Maintien au domicile d`une patiente âgée psychotique délirante de
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FAIT CLINIQUE Maintien au domicile d’une patiente âgée psychotique délirante de découverte tardive grâce à une intervention pluridisciplinaire Maintaining at home a late-diagnosed delusional psychotic elderly patient thanks to a multidisciplinary approach Anne-Sophie AAKRA-JARDEZ1, Nathalie BARONI2, Frédéric DEBEL3, Françoise PROUTEAU4 RÉSUMÉ ABSTRACT Le diagnostic de very late onset schizophrenia (VLOSP) concerne environ 1 % des sujets de plus de 60 ans, principalement les femmes. Son origine serait plutôt dégénérative. La présence de désafférentations sensorielles non corrigées contribue à en aggraver les symptômes positifs (délire, hallucinations), de même que l’isolement. La prise en charge du VLOSP repose sur l’usage d’antipsychotiques associés ou non à des antidépresseurs et à la rupture de l’isolement. Le cas rapporté ici est celui d’une femme de 92 ans, en foyer logement, qui présente un délire de persécution associé à des hallucinations auditives et une hypoacousie sévère. Le diagnostic le plus probable de VLOSP a été retenu. Elle a reçu un antipsychotique à faible dose qui a atténué les symptômes positifs. L’intervention de l’équipe mobile de psychogériatrie en collaboration étroite avec le médecin traitant, l’infirmière de ville et la direction de l’établissement a permis son maintien à domicile. The diagnosis of very late onset schizophrenia (VLOSP) affects about 1% of subjects over 60 year, mostly women. Its origin is rather neurodegenerative. The presence of uncorrected sensory loss contributes to worsen positive symptoms (delusions, hallucinations) as well as isolation. The management of VLOSP is based on the use of antipsychotics with or without antidepressant treatment and breaking isolation. The case reported here is that of a woman of 92 years, living in intermediate care facility, who has delusions of persecution associated with auditory hallucinations and severe hearing loss. The most likely diagnosis VLOSP was selected. Low-dose antipsychotic decreased positive symptoms. The intervention of the psychogeriatric outreach team in close collaboration with the generalist practitioner, the local nurse and the management of the institution allowed her to stay in her home. Rev Geriatr 2015 ; 40 (9) : 543-8. Mots clés : VLOSP - Antipsychotique - Domicile Keywords: VLOSP - Antipsychotic - Home Auteur correspondant : Docteur Anne-Sophie AAKRA-JARDEZ, Gériatre, SSR Gériatrique, Hôpital Plaisir Grignon, 220 rue Mansart, BP 9, 78375 Plaisir, France. Courriel : [email protected] 1 Gériatre, SSR Gériatrique, Hôpital Plaisir Grignon, 220 rue Mansart, BP 9, 78375 Plaisir, France. 2 Infirmière, Unité Mobile Psycho-Gériatrie (UMPG), Hôpital Simone Veil, 14 rue de Saint Prix, 95602 Eaubonne Cedex, France. 3 Médecin Généraliste, 1 rue Thomas, 95600 Eaubonne, France. 4 Psychiatre, Unité Mobile Psycho-Gériatrie (UMPG), Hôpital Simone Veil, 14 rue de Saint Prix, 95602 Eaubonne Cedex, France. Article reçu le 16/02/2015 et accepté le 21/09/2015 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 9 NOVEMBRE 2015 543 Maintien au domicile d’une patiente âgée psychotique délirante de découverte tardive grâce à une intervention pluridisciplinaire • Maintaining at home a late-diagnosed delusional psychotic elderly patient thanks to a multidisciplinary approach INTRODUCTION d’intervenir directement au domicile de ces sujets, facilitant ainsi leur prise en charge par les différents intervenants impliqués, qui sont souvent démunis face à de tels symptômes. E nviron 5 % des personnes âgées présentent des idées délirantes associées à des hallucinations qui perturbent l’entourage(1). Le diagnostic de Very Late Onset Schizophrenia (VLSOP) représente moins de 1 % de cette population. Les symptômes surviennent après 60 ans et concernent des sujets qui présentent un délire paranoïaque isolé (paranoïa) ou associé à des hallucinations (paraphrénie)(2-4). Cette pathologie aurait une origine neurodégénérative qui la différencie de la schizophrénie du sujet jeune(3, 4). Elle touche surtout les femmes plutôt isolées(1, 3, 4). Les désafférentations