Dossier Haïti : une réponse humanitaire extraordinaire pour une

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Dossier Haïti : une réponse humanitaire extraordinaire pour une
A l’aube du triste anniversaire que sera le 12 janvier prochain, l’OCCAH présente un dossier synthèse sur
le contexte humanitaire qui prévaut en Haïti.
Dossier Haïti : une réponse humanitaire extraordinaire pour une crise sans précédent
Contexte politique, économique et social d’Haïti
Haïti a une histoire politique et économique marquée par la turbulence et la fragilité.
Fréquemment agitée par des luttes sociales et des coups d’État, elle a longtemps été
maintenue sous le joug d’une dictature inique. En effet, au cours de son histoire
politique, Haïti a successivement été envahie (pendant la colonisation française) puis
occupée (par les États-Unis) et finalement toujours marquée d’une importante présence
étrangère sur son sol (opérations de paix des Nations unies). Aujourd’hui, Haïti a une
classe politique divisée dont la population civile se méfie. Les institutions publiques se
retrouvant, plus souvent qu’autrement, dans l’incapacité de répondre aux besoins et
aux aspirations de sa population. Les élections prévues le 28 novembre prochain seront
un réel test pour la nation haïtienne car les obstacles à la tenue d’élections libres et
équitables, qui, en temps normal sont considérables, sont désormais amplifiés par la
destruction et les pertes humaines causé par le tremblement de terre du 12 janvier
dernier. À cet égard, l’International Crisis Group, recommande aux autorités locales
d’intensifier l’éducation civique des personnes dans les camps et d’accélérer leur
enregistrement afin que toute la population puisse participer au scrutin1.
Comme beaucoup de pays en voie de développement, l’instabilité politique qui
caractérise Haïti existe sur fond de pauvreté endémique. Environ les trois quarts de la
population (76%, selon le PNUD) survit grâce au secteur informel à faible revenu et sans
garantie d’emploi Malgré les réformes économiques entreprises dans les années quatrevingt, qu’elles soient d’initiatives locales ou extérieures (par exemple, les programmes
1
Haïti, les enjeux des Élections post-séisme, International Crisis Group, 27 octobre 2010.
d’ajustement structurel), Haïti a au cours des vingt dernières années accusé une
croissance négative de son PIB par habitant2. L’insécurité, l’instabilité et la pauvreté ont
ainsi poussé les Haïtiens à fuir le pays. Aujourd’hui, la diaspora haïtienne représente
approximativement 3 millions de personnes, établies pour la majorité aux États-Unis, au
Canada et en France, et qui, ne serait-ce qu’en transferts monétaires, continue à
participer à la vie socio-économique du pays.
Bien que plusieurs organismes classent Haïti comme un « État failli »3, de nombreux
observateurs ont souligné l’émergence d’une certaine stabilité dans le pays depuis
2006. En effet, certains indices sembleraient indiquer des signes de développement et
de stabilité, comme une plus grande sécurité, notamment à Cité Soleil qui est le plus
grand bidonville de Port-au-Prince, un meilleur accès aux soins de santé et la tenue
d’élections présidentielles. Or, en 2008, une grande partie de ces modestes progrès a
été sérieusement affectée par des chocs externes : émeutes de la faim pendant l’été en
réponse à la hausse brutale du prix des denrées alimentaires et l’enrayage du processus
démocratique avec la dissolution du gouvernement suite à l’agitation sociale. De
surcroît, la même année, la saison des ouragans a été particulièrement violente. Les
ouragans Fay, Gustav, Hanna et Ike ont, encore une fois, démontré la vulnérabilité du
pays face aux catastrophes naturelles. En raison de l’érosion des sols due à une
déforestation effrénée, chaque inondation, cyclone, ou orage fait non seulement des
milliers de victimes et des dégâts substantiels, mais réduit encore davantage les moyens
de subsistance de la population, exerçant alors une pression supplémentaire sur des
institutions publiques déjà fragilisées.
