(France) - Le jeune surveillant Guillaume le Guen escorte pour la

Transcription

(France) - Le jeune surveillant Guillaume le Guen escorte pour la
J’ai choisi le Bagne
1922 – Ile de Ré,(France) - Le jeune surveillant Guillaume le Guen escorte pour la
première fois les Bagnards qui doivent quitter la métropole pour rejoindre la Guyane
de l’autre côté de l’océan. La plupart d’entre eux ne reviendront jamais… (p.32-34)
… « Lentement, les occupants de la vedette avaient vu s’éloigner la côte de l’Ile...
Cela n’avait été d’abord, qu’un simple petit point noir sur l’océan. Puis, progressivement, le bateau bagne était
apparu comme une ombre, grise et lugubre, d’un navire imposant à l’unique cheminée. Depuis que le gouvernement
français avait décidé d’envoyer les forçats en Guyane et afin d’éviter toute tentative d’évasion, le transbordement
devait se faire impérativement au large, à mi-chemin entre la pointe des Barres et le port de La Pallice, à une demiheure environ de Saint-Martin. C’était une manœuvre très délicate et Guillaume, ainsi que les autres surveillants,
devaient rester particulièrement concentrés sur leurs hommes, aux aguets du moindre mouvement suspect.
Pourtant, à quelques encablures seulement du La Martinière*, le bateau-cage qui allait les emporter à l’autre bout du
monde, les bagnards ne semblaient toujours pas réagir, partagés entre le dédain muet de certains, face à une
société qui les rejetait, l’inconscience des plus jeunes, et l’indifférence apparente des autres qui cachait, le plus
souvent, un grand bouleversement intérieur…
Tout à coup, un vent violent s’était levé. Ourlés d’écume, des creux de trois mètres faisaient tanguer les petites
embarcations...
Ils étaient tout près, maintenant, et Guillaume pouvait enfin apprécier les
véritables dimensions du bateau. En fait, celui-ci était beaucoup plus grand qu’il ne
l’avait imaginé. D’une longueur de 120 mètres avec 10 mètres de tirant d’eau, le
bâtiment, d’abord construit par les Anglais, était ensuite passé sous pavillon
germanique. Récupéré en 1918 par les Français comme « butin de guerre », le navire
avait été aménagé pour remplacer le Loire, l’ancien bateau-bagne. Aujourd’hui, en ce
début d’année 1922, c’était son troisième voyage vers la Guyane...
Le premier homme à gravir l’échelle de coupée fut le Chef de Convoi. Et un
des Surveillants Chefs s’apprêtait à le suivre lorsque, à cause de la houle, il trébucha,
avant de se rattraper. « Attention au roulis… » marmonna, avec un air narquois, un
des forçats de L’Express
pourtant astreint au silence. Les deux hommes, à bord, étaient attendus par le
Capitaine du bateau, le Commandant Rosier. Après les formalités d’usage, ils allaient
lui remettre la longue liste des prisonniers afin que le Commandant puisse effectuer
un dernier appel des forçats, avant leur enfermement dans les cages. Le document
parlait de lui-même. Sur les 609 transportés, les fonctionnaires de la citadelle avaient
soigneusement changé de couleur d’encre pour marquer la dangerosité de certains
condamnés : leurs noms, en rouge vif, apparaissaient au premier coup d’œil…
Les bagnards de la première vedette montaient lentement à leur tour, certains
malhabiles, les jambes chancelantes. Cela n’en finissait pas…
Le La Martinière avait enfin levé ses ancres. Soudain, la corne de brume,
lugubre, déchira l’air glacé : à sa manière, avant de partir, le navire-prison saluait les
autorités et le continent. Mais ce mugissement angoissant signifiait aussi, pour la
masse des bagnards embarqués, l’adieu, l’adieu véritable à la terre de leur pays…
Sur le pont du bateau lessivé par la pluie dense, l’appel avait commencé. Et
déjà, les deux petits jeunes inconscients de L’Express ne souriaient plus… Guillaume,
lui, commençait à penser qu’il avait quitté son travail et sa famille avec trop de hâte.
C’était sur un coup de tête qu’il avait abandonné Morlaix, parce qu’il était trop
malheureux, parce qu’on lui avait fait comprendre qu’il ne gagnerait jamais assez…
Et, même si le souvenir encore trop brûlant de la belle Hortense l’obsédait encore, il
réalisait soudain que, tout comme les 609 prisonniers du bagne, tandis qu’il fixait
avec avidité le continent qui n’était maintenant plus qu’une ligne grise, il regardait
derrière lui avec regret…
*
La Martinière : du nom d’un médecin de Louis XV
www.beatricebalti.com © 2007/8
KiltiMedia

Documents pareils