sensorielles auditives et visuelles contribuent à l’isolement social du sujet et à l’aggravation de ces troubles, qui peuvent s’atténuer avec un appareillage adéquat(2, 4-7). Les mécanismes étiopathogéniques des symptômes reposent sur le rôle de neurotransmetteurs : augmentation de la libération de dopamine (rôle des récepteurs D2), du taux de glutamate (rôle des récepteurs NMDA) et de la sérotonine (rôle des récepteurs 5HT2A). Concernant la dopamine, les voies mésolimbiques dopaminergiques ont un rôle important sur les symptômes positifs (hallucinations, délire), avec un taux élevé en dopamine. La voie mésocorticale (vers le cortex préfrontal) est impliquée dans les symptômes négatifs et cognitifs ; certains auteurs évoquent un déficit en dopamine(8, 9). Pour le glutamate, le mécanisme passe par une diminution du fonctionnement des récepteurs glutamatergiques NMDA qui entraine une concentration élevée en glutamate circulant chez le patient psychotique ; cela favorise une majoration des symptômes psychotiques, cognitifs (fonctions exécutives), sociales. Ce dysfonctionnement interagit avec les voies dopaminergiques mésolimbiques (stimulation) et mésocorticales (diminution de la libération de dopamine)(8-10). Concernant la sérotonine, on observe une élévation du nombre de récepteurs 5HT2A chez les psychotiques jeunes ou chez les patients non traités ; ces récepteurs sont impliqués dans la survenue d’hallucinations visuelles(10). Le système sérotoninergique intervient sur la libération de la dopamine ; la stimulation des récepteurs 5HT2A corticaux peut diminuer la libération de dopamine au niveau du striatum(9). Le traitement médicamenteux du VLOSP repose principalement sur l’usage d’antipsychotiques atypiques prescrits aux doses les plus faibles possibles et au minimum pendant 6 mois(3, 11) ; ils agissent principalement en bloquant les récepteurs dopaminergiques de type 2 mais également les récepteurs sérotoninergiques 5HTA2, pour les molécules les plus récentes(9, 10). Le maintien au domicile de ces sujets (s’il est possible) peut s’avérer très difficile en l’absence d’un environnement adéquat et ne peut se faire qu’avec un entourage familial et, ou, professionnel investi. Le développement récent d’équipes mobiles de psychogériatrie permet OBJECTIFS Nous avons voulu mettre en évidence l’intérêt d’une collaboration pluri disciplinaire (Unité Mobile de Psycho-Gériatrie - UMPG -, médecin traitant, pharmacien, infirmière libérale et administration de l’établissement) afin de maintenir un sujet âgé atteint de troubles psychiatriques invalidants à son domicile. RÉSULTATS Nous rencontrons Mme M., 92 ans, en foyer logement, à la demande de son médecin traitant pour le motif suivant : délire et agressivité. Il a été alerté par la directrice de l’établissement où la patiente vit depuis sa retraite. Ses antécédents sont : hypertension artérielle équilibrée, thyroïdectomie, arthrose, hypoacousie profonde appareillée (port non continu des prothèses pour « économiser » les piles). Son traitement est : ramipril, lévothyroxine, paracétamol, calcium-vitamine D, zopiclone 7, 5. Histoire de la maladie La directrice nous décrit Mme M. comme une personne discrète, « pas méchante », voire attachante, qui a toujours tenu des propos « interprétatifs » sur ses voisins. Depuis quelques mois Mme M. est de plus en plus méfiante, elle présente des hallucinations auditives : elle entend sa voisine qui l’agresse verbalement à travers la cloison et la critique. Elle appelle la nuit le personnel de garde, sort sur le palier en criant et inquiète les voisins. Elle refuse toute aide sauf celle de la gouvernante de l’institution en qui elle a confiance. Depuis peu, elle a changé de médecin traitant suite à une modification de traitement non acceptée. La directrice explique les difficultés majeures à garder Mme M., mais voudrait éviter l’hospitalisation ou le transfert en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Histoire de vie Le père de Mme M. était mécanicien. Elle a un frère (perdu de vue). Mme M. est peu allée à l’école car elle gardait sa mère « épileptique » avec qui elle partageait le même lit. Une nuit sa mère l’a « piquée » avec un couteau : son père l’a