Dominique A - Le Trident - Scène nationale de Cherbourg

Transcription

Dominique A - Le Trident - Scène nationale de Cherbourg
© Maria Mochnacz
Dominique A
Théâtre à l’Italienne
Le vendredi 11 décembre I 20h45 I Chanson
Ouverture de billetterie 26 septembre
Tarif B
Saison 2009.2010
Saison 2009.2010
All © Maria Mochnacz album
Dominique A
Chant, guitare Dominique A
Clavier David Euderte
Batterie Sébastien Buffet
Guitare Thomas Poli
En partenariat avec Atagatomuzi-k
Durée 1h30.
1 Trident
La biographie de Dominique A
Nouvel album « La Musique» (Cinq7/Wagram), avril 2009
C’est une formule qui vaut ce qu’elle vaut et je pense que je devrai la décliner à l’infini : quand on
me demandait ce que j’étais en train de faire, je disais que je faisais La Fossette version Red Bull.
Voilà déjà une bonne métaphore. Il va en surgir bien d’autres sous la plume des critiques, comme
chaque fois que sort un nouvel album de Dominique A et que ses intentions se dévoilent au grand
jour. Car, après les grands espaces de L’Horizon et le lyrisme de la longue tournée qui a suivi, il
revient avec un disque enregistré en solo à la maison, comme l’était son premier album, il y a
seize ans. Mais, entretemps, le jeune homme aux chansons décharnées est devenu un des talents
les plus affirmés de la scène française.
Il explique : Dans ce disque, il y a l’idée de revenir à un fonctionnement solitaire, à cette nuance
près que maintenant il y a quelques personnes susceptibles de m’écouter. Et aussi que je ne veux
pas jouer sur une fragilité, sur une neutralité du chant. J’ai voulu savoir ce que je peux donner
maintenant, à domicile, avec des instruments qui ressemblent peu ou prou aux instruments que
j’avais avant, et avec quinze ans d’expérience musicale.
En novembre 2007, il a donné les derniers concerts de sa tournée au Centre Georges-Pompidou,
quelques semaines après la parution de Sur nos forces motrices, son album live récapitulant toute
sa carrière. Puis il est parti en congé sabbatique. Enfin, un congé à la Dominique A… Ce métier est
tellement lié au déplacement qu’à partir du moment où je suis chez moi, je considère que c’est le
sabbat. J’ai enregistré à la maison, mixé tout près : je n’ai pas eu l’impression de travailler.
Après plusieurs tournées guitaristiquement intenses, il a envie de claviers, en même temps que lui
revient le désir de travailler un peu seul, sur un petit huit-pistes. Première surprise : il achète
finalement un trente-deux-pistes numérique. Deuxième surprise : lorsqu’il fait entendre ses
premières démos enregistrées à la maison, son entourage professionnel l’engage à l’autarcie.
D’habitude, on me dit que je devrais faire appel à d’autres gens pour les arrangements ou pour
réenregistrer certains instruments. Là, on me disait : si tu fais venir quelqu’un d’autre, tu vas perdre
quelque chose.
Car ce sont vraiment des couleurs inattendues qu’explore Dominique pendant des mois. Dès les
premières notes de la première chanson de l’album, Le Sens, on est à mille lieues du son
dominant d’aujourd’hui. Rythmiques synthétiques à trois sous, clavier au son dru, rythmique rêche…
J’en ai marre du son acoustique à la française, des guitares folk et du micro bien placé. J’avais
envie de synthés un peu pourris, de boîtes à rythmes pas très performantes, de rentrer les guitares
directement dans la console sans passer par un bel ampli… La voix et les guitares acoustiques
sont les seuls enregistrements avec micro. J’ai encouragé Dominique Brusson (déjà aux manettes
pour L’Horizon) à aller vers des sons de studio très artificiels, vers un fonctionnement un peu impur
- le terme est malheureux, je sais - sans chercher le bien-enregistrer.
Plutôt que de tout caler, on a fait en sorte qu’il y ait des dérapages, que les choses soient un peu
branlantes. Par exemple, j’ai joué certaines boîtes à rythmes plutôt que les programmer, pour que
ça ne sonne pas comme de la musique sur ordinateur. Ce faisant, Dominique A assume une part
de sa généalogie musicale sur laquelle il ne s’était guère étendu jusqu’alors : il y a dans cet
album des parentés avouées avec Blue Nile ou avec Orchestral Manœuvres in the Dark, des
phrases mélodiques un peu stupides, un peu variétés, un peu kitsch.
Pas de revival de la new wave du Top 50, mais l’envie d’un disque rythmiquement très affirmé,
très tenu. Sur mes disques précédents, il y avait toujours un morceau un petit peu plus difficile qui
faisait contrepoids avec des choses plus évidentes. Cette fois-ci, j’avais envie d’un disque presque
pop dans l’esprit, un disque dont chaque morceau a un impact fort.
Autrement dit, La Musique dévoile un Dominique A à la fois plus singulier et plus accessible que
jamais. Il a toujours ses mélodies qui sinuent en peu de notes, sa voix chaude au lyrisme un peu
désenchanté, son regard oblique et incisif sur notre monde, on se fait saisir par des refrains
diablement séduisants, on se trouve à la fin de l’écoute avec des airs plein la tête… Oui, ça
ressemble à de la pop, mais une pop raffinée et brute à la fois, une pop enjouée, rigoriste,
radieuse, nordique, mélodieuse, trapue, généreuse…
2 Trident
Pour éclairer, pour compléter, pour accompagner La Musique auprès de ses fidèles, Dominique A
sort aussi La Matière. La Musique est un disque plus cohérent. Je voulais un second disque qui soit
une auberge espagnole, avec des chansons très différentes les unes des autres. La Musique sort
en deux formules : en double-album avec les deux disques et en album simple. Mais La Matière ne
sera pas vendu de manière indépendante. Au huitième album, je me dis que ce ne serait pas mal
que ceux qui ne m’aiment pas puissent un jour m’aimer. On peut s’intéresser à ce que je fais en
arrivant par La Musique. La Matière est pour les gens qui me suivent déjà.
3 Trident
Les extraits de presse
Libération.fr, le 10 juin 2009, Philippe Brochen
Dominique A : l’ambition ne me va pas
Doux et brutal. Dépouillé et luxuriant. Céleste et organique. Ces grands écarts, Dominique A les
cimente en solo dans son dernier album la Musique, dont il signe tous les textes et musiques, et a
enregistré entre janvier et septembre 2008 tous les morceaux chez lui en jouant de tous les
instruments.
