Maintien au domicile d`une patiente âgée psychotique délirante de

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Maintien au domicile d`une patiente âgée psychotique délirante de
FAIT CLINIQUE
Maintien au domicile d’une patiente âgée
psychotique délirante de découverte tardive
grâce à une intervention pluridisciplinaire
Maintaining at home a late-diagnosed delusional psychotic
elderly patient thanks to a multidisciplinary approach
Anne-Sophie AAKRA-JARDEZ1, Nathalie BARONI2, Frédéric DEBEL3, Françoise PROUTEAU4
RÉSUMÉ
ABSTRACT
Le diagnostic de very late onset schizophrenia (VLOSP)
concerne environ 1 % des sujets de plus de 60 ans, principalement les femmes. Son origine serait plutôt dégénérative. La présence de désafférentations sensorielles
non corrigées contribue à en aggraver les symptômes positifs (délire, hallucinations), de même que l’isolement.
La prise en charge du VLOSP repose sur l’usage d’antipsychotiques associés ou non à des antidépresseurs et à
la rupture de l’isolement.
Le cas rapporté ici est celui d’une femme de 92 ans, en
foyer logement, qui présente un délire de persécution
associé à des hallucinations auditives et une hypoacousie
sévère. Le diagnostic le plus probable de VLOSP a été
retenu. Elle a reçu un antipsychotique à faible dose qui
a atténué les symptômes positifs. L’intervention de
l’équipe mobile de psychogériatrie en collaboration
étroite avec le médecin traitant, l’infirmière de ville et la
direction de l’établissement a permis son maintien à domicile.
The diagnosis of very late onset schizophrenia (VLOSP)
affects about 1% of subjects over 60 year, mostly women. Its origin is rather neurodegenerative. The presence
of uncorrected sensory loss contributes to worsen positive symptoms (delusions, hallucinations) as well as isolation. The management of VLOSP is based on the use
of antipsychotics with or without antidepressant treatment and breaking isolation.
The case reported here is that of a woman of 92 years,
living in intermediate care facility, who has delusions of
persecution associated with auditory hallucinations and
severe hearing loss. The most likely diagnosis VLOSP
was selected. Low-dose antipsychotic decreased positive
symptoms. The intervention of the psychogeriatric outreach team in close collaboration with the generalist
practitioner, the local nurse and the management of the
institution allowed her to stay in her home.
Rev Geriatr 2015 ; 40 (9) : 543-8.
Mots clés : VLOSP - Antipsychotique - Domicile
Keywords: VLOSP - Antipsychotic - Home
Auteur correspondant : Docteur Anne-Sophie AAKRA-JARDEZ, Gériatre, SSR
Gériatrique, Hôpital Plaisir Grignon, 220 rue Mansart, BP 9, 78375 Plaisir, France.
Courriel : [email protected]
1 Gériatre, SSR Gériatrique, Hôpital Plaisir Grignon, 220 rue Mansart, BP 9, 78375
Plaisir, France.
2 Infirmière, Unité Mobile Psycho-Gériatrie (UMPG), Hôpital Simone Veil, 14 rue
de Saint Prix, 95602 Eaubonne Cedex, France.
3 Médecin Généraliste, 1 rue Thomas, 95600 Eaubonne, France.
4 Psychiatre, Unité Mobile Psycho-Gériatrie (UMPG), Hôpital Simone Veil, 14 rue
de Saint Prix, 95602 Eaubonne Cedex, France.
Article reçu le 16/02/2015 et accepté le 21/09/2015
© La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 9 NOVEMBRE 2015
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INTRODUCTION
d’intervenir directement au domicile de ces sujets, facilitant
ainsi leur prise en charge par les différents intervenants impliqués, qui sont souvent démunis face à de tels symptômes.
E
nviron 5 % des personnes âgées présentent des idées
délirantes associées à des hallucinations qui perturbent l’entourage(1). Le diagnostic de Very Late Onset
Schizophrenia (VLSOP) représente moins de 1 % de cette
population. Les symptômes surviennent après 60 ans et
concernent des sujets qui présentent un délire paranoïaque
isolé (paranoïa) ou associé à des hallucinations (paraphrénie)(2-4). Cette pathologie aurait une origine neurodégénérative qui la différencie de la schizophrénie du sujet jeune(3, 4).