envoyée en hôpital psychiatrique pour protéger sa fille ; Mme M. ne l’a plus revue. Plus tard, la nouvelle compagne de son père l’a éloignée progressivement de ce dernier 544 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 9 NOVEMBRE 2015 Maintien au domicile d’une patiente âgée psychotique délirante de découverte tardive grâce à une intervention pluridisciplinaire • Maintaining at home a late-diagnosed delusional psychotic elderly patient thanks to a multidisciplinary approach qu’elle aimait beaucoup. Mme M. a divorcé à 50 ans (époux violent). Elle n’a pas eu d’enfant par peur de ses antécédents maternels. Elle a travaillé comme femme de ménage et a mené une vie « laborieuse ». À la retraite, elle est entrée directement en foyer logement où elle déjeunait au début. Elle a toujours été préoccupée par ses finances (pourtant équilibrées) et vit parcimonieusement. Sa vie est rythmée par les courses au supermarché (très restrictives : pâtes, purée, jambon, camembert, bananes, eau en bouteille pour cuisiner par « méfiance de l’eau provenant du robinet »). Elle n’a ni famille proche, ni ami. qu’une consultation cardiologique (électrocardiogramme absent). En résumé, Mme M. présente des propos délirants paranoïaques et des hallucinations auditives non critiquées avec peut-être des éléments dépressifs sous jacents (1 point à la Mini-geriatric depression scale(2) : item « vous sentez-vous découragé et triste »). Ce tableau nous fait évoquer un possible VLOSP. Nous conseillons à son médecin d’introduire dans un premier temps un antipsychotique atypique (rispéridone) à doses croissantes (paliers de 0,25 mg toutes les semaines jusqu’à efficacité). La patiente, plutôt opposée à la prise d’un nouveau traitement, a fini par accepter après de longues explications. Son médecin a décidé de prescrire une préparation magistrale en « 1 gélule » quelle que soit la posologie pour éviter des erreurs ; il a remis lui-même l’ordonnance au pharmacien. Il est prévu que l’état de Mme M. soit réévalué toutes les semaines dans un premier temps. Nous notons les dates de nos passages sur un calendrier (avec ou sans la présence de son médecin). Un pilulier est prescrit, que nous vérifions de façon hebdomadaire en attendant le relais par une infirmière libérale (refusée au début de la prise en charge). La gouvernante accepte de passer quotidiennement pour encourager la prise du traitement auquel Mme M. adhère peu au début. Nous avons rencontré le pharmacien, avec qui la patiente avait eu une altercation récente, pour lui expliquer la pathologie et refaire le lien. Entretien Nous avons rendez-vous avec Mme M. et son nouveau médecin traitant, qui l’a préparée à notre visite. La gouvernante nous accompagne pour ouvrir la porte si besoin (sans ses prothèses auditives, la patiente n’entend pas). Le studio est minutieusement rangé et très propre, les rideaux sont fermés avec une pince à linge par « peur d’être vue » (le studio se trouve au deuxième étage sans vis-à-vis). Mme M. est une petite dame frêle. Elle semble méfiante, mais nous parle spontanément de sa voisine de « mauvaise vie » qui l’espionne, la critique et l’insulte (elle l’entend en notre présence et en dehors de son domicile). Elle dit que cela la rend triste et anxieuse. Elle n’a pas d’idées suicidaires. Son sommeil est bon sous traitement hypnotique auquel elle tient beaucoup. Elle préfère être seule, car elle ne veut pas se mêler des « cancans ». Elle se dit « très honnête, propre et affirme n’avoir jamais volé ses patrons ». Régulièrement elle refoule des larmes lors de la discussion et nous dit ne pas être heureuse. L’hypoacousie très sévère, bien qu’appareillée, restreint la qualité des échanges. Une exploration cognitive (basée sur un Mini Mental Status Examination - MMS) ne peut être réalisée du fait de la méfiance de la patiente, cependant le discours est fluent sans manque de mots, la mémoire des faits anciens et récents semble conservée. L’orientation spatiale est normale. L’orientation dans le temps montre une erreur de date au jour près (télévision en panne, pas de journaux, pas de radio). Les praxies et gnosies semblent conservées (elle fait ses courses seule, prépare ses repas, utilise sa machine