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L’Encéphale (2010) 36S, D133—D138
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MISE AU POINT
Traitement par inhibiteurs sélectifs de la recapture
de la sérotonine de la dépression chez la femme
enceinte : risques pour le fœtus et le nouveau-né
Treatment of depressed pregnant women by selective serotonin reuptake
inhibitors: Risk for the foetus and the newborn
S. Favrelière a,∗, A. Nourrisson a, N. Jaafari b, M.-C. Pérault Pochat a
a
b
Service de pharmacologie clinique, CHU La Milètrie, pavillon Le Blaye, 86021 Poitiers, France
Service de psychiatrie, centre hospitalier Henri-Laborit, 86000 Poitiers, France
Reçu le 22 septembre 2008 ; accepté le 22 juin 2009
Disponible sur Internet le 19 septembre 2009
MOTS CLÉS
Inhibiteurs sélectifs
de la recapture de la
sérotonine ;
Dépression ;
Grossesse ;
Fœtus ;
Nouveau-né
∗
Résumé Bien que mal connue et sous diagnostiquée, la prévalence de la dépression chez la
femme enceinte varie de 10 à 20 %. Le risque de la dépression non traitée est une augmentation
des avortements spontanés, d’hypertension gravidique avec éclampsie, mais aussi un risque
augmenté de pathologies néonatales. L’arrêt du traitement antidépresseur chez une femme
dépressive constitue un risque accru de rechute et de tentative de suicide. Un traitement
pharmacologique est indispensable si les traitements non médicamenteux sont insuffisants. Les
données concernant l’utilisation au cours de la grossesse des inhibiteurs sélectifs de la recapture
de la sérotonine (ISRS) font l’objet d’un débat depuis la publication en 2005 d’un risque malformatif majeur en particulier cardiaque avec la paroxétine. De nombreuses études depuis 2005
n’ont pas montré de risque malformatif global et spécifique associé à la prise d’ISRS, mais certaines ayant montré une association en particulier avec la paroxétine font que l’utilisation des
ISRS doit être pesée pour chaque femme enceinte dépressive en tenant compte du rapport bénéfice risque. Une augmentation des avortements spontanés, de la prématurité et du faible poids
de naissance ont été décrits. Les troubles néonataux fréquents nécessitent une prise en charge
adaptée dans un service de néonatalogie. L’effet à long terme sur le neurodéveloppement est
encore à explorer.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Favrelière).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2009.06.005
D134
KEYWORDS
Selective serotonin
reuptake inhibitors;
Depression;
Pregnancy;
Foetus;
Newborn
S. Favrelière et al.
Summary
Introduction. — This article is a review of literature data concerning the use of selective serotonin reuptake inhibitors (SSRIs) by depressed pregnant women.
Literature findings. — The adverse effects for the foetus, the newborn and the child were evaluated. The prevalence of depression during pregnancy is of around 10 to 20% of the population
of childbearing women. Depression is often misdiagnosed and underestimated in pregnant
women. Starting a pharmacological treatment for depression in these women is not easy
because data concerning the safety of antidepressants during pregnancy are still unclear. The
non-treated pathology is associated with higher risk of maternal morbidity, including arterial
hypertension, which could lead to preeclampsia or eclampsia, ideation and suicide attempts,
and postpartum depression. Foetal development is also affected and adverse outcomes such as
prematurity, low birth weight, irritability, and sleep disorders are frequent. Pharmacological
therapy is necessary when non-pharmacological treatment is insufficient. Suicide attempts and
relapse of depression have been described when depressive women stopped their pharmacological treatment during pregnancy. Pregnant women diagnosed with depression must be treated.
Selective SSRIs are now largely used in this pathology and have replaced tricyclic antidepressants because of fewer side effects. In general, drugs have a low teratogenic potential, only
4 to 5% of malformations are iatrogenic. Teratogenic risk is high between conception until the
end of the second month of gestation. Safety of SSRIs treatment during pregnancy and potential
risk for the foetus and newborn were unquestioned before publication, in the late 2005, of
some alarming data concerning a possible teratogenic effect. Studies showed an increased risk
for all congenital malformations with SSRIs and particularly with paroxetin. A few studies after
2005 have also found an association between prenatal exposure to SSRIs (especially paroxetin)
and congenital malformations. However, other studies failed to demonstrate this association
and the risk for cardiovascular malformations also does not seem to be significantly increased.
