Projet de loi Travail : ça p
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Projet de loi Travail : ça p
S O CI AL LE GOUVE RN E M E N T PRÉ S E N T E AUX S YN DI C AT S UN PROJ ET R ÉÉC RIT Projet de loi Travail : ça p Il y a dans la vie d’un pays des journées plus importantes que d’autres. Ainsi ce lundi est décisif pour notre modèle social, pour la présidentielle à venir, enfin et surtout pour les chômeurs. L e rendez-vous est fixé à 14 h 30 à l’Hôtel de Matignon. D’un côté, le Premier ministre Manuel Valls, flanqué des ministres Myriam El Khomri (Travail) et Emmanuel Macron (Économie). De l’autre, les syndicats de patrons, de salariés et d’étudiants. Et sur la table, un avant-projet de loi baptisé « Travail » ou « El Khomri », et dont le nom complet est « Nouvelles protections pour les entreprises et les salariés ». Un texte lourd d’enjeux multiples, à un an de l’élection présidentielle. La menace de la rue Les manifestations du 9 mars l’ont confirmé, le « climat social » est chaud. Rien d’étonnant, dans un pays en crise depuis 2008, avec toujours plus de chômeurs. Cette première mobilisation peut-elle déboucher sur un conflit majeur paralysant le pays, comme en 1995 contre les réformes d’Alain Juppé ? Les syndicats dits « réformistes » tiennent une première réponse. C’est le coup de gueule de Laurent Berger (CFDT) contre un « texte très déséquilibré entre la flexibilité et la sécurité » qui a convaincu le gouvernement de ménager deux semaines supplémentaires de concertation. Si la CFDT redit « niet » cet après-midi, le projet apparaît condamné. Les étudiants de la Fage, pour l’ins- tant du côté des réformistes, sont également déterminants. C’est pour eux que sont évoquées des modifications sur la durée du travail pour les apprentis, et l’extension de la « garantie jeunes ». Hollande à quitte ou double La pré-campagne présidentielle est ouverte. François Hollande a joué avec ce projet la carte du réformateur sans tabou. Il a depuis laissé manœuvrer son Premier ministre, qui en a parfois rajouté dans le style jusqu’au-boutiste, semblant parier sur les électeurs contre les partis et les syndicats. Le président a repris la main ce week-end, déterminé à ne pas braquer la CFDT. S’il y parvient, il lui restera à convaincre les députés socialistes, pas moins divisés. Il a pour handicaps la division de la gauche et son affaiblissement politique, qui font s’interroger sur sa candidature. Et pour atout la surenchère des candidats à la primaire des Républicains, qui promettent des mesures encore plus radicales. Les chômeurs en attente Comment l’oublier ? Les 3,55 millions de chômeurs, près de 6 millions si l’on inclut toutes les catégories, seront les premiers gagnants ou victimes de ce bras de fer. Selon les partisans de la réforme, la flexibilité permet d’ouvrir le marché du travail aux exclus et aux précaires. Selon ses opposants, diminuer les acquis des salariés n’aide en rien les chômeurs… Dans tous les cas, le jugement final reviendra aux électeurs. Et nul doute que ce lundi, avec ses suites, pèsera dans leur choix. CALENDRIER 18 janvier : François Hollande dessine les grandes lignes du projet. 9 mars : les partisans du retrait (CGT, Fédération syndicale unitaire, Force ouvrière, Solidaires, Unef, Union nationale lycéenne…) mobilisent entre 220 000 et 450 000 manifestants. 12 mars : les « réformistes » (CFDT, CFTC, CGC, Unsa, Fage…) organisent des rassemblements pour peser sur le gouvernement. Lundi 14 mars : le Premier ministre présente les grandes lignes du projet aux organisations syndicales. 17 mars : rassemblements dans les universités à l’appel de l’Unef. 24 mars : le conseil des ministres examine le projet, deux semaines après la date initialement prévue. Le même jour, Pôle Emploi publie les chiffres du chômage à la fin février. 31 mars : grèves et manifestations pour le retrait du texte, dans la suite du 9 mars. 4 avril : l’Assemblée nationale entame l’examen du texte, dont le gouvernement espère le vote définitif avant l’été. Francis Brochet Des manifestants à Paris contre l’avant-projet d Un texte, deux révolutions On recense pas moins de 52 articles dans le projet de loi sur le travail, et presque autant de polémiques, souvent d’ordre très techniques… De quoi oublier les deux révolutions en profondeur du « modèle social » français que porte ce texte. - L’entreprise d’abord : en République française, la loi faite par le pouvoir politique l’a toujours emporté sur la négociation conclue par les partenaires sociaux. Dans la ligne d’un rapport rendu en septembre par Jean-Denis Combrexelle, la