Dans un contexte où l’État haïtien a peu de moyen, l’aide étrangère joue un rôle de
premier plan. Ainsi, malgré une baisse relative de l’aide au développement, notamment
en raison de la crise économique de 2009, on observe tout de même une augmentation
quantitative de l’aide internationale au cours des vingt dernières années4. Selon Pierre
Beaudet, la majorité de l’aide internationale dont bénéficie Haïti a été canalisée en
dehors des structures gouvernementales, via des agences internationales ou des
Organisations Non Gouvernementales (ONG), pour la majorité internationale5. Bien
qu’elle soit nécessaire, l’aide massive entraîne toutefois des effets pervers : elle
contribue, souvent involontairement, à maintenir un statut quo d’instabilité politique et
sociale dans la mesure où elle se substitue aux prérogatives attribuées à l’État haïtien.
2
Banque Mondiale : http://donnees.banquemondiale.org/pays/haiti
Voir l’organisme Fund for Peace :
http://www.fundforpeace.org/web/index.php?option=com_content&task=view&id=409&Itemid=572
ou Transparency International :
http://www.transparency.org/news_room/latest_news/press_releases/2004/2004_05_15_survey_haiti
4
Haiti Aid Fact Sheet 1989-2008, Briefing Paper du Development Initiative, janvier 2010.
http://www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900sid/VVOS-7ZUUKU. En l’occurrence, en 1989 Haïti reçu un
peu plus de 300 millions de dollars en aide internationale tandis qu’en 2008, le pays reçu tout juste en deçà
de 900 millions.
5
Pierre Beaudet, Haïti aujourd’hui, Haïti demain, Rapport de synthèse du Symposium organisé par l’École
de Développement international et Mondialisation (EDIM), Université d’Ottawa, 6-7 avril 2010.
3
Politiquement, cette mise en exergue ne fait que miner un peu plus la confiance de la
population envers les institutions publiques et provoquer l’émergence d’une
gouvernance parallèle, gérée et financée par des acteurs et des institutions
internationales.
Les événements du 12 janvier
Le 12 janvier 2010 à 16h58, heure locale, Haïti est dévastée par un tremblement de
terre d’une magnitude de 7.0 sur l’échelle de Richter. La secousse, dont l’épicentre est
situé à environ 15 km à l'ouest de la capitale haïtienne, touche durement Port-auPrince, mais aussi les villes avoisinantes de Carrefour, Jacmel et Léôgane qui sont
détruites à 80%. Selon les dernières données recueillies, ce séisme, le plus violent qu'ait
connu Haïti depuis 200 ans, a provoqué la mort de plus de 200 000 personnes et en a
blessé plus de 300 000 autres, dont un nombre considérable ont dû subir une
amputation6. On compte aujourd’hui environ 1,3 millions de personnes déplacées et
sans abri dispersées dans plus de 1 350 sites à travers la capitale. Aux pertes en vies
humaines s’ajoute le très lourd bilan de l’impact sur les infrastructures avec plus de 105
000 résidences détruites et 208 000 autres endommagées. Ce sont aussi 1 300 écoles,
50 hôpitaux ou centres de santé et 30 000 immeubles commerciaux qui ont disparu
dans le gravier et la poussière7. La majorité des bâtiments abritant les ministères et
l’administration publique, y compris le Palais présidentiel, le Palais de justice et les
postes de police, ont été partiellement ou entièrement détruits.
Le séisme a frappé le cœur de la zone la plus peuplée du pays, affectant directement
son centre économique et administratif, ce qui a créé une situation sans précédent en
termes de pertes de vies humaines, de dégâts matériaux et de traumatisme psychosocial collectif. Au total, le gouvernement haïtien estime à plus de 3 millions les
personnes qui ont été affectées, directement ou indirectement, par la secousse8. Il va
sans dire que les ressources humaines et institutionnelles haïtiennes normalement
réactives en cas de crise, qu’elles soient du secteur civil ou public, se sont alors
retrouvées considérablement affaiblies. De surcroît, les nombreux « partenaires »
internationaux d’Haïti, que ce soit les Nations unies, l’aide bilatérale, les ONG
(humanitaires ou de développement) ou les membres de la Fédération Internationale de
la Croix-Rouge, établis avant le tremblement de terre, ont été eux aussi durement
affectés. Par exemple, le quartier général de la Mission des Nations unies pour la
Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) a été complètement détruit par le séisme, donnant la
mort au Représentant spécial du Secrétaire général en Haïti et Chef de la MINUSTAH, M.
Hédi Annabi. Des ONG présentes en Haïti, telles que Médecins Sans Frontières (MSF),
Médecins du Monde (MDM) et Oxfam, ont également perdu de vitales ressources
6
Inter-Agency Standing Committee - Haiti Earthquake Response, 6-month report, IASC, Juillet 2010.
