
-9-
LA THÉORIE DU « MARSHALLING » NE S’APPLIQUE PAS AU QUÉBEC. IL FAUT PLUTÔT
APPLIQUER LA DISTRIBUTION PROPORTIONNELLE PRÉVUE À 2754 C.C.Q. (COUR D’APPEL).
Les immeubles d’une débitrice sont vendus après la
faillite par le syndic à la faillite et il doit y avoir
collocation du prix de vente des immeubles. La débitrice
avait eu avant sa faillite recours à la LACC et elle avait
été autorisée à contracter un prêt temporaire (DIP) au
montant de 2.1 millions garanti par hypothèques ou
sûretés universelles et de rang supérieur à celui de toutes
autres hypothèques, gages et sûretés grevant l’un ou
l’autre de ses biens. Le prêt DIP avait été consenti par
une caisse qui détenait également des prêts hypothécaires
conventionnels de premier rang avec la débitrice. Lors de
la faillite, il est dû à la Caisse une somme de 5.5 M$ dont
2.2 M$ suivant le DIP et 3.3 M$ suivant ses hypothèques
conventionnelles. Des détenteurs d’hypothèques légales
de la construction prétendent à une somme de 1 M$ à
l’égard de certains immeubles de la débitrice dans un
projet spécifique.
justice et que le prix à distribuer soit suffisant pour
acquitter sa créance, proportionnellement à ce qui
reste à distribuer sur leurs prix respectifs.
La Cour constate que l’hypothèse suivant laquelle les
constructeurs ne reçoivent rien de la vente des maisons du
projet spécifique qu’ils ont contribué à édifier est
inéquitable. Par contre, l’application de la superpriorité
suivant le jugement de première instance prive la Caisse
de toute participation dans le produit de la vente des
immeubles du projet spécifique, ce qui, pour la Cour
d’appel pêche par excès dans l’autre sens. En effet, à
même le prêt DIP, la débitrice a consacré plus de 1 M$
pour continuer le projet spécifique et augmenter la valeur
de ces maisons. Les constructeurs en ont profité.
La Caisse objecte à l’application de 2754 C.c.Q. le fait
qu’elle percevra moins au total pour l’ensemble de ses
créances résultant du prêt temporaire et des prêts
antérieurs. Pour tenir ce langage, la Caisse confond ses
créances en une seule alors qu’il ne peut y avoir confusion
des sûretés, celles-ci demeurant distinctes. Le DIP octroie
la superpriorité à l’hypothèque du prêt temporaire et non
aux hypothèques conventionnelles déjà existantes, dont il
ne change en rien les droits afférents. La Caisse soutient
que les conditions de 2754 C.c.Q. ne sont pas satisfaites
puisque les biens n’ont pas été vendus au même moment.
Ce n’est pas une exigence stricte de 2754 C.c.Q. encore
que les termes de cet article impliquent une certaine
concomitance des ventes des biens. Il est vrai que les
biens de la débitrice ont été liquidés par deux voies
différentes. Les immeubles du projet spécifique ont fait
l’objet d’une vente sous contrôle de justice alors que les
autres biens de la débitrice ont été vendus par le syndic à
titre de séquestre nommé par la Caisse. Toutefois, il
s’agit de deux procédures de vente forcée en liquidation
des actifs et les deux processus constituent des ventes
« sous l’autorité de la justice » au sens de l’article 2754
C.c.Q.
La vente des biens par le syndic rapporte 5.8 M$ incluant
les maisons du projet spécifique pour une somme de
1.2 M$. Le syndic prépare un état de collocation pour
distribuer le 1.2 M$ de la vente du projet et, compte tenu
de la collocation en premier rang de la superpriorité DIP,
les constructeurs ne reçoivent rien. Ils contestent l’état de
collocation et demandent de déclarer leurs hypothèques
légales prioritaires aux droits de la Caisse. Le Tribunal de
première instance leur donne raison en appréciant que de
toute façon, avec les autres immeubles, les créances de la
Caisse ne sont pas en péril et seront vraisemblablement
remboursées entièrement, tout en reconnaissant la
superpriorité de la LACC mais estimant justifié une
intervention du Tribunal suivant la clause « come back »
de l’ordonnance initiale et estimant de fait équitable
d’intervenir 1.
Il y a appel. Il est constaté que la répartition des produits
de vente varie considérablement suivant qu’on applique la
superpriorité d’abord sur les immeubles du projet
spécifique et ensuite sur les autres biens ou inversement,
sur les autres biens en premier et sur les immeubles du
projet spécifique en second, ou, troisième hypothèse, si on
répartit selon la règle proportionnelle de l’article 2754
C.c.Q.
La Cour décide donc que la collocation doit se faire
suivant les dispositions de l’article 2754 C.c.Q. de
manière à ce que le DIP soit remboursé à même le produit
de la vente du projet spécifique dans la proportion du
produit brut de cette vente de 1.2 M$ par rapport au
produit brut réalisé par la liquidation de l’ensemble des
biens de la débitrice.
Art. 2754
Lorsque des créanciers de rang postérieur n’ont
d’hypothèque à faire valoir que sur un seul des
biens grevés en faveur d’un même créancier,
l’hypothèque de ce dernier se répartit, si au moins
deux de ces biens sont vendus sous l’autorité de la
1
Voir notre résumé de la décision de première instance
dans l’À Propos Juridique – Printemps 2010.
- 10 -
Par ailleurs, la Cour d’appel réitère que la doctrine du
Marshalling, qui est le pouvoir pour un Tribunal
d’ordonner une distribution du produit de vente de biens
hypothéqués de manière à favoriser un paiement à un
créancier de rang postérieur, ne s’applique pas en droit
québécois et rappelle ses énoncés dans l’affaire de
Central Factors Corp. 1 :
[…] il est irritant de devoir répéter que notre
système de droit civil est autonome.
