Les jeunes et le vote

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Les jeunes et le vote
Participation, engagement, citoyenneté
Les fiches Repères
Les jeunes et le vote
La jeunesse n’est pas qu’une période de transition dans la formation de l’identité, elle est aussi
une étape importante dans le processus de socialisation politique et dans l’apprentissage de
la vie politique. Étape charnière où s’acquièrent les premiers codes pour interpréter le champ
politique, c’est aussi le moment de la mise à l’épreuve de ces repères dans le cours des premiers
engagements. Dans ce mouvement biographique, les jeunes vont aussi faire leurs premiers pas
dans les isoloirs. Malgré la forte charge symbolique qui entoure ce passage décisif, le vote n’en
reste pas moins diversement pratiqué à un âge où les formes de participation alternative, plus
tournées vers des actions concrètes et pragmatiques, sont préférées aux formes plus institutionnalisées de la participation.
Participation et abstention
La jeunesse reste un moment de la vie où la vitalité de
l’action collective comme la force d’indignation et la rébellion
sont davantage affirmées qu’à d’autres moments de la vie.
Pourtant, malgré une plus grande réactivité politique, la
participation électorale varie non seulement en fonction de
l’intensité du scrutin, mais aussi de caractéristiques sociodémo-
graphiques, lesquelles peuvent révéler un certain nombre de
clivages au sein de la jeunesse.
Moratoire civique
De manière générale, les jeunes sont plus abstentionnistes
que leurs ainés, dans des proportions qui varient toutefois
sensiblement selon les tranches d’âges. En 2012, l’abstention systématique, qui désigne le comportement d’un
graphique 1
Répartition par tranche d’âge de la participation systématique, intermittente et de l’abstention systématique
Source : enquête de participation électorale, INSEE 2012.
© Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, janvier 2015
1
Participation, engagement, citoyenneté
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tableau 1
Taux d’abstention au 1er tour des présidentielles 2012, selon l’âge et le sexe
Tranches d’âge
Plus de 75
ans
De 18 à 24
ans
De 25 à 34
ans
De 35 à 44
ans
De 45 à 54
ans
De 55 à 64
ans
De 65 à 74
ans
%
%
%
%
%
%
Femmes
25,8
20,9
14,1
11,7
11,6
13,9
35,9
Hommes
29,3
26,9
15,9
14,1
12,7
10,5
21,2
Source : enquête de participation électorale 2012 (INSEE)
électeur s’étant abstenu aux deux scrutins présidentiels et
législatifs, concernait en premier lieu les jeunes de 25 à 34 ans
(19 %). Les primo-votants, soit les plus jeunes électeurs de
18 à 24 ans, étaient ainsi moins concernés par l’abstention
systématique (13,5 %) que leurs aînés immédiats (graphique 1).
Évoquant l’abstention plus forte de cette tranche d’âge,
Anne Muxel parle de « moratoire civique » qui se caractérise
par un retrait un peu plus marqué de la décision électorale.
Ce temps de maturation dans la construction de la citoyenneté tend à se rallonger en raison de l’entrée plus tardive dans
la vie adulte. Il faut d’ailleurs attendre la quarantaine pour
que le taux de participation soit équivalent à celui que l’on
observe dans l’ensemble du corps électoral. La participation
aux élections tend ainsi à augmenter en même temps que
progresse l’entrée dans la vie adulte, au fur et à mesure de
l’insertion sociale et professionnelle, et d’une familiarisation
progressive avec la vie politique. Toutefois, le comportement
dominant pour les jeunes n’est pas celui d’une abstention
systématique, mais correspond davantage à une participation intermittente marquée par une pratique sélective
du vote.
L’intermittence du vote
L’abstentionnisme n’est pas un phénomène politique spécifique à la jeunesse, même s’il est plus marqué pour cette
catégorie d’âge. On retrouve en effet une diffusion et une
banalisation de ce comportement dans l’ensemble de la
population. Par ailleurs, pour certaines élections, comme les
présidentielles de 2012, le taux de participation des jeunes,
plus encore des jeunes femmes qui tendent à voter davantage
que les jeunes hommes, peut se rapprocher de celui observé dans l’ensemble de la population. Ainsi, au 1er tour des
présidentielles, l’abstention des jeunes, tout en étant plus
prononcée qu’aux âges plus avancés, reste proche des 26 %
pour les femmes, 29 % pour les hommes (tableau 2). Autre-
© Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, janvier 2015
ment dit, 71 % à 74 % des jeunes ont participé au premier tour
des élections, à rapprocher d’un taux de participation tous
âges confondus proche de 80 %.