Inter-Agency Standing Committee - Haiti Earthquake Response, 6-month report, IASC, Juillet 2010.
8
Gouvernement de la République : Lancement du plan d’action pour le relèvement et le développement
d’Haïti, mai 2010.
7
humaines, matérielles et financières. À titre d’exemple, MSF souligne dans un rapport
que l’organisation, malgré un volume sans précédent de dons reçus dans les jours
suivant la catastrophe, s’est retrouvée face à des défis colossaux, notamment en raison
de la perte de 10% de son personnel médical (décédé ou blessé), de la rupture des
lignes de communication et des difficultés à faire parvenir du matériel de secours9.
La réponse humanitaire
Dans le système humanitaire, il est entendu que les premiers répondants à une crise
doivent être les instances gouvernementales du pays où survient cette crise10. Dans le
cas d’une incapacité du gouvernement à répondre aux besoins, l’État peut faire appel à
la communauté internationale. En Haïti, les immeubles du ministère de l’Intérieur, où
était basée la Direction de la Protection civile ainsi que les bâtiments qui abritaient le
Système national de gestion des risques et des désastres (SNGRD) ont été
complètement détruits. Au lendemain du séisme, les pertes humaines et les dégâts
matériels dont les lignes de communication coupées, véhicules et routes endommagés,
sont tels que de nombreux fonctionnaires ont disparu ou ne sont tout simplement pas
en mesure de mener des opérations. L’assistance humanitaire externe, quant à elle,
nécessite toujours quelques jours avant d’être pleinement opérationnelle sur le terrain.
Entre temps, ce sont les survivants et les organisations de la société civile, souvent euxmêmes traumatisés, qui fournissent leur terrain pour des campements ou distribuent
des repas en tentant de secourir les sinistrés. Étant par nature plus désorganisée et,
dans une certaine mesure, spontanée, au contraire de l’aide internationale qui est
normalisée, ces actions d’aide humanitaire communautaire sont plus difficiles à
comptabiliser.
La réponse des autorités politiques haïtiennes a été quant à elle largement critiquée par
la population. Certes, les Haïtiens savaient que les moyens à la disposition de leur
gouvernement étaient modestes, mais ce qu’ils déploraient était l’absence de tribunes
populaires et l’impossibilité de revendiquer quoi que ce soit auprès des autorités11. Le
manque de ressources disponibles comparé à l’ampleur des besoins aurait pu mener à
un soulèvement populaire et à la violence. Or, selon le dernier rapport du Secrétaire
général des Nations unies, et contrairement à ce que laissent entendre certains
reportages médiatiques, ni le taux de meurtres ni le taux d’enlèvements n’ont
augmenté de manière significative à la suite du tremblement de terre. En revanche, le
rapport du Secrétaire général Ban Ki-moon semble s’inquiéter de l’augmentation des
crimes sexuels résultant, entre autres choses, du manque de sécurité dans les camps de
9
Réponse d’urgence après le séisme en Haïti : choix opérationnels, obstacles, activités et finances,
Rapport de Médecins sans Frontières, Juillet 2010.
10
Voir résolution A/RES/46/182 de l’Assemblée générale des Nations unies (19 décembre 1991). La
résolution stipule que ce sont les États qui ont la responsabilité première d’organiser, de coordonner et
d’offrir l’assistance humanitaire en cas de désastre naturel ou autre forme d’urgence humanitaire.
http://www.un.org/documents/ga/res/46/a46r182.htm
11
Haïti, une nation ébranlée : Pour une reconstruction fondée sur les droits humains et incluant le peuple
haïtien, Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, mai 2010, No.538f, 32p.
déplacés. En guise de conclusion, le rapport souligne que la pérennité du climat de paix
et de relative sécurité dépend de la gestion de l’aide et de la capacité des autorités
locales et acteurs internationaux à répondre aux multiples besoins des Haïtiens ainsi
qu’à leurs aspirations pour la reconstruction du pays.