à laver). Elle a toujours été aidée pour compléter des documents administratifs (niveau scolaire bas). Le bilan biologique récent est normal : formule sanguine, Protéine C réactive (CRP), ionogramme, fonction rénale, fonction hépatique, glycémie, TSHus, folates, vitamine B12, calcémie, vitamine D. Son médecin traitant n’a pas retrouvé de déficit neurologique focalisé ; la marche semble normale ainsi que l’équilibre. La mesure de la pression artérielle est à 120/70 mm Hg, les bruits du cœur sont réguliers et sans souffle audible. Une imagerie cérébrale a été refusée par la patiente de même © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 9 NOVEMBRE 2015 Évolution Il a fallu 5 à 6 mois pour que l’observance soit régulière et obtenir un relais par une infirmière libérale. Sous rispéridone, les hallucinations ont rapidement été critiquées avec une dose maximale prescrite de 1,25 mg ; les idées dépressives ont disparu dès 0,50 mg de rispéridone. Mme M. est devenue accueillante (cérémonie du café) ; elle n’appelle plus la nuit et ne ferme plus ses rideaux avec des pinces à linge. Sur un plan clinique, le traitement antipsychotique a été bien supporté (pas de syndrome extrapyramidal). Elle n’a pas accepté la présence d’une auxiliaire de vie pour l’aider à faire ses courses. Nous avons tenté à nouveau de réaliser un MMS afin de rechercher l’existence de troubles cognitifs, avec toujours la même méfiance et opposition de la patiente, celle-ci ne comprenant pas le « sens » de ce type d’intervention et refusant tout examen complémentaire (imagerie ou spécialiste). À partir de 8 mois, nous avons espacé nos visites qui sont devenues mensuelles. À 10 mois, nous avons observé un ralentissement idéo-moteur (la patiente restait perplexe devant le fonctionnement 545 Maintien au domicile d’une patiente âgée psychotique délirante de découverte tardive grâce à une intervention pluridisciplinaire • Maintaining at home a late-diagnosed delusional psychotic elderly patient thanks to a multidisciplinary approach de sa machine à laver qu’elle ne savait plus utiliser), ainsi que des troubles de la marche témoignant de l’apparition d’effets secondaires probablement dus à l’antipsychotique. Nous avons diminué la dose de rispéridone à 1 mg ; l’état clinique s’est normalisé après 10 jours. Depuis 16 mois, la vie de Mme M. est devenue « normale » ; elle entend encore un peu sa voisine mais n’y fait plus attention : « de toute façon ce n’est pas quelqu’un de bien » ; elle prend plaisir à nous recevoir. De temps en temps, elle « oublie » de prendre son traitement pendant 2 ou 3 jours (« est-ce que j’en ai besoin ? »), sans répercussion clinique notable (imprégnation de l’antipsychotique). La directrice de l’établissement est contente d’avoir pu la garder. femmes. Ce diagnostic, décrit dans la littérature française spécialisée, est rattaché au VLOSP dans la littérature internationale quand les symptômes débutent après 60 ans(3, 6) ; • une décompensation de troubles paranoïaques préexistant due à l’isolement ; ce diagnostic est rattaché au VLOSP dans la littérature internationale(4). Chez Mme M., le diagnostic le plus probable que nous avons retenu est donc celui du VLOSP. Le terme de VLOSP regroupe plusieurs entités avec délire associé ou non à des hallucinations (comme décrit précédemment) ; il débute après 60 ans et est souvent sous-tendu par des troubles cognitifs et la possible présence d’antécédents familiaux. Le VLOSP est décrit comme pouvant être un mode d’entrée tardif dans la schizophrénie par certains auteurs(3, 4, 6). Si le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux dans sa version 3 (DSM-III) en 1980 spécifie que le diagnostic de schizophrénie ne peut être posé que s’il apparait avant l’âge de 45 ans, la version révisée de 1987 (DSM-III-R) identifie une autre population dont les symptômes débutent audelà de 45 ans. Depuis 1994, la version du DSM-IV a fait disparaitre cette notion d’âge, qui n’est pas non plus reprise dans la version du DSM-V (2013)(2, 12-14). En France, la schizophrénie d’apparition tardive est un diagnostic controversé ; on estime qu’il s’agit plutôt de sujets dont le diagnostic a été posé tardivement, ou exclus d’un système