Même s’il a été lustré au mixage par Dominique Brusson, ce huitième album du grand déconneur
(oui, on ne l’imagine pas ainsi…) renoue avec l’ascétisme des débuts (la Fossette, 1992) sur le plan
architectural et organisationnel, mais tisse aussi un joli pont avec les ambiances amples et
lyriques de ses albums les plus produits (l’Horizon, 2006). Autant dire que les inconditionnels du
Français exilé à Bruxelles se frotteront les mains et pourront y voir un genre de best of.
A commencer par les deux premiers morceaux, sur douze. Car si le blanc séparant le Sens et
Immortels ne dure que le temps d’un souffle, dix-sept années s’y nichent, résumant la quête de
Dominique A. Comme «deux faces d’une même pièce», métaphorise l’intéressé, qui met de fait en
avant ses deux gimmicks d’écriture : quand le Sens parle à la première personne, Immortels
s’adresse à l’autre («tu»). Schizo? Pluriel plutôt. Comme son univers et ses influences. Ecoutons
cet auteur-compositeur-interprète français magnétique s’en expliquer.
Ecriture. Les thèmes abordés dans la Musique sont habituels chez moi : fuite, déplacement,
identité. J’adore broder là-dessus. Je suis dans ce pré carré depuis mes débuts.
Ambition. C’est un album ludique et ramassé. C’est quand je n’en ai rien à carrer que je suis
convaincant. L’ambition ne me va pas. C’est dans la désinvolture que j’arrive à cracher le morceau.
Chemin parcouru. Je ne suis pas foncièrement différent, même si moins frileux. Mais on ne se voit
pas forcément comme on est. Quand on dit mon chant plus distancié aujourd’hui, moi j’ai
l’impression d’être expansif ! Une chose est sûre : j’ai baissé ma garde.
Travail en solitaire. Dans ce type de répertoire, c’est le registre d’histoires précises, intimes, dans
la confidence. Cela s’accommode mal du travail avec autrui. Pourtant, je ne voulais pas faire ce
disque seul. C’est mon premier solo depuis la Fossette. Mais au fil du temps, il s’est imposé. Et
finalement, c’est ce que j’attendais. Au bout d’un moment, j’avais tellement arrangé les chansons
que cela ne laissait pas de place pour d’autres. Si c’est volontaire ? Disons roué, semi-conscient.
Boucles électriques. J’en ai marre de faire du tricot sur scène. Je cherche à échapper au
systématisme. Il y a beaucoup de claviers sur la Musique, pourtant je ne suis pas claviériste. Ce
n’est pas un disque de guitares, pourtant je suis guitariste. Je compose à la guitare mais fais les
arrangements sur clavier. Finalement, j’y ai plus d’idées de mélodies et d’harmonies.
«Qui es-tu?» (chanson de «la Musique»). Je m’en fous, je ne me pose pas la question. J’aime
l’idée d’être opaque à soi-même. Je fais la différence entre l’artiste et la personne sociale. Si
j’écoute mes disques, je me dis que ce n’est pas moi. Sur scène, je suis dans un abandon, je perds
pied ; c’est ce que je cherche. Pour tout dire, dans mon travail, je suis en quête d’une beauté que
je n’attribue pas à ma personne. Mes chansons sont plus belles que moi. Heureusement.
Le Figaroscope, le 10 juin 2009, Stéphane Koechlin
Dominique A
Depuis quinze ans, Dominique A aura réussi à faire parler de lui sans bruit superflu. Chez cet
artiste, il n'y a pas de textes complaisants, de poncifs, mais une musicalité contemplative, qui
associe la chanson à une patte sonore singulière. Bien sûr, dans son envie de dépasser le canevas
classique, il n'a pas toujours évité l'incompréhension. On se souvient de la belle fluidité
de son album La Mémoire neuve (1995), et de la chanson Le 22 Bar, puis des expériences plus
radicales, Remué (1999). Si elles ont éloigné Mister A du grand public, elles lui ont permis de
donner un nouvel alphabet à une scène française enfin décomplexée. […]
4 Trident
VoxPopMagcom, entretien réalisé par Maxime Chamoux
DOMINIQUE A : Ne pas emmerder tout le monde tout simplement
Commençons avec ce qui ressemble à un paradoxe : ce nouvel album s’intitule La Musique
mais ce sont avant les mots qu’on exhibe sur la pochette…
Il n’y a pas de signification particulière derrière tout ça. On a gardé cette photo davantage pour la
posture, un peu penchée, que pour ce à quoi elle renvoie…. Mais c’est drôle, tu es la deuxième
personne à m’en parler aujourd’hui. Comme quoi on se fait toujours rattraper par ce à quoi les gens
vous identifient ; moi j’ai ce bandana sur la tête de « chanteur littéraire » et, comme un couillon,
j’apparais avec des mots derrière sur un tableau noir ! On n’échappe pas à son destin (sourire) !
Y a-t-il eu un texte point de départ dans l’élaboration de La Musique ?
Bizarrement, je crois que le texte de Qui es-tu ? a mis en route quelque chose. Je dis bizarrement,
car au niveau littéraire, c’est un texte qui passe sous une porte, c’est plat à mourir. Mais justement,
l’idée était de reprendre les clichés de néo-chanson réaliste française – la chanson
« d’appartement » – et de les passer au tamis pour en éliminer les images, les métaphores, n’y
laisser plus rien finalement, et essayer d’en faire un truc un peu flippant, une vision du couple
assez inquiétante. Ça a été le point de départ parce que je me suis rendu compte d’à quel point
j’avais envie d’expurger ce qui faisait le style de L’Horizon (son précédent album, sorti en 2006 –
ndlr) – sans que ce soit un déni, juste pour faire autre chose – et d’être dans une narration
squelettique et quasi-inexistante. En tout cas, ne pas être dans un déroulement, une chansonfleuve. Je voulais redonner de l’espace à la musique elle-même, sans trop mettre les choses en
situation, pour éviter le côté « petite nouvelle mise en musique » comme c’était le cas par
exemple, sur des chansons comme L’Horizon, Music-Hall ou Rue des Marais. Il me fallait revenir au
format « chanson », avec un texte plus ramassé.
La Musique est un album musicalement assez resserré, mais textuellement très ample,
pointé vers l’Ailleurs. L’Horizon, ton précédent album, fonctionnait de manière exactement
inverse, comme un symétrique. Jusqu’où va, chez toi, ce genre de petites gymnastiques
théoriques ?