Cette participation varie toutefois fortement selon l’intensité de la campagne et des enjeux mobilisateurs. Toujours
en 2012, quelques semaines seulement après les élections
présidentielles, le taux d’abstention pour les femmes de
18-24 ans aux élections législatives était de 60,5 % et celui
des hommes du même âge de 65,4 %, soit une abstention
plus forte d’environ 35 % de l’ensemble du corps électoral.
C’est en ce sens qu’il convient de parler d’une intermittence du
vote avec des périodes variables de retrait et de participation.
Le vote étant désormais plus l’expression d’un droit et non
d’un devoir (Muxel, 2010), nous assistons à une évolution des
usages contemporains de la citoyenneté marquée par une
labilité de la participation électorale. Moins abstentionniste lors
des élections présidentielles, le corps électoral désinvestit en
revanche tout particulièrement les scrutins locaux et européens, faute souvent d’enjeux lisibles et saillants et pouvant
manquer d’incarnation. À cela s’ajoutent des variations importantes au niveau des inscriptions sur les listes électorales.
Politisations et fractures
L’étude réalisée par l’Association nationale des conseils
d’enfants et de jeunes (ANACEJ) en 2014, à l’occasion des
élections municipales et européennes, a notamment permis
de souligner que l’abstentionnisme ne doit pas être interprété comme une dépolitisation de la part d’une jeunesse qui se
sentirait moins concernée par les questions politiques (Bruter,
Clary, 2014). Malgré une participation électorale inconstante,
il sem-blerait que les jeunes se sentent aujourd’hui davantage
concernés par la politique que les générations précédentes.
Cette situation nous invite à comprendre les enjeux actuels
d’une recomposition du rapport des jeunes à la citoyenneté.
2
Participation, engagement, citoyenneté
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encadré 1
Non-inscrits et « mal-inscrits »
Depuis une loi adoptée en 1997 à l’initiative de Lionel Jospin, tous les Français âgés de 18 ans et plus sont, en théorie,
inscrits automatiquement sur les listes électorales de leur mairie au moment de leur participation à la Journée
défense et citoyenneté (JDC, anciennement JAPD). Toutefois, en cas de déménagement après la JDC, si aucune
nouvelle adresse n’a été fournie, la procédure se grippe, et l’inscription redevient une démarche personnelle. Le
déficit d’inscrits est ainsi particulièrement important chez les personnes nées entre 1975 et 1993 (voir graphique
ci-dessous), plus encore pour les personnes n’ayant aucun diplôme, qui ne sont que 85 % seulement à être inscrites,
alors que la proportion d’inscrits grimpe dès l’obtention d’un diplôme inférieur au bac (93 % à être inscrits) et
continue d’augmenter en parallèle du niveau d’étude (94 % pour les bacheliers et 96 % pour les détenteurs
d’un diplôme supérieur). Par ailleurs, seuls trois quarts des « Français nés à l’étranger » sont inscrits sur les listes
électorales selon l’INSEE. À ces chiffres sur les non-inscrits s’ajoutent ceux sur les « mal-inscrits », c’est-à-dire le
fait de ne pas être inscrit dans le bureau de vote le plus proche de son lieu de résidence effectif, ce qui contribue à
augmenter le niveau de l’abstention et notamment celui des jeunes. Selon certaines études, la « mal-inscription »
toucherait environ 20 % des inscrits.
Taux d’inscription sur les listes électorales en fonction de l’année de naissance et du sexe
en %
100
Femmes
Hommes
95
90
85
Année de naissance
-93
19
90
-89
19
85
-84
19
80
-79
19
75
-74
19
70
-69
19
65
-64
19
60
-59
19
55
-54
19
50
-49
-44
19
45
19
40
-39
35
19
-34
19
30
-29
19
25
-24
19
20
av
an
t1
92
0
80
Source : INSEE, enquête participation électorale 2012.
Champ : Français résidant en France métropolitaine.
Une plus forte politisation des jeunes
Contrairement à ce que l’abstention pourrait laisser croire,
non seulement les jeunes ne s’intéressent pas moins à la politique que leurs aînés, mais on remarque une nette progression
quant au niveau de cet intérêt depuis la fin des années 1990.