de soins, ou dont les manifestations psychiatriques sont longtemps restées silencieuses. On évoque plutôt une « schizophrénie à révélation tardive ». De plus, de nombreux spécialistes estiment que le critère de dissociation (ou désorganisation ; c’est-à-dire une rupture de l’unité psychique entre l’affect, la pensée et le comportement) est obligatoire pour valider ce diagnostic(2). La prise en charge médicamenteuse du VLOSP repose sur la mise en route d’un traitement antipsychotique pour une durée minimale de 6 mois, voire indéfinie, à la dose efficace la plus faible. Ce traitement peut être associé à un antidépresseur, plus ou moins un anxiolytique(3, 11). Ici, nous avons raisonné en termes de prescription probabiliste, c’est-à-dire raisonnée, visant à diminuer la symptomatologie délirante et à améliorer le maintien dans l’institution. Pour notre patiente, seul l’antipsychotique a été nécessaire. L’adaptation des doses a été faite selon les recommandations internationales, en augmentant la rispéridone de façon très progressive par paliers de 0,25 mg toutes les semaines ; la plus faible dose efficace a été recherchée conformément aux bonnes pratiques(3, 5, 11). Nous regrettons de n’avoir pu réaliser un électrocardiogramme pour contrôler le QTc avant l’introduction de la rispéridone (refus de la patiente d’une consultation spécialisée). De même, l’évaluation cognitive avec imagerie cérébrale n’a pu être faite (essai d’un Mini Mental Test Examination à DISCUSSION Mme M. présente un délire dont la date de début remonte au moins à plusieurs mois ; celui-ci est construit (sans dissociation), avec présence d’hallucinations auditives non critiquées lors du début de la prise en charge (thème paranoïaque de persécution) et il survient sur une conscience claire. La personnalité pré-morbide de la patiente évoque un profil sensitif (sujet introverti avec sentiment d’échec, voire d’infériorité, méfiant, timide, à valeurs morales fortes)(5). Son délire est associé à de l’anxiété et de possibles idées dépressives. On remarque la notion d’antécédents familiaux (mère). Face à ces éléments, nous pouvons évoquer plusieurs hypothèses diagnostiques : • des acouphènes : ils peuvent provoquer ou aggraver un délire, mais le port des prothèses ne corrige pas ces manifestations chez Mme M. Une visite spécialisée n’a pas pu être programmée pour vérifier la qualité de l’appareillage. Par ailleurs, la désafférentation sensorielle auditive peut contribuer à l’isolement et à l’apparition des hallucinations(4, 6, 7) ; • une démence sur personnalité sensitive : mais nous n’avons pas pu faire d’évaluation neuropsychologique ni faire pratiquer d’imagerie cérébrale. Ces examens nous auraient permis d’écarter une pathologie neurodégénative sous-jacente, qui est le principal diagnostic différentiel à évoquer devant ce tableau clinique (bien que nous ne soyons pas ici confrontés à des confabulations mais à de réelles hallucinations chez une personne qui ne semble pas présenter de troubles cognitifs) et d’agir sur les facteurs étiopathogéniques pouvant être pris en charge (troubles ioniques, cardio-vasculaires...) ; • une dépression délirante(2) favorisée par l’isolement ; mais les rares symptômes dépressifs se sont rapidement amendés par l’usage seul de l’antipsychotique ; • une schizophrénie non diagnostiquée antérieurement ; • une psychose hallucinatoire chronique : elle débute généralement vers l’âge de 45/50 ans et touche surtout les 546 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 9 NOVEMBRE 2015 Maintien au domicile d’une patiente âgée psychotique délirante de découverte tardive grâce à une intervention pluridisciplinaire • Maintaining at home a late-diagnosed delusional psychotic elderly patient thanks to a multidisciplinary approach distance de l’épisode de décompensation, mais gêne majeure par le déficit auditif et par refus de la patiente). Cependant, une atteinte des fonctions cognitives peut se retrouver dans le cadre du VLOSP (avec une présentation différente de celle de la maladie d’Alzheimer, touchant plus les fonctions exécutives) et l’évolution vers un trouble démentiel est possible(14-16). Les risques évolutifs les plus fréquents d’un délire d’apparition