Pas très loin, en réalité. Mes envies, finalement, sont toujours rattachées à la musique. Donc le
propos a souvent tendance à la suivre. Pour moi, c’est toujours de la fiction. Il y a toujours une
part de retrait, de distance, entre ce que je chante et moi. Quand je chante, au début du disque
« j’ai pas trouvé le sens », ça fait écho à « ‘nous n’irons pas plus loin’, te dit le capitaine », sur
L’Horizon : c’est un point de vue assez démoralisant sur ce qui va se passer. J’aime bien cette idée
de prendre les choses à rebours. Il ne s’agit pas de mes éventuels points de vue sur la vie, ce sont
simplement des personnages mis en scène. Et puis, je n’ai eu tant que ça l’impression de prendre
le large : les trois premières chansons de l’album commencent pas je. Je ne m’en suis rendu
compte qu’après coup, car il y a toujours une part de fiction. Et puis, à partir du moment où,
musicalement, l’album est resserré autour de mon unique contribution, il était clair qu’il n’y avait
plus de contrepoint musical pour élargir. Il n’y avait plus qu’un souci d’harmonies, et même de
types d’accords. Je me suis donc parfois forcé à utiliser du majeur pour gagner en luminosité,
« désassombrir » un peu tout ça. C’est un jeu permanent avec la noirceur inhérente à ce type de
chanson, mêlé à une volonté de ne pas emmerder le monde, tout simplement. Tendre assez de
perches encourageantes pour ne pas plomber l’histoire.
L’élaboration d’une chanson comme Qui es-tu ?, autour d’un texte le « plus plat possible »,
participe-t-elle d’une hantise de la métaphore ? La considères-tu comme l’une des plaies de
l’écriture « à la française » ?
On peut fonctionner de façon imagée, voire même parfois être dans l’onirisme sans forcément
verser dans la métaphore ou dans la volonté du symbole. Les gens me parlent par exemple du
Bruit Blanc de l’Eté comme d’une chronique socio-politique très déguisée qui parlerait de « celuidont-il-ne-faut-pas-dire-le-nom »… On peut effectivement l’interpréter comme ça, mais ça n’était
pas mon but. Moi, je voulais juste parler de l’été qui évacue tout, avec cette espèce d’indifférence
à tout, cette sensation de bruit blanc qui masquerait le reste… Si métaphore il y a, il n’y a rien
derrière. C’est juste l’image qui m’intéressait. Un texte comme Le Sens aussi peut être pris de
façon très littérale, avec des mots très simples, dans un registre de banalité total, sans pour
autant être inintéressant. C’est son rapport à la musique qui lui donne du relief.
Justement, dans cette chanson, tu chantes « j’ai pas trouvé le sens », qui peut être compris
comme un aveu d’échec tout autant que comme une déclaration d’intention à l’égard de
cette chanson française obsédée par le « faire sens »…
5 Trident
Ce qui m’a particulièrement gavé, par rapport à la scène française en général, c’est le son. J’avais
la volonté tenace d’échapper à ce « tout acoustique », qui est une vraie plaie. Il y avait donc une
certaine jubilation à prendre ce contre-pied, d’autant plus que L’Horizon était largement basé sur la
guitare folk. L’Horizon était un album qui, par les thèmes abordés et la façon de les aborder, se
situait contre le tout-venant de la nouvelle chanson française. La Musique place cette opposition
au niveau du son. Je trouve la mode, pas uniquement française d’ailleurs, du « back to basics »,
de l’illusoire « pureté du son » assez flippante, en fait. Mon but était donc de faire un disque
« musicalement impur », avec des sons un peu pourris, et enregistré de façon non pas lo-fi, mais
en prenant l’option, par exemple, de brancher la guitare directement dans la console, sans passer
par un ampli. Comme une sorte de cahier des charges qui compilerait tout ce qui est un peu honni
actuellement.
La création d’un album comme La Musique s’accompagne-t-elle de nouvelles lectures ?
J’ai essayé, plus encore que par le passé, d’évacuer l’aspect littéraire des choses. Par contre il y a
sur La Matière, la face B de La Musique, une chanson qui est une référence explicite à une lecture:
Barbara de Kalvalid, du nom du personnage d’un roman qui se passe aux Îles Féroé. C’est une
drôle d’histoire, d’ailleurs : suite à ce roman, je suis allé avec ma copine aux Îles Féroé, et nous
nous sommes rendus compte que le personnage du roman correspondait à une femme qui avait
réellement vécu deux siècles auparavant. Nous avons suivi ces traces là-bas, tout en relisant le
bouquin, qui n’est plus édité depuis belle lurette. De retour en France, j’écris une chronique dessus
dans TGV Magazine, et la femme qui s’occupait des éditions de ce roman il y a quinze ans chez
Actes Sud lit le papier, et décide de le faire rééditer ! L’Horizon comprenait encore 2-3 chansons
directement inspirées par des livres, mais là pour « La Musique », j’ai ressenti cette volonté de
mise à distance de la littérature. Avant, je faisais passer dans mes chansons une partie de ma
frustration de ne pas être « en littérature », comme on dit. Le fait de m’autoriser et de me
reconnaître certaines aspirations dans ce domaine, comme par exemple ce petit bouquin pour la
Machine à Cailloux (Un Bon Chanteur Mort publié l’an dernier – ndlr), libère la chanson de cet
aspect littéraire. Et la musique se fait l’écho de ce processus, puisque j’ai enregistré le disque en
même temps que j’écrivais le bouquin. La littérature reflue donc dans mes textes de chansons à
mesure qu’elle prend de la place dans ma pratique liée à l’écriture.
Quels enseignements as-tu retiré de l’écriture de cet essai ?
Qu’il n’y a rien de plus dur que d’écrire - voilà ce que j’en retire. Il n’y a rien de plus dur que
d’assumer que des arbres soient coupés pour fabriquer un livre qui porte ton nom. C’est d’ailleurs
là-dessus que je termine dans Un Bon Chanteur Mort : quand j’ai eu les premières chroniques pour
mon premier disque, c’est comme si quelqu’un m’avait dit « tu as le droit ». En littérature, j’ai
l’impression qu’on vient de me donner un droit. C’est une légitimité que tu ne te permets pas, qui
vient au fur et à mesure parce qu’on n’est pas éternel et qu’à un moment il faut s’y mettre ! Ceci
dit, la chanson reste mon domaine avant tout, la littérature ne supplantera pas mon activité de
chanteur. Il y a tout, dans la chanson : un travail sur l’écriture, ce grand bain amniotique qu’est la
musique et il y a le physique, dans le fait de jouer cette musique, sur scène ou en studio. C’est
une activité très complète, qui me comble.
DOMINIQUE A : Il faut parfois casser la musique
Dans Un Bon Chanteur Mort, tu décris le français comme une « plaine, pas forcément morne ».
A quelles contraintes (mélodiques, rythmiques) s’expose-t-on lorsque l’on choisit le français
comme langue de chant ?