L’intervention humanitaire internationale consécutive au séisme du 12 janvier fut
prompte et massive : en date du 1 juillet 2010, 4 millions de personnes ont reçu une
aide alimentaire, 1,5 millions ont obtenu un abri temporaire et 1,2 millions ont eu accès
à de l’eau potable quotidiennement, tandis qu’un million d’Haïtiens ont bénéficié du
programme « Cash-for-work » et 550 000 femmes, enceintes ou allaitant, ont reçues des
suppléments alimentaires12. Dressé 6 mois après les faits par l’Inter-Agency Standing
Committee (IASC), il convient d’étudier ce bilan en gardant à l’esprit qu’il est toujours
difficile d’établir les besoins d’une population ayant été directement affectée par une
crise. En Haïti, cette première réponse humanitaire a été considérablement
complexifiée par le fait que le tremblement de terre a eu lieu dans un centre urbain,
surpeuplé et désorganisé, dans un contexte d’extrême pauvreté. Port-au-Prince, la
capitale, compte un quart de la population totale d’Haïti dont 45% des habitants
vivaient déjà dans des abris de fortune insalubres et non sécuritaires et en zone de
haute densité de population, en plus des. La capitale est également érpouvée par des
problèmes d’assainissement et de santé publique chronique, l’épidémie de choléra qui
frappe certaines zones du pays en étant un symptôme. Il est alors très difficile de
distinguer les besoins d’une population qui a tout perdu lors du séisme des besoins
d’une population déjà démunie en raison de la pauvreté.
À l’image de la catastrophe, le déploiement de la communauté humanitaire suite au
séisme a été phénoménal. À la fin de janvier 2010, soit moins d’un mois suivant le
séisme, OCHA avait déjà enregistré parmi les acteurs de l’aide humanitaire plus de 1000
organisations, incluant les ONG (nationales et internationales), les différentes agences
des Nations unies, les organisations gouvernementales ainsi que les membres de la
Fédération Internationale de la Croix-Rouge13. De plus, 34 armées nationales ont
participé à l’effort humanitaire par l’envoi de troupes et/ou de matériel. L’armée
américaine à elle seule a déployé 22 000 militaires dans les 24 heures suivant le séisme.
Le personnel militaire de la MINUSTAH, bien que durement touché, a également été
rapidement mis à contribution pour la réponse humanitaire. Étant donné le nombre
important d’acteurs qui ont répondu à l’appel d’Haïti, il a fallu précipitamment établir
une stratégie de coordination efficace. Quelques jours après le tremblement, OCHA
démarre l’approche de responsabilité sectorielle, autrement connue sous son nom
anglais d’approche « cluster ». L’OCHA a ainsi réactivé les huit clusters établis en 2008 et
12
Inter-Agency Standing Committee - Haiti Earthquake Response, 6-month report, Juillet 2010. Ces
chiffres sont les résultats de la « communauté humanitaire », incluant les efforts nationaux et internationaux
(ONG, Nations unies, Fédération Internationale de la Croix-Rouge).
13
Global Humanitarian Assistance, Annual Report, août 2010,
http://www.globalhumanitarianassistance.org/reports
en a créer quatre autres, ainsi qu’une série de sous sous-clusters14 .
Depuis son adoption lors de la réforme du système humanitaire en 2005, l’approche par
cluster a été graduellement implantée dans diverses crises (Libéria, Ouganda, RDC et
Somalie). En résumé, cette nouvelle approche vise à synchroniser et harmoniser les
activités d’aide offertes par les organisations (internationales et nationales) pour
maximiser les efforts de coordination dans le but de partager leurs informations et
d’éviter la duplication et le gaspillage. Par exemple, toutes les organisations et les
autorités gouvernementales offrant de l’aide matérielle, du personnel ou des
compétences en matière de santé vont se retrouver sous le secteur de la santé.
Suite au séisme en Haïti, l’approche par secteur a été largement questionnée à savoir si
elle constituait une réponse adéquate au manque de coordination. Les premières
évaluations de cette approche soulignent l’importance d’inclure les autorités locales
dans la gestion de ces secteurs d’autant qu’ils visent, à long terme, la prise en charge
par les organisations locales des activités d’aide et de reconstruction. Or, selon un
rapport d’évaluation effectué six mois après le séisme, la majorité des réunions de
coordination se tenaient en anglais, ce qui a accentué la marginalisation des
responsables locaux qui, pour la majorité, parlent français ou créole. Ce même rapport
souligne qu’en raison d’une sécurité « trop musclée » à proximité des sites où se
tenaient les rencontres, un nombre important d’Haïtiens n’ont pu accéder aux
réunions15. Plusieurs observateurs parlent d’ailleurs de réunions chaotiques qui ne
tiennent pas compte des capacités locales.
