Deux grandes personnalités de Coire, à cent

Transcription

Deux grandes personnalités de Coire, à cent
Entre Genève
ET COIRE
Un éducateur, un diplomate
et un président
Par Joëlle Kuntz
D
eux grandes personnalités de Coire, à centcinquante ans de distance, ont étendu leurs
bienfaits sur Genève: un éducateur, Martin
Planta, au milieu du XVIIIe siècle, et un conseiller
fédéral, Félix Calonder, au début du XXe.
étaient destinés. Le séminaire forma d’ailleurs la plupart
des cadres de la République helvétique, dont le vaudois
Frédéric-César de La Harpe, futur précepteur du tsar
Alexandre de Russie puis l’allié de Bonaparte dans les
affaires suisses.
Genève honore par le nom d’une avenue la mémoire de
Charles Pictet de Rochemont, l’homme qui a négocié des
conditions du rattachement de la République à la Confédération lors du Congrès de Vienne, il y a deux cents ans.
Elle célèbre ses talents diplomatiques, son ouverture de
caractère qui le rendait aimable aux cours européennes,
sa facilité d’expression dans les langues les plus importantes, sa perspicacité dans l’analyse des situations. Or
tout cela, et plus encore, Pictet de Rochemont le doit à
la formation reçue depuis l’âge de 13 ans au séminaire
fondé en 1761 à Haldenstein, près de Coire, par Martin
Planta, pasteur touche-à-tout, physicien, inventeur d’un
bateau à vapeur, pédagogue surtout, fortement influencé
par Rousseau.
L’habile formulation de la neutralité suisse que l’ancien
élève de Martin Planta avait obtenue du Congrès de
Vienne en 1815 fut soumise un siècle plus tard à sa première grande épreuve juridique: allait-elle permettre
à la Confédération d’adhérer à la Société des Nations,
l’organisation de sécurité internationale inventée en 1919
par les vainqueurs de la Première guerre mondiale avec
le projet de l’installer à Genève? La neutralité était-elle
compatible avec l’engagement que prenaient les nations
de combattre ensemble les agresseurs et autres fauteurs
de guerre? Ce fut le Grison Félix Calonder, professeur de
droit avant d’être conseiller fédéral, qui trouva la solution: la neutralité, expliqua-t-il, peut être «absolue» ou
«différenciée». En temps de guerre, elle doit être absolue;
en temps de paix, elle peut être différenciée, c’est-à-dire
que la Suisse peut s’associer aux sanctions économiques
que les nations prendraient contre celle qui mettrait la
paix en danger. «La possibilité de jeter les bases d’une
association susceptible d’assurer la paix des peuples ne
se représentera pas de sitôt, dit-il au Conseil des Etats
pour justifier sa réflexion. Et cette possibilité, nous la
devons à l’extrême difficulté des temps.»
Planta avait ouvert son établissement avec le soutien
des hommes éclairés de son entourage, Ulysse de SalisMarschlins, la Société helvétique de Schinznach et même
la Diète des Grisons, qui en avaient vite propagé la
réputation. Les parents Pictet, hostiles au bannissement
de Rousseau par l’oligarchie genevoise et à l’interdiction
de ses livres politiques, L’Emile et le Contrat social, brûlés
sur la place publique, s’étaient fait un point d’honneur
de confier leur deuxième fils pendant sept ans à Martin
Planta, pour qu’il reçoive auprès de lui une éducation
d’avant-garde.
Une cinquantaine de garçons recevaient à Haldenstein
un enseignement des langues, français, allemand, italien,
de l’histoire et de la géographie, des mathématiques, de
la logique, de la musique et de la danse. Les exercices du
corps et les travaux manuels complétaient une pédagogie
nourrie de l’idéal républicain, dont le but était de préparer
les jeunes gens aux hautes carrières auxquelles ils
Calonder fut assez convaincant pour amollir les oppositions
de droite comme de gauche et obtenir en novembre 1919
l’accord des deux chambres sur son interprétation de la
neutralité. La promesse, même incertaine, d’une paix internationale fondée sur le droit, et le rôle de gardienne
que pourraient y jouer Genève et la Suisse avaient libéré
chez lui l’imagination juridique. Le peuple lui donna
raison en votant pour l’adhésion l’année suivante.
Genève lui doit la position de ville internationale que lui
avait enviée Bruxelles jusqu’au dernier moment.