Je passe mon temps à essayer de me contredire moi-même. En caricaturant, presque chacune de
mes chansons a pour raison d’être d’aller à l’encontre de ce que je pense du français sur de la
musique. Il faut qu’il y ait un déclic du style : « tiens, ça c’est faisable avec du français ». Il y a
des limites réelles liées à la phonétique, mais il ne tient qu’à nous de les faire voler en éclats. Je
me rappelle une anecdote, qui a été assez éclairante pour moi à ce sujet. Il y a quelque temps, je
me suis rendu en Allemagne pour assister à une soirée organisée par Le Pop, un label qui distribue
des artistes français là-bas. C’était une soirée dansante, et ils ne passaient que des chansons
françaises d’hier et d’aujourd’hui. Et c’était sidérant de voir à quel point, hors contexte, le français
fonctionnait vachement bien sur de la musique dansante. Or, tu ne pouvais t’en apercevoir que vu
« de l’extérieur ». Tu t’imagines mal, ici, des gens organiser des soirées « frenchy » un peu
branchées et danser sur du français autrement que d’un point de vue strictement kitsch : ça fait
partie de ce que je considère comme une forme d’orgueil, cette tendance très française à l’autodépréciation, qui est une plaie aussi. En France, on hésite toujours entre un chauvinisme à tout crin
qui fait que n’importe quelle daube néo-réaliste faisant écho au passé est sanctifié par des médias
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parfois assez pointus, et la litanie selon laquelle « de toutes façons en France, il se passe rien ».
La vérité est juste au milieu.
Je me suis souviens d’une interview où Benjamin Biolay racontait les conseils que lui avait
donnés Hubert Mounier pour écrire en français. Il y avait, par exemple, « éviter les adverbes
en trois syllabes ». Te fixes-tu aussi ce genre de règles ?
(Amusé) Non, pas vraiment… Ma seule règle, si toutefois j’en ai une, c’est d’utiliser un vocabulaire
simple. Pas limité, mais simple. Après, tu as toujours des exceptions : dans la chanson La Musique,
par exemple, j’utilise le mot « sybarite », mais d’une façon qui tient plus du trait d’esprit. C’est
réjouissant de l’employer parce qu’il n’y en a qu’un, que j’aime bien la façon dont il sonne, ça me
fait penser à Syd Barrett, et. Ça me fait marrer, en somme. Et mettre « glandeur » juste après,
c’est une façon jouer sur le langage dans une chanson. J’ai aussi tendance à éviter les mots en
« -ation » ou « -ement », qui sonnent peut-être un peu trop administratifs (rires) ! Encore que ça
peut être chouette de faire une chanson qui s’appelle « L’Administration » en d’en faire quelque
chose d’assez planant !
Quand on réécoute tes albums, on repère çà et là certains mots dont on sent que tu les
affectionnes particulièrement, et pour une raison bien précise. Je pense par exemple à
« aviné », qui est un mot suffisamment rare en chanson pour qu’on le remarque lorsqu’il
revient chez toi. D’où te vient cette affection pour ce genre de mots ?
De ma mère. Ou plutôt du parler de ma mère. Elle a aujourd’hui 77 ans, et elle a longtemps vécu à
Saint-Ouen dans un environnement hyper prolétaire, où avait particulièrement cours ce genre de
mots comme « aviné », effectivement, un peu vieillot, un peu désuet, qui sent un peu les années
30, l’entre-deux guerres. J’ai plein d’expressions toutes faites, comme ça. Du coup, ma copine, qui
est un peu plus jeune que moi, me reprend souvent… Elle me dit : « mais d’où tu sors ça ? »
(sourire). De ma mère…
À l’inverse, existe-t-il des mots dont tu détestes la sonorité et que tu n’emploieras jamais
dans une chanson ?
Il y en a des tas ! Mais aucun ne me vient à l’esprit, là… Surtout, il y a parfois dans les textes de
gens qui veulent raconter quelque chose en français des tournures inutilement sophistiquées. Ça
me fait ça aussi en littérature française : quand je sens une trop grande aisance avec le langage,
qu’on veut être drôle sans l’être, quand ça « circonvolue », quand ça se regarde écrire, ça me gêne
énormément. Je ne suis pas un adepte de l’écriture « blanche », mais il y a par exemple un auteur
français que j’aime beaucoup, François Vergne. Ce n’est pas blanc, comme écriture ; c’est « blanc
cassé » : il y a une sorte de clarté absolue, mise en relation avec le mystère qui émane de ses
textes… Une écriture blanche qui ne débouche pas sur du mystère n’a aucun charme, à mon sens.
J’aime sentir la permanence d’autre chose via un langage à ras de terre. C’est un peu comme le
fait de parler de Dieu sans jamais en parler. Faire sentir, approcher une chose en parlant d’autre
chose. Ça, c’est très fort. Vergne a écrit un bouquin qui parle d’un deuil et tu ne sais rien, tu sens
juste un léger quelque chose, diffus. Quand la révélation arrive, puisqu’il faut bien qu’elle arrive,
c’est un vrai soulagement. Ça n’est pas que tu l’attendais ; c’est plutôt que tu ne savais pas que tu
l’attendais (sourire). C’est un vrai tour de force, le nec plus ultra.
Dans Un Bon Chanteur Mort, tu dis utiliser avant tout l’octosyllabe ou l’alexandrin pour tes
textes car « ça fait poésie ». Est-ce une façon détournée de légitimer ton écriture, largement
influencée par le roman, genre littéraire « impur » s’il en est ?
Pas vraiment, non. C’est avant tout une question de rythmique. Après, par la pratique, il s’agira de
casser cette rythmique par une disposition des mots un peu heurtée parfois, qui permet de ne pas
trop faire sentir la litanie de ces deux formes de métrique. Souvent, j’ écoute des collègues qui les
utilisent aussi, et je n’entends plus que ça. C’est insupportable. Je ne dis pas que j’évite ce piège à
chaque fois, mais ça n’est pas forcément le meilleur moyen d’avoir une approche musicale de la
langue. Justement, pour avoir de la musique, il faut parfois casser la musique. Car la musique de
l’alexandrin ou de l’octosyllabe est tellement forte que si tu ne la casses pas, elle prend toute la
place, et tu n’as plus de place pour une autre. Quand j’ai un bon texte écrit de façon très classique
et rigide, je le garde comme tel et je me dis qu’à l’écoute, il faudra qu’on le sente le moins
possible.
Par le passé, t’es-tu déjà senti « complexé » face à des Cohen, des Dylan ou des Brel, tous
ces songwriters « lettrés » qui, eux, tirent clairement leurs influences du côté de la poésie ?