Dans un autre ordre d’idées, une évaluation produite par l’IASC affirme que la réussite
de l’approche par cluster dépend de la rapidité avec laquelle elle devient opérationnelle.
Malgré les défis que représente une telle coordination dans un contexte de « mégacrise » comme en Haïti, l’ensemble des secteurs étaient relativement opérationnels 10
jours après le tremblement de terre. Or, ce même rapport d’évaluation souligne qu’en
Haïti, en raison de la proportion de la réaction initiale, ils ont eu beaucoup de difficultés
à démarrer et arrimer leur programme en fonction du dispositif de coordination
préexistant16. En négligeant de la sorte les huit clusters établis, le principal mécanisme
de coordination après le 12 janvier s’est construit en parallèle des mécanismes déjà
existants. Cette coordination parallèle a considérablement complexifié les pistes vers
14
Coordination et gestion des camps (dirigées par l’OIM) ; éducation (UNICEF), abris et denrées nonalimentaires (FICR) ; alimentation (PAM) ; nutrition (UNICEF) ; logistique (PAM) ; protection (OHCHR
avec UNICEF pour la protection des enfants et FNUP pour la violence basée sur le sexe) ; WASH
(UNICEF) ; agriculture (FAO) ; relèvement précoce (PNUD) ; télécommunication d’urgence (PAM) ; santé
(OMS et OPS). Réponse du tremblement de terre en Haïti ; une analyse contextuelle, Rapport d’évaluation
de l’ALNAP, du DAC network on developement et UNEG, juillet 2010
15
Réponse du tremblement de terre en Haïti ; une analyse contextuelle, Rapport d’évaluation de l’ALNAP,
du DAC network on developement et UNEG, juillet 2010.
16
Par exemple, à lui seul, le cluster santé a enregistré plus de 400 organisations dans les jours suivant le
séisme.
l’établissement d’une stratégie cohérente et commune17.
Le financement de l’aide humanitaire, notamment en raison de son caractère ad hoc, se
démarque par ses problématiques structurelles. C’est pourquoi, derrière les élans de
générosité de toutes parts que l’on a vu défiler sur les écrans de télévision, se cache une
autre réalité qui est souvent bien plus complexe. Par exemple en date du mois d’août
2010, Haïti a reçu un total de 2.8 milliards de dollars18. Selon l’IASC, le recours au Central
Emergency Responds Fund (CERF) ainsi qu’au Haïti-specific Emergency Relief and
Recovery Fund (ERRF), ce dernier étant déjà en place en Haïti depuis 2008, a joué un
rôle crucial dans l’octroi de fonds immédiatement après le séisme. Ce sont les montants
alloués par le CERF qui ont été versés le plus rapidement : 36,6 millions au courant des
cinq premier jours, dont 10 millions de fonds dans les heures suivant le tremblement et
16 millions au courant des premières 72 heures.
Ne faisant pas figure d’exception, la réponse financière suite au séisme se mesure à la
lumière des tangentes actuelles en matière de financement. D’abord, les contributions
financières se faisant à l’extérieur du processus d’appel consolidé (CAP) de l’OCHA, qui
ne cessent d’augmenter à l’échelle globale, dépassent en Haïti ceux de l’intérieur du
CAP, se chiffrant actuellement à 1.5 milliards de dollars19. Ensuite, le partage des fonds
entre les clusters n’est toujours pas réparti de manière équitable avec plusieurs d’entre
eux n’ayant été financés qu’à la hauteur de 50%20. On remarque également que les
contributions financières des pays non-membres du Comité d’Aide au Développement
(CAD) de l’OCDE, avec à leur tête des pays comme l’Arabie Saoudite, la Chine et la
Turquie, ont dépassé celle de plusieurs pays membres avec plus de 867 millions en date
du 23 mars21. Enfin, une autre tangente globale qui s’est également produite en Haïti,
soit l’octroi de fonds par des pays qui sont eux-mêmes bénéficiaires de l’aide
humanitaire, comme la République démocratique du Congo qui a envoyé 2,5 millions de
dollars.