Elle touche surtout les femmes plutôt isolées(1, 3, 4). Les désafférentations sensorielles auditives et visuelles contribuent
à l’isolement social du sujet et à l’aggravation de ces troubles, qui peuvent s’atténuer avec un appareillage adéquat(2, 4-7). Les mécanismes étiopathogéniques des symptômes reposent sur le rôle de neurotransmetteurs :
augmentation de la libération de dopamine (rôle des récepteurs D2), du taux de glutamate (rôle des récepteurs NMDA)
et de la sérotonine (rôle des récepteurs 5HT2A). Concernant la dopamine, les voies mésolimbiques dopaminergiques ont un rôle important sur les symptômes positifs (hallucinations, délire), avec un taux élevé en dopamine. La voie
mésocorticale (vers le cortex préfrontal) est impliquée dans
les symptômes négatifs et cognitifs ; certains auteurs évoquent un déficit en dopamine(8, 9). Pour le glutamate, le mécanisme passe par une diminution du fonctionnement des
récepteurs glutamatergiques NMDA qui entraine une
concentration élevée en glutamate circulant chez le patient
psychotique ; cela favorise une majoration des symptômes
psychotiques, cognitifs (fonctions exécutives), sociales. Ce
dysfonctionnement interagit avec les voies dopaminergiques
mésolimbiques (stimulation) et mésocorticales (diminution
de la libération de dopamine)(8-10). Concernant la sérotonine,
on observe une élévation du nombre de récepteurs 5HT2A
chez les psychotiques jeunes ou chez les patients non traités ; ces récepteurs sont impliqués dans la survenue d’hallucinations visuelles(10). Le système sérotoninergique intervient sur la libération de la dopamine ; la stimulation des
récepteurs 5HT2A corticaux peut diminuer la libération de
dopamine au niveau du striatum(9). Le traitement médicamenteux du VLOSP repose principalement sur l’usage
d’antipsychotiques atypiques prescrits aux doses les plus faibles possibles et au minimum pendant 6 mois(3, 11) ; ils agissent principalement en bloquant les récepteurs dopaminergiques de type 2 mais également les récepteurs
sérotoninergiques 5HTA2, pour les molécules les plus récentes(9, 10). Le maintien au domicile de ces sujets (s’il est
possible) peut s’avérer très difficile en l’absence d’un environnement adéquat et ne peut se faire qu’avec un entourage
familial et, ou, professionnel investi. Le développement
récent d’équipes mobiles de psychogériatrie permet
OBJECTIFS
Nous avons voulu mettre en évidence l’intérêt d’une collaboration pluri disciplinaire (Unité Mobile de Psycho-Gériatrie
- UMPG -, médecin traitant, pharmacien, infirmière libérale
et administration de l’établissement) afin de maintenir un
sujet âgé atteint de troubles psychiatriques invalidants à son
domicile.
RÉSULTATS
Nous rencontrons Mme M., 92 ans, en foyer logement, à
la demande de son médecin traitant pour le motif suivant :
délire et agressivité. Il a été alerté par la directrice de l’établissement où la patiente vit depuis sa retraite.
Ses antécédents sont : hypertension artérielle équilibrée,
thyroïdectomie, arthrose, hypoacousie profonde appareillée (port non continu des prothèses pour « économiser » les
piles).
Son traitement est : ramipril, lévothyroxine, paracétamol,
calcium-vitamine D, zopiclone 7, 5.