Non, jamais. J’ai eu la prétention de me dire que, sans arriver à leur niveau, je faisais le même
boulot. Brel n’est pas un bon exemple à mon sens, car il n’est vraiment pas un littéraire. Il a ce
génie intuitif de la chanson comme art populaire qui échappe à la littérature ou à la poésie. Mais
je ne me risque jamais à la comparaison. Il faut faire du mieux qu’on peut avec la personnalité
7 Trident
qu’on a. À mes yeux, il n’y a d’absolu que l’absolu numérique : le nombre de gens, par exemple,
qui vont te dire que Dylan c’est génial. Pour le reste, il y a en ce qui me concerne des petits
maîtres que j’adule et qui me touchent autant que les « grands ». Je me méfie depuis toujours
des icônes. L’icône, c’est toujours un arbre qui cache la forêt.
Lors de notre dernière rencontre, tu disais à propos de tes goûts musicaux : « il faut que ce
soit gothique ». Qu’en est-il pour les livres ?
(Rires) Pour que ça me plaise vraiment, il faut que ce soit gothique aussi ! C’est marrant car je
suis justement dans un état d’esprit où je… (Il réfléchit) J’ai l’impression que c’est une limitation
que de parler de l’humain, d’évoquer des choses justes en ayant sans cesse pour référent l’humain.
On devrait pouvoir parler d’autre chose. Il est troublant de ne pouvoir être viscéralement touché que
par des choses qui renvoient à la condition humaine. Alors, évidemment, par quoi d’autre ? Mais
tout de même. Parfois je me demande s’il n’y aurait possibilité de bouleverser un peu cela et de
toucher profondément sans passer par là.
Un peu comme le zen japonais… ?
Oui, sauf que le zen ne te propose pas de te bouleverser – au contraire, même. Dans mes
chansons, j’essaie vers quelque chose de très humain. C’est ce que j’aime dans les chansons des
autres, en littérature aussi. Mais parfois j’ai envie d’abstraction, mais une abstraction qui te scierait
les pattes. Une force spirituelle débarrassée de son rapport à Dieu. La chanson n’a pas encore
approché cela, et je ne sais même pas comment m’y prendre, mais ça me questionne.
On dit des grands écrivains qu’ils écrivent toujours le même livre. De quoi parle la chanson
que tu passes ton temps à écrire ?
« Qui es-tu ? » (rires). On en revient à ça, je pense… C’est un « tu » lancé à la Terre entière… Alors
après, la question c’est « Pourquoi ? » (rires). Je ne sais pas… C’est certainement lié à une histoire
de place, de positionnement dans la vie, tout simplement… C’est une géographie extérieure et
intérieure permanente. C’est peut-être pour ça que je fais autant référence à des lieux… « Qui estu ? » c’est une façon de demander « qu’est-ce que tu fais là, à cette place-là, à côté de moi ? »,
« qui es-tu pour pouvoir prétendre être précisément à cette place-là, à côté de moi ? »… Mes
meilleures chansons ne sont pas très affirmatives ; elles sont souvent ponctuées par des
questions.
Quel est, d’après toi, ton meilleur texte ?
Rue des Marais (sur L’Horizon – ndlr), clairement.
DOMINIQUE A : Horus descendu sur terre, en train de jouer à la belote
On parlait tout à l’heure des « songwriters lettrés » : Morrissey, Cohen, Dylan, etc. On n’a pas
l’impression qu’ils représentent de très grandes influences pour toi…
Non, dans la mesure où je ne suis pas suffisamment anglophone pour me pencher vraiment sur
leurs travaux… Ce que je connais de Cohen, par exemple, ce sont ses traductions. Quant à
Morrissey, j’ai rarement écouté ses textes. Je n’ai qu’un rapport « musical » aux songwriters
anglophones. Je peux être touché par une phrase par-ci, par-là… Par exemple, j’ai été frappé par la
force des textes de Ian Curtis. Bien a posteriori, j’ai écouté ses textes et je me suis rendu compte
à quel point c’était fort. Très, très fort. J’étais déjà archi-fan de la musique, mais si en plus le mec
écrit bien… Par exemple la phrase d’ouverture de « Unknown Pleasures » : « I’ve been waiting for a
guide to come and take me by the hand… » – c’est très adolescent, mais c’est ultime. C’est à
l’image du groupe, c’est fulgurant. C’est bête, hein, mais le seul complexe que je nourris par
rapport à la littérature, c’est de ne pas avoir lu la Bible, n’ayant eu aucune éducation religieuse. Or,
tous les grands auteurs ont été nourris par elle. J’ai un sentiment de manque, de ce côté-là.
Comme un maillage qui m’échappe. Est-ce une impression ? Est-ce la conséquence d’une pression
culturelle ? C’est sûrement la raison pour laquelle je commence à tourner autour de ça dans mes
chansons. Mais je ne me sens pas de m’y coller directement, pourtant. Ce genre d’écriture, comme
l’histoire des mythes et des divinités par exemple, ne me parle pas. J’ai eu beau me coller
plusieurs fois à L’Odyssée par exemple, rien à faire, ça n’imprime pas, je ne retiens pas.
Pourtant, un texte comme celui de La Musique tendrait presque vers cette dimension
mythique…
Oui, mais son origine est en réalité beaucoup plus triviale : c’est « La Foire aux Immortels » de
Bilal. Tu y vois Horus descendu sur Terre et en train de jouer au poker ou à la belote… Il y a donc
un rapport à la mythologie, mais hautement personnel (sourire). J’ai l’impression qu’aucune autre
mythologie ne supplantera celle que je me suis construite.
8 Trident
Comment expliques-tu qu’une grande partie de ce qui a fait la pop music en France (Rita
Mitsouko, Les Innocents, L’Affaire Louis Trio, etc.) ait à ce point été influencée par la bande
dessinée ?
Ce doit être générationnel. Gamin, mes premières lectures ont été de la bande dessinée. La
littérature est venue assez tard. Ça ne fait que quinze ans que je lis vraiment ; jusqu’à l’âge de 24
ans, ça a été de la bande dessinée. J’avais bien quelques livres de chevet, mais je n’étais pas
boulimique, loin de là.
La fréquentation (réelle ou par livres interposés) d’écrivains a-t-elle eu une influence sur ton
métier de musicien ?