Numerous studies in pregnant women have shown that SSRI treatments are associated with a
significant increase of spontaneous abortion, preterm birth, and low birth weight. Exposure
to SSRIs in late pregnancy has been associated with a three-fold increased risk of neonatal
behavioural syndrome, including signs of withdrawal or serotonin impregnation. Restlessness,
poor tone, respiratory distress, hypoglycaemia were the most frequent signs. These symptoms
occur during the first days of life and are usually brief and not serious. Recent studies have
also documented an increased risk of persistent pulmonary hypertension and cases of cerebral
haemorrhage have been described. Data concerning a possible effect on motor and cognitive
development at school age in children prenatally exposed to SSRIs are limited.
Discussion. — Although a number of studies revealed that SSRIs are not teratogenic, some of
them showed congenital malformations associated with use of these antidepressants; in particular an increased risk of cardiac defects with paroxetin. In practice, the potential risk
implies that the decision to treat a pregnant woman with SSRIs (notably paroxetin) should
be taken carefully; this means double-checking the diagnosis, the potential benefits, adverse
effects and possible alternatives. Neonatal toxicity seems to be relatively frequent when SSRIs
are prescribed during late pregnancy. For all depressed pregnant women, the severity of the
depression must be taken into consideration before introducing a pharmacological treatment.
When depressive women are already treated, studies have shown that antidepressants must be
maintained during pregnancy to prevent relapse and suicide attempts.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction
La dépression est une pathologie psychiatrique qui touche
10 à 20 % des femmes enceintes. Elle est peu connue et
sous diagnostiquée sur ce terrain. L’instauration d’un traitement est plus difficile lors d’une dépression chez la
femme enceinte, les données sur la sécurité d’emploi des
antidépresseurs existent, mais restent contradictoires. Les
inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS)
sont les antidépresseurs les plus prescrits à l’heure actuelle,
mais les risques encourus par le fœtus lorsqu’il est exposé à
ces molécules in utero restent encore débattus. Nous avons
voulu faire un état des lieux des données actuelles de la
littérature internationale.
La depression chez la femme enceinte
La prévalence moyenne de la dépression est de 18,3 %
chez les femmes enceintes selon Bennett et al. dans une
revue de 2004 [5]. Contrairement à la dépression du postpartum bien documentée, ce n’est que récemment que
la dépression anténatale a été abordée avec ses conséquences néfastes sur le développement effectif et cognitif
Traitement par inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et grossesse
de l’enfant. De nombreuses études ont été réalisées pour
déterminer l’impact de la dépression sur la grossesse. Le
premier est l’impact sur le comportement de la mère avec
une diminution du suivi : comparativement aux femmes
non dépressives, elles n’assistent pas ou peu aux visites
prénatales et ont moins d’échographies de surveillance.
Elles ont une consommation d’alcool, de tabac et d’autres
drogues supérieures aux femmes non dépressives [5,6]. Le
deuxième est l’impact sur le déroulement de la grossesse.
Les modifications biochimiques entraînées par la dépression chez la femme enceinte tels les forts taux de cortisol
peuvent entraîner une prématurité, un faible poids de naissance et une faible activité lors du développement fœtal
[17] alors que les forts taux maternels de norépinephrine
augmenteraient la résistance des artères utérines entraînant une baisse de la croissance fœtale [22]. Les femmes
dépressives ont un risque accru d’avortement spontané
et d’hypertension artérielle gravidique avec prééclampsie,
voire éclampsie. À la naissance, les nouveau-nés de mère
dépressive présentent également des taux élevés de cortisol
et de plus faibles taux de dopamine et de sérotonine induisant une hyperactivité, un rythme cardiaque élevé. Ils sont
difficilement consolables, plus irritables [17]. Les troubles
dépressifs maternels ont des conséquences sur le développement psychomoteur de leurs enfants, y compris in utero.
Un retard de développement cognitif et émotionnel a été
décrit chez les enfants nés de mères dépressives [5,6].
Faut-il traiter une femme enceinte
dépressive ?