Histoire de la maladie
La directrice nous décrit Mme M. comme une personne discrète, « pas méchante », voire attachante, qui a toujours tenu
des propos « interprétatifs » sur ses voisins. Depuis quelques
mois Mme M. est de plus en plus méfiante, elle présente des
hallucinations auditives : elle entend sa voisine qui l’agresse
verbalement à travers la cloison et la critique. Elle appelle la
nuit le personnel de garde, sort sur le palier en criant et
inquiète les voisins. Elle refuse toute aide sauf celle de la
gouvernante de l’institution en qui elle a confiance. Depuis
peu, elle a changé de médecin traitant suite à une modification de traitement non acceptée. La directrice explique les
difficultés majeures à garder Mme M., mais voudrait éviter
l’hospitalisation ou le transfert en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Histoire de vie
Le père de Mme M. était mécanicien. Elle a un frère (perdu
de vue). Mme M. est peu allée à l’école car elle gardait sa
mère « épileptique » avec qui elle partageait le même lit. Une
nuit sa mère l’a « piquée » avec un couteau : son père l’a
envoyée en hôpital psychiatrique pour protéger sa fille ;
Mme M. ne l’a plus revue. Plus tard, la nouvelle compagne
de son père l’a éloignée progressivement de ce dernier
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qu’elle aimait beaucoup. Mme M. a divorcé à 50 ans (époux
violent). Elle n’a pas eu d’enfant par peur de ses antécédents
maternels. Elle a travaillé comme femme de ménage et a
mené une vie « laborieuse ». À la retraite, elle est entrée directement en foyer logement où elle déjeunait au début. Elle
a toujours été préoccupée par ses finances (pourtant équilibrées) et vit parcimonieusement. Sa vie est rythmée par les
courses au supermarché (très restrictives : pâtes, purée, jambon, camembert, bananes, eau en bouteille pour cuisiner
par « méfiance de l’eau provenant du robinet »). Elle n’a ni
famille proche, ni ami.
qu’une consultation cardiologique (électrocardiogramme absent).
En résumé, Mme M. présente des propos délirants paranoïaques et des hallucinations auditives non critiquées avec
peut-être des éléments dépressifs sous jacents (1 point à la
Mini-geriatric depression scale(2) : item « vous sentez-vous
découragé et triste »). Ce tableau nous fait évoquer un possible VLOSP.
Nous conseillons à son médecin d’introduire dans un premier temps un antipsychotique atypique (rispéridone) à doses croissantes (paliers de 0,25 mg toutes les semaines
jusqu’à efficacité).
La patiente, plutôt opposée à la prise d’un nouveau traitement, a fini par accepter après de longues explications. Son
médecin a décidé de prescrire une préparation magistrale
en « 1 gélule » quelle que soit la posologie pour éviter des
erreurs ; il a remis lui-même l’ordonnance au pharmacien.
Il est prévu que l’état de Mme M. soit réévalué toutes les
semaines dans un premier temps. Nous notons les dates de
nos passages sur un calendrier (avec ou sans la présence de
son médecin).
Un pilulier est prescrit, que nous vérifions de façon hebdomadaire en attendant le relais par une infirmière libérale
(refusée au début de la prise en charge). La gouvernante
accepte de passer quotidiennement pour encourager la prise
du traitement auquel Mme M. adhère peu au début.
Nous avons rencontré le pharmacien, avec qui la patiente
avait eu une altercation récente, pour lui expliquer la pathologie et refaire le lien.
Entretien
Nous avons rendez-vous avec Mme M. et son nouveau médecin traitant, qui l’a préparée à notre visite. La gouvernante nous accompagne pour ouvrir la porte si besoin (sans
ses prothèses auditives, la patiente n’entend pas). Le studio
est minutieusement rangé et très propre, les rideaux sont
fermés avec une pince à linge par « peur d’être vue » (le
studio se trouve au deuxième étage sans vis-à-vis). Mme M.
est une petite dame frêle. Elle semble méfiante, mais nous
parle spontanément de sa voisine de « mauvaise vie » qui
l’espionne, la critique et l’insulte (elle l’entend en notre présence et en dehors de son domicile). Elle dit que cela la rend
triste et anxieuse. Elle n’a pas d’idées suicidaires. Son sommeil est bon sous traitement hypnotique auquel elle tient
beaucoup. Elle préfère être seule, car elle ne veut pas se
mêler des « cancans ». Elle se dit « très honnête, propre et
affirme n’avoir jamais volé ses patrons ». Régulièrement elle
refoule des larmes lors de la discussion et nous dit ne pas
être heureuse. L’hypoacousie très sévère, bien qu’appareillée, restreint la qualité des échanges.