tardif sont une évolution vers un syndrome démentiel ou une dépression(2). Il faut donc rester prudent sur le diagnostic évoqué de VLSOP chez Mme M. et considérer le diagnostic final comme un diagnostic d’évolution. Nous avons toujours eu soin de réévaluer lors de nos visites les risques encourus par la patiente à chacun de ses refus de traitements ou d’examens et cela de façon collégiale, avec le médecin traitant et la direction, dans la mesure où il n’y avait pas de mise en danger du sujet ou de l’entourage. Nous avons facilité l’instauration d’un climat de confiance en favorisant l’écoute active de la patiente, qui pouvait alors exprimer son ressenti et sa souffrance au fur et à mesure des rencontres. Au niveau de l’encadrement, nous avons eu la chance de bénéficier d’un engagement important du médecin traitant qui nous a accompagnés régulièrement lors de nos visites afin d’habituer Mme M. à notre présence et qui s’est montré très réactif à chacune de nos propositions. Dans l’institution, nous avons eu le soutien de l’équipe administrative (la directrice ayant à cœur de maintenir la patiente dans son environnement) ainsi que du personnel du foyer logement (gouvernante et homme d’entretien, que la patiente acceptait de recevoir) ; nos visites étaient attendues et nous pouvions faire un point sur l’évolution de la prise en charge grâce à leur vigilance. Le pharmacien a insisté sur l’observance du traitement auprès de la patiente. Sans cette collaboration pluridisciplinaire, l’issue de la prise en charge aurait été bien différente. Nous regrettons cependant de n’avoir pu obtenir qu’un accord de la patiente pour © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 9 NOVEMBRE 2015 un seul passage hebdomadaire d’une infirmière de ville pour la mise en place du pilulier. Certains auteurs recommandent d’ailleurs de ne pas trop multiplier les intervenants auprès de ce type de patients(5). Ce mode de fonctionnement peut évoquer les modèles de psychiatrie ambulatoire. Il associe une prise en charge conjointe, régulière, qui s’étend sur la durée et permet un accompagnement optimisé de la patiente au domicile avec l’établissement d’un lien. Le patient est au cœur de chacune des interventions, sa demande est écoutée et entendue. CONCLUSION Au total, le travail de l’UMPG en partenariat avec le médecin traitant, le pharmacien, le personnel administratif du foyer et avec l’infirmière libérale, a permis d’éviter l’hospitalisation en urgence et/ou un transfert en EHPAD de Mme M. Cette collaboration a aidé à renforcer la surveillance de la patiente, à adapter et à suivre l’efficacité, après traitement à surveiller l’apparition d’effets indésirables et à lui apporter un soutien psychologique régulier. La qualité de vie du Mme M. a été améliorée : elle a pu rester à son domicile. L’UMPG permet de prendre en charge des patients psychologiquement ou psychiatriquement fragiles ou instables dans leur lieu de vie et leur évite, dans la mesure du possible, une hospitalisation. Elle place le patient au cœur de la réflexion et travaille au rythme de celui-ci pour faciliter la mise en place des mesures qui contribuent à l’amélioration de sa qualité de vie. Elle travaille avec l’entourage et les différents professionnels concernés : elle leur apporte un soutien psy■ chologique et des conseils spécifiques. Liens d’intérêts : les auteurs n’ont déclaré aucun lien d’intérêt concernant cet article. 547 Maintien au domicile d’une patiente âgée psychotique délirante de découverte tardive grâce à une intervention pluridisciplinaire • Maintaining at home a late-diagnosed delusional psychotic elderly patient thanks to a multidisciplinary approach RÉFÉRENCES 1. Lombertie ER, Alamome I, Chevalier C, Hazif-thomas C, Thomas P. Troubles psychotiques et délirants de l’âgé. Rev Geriatr 2004 ; 29 : 67-72. 9. Stahl SM. Psychopharmacologie essentielle. Paris : Lavoisier Médecine Sciences. 2015. 2. Clément JP. Psychiatrie de la personne âgée. Paris : Flammarion : Médecine-Sciences 2009. 10. 3. Palmer BW, McClude FS, Jeste DV. Schizophrenia in late life : findings challenge traditional concepts. Harv Rev Psychiatry 2001 ; 9 : 51-8. 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