Maisons Marcoux Inc. (Syndic de), C.A. 200-09007026-104, jugement du 2 février 2012, Juges
Marie-France Bich, Paul Vézina et Richard Wagner.
Le premier juge a désiré introduire dans notre droit
civil la « doctrine of marshelling » dont on peut fort
bien se dispenser.
___________________________
1
Central Factors Corp Ltd c. Imasa Ltd, J.E. 79-318 (C.A.).
PEUT-ON PROCÉDER À LA PRÉINSCRIPTION D’UN RECOURS EN
PASSATION DE TITRE FONDÉ SUR UN DROIT DE PREMIER REFUS ?
Le Tribunal se réfère à l’affaire Lazaro 1, où la Cour
supérieure a ordonné la radiation de l’avis de
préinscription d’un demande en justice en se basant sur la
détermination qu’un pacte de préférence est un droit
personnel et non réel ajoutant que l’exercice d’un droit
personnel susceptible de conférer un droit réel n’est plus
admis à la publication.
Aux termes d’un bail, des parties ont convenu d’un droit
de premier refus en faveur du locataire permettant à ce
dernier de faire l’acquisition prioritaire des lieux loués si
un tiers désire l’acheter.
Le locateur propriétaire procède à la vente de l’immeuble
sans tenir compte du droit de premier refus et sans en
aviser le locataire bénéficiaire du droit de premier refus.
Suite à un acte de rétrocession, le locateur redevient
propriétaire de l’immeuble visé par le droit de premier
refus.
Le Tribunal réfère à la décision d’un juge seul de la Cour
d’appel sur la permission d’en appeler dans l’affaire
Lazaro (Juge Dalphond) qui indique, laconiquement,
qu’un droit de préférence constitue un droit personnel qui
ne peut faire l’objet d’une préinscription.
Le locataire prétend qu’il aurait eu le droit d’acquérir
l’immeuble aux mêmes prix et conditions qu’établis en
faveur de l’acquéreur (avant la rétrocession) et veut faire
valoir ses droits à cet égard. Il s’ensuit une action en
passation de titre et le locataire procède à la préinscription
de l’action en passation de titre. La radiation de cette
préinscription est demandée par le locateur.
Toutefois, l’opinion du Juge de première instance
s’appuyant notamment sur le précédent énoncé du Juge
Dalphond semble ne pas tenir compte de certains
éléments de la décision de la Cour d’appel (banc de trois
juges) dans Aéroterm de Montréal Inc. c. Banque Royale
du Canada 2 qui, de façon unanime, indique ce qui suit :
Le Tribunal rappelle les dispositions de l’article 2966
C.c.Q. :
Aux termes de l’article 2966, la demande en justice
« qui concerne un droit réel soumis ou admis à
l’inscription sur le registre foncier » peut faire
l’objet d’une préinscription. Ainsi, l’acte de vente,
transférant la propriété d’un immeuble du vendeur à
l’acheteur, est soumis à la publicité puisque
constitutif de droit réel ; il en est de même du
jugement découlant de l’action en passation de titre
puisqu’il tient lieu du titre de propriété (article 1712
Art. 2966. Toute demande en justice qui concerne
un droit réel soumis ou admis à l’inscription sur le
registre foncier, peut, au moyen d’un avis, faire
l’objet d’une préinscription.
et rappelle qu’il admis tant par les auteurs que par la
jurisprudence que le droit de premier refus est un droit
personnel et non réel.
1
Lazaro c. Banque Royale du Canada, 2011 QCCS
2576 (C.S.).
2
Aéroterm de Montréal Inc. c. Banque Royale du
Canada, 1998 Canlii 12730 (CA).
- 11 -
C.c.Q.). L’action en passation de titre concerne
donc un droit réel soumis à l’inscription sur le
registre foncier et peut, en conséquence, faire l’objet
d’une préinscription.
On peut peut-être à juste titre se demander qu’est-ce qui
peut faire l’objet d’une préinscription si un recours en
passation de titre ne le peut.
La question est-elle définitivement tranchée ?
[…], je suis toutefois d’avis qu’en matière de
recours ouverts aux parties à une promesse
bilatérale de vente ou d’achat, seule l’action en
passation de titre peut faire l’objet d’une telle
préinscription. Le recours en exécution forcée en
nature des obligations prises par un promettantvendeur, à l’exclusion de l’obligation de passer
titre, est un recours personnel qui ne peut faire
l’objet d’une telle préinscription.
Metro Richelieu Inc. c. 3587941 Canada Inc. et als. , C.S.
500-17-066260-111, jugement du 20 octobre 2011, Juge
Pierre Jasmin.
[Nous soulignons.]
L’équipe du droit de la réalisation des sûretés,
insolvabilité et réorganisations de Miller Thomson Pouliot sencrl
Robert Tessier
Louis Coallier
Stéphane Hébert
Serge Amar
Yves Robillard
Fadi Amine
Smaranda Mihalachi
Julien Morier
MILLER THOMSON POULIOT, SENCRL
Hiver 2012
- 12 -
INSCRIPTION/MODIFICATION
Inscription
Modification
S’il s’agit d’une inscription, veuillez compléter les renseignements suivants. S’il s’agit d’une
modification, veuillez indiquer les renseignements tels qu’ils doivent apparaître après la
correction ou la modification.
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NOM DE L’ENTREPRISE :
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À l’attention de : Hélène Groleau
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