Des idées suicidaires sont rapportées par 11 des 37 femmes
enceintes dépressives qui ont brutalement arrêté leur
traitement antidépresseur [14]. Une étude prospective a
montré que sur 201 femmes enceintes ayant des antécédents de dépression majeure, les patientes ayant arrêté ou
diminué leur traitement avaient un risque de rechute cinq
fois plus élevé que les patientes ayant maintenu leur traitement [10]. Selon Bonari et al., 15 % des femmes enceintes
dépressives tentent de mettre fin à leurs jours [6]. Selon Austin, 75 % des femmes dépressives qui cessent leur traitement
rechutent [2]. De façon générale, la majoration du risque
de récidive des épisodes dépressifs à l’arrêt du traitement
est réel et est à prendre en compte pour le suivi des grossesses de ces femmes dépressives. À côté des traitements
non pharmacologiques comme la prise en charge psychothérapique, les techniques corporelles et la photothérapie
qu’il faut privilégier chez la femme enceinte dépressive,
dans certaines circonstances, le traitement médicamenteux
est inévitable. Dans la prise en charge des dépressions, les
ISRS ont supplanté les antidépresseurs tricycliques en raison
d’une meilleure tolérance et d’une moindre gravité en cas
de surdosage.
Le traitement médicamenteux et la grossesse :
les périodes à risques [15]
Il faut savoir que les médicaments ont un rôle limité dans
les malformations congénitales, environ 2 à 4 % des enfants
naissent avec une malformation dont seulement 4 à 5 % sont
D135
d’origine iatrogène mais ce risque, même limité, existe. La
toxicité varie en fonction de la période de grossesse. Avant
l’implantation qui débute cinq jours après la conception et
s’achève le 12e jour, l’embryon a peu d’échange avec la
mère et le risque de retentissement d’un agent exogène est
considéré comme très faible. L’organogenèse qui lui succède
se déroule du 13e au 56e jour après la conception. Lors de
cette période, le risque malformatif est maximal. Lors de la
période fœtale qui couvre la période qui s’étend de la fin
du deuxième mois jusqu’à l’accouchement, il se produit les
phénomènes de croissance, de maturations histologique et
enzymatique des organes en place. Les conséquences d’une
exposition à ce stade peuvent se traduire par des troubles
souvent difficiles à déceler à la naissance mais dont les
handicaps peuvent être plus lourds que les malformations
morphologiques comme les anomalies du développement
psychomoteur ou des effets carcinogènes. À la naissance, les
fonctions métaboliques et excrétrices de l’enfant sont partiellement matures et la demi-vie de la molécule sera plus
longue chez le nouveau-né que chez l’enfant et l’adulte.
On assiste à une accumulation chez l’enfant de composés à
élimination principalement rénale. Les agents liposolubles
peuvent se concentrer dans le système nerveux central
du fait d’une barrière hématoencéphalique immature et
des sites de fixation limités. Des symptômes transitoires
peuvent apparaître suite à cette imprégnation et ils seront
semblables aux effets pharmacologiques ou indésirables de
la molécule. Plus exceptionnellement, des symptômes de
sevrage sont possibles. Ces symptômes surviennent dans les
jours suivant la naissance et cèdent spontanément.
Données pharmacologiques des inhibiteurs
sélectifs de la recapture de la sérotonine
Les ISRS sont une classe d’antidépresseurs qui s’est beaucoup développée en raison d’une efficacité semblable à celle
des tricycliques avec des effets anticholinergiques faibles
et une absence de toxicité cardiaque. Ils sont représentés
par la fluoxétine, la paroxétine, la fluvoxamine, la sertraline, le citalopram et son énantiomère, l’escitalopram. Ils
agissent au niveau cérébral par inhibition de la recapture
de la sérotonine afin d’augmenter ce taux diminué lors de la
dépression. La sérotonine et ses récepteurs sont produits
très précocement au cours du développement embryonnaire. Elle exerce différentes actions sur la morphogenèse
du système nerveux avant de devenir un neurotransmetteur. Selon les études menées chez la souris, la principale
source de sérotonine au stade embryonnaire serait d’origine
maternelle [12]. La fonction cardiaque fœtale est influencée par le statut sérotoninergique maternel [18]. Sur le plan
pharmacocinétique, les ISRS subissent une résorption digestive rapide et importante, une forte liaison aux protéines
plasmatiques, une fixation tissulaire élevée et une métabolisation hépatique P450 dépendante. Le citalopram et la
fluoxétine ont un métabolite actif expliquant une demi-vie
d’élimination longue. Ces caractéristiques peuvent varier
chez le fœtus et le nouveau-né avec une fixation protéique
plus faible et une métabolisation et une élimination rénale
diminuées. Il existe donc un risque d’accumulation des ISRS
au cours du développement foetal. De plus, chez l’embryon
humain, il existe une expression transitoire du transpor-
D136
teur de la sérotonine dans un certain nombre de tissus
et dans des neurones non sérotoninergiques [36]. Le passage transplacentaire des ISRS varie selon les molécules.