loi Travail fait primer la négociation d’entreprise (ou de branche professionnelle), en commençant par l’organisation du temps de travail. - L’individu avant le collectif : le compte personnel d’activité (CPA), qui pourrait accueillir différents droits (compte pénibilité retraite, compte épargne temps, formation continue…), est attaché à chaque actif, et portable d’une entreprise à l’autre. Il traduit l’évolution du marché du travail, qui ménage de moins de moins de carrières linéaires. Mais aussi l’évolution de notre société, davantage portée sur les droits individuels que collectifs. passe ou ça casse Bernadette Groison secrétaire générale de la FSU « Il faut retirer ce texte » Photo AFP Qu’attendez-vous de Manuel Valls, cet après-midi ? Qu’il accepte de discuter des mesures à prendre pour améliorer vraiment la situation du travail, des salariés et des chômeurs. Manuel Valls est parti sur de mauvaises bases : sans concertation préalable, et avec le souci de répondre surtout aux exigences de flexibilité des organisations patronales. Il faut donc retirer ce texte, non pour laisser en l’état une situation dont personne ne peut se satisfaire, mais pour ouvrir une discussion sur d’autres bases. L’urgence est pour nous du côté de la formation : nous réclamons une grande réunion de tous les acteurs de la formation – initiale, professionnelle et continue – afin d’améliorer l’ensemble. Quel est l’état d’esprit des enseignants ? Les enseignants doutent de la volonté de ce gouvernement de faire de l’éducation et de la formation une priorité. Il y a eu la loi Refondation (de l’École de la République, en 2013), qui allait dans le sens d’une élévation du niveau de qualification, mais ce projet de loi Travail vient en contradiction. Et des lycéens et étudiants ? Ce qui manque aux lycéens et étudiants, et d’ailleurs peut-être à l’ensemble des citoyens, c’est un projet qui donne à voir de l’avenir, qui leur montre que le pays compte sur eux. À un an de l’élection présidentielle, tout est forcément très politique… Nous ne sommes pas naïfs… C’est pourquoi je dis que le mouvement syndical doit faire très attention. Il doit jouer son rôle syndical, faire valoir les droits et garanties des salariés et des chômeurs. Après, on fait avec le gouvernement qu’on a : si les syndicats se mettent à faire autre chose, si certains jouent à préparer 2017, on ne fera qu’alimenter le discrédit des syndicats et de la politique. Recueilli par Francis Brochet de loi sur le travail, mercredi 9 mars. Photo AFP } Il est vital de réformer Trois blocages, combien de passages ? le Code du travail… (Mais) le temps de la Nombre de points restent discutés, mais trois d’entre eux apparaissent réforme, c’est décisifs pour lever l’opposition des généralement le début « réformistes » emmenés par la d’un quinquennat. À la CFDT. veille de la présidentielle, Indemnités de licenciement on confond réforme La loi fixe un barème, variant selon et manœuvre. ~ l’ancienneté du salarié, aux dommaJ.-P. Raffarin, ex-Premier ministre 3,55 millions, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) à la fin janvier, en très légère baisse sur un mois (-0,8 %). À l’entrée de François Hollande à l’Élysée, en mai 2012, la France comptait 2 922 100 chômeurs. LUNDI 14 MARS 2016 ges et intérêts que peuvent accorder les juges des prud’hommes en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Les syndicats contestent le principe même du barème imposé. Le gouvernement pourrait relever le plafond, et surtout rendre le barème indicatif. Licenciements économiques La loi entérine la jurisprudence encadrant les licenciements économiques, qui retient une baisse des com- veau de la branche professionnelle, et à défaut fixée à quatre trimestres de difficultés. Les syndicats réclament un durcissement des critères, et surtout une appréciation non pas au niveau de chaque entreprise mais du groupe, y compris dans sa dimension internationale, afin d’éviter une mise en compétition des sites. Forfait jours dans les PME Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Photo AFP mandes ou du chiffre d’affaires de l’entreprise. La durée prise en compte serait définie par un accord au ni- La loi permet que le forfait jours, moyen de contourner les 35 heures, puisse être mis en place dans les PME sans passer par un accord. Les syndicats contestent ce pouvoir « unilatéral » donné au chef d’entreprise, et exigent le maintien d’un accord préalable. Le gouvernement pourrait accéder à leur demande, en autorisant qu’un syndicaliste extérieur soit mandaté pour négocier cet accord.