Si l’on considère le niveau d’intérêt porté à la politique ou
encore l’importance de la politique dans leur vie, l’enquête
Valeurs de 2008 met en évidence le fait que les jeunes ne se
différencient pas des autres classes d’âge, voire les dépassent
(tableau 2). Ainsi les moins de 30 ans sont quasiment aussi
nombreux que leurs aînés à se déclarer intéressés par la politique (41 % contre 43 %), et ils sont nettement plus nombreux
à estimer que la politique est un domaine important de la vie
© Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, janvier 2015
(50 % contre 43 %). Ainsi, l’abstention que nous évoquions
précédemment ne doit pas être interprétée comme le signe
d’un désintérêt ou d’une méconnaissance, mais davantage,
comme le soulignent un certain nombre d’analystes, comme
une défiance. Ce climat de défiance des jeunes envers la classe
politique entretient une crise de la représentation politique
qui n’est elle-même pas favorable à la participation.
Fractures sociales et fractures politiques
De façon générale, le vote « par devoir » s’est progressivement
effacé au profit d’un vote devenu plus réflexif, plus individualisé,
mais aussi plus aléatoire. Comme le rappellent régulièrement
les enquêtes et les sondages menés au moment des élections,
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Participation, engagement, citoyenneté
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tableau 2
Importance et intérêt pour la politique pour les jeunes de 18-29 ans
2008
1981
1990
1999
2008
Très important
-
5
5
13
13
Assez important
-
25
26
37
30
Pas très important
-
38
35
34
32
Pas important du tout
-
31
34
16
25
Très intéressé
-
5
6
12
12
Assez intéressé
-
27
22
29
31
Pas très intéressé
-
33
30
30
29
Pas du tout intéressé
-
34
42
29
28
30 ans et +
Importance de la vie politique dans la vie
Intérêt pour la politique
Source : enquête Valeurs 2008.
les jeunes tendent davantage que leurs ainés à décider de leur
vote dans les derniers jours des élections, souvent le jour même
du scrutin, signe d’un choix moins idéologique et moins partisan qui tend vers un rapprochement des lignes politiques.
Malgré tout, les jeunes ne forment pas un groupe homogène,
ni socialement, ni politiquement. Les fractures sociales, et
tout particulièrement celles qui sont induites par le diplôme,
provoquent des fractures politiques. Aux élections présidentielles de 2012, 83 % des diplômés du supérieur ont voté aux
deux tours de la présidentielle contre 67 % des non-diplômés, soit 10 % en dessous de la moyenne (77 % de votants)
selon l’INSEE. Les non-diplômés sont aussi moins souvent
inscrits sur les listes électorales que les diplômés du supérieur : respectivement 85 % et 96 %. Le diplôme est donc
un facteur discriminant : la jeunesse scolarisée et étudiante
n’a pas les mêmes réponses politiques que la jeunesse peu
diplômée et déjà sur le marché du travail. La première participe davantage aux élections mais aussi aux protestation
dans la rue ; la seconde se trouve plus en retrait de toute
forme de participation, vote moins et tend davantage que les
autres à porter son choix pour des candidats hors systèmes ou
d’extrême droite.
Laurent Lardeux
Bibliographie
• Braconnier C., Dormagen J.-Y, La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire ?, Gallimard,
Paris, 2007.
• Bruter M., Clary M.-J. (dir.), Les jeunes et le vote. Rapport d’enquête,
ANACEJ, Paris, 2014.
• Galland, O., Roudet B. (dir.), Une jeunesse différente ? Les valeurs des
jeunes Français depuis 30 ans, La Documentation française, 2012.
• Muxel A., Avoir 20 ans en politique, Le Seuil, Paris, 2010.
• Niel X., Lincot L., « L’inscription et la participation électorales en 2012.
Qui est inscrit et qui vote ? », INSEE Première, no 1411, septembre 2012
(www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1411).
• Roudet B., « Voter, ça les intéresse ? », Jeunesses : études et synthèses,
no 8, mars 2012 (http://www.injep.fr/spip.php?page=publications_
detail&language_id=4&products_id=274).
• Van de Velde C., Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse
en Europe, Presses universitaires de France, Paris, 2008.
FR28© Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, janvier 2015
Toutes les fiches Repères sont téléchargeables sur le site www.injep.fr
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