Une exploration cognitive (basée sur un Mini Mental Status
Examination - MMS) ne peut être réalisée du fait de la méfiance de la patiente, cependant le discours est fluent sans
manque de mots, la mémoire des faits anciens et récents
semble conservée. L’orientation spatiale est normale.
L’orientation dans le temps montre une erreur de date au
jour près (télévision en panne, pas de journaux, pas de radio). Les praxies et gnosies semblent conservées (elle fait
ses courses seule, prépare ses repas, utilise sa machine à
laver). Elle a toujours été aidée pour compléter des documents administratifs (niveau scolaire bas).
Le bilan biologique récent est normal : formule sanguine,
Protéine C réactive (CRP), ionogramme, fonction rénale,
fonction hépatique, glycémie, TSHus, folates, vitamine
B12, calcémie, vitamine D.
Son médecin traitant n’a pas retrouvé de déficit neurologique focalisé ; la marche semble normale ainsi que l’équilibre.
La mesure de la pression artérielle est à 120/70 mm Hg,
les bruits du cœur sont réguliers et sans souffle audible. Une
imagerie cérébrale a été refusée par la patiente de même
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Évolution
Il a fallu 5 à 6 mois pour que l’observance soit régulière et
obtenir un relais par une infirmière libérale. Sous rispéridone, les hallucinations ont rapidement été critiquées avec
une dose maximale prescrite de 1,25 mg ; les idées dépressives ont disparu dès 0,50 mg de rispéridone. Mme M. est
devenue accueillante (cérémonie du café) ; elle n’appelle
plus la nuit et ne ferme plus ses rideaux avec des pinces à
linge. Sur un plan clinique, le traitement antipsychotique a
été bien supporté (pas de syndrome extrapyramidal). Elle
n’a pas accepté la présence d’une auxiliaire de vie pour l’aider à faire ses courses.
Nous avons tenté à nouveau de réaliser un MMS afin de
rechercher l’existence de troubles cognitifs, avec toujours la
même méfiance et opposition de la patiente, celle-ci ne
comprenant pas le « sens » de ce type d’intervention et refusant tout examen complémentaire (imagerie ou spécialiste).
À partir de 8 mois, nous avons espacé nos visites qui sont
devenues mensuelles.
À 10 mois, nous avons observé un ralentissement idéo-moteur (la patiente restait perplexe devant le fonctionnement
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de sa machine à laver qu’elle ne savait plus utiliser), ainsi
que des troubles de la marche témoignant de l’apparition
d’effets secondaires probablement dus à l’antipsychotique.
Nous avons diminué la dose de rispéridone à 1 mg ; l’état
clinique s’est normalisé après 10 jours.
Depuis 16 mois, la vie de Mme M. est devenue « normale » ;
elle entend encore un peu sa voisine mais n’y fait plus attention : « de toute façon ce n’est pas quelqu’un de bien » ;
elle prend plaisir à nous recevoir. De temps en temps, elle
« oublie » de prendre son traitement pendant 2 ou 3 jours
(« est-ce que j’en ai besoin ? »), sans répercussion clinique
notable (imprégnation de l’antipsychotique). La directrice de
l’établissement est contente d’avoir pu la garder.
femmes. Ce diagnostic, décrit dans la littérature française
spécialisée, est rattaché au VLOSP dans la littérature internationale quand les symptômes débutent après 60 ans(3, 6) ;
• une décompensation de troubles paranoïaques préexistant due à l’isolement ; ce diagnostic est rattaché au VLOSP
dans la littérature internationale(4).
Chez Mme M., le diagnostic le plus probable que nous avons
retenu est donc celui du VLOSP.
Le terme de VLOSP regroupe plusieurs entités avec délire
associé ou non à des hallucinations (comme décrit précédemment) ; il débute après 60 ans et est souvent sous-tendu
par des troubles cognitifs et la possible présence d’antécédents familiaux. Le VLOSP est décrit comme pouvant être
un mode d’entrée tardif dans la schizophrénie par certains
auteurs(3, 4, 6).