Dans l’esprit des principes humanitaires, l’aide financière doit avant tout être fondée sur
l’impératif de répondre sur la base des besoins de la population affectée. Or, loin des
caméras et dans les mois suivant la catastrophe, le financement s’amenuise
généralement et la durabilité de plusieurs projets est sérieusement mise en péril. Il faut
également souligner que, dans un contexte de « méga-crise » comme celle d’Haïti, les
évaluations prennent du temps avant d’avoir une idée réelle de l’ampleur des besoins ;
cela peut prendre plusieurs mois. La majorité des acteurs humanitaires s’entendent
17
Réponse du tremblement de terre en Haïti ; une analyse contextuelle, Rapport d’évaluation de l’ALNAP,
du DAC network on developement et UNEG, juillet 2010
18
Ibidem
19
Haiti Earthquake Response, 6-month report, Rapport du IASC. Selon le Bulletin d’OCHA du 12 octobre,
à l’heure actuelle, 70 % des fonds du CAP ont été reçus.
20
Ibidem
21
Réponse du tremblement de terre en Haïti ; une analyse contextuelle, Rapport d’évaluation de l’ALNAP,
du DAC network on development et UNEG, juillet 2010.
aussi pour affirmer que le financement des activités humanitaires dépend de plusieurs
facteurs, parmi lesquels on compte le type de crise, l’attention médiatique accordée aux
événements, la capacité des populations à faire connaître leurs besoins et la volonté
politique des pays donateurs. Dans ces circonstances, il est évident qu’il existe
d’importantes disparités dans le financement global de l’aide humanitaire. À titre
indicatif, pour la période de janvier à avril 2010, le GHA a calculé que chaque Haïtien
avait reçu l’équivalent de 993$ en aide tandis que la réponse au Tsunami de 2004 s’est
élevée à 2670$ par personne et celle suite au séisme de 2007 au Pérou se trouve à 108$
par personne22. D’un autre coté, suite aux ouragans qui ont frappés Haïti en 2008, les
dons accumulés se chiffrent à 72$ par personne. Bien que la réforme des mécanismes
de financement vise à rendre plus équitable la distribution globale de l’aide entre les
pays en situation de crise humanitaire ainsi qu’entre les crises d’un même pays, force
est de constater que la réponse en Haïti indique que ces deux objectifs sont encore loin
d’êtres atteints.
Au-delà du séisme de janvier 2010, la situation d’insécurité permanente qui prévaut en
Haïti aura amené le Conseil de sécurité de l’ONU à déployer une mission de maintien de
la paix en 2004. En effet, le déploiement d’une force de la paix est devenue, au cours
des vingt dernières années, la réponse habituelle de la communauté internationale pour
répondre aux situations de conflit armé ou d’une instabilité politique qui risque de
basculer en conflit. Établie le 30 avril 2004, la MINUSTAH détient un mandat
essentiellement politique et sécuritaire : soutien au développement des institutions
démocratiques, à la réforme du secteur de sécurité et à l’appareil judiciaire, et appui au
programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion, etc. Or, deux jours
après le séisme, et à la recommandation du Secrétaire général des Nations unies, la
MINUSTAH a vu augmenter ses effectifs afin d’être en mesure d’appuyer les efforts
d’aide et de secours23. Ainsi, la mission de l’ONU a contribué à la réponse humanitaire,
notamment en fournissant un appui logistique et administratif essentiel aux opérations
de sauvetage et de secours d’urgence, en aidant la Police nationale haïtienne à
maintenir la sécurité et l’ordre public et en aménageant des hôpitaux de campagne.
Pour les autorités onusiennes, le succès de la mission repose désormais sur trois
aspects : d’une part, sur un retour rapide à la normale par une gestion efficace de
l’octroi d’habitations permanentes pour les milliers de personnes réfugiées dans des
camps ; d’autre part, sur un renforcement des capacités locales pour mieux prévenir et
répondre aux intempéries ; enfin, sur la capacité de la MINUSTAH d’assurer un
leadership dans le processus de reconstruction. La préoccupation première demeure
cependant de maintenir la paix sociale et la sécurité jusqu’à la tenue des élections
présidentielles jusqu’à la prise de pouvoir.
22
Les calculs sont basés sur un ratio du montant total reçu pour une crise par le nombre de personne
affectées. Global Humanitaire Assistance, Annual Report, Août 2010.
23
Voir la résolution 1908 du Conseil de sécurité des Nations unies (S/RES/1908) du 19 janvier 2010. Les
effectifs, en date du mois d’août 2010, sont de 11 750 personnes incluant 7 802 militaires et 2 136 policiers.