Ainsi, la sertraline et la paroxétine passeraient en quantités moins importantes que le citalopram et la fluoxétine
selon des mesures faites dans le sang ombilical de 38 femmes
enceintes [21].
Données actuelles de la littérature sur la
tératogénicité et les effets sur le fœtus et le
nouveau-né des ISRS
Les données présentées sont issues d’études de cohorte,
d’études cas—témoins, de méta-analyses et de données
issues de registres de naissance et de malformations actualisées.
Fausse couche
De nombreuses études observent une augmentation du
risque d’avortement spontané avec la prise d’ISRS qui serait
liée, selon certains auteurs, à un mécanisme sérotoninergique.
Hemels et al., en 2005 [20], ont revu six études de
cohorte portant sur un total de 3567 femmes dont 1534 exposées à des antidépresseurs. Le taux d’avortement spontané
a été significativement augmenté avec un taux de 12,4 % en
moyenne dans le groupe exposé contre 8,7 % dans le groupe
non exposé sans différence entre les différentes classes
d’antidépresseurs. Les auteurs n’ont pas écarté l’effet de
la maladie elle-même. Une méta-analyse de Rahimi et al.
[31] rapportant les études cliniques de 1990 à 2005 concernant l’exposition à des doses thérapeutiques de citalopram,
fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine et sertraline concluent
à une augmentation significative des fausses couches. Bassiouni and Rafei [4] ont constaté des taux plus élevés de
sérotonine chez les femmes ayant fait une fausse couche que
comparativement à celles qui ont eu une grossesse normale.
Malformations congénitales majeures
Chez l’homme, les données publiées jusqu’en septembre
2005 suggéraient que les ISRS n’étaient probablement pas
responsables de malformations majeures jusqu’à l’étude
menée par le laboratoire GlaxoSmithKline titulaire de l’AMM
de la paroxétine à partir des données des compagnies
d’assurance santé aux États-Unis. Cette étude portait sur
3581 femmes exposées à un antidépresseur lors du premier trimestre de grossesse, 527 étaient exposées à la
paroxétine. Les résultats initiaux ont montré une augmentation du risque de malformation majeure (OR = 2,2 ; IC95 %
1,34—3,63) et du risque de malformation cardiaque à type
de communication interventriculaire et interauriculaire de
la paroxétine d’un facteur deux par rapport aux autres
antidépresseurs [39]. L’analyse finale pour les 791 femmes
exposées à la paroxétine en monothérapie comparativement
aux 4767 femmes exposées aux autres antidépresseurs montrait un risque de malformation significativement augmenté
(OR = 1,89 ; IC95 % 1,20—2,98), mais le risque de survenue
de malformation cardiaque ne l’était plus (OR = 1,46 ; IC95 %
S. Favrelière et al.
0,74—2,88) [11]. De nombreuses études se sont succédées
à partir de 2005, les unes en faveur d’une augmentation du
risque malformatif global ou spécifique avec les ISRS, en particulier avec la paroxétine [3,40] ; d’autres études n’ont pas
retrouvé cette association [24,31,37]. Louik et al. observent
une association significative entre la prise de sertraline et
le risque d’omphalocèle et d’anomalies du septum, d’une
part, et entre la prise de paroxétine et le risque de cardiopathies avec obstacle à l’éjection du ventricule droit,
d’autre part, mais ces malformations sont rares et le risque
absolu reste très faible [25]. Ces études sont réalisées en
l’absence d’un groupe témoin de femmes dépressives, ce
qui ne permet pas de conclure à un effet dû au traitement
ou dû à certains facteurs liés à la maladie. Cependant, en
pratique, il convient d’attirer l’attention sur une éventuelle
augmentation du risque malformatif de ces molécules bien
qu’il apparaisse modéré et controversé et en particulier sur
le risque de malformation cardiovasculaire de la paroxétine.