Si le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
dans sa version 3 (DSM-III) en 1980 spécifie que le diagnostic de schizophrénie ne peut être posé que s’il apparait avant
l’âge de 45 ans, la version révisée de 1987 (DSM-III-R) identifie une autre population dont les symptômes débutent audelà de 45 ans. Depuis 1994, la version du DSM-IV a fait
disparaitre cette notion d’âge, qui n’est pas non plus reprise
dans la version du DSM-V (2013)(2, 12-14). En France, la schizophrénie d’apparition tardive est un diagnostic controversé ; on estime qu’il s’agit plutôt de sujets dont le diagnostic a été posé tardivement, ou exclus d’un système de soins,
ou dont les manifestations psychiatriques sont longtemps
restées silencieuses. On évoque plutôt une « schizophrénie
à révélation tardive ». De plus, de nombreux spécialistes estiment que le critère de dissociation (ou désorganisation ;
c’est-à-dire une rupture de l’unité psychique entre l’affect,
la pensée et le comportement) est obligatoire pour valider
ce diagnostic(2).
La prise en charge médicamenteuse du VLOSP repose sur
la mise en route d’un traitement antipsychotique pour une
durée minimale de 6 mois, voire indéfinie, à la dose efficace
la plus faible. Ce traitement peut être associé à un antidépresseur, plus ou moins un anxiolytique(3, 11). Ici, nous avons
raisonné en termes de prescription probabiliste, c’est-à-dire
raisonnée, visant à diminuer la symptomatologie délirante
et à améliorer le maintien dans l’institution. Pour notre patiente, seul l’antipsychotique a été nécessaire. L’adaptation
des doses a été faite selon les recommandations internationales, en augmentant la rispéridone de façon très progressive par paliers de 0,25 mg toutes les semaines ; la plus
faible dose efficace a été recherchée conformément aux
bonnes pratiques(3, 5, 11). Nous regrettons de n’avoir pu réaliser un électrocardiogramme pour contrôler le QTc avant
l’introduction de la rispéridone (refus de la patiente d’une
consultation spécialisée).
De même, l’évaluation cognitive avec imagerie cérébrale n’a
pu être faite (essai d’un Mini Mental Test Examination à
DISCUSSION
Mme M. présente un délire dont la date de début remonte au
moins à plusieurs mois ; celui-ci est construit (sans dissociation), avec présence d’hallucinations auditives non critiquées
lors du début de la prise en charge (thème paranoïaque de
persécution) et il survient sur une conscience claire. La personnalité pré-morbide de la patiente évoque un profil sensitif
(sujet introverti avec sentiment d’échec, voire d’infériorité,
méfiant, timide, à valeurs morales fortes)(5). Son délire est
associé à de l’anxiété et de possibles idées dépressives. On
remarque la notion d’antécédents familiaux (mère).
Face à ces éléments, nous pouvons évoquer plusieurs hypothèses diagnostiques :
• des acouphènes : ils peuvent provoquer ou aggraver un
délire, mais le port des prothèses ne corrige pas ces manifestations chez Mme M. Une visite spécialisée n’a pas pu être
programmée pour vérifier la qualité de l’appareillage. Par
ailleurs, la désafférentation sensorielle auditive peut contribuer à l’isolement et à l’apparition des hallucinations(4, 6, 7) ;
• une démence sur personnalité sensitive : mais nous
n’avons pas pu faire d’évaluation neuropsychologique ni
faire pratiquer d’imagerie cérébrale. Ces examens nous auraient permis d’écarter une pathologie neurodégénative
sous-jacente, qui est le principal diagnostic différentiel à évoquer devant ce tableau clinique (bien que nous ne soyons
pas ici confrontés à des confabulations mais à de réelles
hallucinations chez une personne qui ne semble pas présenter de troubles cognitifs) et d’agir sur les facteurs étiopathogéniques pouvant être pris en charge (troubles ioniques, cardio-vasculaires...) ;
• une dépression délirante(2) favorisée par l’isolement ; mais
les rares symptômes dépressifs se sont rapidement amendés
par l’usage seul de l’antipsychotique ;
• une schizophrénie non diagnostiquée antérieurement ;
• une psychose hallucinatoire chronique : elle débute généralement vers l’âge de 45/50 ans et touche surtout les
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distance de l’épisode de décompensation, mais gêne majeure par le déficit auditif et par refus de la patiente). Cependant, une atteinte des fonctions cognitives peut se retrouver dans le cadre du VLOSP (avec une présentation
différente de celle de la maladie d’Alzheimer, touchant plus
les fonctions exécutives) et l’évolution vers un trouble démentiel est possible(14-16).