J’imagine que c’est un peu comme un journaliste vis-à-vis des musiciens : à force de les
fréquenter, on est un peu déçu. Après, je suis assez copain avec des écrivains, comme Brigitte
Giraud ou Dominique Fabre. Avant, j’avais vraiment une vénération, une fascination qui faisait que
j’étais assez impressionné quand je rencontrais ces gens-là. Mais je me suis vite rendu compte
qu’au-delà des liens thématiques ou générationnels, il y a aussi une distance naturelle parce qu’on
ne fait pas le même métier du tout. Pas plus que ce ne sont les mêmes enjeux, les mêmes modes
de vie, les mêmes économies. L’écrivain envie souvent cette légèreté qu’on attribue au monde de
la musique, là où le musicien pop va envier le prestige dont est auréolée la littérature et cette
faculté de ne jouer que sur le langage. Plus qu’une fascination, je dirais qu’il s’agit d’une
interrogation mutuelle. Je sacralise beaucoup moins la littérature qu’auparavant. Quand je lis
quelque chose, j’ai souvent l’impression que l’hypertexte prend toute la place, que je n’ai rien
compris, que ce que je lis n’est pas du tout ce qu’il faut lire. Je me dis que sous le texte, il y a un
milliard de choses planquées, que ma lecture est en deçà de ce que raconte le texte. Mais non !
Ta lecture est une interprétation parmi d’autres, point barre. Plus tu t’autorises d’imagination dans
l’interprétation, plus le livre est riche. Riche parce que tu l’interprètes richement. La littérature est
toujours mystérieuse à mes yeux, mais peut-être un petit peu moins. Suffisamment moins pour
que j’y pense comme quelque chose d’abordable.
Quel regard portes-tu aujourd’hui sur l’expérience Tout Sera Comme Avant (un recueil de
nouvelles signées de jeunes écrivains et inspirées uniquement par les titres des chansons
avait été publié en même que l’album, en 2004 – ndlr) ?
C’était un dépucelage de ce milieu-là. J’ai un très bon souvenir du projet et de la façon dont les
choses se sont menées. Sur le plan de l’expérience, j’ai trouvé ça très bien, mais après, comme il
s’agit d’une compilation de textes, c’est diversement intéressant. Ça a d’ailleurs été un vrai piège
pour le disque lui-même : il était tellement pétri de littérature dans son écriture que finalement le
livre a rencontré plus de succès que le disque – il l’a pour ainsi dire éclipsé, alors qu’à mon sens le
disque était meilleur que le livre (rires) ! Finalement, j’ai fait plus de choses par rapport au livre
que par rapport au disque. Je crois qu’ils en ont vendu 12 000, ce qui est énorme pour un truc
aussi conceptuel, et une bonne chose pour ceux qui y ont participé, en termes de visibilité. La
misère des écrivains en France, c’est une réalité : tout le monde a touché 150 euros pour chaque
texte… C’était le tarif… J’ai par exemple fait la préface d’un bouquin sur Barbara de Kalvalid, j’ai
touché 300 euros. Et ça me semblait pas mal. Tu ne peux pas être écrivain et ne faire que ça,
aujourd’hui, en France. Tout les écrivains que je connais, y compris les plus reconnus, bossent à
côté. Ça n’est pas le même cas de figure pour les musiciens : les chances de pouvoir vivre de ta
musique sont infiniment supérieures… Un musicien qui sort un disque peut légitimement attendre
que « ça marche ». Un écrivain qui sort un livre va espérer que ça plaise à des gens. S’il n’a jamais
fait de best-seller, il n’a aucune raison de spéculer sur une éventuelle réussite. On a par exemple
écoulé 800 exemplaires d’ Un Bon Chanteur Mort et à La Machine à Cailloux (la maison d’édition
– ndlr) tout le monde était ravi. Moi, je pensais qu’on allait en vendre 300-400, maxi. C’est autre
chose.
Le Nouvel Observateur, avril 2009, Sophie Delassein
Dominique A – Chanson alternative
Dominique A fait son disque tout seul et à la maison. Le chef de file de la « chanson alternative »
a retrouvé le goût du bricolage qui avait fait l’une des particularités de sn premier album, « la
Fossette » (1992). Une manière de procéder qui l’a conduit à écrire court et clair. Avec « la
Musique » (Cinq7/Wagram), Dominique A abandonne une poésie parfois absconse pour s’adresser à
nous. « Immortels », « le Sens », « Hasta » sont de grandes chansons.
On dit souvent que vous avez « décomplexé » la chanson française…
Ce n’est pas moi qui le dit ! Cependant, quand je suis arrivé en 1992, la chanson française était le
domaine réservé des compagnons de la table ronde : Brel, Brassens, Ferré. C’était plié. J’écoutais
9 Trident
les Anglo-Saxons et je voulais faire de la pop et du rock dans l’esprit des groupes que j’aimais, en
cherchant à être cohérent avec mes goûts. Quand j’ai découvert que je faisais de la chanson
française, j’ai été bien emmerdé. Et puis je l’ai accepté. Il n’y aurait pas un peu de snobisme dans
tout cela ?
A mes débuts j’avais 23 ans, j’étais forcément un peu snob. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir
une vision poussiéreuse de la chanson française. Finalement, parmi les grands anciens, il n’y en a
que trois qui revendiquaient d’autres influences : Gainsbourg, Ferré avec le groupe Zoo, Barbara
avec William Sheller.
Sur la Musique , votre écriture semble plus simple. Un changement de cap ?
J’ai fait en sorte que mes textes soient moins codés. Ce fut un combat difficile contre moi-même
car j’ai tendance à me laisser aller à la métaphore, qui donne à mes chansons un aspect brumeux
qui me déplait d’autant moins que j’ai constaté que ces textes-là sont les plus agréables à
interpréter. Sur ce disque, je suis parti des rythmiques avec l’idée d’écrire des textes plus courts et
plus clairs comme Immortels ou Hotel Congress, qui raconte une histoire.
Et si Immortels devenait le tube de l’été ?
C’est tout le mal que je lui souhaite !
Ne pensez-vous pas que la chanson est par essence un art populaire ?
Elle peut être autre chose. En France, en focalisant sur cette sacrée tradition du texte, on néglige
la musique. C’est en train de changer : de plus en plus d’artistes s’intéressent à la musique et on
retrouve ce goût de l’arrangement propre aux années 1960. Quant à moi, j’essaie de trouver un
équilibre.
Pourquoi avoir choisi de faire ce disque tout seul ?
J’ai avancé en pensant qu’à un moment donné je ferais appel à des musiciens. Mais sans m’en
rendre compte je ne leur laissais aucune place. Comme j’avais procédé de cette manière sur mon
premier album, il y avait là l’idée de retrouver une innocence, une fraîcheur. C’était illusoire, mais il
y a des moments où je m’illusionnais bien.
Vous sortez douze chansons mais vous en avez le double en réserve ; Qu’allez-vous faire du
reste ?
L’idée était d’arriver sur scène avec que du neuf. Et puis finalement je n’ai pas l’intention de
balayer le passé. Les autres chansons devaient sortir sur internet. Il y aura donc un album en deux
volumes. En travaillant douze titres qui n’auraient existé que sur le Net, j’aurais eu un sentiment de
gâchis car je suis très attaché à l’objet disque et j’en achète énormément. A tel point que s’il
venait à disparaître je ne sais pas si je continuerais.