Ces données ont entraîné la modification de la catégorie
FDA du risque médicamenteux au cours de la grossesse de
la paroxétine passant de C à D de la rubrique grossesse
du résumé des caractéristiques du produit avec les recommandations entre autres de n’utiliser la paroxétine que s’il
paraît nécessaire en évaluant les risques potentiels.
Naissance prématurée
Parmi les effets de la dépression sur le fœtus et le nouveauné, Field et al. [17] observent la prématurité, un faible poids
de naissance et une croissance intra-utérine retardée.
Selon plusieurs études récentes [24,35,38], le risque de
naissance prématurée est significativement plus élevé chez
les femmes exposées aux antidépresseurs en général et
les ISRS, en particulier, comparativement aux femmes non
exposées. Selon Suri et al. [35], les symptômes dépressifs
seuls dans le cas de dépression légère à modérée ne sont
pas associés à ce risque.
Faible poids de naissance
Le faible poids à la naissance pourrait être un effet secondaire des ISRS comme cela a été démontré avec la fluoxétine
par vasoconstriction des artères ombilicales chez la femme
exposée entraînant une baisse de l’apport oxygène et de
nutriments chez le fœtus [8,38].
Il peut être dû aux comportements à risque des mères
dépressives comme l’alcoolisme et le tabagisme [35]. Selon
les recommandations américaines, il est recommandé de ne
pas utiliser la fluoxétine après la 25e semaine de grossesse
afin de limiter le risque d’un faible poids de naissance [1].
Pathologies néonatales
Syndrome de sevrage ou syndrome sérotoninergique
La fréquence des troubles néonataux chez les nouveau-nés
exposés in utero aux ISRS rapportée dans différentes études
est de 20 à 30 % [27]. Il n’est pas clairement établi qu’il
s’agisse de signes d’imprégnation sérotoninergique ou de
manifestations de sevrage car les symptômes et le moment
de survenue sont similaires. Les symptômes les plus fré-
Traitement par inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et grossesse
quemment rapportés sont une agitation, des trémulations,
des troubles du tonus musculaire, des difficultés respiratoires et une hypoglycémie. Des manifestations comme
convulsions, cris persistants, ictère, troubles du sommeil,
troubles alimentaires avec défaut de succion et cyanose ont
été décrits également. Ils ont lieu dans les premiers jours
de vie et sont de courte durée et dans la plupart des cas ils
ne présentent pas de caractère de gravité [16,27]. Les cas
décrits avec la paroxétine et la fluoxétine sont plus nombreux en rapport avec une plus grande ancienneté de ces
molécules dans la classe médicamenteuse ou une prescription plus importante de ces molécules [33]. Il est impossible
d’affirmer que seul le traitement soit impliqué dans les
troubles néonataux, les groupes témoins dans ces études
sont indemnes de la pathologie traitée. La Food and Drug
Administration recommande de diminuer les doses et de
ne plus donner le médicament sept à dix jours avant la
date prévue de l’accouchement, alors que pour d’autres
auteurs, l’arrêt du traitement n’est pas conseillé car les
symptômes néonataux sont dans la plupart des cas peu
graves par rapport aux conséquences d’une décompensation
de la dépression maternelle et au risque de dépression du
postpartum [23]. Quel que soit le mécanisme, ces troubles
existent, cela nécessite que l’accouchement soit réalisé en
collaboration avec un service de néonatalogie avec prise en
charge adaptée du nouveau-né.
Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
Lors d’une étude datant de 1996 [8], deux cas d’HTAP persistante ont été observés sur 73 enfants présentant des
symptômes néonataux suite à l’exposition à la fluoxétine.
Pour confirmer cette hypothèse d’une augmentation du
risque d’HTAP liée à la prise d’ISRS pendant la grossesse,
une étude cas—contrôle avec 377 enfants avec HTAP confirmée et 836 enfants témoins a été menée qui a permis
d’observer que le risque d’HTAP était multiplié par trois
chez les enfants nés de mères traitées par ISRS après la
20e semaine d’aménorrhée (OR = 3,2 ; IC 95 % 1,3—7,4). Ni
la prise d’autres antidépresseurs, ni la prise d’ISRS avant
la 20e semaine n’augmenteraient ce risque [9]. Plusieurs
hypothèses sont avancées pour déterminer le rôle joué par
les ISRS. Le poumon sert de réservoir aux ISRS où la sérotonine en concentration plus importante exerce son action
vasoconstrictrice. Elle peut également augmenter la prolifération des cellules musculaires lisses pulmonaires comme
cela a été démontré chez le rat [19]. Un autre mécanisme
possible est l’inhibition de la synthèse de monoxyde d’azote.