Les risques évolutifs les plus fréquents d’un délire d’apparition tardif sont une évolution vers un syndrome démentiel
ou une dépression(2). Il faut donc rester prudent sur le diagnostic évoqué de VLSOP chez Mme M. et considérer le
diagnostic final comme un diagnostic d’évolution.
Nous avons toujours eu soin de réévaluer lors de nos visites
les risques encourus par la patiente à chacun de ses refus
de traitements ou d’examens et cela de façon collégiale, avec
le médecin traitant et la direction, dans la mesure où il n’y
avait pas de mise en danger du sujet ou de l’entourage. Nous
avons facilité l’instauration d’un climat de confiance en favorisant l’écoute active de la patiente, qui pouvait alors exprimer son ressenti et sa souffrance au fur et à mesure des
rencontres. Au niveau de l’encadrement, nous avons eu la
chance de bénéficier d’un engagement important du médecin traitant qui nous a accompagnés régulièrement lors de
nos visites afin d’habituer Mme M. à notre présence et qui
s’est montré très réactif à chacune de nos propositions.
Dans l’institution, nous avons eu le soutien de l’équipe administrative (la directrice ayant à cœur de maintenir la patiente dans son environnement) ainsi que du personnel du
foyer logement (gouvernante et homme d’entretien, que la
patiente acceptait de recevoir) ; nos visites étaient attendues
et nous pouvions faire un point sur l’évolution de la prise
en charge grâce à leur vigilance. Le pharmacien a insisté
sur l’observance du traitement auprès de la patiente. Sans
cette collaboration pluridisciplinaire, l’issue de la prise en
charge aurait été bien différente. Nous regrettons cependant de n’avoir pu obtenir qu’un accord de la patiente pour
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un seul passage hebdomadaire d’une infirmière de ville pour
la mise en place du pilulier. Certains auteurs recommandent
d’ailleurs de ne pas trop multiplier les intervenants auprès
de ce type de patients(5).
Ce mode de fonctionnement peut évoquer les modèles de
psychiatrie ambulatoire. Il associe une prise en charge
conjointe, régulière, qui s’étend sur la durée et permet un
accompagnement optimisé de la patiente au domicile avec
l’établissement d’un lien. Le patient est au cœur de chacune
des interventions, sa demande est écoutée et entendue.
CONCLUSION
Au total, le travail de l’UMPG en partenariat avec le médecin traitant, le pharmacien, le personnel administratif du
foyer et avec l’infirmière libérale, a permis d’éviter l’hospitalisation en urgence et/ou un transfert en EHPAD de
Mme M. Cette collaboration a aidé à renforcer la surveillance de la patiente, à adapter et à suivre l’efficacité, après
traitement à surveiller l’apparition d’effets indésirables et à
lui apporter un soutien psychologique régulier.
La qualité de vie du Mme M. a été améliorée : elle a pu rester
à son domicile.
L’UMPG permet de prendre en charge des patients psychologiquement ou psychiatriquement fragiles ou instables dans
leur lieu de vie et leur évite, dans la mesure du possible, une
hospitalisation. Elle place le patient au cœur de la réflexion
et travaille au rythme de celui-ci pour faciliter la mise en
place des mesures qui contribuent à l’amélioration de sa
qualité de vie. Elle travaille avec l’entourage et les différents
professionnels concernés : elle leur apporte un soutien psy■
chologique et des conseils spécifiques.
Liens d’intérêts : les auteurs n’ont déclaré aucun lien d’intérêt concernant
cet article.
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