Leçons apprises et thématiques de recherche à surveiller
La réponse humanitaire en Haïti constitue un des plus vaste défi opérationnel, logistique
et institutionnel que le régime de l’aide humanitaire n’ait connu. En effet, tous les
enjeux qui font actuellement l’objet de débats parmi les acteurs, en vue d’améliorer la
qualité de l’aide, semblent être présents dans l’entreprise humanitaire qu’est devenue
la réponse de la communauté internationale suite au tremblement de terre. Parmi les
nombreux éléments, se retrouve la question de la coordination de l’aide entre les
acteurs et les organisations. En fait, au vue de l’augmentation continue du nombre
d’acteurs humanitaires (militaire, secteur privé, ONG, religieux) et des différences qui
existent entre leurs capacités et leurs objectifs respectifs, la question de la coordination
de l’aide se pose de manière encore plus pressante aujourd’hui. Déjà, en 1991, Bernt
Bernander, à l’époque Représentant du Secrétaire général des Nations unies à
Bagdad, résumait en quelques mots le cœur du problème ; « tous veulent coordonner,
mais personne ne veut être coordonné »24. Dans cet ordre d’idée, l’enjeu de la
coordination, plus qu’un impératif opérationnel, pose la question à savoir qui doit
assurer le leadership de la coordination et au nom de quelle autorité, surtout parceque
les acteurs humanitaires ne doivent pas se substituer aux institutions locales.
Outre l’épineuse question de la coordination, on peut aussi penser au défi de répondre
à une situation humanitaire dans un contexte urbain engorgé et densément peuplé, qui,
de surcroît, est particulièrement vulnérable aux catastrophes naturelles. La saison des
ouragans ne fait que commencer et la tempête du 24 septembre et de l’ouragan Tomas
du 5 novembre dernier ont dévoilé à quel point les équipes de réponse rapide sont
cruciales pour éviter que les sites où logent les déplacées internes ne se détériorent
davantage. En fait, les préparations entreprises pour faire face à la saison des ouragans
ont démontré la nécessité d’accroître les capacités locales en matière de prévention des
désastres, comme par exemple, l’établissement de normes d’habitation sismiques25.
Dans cet ordre d’idée, on peut examiner davantage la question de l’inclusion et de
l’appropriation locale de l’aide internationale qui, au demeurant, reste un aspect décisif
pour le succès à long terme des projets. On peut également examiner comment les
organisations d’aide humanitaire d’urgence, qui n’ont pas intégré des activités de
développement, peuvent améliorer l’impact de leur présence de manière à ne pas
entraver les autres initiatives prévues pour le développement à long terme. La transition
en cours, entre l’urgence et le développement à long terme, reste l’un des principaux
défis du pays.
24
Wolf-Dieter Eberwein, «Le paradoxe humanitaire ? Normes et pratiques » dans L’action humanitaire :
normes et pratiques – politiques, prescription légales et obligations morales, Paris, Cultures & Conflit,
L’Harmattan, 2006, pp.15-37.
25
Communiquée de l’Organisation internationale pour la migration (OIM), juillet 2010.
http://reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900sid/KHII-87K8JJ?OpenDocument
Enfin, l’expression de « République d’ONG », employée récemment par l’actuel
Représentant du Secrétaire général des Nations unies et chef de la MINUSTAH, M.
Edmond Mulet, pour décrire l’engorgement que crée le volume faramineux d’ONG sur le
terrain, exprime clairement les difficultés subséquentes pour les humanitaires de
travailler dans un espace aussi restreint. L’espace humanitaire, qui, lorsque modifié par
l’arrivée massive d’ONG, peut effectivement devenir une contrainte sur l’action dans la
mesure où elle a un impact sur l’accès aux personnes en besoin. À la lumière de la
récente crise en Haïti, qu’advient-il de l’espace humanitaire lorsqu’il est également
convoité par les armées nationales ? Est-ce que l’on peut pour autant affirmer que la
relation entre les acteurs humanitaires et militaires se déroule mieux dans les situations
de crises humanitaires « naturelles » que dans dessituations issues de conflits armés ?
Est-ce que le système humanitaire pourra effectivement tirer les leçons du passé? Tel
sont quelques unes des pistes de réflexions qui seront prioritaires dans la reconstruction
en cours en Haïti.
10.11.05
www.occah.org