Toxicité hématologique
Les ISRS perturberaient la fonction plaquettaire par une
baisse des taux de sérotonine. La fréquence des hématomes
a été significativement plus élevée dans la descendance de
rates traitées par la fluoxétine [34]. Des cas d’hémorragies
cérébrales ont été rapportés quelques heures après la naissance chez des enfants de mères traitées par ISRS au cours
de leur grossesse [13,32].
Altération de la réponse à la douleur
Oberlander et al. ont observé chez des enfants exposés in
utero aux ISRS comme la fluoxétine, la paroxétine et la sertraline une diminution de la réponse à la douleur [30]. Que
D137
cette altération soit une atteinte du système neurosensoriel
par l’exposition in utero aux ISRS ou un effet pharmacologique direct de la sérotonine reste à prouver.
Effets à long terme des ISRS sur le
neurodéveloppement
Nulman et al. ont été les premiers à s’intéresser aux effets
à long terme d’une exposition in utero aux antidépresseurs.
Ils ont comparé entre un groupe de 55 femmes exposées à
la fluoxétine et un groupe 80 femmes exposées aux antidépresseurs tricycliques et un groupe de 84 femmes exposées
à des médicaments considérés comme non tératogènes, les
répercussions sur le développement cognitif, le langage, le
comportement de l’enfant de 16 mois à environ sept ans. Ils
ont obtenu des résultats similaires dans les trois groupes.
Les paramètres maternels pouvant perturber le développement de l’enfant ont été pris en compte (sévérité de
la dépression, quotient intellectuel de la mère, catégorie
socioéconomique) [28]. Une autre étude sur trois groupes
(46 femmes exposées tout au long de la grossesse aux antidépresseurs tricycliques, 40 à la fluoxétine et 36 femmes non
dépressives non exposées) a obtenu les résultats similaires.
La durée de la dépression a été associée avec un faible
développement cognitif et le nombre d’épisodes dépressifs
après l’accouchement a été corrélé à une perturbation du
développement du langage et du comportement [29]. Morrison et al. ont observé également une association entre la
sévérité de la dépression maternelle et l’atteinte du développement comportemental et du langage [26]. À l’inverse,
Casper et al. [7] ont mis en évidence de légères différences
du contrôle moteur chez les enfants entre six et 40 mois
exposés in utero aux ISRS (n = 31) comparativement à des
enfants de mères non traitées (n = 13).
Les données disponibles actuellement concernant
l’impact d’une exposition in utero à des ISRS sur le neurodéveloppement sont plutôt rassurantes mais limitées. Dans
les études, les effectifs sont faibles. Le suivi des enfants est
court et les anomalies probablement non aisées à mettre
en évidence.
Conclusion
À ce jour, les données actuelles ne confirment pas une augmentation de malformation majeure en termes de risque
absolu lors d’exposition aux ISRS durant la grossesse.
Cependant, les données discordantes sur l’utilisation de
la paroxétine lors du premier trimestre incitent à être
prudent et pour chaque cas à bien évaluer le rapport
bénéfice/risque entre la prise d’un traitement pendant la
grossesse et les conséquences à ne pas traiter la dépression. Il n’est pas conseillé de prescrire la paroxétine lors
du premier trimestre de grossesse tant que nous n’aurons
pas de résultats plus fiables. En fin de grossesse, il faut
évaluer les conséquences d’un arrêt de traitement pour
éviter les symptômes néonataux de manque ou de toxicité
car une décompensation de la pathologie maternelle peut
aussi avoir de lourdes conséquences. Malgré les limites de
ces études (pas ou peu de données sur l’observance, difficultés à connaître les traitements associés, taille limitée
des groupes, distinguer l’effet de la maladie à ceux du
D138
traitement), les données doivent être considérées dans un
contexte pratique au cas par cas avec le prescripteur.
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