Le Monde, avril 2009, V. Mo.
Sélection CD – Dominique A – La Musique
C’est bien de musique qu’il s’agit et Dominique A. excellent chanteur, est sans doute avant tout un
musicien inventif, extrême, amateur de machines, de claviers de cuisine, de nuances en double
ton et de tensions électriques. La Musique ne tranche pas dans l’univers du Nantais (d’origine),
avec ses avancées au pas de charge, ses structures mélodiques linéaires, sa voix tendue, sa
fragilité, ses saccades de guitare. Huitième disque studio, La Musique contient tous les ingrédients
sophistiqués de l’univers de Dominique A., avec ses histoires de bars lointains et anonymes (hasta
que el Cuerpo Aquante). Plus pop, Immortels sonne pompier, mais promet de jolis moments de
scène. Cela fait partie des efforts mis en place par Dominique A. tout au long de sa carrière pour
atteindre les rives du grand public sans le désirer vraiment – autres exemples ici, Le Bruit blanc de
l’été, très années 1980, ou Le Sens, beau, bien écrit, personnel.
20 minutes, avril 2009, Benjamin Chapon
Le chanteur sort un album intrigant, mais séduisant, en solitaire
Dominique A sait s’amuser tout seul avec la musique
Sans tomber dans la pop réjouie, la musique de Dominique A prend ses aises sur son nouvel
album, très astucieusement intitulé La Musique. Des notes de piano en cascade, des flopées de
cordes, des « claps » et des « tingueling » habillent ses textes toujours aussi peu sereins. Le titre
de l’album est assez évident pour moi. Qu’on le trouve prétentieux ou juste bizarre, l’avantage est
qu’il interpelle forcément. Je ne cherche rien d’autre qu’à intriguer.
Moins morose qu’à l’accoutumée
Même s’il reconnaît que ses textes sont au mieux métaphoriques, au pire codés, Dominique A
répugne à gloser sur ses nouvelles chansons : Pour cet album, j’emploie beaucoup le « je ». Mais il
n’est pas plus introspectif que les autres. Aucune piste à creuser, donc, dans les deux hymnes à la
10 Trident
vie que sont les titres inauguraux Le Sens et Immortels. Ni dans la berceuse inquiète La Musique
ou dans la nostalgique comptine Le Bruit blanc de l’été. De très belles chansons comme Des
Etendues ou Hotel Congress, jalonnent un album moins morose qu’à l’accoutumée. Le contexte
dans lequel j’écris les chansons ne signifie pas grand-chose, affirme le chanteur. Sauf peut-être
pour le titre Hasta que el Cuerpo Aquante. A peine venait-il de se faire expliquer cette expression
espagnole (boire jusqu’à ce que le corps tombe) qu’il apprenait la mort de son grand-père. Le
corps qui lâche prenait alors une toute autre résonnance. Habitué à faire appel à des musiciens, il
a, cette fois, voulu tout faire tout seul. La solitude qui a présidé à la composition de ces nouvelles
chansons ne se ressent que dans les textes. Je voulais des musiques riches. C’est pour cela que je
pensais lâcher la guitare, qui a tendance à se suffire à elle-même. Mais elle est quand même
encore un peu présente. La Musique est, au final, un album singulier qui explore bien des horizons
musicaux. J’ai fait écouter mes chansons à plusieurs personnes. Mais je sentais que je devais en
faire le plus possible sans assistance.
Direct Soir, avril 2009
Interview - Dominique A, force motrice
Dominique A poursuit une carrière exemplaire avec un nouvel album sobrement intitulé La Musique.
Nulle référence à Nicoletta ici, mais un grand disque de pop aux réminiscences eighties.
Pourquoi avoir comparé La Musique à La Fossette – votre premier disque, enregistré dans une
chambre – « en version Red Bull » ?
Plutôt que de lire dans les journaux des conneries que je n’ai pas dites, je préfère voir des
conneries dont je suis l’auteur (rires). Mais effectivement, comme avec La Fossette, il y avait cette
idée de travailler en autarcie, avec des claviers et des boîtes à rythmes. Je voulais un côté brut, ne
pas finasser. Après, le contexte n’est plus le même depuis mon premier disque. Ma voix a
notamment évolué.
On retrouve dans La musique des échos des années 1980.
Ce n’est pas un retour, car je ne suis jamais sorti de cette décennie (rires). Ma culture s’est faite à
ce moment-là. En travaillant sur l’album, j’écoutais beaucoup de musique pop, des chansons très
courtes. J’ai eu envie d’efficacité, alors que c’était un thème que je récusais auparavant.
Avec Miossec, on vous a souvent défini comme les parrains de la nouvelle scène française.
Cela vous agace-t-il ?
« Parrain », ça me fait penser à Vito Corleone. Ça voudrait dire que j’ai développé ma propre mafia
(rires) ! En fait, on a eu le bol d’arriver à un moment où il n’y avait rien dans ce genre. Le fait de
chanter en français était laissé en friche. Si je débutais aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’on
m’accorderait la même attention.
Cela vous arrive-t-il d’envier le succès de votre ami Philippe Katerine ?
Sur le plan bancaire, oui (rires) ! Tout artiste rêve de succès. Mais je ne l’envie vraiment pas sur ce
que ça engage au quotidien. A mon niveau modeste, j’ai déjà mon compte côté sollicitations. Tous
les succès font plaisir à vivre sur le moment, mais sont générateurs d’angoisse après.
Vous aimez aussi écrire des chroniques sur d’autres musiciens ?
Dans la mesure où je peux avoir une tribune que ce soit sur Internet ou dans des magazines,
j’aime défendre les choses qui sont alternatives, parce que ma nourriture est là. Je ne suis pas
quelqu’un qui écoute les Beatles ou Jacques Brel toutes les semaines. Je préfère les choses qui
sortent, des morceaux méconnus.
Que pensez-vous du débat sur le téléchargement ?
J’ai envie de dire « je botte en touche ». Ce n’est pas aux artistes de légiférer, même s’ils ont leur
mot à dire. Après, le droit d’auteur est un truc à défendre. Il faut que les gens aient
conscience que produire de la musique coûte des sous.
La musique, Dominique A (Cinq 7)
Nord Eclair, avril 2009, propos recueillis par Patrice Demailly
L’audace intacte de Dominique A
N’est-il pas curieux d’appeler son album « La musique » ?
C’est une façon de recentrer le débat. Et puis quand la chanson est née, je me suis dit que ça
sonnait bien comme titre générique. J’aime bien que ça reste assez vague et qu’il y ait une idée de
quête. C’est plus La musique comme un point de fuite.
[…] Pourquoi ce retour à un travail en solo et à la maison ?
11 Trident
Parce qu’à la base, je voulais travailler avec des boîtes à rythme et des synthés. J’avais envie de
développer des idées en solitaire, mais pas forcément de les pousser à leur terme. Le solo, c’est
venu en cours de route.
Cela change-t-il votre manière d’écrire ?
Oui, parce qu’il y a des chansons qui sont nées sans rien d’autre qu’un rythme.
Ce travail en solo ne va-t-il pas poser problème pour sa transcription scénique ?
On sera quatre sur scène et on va essayer de rejouer les sons du disque, mais avec un batteur.
Cela va donc être plus organique et moins millimétré. Je pense que ça devrait tenir.
Peut-on dire que ce disque sonne plutôt pop ?
Dans l’idée, c’est ça. Après, ce n’est pas de la pop anglaise. On est à la jonction des chemins entre
la pop anglo-saxonne et la chanson française.
C’est aussi un de vos albums les plus accessibles.
A l’écoute, j’en ai l’impression. Il est dans la lignée de La mémoire neuve et Auguri.
Le sublime morceau Immortels était écrit au départ pour Alain Bashung. Lourd de sens ?
Au moment où il a reçu la chanson il l’a beaucoup aimée. Après, il a appris qu’il était malade et
ça a certainement joué dans sa perception du morceau. Je sais aussi qu’il l’a repris plusieurs fois
en studio. Le timing n’était pas optimal par rapport au texte.
Votre opus Tout sera comme avant avait été influencé par l’album de Bashung L’imprudence.
Complètement. Quel chanteur français n’a pas eu de fascination pour Alain Bashung ? C’est un
modèle pour moi au même titre que Manset et Murat.
Vous dites : « Au huitième album, je me dis que ce ne serait pas mal que ceux qui ne
m’aiment pas puissent un jour m’aimer. Est-ce un besoin nouveau ?
Il faut le croire puisque je l’exprime. Là aussi, j’aurais mieux de la fermer (rires). Je n’aime pas
permettre à mes détracteurs de fourbir leurs armes en disant : « à nouveau un disque comme ci
comme ça ». Ce disque c’était une façon d’éviter deux écueils c’est-à-dire une mélancolie trop
envahissante et des climats trop posés. Je voulais quelque chose d’offensif et non contemplatif. Je
n’avais pas envie d’être dans la redite de soi-même.
Beaucoup d’artistes se revendiquent de vous, et pourtant vous êtes assez méconnu du grand
public. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
C’est un paradoxe qui me réussit bien puisque je suis encore là. Je pense qu’il vaut mieux exister
sur le long terme et de manière plus souterraine que de faire un seul gros coup. Cela peut paraître
faux-cul, mais j’ai plus d’ambitions pour mes chansons que pour moi-même. Après, j’aime
beaucoup écrire pour d’autres. Quand ils prennent mes morceaux, j’ai l’impression d’être reconnu
pour mon métier.
Vous avez écrit trois textes pour le prochain album de Calogero. Ce n’est pas une évidence
vos deux univers ?
Cela le devient. Lui est dans le lyrisme à fond les ballons, moi dans un lyrisme plus contenu.
Mais les deux se regardent. Calogero fait des choses plus calibrées mais qui ne sont pas moins
respectables.
Les Inrocks, avril 2009
La musique, c’est l’inaccessible étoile
Peut-on avoir écrit Le Courage des oiseaux et s’en remettre ? Dominique A. a pu. A 23 ans, ce
jeune homme venu de Nantes enregistre, presque dans sa chambre, La Fossette (1992), un chefd’œuvre, à la fois glacé et en état de fièvre, tout en boîtes à rythmes entêtantes et synthés
maigres, orné d’une chanson-scie psalmodiée d’une voix de Barbara techno – Le Courage des
oiseaux, donc. Le disque avait des airs d’astre phosphorescent forcément solitaire, mais d’autres
ont suivi, au relief parfois plus tranquille (La Mémoire neuve, 1995 ; Auguri, 2001), parfois encore
plus tourmenté (Remué, 1999), traçant un parcours rigoureux et exemplaire.
Son huitième album, La Musique, est un coup d’éclat. Il revisite vingt ans plus tard l’electronica
ascétique de La Fossette, en retrouve par moments les fulgurances vocales tremblées, mais
comprend ces réminiscences émouvantes dans un geste plus ample, moins braqué sur son
intériorité écorchée, plus à l’écoute des secousses du dehors. Un grand disque d’aujourd’hui,
vraiment.
Entretien
Comment naît un nouvel album ? Avec des idées de chansons ?
Dominique A – Non, l’idée de l’album précède la moindre idée de chanson. J’ai d’abord envie d’une
couleur. Pour ce disque, elle était synthétique, électronique. Le précédent, L’Horizon, en 2006, est
né d’une envie de grands espaces ; j’ai ajouté de grosses réverbes sur tout… Là, je voulais des
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claviers plutôt que des guitares, des boîtes à rythmes. J’ai acheté un petit studio portatif. J’avais
un peu peur de refaire mon premier album, La Fossette, qui avait été conçu comme ça. Le nouveau
est vraiment un disque solo, alors qu’au début, je pensais qu’à un moment, je sortirais de chez moi
pour enregistrer en studio, travailler avec des gens… Mais mes proches, ma copine, mon
management m’ont encouragé à aller au plus loin de mon envie de disque en solitaire. Ce n’est
qu’à l’étape du mixage que j’ai remis le disque à Dominique Brusson, qui avait toute liberté de
création pour en faire autre chose – c’est ce qui rend le disque assez différent de La Fossette.
Ces variations, entre l’envie d’un disque très guitare puis très synthé, sont-elles liées à ce que tu
écoutes entre-temps ?
Oui, c’est très environnemental. J’écoute beaucoup de musique, je reste sur le qui-vive pour tout ce
qui se fait dans un cadre de « chanson française ». Depuis quelques années, c’est le retour du
tout-acoustique, on sent une aspiration à un son qui se voudrait pur, naturel, authentique. J’avais
envie d’aller dans le sens inverse de ce renouveau folk, de revendiquer l’artificialité, d’accéder à
une sorte de vérité par l’artifice. Et puis, c’est vrai qu’il y a toujours un parallèle entre ma carrière
et celle de Philippe Katerine. On vient de la même ville, on a le même âge, on a sorti notre
premier album en même temps. Moi, j’ai toujours été le plus gothique, et lui le plus pop. Le succès
foudroyant de son album Robots après tout, en 2005, m’a fait réfléchir Je me suis dit, que, moi
aussi, il faudrait peut-être que je sois un peu plus direct, un peu plus efficace.
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